Jurisprudences européennes et étrangères Chroniques l

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Jurisprudences européennes et étrangères Chroniques l
Concurrences
Revue des droits de la concurrence | Competition Law Review
Jurisprudences
européennes
et étrangères
Chroniques
l Concurrences N° 2-2016 l pp. 220-240
Florian Bien
[email protected]
Professeur, Université de Würzburg
Pierre Kobel
[email protected]
Avocat, De Weck Zoells Kobel, Genève
Silvia Pietrini
[email protected]
Maître de conférences, Université Lille,
Centre Réné Demogue-CRDP
Jean-Christophe Roda
[email protected]
Professeur, Université de Toulon
Julia Xoudis
[email protected]
Professeure associée, Université de Genève
Chroniques
Jurisprudences
européennes et
étrangères
Florian Bien*
[email protected]
Professeur, Université de Würzburg
[email protected]
Avocat, De Weck Zoells Kobel, Genève
Silvia Pietrini
[email protected]
Maître de conférences, Université Lille,
Centre Réné Demogue-CRDP
Jean-Christophe Roda
[email protected]
Professeur, Université de Toulon
Julia Xoudis
[email protected]
Professeure associée, Université de Genève
220 Le Tribunal régional de Potsdam
déclare nulle la clause, contenue
dans les conditions d’attribution
d’un marché public, qui stipule
des dommages et intérêts forfaitaires
à hauteur de 15 % du montant
du marché en cas de violation
des règles du droit de la concurrence,
tandis que le Tribunal régional
de Berlin, dans une affaire similaire,
fonde le calcul des dommages et
intérêts sur une telle clause
Trib. régional de Potsdam, 22 oct. 2014,
2 O 29/14 et Trib. régional de Berlin,
16 déc. 2014, 16 O 384/13 Kart
l’appréciation relève du pouvoir
souverain du juge
CE, 20 oct. 2015, Services d’agence
maritime, RG n° 05827/2015,
publié le 29 janv. 2016
230 Le Tribunal de Venise rejette
une action de groupe dans le cadre
du scandale des moteurs truqués
équipant des voitures diesel
Trib. de Venise, ord. du 4 nov.
2015, Altroconsumo c/ Volkswagen
AG e Volkswagen Group Italia,
publiée le 12 janv. 2016
3. Suisse
224 Le Tribunal régional de
232 La Commission de
Francfort attribue des dommages
et intérêts à une requérante victime
de discrimination par les prix sur
base d’une décision de validation
des engagements rendue par
la Commission européenne en matière
de courant électrique ferroviaire
Trib. régional de Francfort, 3 juin 2015,
DB Energie, 2-03 O 324/14
la concurrence suisse interdit les
clauses de parité pratiquées par les
trois plus grands gestionnaires de
plateformes de réservation d’hôtels
en ligne
Comco, déc. du 19 oct. 2015, Booking.
com, HRS et Expedia (Plateformes
de réservation d’hôtels en ligne),
publiée sur le site de la Comco
2. Italie
4. États-Unis
228 Le Conseil d’État italien
considère que l’effet de la chose jugée
découlant de l’annulation définitive
d’une décision de l’Autorité de la
concurrence ne peut s’étendre aux
tiers qu’à certaines conditions dont
237 La Cour d’appel du premier
circuit juge que les accords de reports
d’entrée non-monétaires relèvent du
droit antitrust
U.S. Court of Appeals, First Circuit, 22 fév.
2016, Loestrin, n° 14-2071 et 15-1250
*Avec la collaboration de mes assistants de recherches, Björn Becker,
Rüdiger Morbach et Markus Welzenbach. Je remercie Yves Manzanza,
également collaborateur à ma chaire, pour la relecture et/ou la traduction
de nos manuscrits.
220
Private Enforcement – Soumission concertée à
des marchés publics – Dommages et intérêts
forfaitaires : Le Tribunal régional de Potsdam
déclare nulle la clause, contenue dans les conditions
d’attribution d’un marché public, qui stipule des
dommages et intérêts forfaitaires à hauteur de 15 %
du montant du marché en cas de violation des règles
du droit de la concurrence , tandis que le Tribunal
régional de Berlin, dans une affaire similaire, fonde le
calcul des dommages et intérêts sur une telle clause
(Trib. régional de Potsdam, 22 oct. 2014, 2 O 29/14 ; Trib. régional
de Berlin, 16 déc. 2014, 16 O 384/13 Kart)
Pierre Kobel
1. Allemagne
1. Allemagne
La mise en œuvre des actions privées en dommages et intérêts pour
violation du droit de la concurrence constitue un véritable défi pour les
victimes. Les principales difficultés concernent essentiellement la preuve
de la survenance d’un dommage et de son étendue. Il est évident dans ces
conditions qu’il est plus facile aux pouvoirs publics qu’aux personnes
privées de faire aboutir leurs droits aux dommages et intérêts. Cela est dû
notamment au fait que les pouvoirs publics interviennent sur le marché
comme un demandeur de services disposant d’une forte puissance de
négociation à l’égard des candidats.
Le droit des marchés publics comme instrument
pour la mise en œuvre des droits à dédommagement
des pouvoirs publics
En Allemagne, les pouvoirs adjudicateurs qui sont victimes d’une soumission concertée dans les marchés publics recourent de plus en plus à la
possibilité que leur offre le droit des marchés publics en vue d’obtenir plus
facilement la réparation du préjudice subi. Deux différentes approches
sont à relever ici.
Il y a d’une part l’exigence d’intégrité que certains pouvoirs adjudicateurs invoquent vis-à-vis des candidats ayant commis dans le passé une
infraction au droit de la concurrence dans le cadre d’une procédure d’attribution des marchés publics. En effet, l’article 57 al. 4ème lit. c de la
Directive 2014/24/UE autorise les pouvoirs adjudicateurs d’exclure un
opérateur économique de la participation à une procédure de passation
de marché “qui a commis une faute professionnelle grave qui remet en
cause son intégrité”. Le considérant n° 101 de la Directive indique clairement que le législateur européen entend par faute grave notamment une
violation de règles de la concurrence. Toutefois, il est possible pour les
candidats exclus de la procédure de passation de marché pour ce motif
de retrouver l’intégrité exigée et ce, en procédant à une sorte d’auto-nettoyage. Il convient cependant de noter que le rétablissement de l’intégrité
d’un opérateur économique qui aurait participé à une entente illicite
caractérisée, c’est-à-dire qui se serait rendu coupable d’une faute grave,
ne nécessite pas seulement que le concerné coopère à l’éclaircissement
des faits ou qu’il prenne des mesures appropriées de réorganisation du
personnel ou encore qu’il institue une structure d’audit interne visant
à empêcher que les faits similaires ne se reproduisent. Au‑delà de ces
mesures, les pouvoirs adjudicateurs exigent le plus souvent de l’opérateur économique fautif la réparation du préjudice qu’il a causé dans le
passé. Ainsi, l’article 57 de la Directive précitée prévoit dans son alinéa 6
la possibilité pour l’opérateur concerné de “fournir des preuves afin d’attester que les mesures qu’il a prises suffisent à démontrer sa fiabilité”.
À ce titre, le législateur européen cite notamment le versement d’“une
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
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L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document
constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection.
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La deuxième possibilité dont disposent les pouvoirs
adjudicateurs pour obtenir facilement la réparation
du préjudice qu’ils auraient subi à l’occasion d’une
procédure de passation de marché consiste à déterminer
préalablement par voie contractuelle le montant des
dommages et intérêts auxquels ils auraient éventuellement droit. Aussi prévoit-on dans les conditions d’octroi
d’un marché public des clauses relatives à la réparation
du préjudice résultant d’une violation du droit de la
concurrence découverte après la passation du marché.
Ces clauses fixent en même temps le montant forfaitaire
des dommages et intérêts dus aux pouvoirs adjudicateurs. C’est ainsi qu’à titre d’exemple le Ministère fédéral
allemand des transports, de la construction et du développement urbain dans son manuel pratique relatif aux
opérations de construction au niveau fédéral (“Vergabeund Vertragshandbuch für die Baumaßnahmen des
Bundes”, disponible sur http://www.vob-online.de/de/
rubrik/vergabehandbuch-des-bundes) recommande aux
adjudicateurs de prévoir les conditions contractuelles
suivantes dans les contrats d’attribution des marchés
publics :
“[…] S’il est prouvé que le candidat à une procédure de
passation de marchés publics avait conclu un accord qui
constitue une restriction illicite de la concurrence, il est
tenu de payer aux pouvoirs adjudicateurs les dommages et
intérêts forfaitaires à hauteur de 15 % du montant global
du marché, sauf si le préjudice peut être quantifié autrement
[…]” (Section 215, n° 8).
La validité de cette forme de fixation du montant des
dommages et intérêts fait l’objet d’un vif débat chez
les juristes allemands (cf. par ex. Müller-Graff/Kainer,
Wertpapier-Mitteilungen 2013, pp. 2149 – 2155 ; Thomas/
Bleier, Kölner Schrift zum Wirtschaftsrecht n° 4-2015, pp.
261 – 267; K. Schmidt, Wirtschaft und Wettbewerb 2015,
pp. 812 – 821). Plusieurs juridictions du fond ont déjà eu
l’occasion de se pencher sur la validité de ces clauses. Il
reste que la Cour fédérale de justice (Bundesgerichtshof)
ne s’est pas encore prononcée sur la question.
Les clauses relatives au dédommagement
forfaitaire créent-elles un déséquilibre
significatif au détriment des participants à
une entente illicite ?
La question principale qui constitue la toile de fond
des jugements des Tribunaux régionaux de Potsdam et
de Berlin faisant l’objet de ce commentaire porte sur la
validité des clauses contractuelles relatives à la fixation
forfaitaire des droits aux dommages et intérêts fondés
sur la violation du droit de la concurrence. Les deux
tribunaux avaient soumis ces clauses au contrôle judiciaire. Concrètement, il était question de savoir si le forfait
prévu dans les conditions d’attribution des marchés
publics dépasse le dommage qui pourrait résulter d’une
telle infraction dans des conditions normales des choses
et est par conséquent disproportionné ou s’il s’agit plutôt
d’un montant raisonnable.
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indemnité en réparation de tout préjudice causé par l’infraction pénale ou la faute” (voir aussi les décisions de
la chambre des marchés publics (Vergabekammer) du
gouvernement de district de Lüneburg du 24 mars 2011 –
VgK-04/2011 et du 14 fév. 2012 – VgK-05/2012).
Des actions consécutives (“follow-on”)
des pouvoirs publics à la suite de l’entente
sur les véhicules de pompiers et les rails
Le jugement du Tribunal régional de Potsdam portait
sur les faits ci-après : plusieurs fabricants de véhicules
de pompiers qui avaient gagné les marchés à la suite de
la procédure de passation des marchés publics lancée
par les communes avaient conclu entre 1998 et 2009 des
accords sur les quotas et sur les prix. Après la découverte de l’entente illicite, suivie de la décision d’amende
du Bundeskartellamt du 28 janvier 2011, une commune
du Bade-Wurtemberg a réclamé des dommages et intérêts
à un participant à l’entente. En effet, l’entreprise poursuivie avait, lors de l’attribution du marché, accepté
une clause correspondant à celle prévue dans le manuel
pratique relatif aux opérations de construction au niveau
fédéral (voir la citation ci-dessus).
Quant à l’affaire portée devant le Tribunal régional de
Berlin, elle concernait une autre action en dommages
et intérêts en rapport avec l’entente illicite sur les rails
(voir Concurrences n° 3-2015, pp. 195-198). Les parties
défenderesses avaient participé à une entente illicite dont
l’existence a été établie par la décision d’amende du
Bundeskartellamt du 18 juillet 2013. La clause litigieuse
s’inspirait également de la recommandation contenue
dans le manuel du Ministère fédéral des transports, de
la construction et du développement urbain mentionné
ci-haut. La différence majeure résidait cependant dans
le montant du forfait. En effet, contrairement au cas
soumis au Tribunal régional de Potsdam, le montant des
dommages et intérêts forfaitaires prévu ici était seulement
de 5 % de la somme globale du marché.
Le contrôle judiciaire des clauses
contractuelles entre professionnels en droit
allemand
Il sied de relever in limine litis qu’il existe quelques
différences fondamentales entre le droit allemand et
le droit français en ce qui concerne le contrôle judiciaire des clauses contractuelles entre professionnels.
En effet, contrairement au droit français, le code civil
allemand (paragraphes 305 et suivants BGB) ne prévoit
principalement que le contrôle judiciaire des clauses
préformulées et unilatéralement imposées à l’autre
partie, c’est-à-dire des contrats d’adhésion (“Allgemeine
Geschäftsbedingungen”). Par contre les clauses individuellement négociées (cf. contrats de gré à gré) entre
professionnels ne peuvent être annulées que de manière
exceptionnelle conformément à la disposition générale
du paragraphe 242 BGB, c’est-à-dire en cas de violation
du principe de bonne foi. Le principe du droit français
qui met ici en évidence la protection de la partie la plus
faible face à un cocontractant fort ne semble pas s’appliquer en droit allemand, sauf en matière de protection des
consommateurs.
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
221
Par contre, le droit allemand retient comme critère
essentiel “le désavantage inapproprié” (“unangemessene
Benachteiligung”) du cocontractant (paragraphe 307
al. 1er BGB). Cette notion est précisée par certaines clauses
interdites énumérées explicitement aux paragraphes 308
et 309 BGB et dont l’existence constitue une preuve
substantielle d’un désavantage inapproprié. Normalement
ces cas de principe ne s’appliquent directement qu’aux
clauses qui engendrent un désavantage pour les
consommateurs. Il est toutefois communément admis que
les valeurs dont la protection est visée ici soient également
prises en compte dans les relations contractuelles entre
professionnels (cf. paragraphe 310, al. 1er BGB).
Dans les deux jugements faisant l’objet de ce commentaire les tribunaux ont considéré que les clauses litigieuses
ne portaient pas sur les règles des dommages et intérêts
punitifs, mais plutôt sur le dédommagement forfaitaire.
Ainsi, pour examiner si ces clauses avaient pour effet de
désavantager les cocontractants de manière disproportionnée, les juges devaient notamment prendre en compte
le cas de figure mentionné au paragraphe 309 point 5
BGB. Aux termes de cette disposition, est nulle toute
clause qui détermine le droit forfaitaire du stipulant à des
dommages et intérêts si (a) le forfait dépasse le dommage
prévisible dans les cas réglementés selon le cours normal
des choses ou (b) s’il n’est pas expressément permis à
l’autre partie contractante de rapporter la preuve qu’un
dommage ne s’est pas produit ou qu’il est fondamentalement inférieur au forfait. Il ressort de l’analyse des termes
de cette disposition in fine que l’utilisation des clauses
de dédommagement forfaitaire n’est pas interdite aussi
longtemps que le cocontractant du stipulant d’une telle
clause conserve la possibilité de rapporter éventuellement
la preuve d’un préjudice fondamentalement inférieur au
forfait. Dans les cas d’espèce, les clauses soumises au
contrôle judiciaire des Tribunaux régionaux de Potsdam
et de Berlin prévoyaient cette possibilité. La difficulté
portait néanmoins sur la question de savoir si dans les
cas d’espèce le forfait ne dépassait pas le dommage prévisible dans des conditions normales des choses. Sur cette
question précise, les deux tribunaux ont abouti à des
conclusions divergentes.
Solutions différentes des deux juridictions
à propos de deux montants également
différents
Le Tribunal régional de Potsdam a jugé nulle la clause
qui prévoyait le paiement en faveur du stipulant des
dommages et intérêts forfaitaires à hauteur de 15 %
222
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
du montant du marché. Le tribunal a estimé que cette
clause était de nature à désavantager le cocontractant
de manière disproportionnée et qu’elle constituait par
conséquent une violation manifeste du paragraphe 309,
point 5 lit. a BGB, qui stipule que le forfait ne devrait pas
dépasser le dommage prévisible dans les cas réglementés
selon le cours normal des choses. Le tribunal ajoute
que le stipulant de la clause litigieuse devrait prouver
que le forfait qu’il utilise ne dépasse pas le montant des
dommages et intérêts normalement prévisibles dans
les différentes branches d’activités concernées. Enfin le
tribunal critique le fait que les termes de la clause litigieuse englobent toute sorte d’infractions au droit de la
concurrence, même celles pouvant aboutir à un dommage
dont le montant serait de loin inférieur au forfait de 15 %.
