Les promesses de l`énergie thermique des mers

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Les promesses de l`énergie thermique des mers
Date : 28 MAI/03 JUIN 15
Page de l'article : p.56-57
Journaliste : Philippe Metzger
Pays : France
Périodicité : Hebdomadaire
OJD : 110144
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Sciences
Le prototype dè centrale électrique à énergie
thermique marine deDCNS etAkuo, à la Martinique
(vue d'artiste). Opêrationnelle en 2019.
Les promesses
de l'énergie thermique
des mers
Technologie
Dans le domaine des énergies marines renouvelables, c'est sans doute
la moins connue du public, et pourtant la plus prometteuse. Une science
à la croisée de trois secteurs économiques - l'énergie, l'industrie
et le maritime - où la France est en pointe.
Le Soleil chauffe notre Terre. Il
exerce sur la surface des mers et des
océans, qui représentent plus de 70 %
de la superficie du globe, un rayonnement qui maintient les eaux de surface
des rêgions tropicales à des températures supérieures à 20 °C. L'énergie
thermique des mers (KTM) consiste en
la mise en contact d'eau froide captée
en profondeur avec cette eau chaude
p r é s e n t e en s u r f a c e , dans une
machine thermique entraînant une
génératrice qui produira alors de
l'électricité (voir notre infographie).
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Dans Vingt Mille Lieues sous les mers,
Jules Verne faisait déjà référence à ce
principe par la voix du capitaine Nemo,
et Georges Claude, ingénieur français
fondateur d'Air liquide, en testa les premiers prototypes dans les années 1930.
Dans le Secret del'Espadon (1946), Edgar
P. Jacobs en fait le centre vital de la base
secrète où Blake et Mortimer préparent
la riposte contre l'Empire jaune : « Une
source d'énergie illimitée, inépuisable... », explique l'ingénieur Mallow à
l'infâme colonel Olrik qui s'apprête à
tout faire sauter !
Les experts estiment le potentiel
de production d'électricité par l'ETM
à 80 000 térawattheures (pour se faire
une idée de l'échelle, on peut le comparer aux 425 térawattheures produits par les 58 réacteurs nucléaires
français en 2014). Or la production
électrique mondiale totale est de l'ordre de 20 000 térawattheures, d'origine fossile pour les deux tiers. On
mesure donc le remarquable potentiel
énergétique contenu dans l'exploitation du principe, bien supérieur à celui
des parcs éoliens flottants, par exemple (//r? Valeurs actuelles du 25septembre2O14).
Un gradient de 20 °C entre
eau de surface et eau profonde
est nécessaire pour que
le cycle thermique fonctionne.
Les zones géographiques "éligibles" sont concentrées entre les tropiques, ce qui représente 60 millions
de kilomètres carrés. Pour la France,
dont l'espace maritime de ll millions
de kilomêtres carrés se trouve essentiellement outre-mer avec 90 % de
ses zones économiques exclusives,
quelque 10 millions de kilomètres carrês sont donc potentiellement accessibles à l'ETM.
AKUO 3695014400501
Date : 28 MAI/03 JUIN 15
Page de l'article : p.56-57
Journaliste : Philippe Metzger
Pays : France
Périodicité : Hebdomadaire
OJD : 110144
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A ecouter l'ingénieur Mallow, le
principe de fonctionnement de cet
ETM paraît simple, maîs sa réalisation
constitue une veritable prouesse technique En effet, pour que la machine
soit efficace, il est nécessaire de disposer d'une difference de température
de 20 °C entre la source froide et la
source chaude II faut donc en surface
25 °C au moins pour une mise en
contact avec l'eau froide a S °C que l'on
trouve par I DOO mètres de fond Pas
question de gâcher de l'énergie en
pompant cette eau en force ' On fera
remonter la masse nécessaire dans
une conduite par la mise en œuvre
d'un flux ascendant, comme il en
existe a l'état naturel avec l'upwellmg
(un phénomène de depression entre
les eaux de surface et celles du fond),
bien connu des cétacés qui se laissent
remonter dans ces courants riches en
plancton
Professeur à la School of Ocean &
Earth Science and Technology de
l'université de Hawai et spécialiste de
l'ETM, le Français Gérard Nihous
explique « L'aspect technologique le
plus délicat reste cette conduite d'eau
froide prof onde de grand diamètre, par
rapport au niveau de production de
puissance ETM, en raison des grands
debits d'eau de mer nécessaires et du
besoin de minimiser les pertes de
charge » Maîs sa maîtrise a un avantage, que souligne Jean Ballandras,
secretaire général d'Akuo Energy, un
operateur énergetique indépendant •
« De toutes les energies marines renouvelables, l'ETM est la seule qui fonctionne sur le flux, et non la force » Flux
permanent, alors que le rendement
de Péohenne ou de l'houlomoteur
dépend de la force du vent ou de l'ampleur de la houle Un facteur de fiabilité et de rentabilité non négligeable
Des industriels français
s'emploient à acquérir
la maîtrise totale du système.
