La coordination de la petite enfance : une
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La coordination de la petite enfance : une
INTERVENTION SOCIALE La coordination de la petite enfance : une nouvelle fonction relationnelle Olga Baudelot * et Sylvie Rayna * Réalisé à partir d’une enquête auprès des coordonnateurs de la petite enfance employés par les municipalités, cet article dresse le profil de ces nouveaux personnels apparus dans les années quatre-vingt et venant d’horizons différents. Comment se construit cette fonction nouvelle ? En l’absence de cadres précis d’exercice, ce travail montre que cette fonction est partagée entre les diverses identités professionnelles d’origine et la constitution de nouvelles liées aux pratiques quotidiennes de la coordination. Il analyse également l’émergence de représentations et de valeurs qui signent l’évolution actuelle des métiers de la petite enfance. es années quatre-vingt marquent un tournant dans le champ de la petite enfance. Elles voient la prise en compte, dans les travaux gouvernementaux et les textes officiels, d’une évolution des modes de garde (Baudelot, 1992). Elles indiquent également la montée en puissance des communes à qui est confié l’accueil de la petite enfance et l’apparition de nouveaux professionnels, chargés de la coordination de la petite enfance au niveau local. L Cet article décrit l’émergence de cette activité nouvelle de coordination. En tant que fonction de relation et de mise en relation, cette nouveauté constitue une illustration de l’évolution des métiers de l’intervention sociale vers le relationnel. * Institut national de recherche pédagogique – Centre de recherche de l’éducation spécialisée et de l’adaptation scolaire. (1) Voir référence bibliographique Baudelot et Rayna (1999). A partir des résultats d’une étude récente concernant les coordonnateurs municipaux de la petite enfance (1), on analysera les diverses facettes de cette activité. On appréhendera l’influence des cultures professionnelles d’origine dans la conception de l’activité des coordonnateurs. On s’interrogera sur le rôle joué par l’exercice même de l’activité de coordination dans la professionnalisation des coordonnateurs. On essaiera également de dégager les représentations et les valeurs qui sous-tendent leurs pratiques et renseignent ainsi, plus généralement, sur l’évolution contemporaine des métiers de la petite enfance. Le développement et l’appropriation de connaissances nouvelles sur le jeune enfant, l’arrivée de nouvelles générations de parents qui revendiquent à la fois le droit au travail et à la responsabilité parentale ainsi que les transformations progressives impulsées par les personnels et les parents dans les pratiques collectives des crèches ont permis la mise en place d’une nouvelle politique de la petite enfance au début des années quatre-vingt. Il s’agit pour la première fois d’une politique globale s’adressant à tous les jeunes enfants. Elle fait sortir les modes de gardes de la sphère de l’assistance médico-sociale pour un public ciblé. Elle introduit également la notion « d’accueil » qui vient remplacer celle de « garde » 61 RECHERCHES ET PRÉVISIONS N° 61 - 2000 (Norvez, 1990), les parents étant reconnus comme premiers responsables de leurs enfants. Parallèlement, la décentralisation – initiée à la même époque – voit l’accroissement de l’autorité des pouvoirs municipaux. La responsabilité de l’accueil de la petite enfance leur est dévolue, privilégiant ipso facto une politique au niveau d’un territoire. Les communes sont amenées à développer des politiques locales spécifiques répondant à une demande sociale désireuse de concilier vie professionnelle et vie familiale. La prise en compte plus fine de la diversité des situations des familles devient nécessaire. Un dispositif coordonné daccueil de la petite enfance (2) Ces chiffres ont été communiqués lors du colloque « Les coordonnateurs de la petite enfance », organisé par le Secrétariat d’Etat à la famille, la Caisse nationale des allocations familiales, le Centre national de la Fonction publique territoriale, le Fonds d’action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles, la Fédération nationale des associations des familles rurales et l’Association des collectifs Enfants Parents Professionnels. Les grands traits de cette nouvelle politique sont précisés dans le rapport « L’enfant dans la vie : une politique pour la petite enfance » (Bouyala et Roussille, 1982), issu de travaux interministériels placés sous l’égide du secrétariat d’Etat à la famille qui a rassemblé, en 1981, de nombreux professionnels, des élus et des experts. On y légitime les nouvelles pratiques en cours dans les crèches parentales et dans nombre de crèches collectives engagées dans une dynamique d’ouverture et de réflexion (Baudelot, 1984). Devant l’absence de cohérence observée entre les diverses propositions faites aux familles et leur faiblesse d’ensemble, l’organisation d’un dispositif coordonné d’accueil de