Conférence de Nayarit sur l`impact humanitaire des armes

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Conférence de Nayarit sur l`impact humanitaire des armes
NOTE D’ANALYSE
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CONFÉRENCE DE NAYARIT SUR L’IMPACT
HUMANITAIRE DES ARMES NUCLÉAIRES
« Un point de non-retour ! »
Par Jean-Marie Collin
5 mai 2014
Le Groupe de recherche et d’information
sur la paix et la sécurité (GRIP) est un
centre de recherche indépendant fondé à
Bruxelles en 1979.
Composé de vingt membres permanents
et d’un vaste réseau de chercheurs
associés, en Belgique et à l’étranger, le
GRIP dispose d’une expertise reconnue sur
les questions d’armement et de
désarmement (production, législation,
contrôle des transferts, non-prolifération),
la prévention et la gestion des conflits (en
particulier sur le continent africain),
l’intégration européenne en matière de
défense et de sécurité, et les enjeux
stratégiques asiatiques.
En tant qu’éditeur, ses nombreuses
publications renforcent cette démarche de
diffusion de l’information. En 1990, le GRIP
a été désigné « Messager de la Paix » par le
Secrétaire général de l’ONU, Javier Pérez
de Cuéllar, en reconnaissance de « Sa
contribution précieuse à l’action menée en
faveur de la paix ».
Le GRIP bénéficie du soutien
du Service de l'Éducation
permanente de la Fédération
Wallonie-Bruxelles.
NOTE D’ANALYSE – 5 mai 2014
COLLIN Jean-Marie. Conférence de
Nayarit sur l’impact humanitaire des
armes nucléaires. «Un point de nonretour !». Note d’Analyse du GRIP, 5 mai
2014, Bruxelles.
http://www.grip.org/fr/node/1283
Résumé
Un second round de conférence sur l’impact humanitaire des armes
nucléaires s’est déroulé au Mexique, à Nayarit, les 13 et 14 février. Loin
d’être une répétition de la conférence d’Oslo de mars 2013, ce forum a
permis aux 146 États et à la société civile présents d’approfondir les
réflexions scientifiques, humanitaires et politiques face au désastre d’une
catastrophe nucléaire. Entre la volonté d’avancer vite dans un processus
de désarmement nucléaire ou une continuité avec le TNP, les postures de
chacun des États se dessinent et se révéleront certainement à Vienne, en
Autriche, lors d’un troisième round en fin d’année 2014.
________________________
Abstract
Second conference on the humanitarian impact
of nuclear weapons: "A point of no return!"
A second round of conference on the humanitarian impact of nuclear
weapons was held in Mexico, Nayarit February 13 and 14. Far from being
a repetition of the Oslo conference (March 2013), this forum has allowed
146 states and civil society to explore further scientific humanitarian and
political reflections facing a nuclear disaster. Between willingness to move
quickly in the process of nuclear disarmament or continuity with the NPT,
the postures of each state are emerging and will certainly reveal
themselves at Vienna’s (Austria) third round at the end of 2014.
Introduction
Une année après la Conférence d’Oslo, une seconde conférence sur « l’impact
humanitaire des armes nucléaires » s’est tenue au Mexique les 13 et 14 février 2014. Loin
d’être une simple répétition d’Oslo, Nayarit a fait avancer les réflexions et la volonté des
États non dotés de l’arme nucléaire (ENDAN) de « se libérer de la menace nucléaire »1,
bien conscient qu’une détonation d’une arme atomique au-delà de leurs frontières aurait
un impact humanitaire dévastateur mondial. Très clairement, ces États ont décidé de se
saisir pleinement du processus du désarmement nucléaire, et non plus de le laisser
uniquement dans les mains des États dotés d’armes nucléaires (EDAN). Observant de loin
ces initiatives du fait de leur non-présence, les critiquant vivement comme étant de
possibles freins voire une « distraction » au processus global que recouvre le Traité de
non-prolifération nucléaire, les EDAN semblent tout de même dans une position que l’on
peut qualifier de plus en plus d’équilibriste. Un numéro qui risque bien, s’ils ne respectent
pas la feuille de route qu’ils se sont fixée avec le Document final du TNP de 2010 – encore
soutenue par une large majorité d’États – de les faire chuter, au profit d’une nouvelle
feuille de route qui se profile au vu des discussions de Nayarit.
1.
D’Oslo à Nayarit
La dimension humanitaire du désarmement nucléaire, n’est évidemment pas née à Oslo
en mars 2013. Le plan d’action du Document final du Traité de non-prolifération nucléaire
(TNP) de 20102 a donné « le top départ » d’une véritable réflexion, pour en faire un
argument de poids dans l’urgence de parvenir à l’élimination des armes nucléaires.
En 2012, à Vienne, le premier Comité préparatoire (PrepCom) de la neuvième Conférence
d’examen (2015) du TNP, a permis à la Suisse – avec le soutien de 15 États3 – de réaliser
une première déclaration4, qui fut suivie d’une seconde5 lors de la 67e session de
l'Assemblée générale des Nations unies (AGNU), soutenue cette fois par 35 États, sur
exactement le même thème : « La dimension humanitaire du désarmement nucléaire ».
1. Juan Manuel Gómez Robledo, « La amenaza que no cesa ».
2. Section I – Désarmement nucléaire (paragraphe v) : « La Conférence se dit vivement préoccupée
par les conséquences catastrophiques sur le plan humanitaire qu’aurait l’emploi d’armes
nucléaires et réaffirme la nécessité pour tous les États de respecter en tout temps le droit
international applicable, y compris le droit international humanitaire. »
3. Le groupe des « 16 » : Suisse, Autriche, Chili, Costa Rica, Danemark, Saint-Siège, Égypte,
Indonésie, Irlande, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Nigeria, Norvège, Philippines, Afrique
du Sud.
4. First Session of the Preparatory Committee for the 2015 Review Conference of the Parties to the
Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons, Joint Statement on the humanitarian
dimension of nuclear disarmament by Austria, Chile, Costa Rica, Denmark, Holy See, Egypt,
Indonesia, Ireland, Malaysia, Mexico, New Zealand, Nigeria, Norway, Philippines, South Africa,
Switzerland.
5. 67th session of the United Nations General Assembly First Committee Joint Statement on the
humanitarian dimension of nuclear disarmament, New York, 22 octobre 2012.
―2―
L’année 2013, marquée par la conférence d’Oslo (3-4 mars), ne fut que la première d’un
véritable marathon en terme de débats et de travaux sur cet argumentaire, à travers les
cénacles onusiens comme dans les parlements nationaux et les organisations
d’assemblées parlementaires :

