Le Pape et la Planète

Transcription

Le Pape et la Planète
Le Pape et la Planète
Un mot d’introduction
On trouvera ci-dessous le texte publié en août 2015 par Bill McKibben dans la très
prestigieuse New York Review of Books sur l’Encyclique « Laudato Si’ » du Pape
François. Ce texte, que j’ai longuement commenté dans mes cours de mai 2016 à
l’IKW, montre bien la force de l’encyclique et sa portée en quelque sorte planétaire.
Je tiens à remercier vivement Roger Simon (qui a assisté en mai à mes cours) de
m’avoir spontanément proposé d’en faire bénévolement la traduction, qu’on pourra
lire en parallèle avec l’original pour en constater toute la fiabilité. Il y a ajouté onze
précieuses notes qui aident beaucoup à la compréhension, auxquelles je joins un
paragraphe très approprié d’une lettre qu’il m’a adressée le 10 juin. Ce paragraphe
constitue la note xii.
Jacques VALLÉE
17 juillet 2016
The Pope and the Planet
Le Pape et la Planète
Bill McKibben
(The New York Review of Books,
AUGUST 13, 2015 ISSUE)
On a sprawling, multicultural, fractious
planet, no person can be heard by
everyone. But Pope Francis comes
closer than anyone else. He heads the
world’s largest religious denomination
and so has 1.2 billion people in his
flock, but even (maybe especially)
outside the precincts of Catholicism
his talent for the telling gesture has
earned him the respect and affection
of huge numbers of people. From his
seat in Rome he addresses the
developed world, much of which
descended from the Christendom he
represents; but from his Argentine
roots he speaks to the developing
world, and with firsthand knowledge of
the poverty that is the fate of most on
our planet.
So no one could have considered
more usefully the first truly planetary
question we’ve ever faced: the rapid
heating of the earth from the
consumption of fossil fuels. Scientists
have done a remarkable job of getting
the climate message out, reaching a
workable consensus on the problem in
relatively short order. But national
political leaders, beholden to the fossil
fuel industry, have been timid at
best—Barack Obama, for instance,
barely mentioned the question during
the 2012 election campaign. Since
1. Sur une planète tentaculaire, multiculturelle,
agressive, personne ne peut être entendu par tous.
Mais le Pape François y parvient mieux que
personne. Il est à la tête de la religion la plus
répandue au monde, et a ainsi 1,2 milliards d’ouailles,
mais même (et peut-être plus spécialement) en
dehors de l’enceinte du catholicisme, son talent pour
des gestes convaincants lui a valu le respect et
l’affection d’un très grand nombre de personnes.
Depuis son siège de Rome, il s’adresse au monde
développé, dont une bonne partie descend de la
chrétienté qu’il représente ; mais par ses racines en
Argentine, il parle au monde en développement, et
avec une connaissance de première main de la
pauvreté qui est le sort de tant de gens sur notre
planète.
2. Ainsi personne d’autre que lui ne pouvait examiner
plus utilement la première question vraiment
planétaire à laquelle nous ayons jamais eue à faire
face : le réchauffement rapide de la terre dû à l’usage
des combustibles fossiles. Les scientifiques ont fait
un travail remarquable pour faire passer le message
sur le climat, atteignant un consensus pratique sur le
problème en un temps relativement court. Mais les
leaders politiques nationaux, assujettis à l’industrie
des combustibles fossiles, ont au mieux été timides –
Barack Obama, par exemple, mentionna à peine la
question durant la campagne présidentielle de 2012.
Francis first announced plans for an
encyclical on climate change, many
have eagerly awaited his words.
And on those narrow grounds,
Laudato Si’ does not disappoint. It
does indeed accomplish all the things
that the extensive news coverage
highlighted: insist that climate change
is the fault of man; call for rapid
conversion of our economies from
coal, oil, and gas to renewable energy;
and remind us that the first victims of
the environmental crisis are the poor.
(It also does Americans the service of
putting climate-denier politicians—a
fairly rare species in the rest of the
world—in a difficult place. Jeb Bush,
for example, was reduced to saying
that in the case of climate the pope
should butt out, leaving the issue to
politicians. “I think religion ought to be
about making us better as people,” he
said, in words that may come back to
haunt him.)
