Les habiletés pragmatiques chez l`enfant

Transcription

Les habiletés pragmatiques chez l`enfant
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43e Année
Avril 2005
Trimestriel
N° 221
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Fondatrice : Suzanne BOREL-MAISONNY
Les habiletés
pragmatiques chez l’enfant
Rééducation
Orthophonique
Rencontres
Données actuelles
Examens et interventions
Perspectives
Fédération Nationale des Orthophonistes
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Sommaire
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avril 2005
N° 221
Rééducation Orthophonique, 145, Bd Magenta, 75010 Paris
Ce numéro a été dirigé par Françoise Coquet, orthophoniste
LES HABILETÉS
PRAGMATIQUES CHEZ L’ENFANT
Françoise Coquet, orthophoniste, Douai
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s
1. Pragmatique : mise en perspective historique
Annick Duchêne, orthophoniste, Docteur en Neuro-Psychologie, Lyon
2. Pragmatique : quelques notions de base
Françoise Coquet, orthophoniste, Douai
1. Les compétences interactionnelles :
formes d’exercice, bases, effets et développement
Alain Trognon, Laboratoire « Psychologie de l’Interaction Groupe de Recherche
sur les Communications » (EA 1129), Nancy, Christine Sorsana, Département
de psychologie du développement, Université Toulouse-Le Mirail
2. Le développement des compétences conversationnelles chez l’enfant
Catherine Garitte, Maître de conférences en Psychologie du développement,
Université Paris-X, Nanterre
3. L’approche interactionniste en orthophonie / logopédie
Geneviève de Weck, Professeur d’orthophonie/logopédie,
Université de Neuchâtel, Suisse
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1. Troubles pragmatiques chez l’enfant : nosologie et principes d’intervention
Marc Monfort, logopède, Madrid, Espagne
2. Prise en compte de la dimension pragmatique dans l'évaluation
et la prise en charge des troubles du langage oral chez l'enfant
Françoise Coquet, orthophoniste, Douai
3. Les habiletés pragmatiques chez l’enfant âgé de 2 à 3 ans
présentant un trouble du langage
Sylvie Martin, M.O.A., orthophoniste, Laval (Québec), Canada
4. Difficultés pragmatiques chez un enfant dysphasique :
propositions d'intervention
Didier Roch, orthophoniste, Paris
5. Une approche pragmatique lors du bilan orthophonique
d’un enfant atteint de psychose infantile
Agnès Witko, orthophoniste, Lyon
1. Les précurseurs pragmatiques de la communication chez les bébés
Marie-Claude Leclerc, M.O.A., orthophoniste, Beauport (Québec), Canada
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Françoise Coquet
Orthophoniste
163 rue Saint Albin
59500 Douai
[email protected]
Prendre la parole, « commencer à parler ». Attestée dès le XIIIème siècle,
cette formule banale est remarquable. La parole, le pouvoir d’exprimer
et de communiquer, est donc sujet à une prise de possession : c’est l’importance
sociale extrême du droit au discours qui est ici reconnue,
comme dans : avoir droit à la parole.
Les Usuels du Robert - Dictionnaire des expressions et locutions
L
e mot pragmatique vient du grec pragmatikos « qui concerne l'action ».
Avec Benveniste (1956) le terme pragmatique en linguistique renvoie à
« l'étude du langage du point de vue de la relation entre les signes et les
usagers ». Dans cette acception il correspond à l'anglais pragmatic (substantivé
sous la forme pragmatics) utilisé par Morris (1937) : « la pragmatique logique
étudie le rapport entre les symboles, leurs significations et les hommes qui les
utilisent », c'est un des domaines de la sémiotique au même titre que la syntaxe
logique (« théorie des rapports entre les symboles ») et la sémantique logique
(« théorie des rapports entre les symboles et ce qu'ils signifient »). Ces dernières
années, la pragmatique est un aspect des théories du langage qui met l'accent sur
la communication.
Depuis Pierce (1932) et Morris (1938) le langage est envisagé sous le
paradigme de la communicabilité où le sens est fonction de l'usage. En 1962,
Austin introduit la notion d'Acte de langage, pour lui « dire, c'est faire ». En
1976, Bates élargit la dimension de la pragmatique à l'usage de la langue en
contexte social, les habiletés pragmatiques représentant une partie des habiletés
sociales. Par la suite (avec Clark, 1992, Bernicot, 1997), l'intérêt s'est porté sur
le processus de communication lui-même, ses représentations et les stratégies
impliquées lors de l'utilisation du langage (comme préalable ou comme suite de
la phase linguistique du traitement des énoncés). Le rôle du contexte de communication, de la cognition, celui des interactions sont maintenant au premier plan
avec la recherche de modèles formels de l'interaction (Trognon et al, 2001).
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La pragmatique définie comme l'usage de la langue en contexte social est
un domaine de la recherche qui intéresse de nombreuses disciplines : la psychologie, la psycholinguistique, la neurologie, la psychiatrie… Cette nouvelle
approche a modifié la façon de concevoir l'étude du langage en cherchant à
répondre à la question : « comment un sujet construit-il du sens en contexte ? ».
Il a été nécessaire de reconsidérer le développement de la communication et du
langage pour y inclure des axes comme l'intention communicative, la notion
d'acte de langage, le développement des capacités conversationnelles, le développement du système linguistique gérant l'organisation de l'information dans le
discours, les attitudes d'étayage du langage de l'enfant par l'entourage.
Dans le champ de la pathologie, la perspective pragmatique enrichit la
symptomatologie des troubles du langage qu'ils soient développementaux, dans
un contexte psychotique, ou en relation avec une pathologie neurologique.
Chez l’enfant, « la compétence communicative, à laquelle on se réfère
aussi en parlant de compétence pragmatique pour la distinguer de la compétence
linguistique, reflète donc l'aptitude à utiliser le langage pour communiquer ». Il
pourrait exister « des retards spécifiques d'acquisition […] ou même des altérations spécifiques de cette compétence pragmatique » (De Weck, 1994).
En orthophonie, la prise en compte des habiletés pragmatiques doit soustendre l'évaluation comme la prise en charge des troubles du langage chez
l'adulte comme chez l'enfant. Dans les Recommandations pour la Pratique Clinique concernant l’Orthophonie dans les Troubles Spécifiques du Développement du langage Oral chez l’enfant de 3 à 6 ans (A.N.A.E.S., 2001), il est explicitement fait référence à la dimension pragmatique de l’évaluation (« Le bilan
orthophonique précise le type de trouble et sa gravité en évaluant à la fois l’aspect expressif (…), réceptif (…) et pragmatique (emploi du langage dans les
interactions sociales et familiales) ») comme de la prise en charge (« Les objectifs de la prise en charge orthophonique chez l’enfant de 3 à 6 ans sont, en fonction de l’âge et des potentialités de l’enfant, de remédier aux aspects déficitaires
du langage, d’améliorer la communication et aussi de faciliter l’acquisition des
apprentissages scolaires en particulier du langage écrit, quand l’enfant entrera
à l’école »).
Le dernier (et unique numéro) de la revue Rééducation Orthophonique
qui ait abordé le thème de la Pragmatique date de 1986 (numéro 146) « Pragmatique, pathologie du langage et rééducation - Journées du Centre Hospitalier
Émile Roux ».
Il a semblé souhaitable, alors que cette dimension est intégrée depuis de
nombreuses années dans les pratiques d’évaluation et de rééducation par delà
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nos frontières, d’enrichir notre pratique orthophonique de cet apport ou tout au
moins d’en préciser les cadres de référence, de faire le point sur certains axes de
la recherche, de mettre des mots sur une pratique clinique intuitive en ce
domaine.
La première rubrique de ce numéro consacré aux « Habiletés pragmatiques chez l’enfant » brosse le cadre général du domaine avec une mise en perspective historique (A. Duchêne) et un rappel de quelques notions de base et
termes spécifiques (F. Coquet). Viennent ensuite des contributions originales de
chercheurs dans le champ de la psycholinguistique qui s’intéressent au développement des compétences interactionnelles (A. Trognon et C. Sorsana), aux compétences conversationnelles chez l’enfant dans une perspective développementale (C. Garitte) ou aux aspects interactionnistes dans une perspective discursive
(G. De Weck). La rubrique suivante aborde des applications cliniques en orthophonie : différents niveaux de troubles pragmatiques et types d’intervention
appropriée (M. Monfort), pistes pour l’évaluation et la prise en charge de la
dimension pragmatique en langage oral (F. Coquet), pragmatique comme base
de l’intervention orthophonique chez l’enfant de 2 à 3 ans (S. Martin), spécificités de l’évaluation ou de la prise en charge dans certaines pathologies à partir
d’une étude de cas (enfant dysphasique : D. Roch, enfant psychotique :
A. Witko). En conclusion, il est question de la prévention en ce domaine chez
les enfants de 0 à 1 an (M.C. Leclercq). Dans la rubrique Ressources est tenté
un recensement d’outils d’évaluation et de matériel de rééducation disponibles
en langue française.
Je remercie chaleureusement Jacques Roustit, rédacteur en chef, de la
confiance qu’il m’a accordée en me confiant la direction de ce numéro et pour
la dynamique qu’il impulse à la revue par la variété des thèmes choisis, l’éclectisme des auteurs invités et la qualité des contributions.
Je remercie vivement tous les auteurs qui ont accepté de participer à ce
numéro et de partager avec les lecteurs le fruit de leur recherche et un peu de
leur expérience.
Ils parlent… ils parlent du nez…
de la pluie et du beau temps
mais ils parlent surtout d’argent.
(Jacques Prévert, Paroles, p121)
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Pragmatique : mise en perspective historique
Annick Duchêne
Résumé
La pragmatique s'inscrit historiquement dans le champ de la sémantique (science des
signes) comme dans celui de la linguistique (d'abord centrée sur le code). Elle emprunte à la
sémantique le paradigme de la signification puis intègre l'intentionnalité comme composante et affirme l'importance de la situation de communication (le contexte, les interlocuteurs en présence, la pluralité des codes).
Mots clés : sémantique, pragmatique, communication.
Pragmatics from a historical perspective
Abstract
Pragmatics is historically associated with the fields of semantics (the science of signs) and
of linguistics (at first focused on the code). It borrows from semantics the significance paradigm, then integrates intentionality as a component and places an emphasis on the importance of the situation of communication (context, face to face interlocutors, plurality of
codes).
Key Words : semantics, pragmatics, communication.
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Annick DUCHÊNE
Orthophoniste
Docteur en Neuro-Psychologie
90 rue Boileau
69006 Lyon
D
epuis quelques décennies, les sciences du langage s’ouvrent sur un
champ extrêmement vaste et aux frontières floues qui est celui de la
communication. Il a fallu pour cela que la linguistique accepte de s’affranchir de notions très théoriques concernant le langage et qu’elle tienne
compte de l’apport conjoint de disciplines diverses telles que l’anthropologie, la
philosophie, la psychologie sociale et même la psychologie cognitive.
Si l’on veut retracer les différents courants qui ont ouvert la voie de la
pragmatique, on doit remonter à Charles Pierce (1867) qui fonde le paradigme
de la sémiotique. « Un signe est quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de
quelque chose, sous quelque rapport ou à quelque titre ». Cette définition lui
permet de considérer que l’univers est constitué de signes. Il applique sa philosophie sémiotique à de nombreux domaines, en particulier la logique, la psychologie et les sciences humaines en général. Il fixe les caractéristiques des différents types de signes et sa classification scientifique de l’ensemble des signes en
trois catégories lui permet de replacer le signe linguistique (prototype des signes
symboliques) au même rang hiérarchique que d’autres types de signes : les
indices et les icônes.
Ferdinand de Saussure (1915), relève le défi de faire reconnaître la sémiologie comme une science. Il constate l’extrême hétérogénéité des « phénomènes
linguistiques ». Il postule en particulier l’opposition nécessaire entre langue et
parole, mais choisit de porter son intérêt sur la rigueur du système de la langue,
du code, et néglige provisoirement « les faits de parole ». Il s’agit à l’époque
d’un gage de sérieux car l’étude des usages est un domaine trop complexe, difficilement modélisable, qui ne peut pas intégrer les théories structuralistes.
La rigueur de ces approches était l’étape nécessaire pour inscrire la linguistique au rang des disciplines scientifiques mais elle a contribué à installer de
façon trop drastique la dichotomie entre système et usages et elle a totalement
exclu le sujet parlant de l’objet d’étude.
Il faut attendre la deuxième moitié du 20ème siècle pour qu’un certain
nombre d’auteurs, sous couvert du sérieux de la linguistique, s’emploient à
réhabiliter l’importance des phénomènes individuels de la communication.
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André Martinet affirme que la langue doit être étudiée à « partir de la réalité de ses usages ». Ainsi, la sémantique qui s’est jusque là développée dans le
domaine de la linguistique, s’attache dorénavant à étudier toutes les modalités
de la signification ; si l’on admet toujours, dans la communication humaine, la
prévalence du code verbal, on peut désormais accepter de prendre en compte
d’autres types de signes qui accompagnent, complètent ou remplacent les unités
signifiantes linguistiques.
Émile Benveniste inaugure un deuxième courant fonctionnaliste et fonde
les bases de la linguistique énonciative : elle aura pour tâche de prendre en
compte, décrire et analyser les relations qui s’établissent au sein d’une nouvelle
triade : l’énoncé, le contexte dans lequel il est émis et les sujets parlants. La
pragmatique énonciative affirme la pertinence de la situation de communication
et considère le langage comme un instrument pour représenter le référent. Le
co-texte est désormais pris en compte pour une analyse adéquate des énoncés.
Dans le même temps, Roman Jakobson, dans ses tentatives d’explication
des phénomènes pathologiques comme l’aphasie, tout comme dans ses essais
sur la fonction poétique, se détourne de la notion de code normatif. Il définit
« six éléments inaliénables », nécessaires aux échanges : le message qui est le
contenu de l’information, le destinateur qui envoie le message, le destinataire
qui le reçoit, le code choisi pour transmettre le message, le canal qui est le
moyen de mettre en contact les interlocuteurs et enfin le contexte dans lequel
est émis le message et qui recouvre finalement une réalité très large appelée
aussi « référent ». A chacun de ces six facteurs est attribuée une fonction de la
communication et si la fonction informative (référentielle) reste souvent prévalente, on doit, dans une bonne analyse de la communication, prendre en considération les autres fonctions (émotive, poétique, phatique, métalinguistique et
conative).
L’apport des philosophes anglo-saxons contribue à cette vision « grand
angle » de la signification. On admet d’abord avec John Searle que si l’esprit
humain est capable d’activité symbolique et de représentation grâce au langage,
cette activité n’est que la conséquence d’un processus plus global que l’on
nomme « l’intentionnalité ». Il s’agit d’un état mental en vertu duquel la
conscience est toujours orientée vers un objet. John Austin qui part d’une
réflexion sur les assertions et leur rapport avec la réalité, fonde la pragmatique
illocutoire. L’énonciation d’une phrase est, selon lui, la réalisation d’une action
(« quand dire c’est faire ») et tout échange a une valeur d’acte.
Désormais, les sciences du langage ne peuvent plus ignorer cette nouvelle
discipline qu’est la pragmatique et dont l’objet est d’étudier les multiples
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contraintes, modalités et manifestations des échanges humains. Avec la pragmatique, on redistribue les cartes du jeu (ou de l’enjeu) de la communication, on en
dresse l’inventaire et on accepte le risque de la subjectivité et celui de la relation.
Le contexte d’énonciation, les interlocuteurs, leurs références ou savoirs
mutuels ou personnels, sont des facteurs essentiels à prendre en compte.
La compétence communicative des individus qui échangent est hétérogène : compétence linguistique certes mais aussi compétence logique, encyclopédique et rhétorique.
La communication humaine est multi-codale : elle utilise de nombreux
codes plus ou moins symboliques, plus ou moins représentés dans la société. Le
contenu informatif verbal perd de sa préséance pour composer avec tous les
phénomènes d’ordre spatio-temporel, culturel, social ou psychologique. Les
règles de décodage linguistique s’inscrivent dans un ensemble plus vaste de
relations signifiantes où les messages non verbaux (gestuels, mimiques, prosodiques, proxémiques…) ont leur place.
La communication est multi-canale, c'est-à-dire que l’information sera
véhiculée de façon très diverse : la voix, le papier/crayon, le vêtement, la distance entre les interlocuteurs…
Ainsi donc, l’unité de référence n’est plus strictement linguistique et si
l’on s’attache à analyser un corpus verbal, on dépasse le cadre de la phrase pour
englober des ensembles signifiants plus larges : séquences, schémas d’actions,
scripts, scénarios, modèles de situation.
Dans le cadre de la pragmatique, le modèle du code cède sa place
(jusque-là dominante) aux différentes approches « interprétatives » des multiples composantes de la communication. Sur les traces de Paul Grice, de nombreux auteurs apportent leur contribution à ce nouveau champ d’étude pluri-disciplinaire et désormais incontournable.
O. Ducrot propose une analyse pragmatique de l’argumentation, il
reprend la notion de « force illocutoire » établie par Austin et Searle et s’intéresse au non-dit, à l’implicite qui pour lui est constitué de deux catégories : les
présupposés et les sous-entendus.
D. Sperber et D. Wilson élaborent une théorie du modèle inférentiel dans
lequel les procédures nécessaires à la récupération du sens s’apparentent à un
véritable calcul et font vraisemblablement appel à des ressources cognitives
multiplexes.
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C. Kerbrat Orecchioni rétablit la notion de subjectivité dans le langage,
étudie les multiples facettes du discours implicite et propose une analyse rigoureuse et exhaustive des interactions verbales.
E. Goffmann consacre ses études sociologiques aux relations entre les
individus dans la conversation.
Dans ces différentes approches, la transmission d’information est en
quelque sorte un prétexte au véritable enjeu de la communication qui est la relation interindividuelle. La construction d’un modèle unitaire ne peut satisfaire
aux exigences d’une réalité aussi complexe et l’étude des échanges humains
repose nécessairement sur la prise en compte de composantes multifactorielles,
non hiérarchisées et véritablement peu autonomes.
REFERENCES
AUSTIN, J.L. (1962). Quand dire c’est faire. Paris : Édition du Seuil.
BENVENISTE, E. (1966). Problèmes de linguistique générale. Paris : Édition Gallimard.
DELEDALLE, G. (1979). Théorie et pratique du signe. Introduction à la sémiotique de C.S. Peirce. Paris :
Édition Payot.
DUCROT, O. (1972). Dire et ne pas dire. Paris : Édition Hermann.
GOFFMAN, I. (1973). La mise en scène de la vie quotidienne. Paris : Édition de Minuit.
GRICE, P. (1979). Logique et conversation. Communications, 30. 57-72.
JAKOBSON, R. (1963). Essais de linguistique générale. Paris : Édition de Minuit.
KERBRAT ORECCHIONI, C. (1986). L’implicite. Paris : Édition Colin.
KERBRAT ORECCHIONI, C. (1990). Les interactions verbales. Paris : Édition Colin.
MARTINET, A. (1980). Éléments de linguistique générale. Paris : Édition Colin.
SAUSSURE, F. (1915). Cours de linguistique générale. Paris : Édition Payot.
SEARLE, J.R. (1972). Les actes de langage. Paris : Édition Hermann.
SPERBER, D, WILSON, D. (1989). La pertinence. Paris : Édition de Minuit.
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Pragmatique : quelques notions de base
Françoise Coquet
Résumé
En langage oral, chez l'enfant, l'évaluation comme la prise en charge de la dimension pragmatique s'articulent avec l'idée que le langage est utilisé pour communiquer. Cela suppose
une situation d'interaction dans un contexte particulier et demande une analyse en termes
de comportements. Cette analyse peut être menée selon 4 axes : l'intentionnalité, la régie
de l'échange, l'adaptation et l'organisation de l'information. Les habiletés pragmatiques se
construisent progressivement et évoluent tout au long de la vie en fonction des expériences
de chacun.
Mots clés : orthophonie, communication, pragmatique, enfant et adolescent.
Basic notions in pragmatics
Abstract
When dealing with oral language in children, the evaluation and treatment of the pragmatic
dimension rest upon the notion that language is used to communicate. It implies an interaction in a particular context and requires a behavioural analysis. This analysis may follow four
axes : intentionality, management of the exchange, adaptation and information organization.
Pragmatic abilities develop progressively and continue to evolve throughout life, depending
on each person’s unique experiences.
Key Words : speech and language therapy, communication, pragmatics, child and adolescent.
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Françoise COQUET
Orthophoniste
163 rue Saint Albin
59500 Douai
[email protected]
♦ Cadre de référence
D
ans la perspective de l’évaluation et de la prise en charge par l’orthophoniste des habiletés pragmatiques chez l’enfant, il paraît intéressant
de rappeler quelques modèles théoriques qui peuvent servir de cadre de
référence : le schéma de l’interaction proposé par Bateson et l’école de Palo
Alto (Bateson, 1950), le modèle socio-interactionniste de Bloom et Lahey
(Bloom & Lahey, 1978), l'approche fonctionnelle (Bates, 1979). Même si ces
modèles datent et ont été complétés ultérieurement ou amendés, ils restent facilement transposables dans la pratique clinique quotidienne.
L'interaction (selon G Bateson, 1950)
L'acte de communication est une interaction mettant en jeu au moins
deux individus qui échangent des informations dans une situation en contexte.
Le locuteur (Émetteur - E) émet un message. L'interlocuteur (Récepteur - R)
reçoit le message et a la possibilité d'y répondre.
Le message transmet une information sur des faits, des sentiments, des
opinions (contenu), il exprime quelque chose sur la nature de la relation qui unit
les interlocuteurs. Ce message du locuteur E qui utilise comme vecteur un système de codes linguistiques, gestuels, sociaux est en constante évolution en
fonction des signaux envoyés par le récepteur (effet de la rétroaction).
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CONTEXTE (ici, en ce moment)
Schéma 1 : Communication rétroactive ou interaction
(d'après Bateson, 1950)
La composante Utilisation du langage (Bloom et Lahey, 1978)
Pour ces auteurs, le développement du langage est envisagé comme l'appropriation de conduites langagières qui se réalise dans le cadre de situations
d'interaction. Bloom et Lahey (1978) proposent une approche centrée sur les
comportements de communication et la compétence langagière à l'intersection
de trois composantes :
- la Forme (comment dire ?), le langage est un code avec des moyens verbaux (sons – articulation, syllabes – parole, mots – lexique, phrases – syntaxe)
et des moyens non verbaux (postures, gestes, mimiques, prosodie),
- le Contenu (quoi dire ?), le langage exprime des sentiments, désirs,
besoins et des idées (connaissances sur les objets, personnes, événements et
leurs relations),
- l'Utilisation (pour quoi dire ?), le langage est utilisé pour
communiquer : utilisation du langage afin de réaliser des tâches ou des fonctions différentes, utilisation des informations présentes dans le contexte pour
déterminer ce que l'on va dire pour réaliser ces tâches, utilisation de l'interaction
entre interlocuteurs pour initier, maintenir et clore toute conversation.
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Schéma 2 : Modèle tridimensionnel d'après Bloom et Lahey (1978)
L'approche fonctionnelle (Bates et al, 1979)
Selon Bates et Mac Winney (1979), la compétence pragmatique fonde et
détermine le développement de la compétence linguistique. « L'enfant apprend
sa langue parce qu'il est lui-même confronté aux problèmes de la communication dès les premières interactions et parce qu'il découvre dans ce cadre les
contraintes fonctionnelles qui déterminent la forme des énoncé » (Hupet, 1996).
Schéma 3 : Approche fonctionnelle d'après Owens (1991)
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♦ La compétence pragmatique : définition
La compétence pragmatique est une compétence communicative différenciée de la compétence linguistique considérée comme la maîtrise du code de la
langue.
La compétence pragmatique « [que l'on peut définir] comme la capacité
d'un individu à effectuer des choix contextuellement appropriés de contenu, de
forme et de fonction, implique à la fois la maîtrise d'habiletés spécifiques (e.g.,
gérer l'alternance des rôles, initier un thème ou négocier un changement de
thème, établir un référent commun, procéder à des réparations conversationnelles par des demandes de clarification ou de confirmation) et la maîtrise des
habiletés cognitives générales (e.g., habiletés relatives au traitement de l'information en général, et au calcul d'inférences en particulier, la capacité à intégrer
plusieurs sources d'information, la capacité à adopter la perspective
d'autrui…) » (Hupet, 1996).
♦ Axes de la pragmatique
La prise en compte de la dimension pragmatique s'articule autour de
l'idée de l'utilisation du langage pour communiquer, elle suppose une situation
d'interaction et demande une analyse en termes de comportements. Cette analyse peut être menée selon 4 axes :
- l'intentionnalité,
- la régie de l'échange,
- l'adaptation,
- l'organisation de l'information.
Axe 1 : Intentionnalité de la communication
L'acte de langage
L'acte de langage constitue une unité de base. Il est défini par l'acte social
posé intentionnellement par le locuteur lors de la production d'un énoncé.
Il existe un nombre fini d'actes de langage à partir de la catégorisation des
situations (à chaque catégorie correspond un modèle local de fonctionnement) et des paramètres concernant l'interlocuteur.
Théorie d'Austin (1962) et Searle (1969)
Par la production d'un énoncé sincère, dans une situation de communication donnée, un individu accomplit un acte social défini par la relation
qu'il permet d'établir entre Locuteur et Récepteur.
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L’Acte locutoire est un acte d'énonciation (production de morphèmes,
mots, phrases dans une langue donnée) et un acte propositionnel (utilisation de l'ensemble des marqueurs) :
Dire en référence à un objet prédiqué à partir de la dimension vrai / faux.
L’Acte illocutoire est un acte social posé intentionnellement par le locuteur (constater, ordonner, exprimer un sentiment …) :
Dire à partir de la dimension satisfait / non satisfait.
L’Acte perlocutoire cherche à produire sur l'interlocuteur un effet (qu’il
soit ou non intentionnel) :
Dire avec des effets de parole.
Proposition de Costermans et Hupet (1987)
Costerman et Hupet regroupent les actes de langage en 4 classes principales selon les versants demandes et offres.
La régulation de l'échange concerne les demandes (ouverture et fermeture
du dialogue, régulation de la communication).
Les échanges d'informations se font au niveau des demandes par des
questions ouvertes et fermées et au niveau des offres par des déclarations,
confirmations, interdictions, promesses et refus.
On peut décrire des engagements dans l'action : requêtes, autorisations,
interdictions pour ce qui concerne les demandes, promesses / refus, assurances / menaces pour ce qui concerne les offres.
La dernière catégorie regroupe les appréciations : demandes d'appréciations, offres à l’aide d’appréciations positives ou négatives.
Actes primitifs de langage selon Dore (1975)
Dore définit des actes de parole présents au stade préverbal (jusqu'à 2
ans) et réalisés par un seul mot ou par des moyens para verbaux :
- étiquetage (regarder en direction de, pointer du doigt, utiliser un déictique – « ça » « là », nommer),
- répétition (imiter, répéter),
- réponse (sourire en réponse, vocaliser en alternance, répondre),
- demande d'action (pour obtenir la satisfaction d'un besoin, un objet),
- demande de renseignement (regarder vers l'objet, pointer en direction
de, question « c'est quoi ? »),
- appel (appeler quelqu'un ou maintenir l'attention sur soi),
- salutation (saluer, offrir un objet, participer à une routine sociale – jeu
du coucou, au revoir),
- protestation (protester, refuser, rejeter),
- exercice (jouer avec la voix, les sons, les mots).
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Les fonctions du langage selon Halliday (1973)
Halliday définit 7 fonctions du langage qu'il est possible de repérer dans
les comportements de l'enfant après 3 ans.
- la fonction personnelle : exprimer ses goûts, un accord ou un désaccord,
justifier ses choix, dire sa capacité ou son incapacité de,
- la fonction instrumentale : demander des objets à des fins personnelles
« je veux »,
- la fonction régulatoire : donner un ordre – « fais ce que je te dis »,
demander une action,
- la fonction informative : répondre à une question, nommer, expliquer,
rapporter des faits, indiquer la fin de son action – « j'ai ceci à te dire »,
- la fonction interactive : saluer, garder le contact,
- la fonction heuristique : poser une question – « dis-moi pourquoi ? »,
réfléchir tout haut,
- la fonction ludique (imaginative) : faire semblant, jouer un personnage
– « si on disait que … ».
Axe 2 : Régie de l'échange
La régie de l'échange ne peut être dissociée de l'appétence à communiquer et de la conscience du droit à la parole. Elle s'enracine sur des compétences
très précoces qui se construisent dans le cadre de l'attention conjointe et des formats d'interaction.
L'attention conjointe
Kail et Fayol (2000) définissent l'attention conjointe comme le fait que
l'adulte et l'enfant puissent prêter en même temps attention à un même
objet. L'enfant doit avoir compris « qu'il y a quelque chose à regarder
dans la ligne de regard de l'adulte et/ou dans celle de l'index qui pointe »
et puisse le faire (5 mois). Il doit aussi pouvoir attirer lui-même l'attention
de l'adulte sur un objet par l'intermédiaire du regard ou du pointage (entre
9 et 12 mois).
C'est dans ce cadre que peuvent s'installer les interactions du sujet avec
l'autre par rapport au monde environnant.
Les formats d'interactions, Bruner (1983)
Un format d'interaction (routine) est une situation ritualisée avec alternance et complémentarité des rôles adultes/enfant comportant un ensemble
de gestes et d'énoncés produits toujours aux mêmes moments de la journée
et/ou toujours dans le même contexte. Dans ce format chacun interprète
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les actions de l'autre et peut leur donner du sens. Les routines conduisent à
l'élaboration de scénarios (scripts narratifs) et leur répétition permet à l'enfant d'acquérir des repères stables, d'organiser la compréhension, l'amène à
anticiper et à devenir actif dans la communication.
La mise en place des scénarios communicatifs est précoce, dans les deux
premières années et dépend des interactions parents / enfant à travers les activités ludiques, l'attention conjointe et les requêtes (demandes d'objet, demandes
d'aide, invitations à des actions conjointes).
La théorie de l'esprit / théorie de l’intersubjectivité
« Les premiers échanges adultes / enfant se font dans un contexte émotionnel très fort qui conduit à un partage des affects qui sous-tend la progression
de l'enfant » (Tourette, 2000).
Le bébé manifeste de façon très précoce de l'intérêt pour les stimuli liés à
l'expression des sentiments et des émotions (timbre de la voix et expressions du
visage de la mère). Il partage avec celle-ci des moments émotionnellement forts
qui permettent la mise en place progressive d'un répertoire commun de comportements de communication non verbaux. Peu à peu, les cris, le sourire, les
mimiques ne sont plus simplement ce qu’ils sont mais s’imprègnent de ce qu’ils
évoquent à l’entourage qui les interprète ; les gestes, les objets susceptibles de
devenir des vecteurs de communication se décollent de la matérialité pour devenir des « objets saillants ».
Vers un an, l'enfant est en « capacité de percevoir et de répondre aux
orientations affectives des personnes de l'entourage par rapport aux choses et
aux événements du milieu » (Hobson, 1995, cité par Monfort, 2001). Vers 13
mois, l'enfant réalise son 1er geste à valeur sémiotique, un pointé du doigt pour
désigner l’objet désiré (triangle objet / enfant / adulte). Le premier objet désigné
est un signifiant mis en valeur par le comportement des parents, cet objet isolé
par la désignation est utilisé comme signe pour partager le monde mental des
parents (ceux-ci pensent quelque chose au sujet de cet objet), de même le pointé
atteste qu’une convention sur le sens du signe qu’est devenu l’objet est passée
avec ceux à qui il est désigné.
Entre 12 et 18 mois, l'enfant développe une conception de soi et de
l'autre, réalise qu’il a ses propres paysages psychiques inconnus des autres et
qu’il peut les partager, que le comportement de l'autre est en relation avec ses
états mentaux, que l'autre est doté d'intentions, motivations, croyances. Il se
constitue ce que l'on appelle « une théorie de l'esprit » (Trevarthen, 1982,
Baron-Cohen et al, 1985).
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Composantes de la régie de l'échange
La régie de l'échange concerne :
• l’établissement du contact visuel,
• le tour de parole,
• les règles d'alternance du tour de parole et l'utilisation des signaux
de réglage de l'alternance des tours de parole (Sacks et al, 1974).
Le locuteur qui finit son tour de parole le signale en désignant son successeur (question, remarque) ou en indiquant la fin de son tour de parole par le regard,
la gestualité, des indices vocaux ou phatiques (embrayeurs de conversation).
L'auditeur par sa gestualité, son regard, des énoncés, confirme le locuteur
dans son rôle ou le conteste afin de prendre le tour de parole.
• les stratégies pour initier un échange, le maintenir et le clore,
répondre aux sollicitations,
• la topicalisation de la conversation : négocier un thème, le maintenir
et le clore, changer de thème,
• les routines conversationnelles (salutations, formules de politesse),
• la prise en compte du feedback (rétroaction) dans ses diverses
formes, visuelle, sonore, immédiate ou non : manifester son incompréhension, demander des informations, une reformulation, réajuster ses productions, réparer les bris de communication.
Axe 3 : Adaptation
Situation de communication
Brown et Fraser (1979) décrivent certaines caractéristiques de la situation
de communication. La disposition spatio-temporelle des interlocuteurs (lieu moment - position) en est le cadre.
Sont également prépondérantes toutes les caractéristiques des interlocuteurs en tant qu'individus avec des propriétés stables (apparence physique - personnalité) et des propriétés temporaires (humeurs - émotions) et en tant qu'appartenant à un groupe social (âge - sexe - classe sociale - ethnie) ainsi que dans
leurs relations interpersonnelles (degré de familiarité - sympathie - antipathie) et
intergroupes (hiérarchie …).
Enfin il faut également tenir compte des activités des interlocuteurs (types
d'activités - thèmes de la communication).
Communication non verbale
Selon Corraze (1992), « on applique le terme de communication non verbale
à des gestes, à des postures, à des orientations du corps, à des singularités soma-
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tiques, naturelles ou artificielles, voire à des organisations d'objets, à des rapports
de distance entre les individus grâce auxquels une information est émise ». On distingue parmi les signes non linguistiques possédant une valeur communicative :
• les expressions faciales (transmettent les états émotionnels),
• le regard (renseigne sur les dispositions affectives de l'autre et permet de
réguler l'échange),
• les gestes (à valeur référentielle ou à valeur expressive),
• les postures (rendent compte des intentions d'accueil ou de rejet de
l'autre),
• la proxémique (rapports spatiaux entre les interlocuteurs),
• les comportements para verbaux (accompagnant, renforçant ou contredisant les messages verbaux).
Brossard et Cosnier (1984) décrivent deux fonctions à la communication
non verbale :
La fonction contextuelle comprend les éléments constants ou qui varient
peu dans le temps (indices statiques : timbre de voix, forme du visage, vêtements…).
La fonction co-textuelle regroupe des éléments de mimogestualité
variables dans le temps (mimiques, regards, gestes et postures corporelles…).
Adaptation au contexte :
Armengaud (1985) définit 4 types de contexte d'un point de vue formel et
qualitatif :
Le contexte circonstanciel, factuel, existentiel ou référentiel contient les
indices existant dans le monde réel environnant (endroit, moment, objets / personnes présents / absents),
Le contexte situationnel ou paradigmatique correspond à l'aspect social et
culturel, implique le choix d'un registre de langage (conversation entre amis,
exposé devant des collègues …),
Le contexte interactionnel est constitué par l'enchaînement des actes de
langage dans une conversation.
Le contexte présuppositionnel correspond aux croyances, présuppositions
des interlocuteurs ainsi qu'à leurs attentes et leurs intentions au cours de
l'échange.
Il faut distinguer langage en situation et langage d'évocation (en fonction
de la présence / absence de l'objet ou de la personne dont on parle et du fait que
l'on a partagé ou non un vécu).
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Adaptation à l'interlocuteur :
Une conversation est composée d'échanges verbaux entre des partenaires
qui deviennent à tour de rôle locuteur puis destinataire. Chacun d'entre eux peut
être caractérisé par :
- son âge,
- son degré de familiarité avec l'autre personne,
- son statut social,
- ses connaissances, ses croyances, ses suppositions,
- sa disposition affective vis-à-vis de l'autre,
- le savoir partagé (s'il a vécu la même expérience, ce qu'il sait de la
situation),
- le point de vue qu'il a sur la situation …
La situation d'interaction impose d'autres contraintes : l’utilisation d'une
langue commune et l’assurance que le destinataire est en mesure de recevoir le
message (localisation spatiale, attention, modalités sensorielles de réception du
message).
Adaptation au message :
La continuité de l’échange implique à la fois la contingence par rapport
au message linguistique produit par l'autre dans le tour de parole précédent, la
contingence par rapport à son propre message d'un tour de parole à l'autre,
comme la cohérence à l'intérieur de son propre tour de parole.
Axe 4 : Organisation de l'information
Pour que la transmission de l'information soit fonctionnelle, il faut avoir
recours à des stratégies d'organisation de cette information dans le discours.
Règles de coopération dans le discours selon Grice (1975)
- Quantité : contribution appropriée à la bonne évolution de l'échange :
assez d'information, pas de redondance, répétition au besoin,
- Qualité : propos supposé vrai, si la vérité n'est pas connue, utilisation de
modélisateurs appropriés (je ne suis pas sûr de …),
- Pertinence / Relation : adaptation au contexte et à ce qui est dit, maintien du sujet, réponses appropriées, demandes de clarification,
- Manière : contact visuel, intonation adaptée, fluidité verbale, structuration du discours dans la séquence.
Cohérence du discours :
La cohérence du discours est assurée par le traitement des Actes de lan-
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gage et par celui des informations en fonction d'une base de connaissances
conceptuelles, schémas ou scripts activés en fonction de la situation. Cela
implique le respect de Règles de répétition (reprise d’éléments déjà émis, redondance), de progression (ajout d’éléments nouveaux et progressifs), de non
contradiction (domaine logique) et de relation (de cause à effet).
Cohésion du discours :
La cohésion du discours est assurée par des éléments lexicaux et morphosyntaxiques ou para verbaux de surface. Pour le lexique, cela concerne les capacités référentielles, la maîtrise des champs lexicaux et des manipulations qui s'y
effectuent (polysémie, homonymie, synonymie, antonymie, sens figuré ou métaphorique). Pour la morphosyntaxe, cela concerne en compréhension les capacités d'inférence et en production l’utilisation des procédés diaphoriques (anaphores et cataphores) comme l’emploi des connecteurs temporels ou logiques.
Pour le para verbal, cela concerne la cohérence des modalités non verbales utilisées (postures, gestes, mimiques, expressivité prosodique) par rapport au
contenu sémantique du discours et le traitement correct de ces modalités.
Halliday et Pasan (1976) décrivent 9 catégories de liens cohésifs dans le
discours de l'enfant : la référence pronominale, la référence démonstrative et la
référence comparative, l'ellipse, la substitution, les conjonctions et les liens lexicaux (par exemple, synonymes et répétition d'un même mot),
♦ Mise en perspective en fonction de l'âge
Les habiletés pragmatiques se construisent progressivement au même titre
que les habiletés linguistiques sémantiques. Il est possible de mettre en évidence
différents temps d’organisation qui reposent sur un socle commun de compétences très précoces. Les différentes habiletés s’affinent et se complexifient, tout
en réorganisant les habiletés précédentes ; il y a progressivement passage d'une
modalité communicative para verbale à une modalité verbale (qui intègre la précédente). Les compétences discursives et méta pragmatiques se mettent en place
au-delà de 10 ans. Les habiletés pragmatiques évoluent tout au long de la vie en
fonction des expériences.
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Tableau 4 : Mise en perspective des habiletés pragmatiques en fonction de l’âge
Compétences
méta –
pragmatiques
Habiletés
discursives
Adaptation au
contexte social
(registres de
langage)
Organisation de
l'information :
prise en compte du point
de vue de l'autre
décodage du message
(inférences) et production
(choix lexicaux et morphosyntaxiques adaptés,
organisation du discours)
D'après :
- Bruner, 1983
- Bernicot, 1992
- Cronck, 1987
- Dore, 1979
- Grice, 1979
- Halliday, 1973
- Hardling, 1992
- Jakobson, 1963
- Searle, 1969
Règles de
coopération (GRICE),
Diversité et efficacité des
actes de langage selon le
contexte
Adaptation à l'interlocuteur
(âge, disposition affective de
l'autre, savoir partagé) et au
contexte physique (lieu, moment, objets
présents / absents)
Conscience des préalables aux
tours de parole
Régie de l'échange : routines conversationnelles
(attention à l'autre, alternance des tours de parole,
initiation, maintien et clôture de l'échange),
topicalisation de la conversation (lancement, maintien,
changement et clôture des thèmes), prise en compte du
feed back (réparation des bris, demande d'explicitation …)
Efficacité des actes de langage en termes
d'intention (BERNICOT)
Fonctions du langage (HALLIDAY) : informative, phatique,
incitative, personnelle, heuristique, instrumentale, ludique
Théorie de l'esprit
Intentionnalité : comportements communicatifs (HARDLING)
actes primitifs de parole (DORE)
Tour de rôle dans les échanges de regard, les épisodes de coaction, les vocalisations, le babillage
Attention Conjointe
Mise en place des formats d'interaction (BRUNER)
3 mois à 6 mois
9 mois / 1 an 2 ans 3 ans
4 ans à 6 ans
7 ans
10 ans
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Les compétences interactionnelles : formes
d’exercice, bases, effets et développement.