la petite enfance devient prioritaire. On espère de la mise en place de structures de coordination davantage de cohésion et le développement de formules innovantes. Quand il est pris en considération, le secteur de la petite enfance voit apparaître de nouveaux personnels : les coordonnateurs petite enfance. Il s’agit de personnels techniques municipaux chargés de la mise en œuvre de la politique locale dans ce secteur. Ces créations de postes ont lieu tandis que se développe une politique contractuelle entre les caisses d’Allocations familiales (CAF) et les communes. Le contrat enfance 62 RECHERCHES ET PRÉVISIONS N° 61 - 2000 remplace le contrat crèche. Il concerne l’ensemble de la petite enfance (0-6 ans) et les diverses formes d’accueil (Périer, 1999). Il vise non seulement l’amélioration quantitative mais aussi qualitative de l’offre. Prenant en compte le morcellement dans la prise en charge de la petite enfance (Dupraz, 1992), le contrat enfance incite à la création de postes de coordonnateurs. Leur nombre va augmenter au cours des deux dernières décennies, sans qu’aucun texte officiel ne vienne préciser et encadrer cette nouvelle fonction. On ne dispose que de la circulaire du 2 novembre 1981 indiquant qu’il revient aux autorités territoriales de participer à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique de la petite enfance. Il est recommandé, pour la première fois, « d’accueillir la demande » des familles mais aussi de « susciter l’offre », ce qui implique une attitude active de mise en synergie des différents modes d’accueil et d’élaboration de formules nouvelles. Ce texte n’est qu’incitatif, la prescription portant sur la coordination est peu précise, et l’on ne parle pas de coordonnateurs de la petite enfance. Des professionnels dorigines diverses Dans ce contexte, une diversité de coordinations et de coordonnateurs se développe. En 1982, cinquante postes de coordonnateurs sont créés de manière incitative par l’Etat. En 1989, on en recense 298 (2). Tous ne sont pas des postes de coordonnateurs municipaux. Ces postes ont été créés par les collectivités territoriales, les associations, les CAF et d’autres organismes publics. La coordination se décline différemment selon les divers cas de figure. La diversité s’observe également parmi les coordonnateurs municipaux. En effet, les postes créés dans les communes vont être occupés par des personnels d’origines professionnelles différentes. Dans certaines municipalités, ces fonctions sont assurées par des puéricultrices – anciennes directrices de crèche par exemple –, dans d’autres, il s’agit d’éducatrices de jeunes enfants, INTERVENTION SOCIALE Une étude sur les coordonnateurs de la petite enfance Le Centre de recherche de l’éducation spécialisée et de l’adaptation scolaire a réalisé une étude sur les coordonnateurs et la coordination de la petite enfance dans les communes. Deux enquêtes ont été menées, l’une par questionnaire, de janvier à juin 1998 et l’autre par entretiens approfondis auprès de douze coordonnateurs de la petite enfance, d’avril 1998 à septembre 1999. L’échantillon des coordonnateurs a été constitué à partir d’une enquête par téléphone auprès des 440 villes de plus de 10 000 habitants de 30 départements français. Lors de la passation du questionnaire, 196 villes avaient engagé 210 personnes qui estimaient remplir la fonction d’animateurs ou de travailleurs sociaux. La mission de ces coordonnateurs sera, à la fois, de gérer l’existant en matière d’accueil des jeunes enfants, de faire vivre la petite enfance comme une entité autonome et unifiée, et de développer une politique globale à leur égard. Ils devront se confronter à la transversalité et à la diversité, prendre en compte les attentes nouvelles des parents pour eux-mêmes et leurs jeunes enfants. En fait, ils se trouvent au carrefour des interlocuteurs concernés par la petite enfance : les usagers, les professionnels, les décideurs et les partenaires. Qui sont les coordonnateurs ? Aujourd’hui, aucun recensement de ces coordonnateurs n’existe. Aucune étude ne montre qui exerce la fonction de coordination, ni où elle est exercée. L’enquête réalisée auprès de 442 villes de plus de 10 000 habitants de 30 départements français, a permis de repérer 210 personnes qui n’ont pas toujours le titre de coordonnateur de la petite enfance mais qui estiment remplir cette fonction. Ces personnes sont présentes dans 40 % des villes enquêtées, plus particulièrement dans les grandes villes affichant une politique active en faveur de la petite enfance par la création de services petite enfance autonomes. de coordonnateur de la petite enfance, qu’elles en aient le titre ou non. 139 ont répondu. Le questionnaire interroge les coordonnateurs, à l’aide de questions fermées et ouvertes, sur les cinq domaines suivants : le contexte communal ; leur poste de coordonnateur, leur activité de coordination ; leur formation et leurs caractéristiques personnelles. Les réponses à deux questions ouvertes ont fait l’objet