Créer des courants de remontée
d'eau dans des conduits etanches,
rentabiliser une machine thermique,
produire l'électricité, la stocker et la
transporter, autant d'enjeux techniques pour l'ETM Sans oublier qu'il
faudra gérer les nutriments naturels
(plancton) remontes avec l'eau, rejeter l'eau tiède résultant de l'échange à
la bonne profondeur, récupérer l'eau
douce de condensation pour une
autre exploitation
Des industriels français s'emploient
à acquerir la maîtrise totale du cycle
Les premiers succes commerciaux
voient le jour a travers les prototypes
Nemo et Nautilus, diriges en partenariat par DCNS et Akuo Energy Nemo
(New Energy for Martinique and Overseas) est un projet de mise en service
d'un dispositif pilote en Martinique, a
l'échelle industrielle, finance en 2014
par le fonds europeen NER300, dédié
au développement des energies renou-
velables. Nemo est la partie flottante
d'une centrale ETM de 16 mégawatts
installes, Nautilus étant la partie terrestre de l'installation
Les recherches conduites depuis
2010 par DCNS, leader de la construction navale de defense qui opère une
diversification stratégique dans les
energies maritimes renouvelables,
voient un premier aboutissement
dans cette etape importante Pour
Akuo Energy, il s'agit de la concrétisation d'une politique de developpement fondée sur l'insularité menée
depuis plusieurs annees L'ETM repond en effet de manière pertinente
au besoin d'autonomie energetique à
coût raisonnable des îles de nos territoires outre-mer.
Parmi les possibilités offertes par les
énergies marines renouvelables,
l'ETM est sans aucun doute la plus stable et la plus prometteuse, comparée a
Peohen en mer ou a la captation des
mouvements marins (houle, courants,
marees) L'avance technologique
acquise grâce aux efforts des industriels
emmenés par DCNS a ete mise a l'honneur lors du dernier sommet sur le climat, en fevrier, aux Philippines, et
devrait l'être à nouveau lors de Paris
Climat 2015, fin novembre II reste du
travail, et cette avance concurrentielle doit rester un enjeu prioritaire
Demain, pourquoi pas, la France pourrait devenir exportatrice d'énergie ! •
Philippe Metzger
L'ETM Une machine thermique
L'énergie thermique des mers
(ETM), ou oceanothermie, fonctionne selon le principe de la géothermie, mais en milieu marin.
Le dispositif utilise un fluide calopor
teur qui circule en circuit fermé
dans un échangeui (en jaune sur le
schéma). Au contact de l'eau chaude
de surface pompée dans l'evapora
teur, ce fluide se vaporise. Le gaz
sous pression ainsi obtenu fait
tourner la turbine d'un alternateur
pour produire de l'électricité. Le gaz
passe ensuite dans le condenseur,
où il va se détendre et repasser à l'état
liquide au contact de l'eau froide
pompée en profondeur. Le cycle
recommence alors indéfiniment tant
que le gradient de température entre
les eaux chaude et froide est maintenu.
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AKUO 3695014400501