Alain Trognon, Christine Sorsana
Résumé
L’objectif de cet article est de clarifier le concept de « compétence interactionnelle ». En
abordant successivement la structure élémentaire du domaine d’exercice de la compétence
interactionnelle, ses bases cognitives et son ontogenèse, nous souhaitons mettre en évidence à la fois l’importance théorique et écologique de cet outil conceptuel parce que, d’une
part, il concerne nos « formes de vie » naturelles et que, d’autre part, il s’agit bien de cette
compétence qui est la plus souvent prise en charge par les (ré)éducateurs.
Mots-clés : compétence interactionnelle, séquentialité, relation interpersonnelle, intersubjectivité, format d’interaction.
Interactional competence : forms of use, bases, impact and development
Abstract
The aim of this article is to clarify the concept of "interactional competence". We will discuss successively the elementary structure of the forms of use of interactional competence,
its cognitive bases and its development. This discussion will highlight both the theoretical
and ecological importance of this conceptual tool because it involves our natural “forms of
life” and also because it is the competence that is most often dealt with in therapy.
Key Words : interactional competence, sequential processing, interpersonal relationships,
intersubjectivity, interactive format.
Rééducation Orthophonique - N° 221 - avril 2005
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Alain TROGNON
Laboratoire « Psychologie de l’Interaction
Groupe de Recherche
sur les Communications » (EA 1129)
Université Nancy 2
3 place Godefroy de Bouillon
B.P. 3397
54015 Nancy Cedex
Courriel : [email protected]
Christine SORSANA
Département de psychologie
du développement
Université Toulouse-Le Mirail
5 allées Antonio Machado
31058 Toulouse Cedex 9
& Laboratoire « Psychologie
de l’Interaction
Groupe de Recherche sur les
Communications » (EA 1129)
Université Nancy 2
Courriel : [email protected]
O
n trouve l’entretien suivant dans un ouvrage consacré à J. J. Gumperz
(Eerdmans, Prevignano & Thibault, 2003), fondateur de la sociolinguistique interactionniste et toujours l’un de ses principaux animateurs :
" Carlo L. Prevignano : In the conclusion to your Response essay, you mention a
case study of yours, Communicative Competence as Communicative Practice. For Gumperz in 2002, what are communicative and interactional competences, and what are their
relationships with practice ?
"John J. Gumperz : The case study, Communicative Competence as Communicative Practice, is still unfinished. Its title alludes to the theoretical notion first introduced
by Dell Hymes in the nineteen seventies in connection with his argument against Chomsky’s narrowly-defined “linguistic competence”. Hymes’ claim was that there are additional forms of systematic knowledge apart from grammatical rules, and that these also
enter into the production and comprehension of talk. He concludes that we need a broader, more inclusive notion to account for situated language use along with linguistic
structure.
In the paper, I analyse an informal, student coffee shop conversation to argue that
communicative competence cannot be described in terms of “sociolinguistic rules” abs-
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tracted from everyday talk and patterned on those used in grammatical analysis, as is
currently done […]. Communicative competence is more directly reflected in the way
participants use language to respond to others in negotiating shared understanding in
naturally-organized discursive encounters. Based on sample passages from the transcript, may analysis seeks to illustrate the sort of things participants have to know to
engage in and maintain discursive coherence in interactive encounters. I argue that educators constructing test of communicative competence might concentrate on finding
ways of assessing learners’ situated interpretive ability. The resulting test would not just
‘measure competence’, they might also yield normally unavailable insights into how
such communicative difficulties can affect the course of an interaction that might
improve teaching programs.
For those who are interested, a second paper, Sharing common ground dealing
with the same conversational exchange, makes similar arguments. This paper is published in a Festschrift for Werner Kallmeyer (Gumperz, 2002).
I don’t remember where I used the term “interactional competence”. Most probably I intended to refer to knowledge of the king alluded to in the two above-mentioned
papers. " (pp. 149-150).
La « compétence interactionnelle »(1) paraît être dans cet extrait un phénomène assez mystérieux : Prevignano s’y réfère dans sa question, certes, mais
parallèlement à la « compétence communicative » et sans articuler ces deux
notions ; et la réponse de Gumperz concerne surtout la « compétence communicative », identifiée à la « compétence interactionnelle », concept qu’il ne nie pas
avoir utilisé, mais en s’excusant presque d’avoir oublié où.
Pourtant, on sent bien que ces deux concepts, s’ils sont reliés, ne désignent pas les mêmes « choses ». L’objectif de cet article sera donc de tenter de
clarifier quelque peu ce concept de « compétence interactionnelle » important à
la fois théoriquement, puisqu’il renvoie à des capacités de l’esprit humain qui
correspondent à nos « formes de vie » naturelles ; et pratiquement, puisque c’est
principalement cette compétence qui est travaillée par les (ré)éducateurs.
(1) Eerdmans (2003) définit ainsi cette compétence : “It is now well-established that an individual’s knowledge of how to communicate, his/her ability to negotiate, to cooperate, is not simply a matter of producing
and recognizing the appropriate grammar and lexis of the target language. The communicative, or rather,
interactional competence which is “co-constructed” (Jacoby & Ochs, 1995) by participants in any conversational interaction or interactive practice entails much more than this : to achieve mutual understanding and communicate efficiently in the particular speech event they are involved in, individuals must also have knowledge
of the interactive and rhetorical strategies through which factual information is transmitted from speaker to
hearer-s) and vice versa (Gumperz & Roberts, 1991). The level of competence in the use and interpretation of
these strategies, particularly with regard to “rhetorical effectiveness” (Gumperz, 1994) will depend a great
deal on the extent to which interactant’ “”brought along’ context made up of ideological and metapragmatic
assumption” (Roberts & Sarangi, 1999; p. 390).
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On abordera donc successivement la structure élémentaire du domaine
d’exercice de la compétence interactionnelle, ses bases cognitives et son ontogenèse.
♦ Structure élémentaire du domaine d’exercice de la compétence
interactionnelle
Le milieu d’exercice de la compétence interactionnelle
Comme l’affirme Gumperz ci-dessus, c’est donc dans l’usage interlocutif du
langage, et plus exactement de la langue naturelle, lorsqu’elle est employée par
les interactants pour négocier concrètement les interprétations partagées accompagnant les rencontres discursives naturellement organisées, que s’exprime le
plus évidemment la compétence interactionnelle. Comme Morris (1938, 1946)
définissait la pragmatique comme cette partie de la sémiotique s’occupant de
l’origine, de l’usage et des effets des signes au sein des comportements dans lesquels ils apparaissent, la compétence interactionnelle est donc indiscutablement
une compétence pragmatique. Mais comme la compétence interactionnelle
concerne les « choses » sociales complexes (les institutions), discursives (par
exemple une dispute (Ervin-Tripp, 2002)) ou non discursives (par exemple un
baptême) que l’on élabore en échangeant des discours dialogués, c’est une compétence qui semble plus élaborée que celle qui est requise par la simple interprétation d’un énoncé en contexte.
Le milieu d’exercice de la compétence interactionnelle est donc surtout le
discours et notamment le « talk in interaction » comme dit Schegloff (1991 ; cf.
également Trognon & Batt, 2005), entendez : une unité (beaucoup) plus large
que l’énoncé. De fait, le milieu de la compétence interactionnelle est la suite
potentiellement ininterrompue des énoncés. Pour exprimer la même idée un peu
plus techniquement, on dira que le milieu d’exercice de la compétence interactionnelle est la séquentialité.
La séquentialité comme contenant de la relation intersubjective
La séquentialité crée, comme Schegloff (1991) l’a très bien montré, la possibilité d’une « third position repair » [that] may be thought of as the last systematically provided opportunity to catch (among other problems) divergent understanding that embody breakdowns of intersubjectivity, that is, trouble in socially
shared cognition of the talk and conduct in the interaction" (Schegloff, 1991,
p. 158). En créant une telle opportunité, la séquentialité acquiert une fonction
d’étayage et de soutien de l’intersubjectivité. Cette fonction constitue en même
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temps une solution procédurale au problème de l’intercompréhension, lequel est
au cœur de la communication par signes (Trognon, 2002 ; Trognon, 2003 ; Trognon & St Dizier, 1999 ; Trognon & Batt, 2005) lorsqu’on essaye de l’aborder
théoriquement.
La structure élémentaire de la séquentialité en tant que contenant de l’intersubjectivité
Pas mal simplifié ici, le mécanisme qui préside à cette solution peut être décrit
de la manière suivante (Trognon, 2002 ; Bromberg et Trognon, 2000 ; Trognon
& St Dizier, 1999).
Imaginez trois événements sémiotiques (un geste et/ou un acte de langage
et/ou n’importe quel signe) produits successivement (pas nécessairement de
manière adjacente) par deux interactants que l’on désignera par le moment T où
sont produits ces événements : 1Ta, 2Tb, 3Ta. Voici la structure qui relie ces éléments, illustrée par deux exemples.
reformule
T1
interprète
T2
T3
évalue
Figure 1. Schématisation du processus d'intercompréhension entre deux interlocuteurs
Exemple 1 (extrait de Ghiglione & Trognon, 1993) :
1Ta : [a fait un geste de la main]
2Tb : ah ! oui je dis plus rien
3Ta : c'est pas que je veuille te couper mais ya…ya
j'ai une liste de copains
4Tb : ah ! oui
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(1Ta, 2Tb) constitue une relation d'interprétation. Son second élément
« enacte » l'interprétation que fait b de l'action accomplie par a en 1Ta, cette
interprétation devenant dès lors mutuellement manifeste (Sperber & Wilson,
1989). Ainsi, dans cet exemple, b manifeste qu'il interprète le geste de a comme
une requête (et même un rappel à l'ordre).
Le fait que le second moment de l’interaction puisse se comprendre
comme l'accomplissement d’une réaction à une interprétation du premier
moment résulte de deux choses. Premièrement, il résulte du fait que 2Tb constitue une action créant un état de choses perceptivement disponible à chaque
interactant (il appartient à leurs environnements cognitifs, au sens de Sperber &
Wilson, 1989), donc que 2Tb est susceptible de former "une base partagée pour
une interprétation mutuelle de l'intention communicative du locuteur" (Clark,
1996, p. 194). Deuxièmement, il résulte aussi du fait que l’état de choses 2Tb
apparaît à la suite de 1Ta et donc, qu’il entretient une certaine relation avec le
premier élément.
[(1Ta, 2Tb), 3Ta] constitue une relation d'évaluation. L'interprétation par b
de 1Ta étant accessible à a en 2T, a peut la comparer avec sa propre interprétation et « enacter » une ratification (comme 3Ta dans l'exemple 1) si les deux
interprétations correspondent, c'est-à-dire si l'interprétation que fait a de son
énoncé initial est équivalente à celle que b en a faite. Mais a peut être amené à
reformuler son message initial si les deux interprétations divergent, comme dans
l’exemple 2 ci-dessous :
Exemple 2 (extrait de Gumperz, 1989) :
1Ta : Est-ce que tu sais où se trouve le journal d'aujourd'hui ?
2Tb : Je vais te le chercher
3Ta : non c'est bon dis-moi simplement où il est … J'irai le chercher
4Tb : non, non c'est moi qui irai
Comme on le voit bien, la principale conséquence de ((1T, 2T), 3T) est
l'accessibilité mutuelle de l'interprétation du premier temps de l’interaction. En
2T, cette interprétation est évidente pour a. Et en 3T, il est évident pour b que
cette interprétation est évidente pour a. Deux cas de figure peuvent se produirent, selon que 3T confirme ou invalide l'interprétation que fait b de T1.
L'exemple 1 illustre le premier cas de figure. L'intervention du locuteur
en 1T est mutuellement conçue comme une requête parce qu'en 3T il formule
explicitement l'intention qui gouverne cette action. En 3T, b comprend que a
comprend que b comprend que a veut le faire taire. L'exemple 2 illustre la
seconde possibilité : le malentendu. Un malentendu se traduit par une séquence
interlocutoire dans laquelle les interprétations de a et de b de l’action initiale de
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la séquence divergent. Dans l'exemple 2, l'interprétation de b est invalidée au
moyen d'un acte illocutoire complexe comportant une question explicite et une
interdiction, qui, selon un calcul que nous n'exposerons pas ici, aboutit en effet à
l'élimination de l'interprétation du premier énoncé en terme de requête. Une
intercompréhension n’en découle pas moins. En effet, c’est comme si en 3T b
comprenait que a a compris que b a compris que a désire le journal et en 2T a
comprenait que b comprend que a désire le journal.
Le modèle précédent montre donc comment, « dans la conversation, la
notion de signification du locuteur [est] remplacée par celle de signification qui
est tenue pour étant celle du locuteur. » (Clark, 1996, p. 213). Comme Clark
l’écrit encore : « le changement est minime, mais radical. L'idée est que les
locuteurs et les auditeurs essaient de créer une interprétation conjointe de ce que
le locuteur est supposé signifier. Une telle interprétation représente donc, non ce
que le locuteur signifie en soi - qui peut d'ailleurs changer dans le cours réel de
la communication - mais ce que les participants considèrent mutuellement
comme étant signifié par le locuteur » (Clark, 1996, p. 213).
Le schéma précédent, très élémentaire, est au cœur de toute interaction.
L’importance de ce qu’il restitue est d’ailleurs reconnue par tous, bien que sous
des noms divers : échanges réparateurs (Goffman, 1973), complétude interactionnelle (Roulet & al., 1985), etc. Si des divergences existent, c’est seulement
quant aux théories du processus restitué par le schéma.
♦ Bases psychologiques de la séquentialité
La Théorie de l’Esprit comme condition de la compétence interactionnelle
Comme l’explique Sacks (1992) dans ses célèbres Lectures, dans la structure précédente, « la succession est interprétée comme une mise en relation ».
Essayons d’examiner de plus près cette mise en relation et pour ce faire, revenons à la situation de a au second temps de l'interaction. a a « sous les yeux »
un comportement de b. Ce comportement, a va le prendre pour une action,
c’est-à-dire pour un comportement intentionnel. Cette action de b (ou plutôt
cette action que a lui attribue ; cette action de b selon a, quelle est-elle ? C’est,
en raison du principe de coopération (Grice, 1975), une action qui est censée
satisfaire le but de a, ou plus exactement le but que b croit être le but de a. Il
importe peu ici que « le but de a » lui soit tout à fait individuel (par exemple
quand a demande un service) ou constitue la part que a prend à une action
conjointe qu’il réaliserait avec b. Ce qui compte, c’est que b est crédité (par a,
qui « applique » le principe de coopération) de l’intention de satisfaire ce but et
de l’intention d’informer a de cette intention. En somme, l'interprétation de a au
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second temps qualifie ce second temps comme une action (l'action qui réalise
les conditions de satisfaction d'une interprétation de l'action du premier temps)
gouvernée par une croyance ; la croyance que l'action accomplie au premier
temps est celle-là même dont les conditions de satisfaction sont intentionnellement réalisées au second temps. Qu’en est-il maintenant du troisième temps ? Il
relie le but attribué à a par b (selon a, au second temps) au but que a attribue au
troisième temps à son comportement au temps initial de l’interaction (selon b,
au troisième temps). Le but attribué à a (par exemple que b cesse de parler ou
que b apporte le journal à a) est un contenu de croyance de a, de b, ou encore
des deux. Le troisième temps revient donc à évaluer sémantiquement la
croyance attribuée à b. Vraie dans l’exemple 1, elle est fausse dans l’exemple 2.
Des attributions de croyances, en particulier de croyances fausses lorsque le
troisième temps de l’interaction corrige une interprétation erronée comme dans
le second exemple, accompagnent donc la séquentialité : l’interlocution est un
domaine d’exercice de la Psychologie Populaire et donc de la théorie de l’esprit.
Pacherie (1993) définit la Psychologie Populaire comme « la pratique
universellement répandue chez les humains qui consiste à décrire, expliquer et
prédire le comportement humain (et dans certains cas animal) en termes d'interactions entre croyances, désirs et intentions, toutes attitudes que les humains
s'attribuent les uns aux autres d'une manière apparemment spontanée » (p. 4).
Elle précise également que la Psychologie Populaire « ne postule pas simplement que les attitudes propositionnelles, d'une part, jouent un rôle causal dans
l'explication du comportement et, d'autre part, ont un contenu, mais elle postule
que c'est en vertu de ce contenu qu'elles ont un rôle causal » (p. 6). On peut dire,
d'un point de vue développemental, que « la 'théorie de la pensée' incorporée
dans l'usage culturel de la 'conversation' semble donner forme et catégoriser
l'expérience elle-même, en définissant le fait de penser comme une expérience
particulière qui demande un effort. Apprendre des mots comme pense, crois,
fais attention, souviens-toi, c'est donc apprendre une théorie de l'esprit » (Bruner, 1996, p. 137).
Dans ce contexte de réflexions, plusieurs recherches en psychologie du
développement font l'hypothèse que ce serait dans le contexte de la pratique des
conversations que l'enfant construirait une compréhension d'autrui comme sujet
épistémique (Bretherton & Beeghly, 1982 ; Deleau, Bernard, Rouxel & Hooge,
2002 ; Deleau, Guehenneuc, Le Sourn & Ricard, 1999 ; Dunn, Brown, Slomkowski, Tesla & Youngblade, 1991 ; Harris, 1996, 1999, 2000 ; Veneziano,
1998). Contrairement à l'activité conversationnelle, s'engager dans la planification, même conjointe, d'une action n'implique pas que l' "agent" ait conscience
d'avoir des croyances (ou des représentations) relatives à la situation actuelle
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d'action ; il doit seulement être conscient de ce qui est désiré ou non. Selon Harris (1996), ce serait donc l'expérience croissante de l'enfant, non pas comme
agent, mais comme conversationnaliste, qui jouerait un rôle déterminant dans sa
capacité à comprendre le rôle des pensées et des croyances parce que la structure de la conversation attirerait l'attention des enfants sur un ensemble de capacités humaines jusqu'ici transparentes à leurs yeux.
Les défaillances de la théorie de l’esprit et leur traduction dans la
séquentialité
Quoi d’étonnant alors que le trouble autistique se manifeste avec plus ou moins
de force dans la conversation avec les autistes comme le montrent les deux
extraits suivants, le premier enregistré avec un enfant souffrant d’un autisme de
Kanner et le second enregistré avec une jeune fille souffrant d’un syndrome
d’Asperger.
Exemple 3 (extrait de Trognon & Collet, 1993) :
Alexandra a 8 ans 8 mois. Elle souffre d’autisme infantile type Kanner
(diagnostiqué au CFTME). I est infirmière. A et I sont côte à côte. I veut déplacer la table.
1I1 : Oh là là… je suis fatiguée moi ! (A reste assise sur le fauteuil et ne
réagit pas. Pourtant, depuis le début elle regarde la scène en train de se
dérouler)
1I2 : Oh c’est lourd !
1I3 : Oh elle est lourde la table… J’arriverai jamais à la porter
1I4 : J’aurais besoin d’aide (un cri dans la pièce, A tourne la tête en
direction du cri)
1I5 : J’aurais besoin de toi pour porter la table (A se lève et va faire un
tour dans la salle de jeu)
1I6 : J’aimerais bien que quelqu’un m’aide à porter la table (A revient
s’asseoir sur le fauteuil près de I)
1I7 : Tu peux m’aider à porter la table ?
2A : Non
3I1 : Non (sourires)
3I2 : Ben voilà… ben d’accord… ça fait rien je vais la porter toute seule
L’infirmière aura parcouru à peu près toute la gamme des manières de
formuler indirectement une requête (Searle, 1982), se faisant de plus en plus
explicite à mesure que le discours progresse. Mais sans succès : Alexandra ne
réagit pas aux requêtes indirectement exprimées et en 2A, contrairement à
l’usage, elle interprète littéralement 1I7 comme une question d’information.
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Exemple 4 (extrait Collet & Riboni, 1997) :
Odile, 15 ans, scolarisée en classe de troisième, souffre d’un syndrome
d’Asperger, une forme atténuée d’autisme. Voici un extrait d’un entretien
qu’elle a eu avec une psychologue à propos de l’une de ses rédactions annotée
par le professeur et dont le sujet était : « Une des conditions du bonheur est
d'exercer un métier que l'on aime. Montrez les conséquences que le choix du
métier peut avoir pour la vie personnelle, familiale et sociale. ».
Les interlocutrices se réfèrent dans l’extrait à la partie suivante de la
rédaction (en italiques, les annotations du professeur) : « le bonheur est d'exercer un métier que l'on aime. Mais il n'y a pas que cela, il y a aussi pouvoir être
libre. Mais avoir un métier qui nous plait, c'est aussi bien que d'avoir un métier
que l'on aime pas. C'est même mieux. Un métier est un travail qui doit toujours
nous plaire. Un jour, j'ai rencontré un homme qui s'est plaint de son métier. Il
travaille dans une usine. Il revient toujours de son travail nerveux. Il dit toujours
"vivement que je sois en retraite". Il passe ses nerfs sur les autres alors que ce
n'est pas de leur faute. Si un métier ne nous plait pas, on ne doit pas le prendre.
On n'a parfois pas le choix. On choisit toujours un travail que l'on désire faire.
Hélas non ! ».
O est la patiente, V la psychologue.
(…)
61V : oui... hum... hum... d'accord hum... bon... alors on part avec ça et tu
me lis la rédaction que tu as faite. Alors... (silence)
62O : (O lit la rédaction) le bonheur est d'exercer un métier que l'on
aime.(...) c'est même mieux (rires ; O a intégré la remarque du professeur comme si elle l'avait elle-même écrite)
63V : ça c'est le professeur qui t'a mis cela. Pourquoi elle t'a mis cela ?
Pourquoi elle t'a mis "c'est même mieux" ? Qu'est-ce que qu'elle a
voulu dire quand elle dit "c'est même mieux" Est-ce que tu as compris pourquoi elle t'avait mis ça ?
64O : non
65V : relis la phrase, "mais avoir...", je relis "mais avoir un métier qui
nous plait, c'est aussi bien que d'avoir un métier que l'on aime pas" ;
elle te met "c'est même mieux", qu'est-ce qu'elle a voulu dire ?
66O : que c'est mieux d'avoir un métier que l'on aime que celui qu'on
aime pas
67V : oui et quand elle te dit "c'est même mieux" elle fait un peu d'humour. Elle te dit, ben, oui, en général c'est quand même mieux
d'avoir un métier qu'on aime
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68O : oui
69V : plutôt qu'un métier qu'on aime pas, c'est une petite note d'humour
70O : oui (rires)
71V : est-ce que tu avais compris comme ça ?
72O : oui "un métier est un travail qui doit toujours nous plaire" (O
continue à lire la rédaction)
(...)
138O : "hélas non" (rires)
139V : explique moi "hélas non"
140O : (rires)
141V : hein ?
142O : oui
143V : elle t'a mis "hélas non" parce que...
144O : on a parfois pas le choix
145V : euh "on choisit toujours un travail que l'on désire faire", elle te
met "hélas non"
146O : ben si
147V : hein ? ben si tu dis. Tu penses qu'on choisit toujours un travail
que l'on a envie de faire ?
148O : oui
149V : hum hum. En fait qu'est-ce qu'elle veut te dire en te mettant "hélas
non" ?
150O : qu'on ne choisit pas qu'on est obligé de le faire
151V : oui, je ne sais pas si elle dit ça
152O : rires
153V : c'est vrai ce que tu dis, mais quand tu mets, toi, "on choisit toujours un métier que l'on désire faire", elle te met "hélas non", on ne
choisit pas toujours, on peut choisir des fois, mais des fois on ne
choisit pas, quelquefois on a pas le choix. Parce que toi tu mets, de
toute façon tout le temps on choisit un travail qu'on a envie de faire
154O : oui
155V : or elle dit "hélas non", sûrement sur le toujours, parce que toi tu
mets "on choisit toujours", alors, dans le "hélas non", non on ne
choisit pas toujours. On choisit des fois, des fois on a la chance de
pouvoir faire un travail qu'on désire faire, mais des fois on a pas le
choix. Donc je pense que quand elle te met, je pense parce que je
ne sais pas, hein, il me semble que quand elle te met "hélas non",
c'est par rapport au début de ta phrase "on choisit toujours". Et
non, on ne choisit pas toujours, parfois on a la chance de pouvoir
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avoir un travail que l'on a envie de faire. Alors regarde là, parce
qu'au départ
156O : (regarde les dessins au mur) (rires)
157V : oui, qu'est-ce que tu regardes ?
(...)
On voit bien, dans ces extraits de l'entretien que, si O a compris la signification propositionnelle des annotations du professeur (cf. O66, où O déduit correctement le point de vue du professeur, cf. également O150), elle n'accède pas
à leur valeur interactive (ou du moins elle ne parvient pas à exprimer cette
valeur interactive), que du reste V a bien du mal aussi à lui faire comprendre.
Comme l’écrivent Collet et Riboni (1997), la jeune fille « ne saisit pas, dans les
annotations, les états mentaux de son professeur vis-à-vis de sa copie ; ou du
moins (elle) ne nous montre pas qu’elle se réapproprie les intentions du professeur contenues dans les annotations. (elle) semble avoir une compréhension
informationnelle (des annotations) et (...) des difficultés dans l’appropriation
communicationnelle des intentions. (...) » (p. 452).
Les performances linguistiques d’Alexandra et d’Odile sont incomparables. L’une pratique un discours élaboré tandis que l’autre ne dépasse pas un
niveau littéral de compréhension. Mais, bien qu’elles se situent à des pôles
opposés du « continuum autistique » (Wing, 1988), elles manifestent toutes
deux en fonction de leurs compétences linguistiques le même trouble de la compétence interactionnelle, lequel est relatif à la capacité à distinguer le sens du
locuteur du sens de l’énoncé.
♦ Effets d'acquisition de la séquentialité
La séquentialité dans l’acquisition de la langue
Si comme l'affirmait Chomsky, la conversation est ce bain de langage qui
déclenche le dispositif inné d'acquisition des grammaires qu'il postule, comme
l'écrit Veneziano (1997) « nous ne connaissons pas encore clairement quelles
propriétés particulières du fonctionnement conversationnel contribuent à l'acquisition » des structures et des règles d'utilisation de la langue. Citant Bruner, elle
souligne encore que « s'il y a un dispositif inné d'acquisition du langage, l'input
à ce dispositif n'est pas une douche de langage parlé mais une affaire hautement
interactive » (p. 91).
L’étude de la fonction d’étayage et de soutien de l’intersubjectivité et de
l’intercompréhension que permet la séquentialité apporte des faits empiriques et
des hypothèses à certaines acquisitions langagières de l’enfant : on constate que
le partenaire adulte du petit enfant attribue aux comportements, aux vocalisa-
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tions puis aux énoncés de celui-ci des significations et des intentionnalités qui
vont (probablement) au-delà de celles intentionnées par l’enfant (Veneziano,
1999a) : « D’un côté, comme le dit Dore (1985), en interprétant les comportements de l’enfant, l’adulte leur donne une signification “ avant que l’enfant ait
pu la signifier ” (p. 45) ; d’un autre côté, les interprétations de l’adulte expriment en langage bien formé les significations projetées par l’adulte sur les énonciations de l’enfant et souvent les enrichissent. En d’autres termes, l’adulte produit des expansions et des extensions qui sont des répliques temporellement et
sémantiquement contingentes aux productions de l’enfant, lui fournissant ainsi,
à un moment privilégié d’attention, un modèle langagier à partir duquel il peut
élaborer des règles sur la langue elle-même » (Veneziano, 1999a, pp. 10-11,
souligné par nous).
Plus précisément, en rapportant les résultats d'une étude longitudinale sur
l'acquisition de l'hébreu, Veneziano (1997) montre que la structuration des
échanges parcourt trois périodes. Au cours de la première période, les échanges
au cours desquels la mère traite les productions de l’enfant comme des mots de
la langue et où l’enfant enchaîne en reprenant un morceau de l’énoncé de
l’adulte sont peu nombreuses. Y succède une période d’échanges réciproques où
« la tendance interprétative de la mère et la tendance imitative de l’enfant
convergent sur un même élément lexical qui devient de ce fait objet d’attention
commune » (p. 101). C'est la participation dans ces types d'échanges qui impliquent l'activité conjointe des deux partenaires qui se révèle la plus efficace pour
l'acquisition du premier lexique. S'ensuit une troisième période qui est une complexification de la seconde et qui est supposée contribuer à la combinaison de
mots par l'enfant. L’enfant au cours de son tour de parole ne se centre pas sur le
mot que la mère a interprété mais sur un autre mot de l’énoncé de la mère. La
mère reprend le « mot » (x) de l’enfant en l'interprétant (x') et le conjoint avec
un autre mot (y) ; l’enfant reprend ensuite (y). La séquence interlocutoire se présente donc ainsi (Bernicot & Trognon, 1997, p. 32) :
L1 (enfant) : x
L2 (mère) : x' + y
L1 (enfant) : y
De sorte qu'au cours de cette période, des concaténations signifiantes de
mots se trouvent distribuées entre les interlocuteurs (la mère propose à l'enfant
un terme [y] et l'enfant se l'approprie), et entre les tours de parole pour un même
locuteur : il aura fallu deux tours de parole de l'enfant au cours d'une séquence
et un tour de parole intermédiaire de la mère pour que l'enfant produise une
concaténation signifiante que la mère, elle, produit en une seule énonciation.
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Comme l'écrit Veneziano (1997) : « les suites produites en suivant les mouvements dialogiques ont un rôle central : elles permettent à l’enfant de produire les
premières conduites du niveau langagier supérieur à un moment où, de son point
de vue, il fonctionne pleinement comme locuteur d’énoncés à un mot » (p. 118).
Dans le débat fictif dans lequel nous l'installons avec Rondal (1997),
Veneziano (1997) soulignerait également que ce n'est peut-être pas le feedback
qui constitue la structure efficiente du mécanisme d'acquisition, mais l'échange
réciproque. En effet, « si l’activité conversationnelle de type imitatif (initiée
par la mère ou par l’enfant), est fortement liée à la construction des premières
formes et significations partagées » (p. 113), n'importe quel type d'échange
n'est pas efficient. Veneziano (1997) l'établit en situant les productions imitatives dans les structures d'échanges auxquelles elles appartiennent. On s'aperçoit alors que les imitations appartiennent à deux types d'échanges : les
échanges simples et les échanges réciproques. Dans les premiers, la reprise
imitative faite par le second locuteur n'est pas suivie par une reprise imitative
du premier. Au contraire, dans les échanges réciproques, un troisième tour de
parole apparaît qui consiste pour le premier locuteur à reprendre à son compte
la reprise imitative du second locuteur, chacun des interlocuteurs se donnant
en quelque sorte un quitus d'audition (Trognon & Larrue, 1988) au travers
d'une structure qu'on pourrait interpréter comme une forme primitive de la
structure conversationnelle de l’intercompréhension (Ghiglione & Trognon,
1993 ; Trognon & Brassac, 1992). Or, Veneziano (1997) montre que ce sont
seulement les reprises imitatives réciproquées qui corrèlent avec un gain de
vocabulaire. Par ailleurs, il convient de préciser que le fonctionnement dyadique est important : ce qui peut être efficace au sein d’une dyade
adulte/enfant à un moment du développement peut ne pas l’être à un autre
moment du développement et/ou pour une autre dyade (Veneziano, 1988,
1997, 1999a ; Lebon, 1999).
Outre l’acquisition du lexique, le lien entre les événements conversationnels et la compétence langagière semble aussi en filiation directe pour ce qui
concerne la capacité de l’enfant à faire des références au passé. Veneziano et
Sinclair (1995) ont mis en évidence que l’enfant produit tout d’abord des références ambiguës qui vont acquérir un statut de référence au passé grâce à l’interprétation de l’adulte. De plus, « la co-référenciation dans le passé, qui peut
poser des problèmes à la dyade quand l’enfant est encore dans la période des
énoncés à un mot ou aux débuts de la combinaison des mots, peut trouver des
solutions à travers la structuration même de l’échange (Veneziano, 1996) »
(Veneziano, 1999a, p. 16, souligné par nous).
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La séquentialité dans l’acquisition de la pensée
Une Théorie de l’Esprit, et donc une aptitude à la manipulation des
croyances, est d’une manière ou d’une autre requise pour entrer dans le « talk in
interaction ». Mais, comme souvent en matière de développement, nous ne
sommes pas là devant des « choses » différentes : il n’y a pas, d’abord, de la
théorie de l’esprit, puis de l’activité conversationnelle ; ou d’abord de l’interaction puis une aptitude à manipuler de la pensée. Ces deux « choses » se présupposent l’une l’autre à la manière des systèmes autopoiétiques décrits par Varela
(1989) : « un système autopoiétique est organisé comme un réseau de processus
de production de composants qui (a) régénèrent continuellement par leurs transformations et leurs interactions le réseau qui les a produits, et qui (b) constituent
le système en tant qu’unité concrète dans l’espace où il existe, en spécifiant le
domaine topologique où il se réalise comme réseau » (p. 45).
Toutes les espèces animales manipulent vraisemblablement des
croyances. Cependant, l’espèce humaine les manipule d’une façon très originale, qu’Austin avait reconnue, très clairement exposée par Apel (1994), mais à
laquelle on n’a pas, à notre avis, assez porté attention (Trognon, 1998). En effet,
tout le monde convient maintenant que « la double structure [le fait que les actes
de discours soit dotés d’une force et d’un contenu propositionnel] ou la structure
de complémentarité se révèle probablement constituer le caractère distinctif du
logos propre au langage humain » (Apel, 1994, p. 45). Cette double structure
vaut donc aussi bien pour les actes assertifs. Mais « le fait qu’il existe des prétentions humaines à la validité, pouvant être explicitées au plan performatif, est
révélateur des conditions pragmatico-transcendentales de possibilité du concept
abstrait de vérité au sens où l’entend la sémantique logique de Tarski : les propositions prédicatives métalinguistiques du type ‘…est vrai’ sont incompréhensibles si l’on ne présuppose pas l’existence d’une prétention autoréférentielle
performative à la vérité susceptible d’être remise en question dans la
discussion » (p. 48). Et Apel (1994) de conclure : « l’enjeu de la différence entre
une proposition et l’assertion d’une proposition tient à ce que seule cette dernière exprime sur un mode réflexif la prétention à la vérité que l’homme,
comme sujet de la connaissance, peut associer à une proposition. C’est là probablement ce que Sarah et Washoe n’apprendront jamais ; en dépit de leurs compétences, elles ne formuleront jamais que des énoncés propositionnels, sans
jamais s’engager dans une discussion argumentative concernant la vérité ou la
fausseté de ces propositions » (pp. 46-47).
On comprend alors facilement, avec Harris (1996), que les jeunes
enfants comprennent plus facilement les désirs que les croyances (voir
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notamment Bartsch & Wellman, 1995) : la précondition à la compréhension
des croyances (mais non des désirs) - à savoir la participation à des échanges
d’informations en conversation - n’est pas réalisée par la plupart des enfants
avant l’âge de trois ans. Mais, au cours de la troisième année, ceux-ci s’engagent de manière accrue dans des conversations où de l’information est échangée (comptes-rendus, questions, démentis, etc.). Il a pu constater que, dès
deux ans et demi, les enfants sont capables de rappeler ou de discuter d’événements survenus plus de trois mois plus tôt ; ils donnent des informations
sélectives (c’est-à-dire plus versus moins de précisions sur la localisation
d’un objet si l’interlocuteur était absent versus présent durant le placement de
l’objet) ; ils cherchent l’information en posant des questions et en diversifiant
la formulation de celles-ci (la plupart sont de type oui/non mais ils utilisent
aussi des questions du type « qu’est-ce que ? » et « où ? » avec occasionnellement des questions de type « pourquoi ? ») ; ils savent répondre de façon
appropriée quand l’échange d’information est dans l’impasse et a besoin
d’une « réparation » (clarification d’une assertion par une réponse confirmatoire ou bien par l’énonciation d’une information spécifique en fonction de la
demande de l’adulte) ; enfin, ils utilisent « non » non seulement pour refuser
mais aussi pour répondre négativement à une question de l’adulte ou bien
pour donner une opinion contraire (Harris, 1996, 1999, 2000). En résumé,
dès cet âge, les enfants utilisent la conversation comme un moyen de chercher et d’échanger de l’information indépendamment d’un projet d’action. En
outre, au sein de ces conversations, ils se rendraient compte que les partenaires n’ont pas les mêmes connaissances ni les mêmes croyances à propos
d’un thème partagé ; différents partenaires de conversation vont donner, par
exemple, des réponses différentes à l’assertion ou à la question de l’enfant ou
vont relater différemment des événements ou des choses connus de lui, etc.
L’auteur insiste donc bien sur l’idée que c’est la compétence conversationnelle et non pas l’habileté verbale qui semble constituer un prérequis-clé :
“From around two years of age, and increasingly during the third year, normal children have the opportunity to discover and enjoy one of the unique
abilities of our species - to use language to exchange information. It would
be surprising if this new horizon did not lead children to a different perspective on the way that the human mind works. If I am right, idle conversation
reveals the human capacity for knowing and thinking, independent of any
immediate plan of action” (Harris, 1996, pp. 218-219).
Il existe plusieurs illustrations empiriques, à l’appui de cette hypothèse
conversationnelle, formulée ainsi par Deleau (1998, p. 40) : « a) les enfants
qui développent le plus tôt une compétence conversationnelle doivent présen-
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ter aussi une sophistication plus grande dans le jeu symbolique et une capacité
plus grande pour un âge donné (ou plus précoce avec l’âge chronologique)
d’attribuer à autrui des croyances ; et b) réciproquement les enfants dont la
compétence conversationnelle est limitée doivent montrer une moins grande
habileté dans le jeu symbolique et une maîtrise plus tardive de la notion de
croyance ». Des observations ont, en effet, montré que les jeunes enfants qui
sont les plus incités à communiquer sur les thèmes du monde social, des états
internes et de la causalité entre états internes et comportement, au sein des
conversations familiales, développent plus précocément leurs capacités d’attribution de croyances à autrui, dans le courant de la troisième année (Dunn, &
al., 1991 ; Dunn & Brown, 1993). Il ressort de ces travaux que ce n’est pas la
quantité de discours causal proposé par la famille qui est liée aux performances des enfants, mais le fait que ce discours prenne place lors d’activités
conjointes positives, susceptibles de fournir à l’enfant l’occasion de s’informer, d’argumenter et de réfléchir sur la façon dont les personnes se conduisent
comme elles le font. D’autres études ont montré que les seconds-nés maîtrisent mieux les pronoms personnels (Oshima-Takane, Goodz, & Derevensky,
1996) et ont de meilleures compétences pragmatiques que les enfants uniques
(Hoff-Ginsberg, 1994 ; Bernicot & Roux, 1998), constats qui permettent de
supposer que leur situation de cadets favoriserait le développement des habiletés à manier les croyances au sein des expériences conversationnelles avec la
fratrie (Deleau & al. , 1999). Enfin, l’hypothèse du rôle de l’expérience
conversationnelle dans la compréhension des croyances est renforcée par les
observations d’enfants sourds profonds, sans troubles associés et ayant des
parents entendants. Les auteurs constatent chez ces enfants, confrontés à une
carence d’expérience conversationnelle, un retard dans la réussite aux tâches
classiques de fausse croyance qui varie de quatre à sept ans, selon les protocoles utilisés (Deleau & al., 1999 ; Deleau & al. , 2002).
♦ Développement de la compétence interactionnelle
Sur quelles spécificités humaines ce développement de la compétence interactionnelle repose-t-il ?
Les recherches comparatives des compétences cognitives entre l’Homme
et les primates non humains révèlent de grandes similitudes : permanence de
l’objet, cartographie cognitive, catégorisation perceptuelle, estimation des quantités et rotation mentale des objets. En outre, des conduites éminemment
sociales apparaissent dès la naissance (et pendant la vie foetale) - reconnaissance de la voix maternelle, préférence pour les dessins évoquant des visages
humains, identification êtres animés/objets physiques - et ces caractéristiques se
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retrouvent aussi chez tous les primates. Cependant, il semble exister deux comportements « ultra-sociaux » spécifiques à l’espèce humaine (Tomasello, 2004) :
• l’engagement du nourrisson dans des « protoconversations » avec ceux qui
prennent soin de lui (Trevarthen, 1979, 1993a, 1993b ; Keller, Schölmerich
& Eibl-Eibesfeldt, 1988) : « Il s’agit d’interactions au cours desquelles
l’enfant et celui qui s’occupe de lui sont attentifs l’un à l’autre, souvent
face-à-face. Elles se composent de regards, de contacts et de vocalisations,
et elles permettent d’exprimer et de partager un certain nombre d’émotions
élémentaires. Chacun y agit à tour de rôle » (p. 60, souligné par nous).