De son côté, le Tribunal de Berlin a confirmé la validité
de la clause qui obligeait les participants à une entente
illicite à payer aux pouvoirs adjudicateurs des dommages
et intérêts forfaitaires à hauteur de 5 % du montant
total du marché pour violation du droit de la concurrence. Le tribunal part de la présomption que le forfait
de 5 % du montant total du marché ne dépasserait pas le
dommage prévisible selon le cours normal des choses et
qu’il constituerait plutôt le seuil minimum d’un dommage
résultant d’une entente illicite. Dans son argumentaire, le Tribunal régional de Berlin s’est explicitement
référé à l’arrêt de la Cour d’appel (Oberlandesgericht)
de Karlsruhe, dans lequel les juges, qui étaient appelés
également à se prononcer sur une action en dommages et
intérêts intentée par une commune suite à l’entente illicite
sur les véhicules de pompiers, avaient admis la validité
d’une clause de dédommagement forfaitaire prévoyant
un montant même plus élevé, soit 15 % du montant
global du marché (Oberlandesgericht Karlsruhe, arrêt du
31 juillet 2013, 6 U 51/12 Kart ; voir aussi le jugement
de première instance, le Landgericht Mannheim, du 4 mai
2012, 7 O 463/11 Kart).
Amélioration de la situation des victimes
privées et du private enforcement grâce
à la clause de dédommagement forfaitaire
ex ante
La position généreuse des Tribunaux de Mannheim,
Karlsruhe et Berlin concernant la problématique de
la validité des clauses de dédommagement forfaitaire
mérite en principe notre approbation. En effet, en dépit
de l’importance accrue des actions privées (private enforcement) ces dernières années, il existe encore en Europe
plusieurs obstacles pour les actions privées en dommages
et intérêts fondées sur la violation du droit de la concurrence. Les principales difficultés que rencontrent les
demandeurs portent particulièrement sur la preuve
du prix concurrentiel hypothétique. À cela s’ajoute le
fait que, contrairement au droit français qui prévoit la
théorie de la perte d’une chance, le demandeur qui veut
faire prévaloir le manque à gagner se trouve confronté
en Allemagne à des difficultés de preuve quasi insurmontables. Ainsi, en raison d’obstacles élevés pour la mise en
œuvre d’actions privées en dommages et intérêts, l’on ne
peut que saluer tout effort tendant à simplifier les règles
de preuve pour les demandeurs. La reconnaissance des
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De même, le critère matériel de contrôle judiciaire des
clauses contractuelles diverge. Le droit français utilise
à l’article L 442-6, al. 1er, point 2 du code de commerce
le critère de “déséquilibre significatif ”. Pour mieux
comprendre la portée de la notion de déséquilibre significatif entre professionnels, les praticiens du droit et les
justiciables peuvent se référer aux précisions apportées
par la jurisprudence à propos de la même notion contenue
depuis longtemps dans l’article L 132-1 du code de la
consommation (Conseil constitutionnel, QPC, 13 janvier
2011, n° 2010-85).
un véritable soulagement pour le demandeur, qui est dispensé
d’apporter des preuves supplémentaires sur l’étendue du
dommage, aussi longtemps qu’il n’a pas l’intention de réclamer
des dommages et intérêts plus élevés que le forfait. Une solution
contractuelle paraît particulièrement nécessaire dans la mesure
où la Directive 2014/104/UE relative à certaines règles régissant
les actions en dommages et intérêts ne simplifie pas de manière
significative les règles de preuve du préjudice. Certes l’article 17
de cette Directive traite des règles de quantification du préjudice
et prévoit notamment la présomption du préjudice (dans ce sens
aussi l’arrêt de la Cour d’appel (Kammergericht) de Berlin du
1er octobre 2009, 2 U 10/03 Kart - Transportbeton) ainsi que la
possibilité pour les juridictions nationales d’estimer le montant
du préjudice (cf. en droit allemand paragraphe 33, al. 3ème,
phrase 3 de la loi contre les restrictions à la concurrence et paragraphe 287 du code de procédure civile). Toutefois, au-delà de
ces quelques normes, il n’existe pas encore – et peut-être même
pas dans un avenir proche – de dispositions particulières pertinentes sur la quantification du préjudice. Le Guide pratique de
la Commission concernant la quantification du préjudice dans
les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions
à l’article 101 ou 102 TFUE (2013) n’a jusqu’ici pas laissé de
trace dans la jurisprudence allemande (pour plus de détails : J.
Bernhard, “Allemagne : Évaluation des préjudices et charge de la
preuve en droit civil de la concurrence”, Concurrences n° 4-2015,
art. n° 75874, pp. 243-249).
La question de degré requis de
différenciation demeure non résolue
La problématique de la prise en compte de différentes
formes des restrictions illicites de la concurrence dans
la clause de dédommagement forfaitaire demeure non
résolue. Le Tribunal régional de Berlin, tout comme avant
lui le Tribunal régional de Mannheim ainsi que la Cour
d’appel de Karlsruhe (voir les références ci-dessus), n’a
pas évoqué l’exigence d’une telle différenciation. De même
le modèle de clause proposé dans le manuel pratique
relatif aux opérations de construction au niveau fédéral
mentionné plus haut ne fait pas de distinction entre les
différentes formes des violations du droit de la concurrence.
Quelques auteurs allemands soutiennent qu’une différenciation n’est superflue que dans les cas où le forfait est fixé
en fonction du seuil minimum du dommage normalement
prévisible (p. ex. Müller-Graff/Kainer, WertpapierMitteilungen 2013, 2149, 2152). Le Tribunal régional
de Berlin semble avoir recouru à cet argument sans
toutefois chercher à l’approfondir. Le Tribunal régional
de Potsdam pour sa part exige une nette différenciation
selon la nature de l’infraction. Selon les juges, cet aspect
n’a pas été suffisamment pris en compte. À première vue
il faut admettre avec le Tribunal régional de Potsdam que
les différentes infractions au droit de la concurrence n’engendrent pas un dommage de même intensité. Allusion
est faite ici notamment à la différence entre d’une part
l’entente illicite caractérisée telle que l’entente sur le prix
et d’autre part un simple accord sur les aspects de concurrence moins essentiels telle que la prescription des droits
de garantie. Par ailleurs, l’étendue du préjudice résultant
de la violation du droit de la concurrence peut varier
selon les branches concernées. Or, une estimation ex ante
d’un tel préjudice peut paraître difficile pour les parties.
Il en est ainsi notamment lorsqu’il s’agit d’estimer différents montants de dommages et intérêts sur la base de
différentes infractions éventuelles. Aussi nous paraît-il
illusoire de prétendre, comme l’a fait le Tribunal régional
de Potsdam, que le forfait ne devrait, dans aucun cas
prévu par la clause, dépasser le dommage prévisible dans
les conditions normales des choses.
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clauses de dédommagement forfaitaire par différentes
juridictions de fond allemandes constitue ainsi un pas
vers la bonne direction. La clause contractuelle constitue
Les tribunaux ne devraient pas soumettre le niveau de
différenciation à des exigences très élevées. Deux principaux arguments peuvent être évoqués à l’appui de ce
point de vue. Premièrement, il sied de relever du point
de vue de la pratique que les cas couvrant de simples
ententes illicites telles que des ententes sur les conditions
générales d’achat sont assez rare. Les ressources personnelles étant limitées, les autorités de la concurrence ont
tendance à tourner leurs efforts vers la poursuite et la
répression des ententes illicites caractérisées (ententes
dites “hardcore”). Concernant spécialement le domaine
des marchés publics, il sied de relever que les pouvoirs
adjudicateurs prévoient, dans les conditions d’octroi,
des dispositions détaillées portant sur un très grand
nombre de conditions contractuelles. Celles-ci sont alors
exclues du libre jeu de la concurrence. Il ressort de ce
constat qu’une éventuelle entente illicite des candidats au
marché public ne portera pratiquement que sur le prix.
Le deuxième argument porte sur la résolution des conflits
d’intérêts en présence, ceux des participants à une entente
illicite d’une part et ceux des victimes d’autre part.
En effet, pendant que les participants à l’entente chercheront à éviter le paiement des dommages et intérêts élevés,
les victimes pour leur part veilleront à obtenir une réparation appropriée. Si l’on compare les intérêts des uns
et des autres, il paraît plus raisonnable qu’à cause d’un
forfait élevé un participant à l’entente illicite paie des
dommages et intérêts supérieurs au préjudice réel plutôt
que d’obliger une victime à accepter une réparation qui, à
cause du faible montant du forfait, n’est pas proportionnelle au préjudice subi.
Dans tous les cas, il est recommandé lors de la rédaction
des clauses de dédommagement forfaitaire de se pencher
davantage sur la différenciation d’infractions éventuelles. La clause soumise au contrôle judiciaire de la
Cour d’appel de Karlsruhe (voir l’arrêt mentionnée
ci-haut) marque déjà un pas dans la bonne direction car
elle cite explicitement les différentes pratiques restrictives de concurrence qui donneraient lieu au paiement
des dommages et intérêts forfaitaires. En effet, les infractions autres que les violations «hardcore» du droit de la
concurrence semblent moins, voire pas du tout, se prêter
à un dédommagement forfaitaire. Elles devraient alors
rester exclues d’une telle clause.
Enfin, il reste à espérer que l’application des clauses de
dédommagement forfaitaire ne se limitera pas seulement
aux procédures de passation des marchés publics, mais
s’étendra également aux transactions “normales” entre
parties privées.
F. B. – M. W. n
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
223
Francfort, 3 juin 2015, DB Energie, 2-03 O 324/14)
En dehors des cas relevant de l’effet contraignant du
paragraphe 33, alinéa 4 de la loi contre les restrictions de la concurrence (GWB) ou de l’article 16 du
règlement CE 1/2003, les actions en dommages et intérêts
fondées sur la violation du droit de la concurrence en
général sont assez rares en Allemagne. Les exigences
relatives à la justification précise de l’action en justice
sont très élevées si l’on n’a pas la possibilité d’invoquer une décision contraignante d’une autorité de la
concurrence. Sont concernés non seulement les tiers qui
souhaitent intenter une action en dommages et intérêts
sans recourir à une quelconque décision de l’autorité
de la concurrence (action stand alone), mais aussi ceux
qui se fondent sur la décision de validation des engagements pour poursuivre son destinataire. L’effet juridique
contraignant n’opère certes pas en l’absence de constatation d’une infraction, mais les déclarations de l’autorité
de la concurrence contenues dans une décision d’engagement peuvent dans une certaine mesure être utiles au
demandeur. Par ailleurs, il convient de relever que les
décisions d’engagement rendues par le Bundeskartellamt
et par la Commission concernent le plus souvent des cas
pour lesquels l’adoption des mesures d’interdiction est
théoriquement envisageable. C’est qu’en dehors des cas
d’ententes caractérisées, les autorités de la concurrence
optent le plus souvent pour la voie la plus rapide et la
plus simple qui consiste à rendre des décisions d’engagement. Pour garantir la sécurité juridique et judiciaire
aux potentielles victimes d’infractions au droit de la
concurrence, la doctrine propose que les déclarations de
l’autorité de la concurrence contenues dans une décision
d’engagement acquièrent un effet contraignant de facto.
En France, le Tribunal de commerce de Paris avait
condamné le destinataire d’une décision de validation
des engagements rendue par l’Autorité de la concurrence à payer des dommages et intérêts à un tiers victime
de violation du droit de la concurrence (Tribunal de
commerce de Paris, 30 mars 2015, RG n° 2012000109
– DKT c/ Eco-Emballages et Valorplast ; cf. Chagny,
RJCom. juill-août 2015, p. 444 ; Wachsmann/Zacharie,
Concurrences n° 3-2015, p. 79). Dans ce jugement, le
tribunal de commerce de Paris se fonde essentiellement
sur les déclarations de l’Autorité de la concurrence
contenues dans la décision d’engagement et renonce à
enquêter lui-même. Le Tribunal régional de Francfort
qui est le premier tribunal allemand à se prononcer
sur cette question a abouti au même résultat, mais en
empruntant une approche quelque peu différente de celle
du tribunal de commerce de Paris.
224
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
Paiement des dommages et intérêts
pour rabais discriminatoires
Le Tribunal régional de Francfort devait se prononcer
sur la question de savoir si le système des rabais
pratiqué par la défenderesse constitue une violation de
l’article 102 TFUE et si la demanderesse avait de ce fait
subi un préjudice.
Système des rabais dans
l’approvisionnement en courant électrique
ferroviaire
La défenderesse (DB Energie) fournit du courant électrique à travers son propre réseau à un grand nombre
d’entreprises ferroviaires, dont la demanderesse. Pendant
la période concernée par le litige, soit de 2009 à 2012,
la défenderesse était le seul fournisseur de courant électrique ferroviaire. L’approvisionnement en courant se fait
sur base d’une feuille des prix qui est actualisée annuellement par les parties. Ce document prévoit entre autres
le rabais de quantités qui peut aller jusqu’à 4 % selon la
quantité annuelle de courant acheté par chaque entreprise ferroviaire concernée. La feuille des prix prévoit
également une sorte de “rabais rétroactif sur les charges”
(Auslastungsrabatt) de 5 % pour l’utilisation qui dépasse
largement le seuil maximal du rabais des quantités.
Le rabais sur les charges ne pouvait concerner que les
entreprises ferroviaires appartenant au même groupe
que la défenderesse. Le système de fixation des prix de la
défenderesse avait fait l’objet d’une procédure devant la
Commission européenne, procédure qui fut clôturée par
une décision de validation des engagements (Commission,
18 déc. 2013, COMP/AT. 39678 – Deutsche Bahn I et
COMP./AT.39731 – Deutsche Bahn II). Se fondant sur
cette décision, la demanderesse avait saisi le Tribunal
régional de Francfort pour réclamer le remboursement
du surplus du prix payé correspondant au rabais sur les
charges de 5 % pendant la période concernée par le litige.
À l’appui de son action, elle souligne que le refus par la
défenderesse de lui accorder le rabais sur les charges avait
conduit à une compression des marges pour ses activités.
Le système des rabais pratiqué par la
défenderesse jugé contraire à l’article 102,
alinéa 2 lit. c TFUE
Le Tribunal régional de Francfort accorde à la demanderesse, conformément à l’article 102 TFUE en
combinaison avec le paragraphe 33, alinéa 3 GWB, la
somme de 2 171 163,99 €, y compris les montants payés
à titre d’impôt sur le chiffre d’affaires plus les intérêts
éventuels. Le tribunal estime que le système des rabais
pratiqué par la défenderesse constitue une discrimination
interdite par l’article 102 TFUE. Cette discrimination
relève de la négligence et constitue ainsi une faute. Dans le
cas d’espèce, les dommages et intérêts doivent compenser
la réparation en nature (cf. paragraphe 249 BGB) ainsi que
le manque à gagner (cf. paragraphe 253 BGB). La demanderesse devrait, selon le tribunal, être placée dans la
situation qu’elle occuperait en l’absence du comportement discriminatoire de la défenderesse. Le tribunal part
Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art.
L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document
constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection.
Private enforcement – Dommages
et intérêts – Ciseaux tarifaires –
Engagement : Le Tribunal régional de
Francfort attribue des dommages et intérêts
à une requérante victime de discrimination
par les prix sur base d’une décision de
validation des engagements rendue par
la Commission européenne en matière de
courant électrique ferroviaire (Trib. régional de
Aucune référence du Tribunal à la décision
d’engagement de la Commission
Ce qui est remarquable dans le jugement du Tribunal
régional de Francfort est qu’il se limite à évoquer
en passant l’existence de la décision d’engagement
rendue par la Commission sans pour autant s’y référer.
