historique de la restauration de la talbot t120

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historique de la restauration de la talbot t120
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HISTORIQUE DE LA RESTAURATION DE LA TALBOT T120
Commencée en 1990, terminée en 1998
Par Claude Schmitt
La reconstruction de cette épave pillée de Talbot T120 Baby Sport 3 litres de 1936 dura 8 ans
pour 4.500 heures, jusqu'à ce que l'on arrête de compter. Au bout de trois ans de travaux sur le
châssis, qu'il fallut même changer tellement la corrosion était profonde, il devint évident que la
carrosserie ne pourrait en aucun cas être restaurée tellement sa décomposition était avancée. Il
s’agirait de la reconstruire intégralement. Peut-être pourrait-on garder les ailes et le capot. Une
permission de principe fut demandée au Président du Club Talbot d’en profiter pour faire une
carrosserie différente. Le modèle Tourer de 1934/36 dessiné par Figoni et Falaschi pour l’usine
fut retenu.
Un Tourer de 1936, d’origine fut pris comme modèle. Une comparaison de fin de travaux en fit
ressortir l’exactitude. Au démontage de l'épave, autant l’ensemble mécanique suscitait
l’admiration, autant la pauvreté de l’ensemble de la carrosserie incitait à un choix technique
différent. J’avais acquis la connaissance d’une technique américaine pendant ma carrière dans les
bateaux. Il s’agit du «West System». Lamellé de bois tranché imprégné et collé epoxy. En
l’occurrence, le frêne fut choisi et l'épaisseur du tranché de 5/10° de mm. fut retenu. Selon un
«patron gabarit» pré-dessiné sur la première tranche, et après avoir empilé un nombre adéquat de
tranches, la découpe est faite à la scie à ruban. Chaque tranche est imprégnée d’Époxy, et très
légèrement pressée l’une sur l’autre.
L’ensemble est mis en forme sur le gabarit, ou sur la table de travail, assujetti sans trop serrer
pour ne pas faire sortir trop d’époxy. Quatre heures de séchage et la pièce est prête, d'une seule
pièce et sans ajustage, indéformable, indissociable, imputrescible et d’une énorme intégrité. Ce
qui permet d’avoir un ensemble d’une seule pièce sans ces fameux tenons et mortaises dont la
liaison ne dure guère plus que celle des couples modernes, quelques printemps. De plus, une
cornière de 100 x 100, au maître couple, en aluminium de 10 mm d’épaisseur, formant un U
soudé aux 2 angles, assure la rigidité qui s'impose pour une décapotable.
Mon intention première était de limiter ce compromis utilisant des méthodes modernes à cette
seule technique. Or, sur le point de «tôler», la question s’est posée de savoir ce qu'apporterait un
ajout de tôle à cet ensemble fortement intègre et d'une grande inertie. Aucune réponse positive ne
fut trouvée. On peut cependant trouver un inconvénient, mais il est strictement d’ordre
commercial. La valeur de la voiture est peut-être moindre de ce seul fait, même si la qualité
finale est certainement supérieure à l’origine, résistance mécanique, résistance à l’usure du
temps, absence de corrosion, absence de dégradation du bois, absence de déliaison etc...
Après la fin des travaux, la voiture a été pesée à vide, elle fait très exactement le poids indiqué
par le constructeur : 1.450 kg. En 2000, la voiture avait déjà fait 18.000 km. Seul le moteur a
posé des problèmes au point qu'il a fallu le changer. Deux défauts de régulage de la ligne d'arbre
successifs en sont la cause (écaillage du régul, collage en raison d’une chauffe insuffisante, au
lieu de soudage à chauffe suffisante pour une fusion de l’étamage avec le régul). C'est surtout le
défaut d'un technicien qui n'a pas voulu reconnaître sa première faute, et qui l'a évidemment
réitérée la seconde fois.
En résumé, il s’agit donc d’une voiture dont le châssis et la carrosserie ont été changés. Le
châssis est un châssis Talbot du même type et de la même année que la voiture restaurée. Toutes
les pièces sont d’origine Talbot, toutes en provenance du stock de pièces du Club Talbot. Le
nouveau moteur est de la même année et il comporte un embiellage à coussinets semi-minces.