Mai : seconde PrepCom, déclaration de l’Afrique du Sud « L’impact humanitaire
des armes nucléaires »6, soutenue par 80 États.

Juin – août, le Groupe de travail à composition non limitée chargé d’élaborer des
propositions visant à faire avancer les négociations multilatérales sur le
désarmement nucléaire7 (ou OEWG pour Open-ended Working Group) a, au cours
de ses 3 sessions, comme le montre son rapport final8, placé la question « des
conséquences humanitaires catastrophiques » comme un de ces principaux sujets
de travail.

7-9 octobre, 129e session de l’Union interparlementaire, débat sur le projet de
résolution : « La contribution des parlements à la mise en place d’un monde
exempt d’armes nucléaires »9 (votée le 20 mars 2014).

21 octobre, 68e session de l’AGNU, déclaration de la Nouvelle-Zélande sur « Les
conséquences humanitaires des armes nucléaires », soutenue par 125 États.

21 octobre, 68e session de l’AGNU, déclaration de l’Australie « Les conséquences
humanitaires des armes nucléaires », soutenue par 16 États.

2013-2014 : De très nombreux parlementaires à travers le monde ont fait
également naître cette réflexion au sein de leur parlements nationaux (Suisse,
Norvège, Écosse, Costa-Rica, France …) à travers des questions écrites ou des
conférences10.
À cela doivent s’ajouter les deux résolutions prises par le CICR en 201111 et 201312, comme
les nombreuses conférences de la société civile13.
6. Second Session of the Preparatory Committee for the 2015 Review Conference of the Parties to
the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons, Joint Statement on the humanitarian
impact of nuclear weapons, Genève, 24 avril 2013.
7. Faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire. 68e session de
l’Assemblée générale des Nations unies. Doc A/C.1/68/L.34.
8. Report of the Open-ended Working Group to develop proposals to take forward multilateral
nuclear disarmament negotiations for the achievement and maintenance of a world without
nuclear weapons . Assemblée générale des Nations unies, 2013.
9. Union interparlementaire, Pour un monde exempt d’armes nucléaires : la contribution des
parlements, Résolution adoptée par consensus par la 130e Assemblée, Genève, 20 mars 2014.
10. Colloque, « Impact humanitaire des armes nucléaires », Palais du Luxembourg, 20 janvier 2014.
Blog Géopolitique et défense, Alternatives Internationales.
11. Résolution du CICR, « Vers l’élimination des armes nucléaires », 26 novembre 2011.
12. Résolution du CICR, « Vers l’élimination des armes nucléaires : Plan d’action quadriennal », 17
novembre 2013.
13. Relevons en particulier la conférence « Berlin Sessions on Humanitarian Disarmament », 23 et
24 janvier 2014, organisée par ICAN Allemagne.
―3―
2.
Nayarit : une répétition d’Oslo ?
Oslo a clairement posé les bases du sujet de « l’Impact humanitaire des armes nucléaires »
dans le débat international, comme nécessité de parvenir au désarmement nucléaire.
Le boycott du P5 laissa libre cours aux réflexions et interrogations des 128 États présents,
imposant et renforçant de fait cette conférence comme un nouveau « Forum du
désarmement »14. La société civile, (regroupée au sein de la campagne ICAN - Campagne
internationale pour l’abolition des armes nucléaires) elle, s’affirma comme un partenaire
fiable et obligatoire pour de nombreux États.
Le Mexique prit la décision d’organiser cette seconde conférence, lors des dernières
heures de la conférence d’Oslo, preuve à la fois de l’incertitude qui régnait quant à une
possible suite à ce premier round et concernant la volonté de certains États de poursuivre
cette voie de dialogue.
Évidemment à Nayarit ont à nouveau été présentées des études sur les conséquences
mondiales sur les plans sanitaires, environnementaux et économiques de toute explosion
nucléaire, que celle-ci soit accidentelle, délibérée, due à un dysfonctionnement ou à un
acte terroriste. Si des scénarios ont été exposés sur la base de cas concrets (explosion
d’une arme de 50 mégatonnes sur Mexico, d’un engin de 16 kilotonnes sur une ville
moderne), Nayarit a apporté des informations et des questionnements supplémentaires
sur la question du déplacement de populations15 et sur le risque accidentel. Ce sujet trop
souvent éludé par les puissances disposant d’armes nucléaires, fut largement mis en
avant étant donné les multiples accidents16 qui ont émaillé l’histoire nucléaire militaire et
les nouveaux risques liés à l’intrusion dans les systèmes informatiques de « Command and
Control ».
Bien entendu, à Nayarit, les conclusions d’Oslo ont été répétées par la ministre des
Affaires étrangères de Norvège, Mme Sten Arne Rosnes, et ont été largement admises et
applaudies :

Il est peu probable qu’un État ou une organisation internationale, quelle qu’elle
soit, puisse répondre à l'urgence humanitaire immédiate provoquée par la
détonation d'une arme nucléaire. En outre, il ne serait pas possible de prévoir de
telles capacités, même si la volonté existait.

