compositeur et son temps - Médiathèque de la Cité de la musique
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compositeur et son temps - Médiathèque de la Cité de la musique
cité de la musique François Gautier, président Brigitte Marger, directeur général Ce cycle de concerts tente d’éclairer le processus créateur qui relie les compositeurs à leur temps. Sont-ils, comme l’écrivait Franz Liszt, des avant-gardistes qui lancent « leur javelot vers les musiques de l’avenir » ? Sont-ils quelquefois passéistes ou plus simplement des créateurs au diapason de leur époque ? Dans tous les cas, les réactions sont révélatrices de l’esthétique et du comportement socio-culturel d’un temps donné. Il est d’ailleurs important de connaître l’attitude du public des siècles passés, pour savoir s’il réagit de la même manière que le public d’aujourd’hui face à la musique contemporaine. Quels intérêts suscitèrent les compositeurs ? Etaient-ils, comme les poètes maudits, des incompris, des inconnus ou des fomentateurs de scandales dignes de celui du Sacre du Printemps au Théâtre des Champs-Elysées ? Qu’est-ce qui choque ou provoque l’adhésion ? Notre parti pris a été de se rapprocher d’un compositeur contemporain, Marc Monnet, afin de lui proposer de concevoir la programmation d’un cycle de concerts, et de lui demander de réfléchir à un ensemble de questions qui permettrait de confronter volontairement des œuvres d’époques distinctes. Le résultat de cette recherche contribuera, nous l’espérons, à trouver des pistes et émettre quelques hypothèses, qui seront développées lors du forum musical du 24 janvier. Pascale Saint-André Les concerts du cycle seront précédés d’une courte présentation du compositeur Marc Monnet. samedi 10 janvier - 16h30 / amphithéâtre du musée Edgar Varèse Déserts, pour orchestre et bande magnétique (extrait de l’enregistrement du concert de création donné au Théâtre des Champs-Elysées le 2 décembre 1954 par l’Orchestre National, sous la direction d’Hermann Scherchen) (durée : 4 minutes) Claude Debussy En blanc et noir, pour deux pianos (durée : 15 minutes) avec emportement, lent/sombre, scherzando Valérie Bautz, Vanessa Wagner, pianos Antón Webern Quatre pièces pour violon et piano, op 7 sehr langsam, rasch, sehr langsam, bewegt (durée : 5 minutes) Jean-Marc Phillips-Varjabédian, violon Vanessa Wagner, piano Mauricio Kagel Ludwig van (durée : 15 minutes) Jean-Marc Phillips-Varjabédian, violon François Salque, violoncelle Valérie Bautz, Vanessa Wagner, pianos Antón Webern Trois petites pièces pour violoncelle et piano, op 11 mässig, sehr bewegt, aussert ruhig (durée : 3 minutes) François Salque, violoncelle Valérie Bautz, piano Robert Schumann Chants de l’aube (Gesänge der Frühe), op 133 Im ruhigen tempo, Belebt nicht zu rasch, Lebhaft, Bewegt, Im Anfange ruhiges/Im Verlauf bewegtes tempo (durée : 12 minutes) Valérie Bautz, piano Edgar Varèse Déserts (extrait sur bande magnétique) (durée : 4 minutes) concert enregistré par France Musique le compositeur et son temps Edgar Varèse Déserts Composé en 1953-54 après un long silence de vingt ans, Deserts a été créé en 1954 à Paris par Hermann Scherchen et l’Orchestre National. Le Théâtre des Champs-Elysées fut alors le lieu d’un scandale mémorable dont l’enregistrement proposé aujourd’hui permet une appréciation.Varèse n’avait pas dû être surpris par ces réactions épidermiques, puisqu’en mars 1923, la création d’Hyperprism avait déjà provoqué, au Klaw Theatre de New York, une pagaille célèbre. « Un chahut terrible, relate Varèse. La bataille a continué dans la rue. mais ça m’est égal. Je m’en fous complètement qu’on n’aime pas ma musique ». Romain Rolland avait si bien décelé en lui l’artiste qui « devait commencer par oublier tout ce qu’il avait jusque-là entendu ou écrit, faire table rase de tout formalisme appris, de la technique traditionnelle, rejeter les béquilles de l’esprit impotent, ce lit tout fait de la paresse de ceux qui, fuyant la fatigue de penser par eux-mêmes, se couchent dans la pensée des autres » (Jean-Christophe, 1912). Pour répondre à cette impérative prospection,Varèse devait se séparer des instruments traditionnels qui « ne peuvent plus explorer la multitude des timbres de des registres possibles » (London Evening News, 14 juin 1924), et s’allier les pouvoirs nouveaux de l’électroaoustique. Déserts constitue en effet la première musique orchestrale complétée par une bande magnétique (sons concrets récoltés dans les usines, sur les bateaux, ou mis au point en studio). Déserts sous-entend également la négation de la pratique et de l’interprétation conventionnelles de la musique. « Déserts signifie pour moi, écrit Varèse à Odile Vivier en 1954, non seulement les déserts physiques, du sable, de la mer, des montagnes et de la neige, de l’espace extérieur, des rues désertes dans les villes, non seulement ces aspects dépouillés de la nature qui évoquent la stérilité, l’éloignement, l’existence hors du temps, mais aussi ce lointain espace intérieur qu’aucun télescope ne peut atteindre, où l’homme est seul dans un monde de mystère et de solitude essentielle. Je n’attends pas de la musique qu’elle transmette rien de cela à un auditeur. Quoiqu’il en soit, si les idées peuvent être la genèse d’une œuvre en cours de composition, la musique se charge d’absorber tout ce qui n’est pas purement musical ». notes de programme |3 le compositeur et son temps Claude Debussy En blanc et noir Ces trois caprices ont été conçus durant l’été 1915 à Pourville (au bord de la Manche), dans la retraite que se donnait Debussy pour composer loin des troubles internationaux. La dernière période de sa vie s’accompagne en effet d’un engagement paradoxal : Debussy signant « musicien français » - entend défendre musicalement la souveraineté nationale, et, dans le même temps, s’abstrait des courants à la mode au profit d’un retour aux formes lointaines des XVIIe et XVIIIe siècles. Debussy associe ainsi l’extrême liberté de langage (utilisation de l’harmonie par couleur plus que par fonction) à la référence au passé lointain. Les pièces, indique Debussy, « veulent tirer leur couleur, leur émotion du simple piano, tels les gris de Velasquez ». L’abondance des références affichées témoignent aussi de ces correspondances historiques. La première cite en exergue un extrait de Roméo et Juliette de Barbier et Carré : « Qui reste à sa place / Et ne danse pas / De quelque disgrâce / Fait l’aveu tout bas » (allusion à son état de santé qui l’empêche d’aller combattre). La seconde pièce est dédiée « Au lieutenant Jacques Charlot, tué à l’ennemi en 1915, le 3 mars » et ajoute, en épigraphe, un extrait de la Ballade contre les ennemis de la France de François Villon : « Prince, porté soit des serfs Eolus / En la forêt où domine Glaucus / Ou privé soit de paix et d’espérance / Car digne n’est de posséder vertus / Qui mal voudroit au Rouyaulme de France ». Des trois pièces, celle-ci est certainement la plus grave. Debussy l’estime « la plus trouvée des trois » et commentait l’esquisse « très poussée au noir et presque aussi tragique qu’un caprice de Goya ». Un jeu symbolique accompagne l’écriture musicale qui simule un affrontement entre un choral luthérien (l’ennemi allemand) et une frêle mélodie française. « Vous verrez, écrit Debussy à son éditeur Durand, ce que peut « prendre » l’hymne de Luther pour s’être imprudemment fourvoyé dans un « caprice » à la française.Vers la fin, un modeste carillon sonne une pré-Marseillaise ; tout en m’excusant de cet anachronisme, il est admissible à une époque où les pavés des rues, les arbres des forêts, sont vibrants de ce chant innombrable. Je n’ai pu indiquer des mouvements métronomiques : Monsieur Maetzel [l’inventeur allemand du métronome] n’a plus de correspondant dans ce pays, depuis la guerre. » 4 |cité de la musique le compositeur et son temps Antón Webern Pièces, op 7 et 11 Réduites à des dimensions minimalistes, ces pièces instrumentales n’en synthétisent pas moins des univers sonores contrastés. « Tout un roman en un simple soupir » écrit Schoenberg à propos de ces œuvres de la période pré-sérielle (1910 et 1914). L’utilisation des hauteurs est seulement régie par une logique atonale qui cherche à gommer les centres de gravité, sans toutefois théoriser cette suspension comme le fera Schoenberg dix ans plus tard. Ce sont plutôt les principes de concentration qui caractérisent ces pièces, à compter parmi les plus courtes l’œuvre de Webern. Mais les dimensions microscopiques ser trouvent compensées par la variété du tissu sonore, fouillant les dynamiques jusqu’aux limites du silence, exploitant les hauteurs éparpillées comme un « kaléidoscope d’effets instrumentaux » (Moldenhauer), et laissant deviner une conduite mélodique dissimulée par les changements de timbre (Klangfarbenmelodie). Même le tempo fluctue pour répondre à la ténuité de la matière, laissant le discours à l’état de geste et de fragment. Ultime étape minimaliste : Webern tentera de réduire ces formes aphoristiques au néant lorsqu’il proposera tout simplement de ne pas jouer ses Trois petites pièces pour violoncelle et piano. « Celles-ci, demande-il à Willi Reich en 1939, je préfère qu’on ne les joue pas du tout ! Non pas parce que je ne les trouve pas bonnes, mais elles ne pourraient être qu’incomprises : il est très difficile pour les exécutants, comme pour les auditeurs, de « faire » quelque chose de ces pièces » (Chemin vers la nouvelle musique). Mauricio Kagel Ludwig van Mauricio Kagel a d’abord relu Beethoven par son film Ludwig van (1969). « J’ai dit que Ludwig van était une déclaration d’amour pour Beethoven. (…) Et c’est très difficile de dire exactement ce que Beethoven est pour moi… Parce que je l’aime tellement. Je suis né dans une tradition… traditionnelle, disons comme ça ! Mais justement, ces rapports très forts avec la musique du passé sont pour moi la raison de repenser toujours ce qu’est la musique du passé. Ce que notes de programme |5 le compositeur et son temps Schwitters disait : la tradition, c’est moi. Je pense que, dans la musique, c’est absolument valable. » (Entretien du 30 mai 1972, in Tam-Tam). Le principe de la musique du film Ludwig van consistait à placer l’interprète dans une chambre tapissée de musique de Beethoven. Le musicien se laissait guider par son l’œil afin de recomposer une œuvre à travers deux dimensions, extrêmes et simultanées : le fragment et le tout. L’œuvre en concert répond au même projet, puisque les interprètes s’inspirent de projections de fragments. La réappropration est cependant d’autant plus virtuose qu’elle se déroule à quatre. Robert Schumann Chants de l’aube, op 133 Chef-d’œuvre d’originalité et de concision, les Gesänge der Frühe (Chants de l’aube) sont dédiés à la poétesse Bettina (Elisabeth Brentano), confidente et amie de Goethe. Ils incarnent idéalement la nouvelle forme du romantisme : celle du fragment, du cycle musical donné comme