Le tribunal procède plutôt seul à l’examen de la violation
supposée de l’article 102 TFUE et s’appuie sur un autre
type d’infraction. Selon la Commission, le système de
fixation de prix du courant électrique ferroviaire appliqué
par Deutsche Bahn remplit les conditions d’une compression des marges. Le Tribunal régional de Francfort
considère pour sa part que ce système constitue une
pratique abusive de discrimination au sens de l’article 102,
alinéa 2 lit. c TFUE. Ceci est d’autant plus surprenant
que la demanderesse elle-même avait, pour appuyer son
action en dommages et intérêts, invoqué la compression des marges. En outre, le Tribunal régional aurait dû
recourir aux déclarations contenues dans la décision de
l’autorité de la concurrence, ce qui aurait certainement
été avantageux du point de vue de l’économie du procès.
Même en empruntant cette voie, il était encore possible
pour le tribunal de recourir aux déclarations de l’autorité de la concurrence, notamment dans le cadre de la
délimitation du marché ainsi que pour la question de
la détermination de la position dominante de Deutsche
Bahn. En effet, c’est le marché allemand de courant
électrique ferroviaire qui constitue le point de départ
tant pour la procédure devant la Commission que pour
l’action privée en dommages et intérêts.
L’on se pose ainsi la question de savoir pourquoi le
Tribunal régional de Francfort a choisi de se passer de la
décision d’engagement de la Commission. La principale
justification réside certainement dans l’évidence même
du caractère infractionnel des faits en cause. En effet,
la détention de la position dominante sur le marché du
courant électrique ferroviaire par Deutsche Bahn est incontestable. En outre, la feuille des prix qui d’ailleurs n’est pas
contestée par les parties contient clairement les clauses de
rabais. Dès lors, il n’était pas nécessaire de recourir à la
décision de la Commission pour pouvoir établir l’existence d’une discrimination abusive. À comparer avec les
difficultés de preuve que l’on rencontre habituellement
dans le cadre d’actions en dommages et intérêts pour
violation du droit de la concurrence, il faut admettre que
l’affaire dont le Tribunal régional de Francfort a été saisi
constitue une exception. La solution qui en résulte ne
saurait facilement être transposée à d’autres cas d’abus
de position dominante.
Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art.
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d’un prix de marché hypothétique qui serait appliqué
au cas où la défenderesse n’aurait pas eu recours à la
pratique discriminatoire de rabais sur les charges. Ce prix
de marché hypothétique correspond au prix appliqué aux
entreprises ferroviaires appartenant au même groupe que
la défenderesse au moyen du rabais sur les charges. Étant
donné que c’est à ses filiales que la défenderesse offre la
partie la plus importante de sa production du courant
électrique ferroviaire, il convient de considérer le prix
appliqué aux filiales comme le prix du marché. C’est à
bon droit que la demanderesse réclame le remboursement de la différence entre le prix qu’elle a dû payer et le
prix de marché hypothétique. Le tribunal écarte l’objection de “passing on-defense” étant donné que la partie à
laquelle incombe la charge de la preuve n’a rien produit à
ce sujet. Le tribunal exclut également – notamment dans
le cadre de l’examen de l’article 102 TFUE – la possibilité d’invoquer le privilège reconnu aux sociétés membres
d’un groupe donné : la défenderesse n’est pas autorisée
à appliquer une tarification préférentielle aux entreprises
appartenant à son groupe.
En fondant son jugement sur la simple pratique abusive
de discrimination à l’égard d’un partenaire commercial, le Tribunal régional de Francfort a réussi à éviter
de procéder à l’exercice combien exigeant qui consisterait à comparer les coûts et les prix. Ces comparaisons
auraient cependant été nécessaires tant pour apporter
la preuve de violation du droit de la concurrence que
pour calculer le montant des dommages et intérêts qui
en résultent, au cas où le tribunal aurait retenu l’infraction de compression des marges comme l’avait fait la
Commission. Dans l’exposé des motifs de son jugement,
le Tribunal régional de Francfort parle de manière
générale d’une “pratique abusive de discrimination
prohibée par l’article 102 TFUE”, pratique consistant
pour une entreprise en position dominante à appliquer
à l’égard de partenaires commerciaux des conditions
inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant
de ce fait un désavantage dans la concurrence. Sur ce
point, le tribunal se réfère plus précisément à l’exemple
énuméré à l’article 102, alinéa 2 lit. c) TFUE. Le choix
de cette approche n’est pas sans intérêt. En effet, la
preuve de violation du droit de la concurrence au sens
de l’article 102, alinéa 2 lit. c) TFUE n’est pas soumise
à de hautes exigences. Comme l’a si bien constaté le
Tribunal régional de Francfort, les rabais progressifs qui
sont conçus tels que l’atteinte du niveau maximal est plus
compliquée qu’aux niveaux précédents constituent en
principe une discrimination abusive. Aussi est-il logique
que le tribunal qualifie le système de rabais rétroactif
sur les charges, pratiqué par Deutsche Bahn, d’atteinte à
l’exercice normal de la concurrence. Il convient toutefois
de se demander si le cas sous examen rentre effectivement dans le champ d’application de l’article 102,
alinéa 2 lit. c) TFUE. Il faut rappeler que c’est sur le
marché en aval que Deutsche Bahn a réservé un traitement préférentiel aux entreprises ferroviaires membres de
son propre groupe au détriment des entreprises concurrentes. Il en résulte une primary-line discrimination qui
en principe devrait être examinée sur base de la disposition générale de l’article 102, alinéa 1 TFUE (voir
Eilmansberger/Bien, in : Münchener Kommentar zum
europäischen Wettbewerbsrecht, Artikel 102 Rn. 275).
Dans une affaire similaire portée devant les juridictions
européennes dans le passé et concernant toujours la
Deutsche Bahn, le Tribunal de l’Union européenne avait
recouru à l’article 102, alinéa 2 lit. c) TFUE (EuG, arrêt
du 21 oct. 1997, T-229/94, voir paragraphes 77 et 93).
Cela paraît évident surtout lorsque l’entreprise qui détient
la position dominante sur le marché est une entreprise
publique comme c’est le cas ici. En effet, contrairement
aux entreprises privées, les entreprises publiques
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
225
Il reste à savoir s’il n’était possible d’admettre certains
motifs de justification en faveur de la différence de traitement réservé par Deutsche Bahn aux entreprises
ferroviaires membres de son groupe. Il semble qu’aucun
motif de justification invoqué par la défenderesse n’a pu
convaincre le tribunal. Le système de rabais en cause ne
pouvait surtout pas servir de moyen de fidélisation des
clients. Étant donné qu’il s’agit des entreprises membres
d’un groupe, lesquelles ne disposent pas de pouvoir de
décision autonome par rapport à la société mère, il n’était
pas nécessaire de leur accorder en plus un rabais sur les
charges.
Ce qui est surprenant dans ce jugement, c’est à la fois
la procédure utilisée par le tribunal pour l’évaluation
ou mieux la quantification du préjudice et le résultat
auquel il est parvenu. Le tribunal se fonde certes sur un
prix hypothétique de marché, mais il n’indique nulle part
comment il a obtenu ce prix. Au contraire, il se limite à
renvoyer à la disposition du paragraphe 287 du code de
procédure civile qui s’applique généralement aux actions
en dommages et intérêts pour violation du droit de la
concurrence. La quantification du préjudice constitue
sans doute l’une des tâches les plus difficiles auxquelles
le tribunal doit faire face dans le cadre d’une action en
dommages et intérêts fondée sur la violation du droit de
la concurrence. Aussi la Commission a-t-elle jugé nécessaire d’adopter un guide pratique non contraignant ayant
notamment pour objet d’offrir aux juridictions nationales
une gamme des méthodes de quantification du préjudice
en cas d’actions en dommages et intérêts fondées sur la
violation du droit de la concurrence (Guide pratique
relatif à la quantification du préjudice dans les actions
en dommages et intérêts fondées sur des infractions à
l’article 101 ou 102 du Traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne – document de travail accompagnant
la communication de la Commission du 13 juin 2013, JO
C 167/19 ; voir J. Bernhard, NZKart 2013, S. 488 ff.). La
méthode préférée de la Cour fédérale de justice (BGH)
est celle dite de marché analogue. Celle-ci demeure d’ailleurs, dans la pratique, la méthode la plus utilisée. Elle
consiste à comparer les prix pratiqués par les entreprises
participant à une entente illicite aux prix habituels sur les
marchés analogues (J. Bernhard, NZKart 2013, p. 488,
489 f.). Même si l’application de cette méthode s’avère en
partie difficile surtout en matière de contrôle des abus de
position dominante, il convient d’admettre que le résultat
auquel a abouti le Tribunal régional de Francfort n’est
226
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
pas convaincant. En effet, le tribunal n’indique pas clairement pourquoi il considère le prix du niveau maximal
des rabais comme étant le prix réel du marché. Dans
tous les cas, l’on ne peut pas se fonder sur le fait que la
quantité la plus importante du courant électrique ferroviaire était livrée aux entreprises appartenant au groupe
de la défenderesse pour considérer automatiquement le
prix appliqué à ces entreprises comme le prix du marché.
Il faut plutôt se poser la question de savoir si la défenderesse avait la possibilité de tenir le niveau maximal des
rabais au cas où elle fournirait de l’électricité au même
prix à tous les clients. Il n’est pas certain que le prix du
dernier palier des rabais serait facile à calculer si plus
d’un quart de la quantité totale du courant était offert
auparavant à un prix plus élevé. Ainsi, il est possible que
la défenderesse ait appliqué aux autres entreprises un
prix plus élevé afin de lui permettre d’offrir un tarif préférentiel aux entreprises membres de son propre groupe. Il
faudrait par conséquent considérer comme prix hypothétique du marché le prix moyen de différents niveaux
des rabais, lequel prix devrait suffisamment prendre en
compte les quotes-parts de différents clients. Enfin les
dommages et intérêts accordés par le Tribunal régional de
Francfort à la demanderesse semblent disproportionnés,
ce qui paraît on ne peut plus problématique au regard de
l’article 3, alinéa 3 de la nouvelle directive relative aux
actions en dommages et intérêts fondées sur la violation
du droit de la concurrence (2014/104/EU).
B. B. n
À noter
Arbitrage du sport - Abus de position
dominante – Conditions non équitables :
La Cour d’appel de Munich déclare nulle
une clause compromissoire en faveur du
Tribunal Arbitral du Sport (TAS), en jugeant
que la conclusion d’un tel accord avec
une athlète constituait un abus de position
dominante de la fédération sportive en
raison des doutes concernant l’indépendance des arbitres siégeant au TAS (CA de
Munich, 15 janv. 2015, Pechstein, U 1110/14 (Kart))
La Cour fédérale de justice allemande est saisie d’une
affaire dont l’issue pourrait avoir des conséquences non
seulement pour l’arbitrage allemand, mais aussi pour l’arbitrage international en matière des sports. Il s’agit de la
révision de l’arrêt rendu dans l’affaire Pechstein, du nom
de la demanderesse et célèbre patineuse de vitesse Claudia
Pechstein. La Cour fédérale devrait examiner le recours
déposé par la Fédération internationale de patinage
contre l’arrêt de la Cour d’appel de Munich faisant objet
du présent commentaire. Cet arrêt, estime le Tribunal
Arbitral du Sport (TAS), serait de nature à compromettre les principes de base de l’arbitrage international
(voir la communication du Tribunal du 27 mars 2015,
disponible sur http://www.tas-cas.org/fileadmin/user_
upload/CAS_statement_FRANCAIS.pdf). De même, la
doctrine allemande consacrée aux questions d’arbitrage
Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art.
L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document
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sont particulièrement tenues de respecter les droits
fondamentaux, notamment le principe d’égalité au sens
de l’article 3, alinéa 1 de la Loi fondamentale allemande.
Par conséquent, il importe d’examiner de manière
beaucoup plus sévère toute différence de traitement des
entreprises qui interviennent au même niveau d’activités
économiques, qu’il s’agisse des entreprises appartenant
ou non au groupe de l’entreprise détentrice de la position
dominante. Même si le Tribunal régional de Francfort
ne se réfère pas au fait que la Deutsche Bahn appartient à
100 % à la République fédérale d’Allemagne, il aboutit au
même résultat que le Tribunal de l’Union européenne en
ce qu’il fonde son jugement sur le prescrit de l’article 102,
alinéa 2 lit. c) TFUE.
Problématique de la validité d’une clause
excluant le recours aux juridictions
étatiques contre des mesures disciplinaires
d‘une association sportive
La Cour d’appel de Munich, saisie en appel du jugement
du Tribunal régional de Munich, devait se prononcer sur la
question de savoir si la clause compromissoire acceptée par
une athlète en faveur du TAS ainsi que la sentence arbitrale
qui en résulte excluent l’action en dommages et intérêts
intentée par l’intéressée contre la Fédération internationale de patinage (ISU). La cour devait particulièrement
déterminer si la Fédération internationale de patinage,
en exigeant des athlètes une clause compromissoire en
faveur du TAS, avait abusé de sa position dominante sur le
marché, du fait que cette clause constituait une condition
contractuelle que la Fédération n’aurait pas été en mesure
d’imposer aux athlètes dans les conditions normales
de concurrence. C’est ce que l’on désigne par “abus de
condition” au sens du paragraphe 19, al. 2, point 2 de la
loi contre les restrictions de la concurrence (GWB).
La sentence du TAS relative à la décision
de suspension pour dopage rendue par
la Fédération internationale de patinage
contre la patineuse allemande
La demanderesse Claudia Pechstein est une célèbre
patineuse allemande et quintuple championne olympique.
Elle avait été contrôlée positive au dopage lors du championnat mondial de patinage de vitesse organisé à Hamar
(Norvège) en 2009. À cause de la forte concentration
de réticulocytes découverte dans son sang, la commission disciplinaire de la Fédération internationale de
patinage l’avait suspendue pour deux ans. Pour participer au championnat de Hamar, Pechstein avait signé un
formulaire de participation préétabli par la Fédération,
lequel formulaire contenait une clause compromissoire
en faveur du TAS basé à Lausanne en Suisse. Le recours
déposé par Pechstein devant le TAS contre la décision de
la Commission de discipline était sans succès. De même,
le recours en annulation de la sentence arbitrale déposé
devant le Tribunal fédéral suisse a été rejeté (arrêt du
28 septembre 2010, Aff. n° 4A 144/2010). Enfin, l’athlète
s’était tournée vers les juridictions allemandes et avait
saisi le Tribunal régional de Munich. Ici également
l’action de Pechstein tendant à faire établir le caractère
illicite de la suspension pour dopage qu’elle encourait et
à obtenir par conséquent les dommages et intérêts pour le
préjudice matériel et moral subi n’a pas pu aboutir. C’est
seulement au niveau d’appel que la demanderesse obtint
partiellement gain de cause. En effet, la Cour d’appel de
Munich a, dans son arrêt partiel, jugé le recours irrecevable en ce qui concerne la demande de constatation
d’illicéité, mais donné lieu à l’action en dommages et
intérêts.
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parle de la consécration de l’arrêt Bosman dans l‘arbitrage en matière des sports (allusion faite à l’arrêt de
la CJUE du 15 décembre 1995 (C-415/93) concernant
différentes restrictions qui étaient imposées aux joueurs
professionnels dans l’Union européenne au mépris de
la liberté de circulation des travailleurs garantie par
l’article 45 TFUE). L’arrêt de la Cour d’appel de Munich
a par contre suscité moins de passion dans la doctrine
relative au droit de la concurrence.