The pope’s contribution to the climate
debate builds on the words of his
predecessors—in the first few pages
he quotes from John XXIII, Paul VI,
John Paul II, and Benedict XVI—but
clearly for those prelates ecological
questions were secondary. He also
cites the pathbreaking work of
Bartholomew, the Orthodox leader
sometimes called the “green
patriarch”; others, from the Dalai Lama
to Anglican archbishop Desmond
Tutu, have spoken eloquently on this
issue as well. Still, Francis’s words fall
as a rock in this pond, not a pebble;
they help greatly to consolidate the
current momentum toward some kind
of agreement at the global climate
conference in Paris in December. He
has, in effect, said that all people of
good conscience need to do as he has
done and give the question the priority
it requires. The power of celebrity is
the power to set the agenda, and his
timing has been impeccable. On those
grounds alone, Laudato Si’ stands as
one of the most influential documents
of recent times.
It is, therefore, remarkable to actually
read the whole document and realize
that it is far more important even than
that. In fact, it is entirely different from
what the media reports might lead one
to believe. Instead of a narrow and
focused contribution to the climate
Depuis que François a annoncé son projet d’une
encyclique sur le changement climatique, beaucoup
ont attendu son message avec impatience.
3. Et sur ces motifs précis, Laudato Si’ ne déçoit pas.
Ce document accomplit vraiment tout ce que la
couverture médiatique massive soulignait : insister
sur le fait que le changement climatique est la faute
de l’homme ; appeler à une conversion rapide de nos
économies du charbon, du pétrole et du gaz aux
énergies renouvelables ; et nous rappeler que les
premières victimes de la crise environnementale sont
les pauvres. (Il rend également service aux
Américains, en mettant en difficulté les politiciens qui
nient l’existence des changements climatiques – une
race plutôt rare dans le reste du monde. Jeb Bush,
par exemple, en a été réduit à dire que le Pape ne
devait pas se mêler du climat, et laisser le sujet aux
politiciens. « Je pense que la religion devrait
s’occuper de nous rendre meilleur en tant que
personne,» a t’il déclaré, en des mots qui pourraient
bien revenir le hanter.)
4. La contribution du Pape au débat sur le climat
s’appuie sur les messages de ses prédécesseurs –
dans les premières pages, il cite Jean XXIII, Paul VI,
Jean-Paul II et Benoit XVI – mais il est clair que pour
eux les questions écologiques étaient secondaires. Il
cite aussi le travail novateur de Bartholomée, le
leader orthodoxe parfois appelé le « patriarche
vert » ; d’autres, du Dalaï Lama à l’archevêque
anglican Desmond Tutu, ont aussi éloquemment
parlé sur ce sujet. Pourtant, les mots de François
tombent comme un pavé dans la mare, et non
comme un petit caillou ; ils aident grandement à
consolider le mouvement actuel vers une sorte
d’agrément pour la conférence sur le climat de Paris
en décembre. Il a dit, en fait, que tous les hommes de
bonne conscience doivent faire comme lui et donne à
la question la priorité qu’elle requiert. Le pouvoir de la
célébrité est le pouvoir de dicter l’agenda, et le
moment choisi a été impeccable. Simplement pour
ces raisons, Laudato Si’ se pose comme l’un des
documents les plus influents de ces derniers temps.
5.Il est donc remarquable de lire en fait tout le
document et réaliser qu’il est bien plus important que
cela. En fait, il est entièrement différent de ce que les
medias peuvent laisser penser. Au lieu d’une
contribution étroite et limitée au débat sur le climat, il
se trouve que ce n’est rien de moins qu’une large
debate, it turns out to be nothing less
than a sweeping, radical, and highly
persuasive critique of how we inhabit
this planet—an ecological critique,
yes, but also a moral, social,
economic, and spiritual commentary.