équivalent à celui de la poésie, celle de la suggestion, du rêve et de la fugacité. Ces pièces furent les dernières que Schumann pourra véritablement mener à leur terme. En 1853, les signes évidents de folie l’empêchaient en effet de mener à bien la plupart de ses compositions. A son éditeur, il indiquera seulement : « Ce sont des pièces qui traduisent une émotion à l’approche de l’aube ; plus qu’une description pittoresque, elles sont l’expression d’un sentiment ». Les apparitions thématiques s’enfuient entre les dédales du contrepoint, ou au contraire s’exposent à nu, comme au début du premier chant, dans un dépouillement choral et mystique proprement halluciné. Autant de tranquilles éblouissements et de vertiges du vide que Marcel Beaufils rapprochaient du Champ de blé aux corbeaux de Van Gogh. Emmanuel Hondré 6 |cité de la musique dimanche 11 janvier - 15h / amphithéâtre du musée Jean-Jacques Rousseau Lettres sur la musique française (1753) (extraits) Daniel Znyk, récitant Olivier Messiaen Quatre Etudes de rythme (extrait) Neumes rythmiques (durée : 8 minutes) Jérôme Ducros, piano Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville Daphnis et Alcimadure, ouverture d’opéra, réduction pour orgue Titon et l’Aurore, ouverture d’opéra, réduction pour orgue (durée : 8 minutes) Christophe Henry, orgue Jean-Jacques Rousseau Lettres sur la musique française (1753) (extraits) Daniel Znyk, récitant Jean-Philippe Rameau Pièces de clavecin en concerts (Deuxième concert) La Boucon, L’agaçante (durée : 9 minutes) Les Talens Lyriques : Christophe Rousset, direction, clavecin Myriam Gevers, violon Philippe Pierlot, viole Olivier Messiaen Quatre Etudes de rythme, pour piano (extrait) Modes de Valeurs et d’Intensités (durée : 8 minutes) Jérôme Ducros, piano Jean-Philippe Rameau Pièces de clavecin en concerts (Troisième concert) La Timide, 1er Tambourin, 2e Tambourin en rondeau (durée : 9 minutes) Les Talens Lyriques Jean-Jacques Rousseau Lettres sur la musique française (1753) (extraits) Daniel Znyk, récitant Giovanni-Battista Pergolèse Sonate en fa majeur, pour orgue (durée : 9 minutes) Christophe Henry, orgue Jean-Philippe Rameau Pièces de clavecin en concerts (Quatrième concert) La Pantomime, La Rameau (durée : 9 minutes) Les Talens Lyriques György Ligeti Etude n° 1 pour orgue : Harmonies Christophe Henry, orgue (durée : 3 minutes) concert enregistré par France Musique L’ensemble Les Talens Lyriques est soutenu par la Fondation France Telecom depuis janvier 1994. le compositeur et son temps Olivier Messiaen Quatre Etudes de rythme Inscrites dans le contexte de l’avant-garde des compositeurs de Darmstadt, les Quatre études de rythme ont été composées en 1949 et publiées séparément. Leur simplicité d’utilisation des techniques sérielles les plus complexes les a rendues immédiatement très célèbres. Un paradoxe subsiste cependant - et de taille : Messiaen était depuis pris comme un exemple du sérialisme intégral, alors que ces études n’étaient en fait qu’une exception dans son œuvre… Mode de valeurs et d’intensités prolonge le principe de la logique sérielle : non seulement les hauteurs des notes sont utilisées systématiquement dans le même ordre (la « série »), mais les autres paramètres sont aussi sérialisés. Chaque note du clavier se voit ainsi attribuer une combinaison fixe qui détermine sa hauteur, sa durée, son intensité et son attaque. Le jeu de l’interprète s’en trouve complexifié à l’extrême, puisque chaque note requiert son propre « monde sonore ». Neumes rythmiques s’inspire du plain-chant grégorien, la monodie religieuse médiévale dont le rythme épouse celui des accents du texte latin. A l’intérieur d’une phrase grégorienne, le neume correspond à une cellule d’une ou de plusieurs notes. « En regardant les différentes figures de neumes du plain-chant, écrit Olivier Messaien, j’ai eu l’idée de leur chercher des correspondances, des équivalences rythmiques. Jeu de transposition de plans ; la sinuosité mélodique indiquée par le signe neumatique se muant en groupes de durées. Chaque neume rythmique est pourvu d’une intensité fixe, et de résonances aux couleurs chatoyantes, plus ou moins claires ou sombres, toujours contrastées » (préface de la partition). la Querelle des Bouffons Les années 1752-54 voit naître à Paris une querelle qui réactive, en le rendant plus virulent encore, le débat qui opposait depuis le début du XVIIe siècle le goût italien au goût français, tout autant que l’influence politique et religieuse des deux pays. Les faits commencent le 1er août 1752 lorsqu’est donnée à l’Académie Royale La Serva Padrona (La Servante Maîtresse) de Pergolèse. Le notes de programme |9 le compositeur et son temps succès remporté par la troupe italienne, invitée pour interpréter cet opéra-bouffe, porte alors ombrage au genre très officiel de la tragédie lyrique (sorte de combinaison musicale associant l’esprit de la tragédie classique aux ballets d’apparat). La querelle intervient entre Français seulement, en opposant les tenants du genre versaillais (Mme de Pompadour, le journaliste Fréron, l’Abbé Voisenon, et des compositeurs comme Rameau, Mondonville, Montéclair et Campra) aux défenseurs du goût italien (Rousseau, Grimm, D’Holbach). Les deux clans s’affrontent par pamphlets interposés, mais aussi à l’Académie Royale où la loge du Roi sert à abriter les officiels pro-français, et la loge de la Reine les amoureux de la musique italienne (ce qu’ils avaient fini par nommer la « Guerre des Coins »). Le nom de la « Querelle des Bouffons » est né de la référence au genre buffa que défendaient la loge de la Reine, un genre directement issu de la commedia dell’arte, privilégiant la mélodie sur l’harmonie, la voix sur l’orchestre, et le drôle sur le sérieux. Les critères du goût français répondaient, quant à eux, à ceux hérités de Jean-Baptiste Lully : équilibre entre harmonie et mélodie, égale importance accordée à l’orchestre et aux chanteurs, noblesse de la déclamation française. Le 30 septembre 1753 un petit opéra-comique intitulé Les Troqueurs (avec une musique de Dauvergne) relatera avec ironie l’affrontement entr les deux camps : deux couples veulent échanger leurs partenaires (cf Cosi fan Tutte) mais finalement y renoncent… « La musique française, écrivit F. L. C. Marin peu après, est d’une beauté mâle et régulière qui nous en impose par la fierté et la majesté. (…) L’italienne ressemble à une coquette rusée qui folâtre et qui nous charme par ses gentillesses. (…) Il est impossible de comparer l’une avec l’autre, elles ont chacune leurs beautés particulières, et ce serait diminuer nons plaisirs que d’en adopter une exclusivement à l’autre » (Ce qu’on a dit, ce qu’on a voulu dire, s. d.). En effet, la Querelle des Bouffons se terminera par une demi-victoire du clan français, ce dernier ayant « prouvé » sa supériorité politique, mais n’admettant pas qu’il vivait pourtant ses dernières heures. 10 |cité de la musique le compositeur et son temps György Ligeti Etude n° 1 Harmonies Composée en juillet 1967 pour Gerd Zacher, l’étude Harmonie prolonge les recherches désignées par le OP-ART dans les arts plastiques : « des transitions à peine perceptibles, de fines nuances de couleurs et de petits ornements géométriques forment un continuum qui se dérobe à nouveau en un ensemble, ou qui se joue de ses observateurs par des illusions d’optique » (Hans-Christian von Dadelsen). Appliqué à l’orgue, ce geste esthétique requiert une utilisation hors norme de l’instrument, le son paraissant déformé par la diminution de la pression de l’air injecté dans les tuyaux. « L’orgue m’intéresse, explique Ligeti, d’une part par sa très grande richesse en possibilités de timbres jusque-là encore inexplorées, d’autre part et surtout par ses imperfections : sa gaucherie, sa raideur et sa maladresse. Cet intrument ressemble à une gigantesque prothèse. Cela m’excita de découvrir comment on pouvait réapprendre à marcher avec cette prothèse. (…) S’engendre une forme pour ainsi dire vide, où apparaissent des silhouettes sans visage, comme dans les tableaux de Giorgio de Chirico, des arrière-plans majestueux, une architecture composée uniquement d’échafaudages dans laquelle manque un édifice insaisissable. » A la lente - et presque sournoise - transformation d’une harmonie vient se greffer la symbolique du nombre 10. « Les dix doigts des deux mains sont complètement immobilisés sur le clavier, et un seul doigt change de place à la fois pour un saut d’un demi-ton. Les voix particulières se trouvent alors dispersées en une disposition à dix voix » (Hans-Christian von Dadelsen), ce qui renforce l’effet de fusion sonore et l’image prégnante d’un présent claustrophobique chère à Ligeti. E. H. notes de programme |11 samedi 17 janvier - 16h30 / amphithéâtre du musée Karlheinz Stockhausen Zyklus, pour un percussionniste (durée : 16 minutes) Olaf Tzschoppe, percussions Wolfgang Amadeus Mozart Quatuor à cordes n° 19, en ut majeur, K 465, « des dissonances » adagio/allegro, andante cantabile, menuetto, allegro (durée : 30 minutes) Quatuor Amati : Willi Zimmermann, Katarzyna Nawrotek, violons Nicolas Corti, alto Claudius Hermann, violoncelle Marc Monnet Bibilolo (création mondiale) (durée : 20 minutes) (commande de la cité de la musique et des Percussions de Strasbourg) Handvurst, Pickled-Herring, Chimpanze de cappelin, Pantalon, Jean Potage Les Percussions de Strasbourg : Jean-Paul Bernard, Claude Ferrier, Bernard Lesage, Keiko Nakamura, François Papirer, Olaf Tzschoppe Emmanuel Flety, Thierry Coduys Renaud Clergeot, réalisation des claviers numériques concert enregistré par France Musique coproduction cité de la musique, Les Percussions de Strasbourg - Attentat Les Percussions de Strasbourg sont soutenus par : la Ville de Strasbourg, la DRAC Alsace, le ministère de la Culture (DMD), le Conseil Régional d’Alsace, le Conseil Général d’Alsace. Attentat est soutenu par le ministère de la Culture (DMD) et la SACEM. le compositeur et son temps Karlheinz Stockhausen Zyklus effectif : groupe 1 : 1 marimba, 1 güero, 2 tambours de bois, grelots, caisse claire ; groupe 2 : 4 tom-toms, 2 cymbales, 1 cymbale charleston, 1 triangle ; groupe 3 : 1 vibraphone, 4 cloches de vache, 1 gong à mamelon, 1 tam-tam ; création le 25 août 1959 à Darmstadt par Christophe Caskel ; édition : Universal. Composé en 1959, Zyklus (« cycle ») sollicite le soliste (appelé « batteur ») à l’échelle d’un ensemble de percussions réparti en trois zones. Avec un unique interprète, le propos synthétise quelques-unes des voies explorées dans le Klavierstück IX, Gesang der Jünglinge et Gruppen pour trois orchestres : le principe de forme ouverte et la superposition de dimensions temporelles différentes. La virtuosité s’accroît donc ici par le fait de ne s’adresser qu’à un unique percusionniste. La partition se constitue de 16 feuillets à ordre déterminé. Seul le début du cycle ne l’est pas. L’œuvre peut donc commencer