L'expérience historique de l'utilisation et du contrôle des armes nucléaires a
montré leurs effets dévastateurs immédiats et sur le long terme. Malgré les
changements politiques internationaux, le potentiel destructeur des armes
nucléaires reste.
14. Jean-Marie Collin, « Conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires : un nouveau
Forum du désarmement », Note d’Analyse du GRIP, 25 avril 2013, Bruxelles.
15. Sujet soulevant de nombreuses interrogations de la part des États africains, supposant qu’une
catastrophe nucléaire se déroulerait dans l’hémisphère nord et engendrerait une arrivée
massive de population vers leur États.
16. Voir l’intervention de Patricia Lewis et Heather Williams, « Too Close for Comfort: Cases of Near
Nuclear Use and Policies for Today », Chatham House.
―4―

Les effets de la détonation d'une arme nucléaire, quelle qu’en soit la cause, ne se
limiteront par aux frontières nationales et auront une incidence à l'échelle
régionale et mondiale.
Enfin, tout comme Oslo était porteur de nombreux symboles (ville du Prix Nobel, de la
signature de la Convention sur l’interdiction des armes à sous-munitions…), le poids
symbolique était aussi présent à Nayarit. Les 13 et 14 février ne sont pas des dates qui ont
été choisies au hasard par les autorités mexicaines. Au contraire, elles correspondent à
l’anniversaire de la signature le 14 février 1967 à Tlatelolco (au Mexique) de la toute
première zone exempte d’armes nucléaires dans une zone peuplée17 : la Zone d’Amérique
latine et des Caraïbes. C’est donc bien par le biais du symbole, que le Mexique a abordé
cette seconde conférence. Les premières interventions s’inscrivent dans cette ligne de
pensée, car elles furent consacrées exclusivement aux témoignages des Hibakusha : ces
survivants des bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki. L’objectif était de
montrer non seulement les conséquences sur les personnes (sanitaires, sociales,
psychiques) qui ont vécu cette journée, mais aussi les effets sur la santé pour les
générations futures. La volonté était bien de replacer l’humain et les conséquences de
l’arme atomique au centre des préoccupations des États, pour que les diplomates
présents restent au cœur de la problématique des conséquences humanitaires de l’impact
d’une arme nucléaire.
3.
Nayarit : « un point de non-retour »
Il pourrait ainsi apparaître que Nayarit ne fut qu’une vaste répétition d’Oslo. Or, cette
conférence se distingue clairement et fortement par quatre points :
3.1
La participation
Cette conférence a bénéficié de la présence de 146 États18, soit 18 de plus qu’à Oslo (128).
Il faut noter cependant que si certains États se sont rajoutés à cette conférence19, d’autres
ayant participé à Oslo20 n’étaient pas présent à Nayarit. Malgré cela, la participation est
donc en hausse, ce qui montre la volonté des États présents à Oslo de poursuivre leur
action et le souhait de nombreux autres à prendre part à cette conférence. Il faut relever
la présence de certains États ou groupes d’États :

L’OTAN : 20 des 28 membres de cette Alliance militaire nucléaire, dont des États
très otaniens comme l’Espagne, l’Estonie, la Pologne, la Roumanie ;
17. Le Traité de l’Antarctique, qui interdit le déploiement d'armes de toutes sortes, y compris
nucléaires, crée une première ZEAN en 1959 mais dans une zone non peuplée.
18. Ray Acheson, Beatrice Fihn, Katherine Harrison, Report from the Nayarit Conference.
19. Antigua-et-Barbuda, Bahamas, Bénin, Bolivie, Botswana, Bulgarie, Cap-Vert, Comores,
République du Congo, Djibouti, Guinée équatoriale, Grenada, Guinée, Guyana, Haïti, Kenya,
Kiribati, Liban, Lesotho, Malawi, Maldives, Îles Marshall, Namibie, Niger, Palau, Panama,
Papouasie-Nouvelle-Guinée, Rwanda, Saint Kitts-et-Nevis, Saint Vincent-et-les-Grenadines,
Samoa, Seychelles, Somalie, État de la Palestine, Tonga, Uruguay.
20. Bahreïn, Brunei, les îles Cook, Érythrée, Lituanie, Lettonie, Islande, Gambie, Tunisie, Swaziland,
Soudan, Serbie, Sierra Leone, Portugal, Yémen, Vanuatu.
―5―

Les 5 États stationnant dans le cadre de l’OTAN des armes nucléaires sur leur
territoire : Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Italie, Turquie ;

Le groupe des 16, c’est-à-dire les 16 premiers États qui ont signé et soutenu la
première résolution déposée à l’AGNU en 2012 par la Suisse ;

