La distribution et l`affichage des tracts syndicaux dans un

Transcription

La distribution et l`affichage des tracts syndicaux dans un
1501170 IRP
La distribution et l’affichage des tracts
syndicaux dans un établissement public ou
privé : législation – jurisprudence – délai de
prescription de l’employeur
Dans le cadre de l’exercice d’un mandat syndical, les salariés du secteur privé ou public
bénéficient du droit d’afficher et de distribuer des tracts, affiches ou publications d’origine
syndicale dans leur établissement.
Les propos ne doivent pas être insultants, injurieux ou diffamatoires et seuls les documents
d’origine syndicale sont autorisés à l’affichage, la diffusion ou à la distribution en excluant les
publications d’origine politique.
La diffusion de tracts de nature syndicale sur la messagerie électronique de l’employeur est
possible après un accord d’entreprise ou à un accord de l’employeur.
Dispositions législatives
Les principales dispositions législatives et réglementaires qui déterminent l’affichage, la
distribution et la communication des tracts syndicaux dans le secteur privé et public sont :
- Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
- Articles L2141-1 à 12 du Code du Travail sur l’exercice du droit syndical dans le secteur
privé
- Article L2142-3 à 7 du Code du Travail sur l’affichage et la diffusion des communications
syndicales
- Décret 82-447 du 28 mai 1982 relatif à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique
- Circulaire 1487 du 18 novembre 1982 relative à l’application du décret 82-447 du 28 mai
1982 relatif à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique
- Décret 84-954 du 25 octobre 1984 relatif à l’exercice du droit syndical dans la fonction
publique de l’État
- Décret 85-397 du 3 avril 1985 relatif à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique
territoriale
- Décret 86-660 du 19 mars 1986 relatif à l’exercice du droit syndical dans les établissements
de la fonction publique hospitalière
- Circulaire DGOS/RH3/2013/275 du 9 juillet 2013 relative à l’exercice du droit syndical dans
la fonction publique hospitalière
Les décisions de la jurisprudence
- Arrêt N°43753 du Conseil d’État du 13 décembre 1985 indiquant que, seuls les documents
d’origine syndicale sont autorisés sur les panneaux à l’exclusion des documents étrangers à
l’exercice du droit syndical
- Arrêt N°85-46050 de la Cour de Cassation du 20 octobre 1988 précisant que des salariés du
secteur privé ne peuvent pas distribuer des tracts syndicaux dans la cafétéria ou le
restaurant de l’entreprise, sauf accord express de l’employeur ou d’une disposition
conventionnelle plus favorable
- Décision N°94LY00396 de la Cour Administrative d’Appel de Lyon du 6 décembre 1994
indiquant que les dispositions de l’article L49 du Code électoral sur la distribution de la
propagande électorale ne sont relatives qu’aux seules élections législatives, cantonales et
municipales et ne sont pas applicables aux élections professionnelles
- Décision N°00MA00600 de la Cour Administrative d’Appel de Marseille du 18 janvier 2005
indiquant que la distribution des tracts syndicaux dans la fonction publique ne doit pas
porter atteinte au bon fonctionnement du service mais n’est pas soumise à l’autorisation
préalable du chef d’établissement
- Arrêt N°277939 du Conseil d’État du 11 mars 2005 indiquant que la distribution des tracts
syndicaux dans la fonction publique ont lieu pendant les heures de service et ne peuvent
être assurées que par des agents qui ne sont pas en service ou qui bénéficient d’une
décharge de service
- Arrêt N°04-84705 de la Cour de Cassation du 10 mai 2005 indiquant que le langage syndical
peut justifier la tolérance de certains excès à la mesure des tensions nées de conflits sociaux
ou de la violence qui parfois sous-tend les relations du travail.