où l’interprète le choisit. Dans le « cercle physique » formé par les percussions, l’instrumentiste oscille lui-même « entre détermination totale et extrême liberté » (Karlheinz Stockhausen) puisqu’au fil déterminé des événements musicaux viennent se greffer des cellules supplémentaires. L’auteur conçoit par ailleurs les différentes sections dans le sens d’une polyphonie de vitesses différentes allant croissante ou décroissante. « On fait l’expérience d’un cercle temporel dans lequels on a l’impression de se mouvoir vers le plus libre (à droite) ou le plus déterminé (à gauche), et dans lequel, néanmoins, au point de contact extrême, l’un se transforme imperceptiblement en l’autre. Fermer la forme ouverte en cercle, réaliser le statique dans le dynamique, l’absence de but dans le déterminé - ne pas exclure l’un ou l’autre, le détruire, ou vouloir chercher un troisième état après synthèse : voilà un nouvel essai pour conserver le dualisme et pour concilier ce qui semble si différent et incompatible » (K. S.). Wolfgang Amadeus Mozart Quatuor à cordes, KV 465, « des dissonances » La série des six quatuors dédiés à Haydn ont coûté plus de peine à Mozart qu’aucune de ses autres œuvres. En témoigne l’exceptionnelle longueur de leur période de composition qui s’étend, pour la notes de programme |13 le compositeur et son temps série complète, de 1782 à 1785. Mais celui à qui ils sont dédiés - et qui donc les comprendrait le mieux - méritait certainement cet investissement. En 1782, Mozart venait également de faire la découverte des compositions de Jean-Sébastien Bach dans la bibliothèque privée du Baron Van Swieten : de là cette attirance - version « classique » pour le contrepoint, et l’usage expressif autant que structurel des dissonances. C’est ce dernier aspect qui marque le plus le Quatuor KV 465, terminé à Vienne le 14 janvier 1785, et dont l’introduction lente a suscité le surnom de « quatuor des dissonances ». L’empilement d’intervalles lointains et les fausses relations y produisent un effet inouï : loin d’être ornementales - et donc minoritaires -, les dissonances monopolisent la part principale du discours, avant d’être résolues, à l’échelle du mouvement, par l’allegro suivant. Il n’est pas étonnant que les contemporains de Mozart aient été surpris par un tel geste. L’éditeur Artaria en premier, qui les renvoie dès leur réception en précisant qu’il « y avait trop de fautes de gravure » dans leur édition originale italienne. Les critiques restèrent eux aussi déroutés, comme en témoigne l’appréciation du Wiener Zeitung datée de janvier 1787 : « Il est regrettable que la phrase de Mozart, si inspirée et d’un beauté réelle, s’égare par trop vouloir à tout prix faire du neuf. L’émotivité et son œuvre n’y gagnent rien. Ses nouveaux quatuors sont trop épicés. Quel est le palais qui, à la longue, pourrait les supporter ? » E. H. Marc Monnet Bibilolo (création) La musique contemporaine prête rarement à sourire. Elle est profondément sérieuse. Elle conçoit, construit, déconstruit, projette. C'est le résultat de toute une histoire. Faire rire avec la musique est d'ailleurs quasiment impossible. Les seuls exemples viennent de la parodie : Offenbach, Kagel... La musique n’est pas drôle en soi. La musique « sérieuse » reste sérieuse. Pourtant j’éprouve le besoin de sortir de mes propres musiques, du sérieux et parfois du tragique que je peux produire moi-même. Se réinventer, insuffler une nouvelle force régénératrice où l’invention pousse à sortir de son propre savoir, de sa propre maîtrise, tel est mon désir. Même si je pense impossible 14 |cité de la musique le compositeur et son temps sans paraître « forcé », d’écrire une musique drôle voir bouffonne, j’ai plutôt été poussé en regard du répertoire pour percussions du XXe siècle à formuler une musique très libre de contraintes. Ainsi, je ne pouvais pas entrer dans l’énième pièce percussive qui depuis Varèse s’amoncellent. Inventer pour percussions devient très difficile. Autant la percussion a apporté au XXe siècle une sorte de rupture avec la musique pour orchestre en représentant l’ordre nouveau, celui des machines et du bruit comme esthétique, autant aujourd’hui, celle-ci devient caricaturale aux regards des inventions électroniques. La percussion doit donc se renouveler et trouver en son jeu (percuter) une alliance avec l’électronique qui lui renouvellera sa palette sonore. Je voulais éviter aussi le monde parodique du rythme qu’elle représente. Il n’y a pas de musique qu’avec le rythme, pas plus que de musique sans le rythme. L’expression « percuter », a fait souvent du tort au rythme. Une confusion est née : frapper ne fait pas du rythme ni de la musique. J’ai donc choisi de changer les modes d’attaques et les timbres en employant exclusivement l’électronique. Les modes de jeu vont aussi changer : les « capteurs » analyseurs de frappe, seront sensibles et permettront de « tenir » des sons, chose impossible avec les instruments à peaux, bois et même métaux. Les timbres feront oublier les limites des roulements de caisse claire, des coups de gong ou des blocs de bois. Pour ce faire, j’ai fait réaliser des instruments nouveaux sous forme de claviers de capteurs, sensibles à la frappe et à de nombreux paramètres. Même si une musique ne peut porter à faire rire en soi, le rire ou le « joyeux » est néanmoins resté sous jacent à l’œuvre. Bibilolo est accompagné de quelques référents aux noms de clowns pour chacune des pièces : Handwurst, Jean Potage, Chimpanz de Capelline, Pantalon, Pickled-Herring... J’espère ne pas déclencher une nouvelle « querelle des bouffons », n’étant pas italien... ...tout beau se compose du tragique et du bouffon... (Flaubert, Lettre à E. Chevalier, 20 janvier 1840) Marc Monnet notes de programme |15 dimanche 18 janvier - 15h / amphithéâtre du musée Carlo Gesualdo Madrigaux (extraits du Livre V, 1611) (durée : 10 minutes) Gioite o voi col canto, Merce grido piangendo, Asciugate i begli occhi Concerto Italiano : Rinaldo Alessandrini, direction Elisa Franzetti, soprano - Rosa Dominguez, mezzo-soprano Gianluca Ferrarini, alto, ténor - Paolo Fanciullacci, ténor Sergio Foresti, basse Ludw ig van Beethoven Quatuor à cordes n° 16, en fa majeur, op 135 (durée : 26 minutes) allegretto, vivace, lento assai, grave ma non troppo tratto, allegro Quatuor Amati : Willi Zimmermann, Katarzyna Nawrotek, violons Nicolas Corti, alto - Claudius Hermann, violoncelle Luciano Berio Sequenza III, pour voix (durée : 10 minutes) Luisa Castellani, mezzo-soprano Claudio Monteverdi Madrigaux (extraits du Livre V, 1605) (durée : 10 minutes) Cruda Amarilli, Era l’anima mia, Che dar più vi possio Concerto Italiano concert enregistré par France Musique le compositeur et son temps Carlo Gesualdo Madrigaux du Livre V (1611) Les dissonances musicales de Carlo Gesualdo (1561-1613) vont encore plus loin que celles de Monteverdi, puisque non contentes de figurer le texte, elles en exaltent la substance avec une violence, une extravagance et un goût du bizarre inouïs. Le texte s’en trouve surdimensionné. Mais à bien y réfléchir, la musique, en extrapolant aussi expressivement le potentiel du texte, finit par en changer aussi l’équilibre poétique. Comment ne pas entendre en effet, que ces intervalles distendus, ces chromatismes saisissants et le jeu éloquent des silences réarticulent en fait le texte ? Il s’agit là d’une des limites du figuralisme qui, poussé dans sa logique extrême, en revient à placer à nouveau la musique au premier plan. L udwig van Beethoven Quatuor à cordes n° 16, op 135 Tout à la fois épurés et visionnaires, les derniers quatuors de Beethoven constituent l’une des perches tendues à l’avenir les plus vertigineuses. La rhétorique classique, tout comme le discours ouvertement dramatisé des quatuors antérieurs, disparaît au profit d’un style expérimental fondé sur le développement permanent. Fi des expositions donnant les clés des métamorphoses thématiques et du parcours allégorique des thèmes cités : le discours s’organise d’une manière circulaire, donnant l’étrange impression à l’auditeur de toujours prendre les éléments en cours, et donc d’en rester pour un part étranger. Cette interprétation de la forme abandonnant les enchaînement « logiques » ou « raisonnables » a d’abord dérouté les contemporains de Beethoven, comme ensuite ses successeurs. Comment en effet composer après lui, alors que cette pulvérisation formelle avait pris en quelques années plusieurs décennies d’avance ? Brahms hésitera, par exemple, à écrire ses quatuors à cordes en composant d’abord des sextuors ou des quatuors avec piano ; Chostakovitch continuera à fouiller les champs contrapuntiques hérités de Beethoven ; et Milhaud voudra se mesurer « quantitativement » au maître de Bonn (« J’écrirai 18 quatuors, un de plus que Beethoven »)… notes de programme |17 le compositeur et son temps Le Seizième quatuor (1826), comme les opus clôturant un genre (cf Neuvième symphonie), élargit la dimension musicale aux références extra-musicales volontairement énigmatiques : en exergue du dernier mouvement figurent énigmatiquement « Der schwer gefasste Entschluss » (la résolution difficilement prise) et « Muss es sein ? - Es muss sein » (Le faut-il ? Il le faut). Question existentielle s’il en est. Autre témoignage, celui du musicologue François-Joseph Fétis (17841871) qui témoigne de la perplexité que pouvait provoquer les derniers quatuors de Beethoven, comme de la conscience de la dimension hors norme de cette musique : « Le sublime s’y trouve parfois ; plus souvent le bizarre. (…) Il est hors de doute que Beethoven, dans ses dernières compositions, a considéré l’art sous un autre point de vue qu’on ne l’avait fait jusqu’alors, et qu’il a eu un autre but que de charmer l’oreille par le développement successif de quelques phrases principales, par des mélodies heureuses ou par des belles combinaisons harmoniques. (…) Ses thèmes sont pour la plupart si vagues, les chocs de sons y sont souvent si durs et désagréables à l’oreille ; l’ensemble, enfin, y a si peu de charme et de clarté qu’il faut bien que le compositeur ait eu un but particulier. » (Revue Musicale n°VII, 1830, p.284 et 279) Luciano Berio Sequenza III « Sequenza III s’inscrit par certains côtés dans mes recherches, menées avec Thema (Omaggio a Joyce), qui est lié aux travaux avec Eco sur l’onomatopée en poésie, avec Circles et, dans une moindre mesure, avec Visage, c’est-à-dire des œuvres qui sont toutes liées à la voix de Cathy Berberian, laquelle a été pour moi une sorte de second studio de phonologie. En effet, Sequenza III est non seulement écrite pour Cathy, mais sur Cathy. J’ai toujours été très sensible, trop peut-être, à la surabondance de connotations qui caractérisent la voix, quoi qu’elle fasse. La voix, du bruit le plus insolent au chant le plus sublime, signifie toujours quelque chose, elle renvoie toujours à autre chose qu’elle-même et crée un gamme