Les puissances nucléaires indienne et pakistanaise. Cette conférence leur donne
une nouvelle aire de discussions et si le P5 participe à une future conférence, cela
leur donnera un sentiment d’égalité, effaçant la notion de puissance nucléaire
officielle et non officielle.
Si, comme à Oslo, des organisations
internationales
furent représentées,
la
participation de l’institution onusienne (avec
Angela Kane, Haute Représentante pour le
désarmement, numéro deux de l’ONU) et de ses
différents fonds et programmes (PNUD, FAO,
OMS…)
démontrent
une
volonté
d’accompagnement de ce processus. Le Comité
international de la Croix‐Rouge et le
Mouvement de la Croix‐Rouge et du Croissant‐
Rouge
représentant
les
organisations
internationales et la société civile était
également présente, regroupée pour la plupart
Le président de la conférence de Nayarit, Juan Manuel Gómez Robledo,
sous la bannière d’ICAN. Notons aussi la
vice-ministre mexicain des Affaires multilatérales et des Droits de l'homme.
présence de nouvelles organisations de la
(source : ministère de Affaires étrangères du Mexique)
société civile comme Global Zero, ce qui
démontre une volonté de leur part de suivre et d’incorporer cette thématique au sein de
leur propre campagne.
3.2
Le retour du Traité de non-prolifération nucléaire
Le TNP, « pierre angulaire » des traités de contrôle et de limitation des armements a été
au centre de nombreuses préoccupations et remarques des États. Nayarit signe donc le
retour en grâce de ce processus humanitaire au sein de la sphère onusienne. D’ailleurs,
ce souhait de voir le TNP rester la principale instance pour le désarmement a été souligné
et plaidé par un des principaux États, l’Autriche, qui porte cette dynamique de la
dimension humanitaire du désarmement nucléaire. Avant même que la conférence ne
débute, son ministre des Affaires étrangères Sebastian Kurz a annoncé l’organisation
d’une troisième conférence avant la fin de l’année 2014 tout en affirmant l’importance
du TNP : « Le désarmement nucléaire est une tâche globale et une responsabilité collective.
Comme État membre engagé dans le Traité de non-prolifération nucléaire, l'Autriche veut
réaliser sa part pour atteindre les objectifs de ce traité. Je vous invite à une conférence de
suivi international sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires qui se tiendra
à Vienne plus tard au cours de cette année »21.
21. Kurz: « Paradigm Shift in Nuclear Disarmament is overdue ». Vienne, 13 février 2014.
―6―
Un point souligné et renforcé par la déclaration de l’Ambassadeur A. Kmentt22 présent à
Nayarit : « Nous devons faire ce discours et montrer les argumentaires humanitaires avec
encore plus d'attention dans les cadres internationaux, tels que le TNP et l'ONU. »
Cette mise en avant du TNP vient répondre à la crainte de nombreux États23 (dont la
Suisse, le Mexique, la Nouvelle-Zélande et l’Irlande) de voir naître une véritable scission
et un éclatement du TNP. Cela peut être appréhendé comme une victoire pour les États
qui souhaitent se concentrer uniquement sur le plan d’action défini dans le Document
final du TNP de 2010, tout en ayant bien conscience du danger de l’arme nucléaire.
Mais on peut aussi l’interpréter comme un désir fort de voir le sujet de l’« l’impact
humanitaire des armes nucléaires » placé au cœur de la prochaine RevCom 2015 et
comme une ultime chance donnée par ces États (cf. ceux cités auparavant) aux EDAN et à
leurs partisans…
En effet, alors que la Dixième Conférence d’examen (RevCom2015) du TNP se prépare, les
EDAN vont donner un avant-goût de la réalité de leur action sur le pilier désarmement
nucléaire, celui qui mobilise les « passions ». La troisième PrepCom doit être le lieu où
selon l’action 5 du Document final de 2010, « les États dotés d’armes nucléaires
s’engagent à accélérer les progrès concrets sur les mesures tendant au désarmement
nucléaire et à faire rapport en 2014 au Comité préparatoire sur ces mesures. » Les mesures
que les EDAN peuvent présenter sont à la fois techniques, politiques et doctrinales. Si les
rapports présentés viennent pleinement répondre à cette mesure, alors le TNP et a priori
la RevCom 2015 démontreront encore toute leur importance. Dans le cas contraire et
comme certaines actions n’ont d’ores et déjà pas été respectées (conférence en 2012 qui
devait réunir tous les États du Moyen-Orient, en vue de la création dans cette région24 d’une
zone exempte d’armes nucléaires et de toutes autres armes de destruction massive) ou ont
peu de chance d’être réalisées d’ici 2015, alors cet instrument apparaîtra bien comme un
socle ayant fait son temps. Les EDAN ont donc le destin du TNP entre leurs mains.
3.3
La faille des puissances nucléaires officielles
L’absence des membres du P5 (États-Unis, Russie, France, Royaume-Uni et Chine) était
prévisible et sans doute une nouvelle fois souhaitée par une majorité d’États, leur nonprésence permettant une plus grande liberté de parole. Pour autant, cela ne doit pas être
analysé de la même façon que lors de la conférence d’Oslo.
Pour Oslo, selon Rose Gottemoeller, Sous-Secrétaire d'État à la maîtrise des armements
et à la sécurité internationale des États-Unis, la décision de ne pas y participer fut prise
« en étroite consultation avec le reste du P5 ». Une concertation et une décision
confirmées par la publication d’une déclaration commune25 quelques jours avant Oslo ;
22. Delegation of Austria Statement by Ambassador Alexander Kmentt.
23. Heather Williams, « Humanitarian Impacts of Nuclear Weapons : Where is this Going? »,
25 mars 2014.
24. Bérangère Rouppert, « La Conférence sur une zone exempte d’armes de destruction massive
et leurs vecteurs au Moyen-Orient », Les rapports du GRIP, 4 novembre 2013.
25. Déclaration du « P5 » concernant la Conférence d'Oslo sur l’impact humanitaire des armes
nucléaires.
―7―
ou encore récemment en 2014 par le ministre français des Affaires étrangères : « Le
gouvernement français, en concertation avec les autres États dotés, avait pris la décision
de ne pas envoyer de représentant à la conférence d'Oslo en mars dernier. »26
Or, il apparaît que la concertation a été bien différente pour Nayarit, induisant un début
de division au sein du P5 sur ce sujet et sur l’importance à lui donner, comme le prouve
l’absence de déclaration commune. Une rupture semble s’être créée à la fois au sein du
P3 (États-Unis, Royaume-Uni et France), puis avec la Russie et la Chine :