L’exigence d’une clause compromissoire
en faveur du TAS non paritaire constitue
un abus de position dominante
La Cour d’appel de Munich a déclaré nulle la clause
compromissoire. Elle a estimé que le fait, pour la
Fédération internationale de patinage, de conditionner
la participation des athlètes à des compétitions sportives
à la conclusion d’une clause compromissoire en faveur du
TAS constitue un abus de position dominante. La Cour
avait retenu comme marché matériel pertinent le marché
d’organisation des compétitions sportives internationales
pour le patinage de vitesse, un marché où la Fédération
internationale de patinage détenait le monopole en vertu
du système des fédérations sportives dit de système d’une
place (une seule fédération – nationale et internationale –
par type de sport). L’obligation d’acceptation d’une
clause compromissoire en faveur du TAS constitue, selon
la Cour, une condition contractuelle que la Fédération ne
serait certainement pas à mesure d’imposer aux athlètes
dans les conditions normales de concurrence. Toutefois,
ce n’est pas l’exigence d’une telle clause en faveur d’un
tribunal arbitral en soi qui constitue d’emblée un abus
de position dominante. Au contraire, l’existence d’un seul
tribunal arbitral international sert de gage de cohérence
des décisions rendues en droit des sports et assure en
même temps l’égalité des chances à tous les athlètes.
L’abus de position dominante réside cependant dans le
fait que la clause compromissoire concernait spécialement le TAS, une instance dont l’indépendance peut être
remise en cause en raison de l’influence dont disposent
les fédérations sportives à travers l’organisation de la
procédure applicable, surtout dans le choix des arbitres.
Le fait pour les athlètes d’accepter la compétence de ce
tribunal arbitral en dépit du doute concernant son indépendance se justifie essentiellement par la détention de
position dominante sur le marché par la Fédération internationale de patinage. La Cour d’appel de Munich refuse
de reconnaître la sentence arbitrale du TAS au motif
que la reconnaissance de cette décision risquerait de
perpétuer l’abus de situation de monopole dont jouit la
Fédération internationale de patinage.
Nécessité d’une réforme de l’arbitrage
international en matière des sports comme
conséquence de l’affaire Pechstein ?
Il est clair que l’arrêt de la Cour d’appel de Munich,
même s’il n’est pas cassé par la Cour fédérale de justice
qui pourrait se prononcer au courant de l’année 2016,
ne sonne pas la fin de l’arbitrage en matière des sports.
Toutefois la procédure du TAS, particulièrement les
règles relatives à la désignation des arbitres, nécessite
une profonde réforme. Les représentants des athlètes
devraient jouir de mêmes pouvoirs que ceux reconnus
aux arbitres désignés par les fédérations sportives.
F. B. – R. M. n
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
227
Entente – Chose jugée – Tiers –
Programme de clémence : Le Conseil
d’État italien considère que l’effet de la
chose jugée découlant de l’annulation
définitive d’une décision de l’Autorité
de la concurrence ne peut s’étendre
aux tiers qu’à certaines conditions dont
l’appréciation relève du pouvoir souverain
du juge (CE, 20 oct. 2015, Services d’agence
maritime, RG n° 05827/2015, publié le 29 janv. 2016)
Par un arrêt du 20 octobre 2015, publié le 29 janvier 2016,
le Conseil d’État a affirmé que les entreprises qui n’ont
pas contesté la sanction infligée par l’Autorité garante
de la concurrence et du marché (ci-après “AGCM”) ne
peuvent pas bénéficier de l’annulation de la décision
prononcée ensuite par les juridictions de contrôle en
faisant droit au recours formé par des cartellistes ayant
participé à la même entente illicite.
En 2012, dans le cadre du programme de clémence,
l’AGCM avait sanctionné une entente limitative de
concurrence au sens de l’article 101 du TFUE visant à
fausser le marché des services d’agence maritime par le
biais d’une augmentation concertée des redevances en
rémunération des services d’agence. Le cartel avait été
mis en œuvre par un groupe de société, la société Maersk
Italia Hapag ayant par la suite bénéficié de l’immunité
dans le cadre du programme de clémence, la société
Hapag-Lloyd Italy (ci-après “HL”) ayant bénéficié d’une
réduction d’amende dans le cadre du même programme
et d’autres sociétés qui n’ont eu aucun aménagement de
la sanction. Les entreprises qui n’avaient pas bénéficié
du programme de clémence avaient formé un recours
contre la décision de l’Autorité de concurrence ; elles
avaient notamment demandé l’annulation de la décision
et contesté la caractérisation de l’infraction et la quantification de l’amende, en interpellant HL qui, en revanche,
n’a formé aucun recours contre la décision ayant réduit
l’amende que l’AGCM lui aurait autrement infligée en
l’absence de l’application du programme de clémence.
En 2013, le Tribunal administratif régional du Latium
(ci-après “TAR Latium”), juge compétent en première
instance pour les recours contre les décisions de l’AGCM,
avait annulé la décision de celle-ci, estimant que l’entente
horizontale illicite n’était pas caractérisée. En 2014, le
Conseil d’État avait confirmé la décision du TAR Latium
et HL avait sollicité la restitution du montant payé et
des intérêts moratoires. Toutefois, l’AGCM avait rejeté
cette demande, en justifiant ce refus sur le fondement de
l’article 2909 du Code civil en vertu duquel l’effet de l’autorité de chose jugée s’étend aux seules parties au litige.
Or, au cas d’espèce, HL n’avait pas formé de recours
contre la décision de l’AGCM ; elle ne pouvait donc pas
bénéficier de l’autorité de la chose jugée du jugement
définitif ayant annulé cette décision. La société a alors
formé un recours devant le TAR Latium mais ce dernier,
par un arrêt rendu le 30 avril 2015, a estimé que la société
était désormais privée d’intérêt à agir pour demander la
228
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
répétition de la somme payée, étant donné qu’elle n’avait
pas été partie à la procédure devant les juridictions de
contrôle, pour son simple choix ; la décision de l’AGCM
était donc définitive à son égard (sur cet arrêt, voir notre
commentaire “Le Tribunal administratif du Latium
considère qu’une entreprise n’ayant pas fait de recours
contre la décision par laquelle l’Autorité de concurrence
l’a sanctionnée, ne peut pas ensuite bénéficier de l’annulation prononcée par la juridiction de contrôle qui a été
saisie par les autres membres de l’entente”, Concurrences
n° 3-2015, p. 201). HL a alors formé un recours devant le
Conseil d’État mais ce dernier, par un arrêt du 20 octobre
2015, publié le 29 janvier 2016, a rejeté l’ensemble des
arguments invoqués par l’entreprise qui a tenté de
démontrer que la chose jugée relative à l’inexistence d’un
accord restrictif de concurrence concerne l’ensemble
des cartellistes indépendamment de l’exercice par ces
derniers d’un recours contre la décision de l’Autorité
de concurrence qui, dans un premier temps, les avaient
sanctionnées, le préalable indispensable pour octroyer la
sanction faisant désormais défaut.
Le tiers n’est pas titulaire d’un droit à
demander l’exécution de la chose jugée
d’une décision à laquelle il est étranger
En s’appuyant sur sa jurisprudence consolidée (voir
notamment CE, Section VI, arrêt du 5 déc. 2005,
n° 6964), le Conseil d’État a affirmé dans un premier
temps qu’en vertu de l’article 2909 du Code civil,
peuvent demander l’exécution d’une décision administrative toutes les parties qui ont participé à la procédure à
l’issue de laquelle le juge a prononcé la décision qui fait
par la suite l’objet d’une demande d’exécution. Dans
des circonstances particulières, on admet la possibilité
pour les tiers de présenter un recours en exécution de la
décision qui leur est favorable. À cette fin, il faut réunir
les conditions suivantes : la chose jugée concerne l’annulation d’une décision administrative ; l’effet erga omnes ne
concerne que la partie de la décision qui vise à annuler
l’acte attaqué ; la chose jugée doit porter sur un acte
collectif ou un acte indivisible pour une pluralité de destinataires et ayant un contenu indissociable. Néanmoins,
la réunion de ces conditions ne confère pas de droit
aux tiers pour demander l’exécution d’une décision qui
leur est favorable, le juge administratif ayant un pouvoir
largement discrétionnaire d’étendre les effets de la chose
jugé aux tiers au litige.
L’application du programme de clémence
n’empêche pas, par la suite, de contester
la décision au fond et la caractérisation
juridique de l’infraction par l’Autorité
de la concurrence
Pour bénéficier en tant que tiers de l’annulation par
le juge administratif de la décision ayant sanctionné
le cartel, HL avait souligné qu’elle avait obtenu une
réduction de la sanction en application du programme de
clémence dans le cadre de la même procédure qui avait
abouti à la condamnation des autres cartellistes, blanchis
ensuite par les juridictions de contrôle. Pour la société,
Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art.
L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document
constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection.
2. Italie
Le Conseil d’État a rejeté cet argument, estimant que
le fait d’avoir obtenu une réduction de la sanction en
application du programme de clémence n’empêche pas à
l’entreprise bénéficiaire de présenter un recours contre la
décision prise par l’Autorité de concurrence à l’issue de la
procédure de clémence. En effet, pour le Conseil d’État,
la simple collaboration “n’implique pas une abdication
inconditionnée de celui qui coopère à l’évaluation et la
qualification juridique effectuée par l’AGCM” des faits
dénoncés par le demandeur de clémence, ce devoir de
collaboration cessant avec la conclusion de la procédure
de clémence. Comme l’avait déjà souligné le TAR Latium,
le Conseil d’État a affirmé que la collaboration requise
par ce programme consiste à fournir de façon spontanée
à l’Autorité des informations ou des preuves documentaires relatives à l’existence d’une entente alors que le
pouvoir de caractériser juridiquement les faits revient à
la seule Autorité. L’infraction figurant dans la décision
de l’AGCM peut s’avérer différente de celle avouée par
le demandeur de clémence et ce dernier “garde un intérêt
distinct à contester en justice la décision de sanction” qui
est défavorable à ses intérêts au regard de l’infraction
en cause. Cet intérêt existe d’autant plus que l’entreprise ayant collaboré dans le cadre d’un programme de
clémence reste exposée aux conséquences d’une éventuelle action en justice en réparation du préjudice causé
aux victimes de l’infraction anticoncurrentielle. À la
lumière de ces considérations, le ratio et le champ d’application du programme de clémence ne peuvent pas exclure
la légitimation et l’intérêt à agir d’un demandeur de
clémence dans la procédure visant à annuler la décision de
l’Autorité de concurrence. Le demandeur de clémence est
alors totalement libre de contester l’acte ; s’il n’agit pas,
il ne peut pas invoquer sa participation au programme
de clémence pour justifier son comportement passif.
À défaut d’avoir présenté un recours contre la décision
de sanction prononcée par l’Autorité de concurrence, il
ne pourra pas demander l’exécution de la décision définitive d’annulation à laquelle il est désormais étranger,
puisque celle-ci produira ses effets exclusivement entre les
parties à la procédure.
Les entreprises ayant participé à une entente
unique et complexe sont titulaires
de situations juridiques distinctes
Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art.
L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document
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le fait de lui empêcher d’agir en exécution de la décision
définitive des juridictions de contrôle serait contraire avec
les principes européens d’effectivité et d’équivalence et
les principes au fondement des programmes de clémence,
puisqu’on découragerait la collaboration des participants au programme de clémence ; pire, on favoriserait
des conduites opportunistes des potentiels demandeurs
de clémence. En outre, la non reconnaissance de la légitimation à agir en exécution d’une décision qui lui est
favorable serait contraire au principe de protection
juridictionnelle effective puisque le demandeur à un
programme de clémence qui avoue sa responsabilité
devant l’Autorité de concurrence afin d’obtenir une
réduction de sanction n’aurait pas les moyens effectifs
pour la restitution du montant payé pour une infraction
qui s’est ensuite révélée inexistante, se trouvant dès lors
dans une position qui est paradoxalement pire que celle
des entreprises qui ne collaborent pas à la découverte de
conduites potentiellement illicites.
Le Conseil d’État a précisé que peu importe le moyen
par lequel l’entente au fondement de la décision de
l’AGCM annulée par la suite a été découverte. En effet,
la décision de l’Autorité “n’est pas un acte indivisible
mais pluriel, chaque entreprise concernée étant titulaire
d’une position juridique distincte” et “destinataire d’une
sanction pécuniaire juridiquement distincte”. Autrement
dit, même si le fait générateur de responsabilité est
identique, il existe une “pluralité autonome de rapports”,
chaque entreprise étant titulaire d’une position juridique
ayant un “caractère autonome, différencié et exclusif ”
des positions des autres entreprises concernées. Certes,
comme cela a été souligné précédemment, selon la jurisprudence consolidée, les effets de la chose jugée peuvent
s’étendre aux tiers à condition que l’acte annulé soit
collectif ou indivisible avec un contenu indissociable,
mais cela n’est pas le cas en l’espèce.
L’effet de la chose jugée de l’article 2909
du Code civil est conforme au droit de
l’Union
Quant à l’incompatibilité de l’article 2909 du Code civil
qui consacre l’effet inter partes de la chose jugée avec
les principes de l’Union, le Conseil d’État a balayé cet
argument, en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour
de justice. Ainsi, la Cour a déjà affirmé qu’“il y a lieu
de rappeler l’importance que revêt, tant dans l’ordre
juridique communautaire que dans les ordres juridiques
nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée.
En effet, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit
et des relations juridiques qu’une bonne administration
de la justice, il importe que les décisions juridictionnelles
devenues définitives après épuisement des voies de recours
disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces
recours ne puissent plus être remises en cause (arrêts du
30 septembre 2003, Köbler, C-224/01, Rec. p. I-10239,
point 38, et du 16 mars 2006, Kapferer, C‑234/04, Rec.
p. I-2585, point 20). Partant, le droit communautaire
n’impose pas à une juridiction nationale d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité
de la chose jugée à une décision, même si cela permettrait
de remédier à une violation du droit communautaire par
la décision en cause (…). En l’absence de réglementation
communautaire en la matière, les modalités de mise en
œuvre du principe de l’autorité de la chose jugée relèvent
de l’ordre juridique interne des États membres en vertu
du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers”
à condition de respecter le principe d’équivalence et le
principe d’effectivité (CJUE, arrêt du 3 septembre 2009,
Fallimento Olimpiclub, C‑2/08, points 22 et ss.).
En outre, la Cour de justice a affirmé dans le passé
que “l’autorité d’un motif d’un arrêt d’annulation ne
peut s’appliquer au sort de personnes qui n’étaient pas
parties au procès et à l’égard desquelles l’arrêt ne peut
dès lors avoir décidé quoi que ce soit” (CJCE, arrêt du
14 septembre 1999, Commission des Communautés
européennes c/ AssiDomän Kraft Products AB et alii,
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
229
Au regard de cette jurisprudence, le Conseil d’État a
tiré la conclusion que l’article 2909 du Code civil n’est
contraire ni au droit de l’Union ni aux dispositions du
programme de clémence. Premièrement, l’application
de la chose jugée aux seules parties au procès trouve sa
justification dans l’exigence de délimiter la retombée des
effets des décisions définitives aux seules parties qui les
ont invoquées par le biais de leurs recours ; sinon, toute
personne pourrait profiter du recours d’autrui, ne présentant aucun recours alors qu’elle a la légitimation pour le
faire. Deuxièmement, cette disposition n’est pas discriminatoire, car elle prévoit des conséquences différentes pour
des situations qui sont différentes. Troisièmement, cette
disposition ne porte pas atteinte aux principes d’équivalence et d’effectivité consacrés par la jurisprudence
européenne puisque la solution retenue est la même tant
en cas d’application du droit européen qu’en cas d’application du droit national. Enfin, le demandeur de
clémence n’est pas dans une position plus défavorable
que les autres cartellistes qui n’ont pas collaboré puisque
s’il ne bénéficie pas de la chose jugée découlant de l’annulation définitive de la décision de l’AGCM, ce n’est pas en
raison de sa collaboration dans le cadre du programme
de clémence mais parce qu’il a décidé de ne pas présenter
de recours contre la décision de l’AGCM. Autrement dit,
l’entreprise qui a renoncé au recours “n’a pas participé
à la formation de la décision ayant autorité de chose
jugée”. Le Conseil d’État a par conséquent rejeté le
recours de HL.