d’associations très large : associations culturelles, musicales, quotidiennes, émotives, physiologiques, etc. J’avais demandé à Kutter un texte fait de mots « universels » que l’on 18 |cité de la musique le compositeur et son temps pourrait facilement comprendre et qui se fixeraient aisément dans la mémoire (house, night, woman, words, sing, etc.). Je voulais donc des mots « scéniques », en considérant que la « scène » serait un champs plutôt restreint et non trop ambigu d’associations phonétiques et sémantiques, celles-là même qu’aurait pu recueillir et élaborer également ton auditeur non spécialiste. En somme, la « scène » c’est la tête de ce dernier, une version en miniature du cerveau de l’hôte de l’auberge dans Finnegans Wake. Si le texte n’apparaît jamais (n’est jamais perçu) de manière exhaustive, tous ces éléments survivent néanmoins à la « destruction » et, selon des modalités toujours différentes, sont tous présents. A ce critère de la segmentation du texte, qui produit un perpétuel glissement entre différents degrés de compréhension, s’ajoutent d’autres critères qui concernent plus directement l’interprète et sa virtuosité. Il y a par exemple l’alternance quasi régulière entre le parlé (gestes du parler quotidien) et le chanté (différentes façons de chanter), mais avec tellement de caractéristiques à l’intérieur de chaque classe (outre un certain nombre de modulations du timbre et des sons non vocaux) que l’on n’a jamais une véritable opposition entre le parlé et le chanté, mais plutôt une extension et une transformation de l’un dans l’autre. » Luciano Berio (Entretiens avec Rossana Dalmonte) Claudio Monteverdi Madrigaux En inaugurant une nouvelle manière de composer (la secunda prattica ou seconde pratique), Monteverdi se démarque nettement de la tradition du contrepoint franco-flamand (prima prattica) qui prévalait en Italie à la fin du XVIe siècle. La musique se voulait désormais la servante du texte, privilégiant du même coup l’imitation des mots (« figuralismes » ou « madrigalisme ») par des formules thématiques codifiées ou par l’usage d’harmonies tour à tour consonantes et dissonantes. C’est précisément cette variété de motifs et l’usage libre des harmonies que critiqueront viruleusement quelques musiciens conservateurs comme le théoricien Artusi. Dans la tradition de Zarlino, le point de vue d’Artusi défend ainsi, à travers un échange épistolaire qui notes de programme |19 le compositeur et son temps a pris la tournure d’une véritable querelle, l’unité thématique du madrigal, la constance du contrepoint (et donc l’intégration des dissonances) et la primauté de la musique sur le texte. En réponse à ces reproches, Claudio Monteverdi et son frère signent les premiers manifestes de leur style moderne : « Ne vous étonnez pas que j’aie donné ces madrigaux à l’imprimeur avant d’avoir répondu aux attaques qu’Artusi a portées contre quelques passages de ces madrigaux. Etant au service de Son Altesse de Mantoue, je n’ai pas eu le temps de rédiger une argumentation détaillée. Néanmoins, j’ai écrit une réponse par laquelle j’espère montrer que je ne compose pas au hasard. Dès que j’aurai terminé de l’écrire, je la publierai sous le titre : « Deuxième pratique [seconda prattica], ou Sur la perfection de la musique moderne ». Ceux qui pensent qu’il n’existe pas d’autres manières de composer que celle de Zarlino vont peut-être s’étonner d’un tel titre. Mais ils peuvent être assurés que pour ce qui concerne les dissonances et les consonances, il s’agit encore d’autre chose qui n’a rien à voir avec ce qui est généralement admis, qui est en accord avec le sens et avec la raison, et qui consitue la défense de la composition moderne. C’est ce que je tenais à vous dire, de peur que ce terme de « deuxième pratique » ne soit mal compris par les autres, et aussi pour que les lecteurs cultivés prennent en considération d’autres aspects de l’harmonie et croient que le compositeur moderne bâtit bien son œuvre sur la Vérité. » Claudio Monteverdi (Préface de la première édition du Livre V, 1605) « Artusi, tel un bon pédagogue, s’attache à quelques petits fragments ou passages du madrigal de mon frère Cruda Amarilli, et ne se préoccupant nullement de l’expresssion des paroles, les bouleverse de manière telle qu’il semblerait qu’elles ne dussent jamais avoir eu aucun rapport avec la musique. (…) Le texte doit être le maître de la musique et non son serviteur. » Giulio-Cesare Monteverdi (Préface des Scherzi Musicali, 1607) 20 |cité de la musique le compositeur et son temps Carlo Gesualdo Gioite o voi col canto Gioite voi col canto, Mentre piango e sospiro, Nè dal mio lagrimar punto respiro. Ahi, miserio mio core, Nato sol al dolore : Piangi, ma piangi tanto Che vinta dal tuo pianto Sia la mia donna e poi rivedi in lei Gli affani e i dolor miei. Jouissez de la musique, Lors que je pleure et soupire Et que mes larmes couvrent ma voix. Saigne, mon cœur, Toi que vis du chagrin. Pleure, mais pleure tant Qu’en entendant ta plainte, Vienne ma bien aimée, et qu’en elle tu retrouves Mes peines et mes tourments. traduction Maurice Salem Merce grido piangendo Merce grido piangendo Ma chi m’ascolta ? Abi lasso, io vengo meno ; Morrò dunque tacendo. Deh, per pietade almeno, Dolce del cor tesoro, Potessi dirti pria ch’io mora : « Io moro ! » « Pitié », criai-je en pleurs. Mais qui m’entends ? Las, je défaille. Je mourrai donc muet. Si, du moins, par pitié, Doux trésor de mon cœur, A toi je pouvais dire, avant que de mourir : « Je meurs ! » Asciugate i begli occhi Asciugate i begli occhi, Deh, cor mio, non piangete Se lontano da voi gir mi vedete ! Ahi, che pianger debb’io (debbo io) misero e solo Che partendo da voi m’uccide il duolo. Essuyez ces beaux yeux, Allons, mon cœur, ne pleurez pas Si, loin de vous, vous me voyez partir ! C’est moi qui dois pleurer, piteux solitaire, Alors qu’en vous quittant le deuil me tue. traduction Harmonia Mundi 1988 notes de programme |21 le compositeur et son temps Claudio Monteverdi Cruda Amarilli Cruda Amarilli, che col nome ancora, d’amar, ahi lasso, amaramente insegni ! Amarilli, del candido ligustro più candida e più bella, ma de l’aspido sordo e più sorda e più fera e più fugace, poi che col dir t’offendo, i’ mi morrò tacendo... Cruelle Amaryllis, dont le nom encore, hélas, est signe d’amer amour ! Amaryllis, plus candide et plus belle que le candide troène, mais plus sourde, féroce et fuyante que l’aspic sans oreilles, puisqu’en parlant je t’offense, je mourrai, muet... Era l’anima mia Era l’anima mia Già presso a l’ultim’hore, E languia come langue alma che more ; Quand’anima più bella, più gradita Volse lo sguardo in sì pietoso giro, che mi manten’in vita. Parean dir quei bei lumi, Deh, perchè ti consumi ?... Non m’è sì caro il cor ond’io respiro, Come se’tu, cor mio. Se mori, ohimè, non mori tu, mor’io... Mon âme était près de son heure dernière et languissait comme languit l’âme qui se meurt. Quand l’âme plus belle, plus précieuse, tourna son regard d’un air si compatissant, il me retint en vie. Ils semblaient dire, ces beaux yeux : hélas, pourquoi te consumes-tu ? Il ne m’est pas si cher, le cœur où je respire, car si toi, mon cœur, tu meurs, hélas, tu ne meurs pas, c’est moi qui meurs... Che dar più vi poss’io Che dar più vi poss’io, caro, caro mio ben, prendete ! Eccovi il core, pegno della mia fede e del mio amore ; e se per darli vita a voi l’invio, no’l lasciate morire... Nudritel’ di dolcissimo gioire... che vostr’il fece amor, natura mio... Non vedete, non vedete... mia vita, che l’imagine vostr’è in lui scolpita ?... Que puis-je vous donner de plus, cher, mon très cher amour, prenez-le ! Voici mon cœur, gage de ma foi et de ma tendresse ; et si vous l’envoie pour lui donner vie, ne le laissez pas mourir... Nourrissez-le des plus douces délices... que fasse vôtre l’amour ce que la nature fit mien... Ne voyez-vous pas, ne voyez-vous pas... ma vie, que votre image est gravée en lui ?... traduction DECCA 1989 22 |cité de la musique vendredi 23 janvier - 20h dimanche 25 janvier - 15h / amphithéâtre du musée Adam de la Halle C’est li congié Adan (extraits) (durée : 3 minutes) Franz Liszt Nuages gris, S199 (1881) pour piano (durée : 3 minutes) Philippe de Vitr y Heu Fortuna/Aman novi/Heu me, motet à trois voix (durée : 3 minutes) Franz Liszt La Lugubre Gondola, S200 (1ère version, 1882) pour piano * La Lugubre Gondola, S200 (2ème version, 1882) pour piano * (durée : 11 minutes) R.W. - Venezia, S201 (1883) pour piano (durée : 4 minutes) ** Adam de la Halle Ce sont li ver d’amour (extraits) (durée : 2 minutes) Léonin Viderunt omnes, organum à trois voix (durée : 8 minutes) Franz Liszt R.W. - Venezia, S201 (1883) pour piano (durée : 4 minutes) * Am Grabe Richard Wagners, S202 (1883) pour piano (durée : 3 minutes) Adam de la Halle Ce sont li ver de le mort (durée : 2 minutes) Guillaume de Machaut De toutes flours, ballade à trois voix (durée : 6 minutes) Ma fin est mon commencement, rondeau à trois voix (durée : 4 minutes) Franz Liszt Trauer vorspiel und Trauermarsch, S206 (1885) pour piano (durée : 6 minutes) Pérotin Sederunt principes, organum à quatre voix (durée : 8 minutes) Philippe Bianconi, piano Steinway (1890) François Castang, récitant Hilliard Ensemble : David James, contreténor Rogers Covey-Crump, John Potter, ténors Gordon Jones, baryton * concert du 23 janvier ** concert du 25 janvier Le piano Steinway 1890 appartient aux collections d’Alain Roudier. le compositeur et son temps Léonin et Pérotin La fin du XIIe siècle voit fleurir en Ile-de-France les premiers chefsd’œuvre de l’architecture gothique. En 1160, Maurice de Sully, évêque de Paris, décide la construction de la Cathédrale Notre-Dame dans un style nouveau, où priment désormais l’ascension des colonnes, les voûtes croisées en ogive, l’ajourement des parois et la polychromie des vitraux. Le chœur de la Cathédrale est rapidement dédicacé en 1182, puis la façade inaugurée en 1250. Cette matérialisation de l’espace spirituel s’accompagne de la naissance d’un style musical en accord avec l’architecture : le genre de l’organum fait son apparition pour « embellir » la mélodie grégorienne par une ou plusieurs voix « organales » (ou voix de déchant). Une schola (maîtrise) est aussi créée à Notre-Dame pour réunir des solistes capables de lire la musique, à la différence de la pratique du grégorien fondée essentiellement sur la mémorisation. Ces fleurissements polyphoniques sont d’abord improvisés, puis progressivement notés. Les deux maîtres de ce style (baptisé ultérieurement « école NotreDame ») sont connus sous les noms de Léonin et Pérotin. Leur mention apparaît dans un traité anonyme (écrit en 1275 et appelé depuis la fin du XIXe siècle Traité de l’Anonyme IV) : Léonin (mort en 1185) y est qualifié d’optimus organista (le plus grand compositeur d’organum), et Pérotin (environ 1170-1230) d’optimus discantor (meilleur compostieur de déchant). Leurs