Les quelques pièces manufacturées l’ont été dans les règles de l’art toujours par des
professionnels de la spécialité. Les seules modernisations apportées à part la conception de la
carrosserie sont les suivantes : Un amortisseur de direction Mercedes entre la biellette pendante
et la fusée gauche. Un ventilateur électrique devant le radiateur à commande manuelle, à noter
qu’il s’est révélé tout à fait inutile car il n’y a jamais eu surchauffe. Pompe à essence électrique
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en bi-passe, à noter que seule la pompe mécanique est en fonction. La pompe électrique
commandée au tableau de bord n’est utilisée que pour un amorçage après une longue
immobilisation et en sécurité en cas de problème avec la pompe mécanique, protégée en ce cas
par un clapet anti-retour et une vanne bipasse. Le compte-tour est électronique.
À part mes 4.500 heures de main d’œuvre, il faut compter les interventions professionnelles
extérieures suivantes : Électricité, Peinture, Capote et sellerie accessoire, car la sellerie est
d'origine, elle avait été heureusement retirée de la voiture dès son abandon dans les petits-bois du
Musée de Briare.
Assez extraordinairement l’historique de cette épave a été reconstituée et le pourquoi d’un tel
abandon expliqué par des coïncidences incroyables. Ce qui fait l’objet du prochain paragraphe.
En Juillet 2002, la voiture avait déjà fait plus de trente mille kilomètres et un train de pneus
nouveau avait été monté. L’essentiel étant réalisé, il restait à trouver le pourquoi et le comment
d’une épave. Un concours de circonstances assez invraisemblable me permit de rédiger un
nouveau paragraphe.
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DROIT D'ENTRÉE AU MONDE FASCINANT DE LA VOITURE ANCIENNE
En tous domaines nouveaux pour lui, il semble juste que le commun des mortels s'acquitte d'un
droit d'entrée pour accéder à un niveau de connaissance, en principe proportionné au montant de
la dîme. Encore heureux s'il en tire le profit escompté. Le monde de la voiture ancienne ne
déroge pas à la règle et j'en ai fait l'expérience d'une manière assez spectaculaire. Quelques
années avant la retraite, en 1990, pressentant qu'il conviendrait d'anticiper le développement
d'une activité ludique afin de maintenir un niveau d'activité suffisant et rendre ainsi ladite retraite
plus saine et attractive, je jetais mon dévolu sur l'univers de la voiture ancienne. La nostalgie du
passé aidant, je faisais un bond en arrière de quelque quarante années, époque à laquelle j'étais
petit mécanicien auto chez Ford. Métier-passion que je quittais à vingt-deux ans pour une autre
passion dont l'évocation ici serait hors sujet. Ma première voiture fut une Talbot T 10 alors que
la voiture paternelle était une T 120 Baby Sport. Dès lors le choix talbotiste s'imposait et je me
mettais en quête d'une T 120 à restaurer. Je fus comblé au-delà de toute espérance et trouvais une
épave à la veille du ferraillage. Épave avancée et pillée à l'extrême dont je ne pus récupérer
finalement que quelques pièces : la boîte Wilson, le train avant, le pont et les quatre ailes prêtes à
être ferraillées, à l'exclusion de toutes les autres pièces qu'il me fallut retrouver unes par une
grâce à l'aide efficace de notre ami président du Club Talbot et sa caverne d'Ali Baba de pièces
détachées. Aujourd'hui, je suis heureux de posséder une très belle T120 Baby Sport carrossée en
Tourer avec laquelle j'ai déjà fait 30.000 km depuis sa première sortie en 1998. La question était
cependant restée de savoir si le prix payé était raisonnable. L'analyse du coût global de cette
véritable reconstruction m'amène à répondre par la négative. Un montant parasitaire d'une
quarantaine de milliers de francs subsiste et il convient de l'affecter. La seule rubrique que j'ai
trouvée pour l'inscrire est précisément l'objet du présent article : "Droit d'entrée au monde de la
voiture ancienne". J'ai quelque peu hésité à le coller dans la rubrique : "Prix de vente excessif",
mais je faisais dès lors ressortir ma naïveté, alors je lui préférais le "droit d'entrée".