• la capacité des nouveau-nés, de mimer certains mouvements du corps des
adultes (tirer la langue, ouvrir la bouche, bouger la tête ; cf. Meltzoff &
Moore, 1977, 1989) : « Il se pourrait (...) que cette imitation très précoce
reflète une tendance du bébé, non seulement à mimer des comportements
qu’il connaît, mais à « s’identifier » en quelque sorte à ses congénères
(Meltzoff & Gopnik, 1993). Si tel est le cas, cela confirmerait le point de
vue exprimé par Stern (1997), selon lequel si l’enfant va ainsi au-devant
des états émotionnels des adultes, par le biais d’une sorte « d’harmonisation affective », c’est qu’il existe un processus d’identification extrêmement
profond » (Tomasello, 2004, p. 61).
Dès les premiers jours d’existence, l’interaction entre le nouveau-né et sa
mère peut être analysée dans sa spécificité humaine, au moment de la tétée
(Thommen, 2001) : on parle alors de « programmes d’harmonisation » entre les
paramètres de stimulations fournies par les adultes familiers et les réponses du
bébé (Rivière & al., 1987). En effet, le bébé humain est le seul mammifère qui
tète non régulièrement, en cycles de succion-pause au cours desquels on
constate une interaction proto-communicative entre la mère et son bébé : « dans
les intervalles de pause, la mère intervient « pour » déclencher une nouvelle
phase de succion qui s’interrompt « pour » obtenir une stimulation de la mère
(Kaye, 1982). Cependant, si le « pour » de la mère est intentionnel, le « pour »
du bébé est inné. C’est néanmoins un précurseur à la relation interpersonnelle,
qui introduit le prototype de la communication langagière : on parle chacun son
tour » (Thommen, 2001, p. 13, souligné par nous).
Viennent ensuite, vers l’âge d’un mois et dans le prolongement des
séquences de la tétée, des « pseudo-dialogues » sur le mode tonico-postural au
cours desquels la mère introduit des gestes et des paroles dans des séquences
qui laissent place à la réaction du nourrisson (Balleyguier, 1996), au moment où
celui-ci commence à pouvoir contrôler sa posture et à tenir sa tête pour « soutenir » le regard de sa mère (Thommen, 2001).
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Dès 2-3 mois, le nourrisson est sensible au fait que les actions d’autrui
et les siennes sont interdépendantes : la synchronie interactionnelle et l’échoïsation(2) constituent alors des phénomènes interactionnels qui sont à la base du
processus empathique qui conditionnera les échanges intersubjectifs (Cosnier,
1998) : à cet âge, le bébé produit des séquences de quelques secondes qui ressemblent à des phrases et qui sont interprétées par la mère comme de la
parole ; celle-ci émet des attitudes synchrones qui traduisent l’activité sémiotisante maternelle. Par ailleurs, le nourrisson est capable d’intégrer des informations issues de l’ensemble des modalités sensorielles : ses capacités d’analyses supramodales deviennent donc une base d’échanges avec soi et autrui
sur laquelle interviennent les processus qui organisent l’intersubjectivité
secondaire (appelée activité conjointe). L’émergence, vers l’âge de neuf mois,
de cette « attention conjointe »(3) constitue pour Tomasello (2004) une révolution pour la cognition humaine : alors que les bébés, depuis l’âge de six mois,
interagissaient avec les objets ou les personnes de manière dyadique, « une
coordination se met en place dans leurs interactions avec gens et objets, donnant naissance à un triangle référentiel : l’enfant, l’adulte et l’objet (ou l’événement) vers lequel ils dirigent tous deux leur attention » (p. 63). Le domaine
de l’attention conjointe s’étend ensuite (Harris, 1996) : de l’environnement
immédiat, de 18 à 24 mois, à des thèmes qui ne font pas référence au présent
immédiat, de 24 à 36 mois, ce qui requiert de recourir à des mécanismes d'attention conjointe plus sophistiqués et notamment soutenus par le langage
(Tomasello, 1988). Progressivement, la probabilité que les deux partenaires
divergent dans leurs connaissances du thème en discussion s’accroît. C’est au
cours de cette période que Harris (1996, 1999) suppose que l’enfant est de
plus en plus exposé aux divergences de connaissances et de croyances qui
nécessitent de rendre explicite le discours sur ce qu’il connaît et/ou ce qu’il
pense : « Once conversation is underway, and becomes increasingly displaced
from the here-and-now, then an understanding of information states can be
initiated. Without a capacity for joint attention, even rudimentary conversation
about the here and now is problematic » (Harris, 1996, p. 217).
En résumé, c’est vers l’âge de neuf mois que les tout-petits commencent à
« harmoniser » leur attention et leur comportement vis-à-vis des entités exté(2) L’échoïsation correspond à “ la reproduction en écho par un interactant d’une activité gestuelle (échopraxie),
mimique (échomimie) ou sonore (échophonie et écholalie) de son partenaire ” (Cosnier, 1998, pp. 88-89).
(3) Les critères de l’attention conjointe sont (Carpenter, Nagell & Tomasello, 1998) : l’engagement conjoint,
le fait de suivre le regard, de regarder quelque chose vers lequel on pointe le doigt, l’imitation d’actes instrumentaux, celle d’actes arbitraires, la réaction à des obstacles sociaux, le recours à des gestes à caractère impératif et celui à des actes de nature déclarative (parmi lesquels on a distingué les gestes proximaux - “ montrer ”
- et les gestes distaux - “ pointer ”-).
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rieures avec ceux des adultes (Tomasello, 2004, p. 63)(4). C’est à cette période
que les enfants ont recours à des gestes déictiques pour indiquer à l’adulte des
entités extérieures (pointer le doigt vers un objet ou le brandir pour le montrer à
quelqu’un) : certains gestes déictiques sont des requêtes, d’autres sont des
déclaratifs. Ces derniers, où l’enfant veut simplement partager l’attention de
l’adulte pour un objet (ou un événement) sont considérés comme un comportement communicatif propre à l’Homme (Gomez, Sarrià & Tamarit, 1993). L’importance ontogénétique de ces épisodes d’attention conjointe qui se définissent
de manière intentionnelle sont un argument majeur à la thèse de certains évolutionnistes, comme Tomasello (2004), selon laquelle ce qui fonde les origines de
la cognition humaine réside dans le fait que les êtres humains ont développé une
capacité à s’identifier à leurs congénères - ce qui les amène à comprendre qu’ils
sont, comme eux, des êtres intentionnels et mentaux.
Les formats d’interaction comme prototype de la mise en scène de la
séquentialité
Les premiers contextes interprétatifs reposent sur des interactions sociales
routinisées dans lesquelles l’adulte et l’enfant s’intéressent conjointement à un
objet qui leur est extérieur et sur lequel ils attirent l’attention l’un de l’autre, de
manière temporellement organisée (Bruner, 1983, 1984, 1987). Selon les
auteurs, ce type d’interactions réfère à des notions comme celles d’interaction
d’attention conjointe, d’épisode d’attention conjointe, d’engagement dans une
attention conjointe ou de format d’attention conjointe (Bruner, 1983, 1984,
1987 ; Clark, 1996 ; Tomasello, 1988, 1992). Tomasello (2004) propose d’introduire une nouvelle notion - celle de scènes d’attention conjointe - afin de souligner « deux caractéristiques essentielles qui ne l’ont pas été suffisamment dans
les débats » (p. 94) : (1) ces scènes d’attention conjointe « ne sont pas des événements perceptuels ; elles ne concernent qu’une partie du monde perceptuel de
l’enfant » ; en outre, « ce ne sont pas non plus des événements linguistiques : il
s’y passe bien plus de choses que ce qui est explicitement indiqué par des symboles linguistiques, quels qu’ils soient. Ces scènes occupent ainsi un territoire
moyen, situé entre le monde perceptuel, qui est plus vaste, et le monde linguistique, qui est plus étroit » (p. 94) ; (2) « l’enfant comprend une scène dont il fait
intégralement partie. Il comprend son propre rôle dans l’interaction, qui est
conceptualisée à partir de la même perspective « extérieure » que celle selon
(4) “ Pour être plus précis, c’est à cet âge que les tout-petits commencent, pour la première fois, à regarder de
manière souple et efficace ce que les adultes regardent (ils s’agit de suivre le regard), qu’ils s’engagent avec eux
dans des épisodes relativement longs d’interaction sociale autour d’un objet (c’est l’engagement conjoint), qu’ils
utilisent les adultes comme points de référence sociale (c’est la référence sociale), et commencent à agir avec les
objets à la manière dont le font les adultes (c’est l’apprentissage par imitation) ” (Tomasello, 2004, p. 63).
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laquelle son partenaire ou l’objet sont eux-mêmes considérés. Ces trois entités
sont présentes dans le format représentationnel commun » (p. 94).
Pour qu’elle fonctionne comme un « format », la scène d’attention
conjointe doit être comprise par l’enfant comme mettant en jeu des participants
qui sont, dans un certain sens, interchangeables (Bruner, 1987). En tant que
structure de base d'activités conjointes déterminées par des règles, le format
contextualise le langage dans le dialogue (par ex. les jeux comme celui de
caché/trouvé, le moment du repas, du bain, du coucher, etc.) : « Formellement,
un format comporte/entraîne une interaction contingente entre au moins deux
actants, la contingence s'entendant au sens où chaque actant dépend d'un acte
préalable de l'autre. Il n'est pas nécessaire que les intentions de l'un et de l'autre
soient identiques ; il est seulement nécessaire que soit satisfaite une attente
contingente » (Bruner, 1984, p. 23). Ainsi, ces situations d'interaction fortement
ritualisées constituent un cadre spatio-temporel d'interprétation et d'anticipation
de cette contingence parce qu'elles sont stables, se répètent de manière régulière
et sont flexibles. Par exemple, si la structure de base de l'activité conjointe de lecture entre une mère et son enfant est du type : vocatif d'attention (« regarde ! ») /
question (« qu'est-ce que c'est ça ? ») / étiquette (« c'est un X ») / énoncé rétroactif (« oui, c'est ça »), Bruner (1984) a constaté que la mère ne commence pas sur
le vocatif d'attention si l'enfant regarde déjà l'image ; de même, si l'enfant propose une étiquette correcte, elle fournit seulement le feed-back. A partir de cette
organisation cyclique des rôles des deux protagonistes, « les moyens explicites
de coréférence (mots, gestes de désignation...) vont, dans un second temps, marquer la différence des points de vue. Enfin, lorsque les premières propositions
sont formulées (celles où l’enfant commence à associer deux mots, l’un référent,
l’autre prédicat : « bébé boum » ou « papa parti »), elles impliquent non seulement que les deux protagonistes orientent leur attention vers un même référent,
mais qu’ils tiennent pour vrai tel aspect de la situation et qu’ils considèrent que
cette croyance est partagée » (Deleau, 1999, p. 211).
De cette façon, les formats deviennent progressivement des supports à
l'institution de présupposés (Bruner, 1983, 1984) ; corollairement, on peut dire
qu'ils constituent le socle de « méthodes de raisonnement » qui deviendront
tacites et interpersonnellement partagées. Bref, « l'échange est formaté en s'appuyant sur les habitudes sociales environnementales » (Gilly, 1995, p. 139). On
peut dire que le format institue « une production locale d'ordre effectuée méthodiquement et interactionnellement par les acteurs (…) »(5) que l'on retrouve dans
tous les faits sociaux. Par conséquent, on peut énoncer que les formats d’inter(5) Expression empruntée à Conein, De Fornel et Quéré (1990) cités par Trognon (1994, p. 11), expression initialement utilisée à propos des ethnométhodes
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action organisent un lieu de production de procédés ordonnés, raisonnés et finalisés comportant des caractéristiques similaires, dans le champ interpersonnel de
la dyade adulte/enfant, aux ethnométhodes décrites en éthnométhodologie, dans
le champ social (Trognon, 1994, pp. 10-11) :
• « 1) [Elles] sont fondamentalement normatives.
• « 2) [Elles] sont publiquement disponibles à la surface de la vie sociale,
parce que les résultats de leur application s’inscrivent dans l’action sociale
et l’interaction (Heritage, 1990, p. 26).
• « 3) [Elles] sont indissociablement des procédés de raisonnement et des
accomplissements organisés de l’action (Garfinkel, 1967), c’est-à-dire
qu’elles constituent des raisonnements incarnés, ou pour mieux dire enactés,
par conséquent observables, rapportables, accountable (Garfinkel, 1990), le
plus souvent tacitement et parfois ouvertement (Heritage, 1990, pp. 26-27) ».
Les contraintes cognitives posées par le fonctionnement conversationnel
Trois compétences sont requises pour converser (Garitte, 1998) : 1) avoir
un objet à partager, c’est-à-dire une référence commune ; 2) établir des relations
avec autrui (ou intersubjectivité) c’est-à-dire attribuer des états mentaux (observables notamment dans le jeu de rôle chez l’enfant) ; 3) mettre en place un système de régulation des émissions (alternance des tours de parole, et plus généralement des comportements). Les caractéristiques interactionnelles que sont les
notions d’attention conjointe et d’intention de communication demeurent incontournables dans la mesure où « la capacité ‘d’ajustement mutuel’ pourrait bien
être l’un des facteurs-clés jouant dans les différences de compétences de communication ; cette capacité transversale se montre sensible à l’intégration du
sujet parlant dans la situation de langage, en particulier dans ses rapports aux
enjeux (on parle pour quoi ?) et aux locuteurs » (Brixhe, 1990, pp. 17-18).
Une des contraintes posées par le fonctionnement conversationnel porte
sur le fait que les individus - et notamment les enfants - sont confrontés à des
problèmes qu’ils doivent résoudre sur le moment même : « On peut supposer
que la nécessité de trouver des solutions permettant la poursuite de l’échange
offre à l’enfant des opportunités pour progresser, à la fois dans ses compétences
pragmatiques (par exemple, savoir s’ajuster aux demandes spécifiques de son
interlocuteur) et dans ses connaissances plus strictement linguistiques (par
exemple, par l’établissement d’un réseau de relations entre l’expression de la
demande de clarification (déictique ou lexicale) et l’expression de ce qui est
attendu comme clarification » (Veneziano, 1999a, p. 14).
Une autre contrainte posée par le fonctionnement conversationnel
concerne l’obligation sociale de coordination de la cohérence conversationnelle
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et d’explicitation pour maintenir l’activité (Teasley, 1995). Or, pour être simultanément attentifs à la cohérence conversationnelle et à l’activité en cours, les
partenaires doivent produire des énonciations qui signalent les intentions, les
interprétations en cours ainsi que les attentes. D’autres recherches développementales à propos de la genèse des conduites explicatives (Veneziano, 1998,
1999a, 1999b) insistent aussi sur le fait que ce ne serait pas tant l’expression de
réponses contradictoires mais plutôt la nécessité sociale de l’explication que
cette situation sociale provoque qui pourrait former les enfants aux divergences
de connaissances et de croyances qui nécessitent de rendre explicite le discours
sur ce qu’on connaît et/ou sur ce qu’on pense.
Enfin, toute rencontre interpersonnelle semble dotée de « contraintes »
susceptibles de stimuler l’activité cognitive des interactants.
Tout d’abord, plusieurs études ont montré, par exemple, qu’initier une
thèse au sein d’un échange institue, de fait, une contrainte interactionnelle (voir
notamment Musiol, 2002). En effet, initier une idée ou une proposition d’action
contraint le locuteur à la porter « à bout de bras » jusqu’à la clôture de l’échange
ouvert sur ce thème et à la défendre, en temps réel ! D’ailleurs, nous avons
repéré, dans les corpora d’enfants étudiés, que celui qui initie une transaction
est le plus souvent celui qui la clôture, en négociant une idée sur un thème, en
agissant une décision d’action (Sorsana & Musiol, 2005) ; de tels constats se
retrouvent entre adultes. L’activité cognitive déployée dans l’interlocution
semble ainsi bien plus importante que lorsque le sujet travaille individuellement
ou bien lorsqu’il est interrogé, après coup, sur ce qu’il a réalisé. En d’autres
termes, la liberté énonciative est en réalité contrainte dans l’interaction et introduit une « charge » cognitive. Pour quelles raisons ? Parce que l’initiateur est
fortement engagé dans toutes les conséquences de son énonciation initiale puisqu’il a donné une partie de sa pensée ; il devient en quelque sorte contraint de
faire aboutir cette idée, tout à la fois parce qu’il y a chez lui une motivation
propre à l’initiative du thème, une « face » à conserver et/ou à faire reconnaître,
un enjeu identitaire, etc. Par conséquent, au troisième tour de parole, il doit faire
des calculs et réagir à la proximité (ou à la distance) qui existe entre le but de
son énonciation initiale et ce qu’en restitue son interlocuteur lorsqu’il s’est
exprimé au deuxième tour de parole (Musiol, 2002).
D’autre part, discourir à deux, c’est plus que produire des verbalisations.
Le « parler-ensemble » produit de l’inédit et rend fonctionnellement nécessaire
l’émergence de divergences entre des choix et des interprétations ainsi que l’expression d’échanges (de clarification, de reformulation, ...) pour ensuite prendre
une décision.
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Enfin, les enfants travaillant en dyades semblent mieux armés pour faire
face aux questions déstabilisantes de l’adulte (expérimentateur, enseignant, ...),
du fait qu’ils peuvent (a) se concerter, (b) s’épauler pour maintenir une décision,
et/ou (c) reprendre leurs discussions et confronter leurs idées respectives en cas
de doute : « Ils disposent d’un espace social d’échange qui leur donne plus de
pouvoir dans leur rapport à l’adulte et une meilleure maîtrise de la situation
sociale à laquelle ils se trouvent confrontés » (Gilly & Deblieux, 1999, pp. 100101).
♦ Conclusion
Pourquoi avoir souhaité clarifier le concept de « compétence interactionnelle » si peu usité dans la littérature psychologique ? L’examen de la structure
élémentaire du domaine d’exercice de la compétence interactionnelle, de ses
bases cognitives ainsi que de son ontogenèse a permis de montrer qu’un tel
concept autorise à aller au-delà d’une description empirique du « talk in interaction » : il permet d’explorer deux dimensions hautement intersubjectives du rapport au monde que sont, d’une part, l’intuition des acteurs et d’autre part, la
question de la place d’autrui dans le champ de compréhension de ce monde et,
plus largement, dans celui des théories de la connaissance. Parce que ce concept
correspond à nos « formes de vie » naturelles et repose sur les propriétés phénoménales de la conversation, nous supposons qu’il est un bon « candidat » à l’articulation, préconisée par Vernant (2003), de la pragmatique avec la praxéologie(6), pour décrire les règles générales du niveau idiosyncrasique d’une situation
d’interlocution réelle, dont les significations se négocient dans les jeux de langage greffés sur une forme de vie.
(6) La praxéologie est définie par Vernant (2003) comme le niveau perlocutoire de l’usage effectif du langage.
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Le développement des compétences conversationnelles chez l’enfant
Catherine Garitte
Résumé
Il s’agit, dans cet article, de rendre compte des compétences à converser chez l’enfant dans
une perspective développementale. Dans un premier temps, nous retraçons les connaissances relatives au développement des compétences conversationnelles qui se mettent en
place au cours des trois premières années, puis celles relatives au développement ultérieur,
jusqu’à dix ans environ. Nous terminerons en indiquant dans quelles directions les
recherches doivent se diriger pour accéder à une meilleure compréhension du développement de ces compétences.
Mots clés : conversation, enfant, développement, compétences.
The development of conversational skills in children
Abstract
This article describes conversational skills in children from a developmental perspective. We
first review current knowledge concerning the development of conversational skills as they
appear over the first three years of life. This is followed by a description of their development up until the age of ten. Finally, we suggest new research directions for promoting a
more complete understanding of the way these skills develop.
Key Words : conversation, child, development, skills
Rééducation Orthophonique - N° 221 - avril 2005
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Catherine GARITTE
Maître de conférences en Psychologie du
développement
Université Paris-X
S.P.S.E.
200 avenue de la république
92 001 Nanterre cedex
[email protected]
P
Pour converser avec autrui, il est nécessaire d’avoir un objet à partager et
des règles de fonctionnement pour faire évoluer cet objet. Les compétences conversationnelles semblent s’ancrer dans la période dite prélinguistique et se complexifier progressivement jusqu’à ce que l’enfant n’ait plus
besoin de l’étayage de l’adulte et qu’il soit capable de converser avec n’importe
quel individu, d’aborder des thèmes nouveaux, les développer, les abandonner,
etc. En un mot, ces compétences se développent jusqu’à ce que l’enfant soit
reconnu comme un interlocuteur à part entière et surtout qu’il puisse être apprécié comme tel. Dans le cadre de cet article, nous suivrons l’ordre chronologique
des acquisitions.
♦ Développement au cours des trois premières années de la vie
Mise en place des compétences conversationnelles
De nombreuses recherches ont porté sur les toutes premières interactions
entre le bébé et l’adulte (synthèse de ces travaux in Garitte, 1998). L’ensemble
des travaux s’est placé dans une perspective de continuité qui semble s’observer
à différents niveaux : continuité entre les capacités phonologiques et articulatoires de la phase du babillage et la production phonologique des premiers
mots ; continuité entre la structure interactive entre le bébé de cinq mois environ
et l’adulte (structure interactive dite « proto-conversation » ou « dialogue comportemental », « synchronisme », etc.) et la structure conversationnelle (alternance des tours de parole) ; continuité, selon la théorie piagétienne (Piaget,
1946), entre les capacités de représentation de l’enfant à la fin de la période dite
sensori-motrice (qui repose entre autres sur la mise en place de la permanence
de l’objet) et celles du début de la période symbolique (avec le dessin, les jeux
de faire-semblant, l’imitation différée et le langage).
D’autres études minutieuses, s’inscrivant dans la perspective de Bruner
(1977) selon laquelle le développement du langage se grefferait sur les savoir-
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faire mis en place lors des premiers mois de la vie, ont établi des liens entre la
coordination des regards et des gestes (pointages) du jeune enfant (8-12 mois)
dirigés vers une personne et un objet (coordination qui permet à la fois la
requête d’objet ou l’attention partagée sur cet objet ou événement) et l’apparition des premiers mots.
D’autres études encore ont mis l’accent sur les formats dialogiques de
l’acquisition du langage, en reprenant la notion de script, dans lequel les événements s’inscrivent dans des séquences interactives suffisamment ritualisées pour
constituer des routines et permettre au très jeune enfant de dénommer les objets
ou les événements et d’anticiper, à l’intérieur de ces séquences, sur les événements à venir. L’ensemble de ces travaux montre donc qu’une structure interactive de forme conversationnelle se mettrait en place dans laquelle s’insèreraient
les acquisitions de type cognitif et langagier.
Rôle de l’adulte
L’accès à la communication et le développement des compétences à
communiquer ne se conçoivent pas, théoriquement, sans l’intervention de
l’adulte qui étaye les productions de l’enfant pour lui permettre de réussir son
acte de communication. C’est ainsi que Bruner, en clin d’œil au L.A.D. de
Chomsky (Language Acquistion Device ou dispositif inné d’acquisition du
langage), a émis l’hypothèse que les adultes seraient équipés d’un L.A.S.S.
(Language Acquisition Support System), qui servirait de support au cours des
acquisitions de l’enfant et de son développement. Pour guider l’enfant dans le
développement de ses capacités à communiquer, l’adulte, d’une part, interprète, développe, confirme ou modifie les désirs et les actions de l’enfant et,
d’autre part, aménage le langage qu’il lui adresse en le simplifiant syntaxiquement et lexicalement, en modifiant les indices paralinguistiques et prosodiques, de façon à être accessible à l’enfant et que l’enfant puisse comprendre
les intentions de l’adulte. Ce langage particulier est dit L.A.E. pour « Langage
Adressé aux Enfants » (Rondal, 1983, pour une synthèse des caractéristiques
des modifications des productions langagières de la mère). Notons, cependant,
à la suite de Veneziano (2000), que les débats sont encore contradictoires pour
affirmer que le L.A.E. facilite l’acquisition du langage par l’enfant. Outre les
arguments méthodologiques qui peuvent être avancés pour expliquer les
contradictions (notamment le problème des études qui sont essentiellement
corrélationnelles, ou encore la variété des recherches qui reposent sur des
méthodes de recueil et d’analyse différentes), il apparaît évident que les
recherches doivent aussi se centrer sur les caractéristiques individuelles des
enfants (cognitives, motivationnelles, etc.). En effet, lors de situations interac-
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tives, l’enfant intervient tout autant que l’adulte et, indépendamment de celuici, repère ce qu’il comprend et ne comprend pas, ce qui l’intéresse ou pas, ce
qui excite sa curiosité, etc. Ces éléments particuliers sont mis en avant par
l’enfant lors de la situation conversationnelle.
En participant ainsi à l’élaboration de la conversation, l’enfant est acteur
dans l’interaction tout autant que l’adulte et, par là même, l’acteur de son propre
développement. Cette idée se retrouve à la fois chez Piaget et chez Bruner
puisque, pour le premier, c'est l'action de l’enfant sur le monde extérieur et sa
capacité à coordonner ses actions qui permettent son développement cognitif,
alors que, pour le second, c’est l’intériorisation par l’enfant des connaissances
des adultes (parfois traduit sous le terme d’internalisation) qui explique le développement cognitif de l’enfant. Donc, lors d’une situation conversationnelle, si
une information particulière (inconnue, étonnante, pertinente, drôle, etc.) entre
dans sa zone proximale de développement(1), l’enfant peut la sélectionner et
orienter de ce fait la conversation, de façon à ce que l’adulte accepte l’orientation que l’enfant donne à l’échange. En quelque sorte, l’enfant et l’adulte négocient l’objet de leur échange. Plusieurs observations ont pu montrer que, avant
la fin de sa troisième année, l’enfant devient capable d’initier un thème de
conversation, de le maintenir, de l’orienter ou de le changer. Il peut également
demander des clarifications, s’adapter aux compétences psycholinguistiques de
son interlocuteur (notamment lorsque celui-ci est plus jeune) et mettre fin à une
conversation, alors que ses compétences à communiquer sont encore rudimentaires (synthèse des travaux in Garitte, op. cit.).
♦ Développement après trois ans
Il ne suffit pas d’avoir des compétences linguistiques élaborées pour
qu’un locuteur puisse converser, encore faut-il qu’il ait des compétences à dialoguer, c’est-à-dire à organiser son discours en fonction de ce qu’il veut dire, mais
aussi en fonction de ce que son interlocuteur dit et ce qu’il en comprend. Pour
comprendre l’articulation de ces deux niveaux de compétences, les recherches
s’inscrivent dans une perspective fonctionnelle où les relations entre formes et
fonctions, énoncés et contexte, langage et cognition sont étudiées conjointement.
(1) La « zone proximale de développement » ou « zone proche de développement » selon les traducteurs de
Vygotski (1933-1934) est la différence entre le niveau de compétence que l’enfant atteint seul et celui qu’il
atteint avec l’aide de l’adulte. Il apparaît alors que l’enfant ne peut comprendre que les éléments cognitifs qui
entrent dans sa zone proximale de développement.
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L’opacité des échanges conversationnels
Dans une conversation, le sens est porté non seulement par le message cohérence interne de chaque tour de parole – (François, 1984), mais aussi, d’une
part, par la cohérence que chaque locuteur affiche entre chacun de ses tours de
parole et qui fait que le locuteur est cohérent avec lui-même d’un tour de parole
à l’autre, même si ses propos peuvent évoluer en fonction d’éventuelles contradictions de son interlocuteur ou de réorganisations personnelles de sa pensée –
autocontinuité (François, op. cit.) et, d’autre part, par les enchaînements - hétérocontinuité (François, op. cit.) des tours de parole.
Ce sont surtout ces enchaînements-ci qui ont retenu l’attention des chercheurs. Ils sont de nature multiple : question / réponse, ordre / acceptation ou
ordre / refus, énoncé / reformulation, ajout, demande d’éclaircissement, énoncé
parallèle, continuation, etc. L’implicite partagé entre les interlocuteurs rend les
enchaînements plus ou moins limpides, transparents, accessibles ou compréhensibles. Par exemple, le lien entre une question ne nécessitant qu’une réponse
minimale (par exemple, « Oui » en réponse à la question : « T’as acheté du jus
d’orange ? ») présente un niveau implicite faible, contrairement au lien entre
une question et sa réponse qui nécessite un partage de connaissance mutuelle
(par exemple, la réponse « J’ai pas fait les courses » à la question « Y a du jus
d’orange ? » suppose que les deux protagonistes savent qu’il ne peut y avoir de
jus d’orange dans la maison que si quelqu’un est allé en chercher chez un commerçant). Le locuteur doit donc toujours faire un « calcul » sur les connaissances qu’il partage avec son interlocuteur pour ajuster au plus près le niveau
implicite de ses interventions de façon à rendre son énoncé efficace, en fonction
de la nature des propos et du degré de familiarité qu’il partage avec son interlocuteur.
Mais, pour ne pas alourdir la conversation, locuteur et interlocuteur
acceptent une certaine opacité dans leur discours car, pour qu’une conversation
soit harmonieuse, il faut un certain équilibre entre les prises de parole de chacun. Il n’est donc pas possible au locuteur de tout dire immédiatement, d’autant
plus qu’il doit s’assurer auparavant que ses propos sont susceptibles d’intéresser
son interlocuteur. Par ailleurs, une certaine opacité est acceptée car chacun sait
que le discours se co-construit progressivement au cours de la conversation.
Dans l’attente d’informations ultérieures, l’interlocuteur fait des hypothèses sur
le sens de l’implicite, hypothèses qui seront confirmées ou infirmées ultérieurement. Eventuellement, il aidera le locuteur à lever les implicites par une ou deux
questions ou bien par une expression faciale (expression étonnée, dubitative,
etc.). Parallèlement, le locuteur fait des hypothèses sur ce qui doit être explicité
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ou non, en fonction des indices qu’il trouve dans les interventions, les propos,
les mimiques, les gestes de son interlocuteur. Les opérations mentales sur ce qui
peut rester implicite et ce qui doit être explicité se font donc tout au cours de
l’échange. Elles permettent d’assurer l’intercompréhension des propos échangés. Elles ne peuvent s’étudier dans la linéarité des tours de paroles successifs,
mais dans la rupture des énoncés, en rapprochant des énoncés non adjacents qui
ont été préalablement abordés, esquissés, développés ou abandonnés.
Le contexte d’énonciation permet également de ne pas rendre explicites
certaines données du discours. Le locuteur fait l’hypothèse que, quand son discours s’y rapporte, son interlocuteur fera les mêmes inférences que lui. S’il lui
est nécessaire de préciser que son discours porte sur le contexte immédiat, l’expression d’un geste ou d’un déictique peut suffire. Pour faciliter le décodage de
l’implicite, ce niveau intradiscursif interagit étroitement avec le niveau linguistique. Aussi, l’analyse intra discursive permet-elle de situer ce qui est dit dans le
temps (par des marqueurs de temps, des connecteurs temporels, etc.), dans l’espace (par des expressions spatiales et des verbes de mouvements), de situer les
personnes qui échangent et celles dont il est question dans leurs échanges (par
l’emploi de pronoms personnels dont le référent change à chaque tour de parole),
de déterminer l’information nouvelle de l’ancienne (avec l’emploi de déterminants indéfinis et définis), de marquer les plans du discours (avec l’avant-plan du
discours qui rend compte des situations chronologiquement ordonnées et l’arrière-plan du discours qui rend compte de l’information plus secondaire. Par
exemple, « Pierre mangeait. Paul est arrivé » est différent de « Pierre a mangé.
Paul est arrivé », etc.). En même temps, le locuteur doit respecter les règles d’organisation du schéma narratif pour être compris de son interlocuteur. Cette analyse intradiscursive est étroitement articulée à l’analyse du niveau phrastique qui
rend compte des propriétés syntaxiques et sémantiques des différents éléments
constitutifs des énoncés. L’articulation des niveaux discursif et phrastique
dépasse obligatoirement la formulation d’un tour de parole isolé.
Développement des compétences discursives
L’adulte peut donc, à l’aide d’une expression faciale, d’un haussement de
sourcil, d’un geste, d’une question, etc. demander une explicitation s’il a l’impression de ne pas partager suffisamment l’implicite. Pour l’enfant, c’est plus
difficile car savoir situer son incompréhension à partir du discours de l’autre
requiert des compétences métacognitives et métalinguistiques relevant de processus complexes et longs à élaborer.
Par exemple, au niveau phrastique, des études ont montré que l’utilisation
des marqueurs temporels des verbes évolue avec le temps. Ainsi, comme je l’ai
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rappelé par ailleurs (Garitte, 2004), les principales flexions verbales marquant le
temps des verbes sont produites vers 3 / 4 ans : les formes de l’infinitif, de l’indicatif présent, le passé indéfini apparaissent. Le futur est d’abord indiqué par
un adverbe de temps (« Demain je joue »), puis par le futur périphrasique
(« Bientôt, ça va être ma fête »). Le futur simple est beaucoup plus tardif. Vers 4
ans 6, l’infinitif passé est acquis (« Il va être parti »). Vers 5ans / 5 ans 6, les
formes de l’imparfait et du conditionnel commencent à être utilisées correctement. Mais l’utilisation des formes verbales n’est pas semblable à celle de
l’adulte : pour décrire une observation qu’il vient de voir (description immédiate), l’enfant utilise le présent, si un délai de 7 secondes sépare l’action observée de sa description, il utilise le passé composé et si le délai dépasse 25
secondes, il utilise l’imparfait. Jusqu’à 6 ans voire plus, l’enfant a surtout
recours aux adverbes et conjonctions de temps (« après », « tantôt », « avant »,
« et puis », « pendant que », etc.) pour exprimer les relations de temps entre des
événements rapportés.
De même, au niveau intradiscursif, les travaux sur le développement de la
cohésion référentielle montrent que les auteurs sont d’accord pour dire que la
référenciation est d’abord déictique : les enfants parlent en premier lieu d’objets
présents dans l’environnement ou d’événements qui sont en train de se passer
ou qui viennent juste de se passer. Puis, progressivement, ils parlent d’événements passés qui impliquent un déplacement de la référence. Cette phase, plus
complexe au niveau intradiscursif, nécessite à la fois l’évolution des éléments
syntaxiques et sémantiques, l’évolution de nouvelles procédures, dont la maîtrise totale ne s’observera que lors des étapes tardives du développement. Pour
le moment, il est difficile de faire la synthèse des connaissances relatives à la
compréhension de la référenciation car les travaux, au premier abord, semblent
contradictoires. En effet, certaines études développementales rendent compte
d’une maîtrise dès 3 ans du système de détermination nominale et de pronominalisation, alors que d’autres études rendent compte d’un développement beaucoup plus lent, jusqu’à 7 ans voire 10 ans.
D’autres recherches, toujours au niveau intradiscursif, montrent que l’ancrage spatial commence à être compris vers 7 ans et que l’interprétation des
localisations et des déplacements dans le discours ne devient véritablement efficace que vers 10 ans (Hickman, 2000, pour une synthèse des travaux relatifs au
développement de l’organisation discursive).
Ces compétences intradiscursives (ancrages référentiel, spatial, temporel,
etc.) se mettent donc en place très progressivement et colorent, selon le niveau
de l’enfant, différemment l’expression conversationnelle. Si au début, l’étayage
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de l’adulte est encore important voire massif, il diminue progressivement au fur
et à mesure que l’enfant devient capable d’identifier des entités référées, d’ordonner des événements narrés, de les relier, de les localiser dans le temps et
dans l’espace, etc. Ces compétences permettent de décontextualiser la conversation en utilisant non plus le contexte immédiat de la conversation, mais le
contexte linguistique de la conversation.
♦ Ce que les recherches ne nous disent pas encore...
Il serait incomplet de rendre compte de la dynamique conversationnelle
en la situant uniquement aux niveaux phrastique et discursif, dans la mesure où
le langage n’est pas le seul moyen pour véhiculer de l’information. Le corps
tout entier participe à la production de la signification, et la lecture des expressions corporelles (faciales, gestuelles, posturales) renseigne également sur le
contenu du message, ou le complète, le relativise, etc. Communiquer avec son
corps relève également d’un développement.
Au tout début de la vie, il s’agit pour le bébé d’ordonner sa motilité (gesticulation spontanée), pour en faire soit un outil d’action sur le milieu environnant (qui sera étudié dans le cadre du développement psychomoteur de l’enfant), soit pour en faire un moyen de communication. Ainsi, un enfant, avant
même de savoir combiner deux mots, peut demander à être pris dans les bras en
adaptant une gestualité adéquate (par exemple, en tendant les bras vers l’adulte).
C’est d’abord par son corps que le bébé communique à sa mère ses états
internes de satiété, de malaise, de faim, de douleur, etc. en pleurant et en criant
ou en babillant, en ayant le visage contracté ou relâché, en s’endormant facilement, etc. Progressivement la mère repère les différentes expressions émotionnelles positives (plaisir, joie, bien-être, etc.) et les différentes expressions émotionnelles négatives (détresse, colère, etc.). De son côté, l’enfant
« instrumentalise » très rapidement sa mère en adaptant son comportement pour
la faire venir (par exemple en différenciant ses pleurs ou ses cris). Il s’agit donc
d’une intercompréhension mutuelle qui se transforme au fur et à mesure que les
capacités à communiquer de l’enfant évoluent. Parallèlement à ce processus,
l’enfant apprend à reconnaître la signification des informations corporelles
(faciales, gestuelles et posturales) de ses interlocuteurs.
La compréhension de ce double processus par les chercheurs et notamment celui de la compréhension des informations qui rendent compte de ce que
pense ou ressent le partenaire s’inscrivent dans l’ensemble des travaux expérimentaux rassemblés sous l’appellation de « Théorie de l’esprit » ou Theory of
mind en anglais ou encore ToM (synthèse des travaux in Bradmetz et Schneider,
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1999). Il s’agit d’un ensemble de recherches qui rendent compte de la capacité
de l’enfant à comprendre que les états mentaux d’autrui (dont, entre autres, les
désirs et les croyances) diffèrent de ses propres états mentaux. Les questions
théoriques sont encore multiples et il ne se dégage pas encore de compréhension
globale du développement de la théorie de l’esprit. Il semblerait toutefois que
l’enfant accèderait en premier lieu à une compréhension des désirs d’autrui puis,
vers 4-5 ans, des croyances d’autrui. Mais il reste encore à étudier comment
l’enfant passe de croyances de premier degré (« Je crois que... » ou « Je sais
que... ») à des croyances de deuxième degré (« Je crois que tu crois que... » ou
« Je sais que tu sais que ... ») puis à des croyances de troisième degré (« Je crois
que tu crois que je crois que... » ou « Je sais que tu sais que je sais ... »). La
connaissance de ce que le partenaire conversationnel sait ou croit et ne sait pas
ou ne croit pas rentre dans le calcul de ce qui doit être levé au niveau de l’implicite ou, au contraire, n’a pas besoin de l’être. La connaissance des états mentaux
intervient dont directement sur l’organisation de la conversation. Or, l’attribution d’états mentaux à autrui n’est possible pour l’enfant que s’il est capable de
se décentrer de son propre point de vue. Notons également que les travaux sur la
théorie de l’esprit ne sont pas suffisamment avancés pour savoir si les traitements cognitifs sous-jacents à la prise en compte des états mentaux d’autrui en
situation conversationnelle (ou n’importe quelle autre situation interactive) sont
identiques quelle que soit la nature du discours (discours sur le réel, le possible
ou le probable, l’impossible ; discours sur la pensée, les croyances et les désirs
des autres et ce que les interlocuteurs sont en mesure de penser de ce que les
autres pensent, croient ou désirent).
L’attribution de désirs semble être la première étape chez l’enfant. Elle
peut être suffisante, au moins dans un premier temps, pour permettre les
échanges conversationnels. Elle repose sur des processus disponibles précocement, comme la possibilité de catégoriser les expressions faciales (cf. les travaux effectué sur la reconnaissance des expressions du visage chez le bébé),
comme la contagion des émotions (un bébé qui pleure peut faire pleurer tous les
bébés d’une crèche), comme l’empathie (qui est un processus d'identification
des sentiments, intentions, désirs d'autrui et qui coïncide avec la reconnaissance
de soi dans le miroir), comme la projection (attribution à autrui de caractéristiques, sentiments que le sujet éprouve) ou encore comme l’imitation immédiate.
Avant même de pouvoir être un objet d’échange, avant même de pouvoir
en parler, l’émotion est un vecteur de l’échange conversationnel. Nous avons
tenté de montrer, à la fois pour les émotions positives et les émotions négatives
(Garitte, 2000 – repris in Garitte, 1998 - et Garitte, 2002) que les échanges
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conversationnels contribuent à réguler l’émotion qui sous-tend la relation des
protagonistes. Selon nous, l’émotion ne peut donc pas être considérée comme
un phénomène isolé : elle est constitutive des échanges conversationnels.
♦ Conclusion
Il reste encore beaucoup à faire pour accéder à la compréhension des processus cognitifs et psycholinguistiques qui permettent le fonctionnement
conversationnel, pour repérer ceux qui relèvent de processus automatiques
(comme l’alternance des tours de parole) et ceux qui nécessitent le passage à
une explicitation de leur fonctionnement pour éventuellement être repris, en cas
de troubles de la communication, dans le cadre d’une intervention thérapeutique
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Delachaux et Niestlé.