organa nous sont connus dans un unique recueil intitulé Magnus Liber Organi. Le titre précise qu’il s’agit d’un « grand livre d’organums composés dans le but d’augmenter le service divin », ce qui permet de penser que les premières polyphonies notées l’ont été dans l’esprit d’une ornementation (ou « augmentation ») de la monodie grégorienne. Les parties écrites en polyphonie ne concernent d’ailleurs que les parties à l’origine chantées par un soliste, de manière à ne pas gêner le chœur grégorien habitué à son répertoire. C’est pourquoi alternent, dans l’organum, les passages polyphoniques et monodiques. Les passages mis en polyphonie obéissent à deux types d’écriture. Le premier concerne les phrases grégoriennes originellement vocalisées : elles deviennent dans l’organum de longs développements sur des notes tenues, décrites comme immensurabilis. Le second concerne les phrases grégoriennes originellement syllabiques (une notes de programme |25 le compositeur et son temps syllabe par note) : elles deviennent dans l’organum de courtes sections (clausules) où les voix ont quasiment le même débit (écriture « point contre point »). D’autre part, les registres des voix sont réduits et très proches les une des autres. Ce qui entraîne de nombreux croisements (chiasmes), en accord avec les vitraux des cathédrales faisant miroiter différentes couleurs dans un ensemble fleuri. Le Viderunt omnes de Léonin est un repons chanté traditionnellement à Noël, après le récit de l’épître, et avant la lecture de l’Evangile. Le texte (court) du Sederunt reprend un extrait du psaume 97 (verset 2). En plain-chant grégorien, les passages chantés par le soliste sont l’intonation initiale (« Viderunt omnes ») et le début du verset (« Notum fecit Dominus salutare suum : ante conspectum gentium revelavit »). Dans l’organum, ce sont ces passages qui seront mis en polyphonie. Les autres passages (« fines terrae salutare Dei nostri Jubilate Deo omnis terra » et « justitiam suam ») sont conservés en chœur grégorien monodique. Le même principe est adopté dans le Sederunt principes de Pérotin. Ce repons est consacré à la messe de Saint-Etienne du 26 décembre. Le texte est extrait des psaumes 118 (verset 23) et 108 (verset 26). Les passages mis en polyphonie sont l’intonation « sederunt » et la quasitotalité du verset « Adiuva me Domine Deus meus : salvum me fac propter misericordiam ». Philippe de Vitr y Né vers 1291, Philippe de Vitry a été nommé évêque de Meaux en 1351, poste qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1361. C’est à la cour papale d’Avignon (qu’il fréquentera dès 1350) que ce personnage hors du commun se liera avec le poète Pétrarque. Philippe de Vitry est aujourd’hui connu pour avoir donné le nom d’« Ars Nova » (art nouveau) à un style musical qui allait succéder à celui l’Ecole NotreDame (Perotin et Leonin), désormais qualifié d’« Ars Antiqua ». Dans un traité précisément intitulé Ars Nova (1306), il décrit une nouvelle manière de penser rythmiquement la musique, non plus en respectant la régularité des modes rythmiques de l’Ecole Notre-Dame, mais en recherchant une plus grande variété des valeurs employées. 26 |cité de la musique le compositeur et son temps La symbolique reste toutefois très attachée au nombre 3 (3 voix, rythmes ternaires), incarnant le style religieux par excellence. C’est aussi l’indépendance entre les voix qui va prendre son ampleur, jusqu’à donner à chaque voix sa propre cohérence rythmique et mélodique. Les voix ne sont donc plus conçues en complémentarité, mais en empilement par strates indépendantes (polymélodie). Cette conception se verra appuyée par l’attribution à chaque voix d’une texte différent (quelquefois mélangeant même le français et le latin). Le genre du motet, à mi-chemin entre la musique d’église et la musique profane, permet le plus de combinaisons possibles. Celui intitulé Aman novi probatur exitu/Heu Fortuna subdola/Heu me, tristis est anima mea superpose trois textes latins, la voix du dessus (triplum) d’inspiration mythologique, celle du milieu (duplum ou motetus) faisant allusion à Fortune (personnification du destin), et celle du bas (ténor) empruntant un court extrait (souvent un « mot », d’où l’appellation « motet ») au répertoire grégorien. C’est sur cette dernière voix, au débit le plus lent, que se structure le motet, par un procédé appelé isorythmie : la mélodie de ténor est répétée presque mathématiquement un certain nombre de fois, sur des formules rythmiques régulières. L’isorythmie prend en fait tout son sens lorsque l’on la resitue dans l’esthétique de l’époque qui comprenait la musique dans les disciplines du quadrivium (mathématiques, astronomie, musique, géométrie : les sciences des proportions), par opposition au trivium comprenant les disciplines liées au discours (grammaire, rhétorique…). Adam de la Halle Au-delà des musiques religieuses (plus facilement connues aujourd’hui pour avoir été notées sur parchemin), les chansons profanes constituaient un répertoire important durant tout le Moyen-Age dont la place reste difficile à restituer. Seuls quelques grands noms émergent d’une corporation très fournie de chanteurs-compositeurspoètes appelés trouvères dans le Nord (langue d’oïl), par opposition aux troubadours du Sud (langue d’oc). Adam de la Halle est un de ces trouvères dont la célébrité nous est attestée dès le XIIIe siècle. Sa vie est liée à la ville d’Arras, l’un des trois centres principaux (avec Reims et Blois) de l’activité des trouvères (180 trouvères pour la notes de programme |27 le compositeur et son temps seule ville d’Arras). Cette cité opulente rythmait sa vie poétique par des compétitions entre artistes appelées « puys » qui départageaient les artistes par des tournois poétiques. Le style d’Adam de la Halle se trouve directement issu de cette tradition, comme en témoignent les longs chants épiques (lais, chansons de geste), ses 36 chansons, et les jeux-partis (poésie dialoguée). Le Dit de l’amour est un bel exemple de poésie courtoise dont la rhétorique obéit à traditionnellement à un ordre strict : exorde (introduction), narration (argumentation), réfutation, épilogue. Ses dimensions importantes (16 strophes de 12 vers) ne doivent pas dissimuler l’extrême raffinement du choix des mots, ni celui de la versification (octosyllabes symétriques et en miroir : aab aab bba bba). Bâtis sur le même schéma, les Vers de la Mort sont influencés par ceux du moine Hélinant de Froidmont qu’Adam de la Halle avait pris pour modèle. Les topiques développés concernent cette fois-ci la mort, personnifiée comme l’était à l’époque Fortune, l’allégorie du Destin. Le Congié a, quant à lui, été écrit vers 1276, au moment où Adam de la Halle avait pris la décision de quitter Arras pour aller poursuivre ses études à Paris. Guillaume de Machaut Si Philippe de Vitry s’est présenté comme le théoricien de l’Ars Nova, Guillaume de Machaut (ca 1300-1377) en est resté le musicienpoète le plus marquant. Attaché au centre de Reims où il sera nommé chanoine en 1337, il est d’abord connu pour avoir été l’auteur de la première messe constituée (la Messe Notre-Dame). En marge de sa production religieuse, il faut aussi compter de plus de 140 chansons essentiellement d’inspiration courtoises (mis à part les lais épiques). Les ballades appartiennent au genre le plus raffiné. Leur forme musicale se calque sur celle de la poésie : trois strophes se concluant par un vers-refrain. Quant à la répartition des voix, elle se différencie de celle des motets de Philippe de Vitry : cantus, ténor et contreténor. Selon les cas, les trois voix peuvent être chantées, ou seule la voix de double. Le rondeau Ma fin est mon commencement est, comme les autres rondeaux médiévaux, composé de huit vers chantés sur deux phrases musicales (la première section concerne les vers 1, 3, 4, 5, 7, 28 |cité de la musique le compositeur et son temps et la seconde les vers 2, 6, 8). Le titre s’éclaire lorsque l’on compare les deux lignes mélodiques de cantus et de triplum : elles sont rigoureusement identiques mais exposées en rétrograde, la seconde voix chantant la première en sens inverse. Une prouesse de contrepoint illustrant d’un manière supplémentaire l’idée que la musique pouvait être considérée comme une science des proportions. Franz Liszt Les dernières œuvres de Franz Liszt (1811-1886) restent parmi les plus marquantes de la fin du XIXe siècle, même si leur audience n’a d’abord été que confidentielle. C’est en fait l’évolution postérieure vers le langage modal (Bartók) ou vers le total chromatique (seconde école de Vienne) qui leur a donné une valeur particulière, tant leur distanciation vis-à-vis de la grammaire tonale y est surprenante. Les années 1880 en étaient en effet encore à exploiter la substance lyrique wagnérienne, quand Liszt songeait - sans cependant céder à l’idée de l’avant-garde - à s’abstraire de la tonalité. Ces pièces pour piano en sont l’exemple le plus net. L’apparat du style virtuose de la Glanz-periode et même de l’emphase goethéenne de la période de Weimar laissent la place à un langage dépouillé, presque nihiliste dans l’usage que Liszt fait d’élément précisément cités pour être reniés. Ce sont ces arpèges de l’accompagnement qui deviennent des ostinatos obsédants, dissonants et mouvants. Ce sont ces thèmes fantomatiques qui apparaissent fréquemment pour ne jamais s’installer ou se développer. Ou encore les phrases qui s’interrompent sans cesse et sans raison, comme perdues ou blasées ; ou la forme même des pièces qui ne semble ni commencer, ni conclure. R.W.Venezia contient ainsi, dans une section que l’on aurait pu dans d’autres circonstances appeler « centrale », les signes conventionnels de la pompe et de l’hommage à Wagner (mort à Venise le 13 février 1883). Si le cœur y est, les moyens n’y sont plus : accords redondants jusqu’à l’extrême, sonneries lointaines rejouées sans âme… Am Grabe Richard Wagners fait la même allusion aux thèmes victorieux de Wagner (arpèges sur trémolos) et aux mélodies d’accords aigus désormais indissociables du prélude de Lohengrin. Mais, encore une fois, les éléments sont posés sans directionnalité, par simple juxtaposition. notes de programme |29 le compositeur et son temps Liszt avoue aussi le désordre et l’obsession qui l’accompagnent maintenant, lorsqu’il écrit, à propos des Lugubres Gondoles, en 1883 : « Depuis une quinzaine, je ne fais qu’écrire de la musique. les rames d’une gondole lugubre me frappaient la cervelle. J’ai tâché de les écrire, et devais les réécrire deux fois : sur cela, d’autres choses lugubres me sont revenues en mémoire, et bon gré mal gré, mon barbouillage sur papier de musique se continuait, exclusivement. » Comment ne pas y voir d’ailleurs un écho de la situation dans laquelle se trouve Liszt à la fin de sa vie. A la fois reconnu comme un des grands séducteurs et musiciens, mais finalement peu reconnu pour ce qu’il avait voulu