Pendant longtemps je me suis demandé par quel miracle et concours de circonstances une voiture
pouvait arriver à un tel état de délabrement et de dépouillement. Ce n'est que très récemment et
par une succession de coïncidences invraisemblables que j'obtins la réponse que je vais ici
essayer de vous conter brièvement.
En Septembre 2000, de retour du Rallye Talbot dans la Somme, une bielle choisit de ne pas
continuer le voyage et ma belle Talbot de se retrouver sur le plateau d'infamie du dépanneur
attitré de la section autoroutière d'Abbeville. Pendant les quelques jours d'attente du transporteur
qui devait la ramener à Cannes, elle fut admirée par un ancien fonctionnaire de la gent armée en
retraite, au point qu'il m'écrivit pour me complimenter sur la qualité de la reconstruction et me
dire, en passant, qu'il avait connu cette voiture dans le passé. Cette petite remarque aurait dû
mobiliser toute mon attention, mais ce ne fut pas le cas, tout au plaisir de déguster plutôt le
compliment.
Un an plus tard, pendant le Rallye Talbot de Dax, je tissais des liens particulièrement
sympathiques avec un Talbotiste du Sud-Ouest qui, outre son beau Cabriolet, possédait un coupé
T 120 en restauration. Liens tellement sympathiques que dans les quinze jours qui suivaient
notre retour à Cannes, je recevais un colis de mon nouvel ami, peintre éclairé, contenant une
splendide aquarelle de mon Tourer en action.
Au même courrier, je recevais une lettre de deux pages de mon admirateur Abbevillois contenant
la photo d'un beau coupé T 120 en sortie de grange, impeccable. La lecture de la lettre me
procurait, ligne après lignes, l'étrange sensation que doit ressentir un confesseur.
Il m'expliquait qu'en 1975, cette voiture portant le numéro de série de la mienne, n'avait que
25.000 km et, de surcroît, toujours de première main. Elle était la propriété d'un vieux Monsieur
d'Abbeville qui n'avait plus ni le désir ni les forces de la sortir de sa grange.
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Deux passionnés de Talbot vivaient en cette même ville et en connaissaient l'existence. L'un,
photographe de profession, l'autre, fonctionnaire de la gent armée, sus nommé mon
correspondant et admirateur d'Abbeville. Le photographe avait une épave de T 120 dont il
espérait un jour terminer la restauration. Pour le moment, nous sommes en 1975, ils eurent l'idée
de demander au vieux Monsieur l'autorisation de mettre sa T 120 en état pour la faire un peu
prendre l’air, ce qu'il accepta. Malheureusement il mourut peu après et ses héritiers réclamèrent
le retour de la belle. À ce point du récit, mon correspondant précise qu'en raison de la triste suite,
il se désolidarise de son voisin photographe à qui il n'a plus adressé la parole depuis. Les
héritiers n'obtinrent pas satisfaction car le photographe réclamait au préalable le remboursement
des frais qu'il avait engagé pour mettre la belle en état de servir. Ledit photographe n'obtint pas
satisfaction non plus et se paya derechef sur la bête. Sa propre épave s'enrichit donc des beaux
atours de la T 120 du vieux Monsieur et les héritiers héritèrent d'une T 120 en triste état, et pour
cause mon bon Monsieur, c'est une sortie de grange... Elle fut vendue promptement à un
Monsieur du Touquet pour 3.000 Francs, une misère. Ce dernier s'empressa de la déshabiller un
peu, sellerie et carte grise comprises, ensemble que je devais retrouver plus tard et acquérir pour
un prix solide et consistant. Ensuite, il confia le reliquat à un Musée. Ledit Musée laissa ledit
reliquat moisir dans le petit-bois contigu pendant sept longues années, sous les feuilles dont on
sait qu’elles sont "ferrofages". Voilà bien de quoi expliquer l'état dans lequel je l'achetais en
1990. Mon correspondant Abbevillois terminait, sans le savoir, par une belle cerise sur le gâteau.
... Le photographe abandonna son projet de restaurer son épave "enrichie" et vendit ces belles
pièces... à qui ?... à un Monsieur du Sud-Ouest, celui-là même dont je recevais, le même jour,
une aquarelle de mon Tourer. Voilà bien de quoi renforcer une amitié et la hisser au niveau d'une
quasi-parenté par alliance. Mais que ce monde est petit mon bon Monsieur....
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