CEMAM REUNION DU 24-1-1981 I. Le Conflit du Shatt al

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CEMAM REUNION DU 24-1-1981 I. Le Conflit du Shatt al
CENTER FOR THE STUDY OF THE MODERN ARAB WORLD
CENTRE POUR L’ETUDE DU MONDE ARABE MODERNE
CEMAM
REUNION DU 24-1-1981
I. Le Conflit du Shatt al-'Arab (M. McDermott, Th. Sicking, R. Campbell)
1) Historique
Au XVIe s., une tribu arabe, les Ka'b, s'installe à Muhammarah (Khoramshahr) et à l'est de la
ville. Au XVIIIe s., les Ka'b piratent le commerce turc, iranien ou anglais dans le Golfe en
s'alliant tantôt aux uns tantôt aux autres. Vers 1775, leur pouvoir décline et ils s'engagent comme
pasteurs au service d'une autre tribu; ils sont devenus shiites, se sont mêlés par mariage aux
Iraniens qui ne les ont cependant jamais considérés comme leurs. Leurs cheikhs deviennent
vassaux du Shah au XXe s.
Entre l'Iran, l'empire Ottoman puis l'Irak, le tracé de la frontière vers le Shatt al-'Arab est l'objet
de plusieurs traités; en 1520, 1639, 1746 puis en 1823 à Erzeroum.
- En 1847, à Erzeroum encore, sous l'influence russo-anglaise est singé un traité de base. L'Iran
abandonne Sulaymanieh et sa région aux Ottomans. Muhammarah et Abadan par contre avec
tous les territoires à l'est du Shatt deviennent iraniens. La frontière passe sur la rive iranienne,
l'eau est ottomane. L'Iran s'engage à ne rien revendiquer sur la rive ouest et à ne pas fortifier la
rive est. Une commission est créée pour lever la carte de la frontière, la carte est levée mais on ne
signe aucun accord sur le tracé.
- Lorsque la navigation commerciale s'accroît, surtout avec le trafic pétrolier, un modus vivendi
s'établit et la frontière passe de fait au milieu du Shatt pour l'accès à Abadan et Muhammarah qui
se sont développées. Il y a des disputes pour la souveraineté d'îlots qui apparaissent avec les
modifications du Shatt.
- En 1913, signature du protocole d'Istanbul par l'Iran, l'empire Ottoman, la Russie et l'Angleterre
confirmation du traité d'Erzeroum et création d'une commission pour fixer la frontière définitive.
Elle achève ses travaux en 1914, la frontière reste sur la rive Est sauf devant Muhammarah où
une étendue d'eau devient iranienne pou
r le trafic du port.
- En 1932, l'Irak devenu indépendant dénonce les traités de 1847 et 1913-14 et établit des postes
fortifiés en territoire iranien. Nouveau traité en 1937: retour aux décisions de 1913 avec
modification devant Abdan comme devant Muhammarah. Création d'une nouvelle commission
pour revoir les frontières de 1914, mais l'Iran se retire de la commission...
- En 1969, l'Iran dénonce le traité de 1937 et, en 1971, occupe les 3 îles du détroit d'Ormuz. Il
revendique un tracé de frontière au milieu du SHatt, selon la coutume internationale, et demande
que l'administration de la circulation fluviale soit confiée à un organisme irano-irakien.
- En 1975 a lieu le règlement d'Alger, l'Iran abandonne tout soutien aux Kurdes et l'Irak concède
le tracé de frontière au milieu du Shatt.
- Le 4 septembre 1980, l'Irak dénonce l'accord de 1975 et attaque l'Iran.
2) Position irakienne dans le conflit actuel
Elle est exposée dans un livre composé par "un groupe de journalistes, arabes au Koweit", publié
en décembre 1980 au Koweit, et dédié "à l'Irak, son peuple, son armée et son leader, pour la
victoire de l'arabisme et de l'Irak qui change la face de l'histoire". Le livre est évidemment télécommandé par l'Irak.
Il contient 10 chapitres, d'abord un chapitre d'introduction sur le contenu du livre et les relations
avec l'Iran, puis:
- Ch.
2. "Cette terre est à nous"; les raisons historiques de la guerre;
- Ch.
3. "Oui à la guerre": les raisons politiques et idéologiques de la guerre dans le contexte
nationaliste du Ba'th;
- Ch.