In scope and tone it reminded me
instantly of E.F. Schumacher’s Small
Is Beautiful (1973), and of the essays
of the great American writer Wendell
1
Berry. As with those writers, it’s no
use trying to categorize the text as
liberal or conservative; there’s some of
each, but it goes far deeper than our
political labels allow. It’s both caustic
and tender, and it should unsettle
every nonpoor reader who opens its
pages.
critique, radicale et hautement convaincante, de la
façon dont nous vivons sur cette planète – une
critique écologique, oui, mais aussi un commentaire
moral, social, économique et spirituel. En termes de
portée et de ton, il me rappela instantanément Small
Is Beautiful (1973), de E.F. Schumacher, et les essais
du grand écrivain américain Wendell Berryi. Comme
pour ces écrivains, cela ne sert à rien d’essayer de
catégoriser le texte comme libéral ou conservateur ; il
y a un peu des deux, mais il va bien au-delà de nos
étiquettes politiques. Il est à la fois caustique et
tendre, et il devrait déranger tout lecteur attentif qui le
feuillette.
6. Les problèmes écologiques qui nous font face ne
sont pas, à l’origine, d’ordre technologique, dit
The ecological problems we face are
François. Non, « Il y a une manière de comprendre la
not, in their origin, technological, says
vie et l’activité humaine qui a dévié et qui contredit la
Francis. Instead, “a certain way of
réalité jusqu’à lui nuireii. » Il n’est pas ludditeiii
understanding human life and activity
(« Peut-on nier la beauté d’un avion, ou de certains
has gone awry, to the serious
detriment of the world around us.” He
gratte-ciels (LS n°103) ?»), mais il affirme que nous
is no Luddite (“who can deny the
avons succombé à un « paradigme technocratique
beauty of an aircraft or a skyscraper?”)
(LS n°101) », qui nous conduit à croire « que tout
but he insists that we have succumbed
accroissement de puissance est en soi
to a “technocratic paradigm,” which
‘progrès’…comme si la réalité, le bien et la vérité
leads us to believe that “every
increase in power means ‘an increase
surgissaient spontanément du pouvoir technologique
of “progress” itself’…as if reality,
et économique lui-même (LS n°105). » Dans ce
goodness and truth automatically flow
paradigme, « une conception du sujet y est mise en
from technological and economic
power as such.” This paradigm “exalts relief qui, progressivement, dans le processus logique
et rationnel, embrasse et ainsi possède l’objet qui se
the concept of a subject who, using
logical and rational procedures,
trouve à l’extérieur (LS n°106). » Il écrit :
progressively approaches and gains
control over an external object.” Men
and women, he writes, have from the
start
intervened in nature, but for a long time this
meant being in tune with and respecting the
possibilities offered by the things themselves.
It was a matter of receiving what nature itself
allowed, as if from its own hand.
In our world, however, “human beings
and material objects no longer extend
a friendly hand to one another; the
relationship has become
confrontational.” With the great power
that technology has afforded us, it’s
become
easy to accept the idea of infinite or unlimited
growth, which proves so attractive to
economists, financiers and experts in
technology. It is based on the lie that there is
an infinite supply of the earth’s goods, and this
leads to the planet being squeezed dry
beyond every limit.
The deterioration of the environment,
L’intervention humaine sur la nature s’est toujours
vérifiée, mais longtemps elle a eu comme caractéristique
d’accompagner, de se plier aux possibilités qu’offrent les
choses elles-mêmes. Il s’agissait de recevoir ce que la
réalité naturelle permet de soi, comme en tendant la
main (LS n°106).
Dans notre monde, cependant, « l’être humain et les
choses ont cessé de se tendre amicalement la main
pour entrer en opposition (LS n°106). » Avec la grande
puissance que la technologie nous a donnée
on en vient facilement à l’idée d’une croissance infinie ou
illimitée, qui a enthousiasmé beaucoup d’économistes,
de financiers et de technologues. Cela suppose le
mensonge de la disponibilité infinie des biens de la
planète, qui conduit à la “ presser ” jusqu’aux limites et
même au-delà des limites (LS n°106).