d’une analyse des correspondances appliquée aux données textuelles. Les douze entretiens semi-directifs ont été décryptés et ont fait l’objet d’une analyse de contenu. Dans la moitié des cas, aucun profil de poste n’a été établi par les employeurs et, quand il existe, il s’avère le plus souvent minimaliste. Seule une minorité de coordonnateurs dispose, au départ, d’un cadre précis définissant sa fonction. L’exercice de ce métier apparaît comme le produit d’une construction liée à l’expérience acquise dans l’activité même de coordination. Cette nouvelle activité, par son nom même, implique la mise en liens, la relation, le partenariat. En cela, elle fait bien partie du travail social, dont c’est la caractéristique principale (Ion et Tricart, 1992), et pas seulement de l’administration municipale. De nouvelles caractéristiques, s’élaborant dans la pratique quotidienne, se dégagent de ces nouvelles fonctions. Toutes relèvent du relationnel mais les référents varient selon la profession d’origine. En majorité des femmes Un profil particulier se dégage des résultats du questionnaire. Les coordonnateurs sont en majorité des femmes (90 %). Originaires des classes moyennes, elles sont, par leur conjoint, en position sociale plutôt ascendante. Les mères de familles mariées avec trois enfants sont plus fréquentes parmi ces personnels que dans l’ensemble de la population. Ce modèle familial, plutôt traditionnel, 63 RECHERCHES ET PRÉVISIONS N° 61 - 2000 ne correspond pas à la variété des formes familiales qui se rencontrent actuellement. La diversité évoquée plus haut se vérifie et se précise. On distingue deux groupes de coordonnateurs : les coordonnateurs de moins de 40 ans et ceux de plus de 47 ans. Ces derniers sont souvent en fin de carrière et ont été, pour 52 % d’entre eux, puéricultrices. Les autres coordonnateurs, généralement plus jeunes, sont éducateurs(trices) de jeunes enfants, animateurs, travailleurs sociaux ou titulaires d’un diplôme de second cycle universitaire. Les diplômés de troisième cycle (principalement des DESS) se situent soit dans le groupe des coordonnateurs les plus âgés (formation complémentaire), soit dans le groupe des plus jeunes (formation initiale). La présence de praticiens de terrain et de spécialistes de la petite enfance est donc forte mais ne doit pas masquer l’hétérogénéité de leurs identités professionnelles. Pour la plupart, les coordonnateurs sont titulaires de la Fonction publique territoriale mais leurs grades sont divers et ne correspondent pas toujours au poste exercé. La moitié d’entre eux n’a pas le titre de coordonnateur mais peut avoir celui de chef de service et exercer une fonction de coordination. Ici, une autre dimension de la diversité de ces nouveaux professionnels apparaît également. Localement, cette fonction se crée sans cadre de référence précis, sur le terreau de la culture professionnelle d’origine et à partir de compétences variées. Pour certains coordonnateurs, cela s’accompagne d’un sentiment d’inconfort, lié à la faiblesse et à l’inadéquation de leur statut. Cette fonction transversale s’accommode mal de la verticalité habituelle des organisations municipales et ne trouve pas de traduction dans les filières de la Fonction publique territoriale. La construction locale dune fonction dinterface Outre le travail de mise en cohérence entre les divers équipements et les personnels de la petite enfance, les coordonnateurs sont dans une position d’interface. Ils se placent dans une optique de rapprochement de l’offre et de la demande, entre les élus et les usagers, d’une part, avec les personnels et les différents partenaires extérieurs, représentants des institutions impliquées dans le secteur, d’autre part. Cette position n’est pas sans analogie avec celle des chefs de projet engagés dans la politique de la ville dont l’ambition est d’accorder davantage d’attention aux demandes et aux conditions de vie locales et de rapprocher ainsi les habitants des décideurs, c’est-àdire des élus. Elle cherche aussi à optimiser les actions par une recherche de synergies, mobilisant un ensemble de partenaires, et de (co)financements. Un des moyens utilisés pour cerner les caractéristiques et les dimensions principales de leur activité a consisté à demander aux coordonnateurs de répondre à la question : « S’il fallait en quelques mots carac- Répartition des coordonnateurs petite enfance selon leur diplôme et leur âge en % - de 40 ans Puéricultrices Educateurs de jeunes enfants – Animateurs Travail social 2e cycle universitaire 3e cycle universitaire 41 à 46 ans + de 47 ans Ensemble 24 22 55 52,49 52 49 55 30 22 28 45 20 22 28 0 50 17,16 10,45 6,72 7,46 Source : « Les coordonnateurs et la coordination de la petite enfance dans les municipalités », CRESAS rapport de recherche pour la CNAF, décembre 1999. 