Au final, comme l’ont souligné certains praticiens, l’entreprise ayant bénéficié du programme de clémence ne
doit pas oublier qu’elle garde un intérêt à former un
recours contre la décision de l’Autorité de concurrence.
Si elle décide de ne pas présenter de recours, elle s’expose
au risque de devoir payer une amende pour une infraction inexistante si les juridictions de contrôle annulent
intégralement la décision de l’Autorité de concurrence.
S. P. n
230
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
Pratique commerciale déloyale et
mensongère – Action de groupe – Phase
d’admissibilité : Le Tribunal de Venise
rejette une action de groupe dans le cadre
du scandale des moteurs truqués équipant
des voitures diesel (Trib. de Venise, ord. du
4 nov. 2015, Altroconsumo c/ Volkswagen AG e
Volkswagen Group Italia, publiée le 12 janv. 2016)
Fin février 2016, des centaines de plaignants issus de
cinquante États américains ont déposé une plainte collective contre le groupe Volkswagen dans le cadre du scandale
des moteurs truqués équipant ses voitures diesel à laquelle
vient s’ajouter la plainte de la FTC visant à obtenir des
indemnisations pour les consommateurs en réparation du
préjudice découlant des pratiques déloyales et mensongères
du groupe. Plus récemment, en Allemagne, 278 investisseurs institutionnels ont décidé d’agir contre le groupe
et le cabinet d’avocats qui les représentent a également
déposé des plaintes dans le cadre de la “procédure modèle”
réservée aux actionnaires. Quelques temps auparavant,
l’Ordre des avocats de Paris a lancé une plateforme pour
permettre aux justiciables de se fédérer et de présenter des
demandes similaires, chacun dans le cadre d’une procédure
individuelle. Parallèlement, en Italie, une association de
consommateurs agréée au niveau national a lancé une
action de groupe contre le producteur et la société chargée
de la distribution des véhicules en Italie devant le Tribunal
de Venise afin d’obtenir la réparation du préjudice causé
aux consommateurs du fait de la mise en œuvre d’une
pratique commerciale déloyale consistant à diffuser des
données erronées ou inexactes sur les émissions polluantes
et la consommation de carburant de certains modèles
du groupe de nature à fausser de manière appréciable le
comportement économique du consommateur moyen.
Estimant que la conduite mise en œuvre par le groupe
Volkswagen avait un caractère pluriel en raison de l’atteinte
aux droits individuels des consommateurs se trouvant
dans une situation homogène, l’association de consommateurs a introduit une action de groupe (nommée action
de classe) qui, à l’instar des modèles nord-américains,
se caractérise par deux phases. La première, qui prend
la forme d’une ordonnance, vise à contrôler l’admissibilité de l’action et, en cas d’issue favorable, à préciser les
modalités pour adhérer au groupe ; la seconde permet au
juge de statuer sur le fond. L’article 140bis du Code de
la consommation qui consacre l’action de classe prévoit
plusieurs hypothèses d’inadmissibilité de la demande du
groupe (une réforme est en cours afin de réformer cet outil
procédural en le déplaçant dans le Code de procédure
civile ; pour un aperçu, voir notre focus “Action de groupe
italienne”, Contrats Conc. Consom., 2015, n° 5, p. 3). En
l’espèce, le Tribunal de Venise qui avait été sollicité pour
déclarer recevable l’action de classe, permettre l’accès à
la base de données de l’ACI – entité publique opérant
dans le secteur automobile – en vue d’assurer la publicité
nécessaire au profit des éventuels adhérents au groupe,
et obtenir la divulgation de la documentation relative au
cycle d’homologation NEDC (New European Driving
Cycle) ainsi qu’une expertise judiciaire, a déclaré inadmissible l’action à défaut d’avoir démontrer l’existence
de droits individuels homogènes.
Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art.
L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document
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C-310/97 P). Enfin, “le principe de la sécurité juridique
(…) s’oppose (…) à ce que, dans une hypothèse où
plusieurs décisions individuelles similaires infligeant des
amendes ont été adoptées dans le cadre d’une procédure
commune et où certains destinataires seulement ont
poursuivi et obtenu l’annulation en justice des décisions
les concernant, l’institution dont elles émanent doive, à la
demande d’autres destinataires, réexaminer, à la lumière
des motifs de l’arrêt d’annulation, la légalité des décisions
non attaquées et apprécier si, sur la base de cet examen,
il y a lieu de procéder à un remboursement des amendes
versées” (Id., point 63).
La défenderesse avait affirmé que l’action de classe était
irrecevable du fait que les droits individuels des éventuels
membres du groupe n’étaient pas homogènes : l’association de consommateurs s’était limitée à invoquer
l’existence d’une causa petendi commune (l’achat du
véhicule) alors que pour établir l’homogénéité des droits
individuels, il faut prouver que le préjudice invoqué est
standardisé, la recevabilité de l’action de groupe étant
exclue lorsque cette action implique l’examen de situations
spécifiques à chaque adhérent au groupe. Le Tribunal de
Venise a accueilli partiellement cet argument, en tenant
compte de la jurisprudence la plus récente. Ainsi, dans
un arrêt du 9 décembre 2013, le Tribunal de Milan a déjà
affirmé que la prédominance de questions de fait et de
droit “personnelles” ne permet pas de retenir l’homogénéité des droits individuels, empêchant ainsi de franchir
la première étape de la procédure de l’action de groupe.
Au cas d’espèce, le Tribunal de Venise a constaté qu’audelà de l’existence d’une causa petendi commune (l’achat
du véhicule), le préjudice patrimonial dont l’association
fait état est déterminé à partir d’“une pluralité de facteurs
subjectifs et objectifs extérieurs au simple fait de l’achat
du véhicule qui rendent nécessaire l’examen de situations hétérogènes” qui sont en contradiction avec l’esprit
sous-jacent à l’action de groupe. Au final, pour le juge, l’association n’a pas établi l’existence d’une base commune
des droits individuels invoqués au soutien de la demande
de recevabilité de l’action de groupe. L’homogénéité des
droits est donc entendue dans le sens d’une communauté
de questions de fait et de droit au fondement de l’action
de groupe. En revanche, le fait que l’étendue du préjudice
subi par les éventuels adhérents au groupe soit différente selon les cas n’a aucune incidence sur la décision
de recevabilité de l’action de classe. En effet, l’évaluation
du préjudice ne relève pas de la phase d’admissibilité de
l’action (Cour d’appel de Milan, arrêt du 3 mars 2014) et
par conséquent elle ne peut pas “affecter” la décision de
recevabilité (Tribunal de Rome, arrêt du 25 mars 2011).
L’association de consommateurs n’a pas
apporté de preuves suffisantes pour
démontrer la pratique commerciale déloyale
Le Tribunal de Venise s’est également prononcé sur le
fond même s’il faut rappeler qu’au stade de la recevabilité de l’action de groupe, le juge se contente d’effectuer
une analyse sommaire, la responsabilité de l’entreprise
en cause n’étant établie que dans le cadre de la deuxième
phase.
Le juge a rappelé tout d’abord la législation européenne,
notamment le règlement 692/2008 du 18 juillet 2008
relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des
émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers
et aux informations sur la réparation et l’entretien des
véhicules qui fixe les exigences techniques de réception
des véhicules et les limites d’émission, en uniformisant la méthodologie d’évaluation et en imposant aux
distributeurs de faire figurer ces informations dans le
catalogue des produits distribué aux points de vente par
le constructeur du véhicule. Or, contrairement à ce que
soutient l’association des consommateurs, la procédure
d’homologation des véhicules n’est pas mise en œuvre par
les constructeurs ; pour le groupe Volkswagen, les vérifications techniques ont lieu sous le contrôle d’une société
de service extérieure qui vérifie les tests d’homologation
et envoie un rapport à l’autorité d’homologation laquelle,
en cas d’avis favorable, procède à l’émission du certificat
d’homologation. En outre, au cas d’espèce, l’association a présenté des données issues d’un test réalisé par
un laboratoire qu’elle-même a sollicité afin de comparer
ces données avec celles communiquées aux consommateurs par la défenderesse mais l’enquête a été menée
sans contradictoire et sur la base d’une méthode qui
est différente de celle utilisée pour le déroulement des
tests d’homologation. Le juge a estimé que ces données
n’avaient pas de valeur probatoire au regard de la responsabilité du défendeur à l’action.
Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art.
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La prédominance de questions touchant
individuellement les membres potentiels
du groupe exclut l’existence de droits
individuels homogènes, condition
de recevabilité de l’action de groupe
Le Tribunal de Venise a donc déclaré irrecevable l’action
de classe et condamné l’association de consommateurs à
une partie des frais du litige et à la publication de l’ordonnance d’inadmissibilité. L’association de consommateurs
a décidé de faire appel.
S. P. n
À noter
Private Enforcement – Marché pertinent
– Concurrence déloyale – Évaluation du
préjudice : La Cour d’appel de Milan exclut
un abus de position dominante d’une
compagnie aérienne sur le marché de la
vente des billets et des services de voyage
et de tourisme mais confirme des actes de
concurrence déloyale (CA Milan, 26 juin 2015,
Ryanair c/ Viaggiare, n° RG 2796/2013, publiée le
12 oct. 2015)
Par un arrêt du 26 juin 2015, publié le 12 octobre de la
même année, la Cour d’appel de Milan a accueilli partiellement le recours que la compagnie aérienne Ryanair avait
formé contre le jugement du Tribunal de Milan lequel,
en 2013, l’avait condamnée pour avoir commis un abus
de position dominante en imposant aux consommateurs
l’achat de ses billets exclusivement par le biais de son site
Internet et de son call center, sans pouvoir s’adresser à
une agence de voyage et de tourisme. Pour mémoire, le
Tribunal l’avait également condamnée à indemniser une
agence de voyage en ligne – l’entreprise Viaggiare – pour
le dommage que la compagnie aérienne lui avait causé
en diffusant auprès du public des informations fausses et
constitutives d’actes de dénigrement. En revanche, le juge
milanais n’avait pas octroyé de dommages et intérêts sur
le fondement du droit des pratiques anticoncurrentielles,
car la plaignante s’était limitée à demander le constat de
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
231
Par le présent arrêt, la Cour d’appel de Milan a exclu
la violation de l’article 102 TFUE ; en revanche, elle a
confirmé la responsabilité au regard de la concurrence
déloyale.
Les conditions pour caractériser une
pratique abusive ne sont pas réunies
Au regard de l’éventuelle violation de l’article 102 TFUE,
la Cour d’appel de Milan a retenu que la délimitation
du marché pertinent s’avère “extrêmement laborieuse”
puisqu’au regard de la jurisprudence européenne, il
faudrait “découper le marché des vols en de nombreux
faisceaux de liaisons aériennes aptes dans une mesure
équivalente à permettre d’atteindre une destination d’un
point de départ”. Au lieu de retenir le marché des vols,
le Tribunal de Milan avait finalement défini le marché
pertinent comme le marché européen des services
d’agence de voyages et de tourisme. La Cour d’appel a
retenu cette délimitation, ayant des doutes quant au
caractère véritablement fragmenté du marché européen
des vols low cost. Toutefois, selon la Cour, sur le marché
en aval des services d’agence de voyages et de tourisme,
l’entreprise sanctionnée pour abus de position dominante
ne détient que 10 % des vols européens. Or, ni la jurisprudence européenne ni la pratique décisionnelle de la
Commission européenne ne retiennent un taux si bas
pour caractériser une position dominante : généralement,
il faut atteindre 50 % et, dans des circonstances exceptionnelles, 40 % du marché en cause. Dès lors, selon le
juge, “il apparaît difficile de penser que la politique
commerciale de (Ryanair) puisse entraîner une distorsion
de la concurrence sur le marché en cause, étant donné
que les agences de voyage peuvent avoir une activité d’intermédiation sur les vols des autres compagnies aériennes
et sur les services touristiques”. La restriction aurait pu,
en revanche, être retenue si la compagnie aérienne avait
une part de marché beaucoup plus importante ou s’il
existait des ententes commerciales avec les autres compagnies low cost. En outre, il est tout à fait légitime qu’une
entreprise ait sur son propre site Internet un lien avec
les sites d’autres entreprises qui proposent des services
touristiques, cette politique n’impliquant aucune restriction de concurrence. Autrement dit, il s’agit d’une simple
activité promotionnelle des sites en lien avec la compagnie
aérienne, sans que cela puisse fausser la concurrence
sur le marché en aval des services touristiques. Quant
au fait que l’entrave à toute activité intermédiaire des
services proposés n’est pas justifiée au regard du principe
de l’utilité sociale dont la protection de la concurrence
constitue une expression, en violation de l’article 41 de
la Constitution, la Cour d’appel de Milan a affirmé qu’il
suffit de conclure un accord de licence avec la compagnie
aérienne afin d’accéder au site de celle-ci.
232
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
Les déclarations de la compagnie aérienne
ont été fortement dérogatoires et
attentatoires à la réputation commerciale
de l’agence de voyage
Quant à la responsabilité de la compagnie aérienne sur
le terrain de la concurrence déloyale, la Cour d’appel
reprend l’analyse du Tribunal de Milan. On retiendra en
particulier la motivation relative à l’évaluation du préjudice. La Cour a rappelé que le préjudice peut être établi
par le biais de présomptions et fixé en équité. Le juge a
ainsi confirmé la condamnation de la compagnie aérienne
au paiement de 50 000 euros à la victime en réparation du
préjudice subi en raison de l’atteinte à sa réputation commerciale, compte tenu de la notoriété des parties.
S. P. n
3. Suisse
Clauses de parité – Restrictions verticales – Abus de position dominante :
La Commission de la concurrence suisse
interdit les clauses de parité pratiquées par
les trois plus grands gestionnaires de plateformes de réservation d’hôtels en ligne
(Comco, déc. du 19 oct. 2015, Booking.com, HRS,
Expedia (Plateformes de réservation d’hôtels en
ligne), publiée sur le site de la Comco)
La Commission de la concurrence suisse (“Comco”) a
ouvert une enquête le 11 décembre 2012 dirigée contre les
trois plus grands gestionnaires de plateformes de réservation d’hôtels en ligne, à savoir Booking.com, Expedia
et HRS. L’enquête avait pour objet les clauses de parité,
relatives aux tarifs, disponibilités de chambres et conditions concernant l’hébergement, conclues entre ces
trois agences de voyage en ligne et leurs hôtels partenaires
respectifs. En revanche, la Comco n’a pas examiné les
clauses moins restrictives introduites par Booking.com et
Expedia en 2015, suite aux engagements pris par Booking.
com auprès des autorités de la concurrence française, italienne et suédoise. Dans sa décision du 19 octobre 2015,
la Comco est arrivée à la conclusion que les clauses de
parité examinées étaient contraires à loi fédérale sur
les cartels (ci-après “LCart”) et a fait interdiction aux
trois gestionnaires de plateformes visés de recourir à
de telles clauses dans leurs accords avec les hôtels partenaires en Suisse. La décision se réfère aux procédures
qui ont été engagées dans plusieurs pays européens
ayant pour objet des pratiques similaires (notamment en
Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie, en France et en
Suède), à la législation introduite en France interdisant
les clauses limitant la liberté de l’hôtelier de consentir
au client tout rabais ou avantage tarifaire (art. 133 de la
Loi n° 2015-990 du 6 août 2015, “Loi Macron”), ainsi
qu’à un projet de loi similaire en Italie. Elle se fonde
à plusieurs reprises sur la décision de l’autorité allemande (Bundeskartellamt, décision du 20 décembre
Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art.
L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document
constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection.
l’infraction et n’avait pas prouvé que l’abus de position
dominante lui avait causé un préjudice (sur cet arrêt, voir
notre commentaire “Le Tribunal de Milan sanctionne une
compagnie aérienne pour abus de position dominante et
actes de concurrence déloyale”, Concurrences n° 4-2013,
p. 183).