Toutefois, cela ne peut pas excéder cette mesure admissible dans le cas de propos
présentant un caractère injurieux
- Arrêt N°277945 du Conseil d’État du 27 février 2006 précisant que la distribution des
documents d’origine syndicale est possible quels que soient le nombre et les fonctions de
leurs destinataires
- Arrêt N°05-15228 de la Cour de Cassation du 28 février 2007 indiquant que les propos
qualifiés par l’employeur d’injurieux et de diffamatoires contenus dans les tracts diffusés au
public, ne peuvent être incriminés qu’au regard de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la
presse
- Décision N°07NT00334 de la Cour Administrative d’Appel de Nantes du 4 octobre 2007
précisant la distribution de tracts syndicaux est une liberté d’expression liée à l’exercice
d’une fonction syndicale et doit nécessairement avoir pour objet la défense des intérêts
professionnels, individuels ou collectifs, des adhérents du syndicat
- Arrêt N°06-18907 de la Cour de Cassation du 5 mars 2008 indiquant que si un syndicat a le
droit de communiquer librement des informations au public sur un site internet, cette
liberté peut être limitée dans la mesure de ce qui est nécessaire pour éviter que la
divulgation d’informations confidentielles porte atteinte aux droits des tiers.
- Arrêt N°299205 du Conseil d’État du 15 mai 2009 indiquant qu’en l’absence de dispositions
législatives spéciales contraires, l’exercice des droits syndicaux aux seuls syndicats
représentatifs dans l’entreprise, ne s’applique pas à l’exercice du droit syndical dans la
fonction publique régi par la loi 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des
fonctionnaires
- Arrêt N°08-42201 de la Cour de Cassation du 23 septembre 2009 précisant qu’un
employeur ne peut pas licencier un salarié pour le motif avoir distribué un tract syndical
alors même que les propos ne sont pas insultants, excessifs ou diffamatoires.
- Décision N°08VE01072 de la Cour Administrative d’Appel de Versailles du 24 septembre
2009 indiquant qu’un tract syndical ne doit pas contenir des termes injurieux, outrageants
ou diffamatoires.
Ainsi, le devoir de réserve qui pèse sur les fonctionnaires doit se concilier avec la liberté
d’expression liée à l’exercice d’une fonction syndicale et à l’expression d’un libre droit de
critique sans excéder les limites de l’activité syndicale.
- Arrêt N°09-12240 de la Cour de Cassation du 18 janvier 2011 indiquant qu’un accord
d’entreprise ne peut pas limiter les temps et lieux de distribution des tracts syndicaux hors
de l’enceinte de l’entreprise
- Arrêt N°10-86291 de la Cour de Cassation du 22 novembre 2011 indiquant qu’en cas de
diffusion d’un tract et d’accusation de diffamation publique, les dispositions de l’article 1212 du code pénal ne sont pas applicables aux infractions pour lesquelles les dispositions de la
loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse sont applicables
- Arrêt N°11-10793 de la Cour de Cassation du 3 juillet 2012 indiquant que l’affichage d’un
tract syndical, qui ne contient aucun propos injurieux, diffamatoire ou excessif, ne
caractérise pas un abus de la liberté d’expression du salarié et ne justifie pas un licenciement
pour cause réelle et sérieuse du salarié l’ayant affiché
- Arrêt N°11-88309 de la Cour de cassation du 19 mars 2013 précisant que la liberté
d’expression syndicale doit être la règle dans une société démocratique.
Ainsi, un tract syndical, rédigé dans un contexte conflictuel et susceptible de justifier une
certaine outrance, ne dépasse pas les limites admissibles
- Arrêt N°13-40021 de la Cour de Cassation du 11 juillet 2013 portant transmission d’une
QPC au Conseil Constitutionnel sur :
“La rédaction de l’article L2142-6 du code du travail en ce qu’elle subordonne la diffusion de
tracts de nature syndicale sur la messagerie électronique de l’entreprise à un accord
d’entreprise ou à un accord de l’employeur est-elle conforme à l’alinéa 6 du Préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946 et à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen de 1789 ?”
- Arrêt N°12-83672 de la Cour de Cassation du 10 septembre 2013 indiquant qu’à l’occasion
de la distribution d’un tract syndical dans un établissement, aucune disposition de la loi du
29 juillet 1881 n’autorise la poursuite d’une personne morale, comme un syndicat, du chef
de diffamation non publique. Ainsi, en dehors des cas expressément prévus par les textes,
les personnes morales ne peuvent encourir de responsabilité pénale à raison des
contraventions de presse
- Décision 2013-345 QPC du 27 septembre 2013 du Conseil constitutionnel considère que la
rédaction de l’article L2142-6 du Code du Travail en ce qu’elle subordonne la diffusion de
tracts de nature syndicale sur la messagerie électronique de l’entreprise à un accord
d’entreprise ou à un accord de l’employeur est conforme à l’alinéa 6 du Préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946 et à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen de 1789
- Arrêt N°12-10082 de la Cour de Cassation du 14 novembre 2013 indiquant que la
distribution par un salarié aux clients de l’entreprise d’une pétition, portant sur
l’organisation du travail et le fonctionnement de l’entreprise par un salarié et ne contenant
aucun propos excessif, injurieux ou diffamatoire, ne peut justifier un licenciement pour faute
grave. Le licenciement est reconnu sans cause réelle et sérieuse
L’affichage des tracts syndicaux dans l’établissement
1) Dans le secteur privé
L’affichage des communications syndicales s’effectue librement sur des panneaux réservés à
cet usage, distincts de ceux affectés aux communications des délégués du personnel et du
comité d’entreprise.