La Russie et la France sont apparues comme les deux États les plus réfractaires à
Nayarit. La déclaration de l’Ambassadeur russe Alexey Borodavkin fut ainsi très
claire : « For instance, for Russia the catastrophic character and unacceptability
of any use of nuclear weapons is self-evident and requires no further discussions.
It is important, though, that we should not be distracted by the discussions of
humanitarian consequences from the primary goal of creating due conditions for
further nuclear reductions »27. Quant à la décision française, celle-ci fut sousentendue par Simon-Michel28, son Ambassadeur permanent à la Conférence du
désarmement, lors de son intervention au Sénat le 20 janvier et soulignée le 21
janvier à la Conférence de désarmement : « Sur le volet du désarmement
nucléaire, l'essentiel pour nous est d'agir de manière concrète et progressive, sans
nous disperser à travers la poursuite d'objectifs sans doute estimables mais
irréalistes. »29

Le manque d’information sur la Chine ne permet pas d’affirmer une stricte
opposition ou un intérêt nouveau vis-à-vis de Nayarit.

Le Royaume-Uni (comme c’était déjà le cas pour Oslo) a conservé l’option de se
rendre à Nayarit jusqu’au dernier moment, mais s’est finalement rallié à la
position du P3, malgré de fortes recommandations provenant du Parti libéral
démocrate. Londres signifia le 11 février sa position officielle à l’occasion du
discours de son Ambassadeur permanent à la Conférence du désarmement,
Matthew Rowland : « The UK will not attend the conference on the humanitarian
consequences of the use of nuclear weapons in Mexico later this week. I am doing
so in the interests of transparency and in keeping with our practice of being as
transparent as we can with colleagues. »30

Les États-Unis pour différentes raisons (proximité géographique, publication du
Pentagone31, …) auraient été moins défavorables à une participation ; mais se
seraient rattachés à la position russe assurant une stabilité du P5.
26. Question écrite n° 10352 de Mme Michelle Demessine : « Participation de la France à la seconde
conférence internationale sur l'impact humanitaire des armes nucléaires », 13 février 2014.
27. Plenary meeting conference on disarmament.
28. « L’impact humanitaire des armes nucléaires », intervention de M. Simon-Michel.
29. Ouverture de la session 2014 de la Conférence du désarmement.
30. Statement by Ambassador Matthew Rowland UK Permanent Representative to the
Conference on Disarmament, Genève, 11 février 2014.
31. Jean-Marie Collin, « Le Pentagone, le droit international humanitaire et les armes nucléaires »,
Blog Défense et géopolitique, Alternatives Internationales.
―8―
Enfin, il faut remarquer une posture intéressante et troublante au sein des principaux
think tanks du P3, ces conseillers non officiels. Regroupés au sein du prestigieux CSIS, une
analyse prône aux diplomaties du P3 de ne pas boycotter Nayarit, mais de s’y rendre pour
valoriser le concept de dissuasion nucléaire, montrer comment elle a contribué à la paix
et démontrer qu’elle est le premier mécanisme de non-prolifération : « Attending the
Mexico conference would enable the P5 to offer an alternative strategic narrative,
countering the nuclear delegitimization campaign by asserting positively the contributions
of nuclear deterrence to international security and stability »32. Cette recommandation ne
fut évidemment pas suivie des faits par le P3, préférant purement et simplement ne pas
être présent.
D’un autre côté, il aurait été comique33 de voir comment des diplomates français,
britanniques et américains expliquent que ce sujet du désarmement humanitaire « n’a
que peu d’intérêt… » devant une telle assemblée !
3.4
La question d’un nouvel instrument juridique ?
L’objectif affirmé par le Mexique dans la préparation de cette conférence était
uniquement de discuter des conséquences mondiales et à long terme de toute explosion
nucléaire, accidentelle ou délibérée. Il ne fut absolument jamais question de lancer des
négociations sur une Convention, un Traité d’interdiction ou d’élimination des armes
nucléaires.
Pourtant, il est apparu assez lisiblement une volonté de la part de nombreux États d’aller
plus en avant dans la mise en œuvre d’un monde sans armes nucléaires :

Une vingtaine d’États34 ont ainsi appelé explicitement à la mise en place d’un
processus d’interdiction des armes nucléaires.

Dans ses conclusions, le Mouvement des non-alignés a appelé à « commencer
d'urgence les négociations, dans la Conférence du désarmement, pour la
conclusion rapide d'une convention globale sur les armes nucléaires pour en
interdire la possession, le développement, la production, l'acquisition, le contrôle,
le stockage, le transfert et l'utilisation ou la menace d'utilisation, et pour en
assurer leur destruction »35.