Plateformes de réservation en ligne et
clauses de parité visées par l’enquête
Les gestionnaires de plateformes de réservation d’hôtels
en ligne agissent comme des intermédiaires entre les
hôtels partenaires et les clients finaux. Ils offrent la possibilité à ces derniers de chercher en ligne des hôtels et de
les comparer – notamment grâce à un système de classement (Ranking) –, puis d’obtenir immédiatement une
confirmation de réservation de chambre. Les hôtels partenaires fixent leurs prix, disponibilités et autres conditions
et concluent les contrats d’hébergement directement avec
les clients finaux. Les gestionnaires touchent une commission représentant un pourcentage du chiffre d’affaires
généré par les réservations conclues via leur plateforme,
ces commissions pouvant varier suivant les catégories
d’hôtels (hôtels individuels, chaînes d’hôtels, partenaires
privilégiés). Ainsi, le modèle commercial suivi par les gestionnaires de plateformes est celui de l’agence (Agency
Model) ; en particulier, les agences en ligne n’achètent pas
de nuitées pour les revendre (Merchant Model).
L’enquête a porté sur les clauses de parité relatives aux
tarifs, disponibilités de chambres et autres conditions
(délais de réservation, conditions d’annulation, heures
d’arrivée, etc.) pratiquées par Booking.com et Expedia
en Suisse jusqu’en été 2015 et par HRS jusqu’à leur
interdiction par la Comco. Par ces clauses de parité, les
gestionnaires de plateforme avaient interdit aux hôtels
partenaires de fixer des prix plus bas, d’offrir un nombre
plus élevé de chambres ou des conditions plus avantageuses sur d’autres canaux de distribution. Lesdites
clauses visaient pratiquement l’ensemble des canaux de
distribution et excluaient notamment la possibilité de
pratiquer des prix/conditions plus avantageux ou d’offrir
plus de chambres sur des plateformes de réservation en
ligne concurrentes (“clauses de parité au sens large”,
“weite Paritätsklauseln”). La violation de ces clauses
pouvait conduire à l’exclusion temporaire de l’hôtel de
la plateforme ou à une baisse de son classement, voire
même à la résiliation du contrat de partenariat.
À la suite des engagements pris à l’égard des autorités de la
concurrence italienne, française et suédoise, Booking.com
a adapté ses clauses de parité dans l’Espace économique
européen (“EEE”) et en Suisse dès le 1er juillet 2015.
Expedia en a fait de même dès le 1er août 2015 et HRS a
déclaré dans le cadre de la procédure être prête à adapter
ses contrats en Suisse moyennant un accord amiable
à conclure avec la Comco. Selon ces clauses de parité
moins restrictives (“clauses de parité au sens étroit” ;
“enge Paritätsklauseln”), les hôtels partenaires doivent se
tenir au principe de la parité tarifaire pour leurs propres
offres directes en ligne mais sont libres quant aux prix
pratiqués sur d’autres plateformes en ligne. Par ailleurs,
les hôtels partenaires ne sont plus obligés d’offrir à leur
cocontractant un nombre de chambres égal ou supérieur
à celui offert à des plateformes concurrentes. Enfin, les
nouvelles clauses prévoient des exceptions au principe de
la parité tarifaire imposé aux hôtels, ces derniers pouvant
offrir des prix inférieurs sur leurs canaux directs hors
ligne (téléphone, fax, e-mail, etc.) ainsi que dans le cadre
de programmes de fidélité à leurs clients (groupes d’utilisateurs dits fermés), à la condition que ces prix ne soient
pas rendus publics.
Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art.
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2013, HRS, déc. B9-66/10, confirmée par un arrêt de la
Cour d’appel de Düsseldorf du 9 janvier 2015 ; voir à ce
sujet P. Rummel, Concurrences n° 3-2014, pp. 208-211, et
n° 2-2015, pp. 197-198).
Dans sa décision, la Comco a relevé que ces nouvelles
clauses de parité paraissent, à tout le moins d’un point
de vue formel, moins restrictives. Néanmoins, leurs effets
sur la concurrence doivent encore être observés, de sorte
qu’il était trop tôt pour se prononcer sur leur compatibilité au regard de la loi sur les cartels ; à ce stade, il n’était
pas possible de conclure un accord amiable portant
sur ces clauses moins restrictives, tel que demandé par
HRS (art. 29 LCart). Ainsi, la décision de la Comco
du 19 octobre 2015 ne porte que sur les clauses de parité
au sens large.
Application de la loi sur les cartels
La Comco a retenu que les conditions d’application de
la loi sur les cartels étaient réunies en l’espèce, relevant
notamment que les gestionnaires de plateformes en ligne
visés par l’enquête sont des entreprises offrant des services
de réservation d’hôtels en Suisse et que les clauses de parité
ont des effets dans ce pays (art. 2 LCart). Dans ce cadre,
la Comco a écarté l’argument selon lequel les parties sont
liées par un accord d’agence échappant à la loi sur les
cartels. Une telle exception n’entre pas en considération
dans le cas d’espèce, les plateformes de réservation en
ligne nécessitant des investissements importants et spécifiques au marché (avec un renvoi aux principes retenus
par la Comco dans sa décision Costa Kreuzfahrten,
DPC 2013/4 476, ainsi qu’aux pts. 12 ss des Lignes
directrices européennes sur les restrictions verticales,
appliqués par analogie conformément au considérant
IV de la Communication de la Comco en matière d’accords verticaux du 28 juin 2010, ci-après “CommVert”).
D’ailleurs, une telle exception n’a aucunement été envisagée dans les procédures parallèles engagées sur le plan
européen, la Comco renvoyant en particulier à la décision
de l’autorité allemande (Bundeskartellamt, 20 décembre
2013, HRS, déc. B9-66/10, paragraphe 8).
Accords verticaux ne relevant pas de
l’art. 5, al. 4 LCart
La Comco a examiné si les clauses de parité constituent
des accords en matière de concurrence (art. 4, al. 1 LCart).
Elle a retenu qu’elles reflètent une action consciente et
voulue des parties, dès lors qu’elles sont expressément
prévues dans les accords liant les agences en ligne et les
hôtels ; même si Booking.com détient une position forte
sur le marché (voir ci-après la section relative à la position
dominante) la pression en résultant n’est pas suffisante pour
exclure une concordance des volontés. De plus, les clauses
de parité tarifaire visent une restriction à la concurrence
dès lors que les hôtels partenaires se voient soumis à une
interdiction de pratiquer des prix plus avantageux que ceux
sur la plateforme concernée. L’autorité de la concurrence
a par ailleurs retenu que les clauses dans leur ensemble, y
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
233
La Comco s’est ensuite penchée sur la question de savoir
si les clauses de parité tarifaire doivent être considérées comme des prix de vente minimum ou des prix de
vente fixe, soit comme une restriction verticale qui est
présumée entraîner la suppression d’une concurrence
efficace et qui est sanctionnée d’une amende (art. 5, al. 4
en lien avec l’art. 49a, al. 1 LCart). Elle a observé que
les clauses de parité tarifaires n’ont pas pour objet la
fixation du prix ou d’un élément de celui-ci de manière
absolue, mais plutôt un effet sur les prix relatifs pratiquées par différents canaux de distribution. De plus,
ces clauses n’imposent pas une obligation à l’agent en
aval, mais plutôt une obligation de l’hôtel partenaire en
amont, qui s’engage à ne pas offrir ses prestations à un
prix plus avantageux sur d’autres canaux de distribution.
Or, selon l’opinion dominante en doctrine, qui s’inspire
de la position en droit européen, seules des limitations de
la liberté du revendeur en aval – et non du fournisseur en
amont – peuvent relever d’un accord de fixation de prix.
Enfin, lesdites clauses ne fixent pas de manière indirecte
les prix finaux, les hôtels partenaires étant toujours libres
de baisser leurs prix. La Comco a notamment relevé que
la situation n’était pas comparable à celle des affaires des
livres numériques, dans lesquelles les éditeurs ont recouru
à des clauses de parité afin d’augmenter le prix final
(décision de la Commission européenne du 25.72013,
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=
CELEX:52013XC1224(04) ; voir aussi l’affaire Apple,
https://www.justice.gov/atr/case/us-v-apple-inc-et-al).
Ainsi, la Comco a conclu que l’art. 5, al. 4 LCart n’était
pas applicable en l’espèce.
Marché pertinent
Avant d’examiner les effets des clauses de parité sur la
concurrence, la Comco a d’abord défini le marché pertinent, retenant celui de la réservation d’hôtels par les
clients finaux au moyen de plateformes en ligne en Suisse.
La Comco a indiqué que les gestionnaires de plateformes
agissent en tant qu’intermédiaires entre deux groupes de
demandeurs, les hôtels et les clients finaux. L’activité se
caractérise par un effet de réseau indirect important (plus
nombreux sont les hôtels représentés, plus l’attractivité
de la plateforme est grande), par le fait que le coût d’utilisation n’est pas supporté (directement) par le client final
mais par l’hôtel, par la conclusion de transactions directement entre l’hôtel et le client final et par la possibilité
pour les deux groupes de demandeurs d’être actifs sur
plusieurs plateformes (Multihoming). On peut parler de
marché bilatéral (“zweiseitigen Markt”).
Sur la base de ces caractéristiques, la Comco a examiné
les alternatives permettant aux hôtels de commercialiser
leurs services et les a toutes écartées du marché pertinent.
234
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
En particulier, elle a considéré que la réservation directe
hors ligne n’est pas un substitut efficace. Elle a aussi écarté
les systèmes de distribution globaux (Global Distribution
Systems) destinés aux professionnels (se référant notamment à la décision COMP/M.4523 Travelport/Worldspan)
ou encore les organisateurs de voyages, qui achètent des
nuitées pour les revendre, offrant ainsi un produit différent aux clients (package). Par ailleurs, les portails de
référence (permettant aux clients d’évaluer les hôtels), les
méta-moteurs de recherches (qui rassemblent des données
sur les prestataires et les comparent) et les moteurs de
recherches (Google, Bing) ne sont pas des substituts car
ils ne permettent pas de procéder à des réservations.
D’autres canaux, tels que les organisateurs de conférences et d’événements ou les organisations touristiques,
ne jouent qu’un rôle marginal. Enfin, il n’y a pas lieu de
retenir un marché séparé pour chacune des plateformes
en ligne visées par l’enquête.
Géographiquement, la Comco a retenu que le marché
est national (la Suisse), conformément à la pratique de
la Comco dans le domaine du voyage (e.g. DPC 2000/3
399, TUI c/ Kuoni) et la pratique de la Commission européenne et en se fondant également sur la décision de
l’autorité allemande (Bundeskartellamt, 20 décembre
2013, HRS, déc. B9-66/10).
Restriction notable de la concurrence
La Comco a ensuite examiné la question de savoir si les
clauses de parité affectent de manière notable la concurrence (art. 5, al. 1 LCart). À titre liminaire, elle a observé
que les clauses de parité ne font pas partie des accords
énumérés au chiffre 12, alinéa 2 de la CommVert et considérés comme qualitativement graves, de sorte qu’un
examen individuel s’impose.
Analysant d’abord l’effet sur la concurrence au niveau
des hôtels, elle est parvenue à la conclusion que les
clauses ont un impact qualitatif réduit, notamment en
matière de prix. En particulier, les hôtels sont libres de
fixer leurs prix (concurrence intermarques). En revanche,
les clauses ont un impact sur la concurrence intramarque,
soit sur le prix offert pour des nuitées d’un hôtel donné
par différents canaux de distribution ; cet effet est toutefois limité dans le temps : il concerne l’offre à un moment
précis pour des chambres spécifiques et les conditions y
relatives.
Pour ce qui est de la concurrence entre plateformes
de réservation en ligne, la Comco a retenu que les
clauses de parité ont un impact qualitatif significatif.
Spécifiquement, les clauses de parité tarifaire empêchent
de relayer au consommateur final un signal sur les coûts
liés à la réservation en ligne. Ainsi, les clients finaux n’obtiennent aucun avantage financier s’ils réservent une
chambre sur une plateforme en ligne qui pratique des
commissions plus faibles ; de tels clients subventionnent
en partie le coût des réservations de clients recourant à
des plateformes pratiquant des commissions plus élevées.
De plus, les clauses de parité relatives à la disponibilité de chambres et aux autres conditions empêchent les
hôtels partenaires de privilégier les plateformes en ligne
Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art.
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compris celles relatives à la disponibilité de chambres et
aux autres conditions, ont eu pour effet une restriction de
concurrence. Par ailleurs, même s’ils ont un effet sur la
concurrence au niveau des plateformes de réservation en
ligne et des autres canaux de distribution (effet horizontal),
ces accords lient des entreprises situées sur des échelons
différents du marché ; il s’agit d’accords verticaux.
Passant à l’examen de l’impact quantitatif sur la concurrence, la Comco a relevé que le marché est hautement
concentré, les trois gestionnaires de plateformes visés par
l’enquête détenant une part prépondérante du marché
pertinent (en 2012 : 60-70 % pour Booking.com, 10-20 %
pour HRS et 10-20% pour Expedia). Elle a retenu que
l’entrée potentielle de concurrents ne pourrait avoir une
influence significative et que les hôtels et les clients finaux
ne disposent pas d’un contre-pouvoir suffisant. À cela
s’ajoute que les clauses exigées ont un impact horizontal
qui concerne non seulement le marché pertinent mais qui
s’étend à d’autres canaux de distribution alternatifs. Ainsi,
du point de vue quantitatif, l’effet restrictif est substantiel.
En conclusion, tenant compte des critères qualitatifs et
quantitatifs, les clauses de parité tarifaire et les clauses
de parité de disponibilité de chambres conduisent pratiquement à une suppression de la concurrence entre les
plateformes de réservation en ligne.
Restriction non justifiée par des motifs
d’efficacité économique
La Comco a ensuite examiné la question de savoir s’il y
avait d’éventuels motifs d’efficacité économique pouvant
justifier la restriction notable à la concurrence (art. 5,
al. 2 LCart).
Elle a nié une justification sous l’angle de
l’élimination du parasitisme (free riding, Point-of-SaleServices-Argument). À titre liminaire, la Comco s’est
référée à sa pratique, en relevant que cet argument a
généralement été écarté dans des enquêtes liées à la vente
en ligne. Elle a reconnu que les services hôteliers sont des
produits d’expérience, de sorte qu’il est difficile pour le
client final d’évaluer leur qualité. Elle a toutefois rejeté
l’argument d’un effet “réclame” lié au recours à des
plateformes en ligne, qui augmenterait les réservations
directes auprès des hôtels (Billboard-Effect). De plus, elle
a considéré que les plateformes de réservation en ligne
n’offrent pas de conseils ou d’autres services requérant
des investissements justifiant une protection particulière.
Enfin, la Comco a relevé que, même si un problème de
parasitisme pouvait être retenu, il conviendrait de tenir
compte de l’effet inverse, les plateformes en ligne bénéficiant aussi des efforts promotionnels des hôtels.
La Comco a aussi rejeté les arguments de protection des
investissements spécifiques au contrat (hold-up problem),
retenant que les investissements liés à l’admission d’un
hôtel sur une plateforme de même que l’importance de
chaque hôtel par rapport à la marche des affaires d’une
plateforme sont mineurs. Elle a aussi écarté l’argument
selon lequel les clauses de parité avaient pour effet de
garantir le meilleur prix au client lui permettant de limiter
ses coûts de recherche et d’augmenter ainsi sa satisfaction.
En conclusion, la Comco a rejeté une justification fondée
sur des motifs d’efficacité économique.
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pratiquant des commissions plus faibles ; en particulier,
les hôtels ne peuvent réagir à une hausse des commissions, en limitant le nombre de chambres disponibles ou
en adaptant leurs conditions. Ainsi, la concurrence entre
les plateformes de réservation relative aux commissions
est pratiquement éliminée.
Rejet de l’argument du risque de
modification structurelle du marché
Enfin, la Comco a rejeté l’argument selon lequel la suppression des clauses de parité aurait pour effet de modifier
la structure du marché, transformant les plateformes de
réservation d’hôtels en de simples moteurs de recherche.