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L’approche interactionniste en orthophonie /
logopédie
Geneviève de Weck
Résumé
L’objectif de cet article est de présenter une approche interactionniste en logopédie. Un rappel des définitions des notions centrales (pragmatique, interaction et discours) est tout
d’abord proposé du point de vue linguistique et de la psychologie du langage. Ensuite sont
décrites d’une part les principales tendances du développement des capacités langagières,
et d’autre part les caractéristiques pragmatiques et discursives des troubles de ce développement. Enfin, les pratiques logopédiques d’évaluation des capacités langagières sont envisagées du point de vue pragmatique et discursif avec une centration sur les principes
méthodologiques.
Mots clés : interaction, discours, développement, troubles dysphasiques, évaluation
The interactional approach in the field of speech and language therapy
Abstract
The aim of the paper is to present an interactionist approach in the field of speech and language therapy. Essential notions such as pragmatics, interaction and discourse are initially
reviewed from a linguistic and language psychology point of view. The author further describes the main trends in language development and the pragmatic and discursive characteristics of developmental language impairment. Finally, practices in speech and language
therapy with regard to the evaluation of language skills are discussed from a pragmatic and
discursive point of view, with a particular focus on methodological principles.
Key Words : interaction, discourse, development, developmental language impairment, evaluation
Rééducation Orthophonique - N° 221 - avril 2005
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Geneviève de WECK
Professeur d’orthophonie/logopédie
Université de Neuchâtel
Institut d'orthophonie-logopédie
U.E.R. d'orthophonie
Faculté des lettres et sciences humaines
1, Espace Louis-Agassiz
CH - 2000 Neuchâtel
D
epuis une vingtaine d'années, de nombreux chercheurs en linguistique
comme en psychologie du langage, et plus généralement en sciences
du langage, considèrent que la compréhension et la production du langage sont influencées par les conditions de production. Ils s’intéressent donc
aux énoncés compris et produits par les locuteurs, non en tant que structures
isolées, mais en tant qu’unités articulées à un contexte.
Ce principe s'est concrétisé dans plusieurs courants qui ont reçu un
label différent selon la perspective adoptée : on parle de théories de l'énonciation (Benveniste, 1970), d'analyse conversationnelle (Bange, 1987 ; Mondada,
1994), d’analyse du discours (Adam, 1992 ; Bronckart, 1994, 1996), de pragmatique inaugurée par la théorie des actes de langage (Austin, 1970), d'interaction, etc. Ce foisonnement d'étiquettes montre qu'il n'y a pas encore de théorie générale de l'interaction et de la communication verbale. De prime abord,
ce constat peut donner l’impression d’une certaine confusion, notamment
quand il s'agit de définir ce qu'est une situation de production, un dialogue,
etc., sans parler de la définition même de la pragmatique, qui reçoit selon les
auteurs une extension plus ou moins importante. Toutefois, les différents chercheurs ont en commun d'étudier les modes d'utilisation du langage pour communiquer dans le cadre d'interactions et de prendre comme unité d'analyse
non plus des énoncés isolés, mais des dialogues et des discours réellement
produits.
Cette perspective ne s’est pas développée uniquement en sciences du langage, mais également dans le domaine de la pathologie du langage et de l’orthophonie / logopédie entre autres. Dans ces domaines, il s’agit d’étudier les capacités langagières des sujets – enfants et adultes – et leurs éventuelles difficultés, de
redéfinir les objectifs et les modes d’évaluation de ces capacités, et de repenser
certaines approches thérapeutiques. Si l’on pense en particulier aux enfants, les
données psycholinguistiques sur le développement de la pragmatique et des dis-
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cours sont alors de première importance pour ce travail de réflexion et d’approfondissement.
Ainsi, dans cet article, nous décrirons brièvement les principaux éléments
de la pragmatique en nous centrant sur l’approche interactionnelle et sur l’interactionnisme socio-discursif. En nous limitant aux enfants, nous indiquerons
ensuite les principaux aspects étudiés par rapport à l’acquisition des capacités
langagières orales(1) . La dernière partie sera consacrée à la pathologie du langage chez les enfants et aux interventions logopédiques.
♦ La pragmatique : un vaste champ au carrefour de différentes
disciplines
Définition et principes généraux de l’approche interactionnelle
Au sens large, « l'aspect pragmatique du langage concerne les caractéristiques de son utilisation (motivations psychologiques des locuteurs, réactions
des interlocuteurs, types socialisés de discours, objet du discours, etc.) par
opposition à l'aspect syntaxique (propriétés formelles des constructions linguistiques) et sémantique (relation entre les entités linguistiques et le monde) »
(Dubois & al., 1973, p.388), ainsi que phonologique. En d’autres termes, il
s’agit d’étudier les interactions verbales, d’où l’expression d’approche interactionnelle souvent utilisée pour qualifier cette perspective.
Dans l'approche interactionnelle, tout discours est considéré comme une
construction collective ou une activité sociale qui s'effectue à plusieurs (Kerbrat-Orecchioni, 1990). Cette approche se fonde sur trois propositions.
En premier lieu, tout acte de parole implique une allocution, c’est-à-dire
l'existence d'un interlocuteur, physiquement distinct du locuteur. Dès la phase
d'encodage, avant toute réponse ou réaction du destinataire, celui-ci se trouve
inscrit dans le discours de l'émetteur, parfois explicitement (par exemple les
marques d'allocution « tu »), mais toujours implicitement, le locuteur tenant
compte de la représentation qu'il s'est construite de son destinataire et des capacités qu'il lui prête, pour choisir tel(le) ou tel(le) terme, ou formulation, ou stratégie argumentative, etc. De la sorte, tout énoncé, même monologal, est par
essence dialogal.
En deuxième lieu, tout acte de parole implique une interlocution, c’est-àdire un échange de propos : l'interlocuteur devient locuteur et enchaîne avec une
(1) Cette perspective concerne également les capacités langagières écrites, non limitées alors à l’orthographe,
mais entendues du point de vue des capacités à produire et comprendre des textes écrits réalisés dans des situations d’interaction. Faute de place, nous n’aborderons pas cette modalité du langage.
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réponse ou une réaction sur l'énoncé de son partenaire. Ainsi se co-construit un
dialogue, qui nécessite l'intervention alternative de deux locuteurs physiquement
distincts. Dans cette vision du dialogue, un rôle actif est attribué à tous les participants. De plus, le dialogue est placé au premier plan, dans le sens où il constitue la forme la plus importante, et certains disent la plus naturelle, que peut
prendre le langage verbal. Par ailleurs, ontogénétiquement, il représente la première forme d'échange entre l'enfant et son entourage, forme qui constitue en
même temps le « lieu » d'apprentissage des différents discours en vigueur dans
la société (récit, narration, explication, argumentation, etc.), discours qui seront
par la suite aussi réalisés de façon monologuée (voir paragraphe « quelques éléments développementaux »).
Enfin, dans une interaction verbale, les interactants exercent les uns sur
les autres des influences, de sorte que l'analyse a pour but essentiel de « cerner
la manière dont les agents sociaux agissent les uns sur les autres à travers l'utilisation qu'ils font de la langue » (Kerbrat-Orecchioni, 1990, p.17).
Ces influences sont de divers ordres. Lorsque les interactants sont engagés dans un échange, ils manifestent des signes de cet engagement mutuel, en
recourant à divers procédés de validation interlocutoire : « les participants se
servent d'un ensemble de gestes significatifs, afin de marquer la période de
communication qui commence et de s'accréditer mutuellement. (…) (Ils) se
déclarent officiellement ouverts les uns aux autres en vue d'une communication orale et garantissent conjointement le maintien d'un flux de parole »
(Goffman, 1974, p.33). Les salutations et les présentations constituent des
exemples types de ce phénomène. Mais la validation interlocutoire se manifeste aussi par d'autres moyens, apparemment plus discrets, mais fondamentaux. Tout au long de l'interaction, le locuteur utilise des marques phatiques
pour s'assurer l'écoute de son interlocuteur (orientation générale du corps,
direction dominante de son regard, production de marqueurs verbaux d'allocution, de « captateurs » d'attention du type hein, tu vois, n'est-ce pas, etc.).
Lorsque l’interlocuteur présente des défaillances d'écoute, de compréhension
entraînant une panne conversationnelle, le locuteur est contraint de produire
une réparation, par exemple en augmentant l'intensité de sa voix, en reprenant
ou reformulant son propre discours. Quant à l'interlocuteur, il produit des
régulateurs, sous diverses formes : manifestations non verbales (regards,
hochements de tête, froncement des sourcils, etc.), vocales (mhm et autres
vocalisations) ou verbales plus ou moins élaborées. Ces dernières peuvent
consister en morphèmes exclamatifs (ou à valeur d'approbation, oui, d'accord), en reprises du discours de l'autre ou encore en régulateurs verbaux souvent associés à un signe non verbal. Ces régulateurs peuvent manifester au
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locuteur que l’interlocuteur suit ce que le locuteur dit, qu’il a un problème
communicatif (hein ?, quoi ?, demande de répétition, de clarification, etc.), ou
enfin qu’il n’est plus présent dans l'interaction (regard ailleurs, posture manifestant un désengagement de l'interaction).
Ces influences mutuelles constituent une condition nécessaire à l'interaction, mais pas suffisante. Les participants doivent encore s'accorder sur le
contrat de communication et négocier en permanence leurs droits et leurs
devoirs réciproques dans l'interaction. C’est ce qu’on appelle la négociation des
places discursives.
Par ailleurs, les activités phatiques et régulatrices sont solidaires, dans le
sens où les signaux régulateurs apparaissent souvent en réponse à une sollicitation du locuteur ; de même, les variations dans l'utilisation de ces procédés sont
fonction de l'autre. Ainsi, on peut dire que les interactants ajustent, coordonnent,
harmonisent en permanence leurs comportements respectifs. Cette synchronisation interactionnelle se manifeste tout particulièrement bien dans le fonctionnement des tours de parole qui a pour principe de base l'alternance. Celle-ci a trois
propriétés essentielles :
• la fonction locutrice doit être occupée successivement par différents participants, le changement de tour s'effectuant à une place transitionnelle,
• une seule personne parle à la fois ; toute conversation comprend cependant des chevauchements, généralement très brefs,
• il y a toujours une personne qui parle.
Enfin, l’influence d'un tour de parole sur le suivant se marque par la
dépendance sémantique et contextuelle. Pour définir l'interaction ou la conversation, il faut aussi que les tours de parole soient structurés. « Une conversation
est une organisation qui obéit à des règles d'enchaînement syntaxique, sémantique et pragmatique. (...) En analyse conversationnelle, (...) les différentes interventions des participants constituent une 'chaîne directionnelle', ou (...) sont en
relation de 'dépendance conditionnelle', c'est-à-dire que toute intervention crée
sur la suivante un certain nombre de contraintes et un système d'attente » (Kerbrat-Orecchioni, 1990, p. 193). Les paires adjacentes (salutations, question réponse, accusation - justification ou excuse, etc.) représentent les exemples les
plus clairs. Mais tout tour de parole doit être dépendant sémantiquement du précédent pour ne pas « sauter du coq à l’âne », tout en permettant à la conversation d’avancer pour ne pas « tourner en rond ». Il s’agit donc d’un subtil équilibre entre la nécessité d’informations nouvelles et une certaine redondance
assurant la continuité référentielle.
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Ainsi, toute conversation présente un certain nombre de règles qui assurent son fonctionnement, mais, rappelons-le, ce fonctionnement n’est jamais
parfait, y compris en dehors de toute pathologie du langage. Les procédés de
réparation préservent le dynamisme conversationnel et la poursuite de l’interaction. Les différents aspects évoqués font l’objet de recherches pour approfondir
ce fonctionnement et pour en étudier les caractéristiques dans le cadre de
diverses interactions : enfant / enfant, adulte / enfant, interactions en classe
(acquisitions de connaissances scolaires, ou en langue seconde par exemple), ou
entre un thérapeute et un patient, comprenant les interactions logopède / enfant.
L’interactionnisme socio-discursif
Dans cette perspective, en continuité avec les théories interactionnistes
inaugurées par Vygotski (1936/1985), toute production verbale est considérée
comme une action langagière réalisée par des interlocuteurs dans un lieu et à un
moment donnés et avec un but précis (Bronckart, 1994, 1996). Pour réaliser une
action langagière, c’est-à-dire pour agir sur autrui par le langage, les locuteurs
produisent des textes, grâce à un certain nombre d’opérations psychologiques.
Ces textes peuvent être produits de façon polygérée (dialoguée) ou monogérée :
dans le premier cas, ils sont co-produits par au moins deux interlocuteurs ; dans
le second, leur gestion est assurée par un seul locuteur. Par ailleurs, ces textes
sont composés de différents types de discours en vigueur dans la société (narration, récit, discours informatif, explicatif, argumentatif, etc.).
Ces discours sont définis par leur rapport au contexte de production –
appelé ancrage énonciatif – dont le locuteur se construit une représentation.
Trois groupes de paramètres sont retenus :
• la situation d’interaction sociale comprenant le lieu social (école,
famille, loisirs, magasins, etc.), l’énonciateur et le destinataire, tous deux définis
principalement par leur place sociale, et le but de l’interaction verbale (effet
escompté par le locuteur),
• la situation matérielle de production comprenant le locuteur ou producteur du texte, l’interlocuteur ou récepteur, le lieu physique et le moment de production,
• le contenu ou référent, défini par l’ensemble des connaissances ou
représentations évoquées dans le texte.
Les valeurs attribuées à ces différents paramètres permettent de définir :
• un monde discursif, de l’ordre du raconter ou de l’exposer : soit les
contenus évoqués sont situés dans un monde mis à distance par rapport à la
situation d’interaction sociale, ils sont racontés ; soit ils sont directement
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articulés à la situation d’interaction, ils sont exposés,
• un degré d’implication ou d’autonomie : soit le discours fait référence à
des paramètres de la situation matérielle et les intègre comme éléments du
contenu, il est alors considéré comme impliqué ; soit le discours se construit de
façon indépendante de la situation matérielle, étant en soi interprétable, il est
considéré comme autonome.
Le choix pour un monde discursif et un degré d’implication / autonomie
définit quatre prototypes discursifs : la narration (monde du raconter et autonomie), le récit interactif (ou récit d’expériences personnelles : monde du raconter
et implication), le discours interactif (monde de l’exposer et implication) et le
discours théorique (monde de l’exposer et autonomie). Par ailleurs, ces prototypes discursifs se caractérisent par un ensemble d’unités linguistiques et une
planification particulière (pour plus de détails, voir Bronckart, 1996 ; de Weck
& Rosat, 2003).
Lorsqu'on s'intéresse spécifiquement aux productions verbales des
enfants, force est de constater que la quasi totalité d'entre elles, jusque vers 6-7
ans en tous cas, est actualisée dans le cadre de dialogues, soit entre pairs, soit
avec des adultes. On est alors contraint de repenser les relations entre dialogue
et genres de discours. Il nous semble possible de distinguer les genres de discours produits, tels que décrits précédemment, d'une part, et les modes de gestion de ces discours (polygestion vs monogestion) d'autre part. En référence à la
linguistique textuelle (Adam, 1992), le dialogue (discours polygéré) se caractérise, comme d'autres prototypes textuels, au moyen de la notion de séquence
comprenant plusieurs phases. Celles du dialogue sont les phases d'ouverture et
de clôture, qui encadrent la phase transactionnelle ou corps du texte. En articulant cette description séquentielle à la notion de discours, on peut considérer que
la phase transactionnelle d'un dialogue peut relever d'un ou de plusieurs genres
de discours : dans le premier cas, on parlera de narration, de récit, d’explication,
etc., dialogués ; dans le second, le dialogue se caractérise par une certaine hétérogénéité discursive. Par exemple, les dialogues co-produits lors des séances de
logopédie présentent cette caractéristique (de Weck, 2003).
En conséquence, une analyse relevant de cette perspective se centre sur
les caractéristiques discursives des productions verbales et tient compte du
mode de gestion du discours. Il s’agit aussi de considérer que les différents
genres de discours ne représentent pas tous un même degré de familiarité et/ou
de facilité pour les locuteurs.
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♦ Quelques éléments développementaux
Les enfants commencent à parler dans le cadre d’interactions avec des
locuteurs plus experts qu’eux. Les premiers dialogues auxquels ils participent
peuvent être qualifiés de discours interactif, dans la mesure où ils concernent le
plus souvent des événements (personnes, actions, objets, sentiments, etc.) se
déroulant simultanément à l’interaction verbale ; le référent est alors partagé
entre les interlocuteurs. Ainsi, d’une part les locuteurs peuvent avoir recours à
des formulations déictiques pour l’évoquer, ainsi qu’à des gestes compréhensibles par tous. D’autre part, ces situations ne nécessitent ni une représentation
importante des besoins de l’interlocuteur, ni une planification anticipée du dialogue.
Or, une des caractéristiques fondamentales du langage est bien la possibilité de parler de contenus non présents et/ou abstraits. La question est alors de
savoir comment se développent les capacités langagières permettant d'évoquer
des contenus absents et/ou abstraits, passés ou à anticiper, caractérisés par une
organisation complexe, dans des dialogues qui présentent des caractéristiques
différentes des discours interactifs(2) , tant du point de vue de la planification que
du fonctionnement des unités linguistiques ; ils correspondent à d’autres formes
de discours.
Dans le cadre de l’interactionnisme socio-discursif, l’acquisition des
capacités langagières ne consiste pas en l’acquisition des diverses structures de
la langue, mais dans l’appropriation de plusieurs capacités (Dolz, Pasquier &
Bronckart, 1993 ; de Weck, sous presse) qui sous-tendent la production discursive :
• les capacités d’actions, qui correspondent aux capacités de communication et plus généralement aux capacités pragmatiques (pour une description de
leur développement, voir Bernicot, 1992 ; Bernicot & al., 1998 ; Guidetti,
2003), c’est-à-dire aux capacités à agir sur autrui avec le langage, à gérer
l’échange verbal et à adapter son discours à la diversité des situations de production,
• les capacités discursives, qui permettent de sélectionner le type de discours particulier, pertinent par rapport à l’action langagière à réaliser ; ce choix
est en étroite relation avec les capacités d’action et dépend de la connaissance
par le locuteur des divers types de discours et de leurs caractéristiques,
(2) Faute de place, le fonctionnement des dialogues entre un tout jeune enfant et un adulte ne sera pas développé (McTear, 1985; Salazar Orvig, 2002 et 2003 par exemple).
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• les capacités linguistico-discursives, qui regroupent trois domaines : la
planification, la structuration temporelle et la textualisation, cette dernière comprenant pour l’essentiel la cohésion et la connexion.
Ainsi, en résumé(3), la production de discours nécessite des capacités langagières de différents ordres. En fonction des caractéristiques des situations,
divers discours peuvent être produits de façon polygérée ou monogérée. Lors
d'un discours polygéré (dialogue), la répartition des aspects gérés par l'enfant et
par l'adulte est variable : elle est surtout fonction du niveau de développement
des diverses capacités chez le premier, l'adulte prenant en charge ce qui semble
encore trop difficile pour l'enfant dans le genre donné.
Cette perspective interactionniste a plusieurs incidences sur la façon d'envisager l'acquisition du langage. D'une part, deux lignes de développement peuvent être décrites :
• de la polygestion à la monogestion : chaque genre de discours s’acquiert
d’abord dans l’interaction (sociogenèse au sens de Vygotski) avant de pouvoir
être produit de manière autonome sans intervention étayante de l’adulte,
• de « l’ici et maintenant » à « un ailleurs à un autre moment » : si les premiers dialogues co-produits par l’enfant relèvent du discours interactif (cf.
supra), apparaissent ensuite des échanges à propos d’événements passés, vécus
par l’enfant (récit d’expériences personnelles), puis qui ne le concernent pas
(narration). Parallèlement, ils apprennent à demander (Préneron, 2002), à justifier leurs requêtes (Gauthier, 1999 ; Veneziano, 1999), élaborant des ébauches
d’explication et d’argumentation (Banks-Leite, 1999).
Si l’on tient compte de ces deux directions, le développement des capacités langagières, contrairement à une idée largement répandue, s’étend bien audelà de 6-7 ans.
D’autre part, en opposition à une vision structurale, on postule que les
enfants acquièrent l'essentiel de la morphosyntaxe de leur langue en fonction
des nécessités discursives. Par exemple, l'apparition des temps du verbe passés
est liée au besoin de les utiliser dans les récits d'expériences personnelles. Ce
n'est donc pas parce que les enfants ont acquis certains temps du passé qu'ils
peuvent en employer dans ces récits, mais bien l'inverse. Enfin, les capacités
langagières des locuteurs varient en fonction des genres de discours à (co)produire : l'emploi d'un même ensemble d’unités linguistiques et/ou la gestion
(3) Le lecteur intéressé trouvera des compléments sur le développement des capacités discursives dans de
Weck (sous presse).
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d'une conversation peuvent donc s'avérer aisés dans un genre discursif donné
et l'être beaucoup moins dans un autre.
♦ L’interaction en pathologie du langage et en logopédie
La nature des troubles du développement du langage
Les troubles du développement du langage ou dysphasie sont reconnus
actuellement comme un ensemble de syndromes, affectant de manière durable et
grave différents niveaux du langage. Les classifications courantes (Gérard,
1991 ; Rapin & Allen, 1996) décrivent plusieurs syndromes concernant la structure de la langue, mais également des syndromes concernant les aspects pragmatiques (syndrome sémantique-pragmatique et syntaxique-pragmatique chez
Rapin & Allen, op.cit.). Si ces syndromes abordent de manière très succincte les
troubles pragmatiques et discursifs que peuvent rencontrer certains enfants dysphasiques, de nombreux travaux décrivent de façon détaillée ces difficultés.
En résumé (pour une synthèse, voir McTear & Conti-Ramsden, 1992 ; de
Weck, 1998 ; de Weck & Rosat, 2003 ; de Weck, 2004a), les troubles pragmatiques concernent la gestion des conversations. Il peut s’agir de difficultés à
gérer les tours de parole (leur alternance, les non chevauchements, les relations
de dépendance sémantique), les topics (initiation, maintien, clôture des thèmes),
les pannes conversationnelles (formulation de demandes de clarification et de
confirmation et réponses à ces demandes), et/ou les paires adjacentes de type
question – réponse, etc. Ces différents aspects peuvent être l’objet de comportements verbaux inadéquats de la part des enfants, de sorte que la poursuite de la
conversation devient problématique. Une des hypothèses tentant de rendre
compte de ces troubles consiste à postuler une difficulté chez certains enfants à
construire une représentation suffisamment précise des besoins de l’interlocuteur.
A tort, ces troubles sont encore trop souvent confondus avec des troubles
de la communication, alors qu’ils constituent des troubles du langage à part
entière, dès lors qu’on ne se limite pas à une optique strictement structurale de
la langue. Des travaux ont en effet montré qu’il y a bien lieu de distinguer les
troubles pragmatiques et les troubles de la communication que l’on observe par
exemple dans l’autisme (Bishop, 1989), même s’il existe des points communs
entre ces différents ordres de perturbations.
Quant aux troubles discursifs, qui sont encore moins souvent identifiés
comme tels, deux aspects ont été particulièrement étudiés et commencent à être
bien documentés : il s’agit de la planification et de la cohésion du discours (pour
une synthèse, voir de Weck & Rosat, 2003).
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La planification discursive a surtout été étudiée dans le cadre des narrations qui supposent l’élaboration d’une séquence narrative en cinq phases (situation initiale, force transformatrice, dynamique de l’action, force équilibrante,
situation finale ; Adam, 1992). Si les enfants tout-venant parviennent dans leur
majorité à produire une telle séquence dès 5-6 ans, les enfants dysphasiques peinent à construire une séquence complète, même entre 9 et 11 ans. Les phases
généralement absentes sont les éléments centraux de la séquence narrative : la
force transformatrice et/ou la dynamique de l’action et/ou la force équilibrante
(Merritt & Liles, 1987 ; de Weck & Rosat, 2003). Par contre, la planification de
genres de discours davantage ancrés dans la situation matérielle de production et
supposant l’élaboration d’un script, comme c’est le cas dans les discours où il
s’agit de donner des instructions à son interlocuteur (discours injonctif), pose
beaucoup moins de problèmes aux enfants dysphasiques et beaucoup moins de
différences apparaissent par rapport à leurs pairs tout-venant (de Weck & Rosat,
2003).
Quant aux troubles de la cohésion anaphorique, les enfants présentant des
troubles du développement du langage ont des difficultés dans la création de
liens complets non ambigus. Ils sont toutefois sensibles aux conditions de productions, adaptant leurs modes de cohésion au degré de connaissance partagée
avec l'interlocuteur et au genre de texte à produire. En particulier, lorsqu’ils
racontent une histoire à un interlocuteur qui ne la connaît pas (condition de
connaissance non partagée), ils produisent davantage que leurs pairs tout-venant
des introductions de référents inappropriées sous forme de syntagmes nominaux
définis ou de pronoms personnels de 3e personne (Liles, 1996 ; de Weck,
2004b). Mais la comparaison des conditions « connaissance partagée » (récit à
un interlocuteur qui connaît l’histoire) vs « connaissance non partagée » montre
que ces enfants, comme leurs pairs tout-venant, en produisent moins dans la
première condition que dans la seconde (de Weck, 2005 ; Ingold & al., sous
presse). Quant au maintien de la référence, les difficultés des enfants dysphasiques résident surtout dans l’emploi souvent inadéquat des pronoms et des syntagmes nominaux, entraînant des ambiguïtés référentielles. Ces difficultés s’observent dès l’âge préscolaire, mais également au cours de la scolarité primaire.
De manière générale, ces troubles de la cohésion ont trait à la capacité
d'adaptation des enfants aux conditions de production, qui transparaissent dans
le choix de formes linguistiques appropriées. L'adaptation langagière repose sur
une représentation de la situation particulière dans laquelle le locuteur est
appelé à prendre la parole, c'est-à-dire des principaux paramètres constitutifs de
cette situation. En particulier, le statut de l'interlocuteur et le rapport au référent
évoqué dans le discours doivent faire l'objet d'une caractérisation complète et
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précise. Choisir les formes appropriées en fonction de ces représentations nécessite une connaissance fonctionnelle des unités linguistiques et non une connaissance en soi.
L’évaluation des capacités langagières
Dans la perspective interactionniste, évaluer les capacités langagières des
enfants, dans le cadre d'une consultation logopédique / orthophonique, signifie
évaluer leurs capacités à participer à la co-production de différents genres de
discours. Il s'agit d'analyser la façon dont ils parviennent à gérer une conversation, à s'adapter à leurs interlocuteurs, à choisir les modèles de discours appropriés à la situation, à planifier les différentes séquences discursives, à utiliser les
unités linguistiques de façon appropriée, etc. Cette évaluation vise ainsi à apprécier aussi bien les difficultés que les ressources des enfants dans les différents
domaines cités, ainsi que celles de leur entourage en terme d’étayage verbal
(Bruner, 1983). Il s’agit donc de mettre en évidence le niveau actuel de l’enfant,
et non en priorité ses manques, et d’estimer les possibilités lui permettant d’exploiter sa zone proximale de développement (Vigotski, 1936/1985), indispensable pour envisager une intervention thérapeutique par la suite.
D’un point de vue méthodologique, certains principes sous-tendent la
démarche d’analyse des interactions verbales (de Weck, 2002).
• Les situations d’interaction proposées doivent être définies en fonction
d’une évaluation différentielle des capacités langagières, et en tenant compte de
la nécessaire variation des interlocuteurs, de sorte que l’analyse des interactions
mère (ou père) / enfant font partie intégrante de cette évaluation (Rodi & Seydoux, 2003). On notera que la définition des situations d’interaction ne recouvre
pas la notion de langage spontané habituellement décrite dans une perspective
structurale (pour une discussion de cette différence, voir de Weck, 2003).
• Le recueil des données sous forme enregistrée et leur transcription doivent comprendre l’ensemble des participants, en raison des influences mutuelles
qu’ils exercent les uns sur les autres.
• Les analyses portent sur des indices pertinents des aspects pragmatiques
et discursifs des productions verbales de l’ensemble des participants.
Les outils à disposition (pour une synthèse, voir de Weck & Rodi, sous
presse) pour une telle évaluation diffèrent des tests de langage classiques
d'orientation structurale. En raison des caractéristiques mêmes des interactions,
rappelées dans la deuxième partie de ce chapitre, une standardisation et une normalisation des outils d’observation n’est pas possible. Se développent alors plutôt des inventaires, des grilles d’observation, ainsi que des questionnaires qui
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guident les observations du clinicien par rapport aux principaux aspects pragmatiques, comme par exemple la gestion des tours de parole, des topics (thèmes de
conversation), la variété des actes de langage, la cohérence des informations
évoquées, l’adaptation à l’interlocuteur, etc.
En ce qui concerne la dimension discursive, quelques propositions,
concernant surtout la narration, insistent sur l’analyse des séquences d’événements, du degré d’explicitation, de la référence et de la connexion. Pour notre
part, en référence à l’interactionnisme socio-discursif (voir ce paragraphe),
nous distinguons trois principaux niveaux d’analyse :
• la gestion générale des discours permettant de définir la participation
verbale de chaque participant à l’interaction ;
• la planification du discours : tout dialogue est d’abord analysé en fonction de la séquence dialogale, la phase transactionnelle de cette dernière étant
caractérisée par une séquence discursive particulière (narrative, explicative,
injonctive, etc.) ;
• la textualisation, ou mise en mots effective du discours, se réalise au
moyen d'unités linguistiques qui ont un fonctionnement discursif, c'est-à-dire à
la fois global (inter énoncés) et local (intra énoncés). Il s'agit pour l'essentiel des
anaphores (introduction et maintien des référents par des syntagmes nominaux
et des pronoms), des temps des verbes, et des connecteurs. Ces catégories assurent respectivement la cohésion anaphorique, la cohésion verbale et la
connexion du discours.
Ainsi, la prise en compte de la dimension interactive des productions discursives permet une double analyse, à la fois de la participation de l'enfant et de
celle de son interlocuteur, selon les différents niveaux précédemment décrits (y
compris pragmatique). Certaines interventions de l'adulte peuvent être interprétées en termes d'étayage verbal (Bruner, 1983) ; il s'agit d'analyser les stratégies
d'étayage (questions, reformulations, répétitions, voire formulations) de celui-ci,
leurs fonctions (de Weck, 2000 ; Rosat, 1998) articulées aux différents niveaux
de l'interaction, ainsi que les réactions, reprises par l’enfant des interventions de
l’adulte.
♦ Conclusion
Dans cet article, les principes généraux de l’approche interactionniste ont
été présentés, avec une attention particulière sur les notions centrales proposées
par la linguistique et la psychologie du langage, ainsi que sur la manière de
concevoir le développement des capacités langagières dans une telle perspec-
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tive. Les implications dans le champ de la logopédie / orthophonie ont été discutées pour les troubles du développement du langage et pour l’évaluation des
capacités langagières. La cohérence de la démarche ne s’arrête bien sûr pas à
cette étape de la démarche logopédique / orthophonique, mais s’étend également aux interventions thérapeutiques qui suivent la consultation. Un autre
article serait nécessaire pour en saisir tous les aspects. Nous tentons toutefois
d’en esquisser quelques lignes très générales pour terminer.
L’approche interactionniste dans les interventions thérapeutiques va se
concrétiser dans la manière de définir leur cadre et leurs contenus. Pour ce qui
est du cadre, il s’agit de déterminer quels sont les participants réguliers à l’intervention : autrement dit l’enfant va-t-il avoir pour seul interlocuteur l’orthophoniste / logopède, comme dans les traitements individuels, ou va-t-il en avoir plusieurs ? Dans ce dernier cas, va-t-on privilégier les interactions entre pairs,
comme dans les traitements de groupe, ou avec différents adultes, impliquant
alors le plus souvent une participation des parents ou de l’un des deux ? En
effet, si l’un des objectifs de l’intervention logopédique est bien de favoriser,
chez un enfant, la poursuite de son développement du langage qui est perturbé
et de le ré-harmoniser au mieux, un accent doit être mis sur l’adaptation à l’interlocuteur et une réflexion menée sur les questions précitées.
Ainsi, dans les traitements individuels, où le thérapeute et l’enfant sont
les seuls participants, la variation de l’interlocuteur étant plus limitée que dans
les autres cadres, la simulation d’activités langagières permet de dépasser cette
limitation. Dans ce sens, les situations de jeu symbolique, où différents rôles
énonciatifs peuvent être endossés par les interlocuteurs, sont très fructueuses.
Dans les traitements en groupe, généralement menés par deux thérapeutes, les
interactions adulte / enfant sont un peu plus diversifiées, mais ce sont surtout les
interactions entre pairs qui sont particulièrement privilégiées. On connaît leur
rôle dans le développement des capacités cognitives et langagières, et plus largement dans toutes les situations d’apprentissage. Enfin, la participation des
parents peut prendre plusieurs formes, souvent regroupées sous l’expression de
« guidance parentale ». Cette expression laisse supposer que l’attention du thérapeute se centre prioritairement sur les parents. Or, il s’agit bien de se centrer
sur les interactions entre l’un des parents (mère ou père) et l’enfant ; sachant
que les interactants exercent les uns sur les autres un ensemble d’influences
mutuelles, on est appelé à travailler au niveau des interventions de tous les participants sans en privilégier aucun. Ces guidances parentales peuvent avoir différents objectifs (Oberson, 2003). Par exemple, des interactions peu satisfaisantes,
voire présentant des dysfonctionnements ayant été identifiées dans la consultation, il s’agit de contribuer à les ré-harmoniser par un travail d’analyse et de
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prise de conscience par les parents des modes de fonctionnement de l’interaction avec leur enfant. La guidance interactive (Berney, 2003 ; Robert-Tissot,
2003) en propose un modèle pertinent pour l’orthophonie / logopédie. A l’inverse, les interactions fonctionnant bien et vraisemblablement bénéfiques pour
l’enfant pourraient être soutenues et intensifiées par une guidance parentale, afin
de favoriser le rôle des parents dans le développement des capacités langagières
de leur enfant.
Quant à la définition des contenus des interventions, elle vise à diversifier
les activités langagières, afin que les enfants aient l’opportunité de co-construire
différents genres de dialogue avec le soutien de l’étayage de l’interlocuteur
lorsque cela est nécessaire. Rappelons que c’est grâce aux nécessités discursives
que la textualisation peut se développer. Il est dès lors primordial que le dialogue fonctionne réellement comme un « lieu » d’apprentissage et de développement des capacités langagières.
En conclusion, l’approche interactionniste a été présentée en mettant un
accent particulier sur les interventions logopédiques avec des enfants présentant
des troubles du développement. Il va de soi qu’elle ne se limite pas à ces
démarches, mais qu’elle se conçoit aussi dans les cas de troubles du langage
écrit avec des enfants d’âge scolaire, ou des adolescents. Elle est également
envisageable avec les adultes.
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Troubles pragmatiques chez l’enfant :
nosologie et principes d’intervention
Marc Monfort
Résumé
La pragmatique du langage en est l’aspect le moins connu et le plus difficile à cerner : après
une révision des principaux repères de son développement chez l’enfant et d’une réflexion
sur les troubles pragmatiques ainsi que sur les méthodes et les instruments d’évaluation qui
peuvent les mettre en évidence, sont abordées les grandes lignes des programmes d’intervention.
La complémentarité des approches langagières et comportementales, la nécessité d’approfondir les processus de compréhension, la place de l’enseignement formel et explicite et le
recours aux moyens de visualisation (dessin, langage écrit) sont justifiés à partir d’une perspective clinique, en soulignant aussi les limites actuelles de la démarche éducative et thérapeutique dans ce domaine complexe du développement communicatif
Mots clés : pragmatique, troubles du langage, évaluation, intervention.
Pragmatic disorders in children : nosology and therapeutic approaches
Abstract
Pragmatics is the dimension of language which is the least known and the most difficult to
assess. After reviewing its main developmental milestones in children and discussing pragmatic disorders along with methods and tools for their evaluation, we will describe the main
thrust of intervention programs.
The use of complementary approaches that focus on both language and behaviour, the need
to work on comprehension processes, the role of formal and explicit teaching, and the use
of visual props (drawing, written language) are justified from a clinical perspective. This
article also underscores the current limits of an educational and therapeutic approach in this
complex field of communicational development.
Key Words : pragmatics, language impairment, evaluation, intervention.
Rééducation Orthophonique - N° 221 - avril 2005
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Marc MONFORT
Logopède
Directeur du Centre Entender y Hablar
c/Pez Austral n°15
28007 Madrid
Espagne
[email protected]
L
e langage est constitué d'un ensemble complexe et interdépendant d’éléments qui permet à la communication d’être efficace : la pragmatique en
est certainement l’aspect le moins connu et le plus tardivement étudié par
la linguistique et la psychologie.
Elle est habituellement définie à partir du versant expressif (alors qu’elle
concerne tout autant la compréhension des messages que leur expression)
comme l’usage social du langage (Bates 1976) ou comme l’usage que l’on fait
du langage pour exprimer ses propres intentions et pour obtenir des choses
autour de soi (Gleason 1985).
Des différents aspects du langage, la pragmatique est sans doute le moins
« modulaire » et le plus dépendant d’autres domaines du développement,
notamment cognitif et émotionnel, ce qui complique son analyse d’un point de
vue purement langagier.
♦ Le développement des habiletés pragmatiques chez l’enfant
Faute d’un cadre de référence précis, l’information dont nous disposons à
ce sujet reste encore très partielle et provient généralement d’études portant sur
une facette limitée de la pragmatique. Nous pouvons cependant nous orienter à
partir d’un certain nombre de repères.
Les principales fonctions de la communication (qu’elles soient impératives
ou déclaratives) sont déjà présentes au stade pré-verbal (Halliday 1973) : toute
absence ou retard dans l’émergence de ces fonctions doit donc être considéré
comme anormal même à un stade précoce du développement, entre 1 et 2 ans.
Avec l’apparition et l’organisation progressive du langage oral, ces fonctions s’enrichissent rapidement : Snow et al. (1996) décrivent 12 « actes de langage » différents chez des enfants de 2 ans ; c’est au même âge également que
Pan et Snow (1999) observent simultanément, des actes de langage « décontex-
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tualisés » et l’émergence de la capacité à demander et à donner des suppléments
d’information à l’adulte.
Les règles de la conversation s’anticipent au cours des premiers mois de
la vie lors des interactions non verbales du bébé avec l’adulte : ces habiletés
précoces seront modelées ensuite par le langage et les normes sociales de l’entourage.
Cependant, bien que la dynamique du tour de rôle soit très subtile et prégnante à cette époque, les enfants semblent avoir du mal à respecter cette règle
entre eux avant l’âge de 4 ans (Schober-Peterson et Johnson 1991) ; le maintien
du thème de conversation ne semble d’ailleurs s’affirmer qu’à partir de 5 ans
(Brinton et Fujuki 1984).
La collaboration entre les partenaires dont découle le respect des « règles
conversationnelles » naît de cette capacité d’intersubjectivité par laquelle « nous
nous mettons à la place de l’autre » mais cette capacité se construit grâce à de
nombreuses expériences avec autrui, d’abord avec des interlocuteurs plus efficaces (les adultes) ensuite avec d’autres moins experts (les autres enfants) : les
enfants arrivent ainsi à construire différents types de discours mais d’abord de
façon « polygérée », étayée par le partenaire, avant d’en être capable de façon
« monogérée » (de Weck 1997).
Lors de la petite enfance, il est naturel que malentendus et incompréhensions surviennent et se multiplient lors des échanges entre l’enfant et l’adulte.
Jusqu’à l’âge de deux ans, un enfant ne sait pas renouveler son énoncé si
celui-ci n’a pas été compris mais par la suite il se montre de plus en plus
capable de modifier ce premier essai (Anselmi et al. 1986).
Jusqu’à 3 ans, ses demandes de reformulation des énoncés adultes sont
rares et d’ordre très général (« Quoi ? » « Qu’est-ce que t’as dit ?») : elles
deviennent systématiques et précises à partir de 4 ans.
Dans des situations de communication référentielle, la plupart des enfants
de moins de 6 ans éprouvent encore beaucoup de difficultés à donner l’information pertinente qui permettra à l’interlocuteur de comprendre (Bishop et Adams
1991) mais il semble que cette capacité se développe ensuite très rapidement
après 7 ans (Ackerman 1993) même si les enfants ont encore du mal à distinguer un énoncé ambigu d’un énoncé précis (Lloyd et al. 1995).
Les « termes mentalistes » (c’est à dire ayant trait à des états mentaux
internes tels que les émotions, les intentions, les opinions, les processus : penser, croire, savoir, supposer, vouloir, pouvoir, imaginer…) apparaissent très tôt
dans le langage de l’enfant sous la forme de formules toute faites avant que, peu
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à peu, leur contenu ne se précise, ne s’enrichisse et devienne réellement indépendant (Schwanenflugel et al. 1996).
Notre façon de parler change en fonction de l’interlocuteur : Bates (1976)
avait déjà remarqué que les enfants de 3 ans introduisaient certaines modifications dans leur discours selon le degré de familiarité qu’ils avaient avec
l’adulte ; l’imitation de registres entendus dans les histoires ou à la télévision
joue probablement un rôle dans l’acquisition des traits caractéristiques de situations ou de certains personnages : en tous cas, ils prolifèrent chez les enfants de
3 et 4 ans, lors de jeux de fiction.