Un exemplaire des communications syndicales est transmis à l’employeur, simultanément à
l’affichage.
Les panneaux d’affichage des tracts syndicaux sont mis à la disposition de chaque section
syndicale suivant des modalités fixées par accord avec l’employeur.
2) Dans le secteur public
Les syndicats de l’établissement ainsi que les organisations syndicales représentées au
conseil supérieur de la fonction publique peuvent afficher toute information d’origine
syndicale sur des panneaux réservés à cet usage.
Les panneaux d’affichage doivent être en nombre suffisant, de dimensions convenables, et
aménagés de façon à assurer la conservation des documents.
Les panneaux sont placés dans des locaux facilement accessibles aux personnels en
concertation avec les organisations syndicales et seuls les documents d’origine syndicale
sont autorisés sur les panneaux à l’exclusion des documents étrangers à l’exercice du droit
syndical
La distribution des tracts syndicaux dans l’établissement
1) Dans le secteur privé
Les publications et tracts de nature syndicale peuvent être librement diffusés aux travailleurs
de l’entreprise dans l’enceinte de celle-ci aux heures d’entrée et de sortie du travail.
Le contenu des affiches, publications et des tracts syndicaux est libre, sous réserve de
l’application des dispositions relatives à la presse.
Un accord d’entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de
nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l’intranet de l’entreprise, soit par
diffusion sur la messagerie électronique de l’entreprise.
Dans le cadre de la diffusion de tracts syndicaux via la messagerie de l’entreprise, cela doit
être compatible avec les exigences de bon fonctionnement du réseau informatique de
l’entreprise et ne doit pas entraver l’accomplissement du travail.
L’accord d’entreprise définit les modalités de cette mise à disposition ou de ce mode de
diffusion, en précisant notamment les conditions d’accès des organisations syndicales et les
règles techniques visant à préserver la liberté de choix des salariés d’accepter ou de refuser
un message.
Dans les entreprises de travail temporaire, les communications syndicales portées sur le
panneau d’affichage sont remises aux salariés temporaires en mission ou adressées par voie
postale, aux frais de l’entrepreneur de travail temporaire, au moins une fois par mois.
2) Dans le secteur public
Les documents d’origine syndicale peuvent être distribués aux agents dans l’enceinte des
bâtiments de l’établissement mais en dehors des locaux ouverts au public.
La distribution ne doit pas entraver le fonctionnement du service, et ne peut être assurée
que par des agents qui ne sont pas en service, ou qui bénéficient d’une décharge d’activité
de service ou d’une autorisation spéciale d’absence.
Dans le cas d’une distribution par une personne extérieure à l’établissement, celui-ci doit
disposer d’un mandat syndical quelle que soit la forme.
Dans cette dernière hypothèse, le directeur de l’établissement devra être informé de la
venue de ces agents au moins 24 heures à l’avance.
Les mentions légales d’un tract syndical
Le tract syndical doit comporter différentes mentions légales.
Cela concerne :
- l’obligation de rédaction en français
- le nom et l’adresse du syndicat qui l’édite
- le logo de de l’organisation syndicale qui le conçoit
- la mention ” Ne pas jeter sur la voie publique ” pour satisfaire aux obligations de l’article
L541-10-1 du Code de l’environnement sur la salubrité publique
A défaut, le syndicat est passible de sanctions pénales par des amendes de 750 à 3750 €.
La notion d’injure – diffamation – le délai de prescription de 3 mois
Lorsqu’un employeur estime que le contenu d’un tract syndical diffusé au public comporte
une diffamation, des propos injurieux ou diffamatoires, son action en justice ne peut être
fondée que sur la loi du 29 juillet 1981 sur la liberté de la presse.