La détérioration de l’environnement, dit-il, n’est que
he says, is just one sign of this
“reductionism which affects every
aspect of human and social life.” And
though “the idea of promoting a
different cultural paradigm…is
nowadays inconceivable,” the pope is
determined to try exactly that, going
beyond “urgent and partial responses
to the immediate problems of
pollution” to imagine a world where
technology has been liberated to serve
the poor, the rest of creation, and
indeed the rest of us who pay our own
price even amid our temporary
prosperity. The present ecological
crisis is “one small sign of the ethical,
cultural and spiritual crisis of
modernity,” he says, dangerous to the
dignity of us all.
l’un des signes de ce « réductionnisme qui affecte la
vie humaine et la société dans toutes leurs
dimensions (LS n°107). » Et bien qu’il ne soit « pas
permis de penser qu’il est possible de défendre un
autre paradigme culturel (LS n°108) », le
Pape est bien déterminé à le faire, et d’aller au delà
des « réponses urgentes et partielles aux problèmes
qui sont en train d’apparaître par rapport (…) à la
pollution (LS n°111) » pour imaginer un monde dans
lequel la technologie a été libérée pour servir les
pauvres, le reste de la création, et en fait le reste
d’entre nous qui payons notre propre dette, même au
milieu de notre prospérité provisoire. La crise
écologique actuelle est « l’éclosion ou une
manifestation extérieure de la crise éthique, culturelle
et spirituelle de la modernité (LS n°119) », dit-il,
dangereuse pour la dignité de nous tous.
Thus girded, the pope intervenes in a
variety of contemporary debates.
Automation versus work, for instance.
As he notes, “the orientation of the
economy has favoured a kind of
technological process in which the
costs of production are reduced by
laying off workers and replacing them
with machines,” which is a sadness
since “work is a necessity, part of the
meaning of life on this earth, a path to
growth.” The example he cites
demonstrates the subtlety of his
argument. Genetic modification of
crops is a way, in a sense, to
automate or rationalize farming.
There’s no “conclusive proof” that
GMOs may be harmful to our bodies;
there’s extensive proof, however, that
“following the introduction of these
crops, productive land is concentrated
in the hands of a few owners” who can
afford the new technologies.
7. Avec ces arguments, le Pape intervient dans divers
débats contemporains. L’automatisation par rapport
au travail, par exemple. Comme il le note,
« l’orientation de l’économie a favorisé une sorte
d’avancée technologique pour réduire les coûts de
production par la diminution des postes de travail qui
sont remplacés par des machines (LS n°128) », ce qui
est triste puisque « le travail est une nécessité, il fait
partie du sens de la vie sur cette terre, chemin de
maturation, de développement humain et de
réalisation personnelle (LS n°128). » L’exemple qu’il
cite démontre la subtilité de ses arguments. La
modification génétique des cultures est une façon,
dans un sens, d’automatiser ou de rationaliser
l’agriculture. Il n’y a pas de « preuves irréfutables (LS
n°134) » que les OGMs peuvent être dangereux pour
nos organismes ; il y a par contre des preuves
innombrables que « suite à l’introduction de ces
cultures, on constate une concentration des terres
productives entre les mains d’un petit nombre (LS
n°134) » qui peut se permettre les nouvelles
technologies.
Given that half the world still works as
peasant farmers, this accelerates the
exodus off the farm and into hovels at
the margins of overcrowded cities;
there is a need instead to “promote an
economy which favours productive
diversity,” including “small-scale food
production systems…be it in small
agricultural parcels, in orchards and
gardens, hunting and wild harvesting
or local fishing.” (And lest anyone think
this is a romantic prescription for
8. Etant donné que la moitié de la population
mondiale travaille encore dans l’agriculture, ceci
accélère l’exode des fermes vers les bidonvilles aux
marges des cités surpeuplées ; il y a plutôt un besoin
de « promouvoir une économie qui favorise la
diversité productive … que ce soit sur de petites
parcelles agricoles, vergers, ou grâce à la chasse, à
la cueillette et la pêche artisanale (LS n°129). » (Et au
cas où quelqu’un penserait que ceci est une recette
romantique contre la famine, l’Organisation des
starvation, the UN’s Food and
Agriculture Organization has in the last
few years published one study after
another showing that small farms in
fact produce more calories per acre.