L’incorporation d’un éventail de registres expressifs semble se poursuivre
de façon inégale jusqu’à l’âge adulte et semble très dépendante des exigences
du milieu social.
Le registre particulier de l’adolescent participe du phénomène général de
différenciation et d’identification au groupe, un processus souvent altéré chez
ceux qui présentent une pathologie du langage et de la communication.
En résumé, on se rend compte que les données relatives au développement pragmatique chez l’enfant restent très ponctuelles (voir, si l’on veut une
révision chez Pan et Snow 1999) mais nous fournissent tout de même un certain
nombre de références pour l’identification des anomalies les plus significatives
sans nous offrir pour autant ni un modèle développemental (comment se développent ces habiletés) ni un cadre évolutif précis (quelles étapes se retrouventelles chez tous les enfants).
♦ Les symptômes des troubles pragmatiques
Les troubles pragmatiques se manifestent de façon beaucoup plus nette
sur le plan de l’expression mais ces troubles « en sortie » sont toujours associés,
en amont, à des difficultés « en entrée », c’est à dire pour comprendre le langage
d’autrui et déchiffrer ses intentions.
De ce fait, les troubles pragmatiques sont des troubles réciproques et partagés : l’enfant a du mal à comprendre et à se faire comprendre mais il en arrive
de même pour ses interlocuteurs et la prise en charge de ces enfants devra
nécessairement tenir compte des habiletés de l’entourage à s’ajuster à leurs particularités communicatives : l’efficacité de la communication ne dépend pas
seulement de la qualité de l’expression de l’enfant mais aussi de celle de son
interlocuteur à interpréter son discours et à s’ajuster à ses besoins.
La particularité des troubles pragmatiques (le contraste fréquent entre la
correction formelle des énoncés et leur désajustement fonctionnel) augmente le
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désarroi et provoque parfois l’exaspération, réactions qui viennent s’ajouter à
toutes les modifications que provoque la présence d’un trouble du langage dans
l’interaction langagière familiale (Hammer et at. 2001, par exemple).
Les limitations dans la connaissance et le maniement d’une langue ont
évidemment des conséquences au niveau pragmatique : il s’agit alors de
« troubles pragmatiques secondaires » (toujours présents dans une certaine
mesure chez les enfants porteurs d’un trouble du langage, selon Bishop 2000).
Les limitations dans le choix de l’information pertinente et la capacité de
tenir compte en même temps de différents niveaux d’information (présentes
dans le handicap mental) ainsi que les limitations dans le choix de registres
appropriés au contexte social (fréquentes chez l’enfant et adolescent sourds)
appartiendraient aussi à ce groupe de troubles secondaires.
Mais il existe des enfants dont les difficultés pragmatiques sont majeures
et constituent la cause principale des échecs et erreurs d’utilisation du langage :
c’est évidemment le cas des sujets autistes et des enfants regroupés sous la
dénomination de Troubles Envahissants du Développement ou Spectre Autistique (Rapin et Dunn 2003) et des enfants qui répondent aux critères du Syndrome Sémantique-Pragmatique, plus récemment baptisé Trouble Pragmatique
du Langage (par Bishop et son équipe 2000).
L’évaluation de la pragmatique du langage doit bien entendu s’inscrire
dans le cadre d’un bilan général, elle reste cependant encore très difficile, en
partie à cause de sa propre nature et faute également de références normatives,
de moyens pour le recueil de données et d’instruments d’évaluation.
Quoiqu’il existe quelques « tests pragmatiques », il ne semble pas que ce
soit le type d’instrument le mieux ajusté à l’analyse et l’évaluation de cet aspect
du langage.
Ce sont surtout des grilles et des registres de comportements langagiers
qui sont utilisés par les cliniciens : certains se veulent purement descriptifs, en
positif comme la liste d’habiletés pragmatiques de Tattershall (voir en français
Hilton, 1990) ou en négatif comme la nomenclature de symptômes réceptifs et
expressifs que nous proposons dans le Profil de Troubles Pragmatiques (Monfort et al. 2005- voir en annexe) ; d’autres essayent d’y introduire une référence
normative, comme la Children's Communicative Checklist 2 de Bishop (2003)
qui propose une échelle permettant de différencier un niveau normal, celui des
enfants présentant un Trouble du Langage, des enfants présentant un Trouble
Pragmatique du Langage et ceux qui appartiendraient probablement au « spectre
autiste ».
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Dans la perspective « partagée » des troubles pragmatiques, nous proposons également dans l’ouvrage cité ci-dessus une grille qui tente de décrire les
habiletés et les difficultés de l’entourage.
Il n’est pas toujours facile de distinguer, dans les comportements inadéquats de ces enfants, ce qui relève du langage et ce qui relève d’habiletés
sociales liées à des domaines plus généraux comme l’empathie émotionnelle, la
capacité d’engendrer des inférences, la Théorie de l’Esprit, la motivation sociale
… etc.
L’évolution des enfants montre cependant qu’il n’existe pas toujours un
parallélisme exact entre les progrès en langage et les progrès en habileté sociale
et ce dans les deux sens : c’est la raison pour laquelle la plupart des cliniciens
maintiennent l’existence de troubles langagiers pragmatiques spécifiques ; les
distinguer de troubles secondaires reste cependant difficile et ne peut se faire
que d’une façon longitudinale.
Il n’est pas simple non plus d’établir une échelle de sévérité pour des
habiletés et des troubles qui résistent à une évaluation quantitative précise.
Andersen et Smith (1997) ont proposé de combiner plusieurs critères
comme le type de symptômes (il en est de plus invalidants que d’autres), leur
fréquence d’apparition, leur amplitude (s’ils affectent l’ensemble des habiletés
ou seulement une partie) et la capacité d’auto-correction des enfants (ou leur
réponse à l’étayage).
Conti-Ramsden (2000) parle d’un Trouble Pragmatique « pur », de nature
essentiellement linguistique et cognitive, affectant probablement le ou les systèmes de connexion des fonctions supérieures entre elles, et d’un Trouble Pragmatique « plus », dans lequel certaines altérations mentalistes et sociales caractéristiques des enfants présentant un Trouble Envahissant du Développement
viendraient s’ajouter aux difficultés du groupe précédent.
Dans notre pratique, nous distinguons, en partant uniquement de l’importance des symptômes, trois groupes :
• les troubles sévères : c’est le niveau habituel des enfants autistes parlants : une communication très peu efficace, des symptômes fréquents voire permanents, affectant l’ensemble de la compréhension et de l’expression avec une
forte résistance à l’intervention,
• les troubles modérés : le désir de communiquer est réduit mais réel ; les
symptômes sont fréquents mais n’affectent pas l’ensemble des fonctions communicatives ; la réponse à l’étayage est positive ; c’est souvent le cas des enfants présentant un syndrome d’Asperger ou un Trouble Pragmatique du Langage (« plus »),
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• les troubles légers : l’efficacité communicative est généralement préservée mais l’adaptation au contexte social est insuffisante : les enfants sont
souvent considérés « normaux » par leur entourage mais peu habiles sur le plan
de l’interaction sociale ; c’est le niveau proche à la normalité (qui elle aussi
offre un éventail assez large d’habiletés pragmatiques, y compris un niveau
« pauvre ») : ce serait le niveau des enfants présentant un Trouble Pragmatique
« pur », surtout à l’adolescence.
♦ Les grandes lignes de l’intervention face aux troubles pragmatiques du langage
La complémentarité des approches et le rôle du langage dans le développement des habiletés sociales et mentalistes.
La nature des troubles pragmatiques du langage et de la communication
n’est pas claire et il ne semble donc pas possible d’aborder un programme d’intervention sous une forme univoque.
La plupart des cliniciens proposent la combinaison d’une intervention
centrée sur le langage et d’une intervention centrée sur les habiletés sociales, en
travaillant directement sur le milieu naturel de l’enfant, c’est à dire la famille et
l’école (voir par exemple le livre de MacKay et Anderson 2000 à propos de l’intégration scolaire de ces enfants), en se basant sur les techniques de la Modification du Comportement et de l’Analyse Communicationnelle.
De nombreux enfants présentant des troubles pragmatiques souffrent de
leur difficulté et de l’isolement social qui en est souvent la conséquence ; le
manque de compréhension leur rend difficile l’intégration et le respect des
normes sociales et les familles rendent compte souvent des difficultés qu’elles
rencontrent pour accepter et intégrer le comportement de leur enfant à la vie
quotidienne. Il est donc souvent nécessaire de prévoir un appui psychologique
pour ces enfants et leur famille.
La perception sociale des troubles pragmatiques est souvent désajustée :
il s’agit d’enfants intelligents la plupart du temps, capables d’apprentissages
ponctuels parfois spectaculaires, dont le langage est formellement assez correct
et qui, pourtant, présentent des comportements « bizarres », souvent disruptifs
dans des contextes complexes comme une classe : une analyse précise permet
souvent de les interpréter en fonction d’un manque de compréhension ou
d’usage inadéquat de formules langagières mais, sans information préalable, la
plupart des interlocuteurs de ces enfants interprèteront ces comportements
comme des manifestations de « manque d’attention, mauvais caractère, refus de
s’intégrer, comportement psychotique…etc ».
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Encore davantage que pour les enfants présentant d’autres formes de
Troubles du Langage, un travail d’information détaillée et de partenariat est
indispensable avec les familles et l’école.
En ce qui concerne l’intervention spécialisée, se pose la question du
niveau de l’intervention : va-t-elle se faire sur le langage, sur les habiletés
cognitives et sociales préalables ?
Bishop et al.(2000) commentaient ce point à propos de la différence entre
les enfants présentant un Trouble Pragmatique du Langage ou un autre Trouble
Spécifique du Langage : « Il y a une tendance à accepter que toute difficulté
conversationnelle est attribuable à des problèmes de compréhension ou de formulation des énoncés, mais il faut aussi se convaincre que certains enfants peuvent bénéficier d’une intervention plus efficace concernant l’usage de la communication non verbale et certains aspects de la cognition sociale » (page 194).
Ce problème du traitement « en profondeur » ou en « surface » dépasse
les querelles d’école entre les partisans d’une approche symptomatologique,
systémique ou autre et peut être abordé d’un point de vue plus développemental.
La recherche en habileté mentaliste par exemple, surtout auprès d’enfants
autistes, a mis en évidence la relation entre les résultats obtenus dans des tâches
de la Théorie de l’Esprit et le niveau général de langage.
de Villiers (2000), à ce propos, soulignait « l’avantage pédagogique » que
supposait cette dépendance au langage : « il est possible que des enfants autistes
de haut niveau dont les habiletés langagières sont suffisantes soient en mesure
de comprendre assez les états mentaux des personnes, leurs désirs et leurs
croyances pour compenser leur dyscapacité primaire… la dépendance au langage du raisonnement de fausse croyance pourrait alors devenir une chance :
elle ouvrirait à certains sujets une voie d’accès intellectuelle à la compréhension
d’autrui, qui n’était pas apparue de façon naturelle… » (page 119).
En travaillant les structures relationnelles et syntaxiques du langage, il se
pourrait que nous entraînions aussi le cerveau de l’enfant à analyser le comportement des autres, à faire des inférences, d’une manière certes différente mais
qui, à partir d’une certaine « masse critique » de savoirs et de savoir-faire, permettrait à l’enfant d’appliquer des schémas d’interprétation plus efficaces et
donc, de continuer à apprendre ensuite de façon plus naturelle.
Un code structuré et fondamentalement social (comme le langage) permettrait alors de re-décrire la réalité en d’autres termes et unités en donnant à
l’enfant une capacité qui n’avait émergé jusqu’alors que d’une manière imparfaite ou extrêmement restreinte.
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On a souvent décrit la perception des enfants autistes comme parcellaire
et leur cerveau comme un cerveau dissocié : le langage organisé, le langage des
autres pourrait peut-être représenter un moyen d’unir les pièces du puzzle, un
moule fonctionnel où placer les différentes informations que l’enfant, par luimême, n’arrive pas à connecter.
Le besoin d’un contrôle systématique de la compréhension.
Les enfants présentant des Troubles Pragmatiques du Langage disposent
souvent d’une excellente capacité de traitement phonologique leur permettant de
reproduire très correctement des énoncés produits autour d’eux.
L´impression habituelle veut qu’un énoncé soit compris (au moins globalement) par un locuteur avant d’être produit par celui-ci mais ce principe ne
s’applique pas toujours aux cas de ces enfants : pour citer un cas extrême, O., 4
ans, par exemple, est incapable de donner à l’adulte les objets que celui-ci lui
demande dans une situation de choix multiple alors qu’il se montre parfaitement
capable de les dénommer quand il les sort lui-même de la boîte à jouets.
Un autre enfant de 5 ans répond systématiquement « Je ne sais pas » aux
questions de l’adulte, même quand la question est toute simple : en réalité, il ne
connaît pas le sens du mot « savoir », il s’agit là d’une formule toute faite
déclenchée par un certain type de question.
Quand l’on travaille avec des enfants présentant des troubles pragmatiques, il faut toujours s’assurer de la compréhension indépendante du langage
qu’il utilise ou que nous voulons lui enseigner à produire, en préparant des
situations aux contingences fermées afin d’éviter le facteur « chance » ou l’intervention d’un contexte très habituel.
Cette compréhension ne peut pas se limiter au simple « sens des mots »
(beaucoup de ces enfants finissent par avoir un vocabulaire assez bon) mais doit
aussi aborder l’intention de celui qui parle, la raison du choix des mots ou des
phrases en fonction de la situation : en d’autres mots, il faut partir du travail sur
« ce que l’on dit » pour arriver à « ce que l’on veut dire ».
Des intentions simples, on devra passer ensuite à la compréhension des
formulations indirectes, des métaphores, de l’ironie… : le langage, en situation,
peut adopter des formes multiples extrêmement nuancées.
Le paradoxe de l’approche formelle de la pragmatique
Notre modèle général d’intervention langagière (Monfort et Juárez, 1996)
se veut essentiellement interactif et met l’accent sur une démarche fonctionnelle
qui tente de placer l’apprentissage et l’« enseignement » de la langue dans un
contexte communicatif, dans un « acte de langage » qui, même simplifié, doit
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rester le plus complet possible ; la démarche formelle, souvent nécessaire dans
les cas graves, vient alors compléter le processus là où une stimulation fonctionnelle ne permet plus d’avancer, soit à cause de l’âge du sujet, soit à cause de
l’importance ponctuelle de sa déficience.
Pour des enfants présentant des troubles pragmatiques, un travail orthophonique centré sur la correction formelle des énoncés, sans analyse des besoins
communicatifs et sans suivi de l’usage des contenus travaillés en dehors de
séances, serait évidemment absurde mais, comme nous l’avons souligné dans un
travail précédent (Monfort, 2004), il se fait que c’est précisément avec les
enfants qui présentent des difficultés fonctionnelles, c’est à dire de l’usage du
langage, que notre modèle présente une version où l’approche initiale est souvent plus formelle que dans d’autres pathologies.
Ces enfants ont beaucoup de mal à traiter l’information contextuelle, le
code non verbal, l’implicite et le non-dit : les situations ouvertes, même simplifiées, leur restent encore souvent opaques.
Il est très souvent besoin d’expliciter la plupart des dimensions pragmatiques du langage : pourquoi les gens agissent de cette manière et parlent de
cette façon.
Ce besoin d’explicitation nous conduit souvent à reproduire des
séquences communicationnelles entières lors des séances d’orthophonie pour les
analyser pas à pas, fixer l’attention de l’enfant sur chaque élément, lui en faire
voir le sens et l’intention et entraîner ensuite leur usage adéquat.
Il arrive ainsi que des comportements langagiers de base (saluer, poser
des questions banales, y répondre de manière adéquate, maintenir un contact
visuel et une posture corporelle ajustée) doivent être entraînés directement (leur
forme et leur usage) pendant des mois, voire des années, avant que ne surgisse
une capacité réelle d’acquisition normale, c’est à dire par imitation plus ou
moins inconsciente des comportements d’autrui.
Comme la pragmatique est extrêmement subtile (ce qui est correct dans
telle situation ne l’est plus dans la suivante), ce travail d’explicitation peut être
très ardu et parfois pénible pour les parents (« il faut toujours tout lui expliquer,
après ça va, mais tout de suite surgit autre chose et il faut recommencer » nous
disait la mère de J., un enfant de 9 ans présentant un Trouble Pragmatique du
Langage).
L’entraînement fonctionnel se base surtout sur l’augmentation organisée
de la demande de communication : l’on propose à l’enfant de nombreuses activités dans lesquelles il se trouvera face à des « problèmes communicatifs » à
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résoudre (voir par exemple Blank et Marquis 1987) : la progression se fait alors
d’une part par la complication des tâches et, d’autre part, par la réduction de
l’étayage :
• tâches et jeux de communication référentielle,
• représentation de situations communicatives routinières,
• développement de « scripts » au sein du jeu symbolique,
• situations d’apprentissage coopératif,
• participation à différentes formes de jeux.
Le passage du travail individuel au travail en petit groupe est spécialement intéressant pour ces enfants parce que la communication collective représente toujours pour eux une difficulté supplémentaire : le groupe réduit permet
de préparer une transition vers, par exemple, le groupe de classe.
La sélection et l’organisation des objectifs s’établissent à partir du bilan
pragmatique et se développent normalement à partir de critères de priorité
sociale : en effet, un critère de type purement développemental n’a pas beaucoup de sens chez des enfants dont les lacunes sont extrêmement irrégulières,
affectant parfois des aspects d’apparition très précoce (comme le contact oculaire ou l’extension fonctionnelle des messages).
Il faut bien reconnaître que la démarche thérapeutique est souvent très
empirique : il faut justement faire face alors à cette nécessité d’ajustement permanent et rester à l’écoute de l’enfant et de sa famille pour construire ensemble
une meilleure habileté communicative.
Les moyens techniques : la visualisation du langage et de la communication
La fugacité du langage et des éléments non-verbaux de la communication
est un obstacle majeur pour ces enfants ; dans les écrits d’adultes présentant un
syndrome d’Asperger (précisément une des pathologies associées à des troubles
pragmatiques d’ajustement social du langage et de la communication), on
retrouve très souvent le besoin d’un apport d’information de type visuel pour
pallier la difficulté à comprendre le langage oral.
La plupart des programmes centrés sur les habiletés pragmatiques de langage recourent à deux types de support augmentatif : le dessin et l’écriture (Quill,
1991 ; Gray, 1993 ; Hogdon, 1996 ; Monfort et al., 2001 ; Gill et al., 2003).
Le dessin ou la photographie représentant une situation d’interaction permet de la figer dans le temps, d’en observer les détails (l’expression faciale par
exemple), d’en extraire l’essentiel par rapport à ce qui ne l’est pas, de lui appliquer une tâche de communication référentielle simplifiant les données du problème.
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Le langage écrit permet de fixer la forme externe du langage associé à la
situation interactive et de l’emmagasiner plus facilement en mémoire : c’est un
support facilité par l’hyperlexie, souvent présente chez des enfants autistes de
haut niveau, chez des enfants présentant un syndrome d’Asperger et chez ceux
que l’on regroupe sous l’étiquette de Trouble Pragmatique du Langage.
L’apprentissage de la langue écrite au service du développement de la
communication et du langage poursuit donc un objectif bien différent de celui
que se fixe l’école pour l’ensemble de ses élèves : cela peut provoquer des différends entre l’orthophoniste et l’institutrice, si celle-ci n’est pas informée de la
nature des problèmes de l’enfant et des motivations qui nous poussent à introduire l’écrit peut-être bien avant ce qui est prévu et pour des tâches parfois bien
différentes.
Quoique que l’on puisse s’inspirer de matériel standard publié, le dessin
et l’écriture, comme moyens augmentatifs, doivent s’appliquer essentiellement à
des contenus extraits de l’observation de l’enfant, soit directe, soit par l’intermédiaire de la famille et de l’école qui doivent se charger de cette partie du travail
qui consiste à nous informer de ce qui se passe vraiment au niveau de la communication pour que nous puissions ajuster nos programmes aux besoins et
caractéristiques personnelles de chaque enfant.
Il arrive même que, chez certains enfants, la communication par écrit permette de faire émerger des contenus et des habiletés qui n’apparaissent pas au
niveau oral (voir le cas de Alan décrit par L. Roberts dans le livre de MacKay et
Anderson, 2000 : il s’agissait d’un adolescent qui présentait des difficultés de
comportement en classe de gymnastique qu’il n’exprima qu’à partir du moment
où la thérapeute lui posa des questions sur ce comportement par écrit).
L’évolution des enfants
De notre expérience clinique au cours de ces vingt dernières années, il nous
semble avoir observé une différence assez nette entre deux groupes d’enfants :
• dans le premier groupe, les enfants améliorent progressivement leur compréhension verbale et sociale, ce qui leur permet une meilleure insertion et
une meilleure qualité de vie ; les fonctions expressives principales se mettent en place peu à peu et leur permettent de couvrir efficacement leurs
besoins.
Cependant, leur initiative communicative, l’éventail de leurs intérêts et leur
capacité d’empathie émotionnelle restent très pauvres et n’évoluent pas du
tout dans la même proportion.
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• dans le deuxième groupe, très semblable au premier entre 3 et 6 ans, les
acquisitions verbales se voient accompagnées par une modification sensible
de leurs habiletés sociales (avec parfois même des excès dans le sens
contraire à leur isolement primitif) et une disparition progressive des anomalies du comportement, ce qui leur permet peu à peu de rejoindre la
« normalité sociale » du langage, même s’il reste souvent en fin de parcours
certaines limitations ou certaines « raretés », tant au niveau du langage que
du comportement social.
Sauf dans les cas extrêmes (formes très sévères ou très discrètes), nous ne
sommes pas encore capables de distinguer précocement ces deux groupes quand
nous commençons à appliquer les programmes d’intervention : c’est précisément la réponse des enfants à ces programmes, surtout après l’âge de 6 ou 7 ans,
qui permet d’ajuster notre pronostic et, par conséquent, le « diagnostic différentiel » au long d’un continuum qui va des formes mixtes de la dysphasie à l’ensemble du « spectre autistique ».
♦ Conclusion
Alors que l’orthophonie a démontré ses capacités en ce qui concerne la
stimulation, l’enseignement et la rééducation du langage en tant que code, on est
en droit de maintenir un certain scepticisme sur nos possibilités d’« enseigner »
la communication à des enfants qui ne semblent pas posséder la même dynamique interactive ni les mêmes besoins d’échange qui caractérisent l’ensemble
de notre espèce.
L’expérience clinique semble montrer cependant que, au moins chez certains enfants, des difficultés très particulières dans le traitement du langage et du
comportement d’autrui peuvent empêcher ou troubler le développement de leurs
habiletés d’interaction sociale et émotionnelle.
En intervenant de manière systématique et patiente sur la forme linguistique de la communication, il semble se produire des changements significatifs
dans le comportement de ces enfants, mettant en lumière les relations réciproques qui existent entre l’interaction sociale et le code langagier, non seulement comme l’expression de celle-ci mais aussi comme modèle générateur et
structurant.
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REFERENCES
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Le PTP (Profil des Troubles Pragmatiques) est un instrument descriptif des
troubles pragmatiques de la communication et du langage chez l’enfant et
l’adolescent.
Il sert à représenter visuellement et de manière immédiate l’importance des
troubles à un moment donné du développement et à établir une comparaison
avec des stades précédents de son évolution.
Il permet aussi de mettre en évidence différentes formes générales de troubles
pragmatiques :
• Incidence relative des versants réceptif et expressif
• Incidence des symptômes directement liés au langage et à la communication et
des symptômes plus généraux au niveau du comportement.
Le PTP s’applique à partir de la nomenclature de symptômes décrite dans Les
troubles pragmatiques du langage chez l’enfant (Monfort, Juárez et Monfort,
2005).
Les références numériques s’appliquent de la manière suivante :
• 0 : Quand les ítems repris sous cette rubrique ne s’appliquent pas du tout à
l’enfant
• 1 : Quand un seul ítem de cette rubrique est applicable
• 2 : Quand plusieurs ítems mais pas tous peuvent être appliqués
• 3 : Quand l’ensemble des items peuvent être appliqués fréquemment.
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Annexe
PTP : Profil des Troubles Pragmatiques
PTP : Profil des Troubles Pragmatiques
Versant Réceptif
A.1 Troubles de la Compréhension du Langage
A.1.1 Difficultés de compréhension de termes
A.1.2 Interprétation littérale
A.1.3. Difficultés de compréhension des mensonges, ironies
etc.
A.1.4. Manque de réactions d’écoute
0
1
2
3
A.2 Troubles de l’Interaction sociale
A.2.1. Manque d’intérêt
A.2.2. Apprentissage inapproprié des normes sociales
A.2.3. Manque de sensibilité sociale
A.2.4. Difficultés dans les jeux de règles
A.2.5. Difficultés dans les tâches de Théorie de l’Esprit
A.2.6. Sensibilité anormale
Versant Expressif
B.1 Troubles de l’Expression Verbale
B.1.1. Troubles de l’informativité
B.1.2. Troubles sémantiques
B.1.3. Pauvreté des fonctions et des registres
B.1.4. Difficultés d’ajustement au contexte
B.1.5. Manque de respect aux règles conversationnelles
B.1.6. Difficultés pour résoudre les malentendus
B.1.7. Altération de la prosodie et de l’intonation
B.1.8. Réponses inadéquates aux questions
B.1.9. Tendance à l'invariance
B.1.10. Altérations de l'expression non verbale
B.2 Troubles des Comportements Ludiques et Sociaux
B.2.1. Altérations du jeu
B.2.2. Altérations des relations avec les pairs
B.2.3. Altérations des relations avec l'adulte
B.2.4. Autres altérations du comportement
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Prise en compte de la dimension pragmatique
dans l'évaluation et la prise en charge des
troubles du langage oral chez l'enfant
Françoise Coquet
Résumé
La pragmatique peut être considérée soit comme une dimension particulière de la compétence communicative soit comme un substrat de cette compétence. Quelle que soit la référence que l'on se donne, la dimension pragmatique doit être prise en compte par l'orthophoniste au moment du bilan comme tout au long de la prise en charge. Sont proposées des
pistes pour l'évaluation et la rééducation selon les axes : intentionnalité, tour de parole et
régie de l'échange, adaptation et organisation de l'information.
Mots clés : orthophonie, langage oral, pragmatique, bilan et rééducation, enfant et adolescent.
Taking into account the pragmatic dimension in the evaluation and the
intervention in case of language impairments in child
Abstract
Pragmatics can be regarded either as a specific dimension of communicational competence
or as a substrate of this competence. Irrespective of the reference that is used, the pragmatic dimension must be taken into account by the speech and language therapist at the time
of the assessment and throughout therapy. Guidelines are suggested both for the evaluation
and for therapy according to the following axes: intentionality, taking turns and managing
the exchange, adaptation and organization of information.
Key Words : speech and language therapy, oral language, pragmatics, assessment and
intervention, child and adolescent.
Rééducation Orthophonique - N° 221 - avril 2005
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Françoise COQUET
Orthophoniste
163 rue Saint Albin
59500 Douai
[email protected]
L
es habiletés pragmatiques peuvent être définies comme des compétences
qui permettent à l'enfant d'utiliser le langage en situation en tenant compte
de l'intention de celui qui parle, de l'interlocuteur et du contexte de l'interaction.
« La pragmatique [peut être] identifiée comme dimension distincte de la
performance communicative à côté de la syntaxe, la phonologie et la sémantique.
On reconnaît alors des déficits éventuels de cette sphère de fonctionnement et on
se préoccupe d'une rééducation en fonction des lacunes relevées. [Dans une autre
perspective], la pragmatique serait la force motrice derrière le choix des éléments
(mots, sons, significations) aux autres niveaux, servant de fondement général à la
compréhension et à l'expression du langage (…) [La rééducation] se déplace de ce
qui est à apprendre pour tomber sur la création du contexte le plus puissant possible pour favoriser chez l'enfant l'acquisition des outils communicatifs dont il a
besoin pour satisfaire ses intentions » (Cronk, 1988).
♦ Évaluation
Lors du bilan orthophonique, l'orthophoniste se doit, dans une relation de
sujet à sujet :
- de mener un entretien d’anamnèse,
- d'explorer les sous systèmes langagiers (phonologie, lexique, syntaxe, discours, compétences métalinguistiques - dans une approche modulaire) et les
habiletés cognitives (traitement de l'information, attention, mémoire, formulation, programmation, raisonnement… dans une approche psycholinguistique)
pour mettre en évidence des domaines préservés ou des domaines de déficits,
des potentialités d'évolution,
- de mettre en évidence les stratégies mises en œuvre,
- de recenser les compétences utilisées ou utilisables dans le cadre de la communication,
- de faire l'inventaire des comportements communicatifs adéquats ou inadéquats.
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Pour ce qui concerne le domaine de la pragmatique ou l'habileté communicationnelle, l'évaluation s'intéresse aux aspects interactionnels :
- actes de langage,
- tour de parole (et proxémique et contact visuel),
- régie de l'échange (capacité à initier, gérer, clore une conversation, lancer,
maintenir, clore un thème, à réparer les bris de communication, à mettre en
place des stratégies de retour et à tenir compte de celles de l'interlocuteur),
- adaptation à l'interlocuteur, au contexte et au message,
- organisation de l'information (pertinence du contenu et informativité, cohérence et cohésion du discours, modalités non verbales).
Pour mener à bien cette observation / évaluation, l'orthophoniste peut
s'appuyer sur :
- une ou des tâches structurées d'un test normalisé,
- une observation semi-dirigée pour faire émerger tel ou tel type de comportement ou de production,
- des outils d'observation formalisés pour recueillir un échantillon de langage ou
de comportements par le biais d'un compte rendu parental ou d'une grille d'observation sur critères.
Il existe peu d'outils créés en langue française, la plupart d'entre eux sont
référencés à la rubrique Ressources.
Il est plus habituel de chercher à relever des productions et des comportements dans une situation éthologique de jeu partagé ou de conversation entre
l'enfant et ses parents, entre l'enfant et l'orthophoniste. Cette démarche qualitative ne peut à elle seule étayer un diagnostic faute de comparaison avec une
population de référence mais permet de dégager un profil qui peut être utilisé
comme ligne de base pré et post rééducation (lors de l'évaluation initiale, lors
des bilans d'évolution ou de fin de traitement).
♦ Quelques pistes pour l'évaluation
Il est souhaitable d'interpréter sous l'angle de la pragmatique des informations recueillies lors de l'entretien d'anamnèse ou des comportements ou des
productions recueillis lors des épreuves à caractère formel. Une observation fine
des interactions parents / enfants apporte également des renseignements intéressants de même que l'observation des comportements non verbaux. Enfin, il faut
apprécier de façon plus spécifique les habiletés conversationnelles.
Recueil d’éléments d'anamnèse
Une attention particulière est à porter aux comportements de communica-
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tion et d'interaction sociale ou aux comportements de jeu qui sont rapportés par
l'entourage.
Comment l'enfant se comporte-t-il avec les objets, les personnes, les aliments ?
A-t-il un intérêt particulier pour un objet ?
Entre-t-il en relation avec les autres ? de quelle façon ?
Manifeste-t-il de l'intérêt pour les activités des autres ? s'y intègre t-il ? Comment réagit-il en situation de groupe ?
A-t-il acquis les normes sociales transmises dans le cadre familial ou scolaire ?
Comment peut-on décrire sa motricité ? son accès à l'autonomie ? sa façon
d'être au monde ? De quelle façon s'adapte-t-il aux changements ?
Quels jeux choisit-il de faire ? Quels sont ses comportements de jeu ? Comprend-il une règle du jeu ? Fait-il des jeux symboliques ?
Comment résout-il des tâches en relation avec la théorie de l'intersubjectivité ?
Aspects spécifiques de l’évaluation dans le domaine linguistique / sémantique ou de celle des fonctions cognitives
Il est indispensable d'apprécier le niveau et la qualité des capacités réceptives des messages qu'ils soient visuels (personnes, objets, images : qualité du
contact visuel, poursuite oculaire, coordination oculo manuelle, traitement des
informations figuratives ou géométriques), qu'ils soient auditifs (bruits, sons
musicaux, messages verbaux : alerte au signal sonore, localisation de la source
sonore, réaction à la voix d'un familier, d'un étranger), ou qu'ils soient gestuels
(mimiques, gestes iconiques, déictiques, expressifs ou symboliques). Il importe
de mettre en évidence soit une hypo-réactivité soit une hyper-réactivité tout
comme une sensibilité particulière aux distracteurs.
Sur le versant compréhension, il s'agit d'apprécier la compréhension
contextuelle, la compréhension sélective de mots isolés (par désignation d'objets
réels, de miniatures, de photos, d'images, de pictogrammes, de mots), la compréhension de consignes simples ou complexes (avec et sans matériel), de questions (avec et sans support visuel), des informations non verbales accompagnant
un énoncé, de l'intonation, de certains marqueurs morphosyntaxiques (déterminants, pronoms), de l'ironie ou du mensonge.
Sur le versant expression, il convient d'observer la prosodie, l'utilisation
des modalités gestuelles, l'emploi de stéréotypies, de termes alambiqués ou
pédants, de néologismes, le recours éventuel à l'écholalie, les possibilités d'utilisation des termes mentalistes (je peux), des adjectifs pour exprimer états et sentiments, des marqueurs morphosyntaxiques (déterminants et pronoms), l'accès à
la catégorisation sémantique.
L'évaluation des capacités attentionnelles et mnésiques, des capacités
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visuo spatiales est aussi source d'information. L'accès à la lecture comme les
possibilités de transcription sont également à prendre en compte.
Observation des interactions parents / enfant
Il est intéressant d'observer du point de vue du parent comme du point de
vue de l'enfant : la disposition spatiale respective des interlocuteurs, la qualité
de l’échange, la mise en place du thème de l’échange, les stratégies de retour,
les caractéristiques de la prosodie, les choix faits en langage verbal, les comportements non verbaux, le contenu des messages.
Un modèle de fiche récapitulative est proposé en annexe.
Observation des comportements non verbaux
Il faut varier les situations d’observation : en compréhension, en imitation, en production spontanée ou en production en réponse. Il est possible de
relever différents indices concernant le comportement corporel global, la proxémique, les postures (d’accueil, de rejet, d’attention), le regard (contact visuel,
regard à fonction déictique ou à fonction de régulation de l’échange), les
mimiques, les productions vocales (expressions d’émotions, pour attirer l’attention sur soi ou sur un objet, pour accompagner l’action), les gestes (à fonction
déictique, à fonction référentielle, à fonction phatique, gestes conventionnels ou
symboliques), la prosodie (intensité vocale, intonation, rythme d’élocution) et
l’utilisation du dessin.
Évaluation des habiletés conversationnelles.
Il faut repérer et analyser les comportements du sujet selon :
• l’intentionnalité : l'enfant produit-il des actes de langage et lesquels ? Comment appréhende-t-il ceux qui lui sont adressés ? Est-il capable de formuler
des demandes (d’affection ou d’interaction, d'aide, d’action, pour obtenir
un objet, pour obtenir une information) ? Est-il capable d'exprimer son ressenti, ses émotions, ses sentiments ? Est-il capable de faire savoir qu’il
n’est pas satisfait, qu’il n’a pas compris ?
• l’adaptation au contexte (Peut-il parler « d'ailleurs et à un autre moment » ?
Utilise-t-il les registres de langage de façon appropriée ?), l’adaptation à
l’interlocuteur (en fonction de son âge, son sexe, son degré de familiarité
avec lui, son niveau socioculturel, en prenant en compte ses états mentaux,
son savoir partagé…), l’adaptation à la tâche à accomplir (accueillir, remercier quelqu’un, s’excuser, exprimer une opinion, exécuter, commenter,
décrire, raconter, argumenter, répondre à des questions, donner des
consignes, …), l’adaptation au message linguistique (choix lexicaux et
morphosyntaxiques adaptés, utilisation des éléments paraverbaux),
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• la régie de l’échange : respect des tours de parole (ou chevauchement), initiation de l'échange, réparation des bris de communication, choix et négociation des thèmes puis leur maintien (Est-ce qu’il propose un sujet de
conversation ? Reste-t-il dans le sujet ou passe-t-il du coq à l'âne ? Comprend-il les contraintes du changement de thème ? Conclut-il de manière
appropriée ?), prise en compte du feed back (Répond-il de façon adéquate ?
Manifeste-t-il qu'il n'a pas compris ? Fait-il des demandes de clarification ?
Est-il capable de reformuler ?),
• l’organisation de l’information sur le versant compréhension comme sur le
versant expression : sait-il traiter les informations anciennes et nouvelles ?
Élimine-t-il les informations redondantes ? Utilise-t-il convenablement les
référents dans la conversation ? Est-il capable de développer un script narratif ou un format conversationnel ? Fait-il des inférences, des hypothèses,
des présuppositions ?
♦ Prise en charge
« La situation habituelle de rééducation orthophonique du langage oral
met en présence orthophoniste / patient dans une situation d'interaction, généralement en face à face, autour d'une tâche langagière » (Coquet, 2003). Si
converser c'est « avoir un objet à partager (avoir une référence) et maîtriser les
signaux (langagiers et gestuels) pour ce partage, établir des relations avec autrui
(intersubjectivité) et mettre en place un système de régulation des émissions
(alternance des tours de parole) » (Garitte, 1999), alors la situation de rééducation peut être considérée comme une situation de conversation avec de nombreux paramètres dont il faut tenir compte.
« Les compétences pragmatiques peuvent se travailler au même titre que
les compétences linguistiques (…) Si un déficit des compétences pragmatiques
est la conséquence d'un trouble sévère du langage, on estimera s'il est ou non
nécessaire de mettre l'intervention pragmatique dans les priorités du traitement.
En effet, même si l'atteinte n'est pas de nature pragmatique, le déficit peut parfois être tel qu'il faille travailler les compétences pragmatiques ; ou alors parfois, l'incompétence pragmatique de l'enfant représente un risque réel de rejet
par ses pairs qu'il importe de contrecarrer.
Même si on ne travaille pas explicitement les compétences pragmatiques,
il est indispensable de les prendre en considération dans la prise en charge.
D'une part, elles sont le reflet de compétences conversationnelles dont la maîtrise est déterminante pour l'autonomie dans la communication. D'autre part, en
tant que clinicien, il est indispensable de veiller à ce que le traitement prenne
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place dans un contexte de communication où l'enfant a des raisons de parler en
essayant d'être le plus efficace possible » (Schelstraete, 2004).
♦ Quelques pistes pour la prise en charge
Développement de programmes à destination des parents ou des professionnels de la petite enfance
En éducation précoce, les compétences pragmatiques sont une cible privilégiée. Il est possible de décrire des programmes à destination des familles ou
des professionnels de l’enfance cherchant à favoriser les interactions sociales et
les apprentissages de langage oral dans le contexte des activités quotidiennes de
l’enfant (programme Hanen, propositions de M.C. Leclercq, de S. Martin dans
la présente revue).
Dans le cadre de la prise en charge de l’enfant porteur de handicap qu’il
soit sensoriel, moteur ou mental, il est nécessaire, dans une démarche d’accompagnement parental, de réajuster les attentes et les comportements face à cet
enfant différent, d’aider à repérer toute tentative de communication de la part de
l’enfant, de renforcer les comportements à effet positif (mise en place de l’attention conjointe, multiplication des épisodes de co-action, renforcement du parler
nourrice…).
Prise en compte d’une difficulté spécifique d’ordre pragmatique
Il est possible de recenser, en fonction de la sémiologie du trouble présenté par l’enfant, des moyens et techniques de rééducation spécifiques qui ne
seront pas développés ici, ayant fait l’objet d’autres articles dans la présente
revue (D. Roch, A. Witko) ou d’une publication (Monfort et Juarez-Sanchez,
1996, 2000, 2001, 2005) ; ouvrages et articles traitant de la prise en charge de
l’enfant autiste).
Abord de la rééducation du langage oral par le biais de la pragmatique
« Ce qui change en adoptant la perspective pragmatique, c’est le niveau
de conscience qu’aura l’orthophoniste des liens qui existent entre la nature du
contexte de rééducation, les formes et le contenu qu’il évoque, et les intentions
de communication de l’enfant qu’on cherche à aider » (Cronk, 1988).
Il importe de proposer des situations qui permettent une communication
optimisée en mettant l’enfant soit à l’initiative de l’interaction et comme « émetteur » de message ou en position de réponse et en « récepteur » du message.
L’étayage de l’orthophoniste doit faciliter l’échange verbal adulte / enfant
(respect des intérêts et de la personnalité de l’enfant, de son style de communication et d’apprentissage, stratégies de retour positives).
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Il est possible également de contingenter certaines situations de rééducation non pas sur les aspects de forme ou de contenu du langage à développer
mais sur des situations d’utilisation du langage ou des expériences d’une interaction / communication réussie.
Les propositions faites tiennent compte successivement des 4 axes de la
pragmatique (actes de langage, tour de parole et régie de l’échange, adaptation
et organisation de l’information).