être : un compositeur plutôt qu’un pianiste, un artiste engagé plutôt qu’un salonnard, un homme de foi plutôt qu’une incarnation superlative du virtuose. Après les déceptions viennent cette négation qui se retourne contre lui : « Personne ne me croira si je dis que je deviens de plus en plus impersonnel » écrira-t-il à Caroline Wittgenstein le 29 octobre 1880. La modernité de ces pièces s’impose finalement sans l’avoir voulu : c’est par leur ultime pouvoir de remise en cause qu’elle ont acquis le pouvoir suggestif qui les a rendu visionnaires. Elles témoignent donc d’un nouvel échec du compositeur, mais « transformé » celui-ci : Liszt n’aura pas marqué la postérité par ce qu’il ambitionnait de grand, mais au contraire par ce comble du petit et de la négation. E. H. 30 |cité de la musique le compositeur et son temps Adam de la Halle Congié (strophes V et VI) Adieu, Amours, tres douche vie, Li plus joieuse et li plus lie Qui puist estre fors paradis, Vous m’avés bien fait en partie, Se vous m’ostates de clergie, Je l’ai par vous ores repris, Car j’ai en vous le vouloir pris Que je racate los et pris, Que par vous perdu je n’ai mie ; Ains ai en vo serviche apris, Car j’estois nus et despris Avant de toute courtesie. Bele très douche amie chière Je ne puis faire bele chière Car plus dolant de vous me part Que de rien que je laisse arriere, De mon cuer seres trésorière, Et li cors ira d’autre part Aprendre et querre engien et art, De miex valoir si arés part Que miex vaurrai, mieudres vous iere, Pour miex fructefier plus tart, De si au tierc an, ou au quart, Laist on bien se terre à gaskière. Adieu, Amour ! vie très douce, La plus joyeuse, la plus heureuse Qui puisse être en dehors du paradis ! Vous m’avez bien traité dans l’intimité. Si vous m’avez enlevé aux études, Je viens, grâce à vous, de les reprendre ; Car j’ai puisé en vous la volonté De récupérer le renom et la gloire Que je n’ai pas perdus à cause de vous ; Mais j’ai tout appris à votre service, Car j’étais dénué et dépouillé, Auparavant, de tout savoir-vivre. Belle, très douce et précieuse amie ! Je ne peux pas avoir l’air joyeux, Car c’est vous que je quitte avec plus de peine Que toute chose que je laisse derrière moi. De mon cœur vous serez la trésorière Et le corps ira ailleurs Apprendre et chercher l’art et la manière De valoir mieux ; vous n’y perdez pas : Plus je vaudrai, plus vous y gagnerez. Pour qu’elle porte plus tard du fruit, On laisse bien sa terre en jachère Deux ans ou trois. traduction Pierre-Yves Badel Philippe de Vitr y Triplum Aman novi probatur exitu quantum prosit inflari spiritu superbie qui plus apetere quam deceat et que suscipere nonliceat tantumque scandere quad tedeat, ut alter Ycarus tentaverat, in maris fluctibus absorptus est ac iam submersus sic nec est reversus Par sa mort Aman montre à nouveau quel est le fruit de l’arrogance. Tel un autre Icare, il a voulu conquérir plus que de raison, s’élever au-delà du légitime, et a mécontenté par ses aspirations. Il a été avalé par les flots. A présent, subissant notes de programme |31 le compositeur et son temps Pheton, usurpato solis regimine sed, ipso cremato, suo conamine est exterminatus. Sic nimis elatus Ycari volatus affectans transcendere noster Aman et vincere rapinam Phetontis, in Falconis montis loco colocatus, epulvere elatus, ymbre sepe lavatur, aura flante siccatur, suis delictis in ymis. Non eodem cursu respondent ultima primis. la terrible loi du Soleil, consumé par les flammes, réduit par ses propres efforts, comme Phaéton il est anéanti. Tel est cet Aman d’aujourd’hui, ayant tenté d’aller plus loin qu’Icare, de s’emparer du butin de Phaéton, le voilà rendu à Montfaucon, soulevé de la terre, lavé par la pluie et séché par le vent, dans la pire des conditions du fait des outrages. Les choses ne s’achèvent pas toujours comme elles ont commencé. Motetus Heu, Fortuna subdola, que semper diastola usque nunc fuisti, promittendo frivola, tamquam vera sistola nunc apparuisti. Heu, quociens prospera, longe ponens aspera mihi promisisti, me ditans innumera gaza usque ad ethera nomen extulisti. Nunc tua volubili rota lacu flebili nudum demersisti. Velud Aman morior ; de te sic experior quod me decepisti. Quanto gradus alcior, tanto casus gravior ; hoc me docuisti. Hélas, changeante Fortune, jusque là généreuse, maintenant, u me tournes le dos. Pourtant que m’as tu fait entrevoir l’abondance, repoussant au loin les choses vulgaires, qu’avec profusion tu as glorifié mon nom. Maintenant, faisant tourner ta roue, tu m’as jeté nu dans l’étang humide. Comme Aman je meurs, séparé de toi, ainsi me voilà déconfit. Plus haut est le trône plus lourde en est la chute, voilà ce que tu m’as enseigné. Tenor Heu me, tristis est anima mea Ténor Hélas, triste est mon âme. traduction Maurice Salem 32 |cité de la musique le compositeur et son temps Adam de la Halle Li ver d’amour (str. I et IX) Amours, qui m’as mis en souffranche De che, par te bele enortanche, Dont joie deüsse ore avoir, Faus est qui en toi a fianche, Quant par te longue pourveanche Me fais en tel grieté manoir. Je ne puis ton engien savoir : Le sobre fais par ton pooir Estre en desir sans astenanche Et mes, con li plonc ou miroir, En feme pour moi dechevoir Plus biauté par fainte sanlanche. Amour, qui m’as mis en attente De ce dont, à ta belle invitation, J’aurais du aujourd’hui goûter la joie, Bien fou qui a confiance en toi Puisqu’en m’imposant de longs délais Tu me fais demeurer dans la douleur. Je ne peux savoir ce que tu recherches : Tu uses de ton pouvoir pour que le plus sobre Brûle d’un désir inextinguible Et tu mets comme le plomb du miroir, Dans le femme plus de beauté pour m’abuser Par une apparence trompeuse. Amours, tes meffais pas ne note Qui pour se dame cante et note, Car tu l’as tout empuisonné. Tu ies plus fausse que buhote, Car chascuns qui a toi se frote Se plaint et tient pour engané. Quant tu as un amant moustré Sanlant de confort apresté, Au paiier est une riote. Ja nus, je croi, n’eüst amé S’on percheüst te lasquté Ne comment chascuns i escote. Amour, il ne tient pas registre de tes crimes Celui qui chante et joue pour sa dame, Car tu l’as tout empoisonné. Tu es plus faux que le verre, Car chacun qui se frotte à toi Se plaint et se tient pour trompé. Quand tu as montré à un amant un visage prometteur, A terme, quelle discussion ! Personne, j’en suis sûr, n’aurait aimé S’il avait connu ta lâchté Et comment chacun paie son écot. traduction Pierre-Yves Badel Léonin Viderunt omnes Viderunt omnes fines terrae salutare Dei nostri : Jubilate Deo omnis terra. V. Notum fecit Dominus salutare suum : ante conspectum gentium revelavit justitiam suam. Tous les lointains de la Terre ont vu les saluts de notre Dieu : Acclamez Dieu toute la terre. Dieu a fait connaître Son Salut : Aux yeux des païens révélé Sa justice. (psaume 97 verset 2) notes de programme |33 le compositeur et son temps Adam de la Halle Li ver de le mort Mors, comment que je me deduise En chanter et en mainte herluise, Je voi bien et sai qui je sui Et comment me vie amenuise. Mais qui voit le pril ains qu’il nuise, C’est chiex qui miex prent garde en lui. Mors, a le roy et a le glui A (s) tant pris de gent c’au jour d’ui N’i a remés fors que menuise. Chastions nous dont par autrui, C’on doit pour fol tenir chelui Qui tant carche se nef qu’el puise. Mors anieuse et felenesse Ies de cheus embler larenesse Dont tu cuides que plus anuit, Si qu’il n’est ne rois ne contesse Qui puis truist oste ni ostesse Qui le hebergast une nuit. Encontre toi n’a nul refuit, Or n’i a dont autre reduit Fors confesse, sermon et messe ; Car tu assiés ains c’on ait cuit Le gent d’un morsel mal enduit Tout sans proier et sans promesse. Mors, de chascun prendre ies a kiex : Devant le pere muert li fiex, Li grains pourist ains que li paille, Li plus jones et li plus viex, De jonesche n’est fors bresiex, En jone cuir pourrie entraille A tes qui se viande taille. On ne doit pas selonc l’escaille Jugier li quels noiaus vaut miex. On cuide que fisique i vaille, Mais c’est tout trufe et devinaille : Nus n’est fisiciens fors Dieux. Mort, bien que je prenne plaisir Aux chansons et à bien des sottises, Je vois bien et sais qui je suis Et comment ma vie raccourcit. Mais celui qui voit le danger avant son assaut, Celui-là prend le mieux garde à soi. Mort, au filet et à la glu, Tu as tant pris de gens qu’aujourd’hui Il n’est resté que fretin. Qu’autrui nous serve de leçon, Car on doit tenir pour fou celui Qui charge tant sa barque qu’elle fait eau. Mort odieuse et cruelle, Tu es une voleuse qui aime enlever ceux Dont tu penses la perte la plus odieuse Si bien qu’il n’est ni roi ni comtesse Qui trouve hôte ou hôtesse Pour se loger, fût-ce une nuit. Contre toi il n’est nul refuge, Il n’est donc d’autre recours Que confession, sermon et messe ; Car tu sers, avant qu’on ait cuisiné, Les gens d’un morceau indigeste, Sans qu’on t’ait fait prière ou promesse Mort, tu prends chacun selon ton caprice : Le fils meurt avant le père, Le grain pourrit avant la balle, Le plus jeune est le plus vieux, La jeunesse n’est que tison ; Tel qui coupe sa nourriture A sous une peau jeune des entrialles pourries. On ne doit pas d’après l’écorce Juger quelle noix est la meilleure. On croit la médecine efficace, Mais ce n’est que tromperie et chimère : Il n’est de médecin que Dieu. traduction Pierre-Yves Badel 34 |cité de la musique le compositeur et son temps Guillaume de Machaut De toutes flours De toutes fleurs n’avoit et de tout fruis En mon vergier fors une seule rose : Gastes estoit li seurplus et destruis Par Fortune qui durement s’oppose. Contre ceste doulce flour Pour amatir sa colour et s’odour. Mais se cueillir la voy ou trebuchier, Autre apres li ja mais avoir ne quier. Mais vraiement ymaginer ne puis Que la vertus, ou ma rose est enclose, Vienge par toy et par tes faus conduis, Ains est drois dons natureus ; si suppose Que tu n’avras ja vigour D’amanrir son pris et sa valour. Lay la moy donc, qu’ailleurs n’en mon vergier Autre apres li ja mais avoir ne quier. He ! Fortune, qui es gouffres et puis Pour engloutir tout homme qui croire ose, Ta fausse loy, ou riens de biens ne truis Ne de seür, trop est decevans chose ; Ton ris, ta joie, t’onnour Ne sont que plour, tristesse et deshonnour. Se ty faus tour font ma rose sechier, Autre apres li ja mais avoir ne quier. Ma fin est mon commencement Ma fin est mon commencement Et mon commencement ma fin Et teneure vraiement. Ma fin est mon commencement Mes tiers chans trois fois seulement Se retrograde et einsi fin. Ma fin est mon commencement Et mon commencement ma fin. Pérotin Sederunt principes Sederunt principes et adversum me loquebantur et iniqui persecuti sunt me. V. Adiuva me Domine Deus meus : salvum me fac propter misericordiam tuam. Les princes ont siégé et ont parlé contre moi : et mes ennemis m’ont persécuté. (psaume 118, verset 23) Aide-moi, mon Dieu : sauve-moi