Le Saint-Siège a notamment dénoncé la doctrine de la dissuasion nucléaire
comme principal obstacle au désarmement nucléaire et a appelé à travailler sur
un accord global menant à l’élimination des armes nucléaires.
32. CSIS, « European Trilateral Nuclear Dialogue 2013 Consensus Statement », 24 janvier 2014.
33. Jean-Marie Collin, J-02 Conférence de Mexico – Et la France ? Blog Défense et géopolitique,
Alternatives Internationales.
34. Cuba, Chili, Costa Rica, Jordanie, Malaisie, Mexique, Maroc, Mongolie, Tanzanie, Malawi,
Palestine, Slovaquie, Kiribati, Îles Marshall, Tuvalu, Tonga, Samoa, Papouasie-Nouvelle-Guinée,
Saint-Siège, Iran, Nigeria, Zambie.
35. Statement of the Non-Aligned Movement on the occasion of the Second Conference on the
Humanitarian Impact of Nuclear Weapons.
―9―

L’Algérie a grandement remis en cause la crédibilité du TNP en raison de sa
stagnation, interrogeant ouvertement l’assemblée sur la suite pouvant être
apportée au désarmement nucléaire.
Mais, ce sont certainement les conclusions36 du président de la conférence, le viceministre mexicain des Affaires multilatérales et des Droits de l'homme, l'Ambassadeur
Juan Manuel Gómez Robledo, qui ont le plus fait preuve d’audace : « Les discussions larges
et complètes sur l'impact humanitaire des armes nucléaires devraient conduire à
l'engagement des États et de la société civile pour atteindre de nouvelles normes
internationales, par le biais d'un instrument juridiquement contraignant ». Il lance donc
un appel aux gouvernements et à la société civile à travailler à l’élaboration d’un futur
traité.
Si des applaudissements ont suivi cet appel, ces propos doivent être relativisés, car il ne
reflète que le point de vue « de la présidence », a-t-il précisé, tout en soulignant
immédiatement « la Conférence de Nayarit a montré que le temps est venu de lancer un
processus diplomatique favorable à cet objectif »…
Cet engouement apparent ne doit pas objecter le fait que parmi les États présents,
nombreux sont ceux qui ont précisé que le lancement d’une telle initiative était louable,
mais précipitée (comme l’Allemagne), rappelant par ailleurs l’importance du TNP et de sa
feuille de route (Espagne, Allemagne et Pays-Bas) comme la démarche dite du « step by
step » (Australie). Pour autant, il est évident, comme l’a conclu l'Ambassadeur Robledo :
« Nayarit is a point of no return. »
4.
Changement de paradigme
La sortie de la Guerre froide a permis une diminution des arsenaux nucléaires qui ne peut
être contestée. L’arsenal mondial passant de 61 174 en 1984 à 17 000 ogives nucléaires37
trente années plus tard. Pour autant, cette baisse quantitative doit être mesurée face aux
investissements38, à la modernisation des vecteurs et à la poursuite des recherches sur les
ogives nucléaires39 menée par l’ensemble des puissances nucléaires. La lutte contre la
prolifération nucléaire est globalement un succès en raison de la limitation du nombre
d’États disposant de ce type d’arme, de la ratification par une majorité d’États des
garanties de l’AIEA40, par l’instauration de Zones et d’États exempts d’armes nucléaires41
(hémisphère sud et nord) ou encore par l’abandon de programmes nucléaires militaires
(Irak et Libye).
36. Second Conference on the Humanitarian Impact of Nuclear Weapons, Nayarit, Mexico, 13 et
14 février 2014.
37. H. Kristensen, R. Norris, « Global nuclear weapons inventories, 1945−2013 » Bulletin of the
Atomic Scientists, septembre 2013.
38. 1 000 milliards de dollars selon les estimations de Global Zero pour leurs armes nucléaires et
leurs vecteurs au cours des dix prochaines années.
39. Paul Quilès, Jean-Marie Collin, Bernard Norlain, « Arrêtez la bombe ! », Édition Le Cherche midi, 2013.
40. Au 1er novembre 2013, 173 États ont un accord de garanties généralisées en vigueur et 121
États ont un protocole additionnel en vigueur. Système des garanties
41. Luc Mampaey, « Les Zones exemptes d'armes nucléaires (ZEAN) : État des lieux, bilan et
nouveaux enjeux », Note d’Analyse du GRIP, 30 avril 2010.
― 10 ―
Ainsi, si l’on observe le TNP, il apparaît que l’esprit et la lettre de ce texte ont été
pleinement respectés par les ENDAN et non par les EDAN, créant de fait une opposition
qui prend tout son essor dans les conférences d’Oslo et de Nayarit.
Devant le danger qu’une détonation d’arme nucléaire causerait à leur population,
environnement ou économie – même si la bombe n’explose pas au-dessus de leur
territoire – les ENDAN ont décidé de prendre leur sécurité en main et leur responsabilité
pour prévenir une telle catastrophe. C’est d’ailleurs l’argumentaire que le ministre des
Affaires étrangères autrichien S. Kurz a utilisé pour annoncer que son pays serait
l’organisateur de la prochaine conférence : « Le désarmement nucléaire est une tâche
globale et une responsabilité collective. Comme État membre engagé dans le Traité de
non-prolifération nucléaire, l'Autriche veut réaliser sa part pour atteindre les objectifs de
ce traité. »
La première preuve de ce changement de paradigme, c’est désormais l’absence de
maîtrise de l’agenda international du désarmement par le P5. Oslo et Nayarit ont été
décidés sans leur approbation ni même leur consultation. L’annonce de l’Autriche
d’organiser une troisième conférence à Vienne en fin d’année 2014, montre que ce
processus s’est imposé et se poursuit, sans compter la pression exercée sur le P5.
Par ailleurs, cette annonce a permis de concentrer les débats de Nayarit sur le fond et non
pas sur un hypothétique avenir du processus, celui-ci étant d’ores et déjà assuré.
Le second signe est l’engouement indéniable des États présents (principalement tous les
non-membres de l’OTAN, soit près de 120), qui ont compris qu’ils avaient un espace de
débat et une liberté de parole, en l’absence du P5. La conséquence de ce droit de parole,