Axe 1 : Proposition d’activités pour développer les actes de langage
Dans des situations de communication vraie, l’enfant doit avoir la possibilité d’attirer l’attention et de formuler des demandes de façon appropriée. La requête (demande) est une des situations les plus fréquemment
rencontrées en contexte social. Que ce soit pour demander une interaction
(qu’on le regarde, qu’on s’assoie près de lui, qu’on maintienne l’interaction), pour que l’adulte agisse (joue avec lui, lui raconte une histoire,
l’aide à réaliser une action, une tâche), pour demander un objet (absent,
hors d’atteinte, désiré), pour demander une information (Qu’est ce que
c’est ? Pourquoi ? Comment ? Qu’est-ce que cela veut dire ?), il est possible de proposer une palette de moyens : regard, doigt pointé, geste, mot.
Pour un enfant plus âgé, il est possible d’avoir recours au « modelage par
imprégnation » : fournir le modèle de la façon de formuler verbalement
une demande, indicer en commençant à produire la phrase et en la laissant compléter à l’enfant, regard d’invite à demander verbalement.
Les autres actes de langage sont abordés au décours des activités décrites
en fonction des autres axes.
Axe 1 bis : Proposition d’activités pour développer le tour de rôle
En parallèle avec des exercices cherchant à développer la captation du
regard vers le visage de l’autre (jeu de coucou), vers un objet saillant (un
objet coloré, lumineux ou mobile) et l’attention conjointe, il faut faciliter
la mise en place de l’alternance des tours de parole : jeux de « tiens /
donne », échanges de balle, dialogue avec un jouet sonore ou un instrument de musique, jeu d’imitations en alternance, de construction où chacun à son tour pose un élément, de dessin où chacun à son tour dessine un
élément, jeu social à règle (distribuer les cartes ou les pions, jouer chacun
son tour, passer son tour, rejouer)…
Axe 2 : Proposition d’activités pour développer la régie de l’échange
En complément des situations routinières de rééducation, toutes les activités où il est possible de recréer sous la forme d’un jeu dramatique les
situations de la vie quotidienne (par exemple : frapper à la porte, entrer,
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se saluer, utiliser des formules de politesse, débuter une conversation,
poser une question et y répondre, … ) permettent de préciser les formats
conversationnels.
De même les jeux de rôle (jeu de marchande, de docteur), pour peu que
l’on matérialise un « espace de jeu » dans la salle de rééducation distinct
du « lieu de travail » habituel, que l’on utilise un accessoire ou un élément de déguisement qui permette de typer les personnages en interaction
et quelques objets habituellement associés à la situation que l’on veut
recréer, permettent d’offrir des situations plurielles et variées d’interaction.
L’utilisation de marionnettes permet le travail de prise de parole et l’entrée dans le dialogue sans support matériel. Objets souvent fortement
investis affectivement, elles permettent à l’enfant de se permettre des
choses qu’il ne ferait pas habituellement avec un adulte : parler sans timidité, invectiver, contester, agresser ou câliner, fabuler, autres modalités
inscrites dans une régie de l’échange moins formalisée.
Axe 3 : Proposition d’activités pour travailler l’adaptation
Dans une situation routinière de rééducation, le fait de créer un moment
de « rupture » oblige l’enfant à mettre en place une stratégie d’adaptation
à cette nouvelle situation (absence de crayon pour dessiner, contenu vide
d’une boite de jeu, fenêtre ouverte alors qu’il y a du bruit dans la rue,
activité à faire dans le temps du sablier, conversation d’une pièce à
l’autre, séance avec l’orthophoniste remplaçant(e)…).
Un travail spécifique sur la prise en compte et l’utilisation des modalités
non verbales (postures, mimiques, intonations, gestes, vocalisations) traduisant les émotions, sentiments, intentions de l’autre doit être mené. De
même il peut être nécessaire à partir d’images ou de courts textes, de permettre de mettre des mots (je peux, je veux, je sais) sur les états mentaux
(les siens comme ceux de l’interlocuteur). Le traitement de l’absurdité, de
l’humour, de l’ironie, du mensonge est également une dimension à
prendre en compte.
Axe 4 : Proposition d’activités pour travailler l’organisation de l’information
Il faut signaler l’intérêt d’utiliser des tâches de « communication référentielle » où l’enfant et l’orthophoniste communiquent sur un matériel dont
l’autre ne dispose pas ou qu’il n’a pas sous les yeux (technique PACE),
où l’un dirige l’activité de l’autre. Ce type de situation implique une
nécessaire collaboration pour définir un référent commun, réparer les bris
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de communication et faciliter les stratégies de retour (demande de clarification, reformulation). En fonction de la nature du référent, des indices
prégnants sont à sélectionner et c’est à partir d’eux que s’organise l’information : des objets ne différant que par un seul critère obligent à utiliser
des adjectifs, une image à sélectionner parmi d’autres (principe du qui
est-ce ?) nécessite une démarche d’élimination progressive, une construction ou un dessin ou un parcours à réaliser derrière un écran demandent
de recourir à un vocabulaire topologique et de formuler des consignes
explicites…
Le mime d’une histoire, le récit d’expérience, la narration d’un conte traditionnel devant un public obligent à mettre en place un script discursif, à
organiser l’information de façon chronologique et/ou causale, à sélectionner les informations pertinentes, à éliminer les informations futiles ou
redondantes.
♦ Conclusion
En situation d’évaluation comme « en rééducation individuelle du langage oral, il est habituel de se focaliser sur le patient (ses savoirs, ses savoirfaire, ses savoir être, ses dires, ses domaines de déficits…) et d’évaluer les pratiques par rapport à ses progrès. Faire une lecture de la prise en charge en
fonction de l’adaptation des deux partenaires (l’orthophoniste et le patient) à la
situation (référence commune, maîtrise des signaux pour partager les informations, relation à l’autre, régulation de l’échange par l’alternance des tours de
parole) et en fonction de l’entrée en conversation de chacun apporte (…) un
éclairage autre » (Coquet, 2003). De plus il est important de considérer très tôt
dans le développement et l'intervention chez l’enfant la dimension de la pragmatique comme un moyen de contribuer à identifier précocement les retards de
langage, pour mieux intervenir dans une optique préventive, pour étayer la mise
en place des domaines formels et sémantiques en rééducation, ou pour permettre
à l’enfant présentant un trouble spécifique à ce niveau de se positionner comme
interlocuteur à part entière.
112
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113
114
suffisant
Temps inter répliques
oui
oui
Renforcement
oui
Reformulation
Enrichissement des énoncés
Reprise des énoncés
présents
présentes
Vérifiant la compréhension
accepté
oui
Accusés de réception
STRATEGIES DE RETOUR
Changement
Maintien
Choix
suit intérêts
respecté
Tour de rôle
THEME
négociée
oui
présents
accepté
oui
proposé
suffisant
respecté
négociée
tentée
rares
correcte
non
non
non
oui
oui
inadaptées présentes
absents
négligé
modifié
imposé
insuffisant
non
imposée
non
nombreuses
systématique
rares
non
non
oui
correcte
Clôture
Réparation des bris
Interruptions
Réaction à la prise de contact
Initiative
CONTENUS DES MESSAGES
Demandes d’aide
Demandes d’action
Demandes d’information
Demandes de permission
Demandes de clarification
Expression de sentiments/besoins
Assertions
Descriptions
COMPORTEMENT NON VERBAL
Mimiques
Gestes expressifs
Gestes référentiels
Gestes codés
PROSODIE
Voix
Rythme d’élocution
Intonation
Pause
Accentuation
Articulation
LANGAGE VERBAL
Choix lexicaux
Choix syntaxiques
F COQUET LABO 2002
non
non
absentes
absents
négligé
modifié
non
insuffisant
non
imposée
non tentée
nombreuses
non
non
défavorable favorable défavorable
non
oui
non
non
oui
non
non
oui
non
ENFANT
oui
oui
oui
oui
adaptés
adaptés
non
non
non
non
inadaptés
inadaptés
oui
oui
oui
oui
non
non
non
non
inadaptés
inadaptés
Inadaptée
inopportunes
non
non précise
ENFANT
adaptés
inadaptés adaptés
adaptés
inadaptés adaptés
modulée Inadaptée modulée
opportunes inopportunes opportunes
mots clés
non
mots clés
précise
exagérée
précise
PARENTS
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ECHANGE
favorable
oui
oui
oui
PARENTS
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Attention conjointe
SITUATION
Distance
A hauteur
Face à face
INTERACTIONS PARENTS / ENFANT
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Annexe
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Les habiletés pragmatiques chez l’enfant âgé
de 2 à 3 ans présentant un trouble du langage
Sylvie Martin
Résumé
Le présent article s’intéressera aux habiletés pragmatiques chez l’enfant âgé de 2 à 3 ans
présentant un trouble du langage. Le cas d’un enfant de 2 ans et demi présentant un trouble
du langage avec difficultés d’ordre pragmatique y sera discuté incluant des repères pour
l’évaluation et l’intervention orthophonique.
Mots clés : pragmatique, enfant, trouble du langage.
Pragmatic skills in 2 to 3 year-old children with specific language
impairment
Abstract
The present article examines pragmatic skills in 2 to 3 year old children with specific language impairment. We present the case study of a 2 1/2 year old child suffering from specific language impairment with pragmatic difficulties, and suggest guidelines for assessment
and therapy.
Key Words : pragmatics, child, specific language impairment.
Rééducation Orthophonique - N° 221 - avril 2005
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Sylvie MARTIN
M.O.A.
Orthophoniste
Université de Montréal
Centre Pédiatrique de Laval
800 boul Chomedey, tour C, suite 400
H7Y 3Y4 Laval, Québec
Canada
[email protected]
L
a pragmatique a toujours été au centre de mes préoccupations en tant que
clinicienne oeuvrant auprès d’enfants présentant un retard ou un trouble du
langage. En effet, en débutant ma carrière d’orthophoniste dans le cadre
d’un centre de réadaptation pour les enfants présentant un retard de développement global, la nécessité pour moi de planifier une intervention orthophonique, en
tenant compte des besoins de communication de l’enfant et des fonctions primaires du langage, s’est avérée évidente. L’évolution de la communication chez
un enfant présentant une déficience intellectuelle, par exemple, est guidée par la
fonctionnalité de ses propos et de ses besoins d’utiliser les mots, phrases et
expressions qu’il apprend. En bref, plus le mot ou la phrase en question sera utile
et la répétition de ce mot ou de cette phrase sera fréquente, plus elle risquera
d’être réutilisée et apprise.
La pragmatique prend pour moi un sens nouveau depuis la fréquentation
des cliniques orthophoniques d’enfants très jeunes qui ont une difficulté centrale
au plan de la pragmatique du langage impliquant, même parfois, les pré-requis à
la communication verbale. La nécessité de pouvoir alors identifier les besoins de
l’enfant au plan des pré-requis à la communication et d’établir un plan d’intervention, en collaboration avec les personnes significatives et les intervenants en
petite enfance, devient alors primordiale.
♦ Cadre général
Quels sont les pré-requis à la communication chez un enfant âgé de 2 à 3
ans qui vont attirer notre attention et justifier une intervention thérapeutique en
orthophonie et parfois une orientation dans un centre d’intervention multidisciplinaire? Bien sûr, la capacité d’établir un tour de rôle en action, précédemment
au tour de parole, qui nous renseignera sur la capacité d’alternance. L’attention
conjointe qui nous permettra de déterminer la possibilité pour l’enfant d’arrêter
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son attention avec l’adulte sur un objet précis. La qualité, la fréquence et la
durée du contact visuel qui, avec l’évolution, pourra nous aider dans la spécification d’un diagnostic différentiel. L’attention à un message verbal et la compréhension des consignes et des questions simples. En effet, la nécessité d’avoir
recours à des indices contextuels ou non-verbaux peut nous guider dans l’établissement d’un diagnostic différentiel et expliquer certaines manifestations
d’un désordre au plan du langage impliquant les fonctions simples et l’utilisation de ce dernier. L’imitation motrice et verbale qui nous aidera à spécifier la
capacité de l’enfant à prendre compte de l’autre et à développer sa stimulabilité.
Les fonctions du langage les plus simples pouvant être observées vers
l’âge de 2 ans et nous informant sur un aspect de la pragmatique de la communication sont la protestation, le commentaire, la demande verbale, l’imitation
verbale, la dénomination et la demande d’information. Les fonctions du langage
mentionnées peuvent être exprimées de façon non-verbale dans le cas de difficultés expressives du langage. Par exemple, chez un enfant présentant une difficulté expressive, le geste de pointer pourra exprimer une demande verbale, ce
qui peut nous laisser penser que la communication fonctionnelle est présente et
que nous n’avons pas nécessairement en termes d’évolution à soupçonner un
trouble de la communication impliquant une composante au plan de la pragmatique. Par contre, un enfant du même âge effectuant une demande par le biais de
sons non significatifs associés à un déplacement dans l’espace devra être
observé plus attentivement en termes de développement de la pragmatique du
langage. Associés à d’éventuelles difficultés d’ordre pragmatique de la communication pourront être greffés des problèmes d’ordre sensoriel et une difficulté
au plan du jeu fonctionnel qui nous orienteront vers des problèmes s’associant à
un trouble plus global du développement ou de l’interaction, mais nous ne pourrons détailler cette question dans le cadre du présent article.
Dans certains cas, même chez des enfants très jeunes, la pragmatique
devient alors la base de l’intervention orthophonique car elle peut constituer la
problématique principale, alors que le développement de la forme et du contenu
du langage se poursuit plus facilement. Une intervention visant alors l’interaction avec les autres enfants et adultes en termes de tour d’action et de conversation avec l’interlocuteur sera alors aussi privilégiée dans les centres d’intervention précoce ou les centres de la petite enfance.
Pour ce type d’enfants, il est même suggéré de procéder à l’établissement
de routines sociales, pouvant ou non impliquer un mode de communication gestuel ou par pictogrammes afin d’enseigner à l’enfant les bases de l’interaction. Il
n’est donc pas suffisant de suivre les intérêts de communication de l’enfant et de
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les enrichir pour obtenir un résultat, les intérêts concernant l’interaction verbale
et non-verbale étant limités. Des canevas démontrant à l’enfant comment procéder à une interaction sociale ou une interaction de jeux peuvent être établis afin
d’enseigner à l’enfant comment entrer en interaction, canevas qui vont se complexifier avec l’âge et le développement des aspects expressif et réceptif du langage (ex. : histoires sociales).
Le fait de s’introduire dans le jeu de l’enfant et de s’imposer en tant
qu’interlocuteur significatif devient donc nécessaire, alors que dans le cas d’un
enfant développant de façon significative la compréhension de son langage et
les fonctions de base, il soit plutôt recommandé de suivre les intérêts de jeu et
de communication de l’enfant et de les enrichir à l’aide de modèles verbaux
appropriés. Le travail de rééducation chez les enfants présentant un trouble de
la pragmatique du langage peut aussi impliquer d’autres professionnels, les éléments de jeu fonctionnel et symbolique ainsi que les caractéristiques impliquant
les manifestations sensorielles pouvant être en difficulté. La présentation de routines sociales et la stimulation de la communication peut d’ailleurs, en début
d’intervention, impliquer des composantes qui vont rejoindre les intérêts et
besoins de l’enfant au plan de la stimulation sensorielle (ex. : tour d’action
impliquant une stimulation du type déplacement dans l’espace, jeu de cachecache, comptine répétitive avec geste, activité de tour de rôle impliquant des stimuli sonores ou visuels, rejoignant le besoin de stimulation privilégié par l’enfant).
♦ Repères pour l'évaluation et l'intervention orthophonique : le cas
de M.
Le cas de M. évalué dans le cadre de notre clinique illustre bien les
démarches privilégiées dans le cadre de l’évaluation et de l’intervention présentant un problème d’ordre pragmatique. Lors de la première rencontre d’évaluation, nous observions chez M. une fuite au plan du contact visuel, une difficulté
à répondre aux consignes simples, une façon peu appropriée de manifester ses
besoins (ex. : essaie d’atteindre les objets lors d’une demande verbale, absence
de geste significatif de pointage, protestation par le biais de manifestations physiques, crises fréquentes lorsque ses besoins de communication ne peuvent être
exprimés, déplacement dans l’espace ou vers le parent lorsqu’il désire un objet
ou veut effectuer une demande d’action) et une stimulabilité limitée au plan verbal en ce qui a trait aux sons significatifs (ex. : onomatopées et bruits d’animaux) et aux mots isolés. La production de mots isolés n’est pas toujours fonctionnelle. Lors de l’évaluation, il présente une difficulté importante lors des
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transitions, et les parents nous rapportent des crises fréquentes lors de la fréquentation de nouveaux lieux ou de changements de lieux et d’activités. La fréquentation de garderies ou centres de la petite enfance se solde d’ailleurs par
des échecs répétés, l’intégration sociale de l’enfant étant en grande difficulté.
La première étape de l’intervention a été pour nous d’amener les parents
et intervenants de la garderie (crèche) à observer les comportements communicatifs et sociaux de l’enfant et de les amener à réaliser que l’absence de productions verbales était en lien avec les difficultés de compréhension du langage et la
difficulté observée au plan des pré-requis à la communication (ex. : absence de
tour de rôle, contact visuel rare et de très courte durée, absence de pointage
significatif, jeu fonctionnel limité ). Nous avons utilisé en ce sens la grille d’observation de L. Rossetti (cf. références) où les pré-requis à la communication
sont bien identifiés, de même que les étapes du jeu fonctionnel et les aspects de
développement des aspects réceptifs et expressifs du langage. Devant la difficulté d’utiliser des épreuves formelles d’évaluation de l’aspect réceptif (ex. :
Preschool Language Scale, 3rd Edition) où nous n’avons pu obtenir qu’une collaboration limitée, nous avons dû baser notre évaluation sur l’observation en
situation de jeu libre et l’utilisation de grilles pouvant être complétées en collaboration avec les parents à domicile. L’aspect du vocabulaire a pu être évalué
par le biais de l’outil d’observation « Mac Arthur Communication Development
Inventory » (cf. références). Nous avons aussi invité les parents à faire différentes observations au plan des manifestations sensorielles observées chez M. à
l’aide des grilles d’observation contenues dans « More than words » de F. Sussman (1999). En effet, une hypersensibilité reliée aux stimulations tactiles (ex. :
toucher, routine de l’habillage et des soins personnels ) et un intérêt accru pour
les stimulations auditives nous ont permis d’établir avec les parents des routines
sociales impliquant des comptines, des bruits familiers et significatifs, et ainsi, à
amorcer des tours de rôles impliquant des stimuli sonores et visuels.
Des séquences de jeu fonctionnel ont aussi été proposées afin d’amener
l’enfant à s’intéresser à diverses activités et à accepter graduellement la présence de l’adulte familier et étranger. Des modèles verbaux simples ont été proposés aux parents, accompagnés de gestes naturels afin de favoriser la compréhension des mots isolés et d’aider à l’expression de demandes. Le pointage a
d’ailleurs été stimulé afin de permettre à l’enfant d’exprimer une demande nonverbale et de minimiser les crises reliées à l’insatisfaction des besoins.
Parallèlement à ces séances d’observation qui ont servi à outiller les
parents, des ouvrages de référence ont été recommandés à ces derniers et des
démarches ont été entreprises afin d’évaluer le développement global de l’enfant
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et de l’orienter vers des ressources spécialisées. L’intervention orthophonique a
donc servi d’évaluation diagnostique et d’essai thérapeutique, l’évaluation de ce
type de problématique devant s’effectuer en plusieurs étapes. En effet, les manifestations de problématiques impliquant l’aspect réceptif et expressif du langage
chez le jeune enfant peuvent être variées et nécessitent plusieurs séances d’observation en clinique de même que la participation des personnes significatives
afin de déterminer la nature des difficultés et la meilleure orientation possible.
L’évaluation neuropsychologique recommandée aux parents nous a permis de mettre en commun les observations de l’orthophoniste, du centre de
petite enfance, des parents et du pédiatre référent et une hypothèse de trouble de
la communication aux plans réceptif et expressif, s’inscrivant dans le cadre d’un
trouble envahissant du développement non spécifié, a été avancée. L’enfant a été
rapidement référé vers un centre spécialisé dans le cas d’enfants présentant des
difficultés de types autisme et TED. Les manifestations présentées au plan de la
communication et rejoignant des difficultés d’ordre pragmatique étaient dans ce
cas-ci, reliées à une problématique plus large que les difficultés de communication en tant que telles. L’implication de l’orthophoniste dans le cadre de difficultés telles au plan de la communication dès le plus jeune âge de l’enfant a donc
permis son orientation rapide, en accord avec l’évaluation neuropsychologique
effectuée.
♦ Conclusion
L’orthophoniste devient donc dans le cadre d’évaluations effectuées chez
des enfants de 2 à 3 ans présentant une difficulté au plan pragmatique de la
communication un professionnel pouvant guider médecins, parents et intervenants vers un diagnostic différentiel et permettre une orientation du cas dès le
plus jeune âge. La précieuse collaboration des parents et intervenants dans ce
type de dossier est à préserver. Les étapes doivent être graduelles car l’observation des difficultés au plan de la pragmatique de la communication peut mener à
des diagnostics divers et passe souvent chez les enfants les plus en difficulté par
une acceptation du handicap et un deuil des parents face à ces manifestations.
Les habiletés de l'orthophoniste devant obtenir la collaboration des parents tout
en les aidant à trouver des moyens concrets de stimulation concernent donc tant
le counselling que les capacités thérapeutiques et demandent une compréhension du vécu de la famille et une persistance dans la volonté de l’établissement
d’une hypothèse diagnostique. Une difficulté concernant la pragmatique de la
communication peut donc être synonyme de difficultés plus importantes au
niveau du développement de l’enfant. L’observation de ces difficultés est
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passionnante car elle place l’orthophoniste dans une position centrale au plan du
diagnostic et du plan d’intervention visé chez le patient. Le rôle de l’orthophoniste en devient donc élargi et lui permet de faire partie d’une équipe diagnostique où les parents et intervenants significatifs sont partie prenante.
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Difficultés pragmatiques chez un enfant
dysphasique : propositions d’intervention
Didier Roch
Résumé
Les enfants dysphasiques sont diversement affectés par les troubles pragmatiques. Ceux-ci
peuvent être au premier plan du tableau clinique (trouble pragmatique du langage) ou
secondaires au trouble des aspects structurels du langage. L’histoire du trouble du langage
de François, les particularités de sa communication et les diverses évaluations effectuées
permettront d’organiser la rééducation avec pour objectif principal la réduction des effets
des difficultés pragmatiques sur sa communication et ses relations sociales.
Mots clés : pragmatique, dysphasie, évaluation, rééducation.
Pragmatic difficulties in a child with dysphasia: suggestions for interventions
Abstract
Children with dysphasia are differently affected by pragmatic disorders. The disorders may
dominate the clinical picture (pragmatic language disorder) or may be secondary to the child’s structural language difficulties. The history of François’s language disorder, his specific
communicational problems, and results from various evaluations will help organize therapy,
the primary goal being to reduce his pragmatic difficulties and their impact on communication and social relationships.
Key Words : pragmatics, dysphasia, evaluation, intervention.
Rééducation Orthophonique - N° 221 - avril 2005
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Didier ROCH
Orthophoniste
SESSD APF
Port autonome
1, route de l’île Barbière
94380 Bonneuil sur Marne
[email protected]
L
es troubles langagiers importants que présentent les enfants dysphasiques
ont souvent des répercussions notables dans leur utilisation sociale du langage (voir de Weck et Rosat, 2003).
Ces difficultés pragmatiques sont donc considérées comme secondaires
au trouble du langage et y trouvent leur explication. Cependant les rapports
entre le développement linguistique et le développement pragmatique sont complexes et le sont d’autant plus que le langage est troublé (Bernicot, 2000 ;
Hupet, 1996 ; de Weck et Rosat 2003). Ce que nous pouvons constater en analysant les compétences d’un enfant dysphasique, c’est, d’une part, les répercussions directes du trouble du langage sur son usage, mais aussi les stratégies qu’il
a développées pour communiquer avec ce langage formellement défaillant. Par
contre, les difficultés pragmatiques sont primaires dans le syndrome sémantique/pragmatique ce qui en fait un syndrome à part dans la classification des
dysphasies (Rapin et Allen, 1996), ou un trouble hors du champ des dysphasies
(Bishop citée par Monfort, 2004).
Ces considérations engagent d’une part à s’intéresser aux troubles de la
pragmatique secondaires et de chercher des moyens pour y remédier, d’autre
part à envisager une manière particulière d’intervenir auprès des enfants dont les
difficultés pragmatiques sont au premier plan (voir Monfort, 2004).
♦ François, trouble primaire ou secondaire de la compétence pragmatique ?
Temps 1 de la prise en charge
François est vu pour la première fois en consultation à 2 ans 1/2 . Sa mère
s’inquiète surtout de sa compréhension. Rien dans l’anamnèse ne permet d’expliquer un retard de développement du langage. Tous les examens pratiqués sont
normaux. Un accompagnement familial est mis en place. A 3 ans, François
bénéficie d’un examen psycholinguistique et psychologique qui montre une dif-
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férence significative entre son niveau d’expression et son développement symbolique et intellectuel. La rééducation orthophonique en individuel commence à
ce moment-là. Les premières activités ont pour support la reproduction de saynètes de la vie quotidienne. L’orthophoniste qui le suit note l’amélioration
notable de la compréhension dès que la prosodie est exagérée et le rythme
ralenti. Un travail est donc organisé autour de comptines. A partir de 4 ans 1/2
commence un travail plus ciblé sur la syntaxe, toujours dans un cadre fonctionnel, la mimogestualité et les pictogrammes sont utilisés comme moyens augmentatifs. François intègre à 6 ans une classe pour enfants dysphasiques, il
apprend à lire par la méthode d’imprégnation syllabique (Garnier Lasek, 2002),
le support principal de la rééducation sera alors le langage écrit.
Temps 2 de la prise en charge
Je rencontre François lorsqu’il entre au SESSD à 10 ans. Il est alors suivi
en psychomotricité, en orthophonie, un travail éducatif sur l’autonomie est mis
en place, il conserve son suivi psychothérapeutique en libéral. Il est scolarisé en
classe de perfectionnement.
Le bilan de langage effectué à cette époque montre que François garde
des difficultés réceptives : discrimination phonologique, lexique, compréhension
syntaxique (en particulier prépositions spatiales, propositions relatives, coréférence du pronom). Sur le versant expressif, le manque du mot apparaît assez
vite, la syntaxe est correcte en spontané mais la dyssyntaxie apparaît en dirigé.
L’empan en mémoire de travail est un peu réduit, François est en difficulté face
aux consignes complexes et montre une fragilité particulière à la surcharge
cognitive. Les indices sémantiques l’aident à retrouver les informations en
mémoire. Lors d’un rappel de récit (évaluation à l'oral dérivée du protocole
d'évaluation à l'écrit, de Denhière et Baudet, 1990), François ne restitue presque
rien de la macrostructure mais évoque des détails et reconstruit une histoire à
partir de ceux-ci. Il répond aux questions en fonction de son récit sans tenir
compte du récit original.
Par ailleurs François est en difficulté lorsqu’on teste les fonctions exécutives (planification et inhibition). Lors de ce premier bilan je n’évalue pas la
pragmatique, François communique en effet avec beaucoup de spontanéité et les
difficultés pragmatiques (primaires) ne m’apparaissent pas immédiatement.
Rapidement, des particularités comportementales me font me diriger vers cet
aspect. François est très « communiquant » et pourtant, à son contact on ressent
parfois un sentiment d’étrangeté, il ne respecte pas les usages de la proxémique,
parle souvent trop fort et emploie parfois un registre de langage pédant (formules de politesses). A l’école, il communique le plus souvent avec les adultes
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ou des enfants plus jeunes. Ses réactions peuvent être imprévisibles à la maison.
Il est assez rigide sur les horaires et sur l’agencement des objets. Il peut s’intéresser à la forme (horaires des programmes télé) sans s’intéresser au contenu
(qu’est-ce que tu aimerais voir ?).
Marc Monfort a proposé récemment une classification de ces symptômes
des troubles pragmatiques (Monfort, 2003).
J’entreprends alors une évaluation plus spécifique du langage élaboré et
de la pragmatique. Je propose à François une adaptation française du Test of
Language Competence. Les items les plus difficiles pour François sont les
phrases ambiguës (polysémie) et le langage figuré (il a le plus souvent une interprétation littérale des expressions). Je fais ensuite remplir la grille de Tattershall
(traduit par Hilton, 1990) aux divers intervenants, en particulier son enseignante
qui le voit en groupe. Il en ressort que François propose spontanément des
thèmes mais ils sont peu variés, les éléments importants ne ressortent pas toujours de façon évidente, il ne les maintient pas ou ne les développe pas ; quand
il y a un blocage dans la conversation, il a tendance à changer de thème. Quand
il est auditeur, il fait peu de demandes de réparation conversationnelle. Il tient
difficilement compte de son interlocuteur.
François garde des difficultés linguistiques importantes et gênantes surtout en compréhension ce qui n’explique que très partiellement son trouble
pragmatique.
Tous ces éléments d’évaluation me font proposer de centrer la rééducation sur les aspects pragmatiques en me basant sur des critères d’utilité sociale
plutôt que de normalisation formelle (voir schéma d’intervention langagière
Monfort et Juárez-Sanchez, 2001).
♦ Entretiens avec la famille
Je rencontrais régulièrement la mère de François (intervention à domicile),
sa grand-mère et plus épisodiquement son père. La famille de François, compte
tenu de la précocité du diagnostic et des prises en charge précédentes était très
renseignée sur les difficultés formelles. L’objectif des entretiens que nous avions
était de partager sur le thème des usages sociaux que François pouvait faire du
langage et plus largement la façon dont il communiquait. Il est apparu très vite
qu’un bon nombre de difficultés à domicile provenaient des implicites compréhensibles par tous sauf par François d’où parfois des réactions assez violentes de
sa part. Les actions possibles consistaient en des questions permettant de juger
du niveau d’intercompréhension pour rendre les énoncés plus explicites.
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♦ Rééducation des aspects linguistiques
Objectif : faciliter le traitement du langage pour faciliter son utilisation en
conversation et en récit.
Il a été proposé des exercices pour travailler :
• le lexique : travail des réseaux sémantiques pour faciliter leur activation
(catégorisation, arbres sémantiques…),
• la syntaxe : activités formelles sur les structures de phrases difficilement
comprises (ECOSSE) et activités fonctionnelles (surtout demandes d’actions à l’oral et à l’écrit),
• le langage écrit : augmentation du lexique orthographique et automatisation
de l’adressage.
♦ Activités pragmatiques
Axe 1 : Informativité
Objectif : quantité et pertinence des informations données (voir Grice,
1979 ; Moeschler, 2001).
Je propose à François de travailler avec un autre enfant dans le cadre
d’activités fonctionnelles (Monfort et Juárez-Sanchez, 2001) où ils seront locuteur chacun leur tour. Cette disposition permet de prendre en compte les difficultés pragmatiques en compréhension comme en expression. Pour chaque
début de nouvelle activité, j’aide chacun d’entre eux à organiser ou à hiérarchiser les informations, en posant des questions, en pointant les éléments pertinents
ou encore en leur fournissant un modèle écrit de l’ordre dans lequel ils devront
présenter les informations. Le code utilisé est oral ou écrit.
Dans une situation de communication référentielle nous avons utilisé :
• des images simples de proximité sémantique croissante à dénommer, puis
des images complexes en dénommant les différentes parties du tout,
• les mêmes images en définition (dans un premier temps je fournissais la
listes des sèmes pertinents) puis les mêmes images définies par deux en
trouvant les sèmes communs. Dans un premier temps François se fixera
d’abord sur les différences puis sur les ressemblances visuelles au détriment des traits sémantiques communs. Cette activité est complétée par les
activités de classification et d’organisation du lexique.
• des mots écrits (même activité que précédemment),
• aucun support matériel pour le récepteur (même activité que précédemment),
• aucun support matériel pour aucun des interlocuteurs (même activité que
précédemment). Cette dernière situation montrait très nettement la diffi-
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culté de François à tenir compte du savoir partagé (quand il décrivait des
objets personnels ou des personnes seulement connues de lui) et à se
constituer des représentations habituelles (échelle de grandeur, couleurs…),
• des scènes complexes proches visuellement à décrire,
• des images de lieux particuliers : imaginer un petit scénario pouvant s’y
dérouler,
• le matériel « Dialogues » par exemple : imaginer les paroles et/ou les pensées de personnages. Cette dernière situation, la plus difficile pour François, est liée aux activités abordant la théorie de l’esprit.
Situation d’explication de procédures :
• cubes, jeu de topologie puis mécano. Le matériel demandait des explications de plus en plus précises. Avec chacun des supports, nous avons suivi
la progression suivante :
– explication avec, puis sans vision du résultat,
– dans la situation sans vision du résultat, possibilité pour l’interlocuteur de
demander des explications complémentaires puis sans cette possibilité,
– introduction du temps ; d’abord explication au fur et à mesure de la
construction puis suivant mon pointage sur le modèle fini, puis en partant du modèle fini.
• François était le plus souvent le locuteur.
• François utilisait beaucoup de déictiques et répétait son énoncé sans le
transformer suite aux demandes d’informations complémentaires. Ce qui
l’a le plus aidé c’est le pointage élément par élément et les informations
complémentaires que j’apportais à son interlocuteur. Après quelques mois
il pouvait expliquer une construction en fournissant des réponses plus précises aux demandes de clarification.
Axe 2 : Partage du thème
Objectifs : Obtenir un consensus sur le thème de la discussion, utiliser les
réparations conversationnelles (voir Hupet, 1994).
Nous sommes partis des récits d’expériences personnelles de François.
Comme le montre le dialogue suivant je ne parviens pas à me représenter correctement la situation qu’il décrit et mes demandes de confirmation et de clarification sont nombreuses, François ne se rend pas compte de mon embarras. Un
point sur lequel achoppent aussi beaucoup de dialogues est la polysémie (ici du
mot « but »). Dans cet exemple, c’est moi qui suis le plus en difficulté dans la
co-construction du sens.
D.R 1 : tu m’as dit que tu as joué au football
F. 1 :
alors quand j’ai marqué un premier but
D.R 2 : essaie déjà de me dire où tu étais / avec qui tu jouais
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F. 2 :
avec mon papa dans les défenseurs contre les attaquants / les attaquants ont eu trois buts et nous on a eu sept buts
D.R 3 : tu étais défenseur ?
F. 3 :
oui
D.R 4 : et les défenseurs marquent des buts ?
F. 4 :
oui c’est vrai c’était défenseurs contre attaquants
D.R 5 : d’accord / il y avait un but de chaque côté du terrain ?
F. 5 :
le premier but c’était les attaquants et nous c’était le deuxième et
le troisième / donc on avait gagné / moi j’ai marqué le sixième but
D.R 6 : mmm
F. 6 :
voilà
D.R 7 : d’accord il y avait combien de buts ? / de poteaux ?
F. 7 :
quatre
D.R 8 : quatre poteaux ça fait deux buts ?
F. 8 :
ouais
D.R 9 : donc il y en avait un pour les attaquants et un pour les défenseurs
F. 9 :
ouais
D.R 10 : tu m’as dit que tu jouais avec ton papa / qui avait fait les équipes ?
F. 10 : c’était Daniel
D.R 11 : oui et qu’est ce qui s’est passé de particulier ?
F. 11 : les enfants sont été les attaquants et les adultes et moi on était les
défenseurs
D.R 12 : d’accord / tu étais avec les adultes toi ?
F. 12 : oui
D.R 13 : comment ça se fait ?
F. 13 : parce que j’adorais aller avec lui
D.R 14 : c’est tout / tu ne jouais pas avec les enfants / qui c’était les
enfants ?
F. 14 : y’avait un garçon s’appelait Louis et les trois autres /non / y’avait
aussi Quentin et deux autres je m’en rappelle plus.
Nous nous sommes mis d’accord sur un canevas classique d’exposition
du récit (où ?, qui ?, quand ?...). Pendant le récit lui-même, je formulais systématiquement des demandes de confirmation, puis nous nous mettions d’accord
sur les informations importantes, celles que je pouvais déjà connaître et ce qui
restait à préciser (j’écrivais parfois tous ces éléments). Puis François reformulait
son récit. Nous avons en parallèle mené un travail formel sur les pronoms anaphoriques dont les référents ne sont pas toujours très clairs dans le discours de
François (voir récits en annexe et F.13 dans l’exemple précédent).
Nous inversions les rôles et je racontais à mon tour un évènement hors
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contexte immédiat. François avait pour consigne de m’arrêter et de me demander de préciser dès qu’il ne comprenait plus. Les premières fois où nous avons
procédé de la sorte, François me posait des questions sur tous les éléments de
l’énoncé et en particulier sur le vocabulaire (même connu de lui) et sur la forme.
C’est seulement peu à peu qu’il a pu poser des questions quand il ne parvenait
pas à se faire une représentation précise.
Il a fallu aussi trouver un consensus sur le savoir habituellement partagé.
Sur le nom d’un jeu, dans cet exemple.
F.1 :
D.R.1 :
F.2 :
D.R.2 :
F.3 :
D.R.3 :
F.4 :
D.R.4 :
F.5 :
j’aime bien la bataille navale
comment on joue à la bataille navale ?
on s’arrose
on s’arrose ?
ouais c’est vrai
raconte moi un peu
on a une bouteille d’eau et on s’arrose
tu arroses qui ?
si j’ai une bouteille d’eau j’m’arrose / si t’as une bouteille d’eau tu
t’arroses
D.R.5 : toi tu t’arroses tout seul ?
F.6 :
et toi aussi
D.R.6 : d’accord j’ai une bouteille d’eau et je me la verse sur la tête
F.7 :
oui
D.R.7 : et c’est ça la bataille navale ?
F.8 :
ben oui c’est ça
Axe 3 : Maintien du thème
Objectif : maintenir un thème, pouvoir le développer ne pas en changer dès
qu’il y a un « accident » dans la conversation.
L’activité proposée est inspirée de la technique des associations. Le cadre
est très contraint ; un mot chacun son tour, ne pas changer de thème, tenir
compte de ce que l’autre vient de dire. Tout était écrit au fur et à mesure sur
l’ordinateur. Petit à petit, nous avons introduit des verbes et augmenté le nombre
de mots par tour de parole. Pour François, le premier obstacle à surmonter était
d’éviter les listes, par exemple sur le thème « football ».
F. :
D.R :
F. :
D.R :
F. :
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le football
un joueur
Zinédine Zidane
il marque
Barthez
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D.R :
F. :
[…]
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une équipe
Emmanuel Petit
Relire systématiquement tous les mots a facilité l’enchaînement dans le
thème donné en diminuant par contre la spontanéité des propositions. Après
quelques séries, François a pu introduire facilement des verbes dans ses interventions. J’ai proposé par la suite de plus en plus de pronoms qui trouvaient leur
référence dans les pas précédents.
Axe 4 : Théorie de l’esprit
Objectif : prendre conscience des états mentaux d’autrui afin d’en tenir
compte dans la communication
Les aspects pragmatiques du développement langagier sont étroitement
liés, chez tous les enfants, à l’évolution de leur théorie de l’esprit, en particulier
leur compréhension « mentale » des intentions et des autres états mentaux
(Tager-Flusberg, 1999).
On trouve les prémices de cette capacité dans les interactions précoces
(Plumet, 1995).
François réussissait bien les tâches de théorie de l’esprit de premier ordre
mais hésitait longuement pour les tâches de second ordre (une personne croit
qu’une autre personne croit…) (Bris et coll.,1999).
François analysait bien les mimiques des personnages et pouvait régulièrement les comprendre en contexte (Monfort et Monfort, 2000). Il pouvait leur
prêter des paroles si la situation était univoque.
Nous avons travaillé à partir d’histoires dessinées que nous construisions
au fur et à mesure et de textes :
• Situation de discours rapporté (que dit-il quand il voit la soucoupe
volante ? puis comment le raconte-t-il à un autre personnage ? et comment
ce dernier peut le raconter à son tour ?) en insistant sur la position du
locuteur par rapport à l’événement et sur le fait que l’interlocuteur donne
ou pas une valeur de vérité à ce qu’on lui raconte,
• Scénarii de fausses croyances (comment ce personnage va-t-il agir en fonction de ce qu’il sait ou ignore ?),
• Textes où les personnages pouvaient être en situation d’erreur ou de mensonge, différence que François avait régulièrement du mal à appréhender (il
se peut que quelqu’un se trompe par manque d’informations sans pour
autant mentir),
• Explication des états mentaux des personnages d’une histoire,
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• Imaginer les choix que feraient différentes personnes de son entourage par
exemple s’ils devaient s’offrir des cadeaux entre eux.
François éprouvait également des difficultés pour verbaliser ses sentiments ou ses jugements autrement que de façon extrême, par exemple
« j’adore / j’adore pas », sans que l’on puisse l’attribuer à un manque de vocabulaire. Nous avons essayé de passer en revue les différents contextes d’emploi
et la graduation que l’on pouvait apporter dans l’utilisation de ce vocabulaire
particulier.