selon Ta Miséricorde. (psaume 108, verset 26) notes de programme |35 samedi 24 janvier - 16h30 / amphithéâtre du musée forum musical L’œuvre scandaleuse peut-elle devenir crédible ? L’œuvre scandaleuse est-elle obligatoirement visionnaire ? Quel rapport existe-t-il entre l’œuvre et le public ? avec la participation de : Marc Monnet, compositeur Rémy Stricker, professeur d’esthétique au Conservatoire de Paris Marcel Hanoun, cinéaste Stéphane Goldet, productrice à Radio France Daniel Znyk, comédien Denis Tuveri, accordéon musette le compositeur et son temps biographies Marc Monnet Depuis ses études musicales classiques au Conservartoire de Paris jusqu’à la Musikhochschule de Cologne avec Maurizio Kagel, en passant par son travail avec Stockhausen, Ligeti, Xenakis, Marc Monnet est un compositeur difficilement classable. Son œuvre, riche et diverse, se compose à la fois de pièces musicales et scéniques. Honoré de diverses distinctions au cours de sa carrière, il est deux ans pensionnaire de la Villa Medicis à Rome où il organise des concerts, puis développe cette activité dans d’autres lieux. Lors de sa résidence à la Filature de Mulhouse, il crée trois pièces instrumentales : Open, Close, Imaginary Travel et y dirige pendant quatre saisons, de 1993 à 1997, un cycle de concerts intitulé Traverses. Il poursuit aujourd’hui cette activité pour une autre scène nationale, l’Hippodrome de Douai. Si Marc Monnet a effectué d’étranges incursions dans l’intimité de la musique de chambre, il se montre provocateur dans son rôle d’auteur de théâtre musical expérimental. Il passe d’une écriture instrumentale classique à l’exploitation sonore proposée par le domaine électronique, jusqu’aux transformations réalisées à l’Ircam sur son dernier opéra, Fragments (automne 1993). Séduit par Chînes, le film muet de Dieterle que Marc Monnet découvre à la cinémathèque française, il signe sa première musique de film présentée au Festival Musica de Strasbourg en 1995 : en réalisant le mariage entre un orchestre symphonique et l’électronique. Après sa dernière création pour deux saxophones donnée en novembre 1997 à l’Hippodrome de Douai, Marc Monnet prépare actuellement une pièce pour ensemble Fa qui sera créée à Radio France en avril 1998, un spectacle visuel avec la plasticienne Hélène Delprat et les Percussions de Strasbourg pour le festival Musica en septembre 1998, ainsi qu’une commande de l’Ircam pour vingt musiciens et système électronique en octobre 1998. En perpétuelle quête d’aventures musicales, Marc Monnet crée en 1995 sa propre compagnie, Caput Mortuum fondée sur un travail musique/scène et animée de comédiens, conteurs, mimies, danseurs, musiciens pour revêtir aujourd’hui une nouvelle identité l’Ensemble attentat. Jean-Marc PhillipsVarjabédian Né à Paris, il commence le violon à l’âge de 5 ans. A 13 ans, il entre au Conservatoire notes de programme |37 le compositeur et son temps de Paris et obtient un an plus tard une première médaille à l’unanimité. Il entre peu après en cycle de perfectionnement au Conservatoire de Paris, dans la classe de Gérard Poulet. Il a également été l’élève de Salvatore Accardo à Crémone, puis de Dorothy Delay à la Juilliard School de New York. Parmi les nombreux prix qu’il remporte entre 1983 et 1989 on peut citer notamment : un premier prix au concours international des jeunes solistes à Douai, un cinquième prix au concours international C. Flesch, un deuxième prix au concours international R. Lipizer à Gorizia et, en avril 1989, un brillant premier prix au concours international Palm Beach à Miami. En 1990, il est le seul Européen finaliste au concours international Tchaïkovsky à Moscou. Parallèlement, après avoir fondé le quatuor à cordes qui porte son 38 |cité de la musique nom, il a obtenu avec cette formation un premier prix nommé au Conservatoire de Paris dans la classe de JeanClaude Bernède. Il a créé en septembre 1991 l’orchestre de chambre Les Virtuoses de France, dont il est le violon solo. Depuis 1995 Jean-Marc Phillips-Varjabédian a rejoint le Trio Wanderer avec qui il mène une carrière brillante et internationale. François Salque est né en 1971 à Montpellier. Après avoir obtenu à 17 ans ses premiers prix de violoncelle et de musique de chambre au Conservatoire de Paris, il y est admis en cycle de perfectionnement où il reçoit l’enseignement de Philippe Muller et Michel Strauss. Lauréat en 1991 de Mécénat Musical Société Générale et d’une bourse Lavoisier du Ministère des Affaires Etrangères, il étudie alors pendant près de trois ans aux EtatsUnis. Il remporte durant son séjour, outre un Master of Music de l’Université de Yale, six premiers internationaux parmi les plus prestigieux dans des villes comme San Francisco, New York et Philadelphie. Couronné, à son retour en Europe, par le deuxième prix du concours international de Genève et le premier prix du Concours international de Lausanne, François Salque est considéré aujourd’hui comme « l’un des plus importants et attachants musiciens de sa génération, représentant avec honneur la grande tradition du violoncelle français » (Pierre Amoyal). A 26 ans, François Salque s’est déjà produit dans une quinzaine de pays et a été diffusé sur plusieurs radio françaises et étrangères ainsi qu’à la télévision. La Fondation d’entreprise Crédit National soutient ce jeune et brillant le compositeur et son temps artiste dont les qualités musicales et le charisme séduisent autant les musiciens que le public de ses concerts. François Salque est depuis 1997 lauréat de la Foudation d’entreprise Crédit National. Bautz, une pianiste au répertoire éclectique, à la curiosité toujours en éveil, désireuse de présenter au public un choix pas toujours innocent d’œuvres aux styles diversifiés. Vanessa Wagner Valérie Bautz Un parcours musical classique, conservatoire de région, Conservatoire de Paris, des concours, parfois internationaux, des médailles, des prix, quelques séjours à l’étranger, des rencontres, beaucoup, quelques-unes extraordinaires : Beyerle, Collard, Levin, Merlet, Pasquier, Pennetier, Sebok), d’autres moins, des compositeurs. Certains écrivent même pour elle, Lazkano, Monnet, Pauset, des concerts un peu partout (Europe, Amérique du Nord et Sud, Afrique du Nord, Canada, Inde), des enregistrements radiophoniques (Europe, Etats-Unis, Pérou), font de Valérie est admise à huit ans dans la classe de Pierre Froment, au Conservatoire National de Région de Rennes. A 14 ans, elle est admise dans la classe de Dominique Merlet au Conservatoire de Paris. En 1990, elle obtient un premier prix de piano et entre première nommée en troisième cycle dans la classe de Jean-François Heisser. Lauréate de l’Académie Maurice Ravel, elle donne de nombreux concerts en France et à l’étranger. Elle joue en soliste aux côtés de différents orchestres français et étrangers : Orchestre de la Philharmonie de Munich, Orchestre National de France, Orchestre National du Mexique, Orchestre de la Radio de Bucarest, Orchestre Symphonique d’Aberden (Ecosse), Orchestre de Chambre d’Uppsala (Suède). En musique de chambre, ses partenaires sont Marie-Josèphe Jude, Henri Demarquette et Jean-Marc Phillips, entre autres. Leon Fleisher, qui la remarque au cours d’une masterclass, lui prodigue ses conseils et reste attentif à son évolution. Sur sa recommandation elle entre, en septembre 1995, dans la prestigieuse Académie Internationale de Piano de Cadenabbia (Italie) où elle reçoit, avec quatre autres jeunes pianistes, l’enseignement des plus grands Maîtres (Karl-Ulrich Schnabel, Dimitri Bashkirov, Murray Perahia, Alexis Weissenberg...). Depuis 1992,Vanessa Wagner est lauréate de la Fondation du Crédit National. notes de programme |39 le compositeur et son temps Christophe Henry est né à Bordeaux en 1971. Après des études au Conservatoire de Nancy, il obtient en 1993 un 1er prix d’orgue à l’unanimité du Conservatoire de Paris dans la classe de Michel Chapuis. Possédant une double formation de pianniste et d’organiste dans ce même conservatoire, il obtient également un 1er prix de piano dans la classe d’Alain Planès en 1995, ainsi qu’un 1er prix de musique de chambre dans la classe de Bruno Pasquier en 1992. Toujours au Conservatoire de Paris, il suit actuellement les cours d’accompagnement dans la classe de Jean Kœrner. Créateur de nombreuses œuvres écrites notamment par Thierry Esaich, Michèle Reverdy et Raffi Ourgandjian, il a participé aux Festivals prestigieux de SaintBernard-deComminges et de Saint-Maximin. Il est organiste de chœur à la 40 |cité de la musique Cathédrale NotreDame de Paris de 1994 à 1995. Jérôme Ducros, né en 1974, obtient au Conservatoire de Paris un prix de musique de chambre et un premier prix de piano à l’unanimité avec félicitations du jury (classes de Gérard Frémy et Cyril Huvé). Il remporte deux mois plus tard à Senigallia (Italie) le deuxième prix du concours international des jeunes pianistes, puis entre en troisième cycle de piano au Conservatoire de Paris (classe de Gérard Frémy). En octobre 1994, il remporte à Milan de deuxième prix du concours international de piano Umberto Micheli. Il y obtient également le prix spécial pour la meilleure interprétation de l’œuvre imposée (Incises de Pierre Boulez). En février 1995, il se voit attribuer le premier prix de piano de la Fondation Drouet- Bourgeois, agissant sous l’égide de la Fondation de France. Jérôme Ducros se produit depuis en récital France et en Europe (Allemagne, Autriche, Espagne, RoyaumeUni, Italie). Il joue en soliste aux côtés de différents orchestres et donne de nombreux concerts de musique de chambre, notamment aux côtés de Jean-Pierre Wallez, Renaud Capuçon, ou du violoniste Jérôme Pernoo, avec qui il forme un, duo depuis 1995. Pour la saison 1997-1998, Jérôme Ducros est invité au Festival d’Ilede-France, à la salle Chopin-Pleyel, aux Midis Musicaux du Châtelet, ainsi qu’à la Philharmonie de Berlin. En février 1998, il effectuera une tournée en Afrique du Sud. S’intéressant à la musique de son temps, Jérôme Ducros en joue fréquemment, parfois en création mondiale (Jacques Lenot, Pierre Boulez). le compositeur et son temps Les Talens Lyriques Dirigé par Christophe Rousset, l’ensemble de musique instrumentale et vocale Les Talens Lyriques a été créé en 1991. En choisissant ce nom, Christophe Rousset témoigne de son attrait pour le répertoire du XVIIIe siècle : il contribue, en effet, à le découvrir et le faire connaître avec bonheur, sans que son intérêt pour les compositeurs du siècle précédent en soit diminué. Le répertoire des Talens Lyriques s’étend de Monteverdi jusqu’à Haendel, Cimarosa et Mozart. L’attention portée à l’opéra est parallèle à l’exploration d’autres formes musicales françaises de la même époque : le motet (Dumont, Daniélis), la cantate (Clérambault, Brossard, Montéclair), les airs de cour français (Dumont, Lambert, de la Barre). Pour redonner vie à ces œuvres, Christophe Rousset s’entoure de