fut par exemple la longueur des échanges lors de la session « des points de vue » (séance
interminable de 4 h, prévue initialement pour une durée de 2h), où chaque État voulait
véritablement aller au bout de sa réflexion, quitte à ce qu’elle soit parfois incongrue –
après des décennies où ils ont tu leurs réelles interrogations.
Enfin, la remise en cause, par une majorité d’États présents à Nayarit, de la voie suivie par
le P5, la démarche dite du « step by step » est très forte. Ces États souhaitent avancer vite
et voient à travers cette volonté des EDAN d’obtenir en premier la ratification du Traité
d’interdiction de production de matières fissiles (TIPMF) et du Traité d’interdiction
complète des essais nucléaires (TICE), une démarche beaucoup trop longue et qui ne
répond pas de façon urgente au risque de catastrophe nucléaire. Ces États veulent ainsi
une nouvelle approche, comme l’a relevé l’Irlande « It seems clear to us that inevitable
and unavoidable policy implications arise from what we now know about the extent of the
risks involved ».
― 11 ―
5.
Le P5 sous pression ?
Le P5 absent de Nayarit va-t-il résister à cette pression internationale ? Alors qu’il
représentait un bloc solide à Oslo, des failles importantes sont apparues concernant leur
non-présence à Nayarit, montrant un début de nervosité diplomatique.
Si l’absence du P5, à Oslo comme à Nayarit, a été reçue comme un message négatif, force
est de reconnaître qu’elle a été également perçue comme une opportunité de poursuivre
les réflexions et installer un processus d’action. En revanche, la présence du P5 lors de la
conférence de Vienne est clairement demandée et serait accueillie de façon favorable.
Le Chili a ainsi mentionné dans son intervention, que cette action globale « ne se faisait
pas contre les puissances nucléaires mais avec elles », indiquant le souhait de se
rassembler autour d’une même table. C’est aussi la position de la Suisse, pour qui cette
conférence « montre que nous devons tous travailler ensemble ». C’est d’ailleurs la
demande d’un grand nombre d’États, qui ont appelé à ce que l’Autriche sollicite la
participation du P5 à Vienne.
Cette volonté a été reprise dans les conclusions de l’Ambassadeur Robledo : « Comme
cela a été exprimé par de nombreuses délégations, la Conférence réitère l'invitation faite
aux États dotés d'armes nucléaires et aux États non parties au TNP à participer à la
troisième Conférence, en Autriche ». Cet appel a même été lancé en dehors de Nayarit, au
sein de la Conférence sur le désarmement par l’Égypte quelques jours plus tard (18
février) ;
une manière pour ce pays d’affirmer sa position et de montrer que ces conférences
humanitaires sont pleinement à rattacher au processus onusien : « Nous espérons la
participation de tous les États, notamment ceux dotés d'armes nucléaires, à cette
importante conférence. »42
6.
Les réactions des États
L’Allemagne
La représentante du MAE Christiane Hohmann a souligné l’importance de cette
conférence sur ce sujet, son inquiétude face à toute détonation nucléaire et la nécessité
de parvenir au désarmement nucléaire. Cependant ses critiques furent assez virulentes
concernant la délégitimisation de l’arme nucléaire qui, a-t-elle rappelé, a « largement
contribué à prévenir les conflits armés entre l'OTAN et le Pacte de Varsovie. Nous,
Européens, devons nous souvenir de cela très clairement ».
Par ailleurs, critiquant l’actuelle rupture de dialogue avec les puissances nucléaires
officielles, elle a aussi profondément remis en cause tout processus d’interdiction sans
leur présence, comme l’analogie faite avec le processus d’interdiction des mines
antipersonnel : « Cette analogie avec le processus d'Ottawa n'est cependant pas
convaincante. Après tout, ces armes – contrairement aux armes nucléaires – n’ont jamais
joué un rôle central dans le système international. »
42. Statement of the Arab Republic of Egypt at the Conference on Disarmament, Genève, 18 février 2014.
― 12 ―
Encourageant la poursuite de la mise en œuvre du plan d’action du TNP de 2010 qui ne
peut « se faire du jour au lendemain » et qui nécessite « de la volonté politique, de la
persévérance et de la patience » comme réelle voie pour diminuer le risque de l’impact
humanitaire d’une arme nucléaire, elle a tout de même indiqué que sur la voie du « zéro
armes nucléaires », une convention sur les armes nucléaires devra être négociée, avec
l’ensemble des États.
La Belgique
Tout comme à Oslo, c’est le Premier Secrétaire de son Ambassade locale qui a été
dépêché. Sur le plan de l’image, il a donc été décidé de montrer que Bruxelles suivait cette
conférence avec une délégation d’importance similaire. Son représentant n’a pas pris la
parole, mais la position de la Belgique semble assez claire. Les conséquences de toute
utilisation d’une arme nucléaire sont prises au sérieux, mais il est nécessaire de poursuivre
et de réaliser le plan d’action du TNP de 2010. Une posture diplomatique qui doit être
mise en parallèle d’une part avec le fait que la ville belge de Mons accueille le siège de
l’OTAN et que sur la base aérienne de Kleine-Brogel sont stationnées près d’une vingtaine
d’armes nucléaires tactiques43.
L’Australie
Présent à Oslo et à Nayarit, cet État tient une place particulière dans le monde du
désarmement. Alors que sa société civile (regroupée principalement dans ICAN Australia)
ou encore sa Croix-Rouge sont des plus actives pour soutenir les démarches en faveur de
nouvelles actions dans le désarment nucléaire, son gouvernement apparaît aussi comme
un leader, mais pour soutenir la démarche du P5.
Il faut rappeler qu’en octobre 2013, lors de la première Commission de l’ONU chargée des
questions de désarmement et de sécurité internationale, Canberra a déposé une