Axe 5 : Implicite
Objectif : être capable de produire des inférences. Faire des liens entre les
événements
L’inférence joue un rôle fondamental dans la communication. Produire
des inférences permet de comprendre ce qui n’est pas marqué par le code. Elle
nécessite de prendre en compte certaines informations contextuelles et l’intention du locuteur qui évoluent au fur et à mesure de la co-construction du sens.
Les processus inférentiels dépendent des informations traitées en temps réel, des
énoncés précédents et des informations stockées en mémoire à long terme connaissances sur le monde - (Moeschler, 2001).
Les activités proposées sont évidemment en lien étroit avec celles visant
la mémoire sémantique (connaissances), la compréhension (attribution des référents), la logique (chaînes causales) le récit d’expériences personnelles (scripts)
et la théorie de l’esprit (intentions du locuteur).
• Recherche de la conséquence en fonction d’une cause (un seul choix possible) puis d’une cause en fonction de la conséquence [matériel imagé],
• Imaginer les conséquences possibles d’un événement puis les causes possibles d’une situation,
• Construction d’histoires (images puis textes), trouver les éléments manquants (variables dans leur position),
• Reconstruction de scripts à partir de l’état initial et/ou de l’état final,
• Construction de scripts en tenant compte de paramètres particuliers concernant les personnages et/ou la situation. Les scripts sont notés au fur et à
mesure ou entièrement oraux (intervention de la mémoire pour tenir
compte des informations déjà données),
• Désambiguïsation de pronoms anaphoriques en fonction du contexte,
• Recherche de liens logiques entre des événements. On se heurte là aux
mêmes difficultés que dans les tâches de classification (trouver des invariants),
• Activités formelles sur les connecteurs (compréhension, construction de
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phrases),
• Activités uniquement langagières de production d’inférences sur des énoncés inspirés de la « Gestion de l’implicite » (Duchêne May-Carle, 2000). A
noter l’existence d’un matériel permettant nombre de ces activités (Boutard
et Bouard, 2002).
♦ Travail sur le récit
En compréhension
Objectif : établissement de la cohérence du récit en compréhension.
La compréhension d’un récit dépend en premier lieu de la complexité
lexicale et de la familiarité avec le thème. Les relations entre les diverses propositions ne sont souvent pas explicites mais doivent être inférées. L’auditeur peut
alors se faire une représentation cohérente (Fayol 1985). L’intégration d’un
« schéma narratif » permet de générer des attentes et de diminuer le coût du traitement (voir pour une discussion de cette notion : Fayol, 1985 ; Hickmann,
2000).
François parvient difficilement à organiser les informations et surtout à
les intégrer au fur et à mesure en un tout cohérent, il ne semble pas avoir intégré
un « schéma narratif » fonctionnel.
Il est malaisé d’analyser cette difficulté particulière au regard de toutes
les compétences engagées lors de la compréhension du récit, cependant je propose à François des activités centrées sur cette activité à partir de texte avec ou
sans support imagé, celui-ci étant séquentiel (représentation des différents épisodes) ou global (représentation du contexte) :
• Jugement de l’importance relative des informations (même activité sur des
textes explicatifs),
• Différence entre les informations anciennes et les informations nouvelles
(portée en particulier par le caractère défini ou indéfini des déterminants),
• Informations sur le contexte situationnel / informations sur le déroulement
de l’histoire,
• Établissement de la cohésion :
– Repérage et compréhension des connecteurs (repris par ailleurs dans
des exercices formels),
– Repérage et recherche de la référence des pronoms (repris à l’oral avec
une sollicitation plus importante de la mémoire de travail),
• Établissement de la cohérence :
– Prise en compte des informations et des relations non codées,
– Mêmes activités que celles décrite pour les inférences,
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– Discussion préalable autour du thème général pour mobiliser les
connaissances,
• Construction de la macrostructure :
– Trouver les différents épisodes (ou les informations importantes pour
les textes explicatifs),
– Pouvoir les classer et les restituer,
– Enrichissement progressif de cette « base de texte »,
– Restitution avec puis sans le support de la macrostructure.
On trouvera de nombreuses activités de compréhension de texte bien classées dans le matériel « Réflex lecture » (Maeder, 2001).
En production
Objectif : structurer le récit en production
Même type d’activités que pour le partage du thème. Je notais l’histoire
(autre que expériences vécues), nous nous assurions de partager le sens, puis je
demandais à François de suivre une trame se rapprochant le plus possible d’un
schéma narratif classique. Pour exemple, en annexe, deux récits en début de
prise en charge.
♦ Conclusion
En deux années de prise en charge, François a bien évolué sur les aspects
les plus langagiers de ses difficultés pragmatiques comme en témoigne une nouvelle passation de la grille de Tattershall. Il a recours consciemment à un certain
nombre d’ajustements vis-à-vis de ses interlocuteurs, il est plus informatif. On
peut invoquer un grand nombre de causes possibles à même d’expliquer, partiellement, ses troubles : les capacités générales et la vitesse de traitement de l’information, la compréhension, les fonctions exécutives, les règles spécifiques de
la conversation, la théorie de l’esprit. Ces différents éléments peuvent être évalués séparément et montrer des déficits mais leurs effets respectifs s’interpénètrent tellement qu’il est difficile de les hiérarchiser pour l’intervention dans un
cas comme celui de François. Malgré tout il est évident que la priorité reste à
l’usage, tant peuvent être importantes les répercussions sur les relations
sociales.
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Annexes : Récits de François
Récit 1 : Les razmokets
Alors l’enfant s’appelle casse bonbons et la binocle et la petite fille / et
deux jumeaux / et deux jumeaux / y en a deux s’appellent Sophie / et y a un
bébé s’appelle je sais pas quoi / ben voilà / et à la fin ils se sont rencontrés à la
finale / avec ses parents à la finale avec son papa avec son tonton et sa maman /
et Casse-bonbons a ses parents et la petite fille a la maman et son papa / voilà.
Récit 2 : Les trois petits cochons
Trois petits cochons s’appellent nif nif naf naf et nou nouf / ils sont trois
petits cochons / ils se promènent et ils construisent leurs maisons/ y’en a deux
qui sont dévorés par le loup / y’en a un qui est bien embêté c’est nif nif / et naf
naf et nouf nouf sont repartis voir naf naf / et alors après ils ont été tranquille
dans la maison de naf naf et le loup l’a pas dévoré / et après à la fin / il s’est / il
est allé se peindre en blanc et il a dit : « toc toc toc je viens vous dévorer »/ et
les trois petits cochons l’a fait de la soupe / et après il a descendu et il était
chaud / voilà.
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Une approche pragmatique lors du bilan orthophonique d’un enfant atteint de psychose
infantile
Agnès Witko
Résumé
En nous appuyant sur une épreuve de désignation d’images réalisée avec un enfant atteint
d’une psychose infantile, nous allons dresser un inventaire des ressources langagières
mobilisées par ce jeune patient âgé de 12 ans, tout en tenant compte des contraintes situationnelles. Compte tenu du cadre théorique issu de l’Analyse d’Interaction, un courant fondé
notamment sur une pragmatique de la conversation, le présent travail s’organisera autour
de deux questions majeures : (1) comment l’enfant gère-t-il la situation de communication
dans sa dimension écologique ? Quelle est la prise en compte d’éléments tels que les
objets, les facteurs temporels et spatiaux, la configuration de l’activité ? (2) Comment l’enfant organise-t-il ses prises de parole, en termes de synchronisation temporelle et de
construction des échanges avec sa partenaire ? De manière complémentaire, cette réflexion
dévoilera d’une part le partage d’un univers de référence, d’autre part la relation interpersonnelle qui s’enracine ainsi dans l’espace d’interaction proposé par le cadre thérapeutique
orthophonique.
Mots clés : situation, adaptation, intention, compétence communicative, échanges,
évaluation.
Rééducation Orthophonique - N° 221 - avril 2005
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A pragmatic approach to the speech and language assessment of a
child with an infantile psychotic disorder
Abstract
This paper presents the analysis of a picture designating task obtained from a 12 year old
child who fitted the clinical description of infantile psychotic disorder. Based on the Talk-inInteraction Analysis designed to investigate conversational characteristics, this case study
examines two questions : (1) With regard to the situation, how does the child take into
account objects, temporal and spatial factors, and the configuration of the activity ? (2) With
regard to his participation, how does he respect the organization of turn-taking and the rules
of exchange structures ? Furthermore, this study contributes to the understanding of mutual
representations on one hand, and of the construction of an interpersonal relationship between the speech and language therapist and her young patient on the other.
Key Words : situation, pragmatics, adaptation, intentionality, communicational competence,
exchange, assessment.
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Agnès WITKO
Orthophoniste
docteur en Sciences du Langage
chargée de cours à l'Université Claude
Bernard Lyon1
(Ecole d'orthophonie de Lyon)
à l'université Lumière Lyon2
au CNAM (Conservatoire National des Arts
et Métiers)
Formatrice auprès des enseignants de
l'école primaire
(Centre Privé de l'Oratoire à Lyon)
[email protected]
I
ntroduction
« - Bonjour Antoine, on va travailler ensemble aujourd’hui. Tiens je vois
ton prénom écrit sur cette feuille, tu peux me dire comment il s’écrit ? On commence ici ? », lui dis-je en montrant le début du mot.
Et Antoine de sa voix très sonore me répond énergiquement :
« - Alors ‘a’ comme ‘Antoine’, ‘t’ comme ‘tais-toi’, ‘n’ comme ‘Norbert’
et ‘o’ comme ‘Opium’ ».
Que penser et que faire devant un tel rapport au(x) langage(s) ? Quelle(s)
voie(s) choisira l’orthophoniste pour accompagner Antoine sur le chemin du
sens, et peut-être du sens mis en mot ?
Destiné à pointer ce qui relève du versant social du langage, le langage
« fonctionnel » mis en évidence par l’approche pragmatique ici visée demande à
être circonscrit dans la mesure où ce courant traverse « plusieurs disciplines,
même s’il s’est constitué principalement en philosophie à partir d’une réflexion
sur la pratique du ‘langage ordinaire’» (Bernicot et al., 2002). De plus, du point
de vue de l’orthophonie, cette discipline d’action emprunte des notions relevant
de champs épistémologiques complémentaires qu’il s’agit de confronter pour
les mettre à l’épreuve des faits cliniques de manière constructive.
Centrer l’analyse, et l’action thérapeutique qui en découlera, sur les
concepts d’adaptation et d’intentionnalité reviendra à saisir « les mouvements du
sujet aux prises avec la langue et le langage » dans son rapport au monde, aux
autres, à lui-même et à son propre discours (Salazar Orvig, 1999). Cela dit, l’observation des capacités (ou des difficultés) pragmatiques devra impérativement se
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décliner sur différents axes. Avoir une intention relève en effet d’un ensemble de
choix qui seront d’une part en concordance ou discordance avec les capacités
physiques et instrumentales (vision, audition, sensations diverses), d’autre part en
adéquation avec les capacités linguistiques de maniement du code (sons, lexique
et morphosyntaxe, discours). Dans le présent travail, ces deux types de capacités
sont mentionnés mais ne sont pas explorés. Mon propos sera centré sur la coconstruction de l’interaction entre les partenaires en présence dans le face-à-face
(Goffman, 1973), et corrélativement sur le partage des représentations. Ici, le langage joue indirectement le rôle de reflet de la pensée au sens théorique du terme
(Vion, 1992). Relevant d’une théorie de l’action dans le sens où l’on accorde une
importance à l’activité dans laquelle le sujet est engagé, le langage est alors un
moyen orienté vers un but, un moyen parmi d’autres.
♦ Arrière–plan de cette étude
Le contexte institutionnel
C’est celui d’une institution privée de type Institut Médico-Pédagogique
qui accueille Antoine depuis septembre 2001, il a alors 9 ans. Le diagnostic
principal, à ce jour, est celui d’une déficience intellectuelle avec troubles du
comportement compte tenu de l’organisation psychotique de sa personnalité.
D’origine française, Antoine a une petite sœur née en 2001 ; ses parents étant
séparés, il vit avec sa maman qui s’est remariée et il voit régulièrement son
papa. Antoine porte des lunettes, il a été opéré d’un strabisme dans sa petite
enfance mais il n’a plus de problème de vue. La problématique psychotique
d’Antoine s’est cristallisée sur les portes, serrures, et poignées en tout genre,
l’intérêt démesuré pour ce type d’objets engendrant une destruction de la part
d’Antoine pendant une bonne partie de son enfance et encore actuellement dans
ses moments de « crise ».
Après un passage à l’école en CLIS, une CLasse d’Intégration Scolaire
qui a succédé à l’intégration à temps partiel en maternelle, l’arrivée sur un
groupe éducatif s’est faite progressivement puisqu’Antoine a d’abord été pris en
charge à temps partiel, deux jours par semaine, des soins en Centre de jour se
poursuivant sur l’autre mi-temps. Antoine a intégré l’IMP à temps complet en
septembre 2003, date à laquelle il a été vu en orthophonie : il est âgé alors de 11
ans. Pendant l’année scolaire 2003-2004, il a été pris en charge dans un groupe
de langage composé de quatre enfants. Co-animé par l’orthophoniste et une éducatrice de l’institution, le projet consiste à créer une histoire dont les personnages sont inventés par les enfants, l’album confectionné par chacun sera finalement raconté à tous les enfants de l’institution. Pour suivre l’évolution
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d’Antoine, un bilan orthophonique comparatif est effectué en septembre 2004,
les évaluations successives chez un même enfant permettant de réaliser une analyse longitudinale de son développement communicatif (Adrien et al., 1986). Le
trouble dont est atteint Antoine ne faisant pas l’objet du présent article, l’anamnèse est bien évidemment réduite ici à l’information indispensable.
La situation d’évaluation conçue selon une méthode ethnographique
Née dans le secteur de l’anthropologie américaine, l’Ethnographie de la
Communication (Hymes, 1962 ; Hymes & Gumperz, 1972), permet d’exploiter
la diversité des phénomènes communicationnels présents au sein du même événement. Selon cette méthodologie, un recueil de données sur bande audio est
réalisé avec à l’issue de ces six enregistrements, une transcription des données
verbales, sans transcrire l’intégralité des échanges, mais en pointant des
moments-clés. Les données para verbales (prosodie) et non verbales (mimo-posturo-gestualité) figurent sous forme de notation. Un traitement informatique
plus fin, de type prosodique en l’occurrence, serait à envisager par un logiciel
tel que Praat par exemple. Les conventions de transcription figurent en fin d’article. Un choix d’extraits significatifs est finalement opéré pour présenter des
moments particulièrement pertinents pour l’analyse.
Si la tradition ethnographique s’est largement consacrée à des situations
de communication ordinaires et quotidiennes, ce n’est pas le cas des six entretiens prévus par des rendez-vous (trois en 2003, puis trois en 2004) qui ont eu
lieu en relation duelle, le vendredi matin le plus souvent, pendant une trentaine
de minutes. Assis côte à côte à une table dans le lieu repéré « bureau de l’orthophoniste », Antoine et la thérapeute manipulent essentiellement un matériel de
tests : le TVAP en mode « désignation » (Test de Vocabulaire Actif et Passif
pour enfants de 3 à 5 ans de Deltour et Hupkens, 1980-1997). Par choix, l’analyse rapportée ici concerne uniquement un support d’évaluation dont la passation est courte et simple sur le plan des consignes. Il a été difficile de réaliser
l’épreuve du TVAP dans la tâche de « définition de mots » : Antoine définit
quelques mots puis s’embrouille. La mise en œuvre de la fonction métalinguistique, source de réflexivité et d’une prise de distance par rapport à la langue,
semble le perturber : soit il abandonne, soit il délire comme si le discours représentait un réel danger.
Ressources et contraintes situationnelles
En puisant dans le courant interactionniste (Cosnier, 1998 ; Kerbrat-Orecchioni, 1990-92), je m’intéresse au(x) langage(s) produit(s) dans le contexte
d’une interaction sociale, autrement dit, je tente de repérer en « émission/réception » les ressources et les contraintes visant à présenter une information appro-
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priée à un interlocuteur donné, dans un environnement particulier en fonction
d’objectifs communicationnels dont on vérifiera en premier lieu la réciprocité.
Répondant inévitablement à un contrat de communication (Bromberg & Trognon, 2000), cette situation instaure d’une part des enjeux faibles ou élevés
(Bromberg et al., 2002) déterminants pour la réalisation des intentions communicatives, d’autre part un coût cognitif dépendant de la complexité de la tâche
(Peter-Favre & Drechsler, 2002). Dans cette perspective, les intentions prêtées à
l’interlocuteur sont fonction du contrat communicatif. Sans rentrer dans les
détails psychosociologiques d’une telle présentation, la situation de communication, perçue d’une part dans ses aspects matériels, d’autre part dans ses finalités
institutionnelles, se décrit ainsi dans le cas présent :
Tableau n°1 – La situation d’évaluation
Caractéristiques
situationnelles
Lieu
Temporalité
Objets
쑺 Images
쑺 Magnétophone
Cadre participatif
Tâche
Désignation d’images
Relations
Rôles
Finalités
쑺 Orthophoniste
쑺 Antoine
Ressources
Contraintes
bureau calme
moment « organisé »
espace finalisé
temps « limité »
쑺 support visuo graphique
쑺 traces conservées
relation duelle dans
un cadre privilégié
Expression réduite
et désignation d’images
쑺 relation entre
« inconnus » en 2003
쑺 relation entre « connus » en
2004 après un an de travail
« soignant(e)-soigné »
쑺 analyse visuelle d’images
쑺 enregistrement audio
relation rapprochée
et partenaire(s) désigné(s)
expression et
compréhension dirigées
쑺 peu de « savoir » partagé
쑺 observation pragmatique et
repérage de compétences
linguistiques
쑺 découvrir une situation en
2003 et partager une situation
en 2004
쑺 « histoire
conversationnelle »
« expert(e)-profane »
쑺 passation de tests et
comparaison avec une norme
쑺 relation plutôt angoissante
en 2003 et plutôt rassurante
en 2004
Pour illustrer les trois dernières rubriques, l’ouverture de chaque séance
est tout à fait révélatrice :
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EXTRAIT 1 : séquence d’ouverture 2003
1 O
Antoine
2 A
oui
3 O
Antoine jeudi 19 juin 2003 (.) c’est çaÊ
4 A
oui
5 O
heinÊ (petit rire)
6 A
2003
7 O
2003
8 A
oui
9 O
bon alors (.) euh::: est-ce que tu es d’accord avec moi pour regarder des imagesÊ
10 A
ouais
11 O
t’es un grand toi (.) t’es ( inaudible)
12 A
je suis d’accord
13 O
tu es d’accord ben t’es (l’meilleur ?) alors on va prendre ça
14 A
et ça (..) où l’est DanièleÊ
15 O
ah ben tu sais ils sont en bas (.) ils sont en train (.) on va laisser
tomber ça pour le moment (.) voilà et puis on pourra le refaire
après okÊ
16 A
oui
17 O
alors attends tu sais je vais te montrer des images (.)
18 A
oui
19 O
et toi oh elles sont à l’envers mince on va les mettre à l’endroit (.)
et tu me montreras celles que je te d- celles que je te
20 A
dire
21 O
deman::::de (euh) si je te demande de montrer une fourchette
22 A
là
23 O
bravo (.) là je te demande de montrer un papillon
24 A
là
25 O
bravo (.) maintenant je te demande de montrer un camion […]
EXTRAIT 2 : séquence d’ouverture 2004
1 O
bon alors aujourd’hui on est le vendredi 10 septembre 2004 heinÊ
2 A
ouais
3 O
et donc avec Antoine on va faire euh:::: un p’tit test hein (.) où en
fait il faut montrer des images mais toi euh : maintenant tu sais
faire ça heinÊ alors (.) on est parti (..) et on commence par celle-là
(.) est-ce que tu peux me montrer (.) le camion
4 A
(désignation de l’image) […]
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Alors que dans les deux cas, l’orthophoniste ouvre son classeur d’images,
la prise de contact entre les deux interlocuteurs est très progressive en 2003,
pour preuve les différents actes de langage que l’orthophoniste enchaîne : l’annonce de la date du jour pour fixer l’ancrage énonciatif (tour 3), la demande
d’accord préalable dans le but de regarder les images (t9), le compliment sur le
comportement adéquat d’Antoine (t11 et t13), la demande de permission
concernant l’abandon d’une activité choisie par Antoine (t15), la présentation du
matériel (t17) ainsi que la formulation de la consigne (t19) sont autant d’actes
identifiables, des précautions que prend l’orthophoniste pour lancer l’activité
par un ensemble de préliminaires. En 2004, excepté la délocution induite par
l’enregistrement, le naturel de l’ouverture conduit les deux partenaires à entrer
facilement et directement dans la tâche visée. Nous allons en suivre l’évolution
dans ses aspects à la fois macro (approche globale) et micro (approche locale)
en nous arrêtant sur des moments d’interaction.
♦ Cadrage théorique
La compétence pragmatique
Selon le modèle de Kerbrat-Orecchioni (1980), la compétence communicative est une compétence complexe qui met en jeu plusieurs sous-compétences :
encyclopédique, logique, pragmatique, linguistique, discursive. Cette conception
conduit d’abord à une représentation plurielle du sujet communicant, producteur
de savoir et d’idéologies, détenteur d’une logique, manipulateur de signes et de
codes pour construire du discours destiné à nourrir le lien social au sein d’une
communauté linguistique. Ensuite, elle réhabilite la place du récepteur dans la
mesure où l’on interroge l’interlocution dans ses aller et retour, et non plus la
seule allocution du parleur. Le cadre de l’Analyse d’Interaction me conduit ainsi à
présenter les faits en différenciant les deux pôles d’émission et de réception, le
couple « émetteur-récepteur » renvoyant aux deux pôles du traditionnel schéma de
la communication de Jakobson (1963). Chacune des cinq sous-compétences se
manifeste par des habiletés langagières repérées en contexte de communication.
Tout en intégrant ces cinq dimensions dans l’observation du langage oral du jeune
garçon en question, l’observation se focalisera sur la composante pragmatique,
déclinée sur les plans situationnel, participatif et référentiel.
Des unités d’analyse fonctionnelles
Appliquée à l’analyse d’interactions orthophoniques, la notion de
« script » (Schank & Abelson, 1977) facilite le découpage et la reconstruction
d’une séance-type, permettant ainsi de mettre en évidence une programmation
attendue des actions.
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Dans l’interaction avec Antoine, je me contenterai d’un découpage de
type séquentiel « ouverture, corps et clôture de l’interaction » (Traverso, 1999)
en me concentrant sur la synchronisation temporelle repérable lors de la passation du TVAP en mode désignation.
D’autre part, la notion de « paire adjacente » (Goffman, 1987) s’applique
à un format tel que :
t1 Orthophoniste
: montre-moi l’image correspondant au mot « M »
t2 Patient
: désignation de l’image correspondante
Les échanges sont initiés par l’orthophoniste, Antoine est en position de
récepteur, il doit compléter l’initiation verbale « montre-moi » par un acte de
désignation non verbale pouvant éventuellement être complété par des informations verbales ou para verbales. A partir du repérage du format de base, l’analyse des échanges devient possible.
Quant à la question des thèmes et le rapport au référent imagé dans ce cas
précis, il nous amènera à commenter quelques interventions d’Antoine au
niveau du langage spontané.
Avant d’appliquer ces unités opératoires à l’analyse du TVAP passé avec
Antoine, je vais faire un détour par la littérature pragmatique à propos des
troubles langagiers d’origine psychiatriques.
Les troubles fonctionnels dans les pathologies psychiatriques
Dans ce domaine particulier, différentes études (dont Adams & Bishop,
1989) tendent à confirmer l’hypothèse fonctionnelle des troubles langagiers par
rapport à une hypothèse structurale, le processus de dysfonctionnement communicationnel étant appréhendé comme « une pathologie des principes qui gouvernent l’usage du langage » (Trognon, 1992). Les difficultés constatées chez des
patients schizophréniques par exemple, « semblent davantage liées à des procédures de compréhension pragmatiques des items lexicaux que de compréhension syntaxico-sémantique » (Claudel et Musiol, 2002). Définissant le déficit
communicationnel comme une forme d’infraction à la norme sociale, les auteurs
invitent à considérer ces écarts imprévisibles avec prudence et soumettent les
partenaires de telles interactions à une certaine forme d’indécidabilité qui fait
partie du jeu interactionnel. Concernant ce type de patients, Salomé (2002 : 197)
fait état de « la vulnérabilité des performances langagières dépendante de l’état
clinique » plutôt que d’un dysfonctionnement structural dans le traitement du
langage.
C’est ce que la problématique d’Antoine nous fait pointer. Antoine
« subit » son état clinique en permanence et me le renvoie dans ses questions :
« dis pourquoi je casse les portes, moi ? », comme pourrait en témoigner éga-
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lement son éternel questionnement sur les bêtises. Malgré différentes phases
dans l’évolution de son trouble psychique, Antoine évolue de manière positive
au niveau de ses compétences linguistiques. Sur le plan phonologique, il s’intéresse à l’écrit et apprend l’alphabet. Au niveau lexical, son vocabulaire s’accroît, il accède à différents registres de langue, il restitue des formules imagées. La composante morphosyntaxique est sans doute la plus fragile et la
plus questionnante : en effet Antoine joue volontairement avec les marques du
féminin et du masculin, et du fait d’un rapport au temps très complexe, il
manie les flexions verbales de manière très originale. Cet aspect formel en
particulier a des répercussions sur la composante discursive : Antoine est
contraint, pour l’instant, à suivre l’étayage de son ou ses partenaires d’interaction, plutôt que de se lancer dans une monogestion discursive qui pourrait le
conduire au récit. L’observation des habiletés pragmatiques repose par conséquent sur un langage formel existant et la dimension pragmatique est par
conséquent une voie particulièrement judicieuse pour suivre le parcours langagier d’Antoine.
♦ Données cliniques
Pour répondre à une approche pragmatique, la pratique orthophonique
devra envisager de travailler en complémentarité langage dirigé et parole
« spontanée ».
Le langage dirigé et la capacité à entrer dans un script
L’analyse du corpus recueilli lors de la passation du TVAP repose d’une
part sur une observation du mécanisme des tours de rôle, d’autre part sur une
analyse de échanges d’un point de vue structurel et fonctionnel. Il est bien sûr
difficile de détailler dans le présent article les grilles d’analyse. Il en sera fait un
exposé succinct illustré par des extraits de corpus.
Premier élément d’analyse : Tours de rôle et tours de parole
La question majeure est la suivante : comment Antoine s’inscrit-il dans le
système des tours de rôle ou de parole tant du point de vue de l’émission que de
la réception ? En rappelant que la transcription repose sur une analyse perceptive
(à l’oreille), les choix de découpage sont les suivants : noter les aller et retour
même si la contribution à un tour est non verbale (gestes, actes) et même si la
production est minimale sur le plan verbal dans les cas de déictiques (« là »), de
régulateurs (« hm hm », « oui »), de rires, d’hésitations diverses et de bribes plus
ou moins audibles. Il est clair que la transcription n’est que le pâle reflet de l’interaction in situ, l’objectif étant de mesurer le degré d’interactivité entre les partenaires à partir de « tout » ce qui circule entre émetteur et récepteur. Les faits
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vocaux ou gestuels ont un rôle à jouer comparable aux faits verbaux, même si de
manière restrictive, je me contente des données chiffrées ci-après :
Tableau n°2 – La synchronisation interactionnelle
En 2003
Durée de la passation
10 minutes 43 secondes
Tours de rôle
225
Actes de désignation non verbaux 4
Hésitations, pauses remplies
et sons prolongés
Silences
4
Rires
4
Chevauchements
2
En 2004
8 minutes 24 secondes
121
12
8
7
3
-
Antoine doit théoriquement se contenter de choisir, parmi cinq propositions, l’image correspondant au mot annoncé, et cela à propos de 30 images. En
2003, sur les 225 prises de tours comprenant en alternance les interventions de
l’orthophoniste et celles d’Antoine, ce dernier produit quatre fois l’acte de désignation attendu, ce qui ne garantit pas pour autant l’adéquation référentielle en
termes de liens sémantiques ; sinon il désigne l’image 16 fois en parlant, criant,
« gloussant », ou en tapant sur les images. En 2004, on compte moitié moins de
tours, Antoine réalise 12 actes de désignation non verbaux, il produit des pauses
qui signalent sa réflexion et non plus sa précipitation à être dans l’agir, le
silence est également mieux géré, les chevauchements semblent avoir disparu.
Tout en adoptant une attitude de prudence, face aux marqueurs repérés « à
l’oreille », le comportement interactionnel d’Antoine est tout à fait différent. La
passation d’un test contribue à vérifier la capacité à entrer dans un script et à
épouser un rôle interactionnel dont on mesure ainsi la synchronisation, et de
manière complémentaire les structures d’échange.
Deuxième élément d’analyse : Les échanges d’un point de vue structurel
Si je me réfère à la conception de Kerbrat-Orecchioni (1990), lors d’une
interaction à deux participants, l’échange est l’unité de base composée d’au
moins deux interventions liées par un processus d’enchaînement. Sur cette base,
je distinguerai les échanges canoniques des échanges par cycles plus étendus,
les premiers comportant des échanges binaires et ternaires.
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Sans rentrer dans tous les détails du découpage, voyons quelques
exemples dans le corpus.
• Les échanges binaires
L a p a i r e a d j a c e n t e o u f o r m a t « i n i t i a t ive / I / - r é a c t i o n à
l’initiative /R/ » devient concrètement : « montre-moi X » et l’enfant réagit
soit de manière non verbale en montrant directement, soit de manière vocale
en variant sa voix, ou bien encore de manière verbale en commentant sa
désignation.
Les trois sortes de réactions peuvent se combiner ou exister de
manière isolée, comme dans l’extrait suivant où Antoine réagit verbalement
et gestuellement.
EXTRAIT 3 : séance 2003 - en début de test
27 O
là je te demande de montrer un parapluie /intervention initiative I/
28 A
là (tape sur l‘image) /intervention réactive R/
29 O
là je te demande de me montrer un chapeau /intervention initiative
I/ […]
• Les échanges ternaires
Le format binaire précédent est complété par une troisième intervention
de type « accusé de réception, commentaire, mise en écho » et devient : « initiative /I/ - réaction à l’initiative /R/ - évaluation /E/ ». Le « très bien », qui valide
la réponse d’Antoine, illustre ce fonctionnement.
EXTRAIT 4 : séance 2004 - en début de test
5 O
on continue (.) est-ce que tu peux montrer le parapluie /intervention initiative I/
6 A
désignation /intervention réactive R/
7 O
très bien (.) /intervention évaluative E/ on continue […]
• Les échanges par cycles
A partir d’une initiative portant sur la requête de désignation /I1/, l’enfant offre une réaction /R1/ inadéquate entraînant une deuxième initiative de
la part de l’orthophoniste /I2/ qui va produire une deuxième réaction chez
l’enfant /R2/, ce processus pouvant se répéter jusqu’à /In/ et /Rn/ en incluant
si besoin des interventions évaluatives /E/ en fin de cycle. Dans le corpus,
l’extrait 5 comporte deux aller et retour, l’exemple 6 en comporte quatre, les
cycles repérés allant jusqu’à neuf aller et retour avant d’aboutir à une évaluation qui va clore l’échange.
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EXTRAIT 5 : séance 2003 – suite de l’extrait 3
29 O
là je te demande de me montrer un chapeau /intervention initiative I1/
30 A
OUI CHAPEAU /intervention réactive R1/
31 O
ben tu me le montres /intervention initiative I2/
32 A
là /intervention réactive R2/
33 O
d’accord (.) /intervention évaluative E/
euh:::maintenant je te demande […] /nouvelle intervention
initiative d’un nouvel échange/
EXTRAIT 6 : séance 2003
79 O
et maintenant […] regarde bien là (.) tu me montres où est-ce qu’il
y a s’habiller /I1/
80 A
OUI (fort) /R1/
81 O
oùÊ /I2/
82 A
(tape) là /R2/
83 O
attends regarde comme il faut là (.) s’habiller /I3/
84 A
là /R3/
85 O
faut bien faut bien regarder tous les dessins (.) jusqu’à la fin (.)
c’est où s’habiller /I4/
86 A
là::: /R4/
87 O
bon alors […] /E/
• Les échanges tronqués
Parfois une initiative n’est pas reprise dans les échanges, cette intervention n’entraîne pas un enchaînement mais une autre initiative prend le pas sur
elle. On repère ainsi des initiatives « à fonds perdu », non réinvesties dans le
cours des échanges, par exemple les deux tentatives d’Antoine ci-dessous.
EXTRAIT 7 : séance 2003 – Antoine s’adresse à l’orthophoniste par son
prénom
148A
(rire) Inès /I1/
149O
oui /R1/
150A
tu tu tu /I2/
151O
=on va terminer les images d’accord et après tu me demandes […]
Sur cette base méthodologique, le corpus a été entièrement découpé en
partant des interventions initiatives de chaque interlocuteur, ce qui donne les
résultats suivants :
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Tableau n°3 - Les différents types d’échanges à l’initiative de l’orthophoniste
25
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E c h a n g e s b i n a i re s
15
E c h a n g e s t e rn a i re s
10
Echanges par cycles
E c h a n g e s t ro n q u é s
5
0
Orthophoniste - 2003
Orthophoniste - 2004
Tableau n°4 - Les différents types d’échanges à l’initiative d’Antoine
25
20
E c h a n g e s b i n a i re s
15
E c h a n g e s t e rn a i re s
10
Echanges par cycles
E c h a n g e s t ro n q u é s
5
0
Antoine - 2003
Antoine - 2004
La comparaison des types d’échanges entre 2003 et 2004 conduit à différentes remarques.
A l’initiative de l’orthophoniste, on constate :
- une augmentation des échanges binaires prouvant que la paire adjacente
« montre-moi / désignation » est davantage intégrée par Antoine,
- une augmentation des échanges ternaires induisant le fait que la triade
« montre-moi / désignation / accusé de réception » est également davantage
maîtrisée par Antoine,
- une diminution des cycles démontrant que les négociations diverses (sur le
sens, sur la forme, sur l’activité en cours, etc.) diminuent au profit des
échanges binaires ou ternaires,
- une diminution des échanges tronqués, par conséquent la communication
« à fonds perdu » diminue au profit des interventions réussies.
En ce qui concerne les échanges à l’initiative d’Antoine, les conclusions
vont dans le même sens :
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- la diminution de toutes les catégories d’échanges montre que, globalement,
Antoine initie trois fois moins d’échanges, il est donc davantage dans son
rôle de récepteur impliqué par la désignation d’images,
- la disparition des cycles confirme le fait que les sujets introduits par
Antoine et entretenus par des négociations ont disparu,
- la quasi-absence d’échanges tronqués aboutit, comme précédemment, à une
communication « à fonds perdu » qui disparaît.
En 2004, on peut faire l’hypothèse qu’Antoine est dans une anticipation
et une « pré-programmation » de la tâche qui devient source de sécurité ; sa
position dans l’interlocution n’est donc plus la même. Cette posture favorise une
double compétition, celle qui est destinée ici à fournir des bonnes réponses (le
score passe de 33 à 40), et celle qui augmente sa connaissance du script.
En conclusion, ce type d’analyse prouve l’adaptation d’Antoine à cette
situation d’interaction particulière, adaptation qui alimente l’hypothèse de Bernicot, Laval & Ervin-Tripp (2002) selon laquelle, par l’analyse pragmatique, on
évalue un « modèle local d’apprentissage et de fonctionnement ».
Le langage spontané et la gestion émergente de l’interaction
Autrement dénommé parole « intersticielle » (Grosjean & Lacoste,
1999), le langage spontané recueilli en cours de bilan, se détache des finalités
liées à la tâche en cours. Cette parole « hors script » est véritablement remplie d’intérêts divers et variés, inédits à chaque nouvelle intervention.
Antoine prend alors sa place d’émetteur-récepteur grâce à une relative symétrie des rôles conversationnels (Traverso, 1996). A ce moment-là, il accueille
les réactions de l’orthophoniste soit par une évaluation, soit par une réaction
qui débouchera, pour sa part, sur une nouvelle initiative jouant alors pleinement son rôle de locuteur. Il ouvre ainsi toute une suite de paradigmes possibles au niveau des réponses.
Pour compléter l’analyse structurelle, d’aspect plutôt mécanique, les
extraits de langage spontané vont permettre d’approfondir le côté fonctionnel au
sens où Rondal (1983) le décrit, en comptabilisant deux types de productions :
Antoine plutôt émetteur dans les écholalies et auto répétitions, Antoine plutôt
interlocuteur dans les échanges de demande de confirmation et les échanges
métacommunicatifs.
• Les écholalies et persévérations
Dans cette catégorie figurent soit le mimétisme d’Antoine par rapport à la
formule initiative de l’orthophoniste (tours 34 et 36 de l’extrait 8), soit la persévération sur un énoncé qui revient sans arrêt (tours 209, 215 et 217 de l’extrait 9).
151
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EXTRAIT 8 : séance 2004 : à propos du mot « s’habiller »
29 O
est-ce que tu peux montrer ici s’habiller
30 A
euh : là
31 O
très bien
32 A
tout à poil
33 O
(rire de l’examinateur)
34 A
est-ce que tu me montrer (écholalie)
35 O
attends
36 A
le bâton
EXTRAIT 9 : séance 2003 : à propos du mot « scie »
206O
[…] là je voudrai que tu me montres éclabousser
207A
(éclamoussé ?) c’est là (tape) c’est là (éclamoussé ?)Ê
208O
voilà après là est-ce que tu peux me montrer un canif (.) où est-ce
qu’il y a un canifÊ (2sec.)
209A
on joue à un jeu aprèsÊ
210O
on a presque fini plus que trois (.) est ce que tu peux me montrer
où est le potageÊ
211A
le potageÊ
212O
oùÊ où est-ce qu’il y a du potageÊ
213A
(tape)
214O
Et là où est-ce qu’il y a une jonquilleÊ
Silence de 7 secondes
215A
on fait un jeu aprèsÊ
216O
oui et là
217A
on joue là ou en basÊ
218O
on a fini c’est le dernier on joue là et là montre-moi où est-ce que
tu où est-ce qu’il y a bailler
219A
oui c’est là bailler […]
• Les auto répétitions du mot demandé
C’est le processus que l’on repère au tour 207 de l’extrait précédent
quand Antoine répète le mot annoncé et enchaîne directement sur la réponse.
• Les échanges de confirmation
Il s’agit d’un échange minimal enchâssé tel qu’il figure aux tours 88 et 89
de l’exemple suivant.
EXTRAIT 10 : séance 2004
87 O maintenant regarde bien tout ça je voudrais que tu me montres
trébucher
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88 A
89 O
90 A
10:52
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trébucherÊ
oui c’est quoi trébucherÊ
(désignation) […]
• Les échanges métacommunicatifs
Les deux interlocuteurs discutent à propos de la communication en cours,
soit pour résoudre un problème, soit pour confirmer sa résolution, par exemple :
EXTRAIT 11 : séance 2004
91 O […] est-ce que tu peux me montrer châteauÊ
92 A château il est là (désignation)
93 O tu me montres là château
94 A là (désignation)
95 O ah ben alors tu veux me montrer celle-là ou celle-làÊ
96 A celle-là
97 O bon ::: d’accord (.) t’avais vu ton erreur hein
98 A ouais
99 O ça ressemble plus à un château tu as raison heinÊ […]
Tableau n°5 – Les échanges d’un point de vue fonctionnel
Moments de langage spontané
Echolalies et persévérations
Auto répétitions
Echanges de demande
de confirmation
Echanges métacommunicatifs
En 2003
4 (Danièle, le bénard,
le marteau, le bruit de
la scie et de la perceuse)
8
15
2
En 2004
2 (« A poil », les bêtises)
1
2
1
9
3
La comparaison des résultats met en évidence tout d’abord moins de
moments de langage spontané en 2004 qu’en 2003. C’est un résultat positif dans
le sens où c’est la réaction attendue, conforme à la passation d’une telle
épreuve. On constate la quasi-disparition des écholalies et persévérations, une
nette diminution des auto répétitions qui pouvaient être analysées chacune
comme des expressions émotionnelles peut-être liées à l’angoisse d’une situation inhabituelle, ce qui n’est plus le cas en 2004. Les chiffres ne sont pas assez
conséquents pour argumenter l’augmentation des échanges de demande de
confirmation et les échanges métacommunicatifs, cela dit l’hypothèse explica-
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tive serait celle d’un assouplissement de la conduite communicative d’Antoine
dans le sens d’une co-construction de la situation avec sa partenaire.
♦ Quelques éléments de conclusion
L’intérêt de l’approche pragmatique est majeur pour la clinique orthophonique. D’un point de vue général, ce travail suggère que la compréhension des
habiletés pragmatiques relève d’une double approche : externe (abord situationnel) et interne (structures et fonctionnalités des échanges, contenus thématiques). Il est possible ainsi de :
• repérer des buts communicatifs et leurs effets sur les interlocuteurs en s’attachant au rôle de la situation matérielle et institutionnelle,
• décrire les ajustements nécessaires au partage du sens (temporels, intersubjectifs, etc.) en rapport avec la synchronisation, l’organisation des échanges
et la réponse aux attentes,
• percevoir la singularité d’un univers mental malgré un rapport aux intentions de communication énigmatique.