Outre le fait que le droit de la concurrence a pour but
de protéger la concurrence et non les concurrents, un
tel argument de politique structurelle ne pourrait être
invoqué que dans le cadre d’une demande d’autorisation
exceptionnelle (art. 8 LCart).
Pas d’abus de position dominante
La Comco a considéré qu’il existe des indices importants en faveur d’une position dominante de Booking.
com sur le marché pertinent, en particulier sa part de
marché importante (70-80 % en 2013) et l’absence d’un
effet disciplinant liée à une concurrence potentielle ou à
un contre-pouvoir des hôtels.
En revanche, l’existence d’une position dominante collective
détenue par Booking.com avec Expedia et HRS paraît plutôt
improbable, en dépit d’une concentration importante du
marché, de la transparence et de l’homogénéité des produits.
À cet égard, la Comco a retenu l’absence d’une stabilité des
rapports sur le marché, Booking.com ayant augmenté sa
part de marché en très peu de temps au détriment d’Expedia
et HRS, ainsi qu’une asymétrie des parts de marché.
Cela étant, un lien de causalité entre la position dominante de
Booking.com et les clauses de parité exigées n’a pu être établi.
Ces clauses ont été introduites à un moment où Booking.com
ne détenait probablement pas une position dominante. Par
ailleurs, des entreprises détenant des parts de marché nettement plus faibles ont réussi à imposer des clauses similaires à
leurs partenaires. La Comco a donc écarté l’abus de position
dominante par l’imposition de conditions commerciales
inéquitables (art. 7, al. 2, let. c LCart). Elle a aussi retenu
qu’il n’y avait pas d’indices suffisants relatifs à une limitation des débouchés des concurrents (art. 7, al. 2, let. e LCart).
Par conséquent, même si une position dominante devait
être retenue, l’abus d’une telle position a été exclu.
Interdiction mais pas de sanction
En conclusion, se fondant sur l’existence d’un accord illicite
(art. 5, al. 1 LCart), la Comco a fait interdiction à Booking.
com, Expedia et HRS de recourir à des clauses de parité au
sens large relatives aux tarifs, disponibilités de chambres et
conditions concernant l’hébergement, dans leurs contrats
avec les hôtels partenaires ou de prendre des mesures permettant d’arriver à un tel résultat. Aucune sanction n’a été
imposée, l’application de l’article 5, alinéa 4 LCart (accords
verticaux durs) et de l’article 7 LCart (abus de position
dominante) ayant été écartée (art. 49a, al. 1 LCart).
J. X. n
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
235
Accords de distribution – Protection
territoriale absolue – Fixation de prix –
Sanctions : Le Tribunal administratif fédéral
suisse applique des critères d’appréciation
différenciés en matière d’accords verticaux
durs, accroissant la confusion dans ce
domaine (TAF, 13 nov. 2015, BMW, B-3332/2012,
DPC 2015/4 801 ; TAF, 17 déc. 2015, Altimum,
B-5685/2012, DPC 2015/4 845)
L’an passé, le Tribunal administratif fédéral (ci-après
“le TAF”), soit le tribunal qui a le pouvoir de revoir les
décisions de la Commission de la concurrence (ci-après
“la Comco”) avec plénitude de juridiction, a rendu deux
arrêts en matière d’accords verticaux, l’un porte sur une
restriction territoriale et l’autre sur des prix de revente.
Force est de constater que ces deux arrêts ajoutent une
confusion supplémentaire à la notion de restriction
notable à la concurrence.
Pour nos confrères étrangers, l’on rappellera que le
droit suisse n’est pas fondé sur le principe de l’illicéité
des accords restrictifs de concurrence, mais sur l’illicéité
de leurs conséquences nuisibles, ce qui suppose a priori
un examen, sous une forme ou sous une autre, de leurs
effets. En effet, conformément à l’article 94, alinéa 1 de
la Constitution fédérale de la Confédération suisse du
18 avril 1999, “la Confédération légifère afin de lutter
contre les conséquences sociales et économiques dommageables des cartels et des autres formes de limitation
de la concurrence”. Partant, sont illicites selon l’article 5,
alinéa 1 de la loi fédérale sur les cartels (ci-après “LCart”),
les accords qui affectent de manière notable la concurrence sur le marché de certains biens ou services. Cela
étant, la loi sur les cartels présume à l’article 5, alinéas 3
et 4 LCart, que certains accords suppriment la concurrence efficace parce qu’ils sont réputés particulièrement
nuisibles. Il s’agit des accords horizontaux sur les prix,
les quantités et la répartition de territoires ou de clients,
et des accords verticaux qui imposent un prix de revente
ou qui “attribuent des territoires, lorsque les ventes par
d’autres fournisseurs agréés sont exclues”. La méthode
suivie par la Comco et la jurisprudence consiste à
examiner si la présomption de suppression de la concurrence est confirmée ou renversée, ce qui sera généralement
le cas lorsque subsiste une concurrence suffisante intramarque et/ou intermarques (pour une explication plus
complète de la méthode, voir J. Xoudis, “Le Tribunal
administratif fédéral suisse confirme les sanctions infligées par la Commission de la concurrence au fabricant
suisse des dentifrices et à son preneur de licence autrichien pour entrave illicite aux importations parallèles
(GABA-Gebro)”, Concurrences n° 2-2014, pp. 214, 215216). Dans ces cas, l’autorité examine si l’accord conduit
néanmoins à une restriction notable à la concurrence efficace
et partant est illicite.
Le premier arrêt, rendu le 13 novembre 2015 (affaire
BMW, DPC 2015/4, p. 801), confirme la décision de la
Comco sanctionnant BMW pour avoir passé des accords
236
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
avec ses partenaires dans l’EEE autorisant ces derniers
à distribuer des véhicules dans ce territoire seulement,
donc pas en Suisse (pour un résumé de cette décision,
voir P. Kobel, “La Commission suisse de la concurrence
sanctionne un fabricant européen de véhicules automobiles pour avoir restreint les exportations de véhicules de
l’EEE vers la Suisse (BMW)”, Concurrences n° 1-2013,
n° 50784, pp. 218-221). Dans le cadre des nombreux
moyens invoqués par BMW, celle-ci argua de ce que la
Comco n’avait apprécié que la notabilité qualitative
de l’accord, soit son caractère nuisible abstrait, résultant
de sa seule qualification juridique : BMW estimait que la
Comco avait, à tort, omis d’apprécier la notabilité quantitative de cet accord. En réponse, le TAF se référa à son
arrêt Gaba cité ci-dessus. Il confirma que les accords de
protection territoriale absolue font partie des accords les
plus dommageables en droit des cartels. Quant à l’appréciation quantitative de la notabilité, le TAF rappela que
la loi établissant une présomption selon laquelle de tels
accords supprimeraient la concurrence, il était juste d’en
déduire a maiore a minus que de tels accords ont également des effets notables sur la concurrence (DPC 2015/4,
c. 9.1.4). En principe donc, la question de la notabilité
quantitative et donc de l’examen concret des effets de tels
accords verticaux n’est pas nécessaire. Ce nonobstant et
pour le cas où la requérante aurait eu raison, le TAF ajoute
que la Comco a, de toute façon, procédé à une analyse de
la notabilité quantitative et rejette les griefs invoqués par la
requérante à ce sujet.
Le second arrêt rendu le 17 décembre 2015 (affaire
Altimum, DPC 2015/4, p. 845), porte sur les prix de
revente de matériel de haute montagne, convenus selon la
Comco, simplement recommandés dans la plupart des cas
selon le TAF, entre l’importateur Altimum et ses revendeurs. Le TAF donne tort à la Comco. Après avoir
constaté que la Comco n’avait en fait établi l’existence
d’un accord sur le prix de revente de lampes frontales que
pour deux revendeurs, le TAF considéra que la concurrence intramarque n’avait pas été supprimée de sorte
que la présomption pouvait être renversée. Sur la notabilité des restrictions imposées par ces accords, le TAF
rappelle les principes qu’il a posés dans ses arrêts Gaba et
BMW susmentionnés. Il relève toutefois que ces principes
seront examinés prochainement par le Tribunal fédéral,
soit l’instance judiciaire suprême en Suisse. Partant, il
s’en départ et conclut qu’en matière d’accords verticaux
sur les prix de revente, il n’y a pas lieu de s’éloigner de la
pratique usuelle concernant l’appréciation de la notabilité, de sorte qu’il faut donc examiner celle-ci du point de
vue qualitatif et quantitatif. Dans le cas d’espèce, la part
de marché affectée par les accords constatés ne dépassant
pas 12 %, les accords ne sont pas notables.
Nous avons donc en Suisse une juridiction qui, au sujet
de la même disposition légale, l’article 5, alinéa 4 LCart,
établit des standards d’illicéité différents selon qu’il
s’agit de restriction territoriale ou de fixation de prix
de revente. Ces deux arrêts font l’objet d’un recours au
Tribunal fédéral qui une fois encore est appelé à jouer
les arbitres. Une partie de la réponse à la question de
savoir si, en matière de restrictions territoriales, la notabilité peut ne s’apprécier que du point de vue qualitatif
Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art.
L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document
constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection.
À noter
P. K. n
4. États-Unis
Action de groupe – Propriété
intellectuelle – Accords de report
d’entrée : La Cour d’appel du premier
circuit juge que les accords de reports
d’entrée non-monétaires relèvent du droit
antitrust (U.S. Court of Appeals, First Circuit,
22 fév. 2016, Loestrin, n° 14-2071 et 15-1250)
Le secteur pharmaceutique et la commercialisation des
médicaments sont des domaines dans lesquels il est
désormais habituel de voir intervenir le droit fédéral de
la concurrence. Les grands laboratoires doivent régulièrement faire face à des actions antitrust. Parfois, c’est le
droit de la monopolization qui est mis en œuvre, lorsque
l’entreprise est la seule à commercialiser un médicament. C’est le cas, actuellement, des poursuites sur le
fondement de ventes liées illicites auxquelles doit faire
face Sanofi dans l’affaire du vaccin MCV4 : une bataille
d’experts économistes a eu lieu et Sanofi vient de perdre
la première manche, avec la validation de la fiabilité des
expertises adverses et des conditions de certification d’une
class action (Adriana M. Castro et al., v. Sanofi Pasteur
Inc., Civil Action n° 11-7178, 30 sept. 2015). Parfois,
c’est le droit des ententes qui est mobilisé, lorsque des
laboratoires concurrents concluent des accords relatifs
à la commercialisation de leurs produits (J.-C. Roda,
Les ententes entre laboratoires concurrents, in Les pratiques de l’industrie pharmaceutique au regard du droit
de la concurrence, dir. I. Moine-Dupuis et C. Fortier,
CREDIMI/Litec 2010). Ces accords interviennent fréquemment dans le contexte de guerre de brevets. C’est la
problématique désormais bien connue des accords de
report d’entrée qui a donné lieu à un important contentieux et sur lequel s’est prononcée la Cour suprême, en
2013, dans l’affaire Actavis (Federal Trade Commission
v. Actavis, 133 S.Ct 2223, 2013 : Concurrences n° 3-2013,
p. 180, obs. J.-C. Roda ; v. le dossier The Actavis Decision:
Clear Guidance for the Courts or a Recipe for Turducken?
Antitrust, 2013, avec les contributions de A. Edlin,
S. Hemphill, H. Hovenkamp et C. Shapiro). Dans cet
arrêt important et très commenté, la Cour a jugé que ces
accords devaient être analysés sous l’angle de la règle de
raison. Il faut dire que la question de l’accès aux médicaments pour les consommateurs est au cœur des tensions
entre droit antitrust et droit de la propriété intellectuelle. Les autorités américaines cherchent à adopter une
approche raisonnable pour appréhender cette opposition.
Les interrogations sont toutefois loin d’être résolues, à
l’heure où l’idée du “médicament essentiel” s’impose de
plus en plus au plan international (v. par ex. la décision des
membres l’OMC du 6 nov. 2015, de proroger l’exemption
relative aux brevets sur les médicaments pour les PMA :
site internet de l’OMC). Surtout, après l’affaire Actavis,
des hésitations jurisprudentielles ont vu le jour, en particulier en ce qui concerne les accords de report d’entrée
offrant en contrepartie d’autres prestations que le versement d’indemnités (pour un panorama très complet,
v. A. Acosta, E. Grannon, T. Grant, H. McDevitt et
K. O’Shaughnessy, US: Pharmaceutical Antitrust, The
Antitrust Review of the Americas 2016, sur le site Internet
de la Global Competition Review).
Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art.
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comme le prétend le TAF, ou doit s’apprécier également
du point de vue quantitatif, viendra déjà avec l’arrêt tant
attendu dans l’affaire Gaba. Peut-être aussi que les principes que le Tribunal fédéral posera dans cet arrêt auront
déjà pour effet d’éliminer cette dichotomie entre accords
territoriaux et accords sur les prix de revente et de faire en
sorte que tous seront jugés à la même aune.
L’affaire sous commentaire concerne précisément cette
catégorie d’accords de reports d’entrée (In re Loestrin 24
Fe Antitrust Litigation, U.S. Court of Appeals, ___F3d___
n° 14-2071 et 15-1250, 22 fév. 2016). En l’espèce, l’entreprise Warner, aujourd’hui détenue par le groupe Actavis,
fabrique un contraceptif oral sous la marque Loestrin 24.
Celui-ci est protégé par un brevet. L’entreprise Watson
Pharmaceuticals a averti Warner qu’il souhaitait commercialiser une version générique du Loestrin 24, ce qui
a conduit le laboratoire princeps à poursuivre le génériqueur en justice pour infraction à la règlementation des
brevets. Comme souvent dans ce type de conflits, un
accord transactionnel a finalement été conclu entre les
parties, aux termes duquel Watson a accepté de retarder
la mise sur le marché de son contraceptif générique. En
échange, Watson a conclu divers accords promotionnels
avec Warner et a reçu l’assurance, de la part de ce dernier,
qu’il ne commercialiserait pas de version générique de
son propre contraceptif. Quelques temps plus tard, le
laboratoire Lupin a annoncé vouloir mettre sur le marché
une version générique du Loestrin 24. Une action pour
violation du brevet de Warner a été intentée et un accord
transactionnel similaire à celui négocié avec Watson a été
conclu.
Deux catégories de plaignants ont alors entrepris de se
regrouper sous forme de class actions pour attaquer ces
accords entre concurrents : il s’agit d’une part des acheteurs directs de Loestrin 24, le plus souvent des officines
et des grandes chaînes de distribution, et d’autre part,
des consommateurs finaux du contraceptif. Chacune
de ces deux classes de plaignants, en cours de constitution, estiment que les accords transactionnels négociés
par Warner avec ses concurrents constituent des accords
de report d’entrée illicites qui violent la section 1 du
Sherman Act. Les actions ont été regroupées devant le
Tribunal fédéral du District du Rhode Island. Devant
elle, était examinée la question de savoir si les accords litigieux tombaient dans la catégorie des accords de report
d’entrée identifiés par la Cour suprême dans l’arrêt
Actavis, afin de savoir si le cadre d’analysé dégagé par
la Haute juridiction pouvait s’appliquer aux faits. Or, le
Tribunal fédéral du District du Rhode Island a considéré
que, à la différence de l’affaire Actavis, les accords en
question n’étaient pas des accords monétaires : il s’agissait de “non-cash reverse payment”. Selon le Tribunal, la
jurisprudence Actavis devait s’appliquer uniquement aux
accords dans lesquels des sommes d’argent sont versées
en contrepartie, ce qui l’a conduit à écarter les demandes
des plaignants. Ces derniers formèrent alors un recours
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
237
La négociation d’accords de report d’entrée
“non monétaires”
Le cœur du litige concernait donc la nature des accords
négociés entre les parties. Ceux-ci se différentiaient de
l’affaire Actavis, en ce qu’ils obligeaient le laboratoire
princeps, non pas à verser des indemnités, mais à respecter
certains comportements sur le marché. Pour mémoire,
dans l’affaire jugée devant la Cour suprême en 2013,
le laboratoire Solvay avait accepté de transiger avec les
génériqueurs Watson et Paddock, à propos de la commercialisation de génériques de l’AndroGel, pour une somme
globale de plus de 70 millions de dollars. Au passage, on
relèvera que, à l’instar de l’entreprise Watson, certains
génériqueurs continuent d’adopter des stratégies de
contestation de brevets pour ouvrir la voie à des accords
transactionnels favorables. Certains auteurs avaient pu
affirmer que la décision Actavis marquerait le déclin de
telles pratiques, dans la mesure où le risque d’application des règles antitrust demeurait important. L’affaire
du Loestrin 24 semble indiquer que ces craintes ont sans
doute été exagérées, même si les autorités fédérales ont pu
noter un recul dans la conclusion d’accords de compensation purement financiers (J. Towey et B. Albert, Is FTC
v. Actavis Causing Pharma Companies to Change Their
Behavior? 13 janv. 2016, disponible sur le site Internet de
la FTC).