En effet, la diffusion de tracts au public entre dans la catégorie des publications ou écrits
relevant de la loi sur la liberté de la presse et l’injure et la diffamation sont visées par cette
loi qui détermine les modalités des poursuites.
L’article 29 de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse précise la définition de
l’injure et de la diffamation.
L’injure se définit par le fait d’employer à l’encontre d’une personne toute expression
outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait.
La diffamation se définit par le fait d’utiliser toute allégation ou imputation d’un fait qui
porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est
imputé.
En cas de diffamation ou injure, l’article 65 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet
1881 indique que le délai de prescription, devant une juridiction civile ou pénale, est fixé à 3
mois à compter de la date de la publication litigieuse.
Détermination de l’effectif pour les élections
professionnelles : gare aux CDD !
Analyse et commentaire de l’arrêt rendu le 17 décembre 2014 par la Chambre sociale de la
Cour de Cassation (pourvoi n°14-13.712)
Dans le cadre de la mise en oeuvre d’élections professionnelles les entreprises doivent faire
face à une première étape délicate : le calcul des effectifs.
Celui-ci permet en effet de déterminer plusieurs éléments fondamentaux : dois je mettre en
place ou non des instances du personnel ?
Combien de sièges de représentants du personnel doivent être attribués ?
Quels seront leurs futurs crédits d’heures de délégation ?
Que ce soit pour les élections des délégués du personnel, du comité d’entreprise ou même
de la délégation unique du personnel le Code du travail dispose que "les modalités de calcul
des effectifs sont celles prévues aux articles L. 1111-2 et L. 1251-54".
A titre liminaire on prendra soin de rappeler que :
• Les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein et les
travailleurs à domicile sont pris intégralement en compte dans l’effectif de l’entreprise.
• Les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée, les salariés titulaires d’un
contrat de travail intermittent, les salariés mis à la disposition de l’entreprise par une
entreprise extérieure qui sont présents dans les locaux de l’entreprise utilisatrice et y
travaillent depuis au moins un an, ainsi que les salariés temporaires, sont pris en compte
dans l’effectif de l’entreprise à due proportion de leur temps de présence au cours des
douze mois précédents (sauf lorsqu’ils remplacent un salarié absent ou dont le contrat de
travail est suspendu, notamment du fait d’un congé de maternité, d’un congé d’adoption ou
d’un congé parental d’éducation.)
On le comprend donc aisément : la détermination des effectifs de l’entreprise en matière
d’élections professionnelles est source d’enjeux et de débats importants, tant pour
l’employeur que pour les salariés et syndicats.
En l’espèce un syndicat représentatif dans l’entreprise avait saisi le juge d’instance pour qu’il
soit reconnu que l’effectif de l’entreprise était supérieur au chiffre annoncé par la Direction,
au motif que les CDD d’un certain nombre de salariés devaient être requalifiés en CDI.
Pour rappel le Tribunal d’instance est en effet le "juge de l’élection", compétent pour
apprécier la régularité des candidatures et des opérations électorales, notamment sur
l’appréciation des effectifs [1].
Dans l’arrêt rendu le 17 décembre 2014 dernier par la Chambre sociale, l’employeur s’était
pourvu en cassation suite à la décision du Tribunal d’instance qui avait considéré que les
salariés en CDD dans l’entreprise devait être décompté selon les mêmes modalités que les
CDI pour le calcul des effectifs dans le cadre des élections professionnelles.
En effet l’employeur considérait notamment que :
• l’action en requalification d’un CDD en CDI est en principe réservée au salarié, qui doit
l’exercer auprès du Conseil de Prud’hommes compétent
(en ce sens : Cass. Soc. 30 octobre 2002 n° 00-45572).
En effet l’article L.1245-1 du Code du Travail ayant été institué pour protéger le salarié, seul
ce dernier est habilité à se prévaloir de son inobservation.
• Le juge lui-même ne peut pas procéder d’office à cette requalification [2]. Il est toutefois
possible pour les organisations syndicales représentatives de saisir également le Conseil de
prud’hommes afin d’obtenir cette requalification d’un CDD en CDI, et ce en vertu de l’article
L1247-1 du Code du travail. Cependant le syndicat doit informer le salarié par LRAR, laquelle
doit comporter toutes les mentions prévues par l’article D1247-1.