Dans cette réflexion, les références psychologiques rencontrent les travaux linguistiques : encore un exemple de la nécessaire interdisciplinarité quand
on évolue dans un courant aux eaux mêlées tels que celui de l’interactionnisme
(Winkin, 1981).
Le dernier mot sera laissé à Antoine. A propos d’une nouvelle histoire
que nous sommes en train d’inventer avec d’autres enfants de l’institution et
l’une de leurs éducatrices, nous avons eu besoin de dessiner une maison. Lors
d’un début de séance, destiné à se rappeler le travail en cours, je pose la question : « pourquoi avons-nous dessiné une maison ? » Et Antoine, sûr de lui, me
répond : « parce qu’il y a des portes ! ». Sans commentaire bien sûr, il reste à
trouver les clés.
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Annexe :
PRINCIPALES CONVENTIONS DE TRANSCRIPTION
tours de rôles numérotés en fonction des interlocuteurs : O pour orthophoniste, A pour
Antoine
(.) (..) pauses respiratoires inférieures à
Ê intonation très montante
1 seconde
(x sec.) pauses chronométrées
- césures
silences entre les tours chronométrés
[...] coupure du transcripteur
caractères gras pour les sons ou mots mis texte souligné pour un passage retenu
en relief
pour l’analyse
: allongement de certains sons
(texte en italique) activité,
posturo-mimo-gestualité
variations d'intensité en lettres majuscules (inaudible) message impossible à identifier
= enchaînement rapide entre deux tours
( ?) message plus ou moins identifié
[chevauchement
/ / Interventions
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Les précurseurs pragmatiques de la communication chez les bébés
Marie-Claude Leclerc
Résumé
Le but ultime du développement du langage est sans contredit de pouvoir communiquer.
Produire des sons, des syllabes, des mots n’a aucune valeur si l’enfant ne peut les utiliser
dans un but réel de communication. Au cours de la première année de vie, plusieurs précurseurs ont avantage à être reconnus et stimulés pour prévenir un éventuel retard de langage.
Parmi les précurseurs sémantiques, formels et pragmatiques, ces derniers semblent être
déterminants sur le développement de la communication des jeunes enfants. À Québec, une
gamme de services et d’outils concrets axés sur la promotion et la prévention permet d’intervenir précocement de façon efficiente auprès des tout-petits.
Mots clés : pragmatique, précurseur à la communication, prévention, évaluation, intervention.
Pragmatic Precursors in Infants
Abstract
The ultimate goal of language development is without any doubt to be able to communicate.
The production of sounds, syllables or words is meaningless if the child cannot use them for
communicational purposes. The recognition and stimulation of several precursors during the
child’s first years of life is of importance in the prevention of delays in language development. It is the pragmatic precursors more than semantic and formal ones that seem to have
a key role in the development of young children’s ability to communicate. In Quebec, a
variety of services and concrete tools centered on promotion and prevention allow for early
and efficient intervention with very young children.
Key Words : pragmatics, prelinguistic communication precursors, prevention, assessment,
intervention.
Rééducation Orthophonique - N° 221 - avril 2005
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Marie-Claude LECLERC, M.O.A.
Orthophoniste
Centre de santé et de services sociaux de
Québec-Nord / CLSC Orléans
3666, chemin Royal
Beauport (Québec)
Canada G1E 1X5
[email protected]
♦ La pragmatique, le déclencheur de la communication
D
ès la naissance, les bébés sont en contact avec leur environnement extérieur. Ils ont l’opportunité d’entrer en communication avec les personnes significatives de leur entourage. Très tôt dans le développement,
des règles tacites s’instaureront dans la communication selon les réponses que le
poupon recevra de ses parents. À l’inverse, les comportements communicatifs
des parents seront influencés par les réponses ou l’absence de celles-ci notées
chez le bébé. Il s’agit là des bases de la pragmatique qui risquent d’entraîner un
effet déterminant sur les étapes ultérieures du continuum de la communication.
La pragmatique est l’une des dimensions les plus importantes chez l’enfant de
moins d’un an, les divers précurseurs qui la composent sont les éléments déclencheurs du développement de la communication.
♦ Les précurseurs pragmatiques à considérer chez le bébé
Au cours des premiers mois de vie, le bébé manifeste des comportements
dont la valeur communicative est souvent donnée par l’adulte attentif qui leur
attribue une signification selon le contexte. Au stade de la communication pré
intentionnelle ou stade « perlocutoire » (Bates, 1976), les actes du nourrisson ne
seraient pas posés intentionnellement, mais ils produiraient tout de même des
effets de nature communicative par l’interprétation que l’adulte en fait. Au stade
illocutoire (McLean, 1990), il est reconnu que les actes communicatifs du bébé
seraient réalisés de façon intentionnelle pour obtenir un effet sur son environnement. Selon les théories et les courants de pensée, des variations dans le
moment précis d’apparition des intentions de communication chez le bébé sont
notées. Ce qui importe avant tout, c’est que l’adulte prenne l’habitude d’interpréter régulièrement les gestes et les sons du bébé dès la naissance pour lui permettre d’apprendre à utiliser les indices non-verbaux et vocaux de façon prag-
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matique pour manifester ses intentions de communication. Dans une approche
préventive clinique, cette habileté développée tôt chez le parent aura une portée
considérable sur le développement et la stimulation du langage de l’enfant.
D’abord centré sur lui-même, le bébé communiquera à propos de ses
besoins physiques, affectifs et de ses états. Outre les cris, appartenant davantage
aux précurseurs formels, un des premiers signes pragmatiques à apparaître chez
le bébé est l’établissement du contact visuel avec le parent. Le bébé développe,
dès la naissance, des comportements d’attention à son partenaire (Adamson et
Chance, 1998). Selon le contexte, il apprendra à maintenir ce contact comme
signe d’interaction entre lui et son interlocuteur. Le bébé dont le développement
de la communication est harmonieux s’intéressera au message verbal utilisé par
l’interlocuteur, puis graduellement portera son intérêt sur les jouets. À partir de 6
mois, il développera sa capacité à maintenir une attention conjointe centrée sur
les objets avec plusieurs partenaires sociaux (Adamson et Chance, 1998). Bruner
(1981) établit d’ailleurs un lien entre le développement de l’attention conjointe
qui serait préalable à l’habileté à se centrer sur un sujet et apprendre à élaborer à
ce propos. Indirectement, le fait de pouvoir soutenir cette attention sur un jouet
amènera l’enfant à l’explorer et lui permettra d’en découvrir le fonctionnement,
il s’agit de la mise en place d’un précurseur sémantique d’importance.
Les gestes, les cris, les vocalisations, le babillage, les sourires, les rires, le
pointage et l’imitation sont des précurseurs formels au développement du langage étroitement reliés à l’émergence des précurseurs pragmatiques. En effet, le
jeune enfant qui apprend à initier et s’engager dans la communication par
l’échange de tours de rôles, de tours de parole, actualisera ces précurseurs pragmatiques à l’aide de gestes, de vocalisations ou de babillage. Le contact visuel
établi, l’intérêt au jeu présent, la référence conjointe doit être encouragée et soutenue puisqu’elle est essentielle à la transition vers le langage (Tomasello 1995,
cité par Adamson et Chance, 1998) et est décrite comme l’indicateur le plus
important des intentions à communiquer du bébé (McCathreen et collaborateurs,
1996). Au-delà de ces éléments, l’analyse de nombreuses bandes vidéos d’enfants de 2 et 3 ans présentant des problèmes de langage, tend à nous démontrer
que l’alternance du regard entre l’objet et le parent est souvent absente ou très
peu fréquente. Une intervention de guidance bien ciblée auprès de ces parents
permet un changement significatif sur le développement langagier. Ces observations nous amènent de plus en plus à inciter les parents des bébés de 6 à 18 mois
à encourager l’enfant à regarder en alternance le parent qui lui parle et l’objet ou
le jouet suscitant son intérêt. Ce précurseur pragmatique est, d’après nous,
déterminant sur le babillage intentionnel, l’imitation verbale et l’émergence du
langage oral.
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Schéma : les précurseurs de la communication
Les précurseurs pragmatiques servent de plateforme à l’émergence des précurseurs formels
et sémantiques dans le développement d’une véritable communication.
L’ensemble des précurseurs pragmatiques mentionnés précédemment permet l’émergence des fonctions suivantes : les requêtes, les demandes et les protestations facilement observables vers l’âge de 9 mois. Bien qu’essentiel au
développement d’une véritable communication chez les enfants de moins d’un
an, les précurseurs pragmatiques se développent de façon interactive avec les
précurseurs formels et sémantiques. Plusieurs recherches ont démontré des liens
entre ces trois composantes, dont McCathreen et collaborateurs (1996) qui avancent que la quantité de vocalisations (précurseur formel) à tous les stades, mais
particulièrement lors du babillage canonique, permettrait de prédire l’ampleur
du vocabulaire ultérieur (sémantique) et l’abondance de la communication verbale (pragmatique). Concevoir la communication préverbale sous cet angle,
constitue l’un des principes sous-jacents à notre intervention en prévention chez
les bébés. Nous favorisons ainsi, par exemple, l’augmentation du babillage par
la mise en place d’attitudes pragmatiques de stimulation de la part du parent,
pour entraîner une amélioration sur le développement de la communication verbale ultérieure de l’enfant.
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♦ L’éducation des parents et des intervenants en petite enfance, une
clé de la prévention
Les habiletés langagières sont le meilleur indice prédictif de la réussite
scolaire (Rossetti 2002). Les conséquences néfastes des problèmes de langage
et de communication sur le développement des enfants sont notamment des difficultés d’adaptation sociale et des troubles d’apprentissage. En effet, les
recherches démontrent que les enfants présentant des problèmes de langage sont
plus nombreux à vivre des difficultés dans leurs relations sociales et des difficultés d’apprentissage scolaire (Prizant & al., 1990 ; Rice & al., 1993 ; Nessim &
al., 1994 ; Baker & Cantwell, 1982 ; Silva, Williams & McGee, 1987). On évaluerait à 50 % la proportion d’enfants qui présentent des problèmes de langage
et qui développent conséquemment des problèmes de comportement et des problèmes socio affectifs. Alors que 80% des enfants en difficulté d’apprentissage
présenteraient à la base un problème de langage oral (Ehren, Lenz, 1989). La
mise en évidence de ce lien si important entre les habiletés du langage oral et
l’apprentissage du langage écrit appuie fortement la nécessité d’identifier tôt les
retards de langage et d’intervenir au moment approprié. Dans la société actuelle,
la communication est essentielle pour entrer en relation avec les autres, pour
apprendre, pour s’intégrer au monde du travail, à la société et faire valoir ses
droits. Face à cette réalité, il devient essentiel de sensibiliser la population à ces
données, d’intervenir en amont des problèmes de communication, d’implanter
des mesures préventives régionales et provinciales pour contrer ses difficultés en
optimisant le développement communicatif de chaque enfant.
Les retards dans le développement de la communication sont le symptôme le plus commun aux troubles de développement des enfants de moins de 3
ans, affectant environ 5 à 10 % de la population. Rossetti (2001) ajoute même
que l’incidence de présenter un retard de communication serait nettement plus
élevée chez les bébés dont des « facteurs de risque établi » sont relevés. Selon
Paul (2001), les enfants à risque d’un problème de développement présentent
par le fait même un risque spécifique de déficit langagier. L’ensemble de ces
données vient appuyer la nécessité de porter une attention particulière au développement et à la stimulation des précurseurs à la communication chez le bébé.
Rejoindre l’ensemble de cette clientèle peut paraître difficilement réalisable, c’est pour cette raison que l’éducation des parents et de la communauté
d’une manière universelle nous est apparue une excellente voie pour agir efficacement. Informer les parents, les professionnels de la santé, les intervenants en
petite enfance, des manifestations des précurseurs essentiels à la communication
des bébés. Les former à reconnaître au quotidien les signes de communication
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du jeune enfant pour pouvoir y répondre sont des moyens simples et prometteurs qui devraient être accessibles à la population. Les rencontres « Bébé communique-t-il? », dispensées depuis sept ans dans la région de Québec permettent, en plus d’éduquer la population sur le développement harmonieux des
précurseurs à la communication, d’acquérir des habiletés pour bien les stimuler.
Prendre l’habitude de parler à son bébé, d’adapter son niveau de langage, de
décrire ce qu’il fait, de le regarder lorsqu’on s’adresse à lui, d’encourager les
tours de rôle, de favoriser les vocalisations et le babillage, alors que l’enfant ne
présente pas encore de signes manifestes de difficultés langagières, créent des
conditions idéales pour faciliter le développement de la communication du bébé
en interaction avec ses parents.
Dans une approche de promotion et de prévention, un des rôles de l’orthophoniste est de rendre les proches de l’enfant conscients du développement
normal des précurseurs à la communication qu’ils soient pragmatiques, sémantiques ou formels. C’est à partir de ce moment que l’adulte pourra ajuster
consciemment ses réponses et sa stimulation selon le développement du bébé.
Un des effets souvent notés chez les parents, suite aux rencontres « Bébé communique-t-il? », est l’ajustement des attentes des parents envers le bébé. Certains n’ayant aucune attente spécifique en regard de la communication n’y portent pas attention et n’encouragent pas le bébé à se développer. Tandis que
d’autres, s’attendant à ce que le bébé soit calme, s’empresseront d’éteindre tous
les pleurs, vocalisations ou cris à l’aide de la sucette. Des changements de comportements sont notés chez les parents ayant participé à ces rencontres, comme
la diminution de l’utilisation de la sucette, l’augmentation des verbalisations des
parents à l’égard du bébé, davantage d’échanges communicatifs verbaux et non
verbaux, une meilleure interprétation des comportements communicatifs du
bébé. L’orthophoniste doit également transmettre aux parents les stratégies de
stimulation à privilégier, présenter les types de jouets à employer, les livres à
exploiter pour favoriser le développement de la communication.
Les milieux vulnérables dont le risque est plus élevé de présenter un
retard de langage et d’adopter des attitudes moins favorables au développement
optimal du langage se doivent d’avoir accès à des mesures préventives adaptées
à leur situation. Leurs modes d’apprentissage étant différents, le contenu et la
forme ont avantage à être modifiés. De plus, les probabilités sont plus élevées
d’avoir des difficultés à créer le lien d’attachement entre le parent et le poupon
dans ces familles. L’atelier « Doux massages et douces paroles » est une activité
concrète et adaptée à la clientèle de milieux plus démunis. Sous l’angle des précurseurs à la communication, elle permet d’expérimenter, dans une ambiance
très conviviale de massage, des activités pragmatiques entre le parent et le bébé.
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Les résultats sont observables en temps réel, tant au niveau de l’émergence des
précurseurs à la communication que des nouveaux comportements adoptés par
le parent. Des situations quotidiennes illustrant des interactions entre le parent et
le bébé, tirées de la trousse « Les Apprentis au pays de la communication »,
offrent un excellent support à l’animation auprès de ces groupes.
♦ L’évaluation des précurseurs à la communication chez le bébé
Pour favoriser le développement optimal de l’enfant, il est impératif
d’identifier précocement les délais dans la communication des bébés et des très
jeunes enfants (Rossetti 2001). Le bébé à risque de développer un retard de langage, chez qui un délai dans l’émergence des précurseurs à la communication
est identifié, requerra une intervention. Ses parents, sa famille, les personnes
significatives de la communauté en lien direct avec lui auront avantage à être
mis à profit en modifiant certaines interactions entre eux et le bébé pour faciliter
à ce dernier l’acquisition de certaines habiletés.
Selon notre expérience clinique, l’éducation des parents et personnes
significatives contribue à l’identification précoce des enfants susceptibles de
présenter un déficit au plan des précurseurs pragmatiques. Une intervention,
parfois même ponctuelle, suffira à permettre de rétablir le processus de communication entre les deux partenaires (adulte et bébé) et faciliter la poursuite du
développement. Il est de la responsabilité de l’orthophoniste de veiller à ce que
la communauté (parents, intervenants en petite enfance, professionnels de la
santé) soit consciente de l’importance du développement et de la stimulation des
précurseurs à la communication chez le bébé, de s’assurer que l’environnement
soit favorable à son développement. Nelson (1998) rapportait que les très jeunes
enfants au stade prélinguistique qui n’ont pas été identifiés à la naissance, mais
dont le risque de présenter un retard de langage est établi (ex. : surdité non identifiée à la naissance, déficience intellectuelle sans signe physique, autisme), ne
reçoivent pas l’intervention appropriée en regard de la communication puisque
malheureusement bien souvent les professionnels ne connaissent pas les besoins
spécifiques en regard des précurseurs à la communication dans la première
année de vie de ces enfants. Et pourtant un programme d’éducation universelle à
visée préventive peut faire la différence, selon nous.
Tout comme le mentionnait Rossetti (2001), il nous paraît plus profitable
d’intervenir selon un modèle à visée éducative plutôt qu’un modèle médical. Au
cours de nos vingt dernières années d’intervention auprès des petits, l’observation de l’évolution des enfants suivis tend à démontrer qu’il semble inefficace
de centrer les services sur des évaluations approfondies en vue d’obtenir un
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« diagnostic » précis étant donné la grande variabilité du développement de la
communication en bas âge et surtout en raison de l’importance de rétablir tôt les
processus non fonctionnels pour permettre à l’enfant de poursuivre son développement sur des bases plus solides. Cet autre principe est par conséquent sousjacent à notre intervention, il nous amène à concevoir l’évaluation comme un
processus dynamique d’amorce à l’intervention.
L’évaluation de la communication d’un bébé ne peut se faire de façon réaliste sans la participation directe ou indirecte des parents et personnes significatives. Crais (1995) insiste sur cet aspect et fait valoir l’importance d’observer la
dyade « parent-enfant » dans un contexte naturel de jeu et à l’intérieur des routines quotidiennes. Étant donné le caractère très particulier de ces évaluations, au
sein des Centres locaux de services communautaires (CLSC) de la région de Québec, nous privilégions une procédure informelle d’observation avec des mises en
contexte, accompagnée d’une entrevue avec les parents et autres partenaires significatifs. Notre grille d’évaluation des précurseurs à la communication et des stratégies utilisées par l’entourage est par la suite complétée dans le but de dresser le
portrait des habiletés et des besoins du bébé et de ses parents. Une anamnèse réalisée auprès des parents permet également de relever les facteurs de risque de difficulté durable qui pourraient influencer notre intervention. Toutefois, dans une
approche populationnelle, seul les bébés inquiétant les parents et les intervenants
seront évalués en orthophonie, les autres bénéficiant d’un service préventif selon
une approche communautaire tel que décrit dans la section précédente.
♦ À la frontière de l’éducation et de la rééducation orthophonique,
l’intervention chez les bébés de 0 à 1 an
Pour certains enfants, les facteurs de risque de présenter un retard de langage sont déjà connus. À ce titre, Rossetti (2001) apportera des exemples relevant d’anomalies d’ordre génétique, neurologique, congénital, métabolique,
sensoriel, toxique, médical et infectieux. Pour d’autres, le risque de présenter un
retard de langage sera proportionnel au cumul de facteurs, comme les complications dans l’histoire périnatale, les antécédents familiaux de retard de langage et
troubles d’apprentissage, la pauvreté, la santé mentale des parents, la consommation de drogues ou d’alcool, le très jeune âge de la mère (adolescente), l’isolement social, les bébés de petit poids, les otites à répétition… Pour ces bébés, il
s’avère important de modeler les interactions entre le parent et le bébé pour
s’assurer d’établir la communication sur des bases positives et renforcer le
parent dans ses réussites afin qu’il s’approprie des façons adéquates d’encourager les actes de communication.
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Pour les bébés de moins d’un an qui nécessitent une aide spécifique en
regard de l’acquisition des précurseurs, l’orthophoniste ayant une vision préventive, sera en mesure d’offrir une guidance appropriée aux parents et à l’entourage proche. Ces services orthophoniques bien ciblés en terme d’objectifs, de
moyens et de modalités se situent, selon nous, à la frontière d’une intervention
éducative et rééducative compte tenu de son caractère précoce. Éviter l’installation d’un déficit langagier ou en minimiser l’impact en empêchant que certaines
difficultés ne se cristallisent est un objectif à prioriser en prévention et une responsabilité sociale.
Ainsi dans notre modèle de services préventifs, suite à l’évaluation orthophonique du bébé qui présente des indices de délai dans l’émergence des précurseurs à la communication, un plan d’intervention personnalisé sera élaboré.
Il impliquera les personnes significatives qui gravitent autour de lui. L’application concrète sera actualisée dans son milieu de vie par les proches de la famille,
supportée par l’intervenante en périnatalité (formée par l’orthophoniste). Selon
les besoins, des attitudes, des jeux et des activités seront suggérés et viseront à
rétablir ou faciliter l’émergence du tour de rôle, de l’attention conjointe, de l’alternance du regard entre l’objet et la personne, des requêtes intentionnelles, de
l’échange verbal par les vocalisations ou le babillage… L’utilisation de la
caméra vidéo lors des évaluations et le visionnement commenté se sont révélés
des modalités très appropriées pour la rétroaction et l’accompagnement des
parents. Par la suite des contrôles sont planifiés aux 3 mois pour suivre l’évolution de la communication du bébé avec son entourage et adapter le suivi au
besoin.
♦ Impact d’une identification précoce d’un déficit des précurseurs
pragmatiques sur le développement global de la communication
Plusieurs enfants diagnostiqués avec un retard ou un trouble de langage,
se révèlent être des enfants pour qui des signes précurseurs de difficulté langagière étaient présents dans la première année de vie. Les informations recueillies
à l’anamnèse menée auprès des parents, parfois appuyée par des bandes vidéos
réalisées par les parents alors que l’enfant était âgé de moins d’un an, confirment la présence de ces indicateurs. Ce constat nous amène une fois de plus à
conclure que l’éducation sur une base communautaire prend encore une fois
toute son importance. Le programme de promotion et de prévention des problèmes de langage, déployé depuis sept ans au CLSC Orléans, a permis de
conscientiser davantage les membres de la communauté. D’une part, la sensibilisation à la reconnaissance de ses signes précurseurs a permis d’abaisser l’âge
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moyen de référence en orthophonie de 4 ans à 29 mois. Par conséquent, l’intervention précoce est maintenant devenue réalité. L’impact est également significatif relativement au nombre d’enfants desservis par ce modèle préventif non
traditionnel : 150 % d’enfants en plus sont reçus en orthophonie comparativement aux données antérieures à l’implantation du nouveau modèle d’organisation de services. D’autre part, la durée des suivis directs est globalement diminuée puisque les familles et la communauté sont mobilisées d’emblée et
formées pour intervenir au besoin. L’intervention précoce est une solution prometteuse, c’est pourquoi il est essentiel d’implanter des mesures préventives
universelles pour la population et des mesures préventives sélectives et indiquées pour les enfants présentant des facteurs de risque.
♦ Des outils de prévention au service des orthophonistes
La trousse « Les Apprentis au pays de la communication » a été spécifiquement conçue à l’intention des orthophonistes oeuvrant dans le domaine de la
prévention et de la promotion. Ce matériel didactique permet à l’orthophoniste
d’agir sur l’environnement plutôt que de prendre en charge l’ensemble des interventions. Le contenu de cette trousse permet la mise en place de nombreuses
activités d’information et de formation à l’intention des parents, des intervenants en petite enfance, des organismes communautaires qui sont appelés à collaborer pour créer un environnement plus favorable au développement du langage chez l’ensemble des enfants.
Des activités pédagogiques sont proposées selon une organisation souple
pour s’adapter et être réorganisées selon les besoins de chacun. « Les Apprentis
au pays de la communication » offre des mesures préventives universelles, indiquées et sélectives qui répondent aux enfants âgés de moins de 4 ans. Cet outil
novateur comprend de nombreuses planches illustrées, transparents pour projection, tableaux, grilles de développement, cahiers reproductibles pour parents.
Plus spécifiquement pour la période comprise entre la grossesse et la première année de vie du bébé, l’activité « La fureur des parents » est proposée en
rencontre prénatale et est destinée aux futurs mères et pères. Les thèmes abordés
sont les suivants : la communication chez le foetus et le nouveau–né, la stimulation du bébé, l’attachement entre le parent et l’enfant, « devenir parents » et le
rôle du père. Par la suite, les parents des enfants âgés entre 0 et 12 mois sont
invités à participer à la rencontre intitulée « Bébé communique-t-il? ». Le développement normal de la communication (0-6 mois; 6-12 mois) et la stimulation
des précurseurs au langage chez les tout-petits y sont présentés de façon dynamique et animée à l’aide d’illustrations couvrant l’ensemble des activités de la
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vie quotidienne, de même que des activités de stimulation proposées dans la
trousse « Les Apprentis au pays de la communication ». Des stratégies de stimulation ont été sélectionnées pour chacune des planches de ce matériel. Celles-ci
sont conçues pour permettre une animation interactive, où les parents sont invités à proposer des énoncés possibles pour compléter les phylactères. Des
affiches publicitaires permettent également de promouvoir le développement et
la stimulation de la communication chez les bébés.
Deux documents audiovisuels sont aussi disponibles : « Bébé communique-t-il ? » conçu spécifiquement pour démontrer le développement et la stimulation de la communication chez les bébés et « Le langage par le jeu » qui
propose de découvrir de nouvelles façons d’utiliser les jouets pour stimuler adéquatement le langage des enfants âgés entre 1 et 4 ans.
♦ Expérimentés depuis 7 ans au CLSC Orléans (Québec)
Notre préoccupation à l’égard des précurseurs à la communication chez
les bébés s’inscrit dans des mesures plus globales de prévention en orthophonie.
En effet, tous les services orthophoniques offerts par notre établissement sont
orientés vers la promotion de stratégies efficaces pour une bonne stimulation
langagière et la prévention des problèmes de communication. Ce modèle d’organisation des services de première ligne en déficience du langage et de la
parole, dont nous sommes les instigateurs, a été déployé par la suite à l’ensemble de la région de Québec. Ce modèle a été conçu pour résoudre les problèmes d’accès aux services cliniques d’orthophonie, pour remédier à l’absence
d’action de nature préventive, aux références tardives vers les services appropriés et à la difficulté à rejoindre les familles vulnérables par des services traditionnels.
Par l’application de ce modèle, nous visons à réduire les conséquences
des problèmes de communication sur le développement global des jeunes
enfants, de même qu’à réduire l’incidence des problèmes de communication
chez les enfants âgés de 0 à 5 ans. Les principes sous-jacents aux actions qui ont
guidé nos choix sont de développer des services préventifs, de rejoindre les
familles vulnérables, de miser sur la compétence des parents, de collaborer avec
la communauté, de privilégier une intervention précoce et de favoriser la continuité des services.
Notre modèle d’organisation de services distingue deux champs d’actions
en première ligne : la prévention et l’intervention précoce. Dans le champ de la
prévention figurent trois types de mesures préventives : les mesures préventives
universelles, les mesures préventives sélectives et les mesures préventives indi-
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quées. La porte d’entrée aux services en orthophonie au CLSC se réalise par la
participation des parents à une activité des mesures préventives universelles ou
sélectives. Parmi les enfants rejoints par ces rencontres, ceux qui présentent des
signes précurseurs de problèmes de communication ont également accès aux
mesures préventives indiquées. Une fois l’évaluation orthophonique réalisée,
une intervention précoce est mise en place pour ceux qui le nécessitent. Des
références à des services spécialisés sont aussi prévues au besoin, tout au cours
du processus.
Désirant agir sur l’environnement, plutôt que de prendre en charge l’ensemble des interventions, nous avons misé sur les liens avec nos partenaires.
C’est ainsi que nous avons conçu et proposé des activités d’information et de
formation à l’intention de nos partenaires (intervenants en petite enfance, médecins, puéricultrices, personnel de l’accueil, intervenants psychosociaux) sur le
développement normal du langage, les indices de problèmes de communication
chez les enfants de moins de 4 ans et les avons sensibilisés aux attitudes favorables au bon développement de la communication. Ces mesures permettent
indéniablement de créer un environnement plus favorable au développement du
langage des enfants du territoire et de rendre ainsi plus facilement accessibles
les services par le biais d’agents multiplicateurs.
♦ Conclusion
Démystifier et rendre accessible l’information relative aux manifestations
des précurseurs pragmatiques et aux stratégies de stimulation sont un pas vers le
développement optimal de l’enfant. Assurer aux bébés des conditions favorables
à l’émergence des bases pragmatiques, c’est leur permettre d’accéder plus facilement au langage oral et prévenir les problèmes de communication. D’autant
plus que des études américaines rapportées par Rossetti (2001) indiquent que
pour chaque dollar investi en intervention précoce, six (6) dollars sont épargnés
en services de rééducation à l’âge scolaire. Si l’on redonnait du pouvoir aux
parents et à la communauté, bien informés et bien guidés ils pourraient faire « la
différence » !
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♦ Articles récents en langue française indexés avec le mot clé
pragmatique
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langage(s) ».
♦ Outils d'évaluation
Il existe peu d'outils créés en langue française d'évaluation des habiletés
pragmatiques chez l'enfant. Les outils à visée éthologique d'observation
comportent un axe pragmatique.
ANGELMAN, C. (1999). Mallette pour l'évaluation de l'enfant sans langage.
Dossier de l'Orthophoniste n° 193.
Cible : enfants petits ou sans langage.
Objectifs : A partir d'une interaction à l'aide d'objets et de jouets, observation et
appréciation qualitative des comportements de jeu, d'écoute, d'imitation et d'interaction.
CHEVRIE-MULLER C., SIMON A.M., LE NORMAND M.T., FOURNIER S.
(1988 – 1997). Batterie d'Évaluation Psycho Linguistique - BEPL-B. Paris :
ECPA.
Cible : enfants de 2a9 à 4a3.
Objectifs : A partir d'un jeu interactif (Le bain des poupées), relevé des capacités
d’expression de l'enfant et analyse de l’aspect pragmatique de la communication.
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GUIDETTI, M., TOURETTE, C. (1993). Échelle d’évaluation de la Communication Sociale Précoce (ECSP). Paris : EAP distribué par ECPA.
Cible : enfants de 3 à 30 mois et plus âgés si autistes.
Objectifs : Situations semi structurées de jeu, de conversation ou de jeu de rôle
pour apprécier les interactions sociales, l’attention conjointe, la régulation du
comportement.
Il existe des traductions libres d'outils créés en langue anglaise.
SCHULMAN Brian B. (1986). Test of Pragmatic skills. Tucson : Communication Skills Builders.
Traduit par A. MONPETIT, Mémoire d’orthophonie, Montréal : Hôpital Sainte
Justine, 1993.
Étalonné en Français par C. Marc et F. Francpourmoi, mémoire d'orthophonie,
Paris, 1996.
Cible : enfants de 3 à 8 ans.
Objectifs : Quatre situations conversationnelles standardisées (les marionnettes,
dessin de figures géométriques, conversation téléphonique, construction) : l'analyse des productions du sujet (comportements verbaux ou non verbaux) permet
l'attribution d'un score qui définit un âge de développement.
SIMON C.S. (1980). Evaluation Communicative Competences – E.C.C.
SIMON, C.S. (1980) Suggested Strategies for a functional-Pragmatic Approach
to Language Therapy. Tucson. Communication Skills Builders.
SIMON, C.S. ( 1981) Communicative competence : A Functional- Pragmatic
Approach to Language Therapy. Tucson. Communication. Skills Builders.
Traduit en français part A. VINCENT, mémoire d'Orthophonie; Lille, 1995.
Cible : enfants de 8 à 14 ans.
Objectifs : 21 situations (7 réceptives et 14 expressives) qui permettent de déterminer un score de réussite exprimé en pourcentages.
La grande majorité d'outils sont des grilles d'analyse
des comportements de communication.
ANTHEUNIS P., ERCOLANI F. ROY S. (2054). Dialogoris. Orthophoniste.
Nancy : Com Médic.
Cible : enfants de 0 à 4ans.
Objectifs : Les bilans orthophoniques précoces et la prévention pour l'enfant de
0 à 4 ans et sa famille (dans le dossier de l'enfant : repères par tranches d'âge par
grands domaines : (compréhension et expression non verbale et verbale, motricité, cognitif pragmatique, ...).
BISHOP D.V.M. (1998). Children's Communicative Checklist.
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children. Journal of Child and Psychiatry, 39 6, 879-891.
Traduit et présenté par C. Maillart (2003).
MAILLART, C. (2003). Les troubles pragmatiques chez les enfants présentant
des difficultés langagières. Présentation d'une grille d'évaluation : la Children's
Communication Checklist. Les cahiers de la SBLU, 13, 13-32.
Cible : sujets présentant des troubles du langage à des fins de diagnostic différentiel.
Objectifs : 70 items répartis en 9 sous échelles évaluant les aspects de la structure du langage et de la parole et les difficultés pragmatiques (initiation de la
conversation, langage stéréotypé, utilisation du contexte conversationnel et rapport conversationnel).
COQUET F. (2002). LABO 2002, Paris : FNO – Ortho Edition.
Cible : enfants et adolescents.
Objectifs : Points de repère de développement et Grilles d'évaluation du Comportement non verbal, des Interactions Parents / enfant, des Habiletés pragmatiques.
MANOLSON A. (1997). Parler, un jeu à deux. Comment aider votre enfant à
communiquer. Guide du parent. Toronto : Éditions du Centre Hanen.
Cible : enfants petits (avant 3 ans) ou enfants sans langage.
Objectifs : Grilles à faire remplir aux parents pour relever les situations de communication, le niveau des comportements de communication, les fonctions du
langage.
MONFORT, M., JUAREZ-SANCHEZ, A, MONFORT, I. (2005). PTP : Profil
des Troubles Pragmatiques. D'après la nomenclature de symptômes décrite dans
Les troubles pragmatiques du langage chez l’enfant (Monfort, Juárez et Monfort, 2005, Ortho Edition).
Cible : enfants et adolescents.
Objectifs : Mise en évidence des différentes formes générales de troubles pragmatiques (incidence relative des versants réceptif et expressif, incidence des
symptômes directement liés au langage et à la communication et des symptômes
plus généraux au niveau du comportement).
SCHULER A.L., PECK C.A., WILLARD C., THERMER K. Échelle d'évaluation des compétences de communication.
Traduit par F. Cuny et F. Gasset et présenté dans Glossa n°70, 2000.
CUNY, F., GASSET, F. (2000). Évaluation des capacités de communication verbales et non verbales chez l'enfant autiste. Glossa, 70. 4-14.
Cible : enfants autistes.
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Objectifs : Entretien avec les parents pour évaluer la communication spontanée
(demandes d'affection, d'action, d'objet, protestations, déclarations).
TATTERSHALL, S. (1998). Liste de contrôle du langage pragmatique.
TATTERSHALL, S. (1998).Managing pragmatic language problems. The clinical Connection : a quaterly idea source for the speech and language specialist
working with the young communication. Vol 2.
Traduit par M. Hilton et présenté dans Glossa n°18, 1990.
HILTON M. (1990). Identification et évaluation des différences pragmatiques
du langage. Glossa, 18, 14-20.
Cible : écoliers.
Objectifs : Mesure de la déficience relative de 36 comportements qui se manifestent fréquemment, parfois, rarement, jamais.
WETHERBY, A.M., PRUTTING , C.A. (1984). Grille de profil de communication de l'enfant autiste.
WETHERBY, A.M., PRUTTING, C.A. (1984). Profiles of communicative and
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Adapté par le Pr Livoir Petersen, Montpellier.
Cible : petit enfant.
Objectifs : Inventaire de comportements en interaction pour mettre en évidence
les actes de langage.
♦ Matériel de rééducation
On peut recenser :
- des outils à visée d’information et de formation des parents, personnels
petite enfance pour les inciter à entraîner les habiletés pragmatiques,
- des propositions pour utiliser des exercices ou des situations de jeu sous
l'angle de la pragmatique,
- quelques exemples de matériel spécifique.
COQUET F, 2004. Troubles du langage oral chez l'enfant : Méthodes et techniques de rééducation - Chapitre 4. Isbergues : Ortho Edition.
Cible : enfants et adolescents présentant un trouble du langage oral.
Objectifs : Recensement de méthodes et techniques de rééducation à visée
pragmatique.
DERIKSON B., JOHNSON A., BOOTH E. (1986). A Sourcebook of Pragmatic
Activities (grades PK-6 years ). Tucson. Communication. Skills Builders. 1986.
Traduction libre.
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Cible : enfants de 6/7 ans.
Objectifs : Recueil d’activités sur supports verbaux ou d’images.
HOSKINS, B. (1987). Conversations : Language intervention for adolescents.
Tucson : DLM Teaching resource. One DLM Park.
Plan d'intervention traduit par Hilton et présenté dans Glossa n°18, 1990.
HILTON M. (1990). Identification et évaluation des différences pragmatiques
du langage. Glossa, 18, 14-20.
Cible : adolescents.
Objectifs : Plan d’intervention pour entraîner les habiletés conversationnelles.
LECLERCQ, M.C. (2002). Les apprentis au pays de la communication. CLSC
Orléans - Canada.
Cible : parents / intervenants petite enfance – enfants de 0 à 4 ans.
Objectifs : Matériel didactique utilisable par les orthophonistes en session de formation / information : aide à l’observation des composantes du langage (dont la
pragmatique) et à l’acquisition de stratégies de stimulation de la communication.
LECLERCQ, M.C. (2004. Le langage par le jeu. CLSC Orléans - Canada.
Cible : parents / intervenants petite enfance – enfants de 1 à 4 ans.
Objectifs : Document audiovisuel présentant l’utilisation du jeu de façon pragmatique pour stimuler le développement du langage.
LECLERCQ, M.C. (2005). Bébé communique-t-il ? CLSC Orléans Canada.
Cible : parents / intervenants petite enfance – enfants de 0 à 1 an.
Objectifs : Document audiovisuel regroupant des informations sur les précurseurs à la communication chez le bébé.
MONFORT, M., MONFORT-JUAREZ (2001). L'esprit des autres. Madrid :
Entha Ediciones. Distribué en France par Ortho Edition.
Cible : enfants autistes, dysphasiques ou présentant un retard mental.
Objectifs : Fiches permettant d’entraîner la compréhension / expression de certaines habiletés d’interprétation pragmatique de situations représentées visuellement.
MONFORT, M., JUAREZ SANCHEZ, A. (2001). Pragma. & Syntax Madrid :
Entha Ediciones. Distribués en France par Ortho Édition.
Cible : enfants (et adultes) présentant une pathologie du langage.
Objectifs : Exercices fonctionnels permettant d’entraîner la communication
référentielle.
RICARD, L. ET TOUSSIGNANT, S. Recueil d'activités pragmatiques.
Québec : L'hôtel Dieu de Québec.
Cible : enfants.
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Objectifs : Recueil d’activités sur supports verbaux et imagés pour entraîner
l’axe pragmatique qui vise l’organisation de l’information.
WEINRICH B.D., GLASER A.J., JOHNSON E.B. A sourcebook of adolescent
pragmatic activities. Theory and intervention for language therapy (grades 7-12
years and ESL). Tucson. Communication. Skills Builders.
Traduction libre.
Cible : enfants de 6/7 ans à 12 ans.
Objectifs : Recueil d’activités pour développer les habiletés conversationnelles,.
WEITZMAN, E. (1992). Apprendre à parler avec plaisir. Toronto : Éditions du
centre Hanen.
Cible : jeunes enfants en structure d’accueil.
Objectifs : Programme pour intervenants en lieux d’accueil petite enfance pour
faciliter le développement des compétences sociales et de langage.
♦ Coordonnées de revues orthophoniques et de maisons d'édition
Revues
A.N.A.E. (Approche Neuropsycholinguistique des Apprentissages chez
l'enfant)
PDG COMMUNICATION
30 rue d'Armaillé 75017 Paris
Tel. 01 40 55 05 95
GLOSSA
Revue de l’UNADREO
www.unadreo.org
Abonnements : Ortho Édition
76 rue Jean Jaurès 62330 Isbergues
Les cahiers de la SBLU
Société Belge des Logopèdes Universitaires
22 rue du Village B-5310 Noville sur Mehaigne
Question de logopédie
Union des professionnels Logopèdes Francophones
249 rue du Nouveau Monde B-7700 Mouscron
Rééducation Orthophonique
145 Boulevard de Magenta 75010 Paris
Tel. 01 40 34 62 65
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Revue Enfance
www.revue.enfance.free.fr
Vente et abonnements : Presses Universitaires de France
Département des revues
6 avenue Reille 75014 Paris
Tel. 01 58 10 31 63
Maisons d'édition
CLSC
3666 Chemin Royal Beauport – Québec
G1E IX5 Canada
Com Médic
23 rue Claudot
03 83 32 40 90
54000 Nancy
ECPA (Éditions du Centre de Psychologie Appliquée) diffuseur EAP
25 rue de la Plaine 75980 Paris Cedex 20
Tel. 01 40 09 62 62
www.ecpa.fr
Ortho Édition
76 rue Jean Jaurès 62 330 Isbergues
03 21 61 94 94
www.orthoedition.com
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microfilm ou par tout autre procédé sans l’autorisation expresse des auteurs et de l’éditeur.
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