64 RECHERCHES ET PRÉVISIONS N° 61 - 2000 INTERVENTION SOCIALE tériser votre activité comment le feriez-vous ? ». Les réponses ont été analysées d’abord en fonction de la fréquence des différents termes utilisés, puis on a procédé à une analyse factorielle des correspondances appliquée aux données textuelles. Une activité de relation multiple... Après les mots « petite enfance », « gestion » et « structures », on trouve les prépositions « avec » et « entre ». Elles marquent la connexion, le lien, la relation qui constituent le fondement même du travail de coordination. Si l’on examine les divers domaines d’activité des coordonnateurs petite enfance tels qu’ils se dégagent selon la fréquence des mots utilisés, on remarque une dominance de ceux impliquant la relation. On trouve les mots : gestion, suivi, travail, administration, mise en place, organisation (80 occurrences) ; coordination, lien, partenariat, interface (50 occurrences) ; information, formation, animation, communication (37 occurrences) ; direction, encadrement, contrôle (30 occurrences) ; soutien, écoute, aide (27 occurrences). En première position, arrivent les tâches – incontournables – de gestion. En deuxième position viennent les tâches de coordination, de mise en lien, de relais, indiquant la position d’interface qu’occupent les coordonnateurs. Elles sont suivies par des activités qui sont les outils permettant la coordination. Informer, former, animer, communiquer sont les ressorts sur lesquels s’appuient les coordonnateurs pour exercer leur fonction. Les tâches de contrôle et d’encadrement arrivent ensuite. On peut y ajouter les activités de soutien, d’écoute et d’aide, qui appartiennent à l’univers de la psychologie et de la relation interpersonnelle. Ce vocabulaire marque la prégnance du référent psychologique, voire psychanalytique parmi les personnels de la petite enfance (puéricultrices et éducatrices de jeunes enfants, en particulier). Si l’on examine vers qui est orientée l’activité des coordonnateurs, on peut dégager quatre pôles autour des mots suivants : personnel, équipes, personnels, équipe, professionnels (62 occurrences) ; élus, partenaires, commune, CAF (44 occurrences) ; familles, parents (20 occurrences) et population, usagers (15 occurrences), (au total, 35 occurrences) ; enfants (17 occurrences). Le coordonnateur petite enfance se trouve bien à la croisée de l’ensemble des interlocuteurs impliqués dans l’accueil des enfants. Cependant, tous ne nécessitent pas le même investissement. Les personnels (25 occurrences) sont les plus fréquemment cités comme cible de leur activité. Ils sont suivis de près par les élus (23 occurrences), confirmant ainsi leur place obligée et soulignant l’enracinement local de leur action. ... qui engage une diversité dinterlocuteurs Les mots « familles » et « parents » (20 occurrences) s’opposent à « usagers », « population » (15 occurences). Ces termes désignent tous les destinataires de la politique petite enfance de la ville : les deux premiers font référence à la sphère privée, l’enfant étant inclus dans le groupe constituant la famille. L’utilisation du mot « famille » est un indice du positionnement de la petite enfance dans le champ du travail social. C’est explicitement le cas pour deux villes qui, dans l’échantillon, ont créé un service de la petite enfance et de la famille. Les deux derniers termes (usagers et population) font référence à la sphère publique ; ils désignent la société civile que la mairie doit prendre en compte. On peut noter que les enfants sont les interlocuteurs les moins fréquents de l’activité professionnelle des coordonnateurs petite enfance. Les mots « évaluation », « pédagogique », « santé » et « éducatif » sont également peu utilisés. L’activité de coordination se situe donc nettement dans le champ de l’interrelation et engage de façon différenciée une grande diversité d’interlocuteurs. Pour avancer dans l’analyse, on s’est demandé si cette activité était marquée par l’hétérogénéité de la population des coordonnateurs. 65 RECHERCHES ET PRÉVISIONS N° 61 - 2000 La formation initiale et la pratique antérieure impriment-elles un style différent dans la manière de concevoir et de mener cette activité ? Celles des puéricultrices, par exemple, les marquent-elles au point que la caractérisation de leur activité sera différente de celle des éducatrices de jeunes enfants ? La nouvelle fonction de coordination va-t-elle imposer une façon d’agir qui estompe les différences d’origine ? Pour en savoir plus, on a examiné la structuration de l’ensemble lexical formé par les réponses des coordonnateurs en fonction de leurs diplômes. Les résultats montrent que le lexique utilisé pour qualifier leur activité s’organise selon trois pôles. Le lexique des puéricultrices s’oppose à celui des éducatrices de jeunes enfants et des animateurs. Il s’oppose également à celui des travailleurs sociaux. Ces deux pôles s’opposent à leur tour au pôle formé par le lexique des coordonnateurs ayant une formation universitaire de 2e cycle ou 3e cycle finalisé. Il indique une conception de la fonction de coordonnateur plus dynamique à la fois dans l’animation des équipes ou des publics