• Les salariés eux mêmes n’avaient jamais émis de critiques ou de demandes particulières
concernant l’exécution de leurs contrats, et n’avaient à ce titre jamais formulé de demande
de requalification auprès du CPH.
A ce titre l’employeur soulevait que le juge d’instance n’était pas compétent pour ordonner
la requalification des CDD litigieux en CDI et - par voie de conséquence indirecte - modifier le
mode de calcul de leur prise en compte pour la détermination des effectifs en matière
d’élections professionnelles.
A tort selon la Cour de cassation qui vient préciser - pour la première fois à ma connaissance
- que "si les salariés engagés à durée déterminée peuvent seuls agir devant le juge
prud’homal en vue d’obtenir la requalification de leurs contrats en contrats à durée
indéterminée, les syndicats ont qualité pour demander au juge d’instance, juge de l’élection,
que les contrats de travail soient considérés comme tels s’agissant des intérêts que cette
qualification peut avoir en matière d’institutions représentatives du personnel et des
syndicats, notamment pour la détermination des effectifs de l’entreprise ".
Il faudra au préalable démontrer que les CDD concernés avaient été conclus de manière
abusive ou irrégulière.
La nuance terminologique de l’arrêt n’est pas sans importance : le juge d’instance n’a pas
opéré de "requalification" du contrat au sens strict du terme (il n’en a pas le pouvoir), mais
peut en revanche imposer à l’employeur qu’ils soient "considérés" comme des CDI (on
pourrait même dire "valorisés") dans le calcul des effectifs en lien avec les élections
professionnelles.
Cet arrêt doit inciter les employeurs à la prudence pour leurs prochaines échéances
électorales en ce qu’il pourrait devenir - éventuellement - le nouveau "cheval de bataille"
des organisations syndicales de salariés pour remettre en cause la détermination des
effectifs opérée.
Franck GUÉNARD
[1] en ce sens : Cass. Soc. 27 février 1985, n°84-60.677
[2] en ce sens : Cass.Soc. 20 février 2013 n°11-12262
Rupture conventionnelle, seul mode légal de
rupture d’un commun accord
De l’arrêt rendu le 15 octobre 2014 (n° 11-22.251, sera publié au Bulletin) résulte la règle
que hors la rupture conventionnelle instituée par le code du travail, il n’y a pas (plus) de
place pour une autre forme de rupture d’un commun accord du contrat de travail.
Cette interprétation des textes avait été avancée par les Commentaires mis en ligne le 1er
avril 2014, à propos d’un arrêt de la cour d'appel de Reims.
Dans cette espèce, il est mis fin au contrat de travail de Mme X..., « femme toutes mains »[1]
à temps complet d’un bar, restauration rapide, meublé, par un document qu’elle signe signé,
ainsi que l’employeur, hors le cadre juridique de la rupture conventionnelle.
Elle se tourne ensuite vers un conseil de prud'hommes pour faire juger que la rupture doit
en réalité s’analyser en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, et demander
notamment le paiement d’une indemnité afférente.
Déboutée en première instance, elle fait appel.
La cour d'appel de Dijon lui donne satisfaction.
Pourvoi en cassation de l’employeur, qui fait valoir devant la Cour de cassation que le
contrat de travail peut prendre fin tant par un licenciement que par une démission, mais
également du commun accord des parties, par une rupture amiable dont le formalisme
institué par les articles L. 1237-11 et suivants du code du travail n’est pas une condition de
validité dès lors que les parties n’ont pas exprimé la volonté de se soumettre au régime de la
rupture conventionnelle.
Il s’ensuit qu’en décidant que la signature par les deux parties du document critiqué par la
salariée ne peut produire les effets d’une rupture amiable en raison du seul non-respect des
exigences définies par les articles L. 1237-12 à L. 1237-14 du code du travail, la cour d’appel
a donc violé les dispositions desdits articles, ensemble celles de l’article 1134 du code civil.
En outre, toujours selon le moyen de cassation, la mise en cause d’un accord amiable de
rupture du contrat de travail est subordonnée à la constatation que le consentement du
salarié a été vicié par dol, erreur ou violence, éléments non recherchés par la cour d'appel
(manque de base légale au regard des articles 1109 et 1134 du code civil).
Faux, répond la chambre sociale qui rejette le pourvoi.