4. "Sur le champ de bataille d'al-Qadisiyah": les ressources de l'Irak, militaires,
économiques, culturelles ainsi que la composition et la stratégie de l'armée;
- Ch.
5. La guerre, le pétrole et le détroit d'Ormuz": analyse des conséquences internationales
de la guerre;
- Ch.
6. L'information et les mass-média au service de l'effort de guerre;
- Ch.
7. "Devant l'histoire", réponse aux efforts iraniens pour semer la subversion en Irak
grâce à la droite religieuse réactionnaire, confessionaliste et raciste et à la gauche déviée;
- Ch.
8. "Pour connaître votre ennemi", recueil de citations de responsables iraniens;
- Ch.
9. Des documents historiques;
- Ch. 10."Messages d'amour irakiens", lettres de soldats et de leurs familles.
Les racines de la guerre se trouvent dans la lutte historique entre l'Irak et l'Iran allié au sionisme
et désireux de saisir l'Arabisme. Elles plongent encore plus profondément dans l'histoire
religieuse des luttes entre musulmans de Khorasan et d'Irak. Dans les traités de 1913, 1937 et
1975, l'Irak a dû faire des concessions sous la
pression des grandes puissances, mais jamais le tracé des frontières n'a été décidé, tout accord
étant empêché par l'impérialisme iranien et son animosité profonde contre les arabes.
Depuis 1975, il y a eu des provocations iraniennes, des tentatives de subversion à Bahrein, dans
les Emirats, d'assassinat en Irak. La décision de faire la guerre est un acte de légitime défense elle a fait suite à un mémorandum irakien à Téhéran dénonçant le traité de 1975 et le sommant de
se retirer des territoires occupés
, auquel l'Iran n'a pas répondu.
Les buts de guerre de l'Irak sont clairs et limités: récupérer la bande frontière, chasser les iraniens
d'Ahwaz pour y établir un état arabe qui contrôlera les richesses pétrolières de la région, briser le
contrôle iranien sur le Détroit d'Ormuz en récupérant les trois îles. C'est une guerre de libération
nationale. La position irakienne est donc nationaliste-arabe et doit être adoptée par tous les Etats
arabes.
Si la Russie est mécontente, c'est que l'Irak ne l'a pas consultée et réprime les activités du parti
communiste irakien, c'est surtout que la Russie espère que les communistes iraniens prendront le
pouvoir à la chute de Khomeini.
Quant aux quelques journalistes arabes qui se demandent à qui profite la guerre, s'ils posent cette
question c'est qu'ils ne sont pas conscients qu'un chef arabe est né "un chevalier à l'armure
éclatante, au visage rayonnant de foi nationaliste et soutenu par tout un peuple... qui a proclamé
pour la première fois dans notre histoire depuis Salah al-Din al-Ayoubi que la terre doit être
libérée non par des slogans ou des manoeuvres diplomatiques mais par la force. Ce sera la
première victoire de l'arabisme depuis 500 ans, elle rendra leur fierté aux Arabes. Elle profitera à
la génération de l'arabisme, autrefois écrasée et maintenant assise sur l'aigle irakienne... Sa
ns cette terre (de l'Arabistan) nous nous perdons et quel profit pour l'homme de gagner l'univers
s'il se perd lui-même?".
II. Compte-rendu de A. Bennigsen, L'Islam en Union Soviétique, 1968, et Muslim National
Communism in the Soviet Union, 1979 (J. AUCAGNE)
Comparé à l'Empire éclaté d'Hellène Carrère d'Encausse, dont la pensée est plus claire et
synthétique parce que synchronique à la façon d'un géographe mais dont aussi la synthèse est
parfois hasardeuse et en tout cas peu éclairante sur la réaction des musulmans russes face à la
question afghane - les ouvrages de Bennigsen offrent plus de profondeur historique, sont donc
plus touffus et difficiles à lire mais aussi plus suggestifs.