et, dans son aspect de collaboration, avec les partenaires extérieurs. Entre coordination interne et coordination externe Linfluence de la formation reçue Les mots caractéristiques employés par les puéricultrices (direction, contrôle, coordination, administration, et/ou crèches, haltes) nous projettent dans leur univers habituel de travail où elles ont toutes occupé une position hiérarchique de direction et de contrôle d’équipement (essentiellement des crèches ou des haltes-garderies). Il s’agit là d’une relation hiérarchique verticale. Le terme de « coordination » concerne davantage, dans ce cas, une coordination interne au service qu’une coordination externe relevant plus du partenariat, des projets. « Ecoute » est aussi un terme caractéristique des puéricultrices. Il indique la relation interpersonnelle avec une référence psychologique forte. Cet univers lexical s’oppose à celui du groupe comprenant les éducateurs de jeunes enfants et les animateurs (« animation », « élus », « organisation », « partenariat », « communication », « création », « enfant », « faire », « partenariat », « projets », « travail » – en partenariat, interface). 66 RECHERCHES ET PRÉVISIONS N° 61 - 2000 On se trouve face à un univers de poste hiérarchique et de tâches plutôt administratives qui renvoient aux adultes. Il s’oppose à un univers plus dynamique (animation), se référant à l’enfant et incluant surtout l’interaction par le partenariat ou le travail (en partenariat, interface). Cependant, si le positionnement hiérarchique est vraiment spécifique des puéricultrices, modelées par leur place d’anciennes responsables de structures, ces dernières caractérisent aussi leur activité par leur position d’interface, de coordination, d’écoute et de soutien. Cette double polarisation avec, d’un côté, la relation hiérarchique verticale et, de l’autre, une relation interpersonnelle leur est spécifique. Il y a donc bel et bien une façon différente de caractériser son activité selon la formation reçue. Ces diplômés professionnels (médico-social, animation pédagogique, travail social), impliquant une pratique initiale de terrain, s’opposent à leur tour aux diplômés de l’université (2e cycle et 3e cycle finalisé). Ces derniers constituent le troisième pôle. Leur univers, plus administratif, se caractérise par des projets mis sur pied avec des partenaires, la CAF en particulier. Ils raisonnent également en termes de gestion municipale et de société civile : « population », « commune », « élus ». Afin de préciser le travail de coordination et en particulier la manière dont sont conçues et pratiquées ses deux dimensions principales – la gestion et l’accompagnement –, on a complété cette première approche par des entretiens réalisés auprès de douze coordonnateurs petite enfance. Ils sont d’origines professionnelles diverses, travaillent dans des villes aux configurations variées mais qui sont toutes engagées dans une politique active de la petite en- INTERVENTION SOCIALE fance avec, pour plusieurs d’entre elles, une préoccupation pour l’accueil de populations habituellement exclues et des propositions faites en direction de la petite enfance en dehors de l’école maternelle. interne, sur l’animation par le coordonnateur lui-même de groupes de travail, sur le soutien des équipes dans l’élaboration et la mise en œuvre de projets qu’il relie à ceux des autres structures. Par définition, l’activité de coordination est une activité de mise en relation entre les divers équipements et personnels de la petite enfance, afin de constituer un ensemble cohérent pouvant aller jusqu’à la recherche délibérée d’une « culture commune » au service petite enfance. Cette activité s’appuie, chez les coordonnateurs, sur un travail de gestion qui exige une autre technicité que celle d’origine ; elle s’acquiert sur le terrain et à l’aide de formations complémentaires. L’hétérogénéité des équipements (crèches, haltes-garderies, relais assistantes maternelles, lieux d’accueil parents-enfants, etc.) et des personnels de la petite enfance (éducatrices de jeunes enfants, auxiliaires de puériculture, professeurs des écoles, etc.) est vécue par les coordonnateurs comme « la » difficulté de départ de ce travail de mise en liens. Cependant, l’impulsion de projets communs permet la rencontre des diverses cultures professionnelles et la construction de cultures communes. Ainsi, selon une coordonnatrice « les personnels se sentent faisant partie de la petite enfance et non pas seulement d’une structure particulière et l’image qu’elles donnent dans cette structure, c’est celle de l’ensemble du service petite enfance ». On constate que le coordonnateur procède à un suivi qui s’apparente à un accompagnement interactif fondé sur l’aménagement d’un cadre de travail ouvert et évolutif, sur l’établissement d’échanges équilibrés entre tous les participants et sur une méthode d’analyse autorégulatrice (CRESAS, 1991 ; Bréauté et Rayna, 1995 et 1997 ; Bréauté et Royon, 1997 ; Rayna et alii, 1992). Un travail de