TOP OF THE POPS

Transcription

TOP OF THE POPS
A
ucun poisson d’avril
pour la première émission de Top Of The
Pops diffusée le 1er avril 1964 !
La toute jeune jamaïcaine MILLIE (Millicent) SMALL, originaire de Clarendon, en est la
révélation fracassante avec
son immortel « My Boy Lollipop », si allègre et enjoué.
Après avoir enregistré plusieurs disques en duo dans
son île, elle est remarquée par
le producteur anglo-jamaïcain
Chris Blackwell. Il a vécu longtemps dans cette île au soleil
(titre d’un roman d’Alec
Waugh, devenu un film à succès et un tube pour Harry Belafonte... et l’inspiration de
Blackwell pour le nom de son
label, Island) où il a enregistré
des artistes locaux sur son étiquette jamaïcaine, avant de
s’établir à Londres en 1962 et
d’y vendre ses réalisations, de
manière artisanale dans un
premier temps, aux communautés concernées.
Millie Small
SWINGING
Voici le troisième épisode
consacré à la légendaire
émission télévisée hebdomadaire de la BBC, Top Of The
Pops (JBM N°294 & 295), produite
par Johnnie Stewart, inspiré par
MILLIE SMALL
Sans retracer toute la saga de
Millie (Chris Blackwell n’a pas
été son premier producteur),
on rappellera que, bien avant
Bob Marley, la chanteuse de
17 ans – la publicité d’époque
parle de son jeune âge de 15 ou 16 ans – est la
première star jamaïcaine, même éphémère, de
l’histoire. En réalité, l’original américain, non jamaïcain, a été créé par la jeune Barbie Gaye en 1956
sur un label obscur, Darl, sous le titre « My Boy
Lollypop », dont l’orthographe se voit bizarrement
changée en « My Boy Lollipop » pour Millie, plus
ou moins fidèle à l’originale. Blackwell, dont la
famille est riche, se rend régulièrement aux
Etats-Unis et il y acquiert maints disques de
rhythm’n’blues, un style qui influence fortement le
ska. En entendant cette joyeuse chanson juvénile par la méconnue Barbie Gaye, il croit à son fort
potentiel, en y associant Millie Small. Elle enregistre ce morceau si séminal au studio Olympic à
Londres, après une première tentative de Millie
restée sans succès, « Don’t You Know »/« Until
You’re Mine », parue sur Fontana. Le producteur
a fait venir la souriante jeune fille si speed dans la
capitale londonienne quelques mois auparavant.
Il est son manager et également son tuteur. « My
Boy Lollipop » a été découvert par Chris Blackwell avec le producteur de Fontana Jack Baverstock. Il n’est pas aisé de déterminer le rôle exact
de chacun de ces deux hommes par rapport à ce
coup de flair fabuleux, qui engendre une vente
située entre six et sept millions d’unités. Blackwell
confie la direction musicale au guitariste jamaïcain
Ernest Ranglin, qui a déjà beaucoup enregistré
pour lui dans l’île, avant de devenir londonien. Ici
on doit tordre le cou de deux légendes qui se sont
succédées quant au personnel présent pour cette
séance historique. On a longtemps cru que Rod
Stewart jouait la fameuse partie d’harmonica, en
contrepoint irrésistible pour répondre aux joyeux
couplets. Puis Jimmy Powell a affirmé, dans une
interview, qu’il s’agissait de lui ! En réalité, Jimmy
Powell et les Five Dimensions se trouvent effectivement en studio ce jour-là. Mais Rod Stewart a
déjà quitté le groupe. Jimmy Powell effectue bien
une tentative à l’harmonica, mais elle est rejetée.
C’est un des Five Dimensions, Pete Hogman, qui
est responsable de cette partie instrumentale si
importante pour l’attrait immense de ce tube, tant
en Angleterre qu’aux Etats-Unis et ailleurs.
« My Boy Lollipop » est généralement considéré
comme le tout premier succès produit par Chris
Blackwell. Mais le label indique BPR Productions,
soit un triumvirat du show-business comprenant
56
TOPOFT
Blackwell (B), Chris Peers (P) et le célèbre chef
d’orchestre Harry Robinson (R). Ce dernier a même dirigé une séance française historique à
Londres : celle de Serge Gainsbourg avec notamment « La Javanaise » ! En réalité, dès 1963, Chris
Blackwell diversifie ses activités au-delà d’Island.
Le véritable premier succès (anglais et américain)
des productions BPR est féminin lui aussi, c’est