musiciens, chanteurs et instrumen- tistes appartenant pour la plupart à la « jeune génération du baroque ». La collaboration régulière avec ces interprètes est aussi l’occasion d’un travail nécessaire sur le style spécifique aux musiqes, sacrées ou profanes, de cette période. La création des Talens Lyriques représente l’aboutissement d’une passion pour l’art lyrique et l’opéra. Claveciniste, Christophe Rousset insistait déjà sur la nécessité de « traiter l’instrument comme la voix ». D’autre part, l’approche scénique est pour lui indissociable de l’interprétation musicale, ce qu’il a pu exprimer par ses collaborations avec des metteurs en scène tels que Jean-Marie Villégier, Philippe Lénaël et JeanClaude Berutti. C’est ainsi tout un pan du patrimoine musical françaiset italien que Christophe Rousset s’attache à illustrer avec son ensemble le long de cet axe Paris-Naples, qui a traversé tout le XVIIIe siècle européen. Quatuor Amati Créé en 1981, le Quatuor Amati remporte très vite des récompenses comme le premier grand prix du concours international d’Evian en 1982, le prix des Arts de la ville de Zürich en 1983 et le premier du concours Karl Klinger à Munich en 1986. Il a travaillé avec le Quatuor Alban Berg et le Quatuor Amadeus, mais aussi avec Walter Levine, premier violon du Quatuor LaSalle. Selon les occasions, le Quatuor Amati s’élargit en formation de quintette avec piano, vent ou voix. Outre le répertoire classique et romantique qu’il connaît bien, il s’intéresse tout particulièrement à la musique du xxe siècle et joue des œuvres de Ives, Steuermann, Szymanowski ou Bohnke. Il a souvent donné en première audition des œuvres de notes de programme |41 le compositeur et son temps Isang Yun,Wladimir Vogel, Robert Suter, Bettina Skrczypczak, Terry Riley, Rudolf Kelterborn ou Hermann Haller. Les Percussions de Strasbourg Au début des années 50, quelques jeunes musiciens décidés à pousser l’expression musicale hors des sentiers battus développent à Vienne le mouvement sériel. Leur énergie novatrice suscite la curiosité voire l’enthousiasme de quelquesuns : chefs d’orchestre, compositeurs et jeunes musiciens de toutes formations répondent à l’appel de cette liberté créatrice. Strasbourg, 1962 : l’engouement résonne jusqu’ici... Six musiciens de formation classique se réunissent autour d’une idée commune : fonder un groupe de musique de chambre pour instruments à percussions, et proposer des récitals d’œuvres écrites expressément pour lui. Leur 42 |cité de la musique objectif ? Que les instruments à percussion quelle que soit leur origine : occidentale, orientale ou africaine sortent des répertoires dans lesquels la tradition les a confinés et qu’ils donnent enfin à entendre une note « moderne ». De leurs échanges avec les compositeurs sont nés des instruments inédits, tel - exemple notoire - le sixen, un ensemble instrumental de cent neuf sons métalliques différents conçu expressément pour l’ensemble par Xenakis. Le putipu, ensemble de six instruments de taille différente créé sur le principe de tambours à friction par Giorgio Battistelli, ou les tambours d’eau, instruments utilisant le principe de la calebasse africaine d’après une idée de John Cage sont d’autres instruments conçus expressément pour eux. Les voyages autour du monde sont également sources d’inspiration : les six « musicienschercheurs » en rapportent des instruments inattendus, tels divers gongs, cloches à vache, marimbas, doumdoums ou tambours de bois... Plus proches de nous, les nouvelles technologies offrent également l’opportunité d’investigations sonores quasi-illimitées. Les objets usuels euxmêmes sont parfois détournés de leur usage premier au profit de leur seule résonance, et il n’est pas exclu que cuillers et autres ustensiles « inouïs » soient mis à contribution pour leur potentiel musical. Luisa Castellini est désormais considérée par plusieurs compositeurs d’aujourd’hui une interprète d’élection. Elle est invitée au Barbican Theater et au Royal Festival Hall à Londres, à l’Opéra Bastille à Paris, au Teatro alla Scala et à la Biennale à Venezia. Elle a inauguré le Maggio Musicale Fiorentino en le compositeur et son temps 1986 et le Wien Modern en 1990. Elle travaille souvent avec l’Ensemble Intercontemporain de Paris, avec qui elle a créé en France, le Lohengrin de Sciarrino, et a chanté plusieurs fois Le Marteau sans maître de Boulez. Comme cantatrice lyrique elle a chanté dans Esequie della Luna et Tristan de F. Ponnisi, Anton de F. E. Scogna, The turn of the Screw de B. Britten, La Vera Storia de L. Berio, La madre invita a comer de L. De Pablo, Il Velo Dissolto de F. Donatoni. Luciano Berio lui confia la création de la nouvelle version de Calmo, qu’elle a chantée dans les plus importants théâtres et festivals. Elle a participé enfin à diverses masterclasses en Suisse (Biel), en Hongrie, à l’occasion du festival Bartók, et en Argentine, au Théâtre Colon de Buenos Aires et a été responsable du cours de chant contemporain pour la CEE 1995. Luisa Castellani a reçu en 1991 le prix Gino Tani pour ses interprétations lyriques. Concerto Italiano, dirigé par Rinaldo Alessandrini, est largement reconnu comme l’un des ensembles de musique ancienne les plus brillants. Il est constitué exclusivement de musiciens italiens. De cette caractéristique significative, il tire une grande unité stylistique et une approche linguistique parfaitement idiomatique de ses interprétations. L’ensemble a une taille variable qui va de la formation de chambre (deux chanteurs et basse continuo) jusqu’à l’ensemble requis pour l’exécution de madrigaux de grande envergure (huit chanteurs avec cordes et basse continuo), la musique de chambre et l’opéra du début du XVIe siècle. Grâce à leur compréhension profonde des textes, leurs interprèta- tions des madrigaux se distinguent de toutes les autres par la projection vivante et complètement naturelle des aspects théâtraux de cette forme musicale, leur préférée. Le groupe est continuellement demandé par les principaux festivals d’Europe et par les saisons de concerts : Edimbourg, le Concertgebouw d’Amsterdam, Utrecht, Antwerpen, New York, Aldeburgh, Londres, Bruxelles, le Festival El Grec de Barcelone, Paris,Versailles, Beaune, Ambronay, Cologne, Nurnberg... En 1998, il se produira à l’Exposition Universelle de Lisbonne. Philippe Bianconi Aux élogieux qualificatifs qui jalonnent la carrière de Philippe Bianconi (« un sens aigu de la couleur », « des sonorités d’une lumineuse transparence », « un jeu qui conserve toute sa clarté malgré la rigueur et la puissance notes de programme |43 le compositeur et son temps d’interprétation ») s’ajoutent musicalité, sensibilité et poésie. Premier prix du concours international des Jeunesses Musicales de Belgrade dès 1977 et du concours international Casadesus de Cleveland en 1981, c’est en 1985 que Philippe Bianconi s’ouvre les portes de l’Amérique en remportant la médaille d’argent du concours Van Cliburn. Depuis lors, les grands orchestres américains s’attachent la collaboration du jeune virtuose français : Pittsburgh, Cleveland, Baltimore, Dallas, Atlanta, Chicago... Philippe Bianconi, fort de ses succès américains fait des débuts très remarqués en récital à Londres en 1989 avant d’y revenir avec l’Orchestre de Paris dans la série des Proms de la BBC sous la direction de Semyon Bychkov avec lequel il triomphait quelques mois auparavant à Paris. Maître absolu de 44 |cité de la musique son art, Philippe Bianconi peut s’honorer d’avoir joué sous la direction des plus grands chefs tels que Kurt Masur, Lorin Maazel, Jeffrey Tate, Christoph von Dohnanyi, Edo de Wart..., dans les salles les plus prestigieuses : le Royal Albert Hall (Londres), la Scala (Milan), le Kammermusiksaal Der Philharmonie (Berlin), le Konzerthaus (Vienne). Passionné de musique de chambre il a collaboré avec Rampal, Amoyal, Gary Hoffman, Janos Starker et devient dès 1983 le partenaire attitré d’Hermann Prey. François Castang Après des études de sciences économiques et de théâtre, il se tourne vers la musique. De 1980 à 1982, il collabore aux activités d’un bureau de concert. Les Jeunesses Musicales de France lui offrent ensuite l’occasion de présenter pen- dant trois saisons de nombreux spectacles en tournée.Très impliqué dans la vie musicale, François Castang y participe dans différents domaines depuis une quinzaine d’années. En 1985, il entre à France Musique, produit et présente Certains l’aiment tôt, Le Point du Jour, Les démons de Midi, et coordonne ensuite Les Dépêches Notes pendant 2 ans. Depuis septembre 1996, il produit et présente Musique en France. Dans le même temps, il concentre ses réflexions sur les rapports entre musique et texte, se spécialisant dans les rôles de récitant ou de narrateur. Il interprète des œuvres composées à l’origine sous cette forme (Lélio de Berlioz, Nicolas de Flue d’Arthur Honegger, Pierre et le Loup de Serge Prokofiev, Enoch Arden de Richard Strauss) ou réalise des montages effectués avec la complicité de musiciens le compositeur et son temps désirant rompre, pour certains répertoires, avec le rituel traditionnel du concert. On le retrouve dans Les Sept Dernières Parole du Christ en Croix de Joseph Haydn avec le Quatuor Ludwig, le Quatuor Debussy, le Quatuor Sine Nomine, le Fine Arts Quartet, Hugo Wolf Quartet. Il interprète l’Histoire du Soldat de Igor Stravinsky aux côtés de Régis Pasquier, La Passion selon Saint-Marc de Jean-Sébastien Bach avec l’Orchestre baroque de Nice. Hilliard Ensemble Cet ensemble vocal anglais est l’un des plus renommés. Sa réputation est dûe en grande partie aux répertoires du Moyen-Age et du XXe siècle qui ont été l’objet d’enregistrements salués par la critique internationale. Leur rythme de concerts est très élevé (plus de 100 par an), ce qui leur permet de parcourir le monde : Europe, pays méditerranéens, Japon, USA et Canada. Les premiers projets de l’ensemble datent des années 1980 (Passion d’Arvo Pärt) et les liens qu’ils ont entretenus avec les pays baltes l’ont conduit à créer des œuvres de Pärt,Tormis et Tüür. Une semblable collaboration s’est effectuée avec la jeune génération anglaise (Gavin Bryars…). Durant so université d’été, l’ensemble reste en résidence à Cambridge pour continuer à travailler avec des compositeurs venus travailler avec eux (Piers Hellawel, Barry Guy…). En musique ancienne, le Hilliard Ensemble travaille actuellement sur un projet général autour de la messe franco-flamande du XVe siècle, ainsi que sur la redécouverte des musiques médiévales et renaissantes de l’Europe de l’Est qui restent aujourd’hui encore presque totalement méconnues. technique cité de la musique Noël Le Riche régie générale Eric Briault régie plateau Guillaume Ravet régie lumières Gérard Police régie son Les Percussions de Strasbourg Laurent Mathias régie plateau Jean-Luc Baechler régie lumières Attentat Thierry Coduys technique informatique notes de programme |45