gestion des personnels La dimension relationnelle n’est pas absente de ce travail, elle s’exerce en particulier dans la gestion des personnels. La proximité des terrains renforce, au-delà du contrôle, la mission de valorisation des coordonnateurs. Le conseil et le soutien occupent, en effet, une place première à leurs yeux et se prolongent dans le travail d’encadrement et d’accompagnement des équipes. Ce travail relationnel, dans lequel s’impliquent fortement les coordonnateurs, est en même temps un travail de construction de savoirs et de savoirs-faire. Il consiste surtout en l’organisation de rencontres portant sur la pratique professionnelle et en l’impulsion d’actions communes. Il s’agit principalement de décloisonner des structures d’accueil et d’organiser des formations rassemblant les divers personnels de la petite enfance ou s’adressant en priorité aux professionnels les moins formés tels que les assistantes maternelles (Passaris et alii, 1999). La dynamisation de la réflexion collective repose sur plusieurs éléments comme le recours du coordonnateur à des groupes ressources ou l’affichage, lors de diverses manifestations dans la ville ou à l’extérieur, du travail du service. Elle repose aussi, en Les parents, des partenaires privilégiés Outre les divers personnels de la petite enfance, les parents sont d’autres interlocuteurs privilégiés des coordonnateurs. D’une autre nature, la relation aux parents apparaît avec force dans leur discours. A présent, l’enfant n’est plus accueilli seul mais avec sa famille. Il s’agit d’informer les familles sur les propositions offertes par la commune et, avant tout, d’écouter la demande afin de pouvoir y ajuster l’offre. Il s’agit également de favoriser la communication avec les parents, quels qu’ils soient, et leur accueil par les personnels. Pour cela, une réflexion doit être instaurée et une aide apportée quand la relation s’avère difficile. 67 RECHERCHES ET PRÉVISIONS N° 61 - 2000 Les projets incluant les parents comme véritables partenaires sont très peu nombreux au sein de ces services municipaux. Bien qu’ils puissent être partenaires dans le cadre associatif en tant que responsables d’actions ou d’équipements, les parents sont plutôt les destinataires d’actions, au sein de dispositifs pouvant viser le soutien de la fonction parentale et la création de liens sociaux dans les quartiers (Eme, 1995 et 1999). Ces actions se développent, légitimées et soutenues par la politique d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents menée depuis peu par la délégation interministérielle à la famille (DIF, 1999). Avec la CAF, une relation fructueuse et formatrice Les compétences nouvelles et spécifiques des coordonnateurs résultent, pour beaucoup, de leur implication dans la gestion du contrat enfance. Celle-ci exige non seulement l’établissement d’états des lieux – donc une connaissance de l’ensemble du secteur – mais implique également le développement de relations avec les partenaires et en premier lieu avec la CAF et ses techniciens petite enfance. Les relations avec ces derniers sont décrites, dans l’ensemble, comme fructueuses et formatrices. Le coordonnateur y acquiert des compétences en matière de montage de projets, d’évaluations, d’établissement de tableaux de bord, etc. La construction de l’identité professionnelle des coordonnateurs passe aussi par les relations développées dans la participation à divers groupes au sein de la municipalité. Les relations, privilégiées avec certains services et plus rares avec d’autres (culture, éducation) sont, en grande partie, déterminées par le degré de visibilité et de reconnaissance de la petite enfance dans la politique municipale. Les efforts de communication en direction des services éducation et culture peuvent toutefois avoir des retombées positives en termes de coopération. L’établissement d’échanges entre coordonnateurs, qui se disent isolés 68 RECHERCHES ET PRÉVISIONS N° 61 - 2000 les uns des autres, et le partenariat avec d’autres municipalités contribuent aussi à renforcer la cohésion interne aux services petite enfance et enrichir les projets de chacun. Avec la protection maternelle et infantile, les relations sont apparentes sur le terrain au travers, notamment, d’actions autour du livre ou de la musique. Elles se font dans les consultations qui croisent là des approches médico-sociales et culturelles et se définissent comme des actions à la fois d’animation et de prévention (Bréauté et alii, 1999). Les relations avec l’Education nationale, en revanche, se caractérisent par leur faiblesse d’ensemble. Pourtant, il existe des expériences concrètes de partenariats locaux prouvant que la collaboration entre enseignants et personnels de la petite enfance n’est pas impossible, et que l’étanchéité entre leurs univers culturels peut être dépassée, dans un certain nombre d’exemples de classes et actions passerelles (Baudelot et alii, 1988 ; Baudelot et Guibert, 1997 ; Dupraz, 1995 ; Dupraz et alii, 1999). Pour un accueil