«…Aux termes de l’article L. 1231-1 du code du travail le contrat de travail à durée
indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié ou d’un commun
accord dans les conditions prévues par le présent titre », c'est-à-dire du titre troisième du
livre deux de la première partie du code, « Rupture du contrat de travail à durée
indéterminée. »
Ensuite, la Cour rappelle les conditions de validité de la convention de rupture : «… selon les
dispositions de l’article L. 1237-11 du même code, la rupture d’un commun accord qualifiée
rupture conventionnelle résulte d’une convention signée par les parties au contrat qui est
soumise aux dispositions réglementant ce mode de rupture destinées à garantir la liberté du
consentement des parties. »
Elle tire enfin la conséquence inéluctable des règles énoncées :
« … il résulte de la combinaison de ces textes que, sauf dispositions légales contraires, la
rupture du contrat de travail par accord des parties ne peut intervenir que dans les
conditions prévues par le second relatif à la rupture conventionnelle. »
Elle approuve donc la cour d'appel, qui, ayant « constaté que le document signé par les
parties ne satisfaisait pas aux exigences de l’article L. 1237-11 du code du travail, » d’avoir «
décidé à bon droit que la rupture s’analysait en un licenciement sans cause réelle et
sérieuse. »
Tout est dit.
Il suffit de souligner que la loi du 25 juin 2008, qui a introduit la rupture conventionnelle
dans le code du travail, en a complété l’article L. 1231-1, en sorte que le contrat de travail à
durée indéterminée ne peut être rompu qu’à l’initiative de l’employeur ou du salarié, ou de
l’accord commun des deux, alors exclusif du licenciement ou de la démission.
Dans ce dernier cas, l’accord doit obéir aux règles impératives des articles L. 1237-11 à L.
1237-16, seules sensées assurer le respect de la liberté du consentement des parties (un ou
plusieurs entretiens, assistance, droit de rétractation, contrôle de l’autorité administrative).
Toute autre forme de rupture amiable est désormais proscrite.
Toutes les ruptures des relations de travail sont régies par le code du travail.
La loi applicable n’est plus le code civil, sauf, le cas échéant, la caractérisation des vices du
consentement.
[1] Il y a aussi des « hommes toutes mains ». Mais la dénomination, qui désigne celle ou celui
dont l’emploi est d’effectuer des travaux de nettoyage, d'entretien et de remise en ordre de
locaux professionnels, n’en est pas moins équivoque, sinon scabreuse.
Plus d’élégance du vocabulaire permettrait d’adopter - pourquoi pas ? - le mot « vaque-àtout », qui ne survit plus que dans le vieux Littré, lequel le donnait comme du genre masculin
mais qui s’accommoderait du féminin.
La vieille appellation « bonne [bon] à tout faire » reste à bannir, à cause de l’idée de servilité
qu’il sous-tend.
Il y a encore celle plus neutre de « femme [homme] de ménage ».
Du bon usage du pouvoir disciplinaire en cas
de manquement aux règles de sécurité
Je voudrais m’arrêter un court instant à une décision récente de la Cour de Cassation, riche
d’enseignement en ce qui concerne l’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur (Cass
soc 17 décembre 2014 n°13-23622).
Il n’est en effet pas rare qu’une entreprise tire prétexte d’une faute commise par un salarié
pour le licencier alors qu’elle avait toléré des pratiques similaires de la part de ses collègues
de travail.
Pour en revenir à notre affaire, l’employeur avait licencié un chauffeur routier pour avoir «
attelé une semi-remorque à quai sans en avoir condamné l’accès à l’aide de la sangle de quai
prévue à cet effet ».
Si le manquement aux règles de sécurité est ici indéniable, le salarié n’était visiblement pas
le seul à procéder de la sorte.
Mieux : pareille entorse « ne suscitait pas, de manière habituelle, de réactions fermes de
l’employeur ».
La Cour de Cassation en déduit que les juges du fond ont pu décider que « le licenciement ne
reposait pas sur une cause réelle et sérieuse ».
Moralité : la politique de sécurité de l’entreprise doit rester relativement homogène, quel
que soit le salarié en faute.
Si des comportements déviants se sont installés au vu et au su de l’employeur, il faut – sauf
circonstance aggravante – commencer par rappeler les consignes ou, au moins, par
prononcer des sanctions disciplinaires telles qu’un avertissement ou une mise à pied.