résolution portant sur l’impact humanitaire des armes nucléaires. Ce texte, qui a recueilli
le soutien de 16 États (tous membres de l’OTAN ou sous protection du parapluie nucléaire
américain), est venu directement s’opposer à la résolution déposée par la NouvelleZélande (soutenue par 125 États). La première résolution, vient clairement « torpiller » la
seconde dans le but de remettre la problématique humanitaire et du désarmement
nucléaire au sein de l’ONU. Cette résolution reconnaît l’apport d’Oslo, appelle à prendre
en compte le danger de l’utilisation d’une arme nucléaire et se félicite de la tenue de la
seconde conférence de Nayarit. Mais elle demande à tous les États de bien vouloir
travailler dans une démarche pratique et efficace ; en d’autres termes dans une démarche
dite du « step by step », qui nécessite en premier d’obtenir l’entrée en vigueur du TIPMF
et du TICE.
Nayarit fut ainsi une nouvelle fois le moyen pour Canberra d’affirmer cette position,
relayée notamment par une tribune « We must engage, not enrage nuclear countries »44
– publiée le 14 février – de Julie Bishop, ministre des Affaires étrangères. Défendant la
dissuasion nucléaire comme garantie de la paix mondiale, louant les progrès du P5 en
43. Jean-Marie Collin, « Les armes nucléaires de l’OTAN fin de partie ou redéploiement ? » Les
Rapports du GRIP, 2009.
44. We must engage, not enrage nuclear countries.
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matière du désarmement et la nécessité de poursuivre la réalisation des 64 actions du
Document final du TNP de 2010, elle dénonce l’attitude de certains États qui « cherchent
à utiliser la conférence de cette semaine pour inciter à la mise en œuvre d’une interdiction
des armes nucléaires. Leur argument d' « interdire la bombe » peut-être émotionnellement
attrayant, mais la réalité est que le désarmement ne peut être imposé de cette façon.
S’appuyer simplement sur une interdiction serait détourner l'attention de mesures
concrètes et soutenues, nécessaires pour un désarmement efficace. La communauté
internationale doit engager les États qui ont choisi d'acquérir des armes nucléaires et
s'attaquer aux facteurs de sécurité qui ont conduit à ces choix ». En écho à la position
australienne, on retrouve : l’Allemagne, le Canada, les Pays-Bas et la Turquie.
États d’Afrique : Algérie, Maroc, Égypte
Quarante-deux États africains étaient présents (sur un total de 54 que compte ce
continent) à Nayarit, démontrant que même si la plupart de ces pays n’ont jamais été
directement confrontés aux risques d’une détonation nucléaire, ils se sentent concernés.
D’ailleurs, le Sénégal comme le Maroc semblent avoir bien conscience, non pas du danger
d’une explosion au-dessus de leur territoire, mais des conséquences du déplacement de
population en provenance d’Europe (théâtre probable d’une détonation nucléaire) vers
leurs territoires.
De nombreux États africains ont appelé à l’élimination des armes nucléaires, soit à la mise
en place d’un « Ban Treaty » ; l’Égypte demandant le lancement d’un groupe de travail
sur une Convention sur les armes nucléaires. L’Algérie, dont l’histoire est liée aux essais
nucléaires français, a rappelé avec insistance les conséquences terribles des 17 essais sur
ses populations, sans pour autant soutenir la notion de « Ban Treaty ».
000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000
On peut également noter que les États de l’espace francophone ont multiplié les
questions sur les effets des armes nucléaires (humain, rayonnement…) et leurs
conséquences, montrant un important besoin d’information et de formation.
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Conclusion
Nayarit marque donc un point de non-retour comme l’a souligné l’Ambassadeur Robledo.
Désormais, les États ont pleinement conscience qu’il est impossible de circonscrire le
pouvoir de destruction de ces armes et que la menace d’une catastrophe humanitaire
persistera tant que ces armes existeront. Les failles et positions diplomatiques de chacun
des États (EDAN et ENDAN) comme de la société civile sont connues.
Maintenant qu’une troisième conférence est annoncée, le futur de ce processus est donc
en partie connu. Vienne sera un nouveau forum de discussion intergouvernemental, mais
ne sera évidemment pas une répétition d’Oslo et de Nayarit ni concernant les thèmes, ni
concernant la suite même à lui donner. Avant son déroulement, il est présomptueux
d’affirmer qu’elle sera le lieu de lancement d’une nouvelle feuille de route. Mais Vienne
est une ville symbolique, siège du CTBT, de l’AIEA, la capitale d’un État neutre (qualifiable
d’État exempt d’arme nucléaire au vu de sa constitution45), au cœur de l’Europe politique
(UE) et militaire (OTAN, même si l’Autriche n’en est pas membre) dont la diplomatie est
l’une des plus actives. Ainsi, comme l’ont souligné à Nayarit différents États, notamment
le Maroc, Vienne devrait être le temps de la mise en place d’une feuille de route, dont les
éléments pourraient selon l’attitude et les actions du P5, être menés en parallèle du Traité
de non-prolifération nucléaire.
***
45. Federal Constitutional Act concerning a Nuclear-Free Austria.
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L’auteur
Jean-Marie Collin est un consultant indépendant sur les questions de défense et de
sécurité internationale, avec une expertise plus particulière, depuis 12 ans, dans les
domaines de la dissuasion nucléaire, du désarmement, de la maîtrise des armements
et de la non-prolifération nucléaire. Chercheur associé auprès du GRIP depuis 2008,
il intervient dans des établissements d’enseignement supérieur. Il est co-auteur avec
Paul Quilès (ancien ministre de la Défense) et Bernard Norlain (général d’armée
aérienne) du livre « Arrêtez la bombe », Ed Cherche-midi, mars 2013.
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