de qualité L’univers culturel des coordonnateurs est divers et la façon de caractériser leur activité et leurs priorités varient selon leur formation initiale et leur pratique professionnelle antérieure. Leur identité nouvelle dépasse pourtant les identités professionnelles initiales par leur engagement quotidien dans de multiples interrelations, à des niveaux divers, et avec des interlocuteurs variés. Leur univers culturel s’en trouve-t-il transformé ? S’oriente-t-il vers des valeurs et représentations nouvelles et partagées ? On a tenté d’appréhender cette éventuelle évolution à travers les critères avancés par les coordonnateurs petite enfance pour définir un accueil de qualité. A cette question, posée dans le questionnaire, les réponses données ne portent pas sur l’activité propre des coordonnateurs mais sur l’activité de ceux qu’ils coordonnent et qui concerne les divers métiers de la petite INTERVENTION SOCIALE enfance. Les composantes privilégiées de la qualité, mises en avant par les coordonnateurs, révèlent ce qu’ils pensent être bon pour l’enfant et ses parents. Des qualités personnelles et professionnelles Les critères sur lesquels les coordonnateurs s’appuient pour définir le concept – subjectif et évolutif – de qualité (Moss, 1996) en matière d’accueil de la petite enfance portent, pour tous, sur les acteurs de première ligne que sont les professionnels engagés auprès de la petite enfance. A leurs yeux, la qualité réside avant tout dans les ressources humaines – le personnel – et plus particulièrement dans ses qualités personnelles et professionnelles. Il ne suffit plus d’être une femme pour assurer un accueil de qualité (Bloch et Buisson, 1998 et 1999). C’est à la fois dans le registre des qualités acquises et cultivées et dans celui des qualités de la personne dans sa capacité relationnelle que se trouvent les clés d’un tel accueil. Les occurrences les plus élevées par ordre de fréquence décroissante donnent : « personnel » (62 occurrences), « accueil » (48 occurrences) et « écoute » (36 occurrences) de l’« enfant » (47 occurrences) et des « parents» (46 occurrences). Ces termes indiquent les composants les plus usuels d’un accueil de qualité. Ensuite, aux qualités de la personne (« motivation», « disponibilité », « ouverture », « écoute », « respect », termes dont les occurrences sont les plus fréquentes) s’associent les compétences professionnelles (« compétent », « qualifié », « formé »). L’accent mis sur les compétences professionnelles va de pair avec la place accordée au projet et au travail de réflexion, à la place que prennent la formation et le travail en équipe. Après les qualités personnelles et professionnelles des personnels, la réponse aux besoins des familles et des enfants est la deuxième composante d’un accueil de qualité. Cet objectif souligne que c’est par une relation interindividuelle qu’on peut l’obtenir. Etre le porte-parole des demandes parentales, travailler à y répondre supposent qu’on doive les percevoir et, par conséquent, être dans une position d’écoute. Toute la question est de connaître la marge existant entre une perception correcte de la demande et la projection de ses propres attentes et valeurs à la place de celles des parents. Répondre aux besoins des enfants et des familles Les besoins des familles consistent, pour les coordonnateurs, en demandes de garde et d’accueil des enfants de plus en plus différenciées. Elles doivent répondre aux nouvelles formes d’emplois plus précaires et aux demandes de certaines catégories de salariés, aux horaires atypiques par exemple. Les parents attendent des réponses, diversifiées et évolutives. Les besoins des enfants sont formulés quant à eux en terme de respect du rythme individuel, celui d’une personne à part entière qui a ses propres exigences et dont il faut favoriser l’autonomie par l’aménagement d’un environnement approprié. Le fait même de respecter l’enfant dans son rythme le pose comme interlocuteur à part entière. Dans les deux cas, la réponse aux besoins, l’adaptation à la demande se font par un travail de réflexion en équipe, qui implique lui aussi l’interaction. Notons que les coordonnateurs présentent les besoins des enfants et des parents comme une donnée immédiate et naturelle qui préexisterait à l’émergence de leur activité. Les besoins sont rarement qualifiés, ils existent en soi. La fonction du coordonnateur consisterait précisément dans la mise à jour de l’expression d’une demande de la part des familles, accessoirement des enfants, et dans la satisfaction de ces besoins. Cette conception suppose qu’une institution est le produit de besoins individuels et la réponse apportée à des attentes individuelles. Raisonner en termes de besoins les pose comme invariants de la nature humaine et non comme la création permanente de l’histoire et des 69 RECHERCHES ET PRÉVISIONS N° 61 - 2000 structures sociales : cela marque le référentiel psychologique, dominant chez les puéricultrices. Les critères portant sur les conditions