« You Don’t Have To Be A Baby To Cry » à l’été
1963 par le duo de chanteuses britanniques les
Caravelles ! Amusante coïncidence : c’est en
avion (et probablement pas en Caravelle !) que la
future responsable du succès suivant de BPR
Productions, bien plus important encore, à savoir
Millie, s’est posée dans la capitale d’Albion !
Comme quoi les femmes coûtent de l’argent à
certains, mais en rapportent beaucoup à d’autres,
par des moyens tout à fait avouables et créatifs
dans le cas qui nous occupe ! La rengaine de Barbie puis Millie a été écrite par un certain J. Roberts
et par Robert Spencer. Ce dernier est un des
membres des Four Cadillacs, un des deux groupes concurrents nés d’une dispute au sein des
Cadillacs. Et contrairement à ce qu’on peut lire sur
internet, le fameux entrepreneur américain de
disques, Morris Levy – un homonyme dirigeait les
disques Oriole en Grande-Bretagne ! –, n’a jamais
figuré dans les crédits de ce tube. D’autre part, la
persistance de Chris Blackwell doit être louée
puisqu’il a déjà publié deux disques de Millie sur
Island, passés inapercus au sein du public
anglais. Chaque fois en duo : Roy & Millie en 1962,
puis Shenley & Millie en 1963. On dit depuis que,
avant l’explosion du reggae, la vague du ska a fait
connaître la Jamaïque au public pop. Deux
remarques historiques : une première allusion à
l’île enchanteresse a surgi dans l’univers du
rock’n’roll dès mars 1958. Pour l’album « Rockin’
Around The World » de Bill Haley, un des Comets,
Billy Williamson, chante un trépidant « Jamaica
DJ » ! Moins anecdotique : le terme qui fait fureur
en Angleterre à la suite du succès de Millie n’est
pas encore le ska, utilisé aux USA à l’époque pour
définir cette musique, mais le blue beat, une
expression passée depuis aux oubliettes.
Pourtant, le label londonien Blue Beat a été fondé
en 1960 par le patron de Melodisc, qui place un
certain Siggy Jackson à la tête des opérations. Le
méconnu Jackson a le crédit d’avoir importé en
premier ce style en Angleterre, environ deux ans
avant Chris Blackwell. En 1964, Siggy Jackson
définit le blue beat dans le Melody Maker comme
un beat rapide, hypnotique et monotone. Sa rivalité féroce avec Blackwell est connue, pour signer
des vedettes jamaïcaines. Bien entendu, on
connaît l’évolution ultérieure de Chris Blackwell
dans le monde du rock, qui l’éloigne parfois de
ses racines personnelles et professionnelles. On
assiste donc à une situation paradoxale : le succès phénoménal de « My Boy Lollipop » entraîne
une mode dont le nom est redevable au pire rival
discographique de Chris Blackwell : Siggy Jackson ! Le genre devient culte chez les mods, et une
future star comme Georgie Fame galvanise le Flamingo avec ses Blue Flames, qui sacrifient souvent au blue beat. Pour l’anecdote, leur premier
EP, produit pour Columbia par le grand Ian Samwell, s’intitule « Rhythm And Blue-Beat ». Et un
des morceaux est baptisé... « Madness » ! Une
reprise de Prince Buster mais il n’y a aucun crédit
sur le label ! Un titre qui va inspirer un groupe très
populaire de revivalistes ska anglais dans les
années 80 ! Si le Flamingo est un lieu de rendezvous pour les mods et les jeunes branchés, c’est
une bonne raison pour y engager The fabulous
Millie and the 5 Embers pour une nuit Blue Beat at
the Flamingo, le 16 avril 1964. Des réjouissances
qui seront suivies par une soirée blue beat tous les
jeudis, suite au triomphe de la jeune artiste à cette
date. Selon le patron Rik Gunnell, il s’agit même
de sa plus grosse audience. Dommage qu’aujourd’hui Millicent Small soit infiniment moins évoquée que Bob Marley lorsque l’attention se porte
vers la musique de Jamaïque. Pour en finir avec
Millie, on constate qu’étrangement « My Boy Lollipop » ne parvient pas à se hisser plus haut que
la 2e position dans les classements. On pourrait
citer des dizaines de chart toppers qui n’évoquent
plus rien au public de nos jours, alors que le tube
propulsé par Millie est manifestement inoubliable.
Bizarrement, le Top Of The Pops du 1er avril ne
Les Mojos

Documents pareils