L'histoire de l'Islam russe avant 1917 fait apparaître un monde musulman très complexe et
ambigu. Les implantations musulmanes sont diverses et donnent lieu déjà à tensions entre
musulmans turcs et mongols. La conquête des territoires musulmans à partir du XVIe s. a des
aspects de reconquista espagnole arrêtée à mi-chemin, avec une véritable mission de conversions,
au début, chez les Tartares en particulier, relayée en XIXe par une action éducative profonde,
ceci a marqué différemment les groupes ou les régions et engendré les attitudes différentes vis-àvis du Russe - depuis la haine pour le colonisateur jusqu'à la reconnaissance pour ceux qui les ont
arrachés à la "barbarie asiate". Dans les régions les plus évoluées et anciennement russifiées
apparaissent avant la révolution de 17 des partis nombreux, marxiste notamment, et aussi du
point de vue religieux un courant islamique moderniste et un courant réformiste; les modernistes
étant alliés aux démocrates-libéraux, par opposition les réformistes intégristes pencheront plutôt
du côté des bolcheviks.
Au début de la révolution, les régions islamiques sont donc révolutionnaires et c'est le mépris des
bolcheviks pour les musulmans qui ne sont pas des prolétaires ainsi que le comportement de
l'Armée rouge qui les rejetteront du côté des Blancs; à un moment toutes les régions musulmanes
sont perdues. A leur reconquête, ce sera l'oeuvre de Sultan Galiev de tenter de leur trouver une
place dans le monde communiste. C'est ici qu'apparaissent à la fois les contradictions du
communisme face à l'Islam et de l'Islam face au communisme.
Dans le communisme internationaliste prolétarien où les nations sont abolies et le prolétariat fait
la révolution, il faut introduire un nationalisme communiste musulman où les nations prolétaires
font la révolution contre l'impérialisme colonisateur antérieur des Russes (Sultan Galiev) - et
donc reconnaître le droit des nations à leur libération si elle est utile à la cause internationale du
communisme. Le communisme se montrera donc à la fois libertaire en reconnaissant des
républiques ou territoires musulmans autonomes - mais il divise pour mieux régner, et reste
contraignant car il faut sauvegarder l'unité du pays de la révolution.
Face au communisme l'Islam revendique une autonomie de type national: mais s'agit-il de nations
musulmanes différentes se distinguant entre elles par leurs langues et leurs cultures, formant des
territoires autonomes dont les citoyens sont semblables aux citoyens des autres républiques
soviétiques? ou au contraire cette nation musulmanese distingue-t-elle essentiellement de la
culture russe par sa culture musulmane et doit-elle tendre à un territoire uni avec unification des
dialectes (comme cela avait déjà été tenté pour les dialectes turcs)?
Cette double contradiction permet toutes les variations. Mais si, avant la révolution, les
attachements étaient d'abord à l'islam, puis au clan tribal étroit et enfin à la plus grande ethnie,
maintenant le sens national est premier et garantit l'Islam, puis vient la fidélité aux outumes de la
tribu ou du clan. Le ressentiment anti-russe profond a joué en faveur du national-communisme.
Les nations prolétariennes sont du côté du communisme. Par ailleurs, le sentiment anti-chinois
est encore plus fort que le sentiment anti-russe: le chinois est pire que le Russe et encore plus que
lui Kafir et colonialiste. La convivence avec les Russes est bien établie, et, dans les momen
ts de crise, l'alliance du national-communisme des régions musulmanes avec le bolchevisme
russe est inévitable.
III. Etudes Arabes-Chrétiennes: Réalisation et Projets
(K. SAMIR)
1) Le Bulletin d'Arabe-Chrétien, publié et diffusé à 4 ou 500 copies par l'Institut Oriental de
l'Univ. de Louvain, est parvenu au vol. 4 fasc. 1, 1980. Il comporte une bibliographie très précise
de ce qui paraît et des informations sur les travaux en cours (thèses etc...).
2) Mise sur pied de la collection al-Turath al-'Arabi al-Masihi avec Edelbi comme éditeur et
l'Institut Pontifical Oriental de Rome comme responsable scientifique, dont les 3 premiers
volumes sont prêts à l'imprimerie des Paulistes de Harissa. Elle comprendra des textes édités
critiquement, des introductions copieuses en arabe quand un auteur y est présenté pour la
première fois (le premier volume a 200 p. d'introduction sur Yahya Ibn 'Adi) et par la suite 30 ou
40 pages pour présenter l'oeuvre, avec une bibliographie aussi exhaustive que possible, et une
introduction française ou anglaise de 30 à 50 p. En projet assez sérieux une dizaine de volumes,
hormis Yahya Ibn 'Adi: Bulus al-Bushi, Théodore Abu Qurra, Sulayman Ibn Hasan al-Ghazi, Elie
de Nisibe, 'Abdallah Ibn Tayyib, une quarantaine de petits traités de Yahya Ibn 'Adi qui peuvent
faire 3 ou 4 volumes et Safi Ibn 'Assal. Le premier volume devrait paraître dans un mois...