matérielles de l’accueil (locaux adaptés, moyens suffisants) se trouvent très largement minoritaires, comme si la qualité matérielle était maintenant suffisamment bonne. Au-delà de cette tendance d’ensemble qui met en relief l’importance accordée au relationnel, les critères de qualité s’agencent-ils de façon différente selon le diplôme d’origine des coordonnateurs ? Le poids des cultures professionnelles dorigine Le recours à l’analyse des données textuelles montre que, d’un côté, bien séparé des autres, on trouve l’univers lexical des diplômés du travail social qui prend en compte les besoins des familles et des enfants et met en place avec souplesse et avec des moyens matériels adéquats un projet social adapté à ces besoins. La réponse qui suit est caractéristique, la qualité résidant dans « la prise en compte des besoins spécifiques des jeunes enfants, la place faite aux parents, la formation des personnels ». De l’autre côté, on trouve les diplômés de 2e cycle dont l’univers paraît davantage se situer dans la prescription des conditions de fonctionnement des structures avec des personnels qualifiés et compétents : « [une structure] doit avoir des locaux adaptés, un personnel qualifié, un budget de fonctionnement ». Enfin, les titulaires d’un diplôme professionnel de la petite enfance (puéricultrices, éducateurs de jeunes enfants et animateurs) et des titulaires de 3e cycle se situent dans un univers de la relation et des qualités humaines, dont voici un exemple : « Les qualités humaines : accueil chaleureux, qualité d’écoute, conseil, orientation ». Au total, chez les diplômés du travail social et de 2e cycle, l’accent est mis sur l’action qui donne la qualité, tandis que chez les puéricultrices, les éducateurs de jeunes enfants, les animateurs et les diplômés de 70 RECHERCHES ET PRÉVISIONS N° 61 - 2000 3 e cycle, il l’est davantage sur les attitudes de la personne. Si on fait une comparaison avec des travaux antérieurs (Baudelot et Bréauté, 1979 ; Baudelot, 1992), on peut noter une évolution très nette dans la reconnaissance accordée aux capacités d’autonomie et de créativité professionnelle des personnels. Cela est attesté par le très fort investissement dans les ressources humaines. On n’ose plus parler de « petit personnel ». La thématique de la carence en soins maternels, liée au travail des mères et à la prise en charge collective précoce des enfants a, elle aussi, complètement disparu du discours, ainsi, d’ailleurs, que les préoccupations relatives à l’hygiène (Lézine, 1975 ; Mozère, 1992). Si le changement de norme est visible, l’approche éducative n’apparaît pas, pour autant, de manière explicite dans les critères d’un accueil de qualité et ce, bien que les projets favoris des coordonnateurs, comme on l’apprend par le questionnaire, soient, pour beaucoup, des projets éducatifs. L’aspect relationnel du travail est mis au premier plan sans cette composante éducative, pourtant sensible. La qualité par la relation : deux modèles Ce primat de la relation se réfère à deux modèles coexistant dans les discours : l’un qui emprunte à la psychologie et l’autre qui met davantage en jeu les relations sociales. Pour tous, il y a une affirmation de l’enfant comme une personne avec des besoins et désirs propres, mais c’est bien d’un accueil des enfants et de leurs familles dont il est question. Cependant, pour les uns (plutôt les puéricultrices), l’enfant est perçu dans son lien familial, voire dans le lien mère-enfant qu’il s’agit d’accompagner (plutôt) individuellement. Pour les autres, ce lien s’inscrit dans des rapports sociaux plus larges. Il s’agit de favoriser l’insertion dans un groupe plus étendu, car des interactions sociales s’y tissent qui permettent le bon fonctionnement des enfants et de leurs familles. INTERVENTION SOCIALE On peut ainsi remarquer qu’au niveau de ce groupe composite que forment les coordonnateurs petite enfance apparaît la même diversité dans les références théoriques que chez les travailleurs sociaux (Ion et Tricart, 1992). Si l’univers culturel d’origine modèle encore fortement les conceptions des coordonnateurs et donc leur action, il semble que la nouveauté de leur activité et, en particulier, l’élargissement du champ rela- tionnel contribuent à l’émergence de valeurs et de représentations nouvelles. Ainsi, les valeurs et représentations des puéricultrices, qui constituent la part la plus importante des coordonnateurs petite enfance, attestent de l’évolution générale du regard porté sur la petite enfance (Neyrand, 1999), mais elles se transforment comme celles des autres catégories professionnelles, probablement, avec les occasions, nombreuses, de métissage culturel, liées à ces nouvelles fonctions de coordination. 71 RECHERCHES ET PRÉVISIONS N° 61 - 2000 Références bibliographiques Baudelot O., La crèche et les parents : histoire d’une ouverture, in Ouvertures : l’école, la crèche, les familles, CRESAS, Paris, INRP-L’Harmattan, 1984. 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