Dans la présente affaire, aucune indemnité n’avait donc
été versée. En échange du report de la mise sur le marché
du générique du Loestrin 24, Warner s’était en revanche
engagé à assurer toutes une série de services ou prestations en faveur de Watson. D’abord, Warner s’était
engagé à ne pas vendre ou licencier une version générique
de son contraceptif pendant une période de 180 jours
correspondant aux 180 premiers jours de commercialisation du produit mis en vente par Watson. Ensuite, Warner
devait accorder à Watson “une licence mondiale, irrévocable, sans royaltie, non exclusive et entièrement payée”
pour commercialiser le Loestrin 24 jusqu’au 22 janvier
2014. Warner s’était encore obligé à régler des droits
annuels et un pourcentage net de ses ventes devait assurer
la co-promotion avec Watson du Femring, un traitement
hormonal fabriqué par Warner. Ce dernier laboratoire avait également accordé à Watson le droit exclusif
de recouvrer les bénéfices des ventes du générique du
contraceptif élaboré par lui lors des dernières étapes de
son développement. Warner s’était aussi engagé à ne
pas accorder de licence pour l’exploitation du générique
du Loestrin 24 tant qu’une période de 180 jours ne se
serait pas écoulée après l’entrée sur le marché de Watson.
Enfin, une “clause d’accélération” avait été négociée, par
laquelle Watson pouvait commercialiser son générique
avant la date du 22 janvier 2014, dans l’hypothèse où un
autre laboratoire aurait décidé de vendre un générique du
Loestrin 24 et ce, afin de dissuader tout autre génériqueur
de faire son entrée sur le marché avant Watson.
238
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
L’accord conclu avec le laboratoire Lupin pouvait apparaître moins contraignant. Sans doute cela était dû au fait
que ce dernier n’était pas le concurrent le plus menaçant
sur le marché. Quoiqu’il en soit, le laboratoire Warner
s’était d’abord engagé à accorder à Lupin une licence non
exclusive pour le Femcom Fe, un autre contraceptif oral
fabriqué par Warner. Warner avait ensuite octroyé à Lupin
le droit d’acheter et de vendre, sur tout le territoire des
États-Unis, une version générique de l’Asacol 400 mg, un
anti-inflammatoire fabriqué par Warner. Enfin, Warner
avait accepté de régler les frais d’avocats de Lupin, nés du
litige relatif à la contestation du brevet du Loestrin 24,
pour un montant resté secret.
Sans trop s’engager sur une analyse substantielle de ces
accords de report d’entrée, la Cour d’appel reconnaît
qu’il est délicat d’en mesurer les impacts sur le marché.
Le Tribunal du District du Rhodes Island s’abritait
derrière cette difficulté en estimant qu’il était “quasiment impossible” de le faire lorsque les accords en cause
n’impliquent pas de versement de sommes d’argent.
À raison, cette vision des choses est contestée par la Cour
d’appel. Certes, cette dernière reconnaît que l’avantage
des accords de “cash payments” est qu’ils permettent de
donner une indication du pouvoir de marché des acteurs
en présence. De tels accords “reflètent l’estimation du coût
pour d’évitement du litige et la valeur des services rendus”.
Comme l’avait indiqué la Cour suprême dans l’affaire
Actavis, “l’importance du paiement effectué par un fabricant de médicament pour contrer l’entrée d’un générique est
en lui-même un fort indicateur de pouvoir”. Pour autant,
et même si l’importance des paiements est un indicateur
intéressant, les juridictions sont habituées à déterminer
le pouvoir de marché à partir d’autres facteurs. Pour
la Cour d’appel, le droit antitrust comprend des cadres
d’analyse suffisamment complexes et précis pour pouvoir
déterminer la nocivité d’accords contractuels sur le
marché, que ceux-ci se traduisent par le versement d’indemnités, ou par la négociations de services marketing,
d’engagements de non-commercialisation ou d’accords
de propriété intellectuelle.
Les accords les plus problématiques sont ceux par lesquels
le laboratoire princeps s’engage à ne pas commercialiser
son propre générique (i.e. “no-AG Commitments”, “AG”
désignant “génériques autorisés”), directement ou par
l’intermédiaire d’un licencié. On sait que la Federal Trade
Commission est très méfiante à l’égard de telles pratiques
et la Cour suprême ne s’est pas prononcée sur leur éventuelle nocivité. Selon les autorités fédérales, ces pratiques
pourraient être néfastes pour le consommateur, à double
titre : d’une part, en empêchant la diminution du prix du
médicament original au cours de la période de “report” ;
d’autre part, en réduisant la concurrence sur le marché des
génériques, ce qui aurait pour effet d’augmenter les prix de
ces produits (J. Towey et B. Albert, préc.). De nombreux
praticiens et entreprises du secteur pharmaceutique
contestent cette analyse, tandis que la doctrine économique
demeure partagée. Dans une affaire similaire à celle étudiée,
la Cour d’appel du 3ème Circuit a estimé que de tels accords
étaient sans doute moins nocifs que les “reverse cash
payments”, sans toutefois mésestimer leurs effets potentiellement négatifs, jugeant alors qu’il était nécessaire de
Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art.
L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document
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devant la Cour d’appel du premier Circuit. Dans une
décision du 22 février 2016, la juridiction d’appel a
infirmé le jugement du Tribunal fédéral du District du
Rhode Island.
Les accords de report d’entrée
“non‑monétaires” sont assimilables
aux accords de “cash payments”
Comme l’avait fait le Tribunal du District du Rhode
Island en première instance, la Cour d’appel du premier
Circuit a décidé de se focaliser sur le point de savoir si
les accords de “non-cash reverse payment” devait se voir
appliquer ou non la jurisprudence Actavis. L’analyse
concurrentielle est donc hors de propos dans la présente
décision. Il est ici question de qualification et de champ
d’application du droit antitrust (“scrutiny”). Or, selon la
Cour d’appel, le Tribunal a commis une erreur en considérant que la décision rendu par la Cour suprême en
2013 concernait uniquement les accords de reports d’entrées négociés en contrepartie de sommes d’argent (“cash
payments”). La censure est même assez sèche, les juges
soulignant à plusieurs reprises la naïveté et les nettes
erreurs d’appréciation du Tribunal. La Cour d’appel,
reprenant la décision Actavis, souligne ainsi que les
accords sur lesquels la Cour suprême a fondé son analyse,
comportaient aussi des services non monétaires. En particulier, la Cour d’appel note que des engagements pour
faire la promotion des médicaments princeps avaient été
conclus, en plus des indemnités payées. Certes, dans l’affaire Actavis, ces accords étaient secondaires au regard
des sommes considérables qui avaient été versées par
Solvay aux génériqueurs. Il est vrai, également, que les
services marketing rendus avaient été conclus au bénéfice
de Solvay. Mais la Cour d’appel conclut que “ce simple
fait démontre que la Cour suprême a reconnu qu’un accord
déguisé de manipulation des prix, par lequel un fabricant
princeps surpaie effectivement un fabricant de génériques
pour des services rendus, peut être qualifié d’accord de
report d’entrée sujet à l’application des règles antitrust et
milite contre une limitation de la portée de la jurisprudence
de la Cour aux seuls accords purement monétaires”.
La solution est logique. Si, effectivement, la décision
Actavis se concentrait surtout sur des accords prévoyant
le versement d’importantes sommes d’argent, le langage
employé, ainsi que le recours à la règle de raison, indiquaient qu’il faut avoir une vision pragmatique et très
concrète des pratiques du marché pharmaceutique. Il est
clair que la Cour suprême n’a pas voulu restreindre son
raisonnement à ces seules catégories de transactions.
Cette approche est conforme à celle habituellement
employée dans le contentieux antitrust qui doit faire prévaloir “la substance sur la forme” (American Needle v.
NFL, 560 U.S. 183, 2010 : Cah. Dr. Sport, n° 23, 2011,
comm. J.-C. Roda), en particulier dans les cas où le cadre
d’analyse n’est pas celui de la prohibition per se.
L’argument reposant sur l’analyse téléologique du droit
antitrust aurait amplement pu suffire pour convaincre.
La Cour d’appel prend néanmoins la peine de renforcer
celui-ci en se lançant dans une exégèse de la notion de
“paiement”. La Cour d’appel relève en effet que la
décision Actavis vise les accords de paiement, en général.
S’appuyant sur le Black’s Law Dictionnary, les juges
d’appel indiquent que “le paiement est l’exécution de
l’obligation qui se traduit par la délivrance d’une somme
d’argent ou de quelque chose d’autre de valeur”. La Cour
insiste alors sur ce “quelque chose d’autre de valeur”
pour souligner que les prestations promotionnelles et
autres engagements promis par le laboratoire princeps
peuvent correspondre à cette définition.
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les inclure dans le champ du contrôle de l’antitrust (King
Drug Co. of Florence, Inc. v. Smithkline Beecham Corp.,
n° 14-1243, 3rd Cir., 26 juin 2015). S’alignant sur cette
tendance, la Cour d’appel du premier Circuit a estimé
qu’il ne fallait pas considérer a priori ces accords comme
des pratiques neutres ou inoffensives.
La solution retenue par la Cour d’appel du premier Circuit
fait donc entrer dans le champ du contrôle antitrust des
accords qui n’impliquent pas le versement de sommes
d’argent, mais des services et des engagements comportementaux en contrepartie de report de la mise sur le
marché des génériques. Toutefois, la décision du 22 février
2016 ne dit pas que ce type de d’accords transactionnels
est nécessairement illicite : ces contrats sont simplement
soumis à la règle de raison, tout comme les accords de
“cash payments” visés par la Cour suprême dans l’affaire
Actavis. Plus généralement, la solution paraît respecter
parfaitement l’esprit de la jurisprudence de 2013. Si cette
dernière a pris un parti raisonnable en refusant d’analyser les accords de report d’entrée sous l’angle de la
prohibition per se, comme le préconisait la Federal Trade
Commission, elle indique aussi clairement que ce type
d’accord ne doit pas rester en dehors du champ de la
régulation antitrust. Dans l’affaire commentée, la Federal
Trade Commission avait d’ailleurs appelé de ses vœux une
infirmation du jugement de première instance, par la voie
d’un amicus brief. Une douzaine d’États s’étaient ralliés à
la démarche de l’autorité fédérale. Le message a été clairement reçu par la Cour d’appel du premier Circuit pour
qui, une interprétation restrictive de la décision Actavis
de la Cour suprême se serait traduite par “l’octroi d’une
carte blanche aux fabricants de médicaments pour négocier
des accords transactionnels potentiellement anticoncurrentiels, dès lors qu’ils n’impliquent pas de paiement de
sommes d’argent”.
D’un point de vue plus pratique, la décision du 22 février
2016 est importante car d’autres juridictions avaient
adopté une solution semblable à celle retenue par le
Tribunal fédéral du District du Rhode Island (v. par
ex. In re Lamictal Direct Purchaser Antitrust Litig.,
18 F. Supp. 3d 560, D. N.J. 2014 ; plus largement, sur
ces jurisprudences, v. M. Raptis et M. N. Delanay, PostActavis Rulings Focus on What Constitutes a Payment
in Reverse-Payment Settlements, Skadden’s 2015
Insights - Global Litigation, janv. 2015). Une partie
de la doctrine critiquait ces hésitations de la part des
tribunaux fédéraux (T. Aoki, The Problem of Reverse
Payments in the Pharmaceutical Industry following
Actavis, Hastings L. J., vol. 67, déc. 2015, p. 259 et s. ;
adde J. P. Davis et R. J. McEwan, Deactivating Actavis:
The Clash Between the Supreme Court and (Some)
Lower Courts, Rutgers U. L. Rev., 2015, vol. 67 p. 557
et s.). La décision commentée s’aligne sur la solution
de la Cour d’appel du 3ème Circuit rendue quelques mois
auparavant dans une affaire similaire (King Drug Co.
of Florence, Inc. v. Smithkline Beecham Corp., préc.).
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
239
L’affaire est donc renvoyée. De tout ceci, il ressort que
la décision Actavis n’a pas totalement dissuadé les laboratoires pharmaceutiques de recourir aux accords de
report d’entrée. Simplement, les modalités ont évolué.
Plutôt que de recourir aux contrats de “cash payments”,
identifiés comme “pratiques à risque” depuis 2013, les
entreprises du secteur pharmaceutique semblent s’être
rabattues sur des accords non-monétaires du type de
ceux examinés dans la présente affaire. Sur le fond, la
nocivité de ces pratiques est contestée. Nul doute que la
bataille du Loestrin 24 ne fait que commencer, dans la
240
Concurrences N° 2-2016 I Chroniques I Jurisprudences européennes et étrangères
mesure où les plaignants vont désormais devoir démontrer que les accords négociés sont déraisonnables et
injustifiés, comme l’exige le test établi par l’arrêt Actavis.
Or, depuis l’adoption de la jurisprudence Twombly (Bell
Atlantic Corp. v. Twombly, 550 U.S. 544, 2007), on sait
que les demandeurs doivent établir le caractère “plausible” de leurs allégations. Cette tâche s’avère souvent
difficile à accomplir en pratique, surtout sur des marchés
aussi complexes que celui des produits pharmaceutiques
(pour une illustration, v. In re Effexor XR Antirust Litig.,
Civil Action n° 11:5479 PGS(LHG), 2014 WL 4988410,
D. N.J. 6 oct. 2014). To be continued, donc…
J.-C. R. n
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Cette concordance des jurisprudences est de nature à
assurer une plus grande sécurité juridique aux acteurs
du marché. (oui)
Concurrences
Concurrences est une revue
trimestrielle couvrant l’ensemble
des questions de droits de
l’Union européenne et interne
de la concurrence. Les analyses
de fond sont effectuées sous
forme d’articles doctrinaux,
de notes de synthèse ou
de tableaux jurisprudentiels.
L’actualité jurisprudentielle
et législative est couverte par
onze chroniques thématiques.
Editoriaux
Jacques Attali, Elie Cohen,
Claus‑Dieter Ehlermann, Ian Forrester,
Eleanor Fox, Laurence Idot, Frédéric
Jenny, Jean-Pierre Jouyet, Hubert Legal,
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Marc van der Woude...
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David Bosco, Murielle Chagny, John Connor,
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Emmanuel Combe, Thierry Dahan,
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Pratiques
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des engagements, Droit pénal et concurrence,
Legal privilege, Cartel Profiles in the EU...
International
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Switzerland, Sweden, USA...
Chroniques
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Grimaldi, Michel Debroux, Etienne Thomas
Pratiques unilatérales
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Pratiques commerciales
déloyales
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Jean-Louis Fourgoux, Jean-Christophe Roda,
Rodolphe Mesa, Marie‑Claude Mitchell
Distribution
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Didier Ferrier, Anne-Cécile Martin
Concentrations
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Ianis Girgenson, Jacques Gunther,
Sergio Sorinas, David Tayar
Aides d’État
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Procédures
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Régulations
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Emmanuel Guillaume, Jean-Paul Tran Thiet
Mise en concurrence
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Secteur public
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Jurisprudences
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