3) Premier Congrès international d'arabe-chrétien. Il a groupé en septembre 80 pendant 48 h.,
près de Gottingen, 44 participants dont 22 orientaux, avec présentation d'une vingtaine de
contributions. Principalement, on s'est mis d'accord sur une méthode d'édition de textes (en
réaction contre le préjugé actuel qui consiste à rep
roduire toutes les fautes du copiste, même dans un manuscrit récent du XVIIIe, comme si c'était
l'arabe des chrétiens) et sur le partage des tâches en ce qui concerne une refonte en français de
Graf, Geschichte der Christlichen Arabischen Literatur, dont il faudrait, pour le compléter, tripler
le volume. Accord réalisé pour une première tranche, allant des Abbassides à 1450 et laissant de
côté les auteurs melkites dont s'occupe déjà Mgr. Nasrallah, et sur la constitution de groupes
s'occupant respectivement des nestoriens, des maronites, des jacobites et des coptes. On omettra
les auteurs qui ne sont que des traducteurs, mais on intègrera toute la littérature arabe des chr
étiens (poésie, philosophie, science etc..) et non la seule littérature religieuse. Le prochain
congrès international d'arabe-chrétien, en 1984, sera centré sur ce projet précis dont on devrait
alors présenter le premier jet. Enfin Emilio Platti, dominicain, prend en main le projet de
bibliographie d'arabe-chrétien entre 1940 (date à laquelle Graf devient plus lacunaire) et 1980: il
a 19 collaborateurs qui dépouillent environ 200 revues et les fichent sur le plan même de Graf.
4) Projet en cours de réalisation à l'Institut Pontifical Oriental: Centre de Documentation des
Etudes Arabes-Chrétiennes. Le premier cas consiste à compléter la bibliothèque de l'Institut,
principalement en revues, puis à se procurer les livres arabes qui paraissent. Un bibliothécaire
spécialisé va s'en occuper. Parallèlement,
on veut constituer un fonds de microfilms de manuscrits arabes-chrétiens, environ 10.000, par
fonds entiers: Paris où il en a 1.000, la Vaticane, etc... Un microfilm coûte environ 50 ou 60
dollars et, pour ce projet, un financement de 75.000 dollars réparti sur 3 ans, et renouvelable, a
déjà été obtenu. Ces microfilms seront accessibles, et reproduits, à la demande de chercheurs
privés. - Parallèlement une société italienne s'intéresse à un projet de micro-fiches d'arabechrétiens.
5) Promotion des Etudes d'Arabe-Chrétien dans le Monde Arabe. C'est une question de
sensibilisation d'abord. K. Samir a fait depuis 2 ans des tournées de conférences en Terre-Sainte,
en Syrie, en Egypte, en Tunisie et maintenant au Liban. Il n'y a pas de difficulté ni de rejet quand
on comprend ce qu'est l'arabe-chrétien, participant d'une culture qui n'est le fait ni d'une race ni
d'une religion mais d'une histoire et d'un destin commun, le chrétien arabe ayant participé à la
constitution d cette culture, ayant à s'y réorienter et donc ne pouvant se désolidariser du monde
musulman. - C'est ensuite une question de diffusion de publications au niveau élevé: la collection
Turath devrait y contribuer, ainsi que le projet de traduction de Graf en arabe (la section des
auteurs coptes est déjà traduite et l'église copte-orthodoxe devrait s'occuper de l'édition), il
faudrait aussi lancer une revue arabe spécialisée pour laquelle il existe des ouvertures. - Il
faudrait enfin former des chercheurs orientaux pour lancer des équipes locales: c'est possible à
Rome au niveau occidental de recherche, mais il faut également le faire en chaque région avec les
moyens du bord sans forcément viser le statut orientaliste international. - Cette promotion tend à
conscientiser les chrétiens arabes sur leur culture, mais aidera également les musulmans cultivés
à reconnaître leur présence et leur apport.
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