Not per dollar invested—if you want to
grow rich, you need a spread. But if
you want to feed the world, clever
peasant farming will be effective.)
It’s not just small versus large. The
pope insists on giving priority to
diverse culture over the “levelling
effect on cultures” encouraged by a
“consumerist vision,” which diminishes
the “immense variety which is the
heritage of all humanity.” In words that
are somewhat remarkable coming
from the head of an institution that first
set out to universalize the world,
the disappearance of a culture can be just as
serious, or even more serious, than the
disappearance of a species of plant or animal.
The imposition of a dominant lifestyle…can be
just as harmful as the altering of ecosystems.
Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture
(FAO) a publié ces dernières années études sur
études montrant que les petites fermes produisent en
fait plus de calories par acre. Mais pas par dollar
investi – si vous voulez devenir riche, vous devez
vous agrandir. Mais si vous voulez nourrir le monde,
l’agriculture paysanne intelligente sera efficace.)
9. Ce n’est pas seulement le petit contre le grand. Le
Pape insiste pour donner la priorité à une culture
diversifiée plutôt qu’au « nivellement des cultures »
encouragé par « une vision consumériste », qui
diminue « l’immense variété qui est l’héritage de toute
l’humanité (éléments de LS n°144). » Il dit, en des termes
plutôt remarquables, venant du chef d’une institution
qui entreprit à l’origine d’universaliser le monde :
la disparition d’une culture peut être aussi grave ou plus
grave que la disparition d’une espèce animale ou
végétale. L’imposition d’un style de vie
hégémonique…peut être autant nuisible que l’altération
des écosystèmes (LS n°145).
Even more striking, in this regard, is
his steadfast defense of “indigenous
communities and their cultural
traditions. They are not merely one
minority among others, but should be
the principal dialogue partners,
especially when large projects
affecting their land are proposed,”
because for them land “is a sacred
space with which they need to interact
if they are to maintain their identity and
values.” Compare that attitude with,
say, the oil companies now destroying
aboriginal land in order to mine
Canada’s tar sands.
10. Encore plus frappante, à ce propos, est sa ferme
défense des « communautés aborigènes et à leurs
traditions culturelles. Elles ne constituent pas une
simple minorité parmi d’autres, mais elles doivent
devenir les principaux interlocuteurs, surtout lorsqu’on
développe les grands projets qui affectent leurs
espaces, » parce que pour eux la terre « est un
espace sacré avec lequel elles ont besoin d’interagir
pour soutenir leur identité et leurs valeurs (LS n°146). »
Comparez cette attitude avec, par exemple, les
compagnies pétrolières qui détruisent aujourd’hui des
terres aborigènes en vue d’exploiter les sables
bitumineux du Canada.
But the pope is just as radical, given
current reality, when he insists on
beauty over ugliness. When he
demands the protection from
development of “those common areas,
visual landmarks and urban
landscapes which increase our sense
of belonging, of rootedness, of ‘feeling
at home’ within a city which includes
us and brings us together,” he is not
just celebrating Frederick Law
Olmsted—he’s wading into, for
instance, the still-simmering Turkish
revolt that began with plans to tear
down Istanbul’s Gezi Park and replace
it with a mall and luxury apartments.
11. Mais le Pape est tout aussi radical, compte tenu
de la réalité actuelle, quand il insiste pour la beauté
au lieu de la laideur. Quand il demande la protection
contre le développement « des lieux publics, du cadre
visuel et des signalisations urbaines qui accroissent
notre sens d’appartenance, notre sensation
d’enracinement, notre sentiment d’"être à la maison’’,
dans la ville qui nous héberge et nous unit (LS
n°151), » il ne célèbre pas simplement Frederick Law
Olmstediv – il intervient, par exemple, dans la révolte
turque toute récente qui commença avec les plans de
détruire le parc Gezi d’Istanbul pour le remplacer par
un centre commercial et de luxueux appartements.
He also insists on giving “priority to
public transportation” over private
cars. This was the precise phrase
used by Jaime Lerner, the visionary
mayor of Curitiba, Brazil, when a
generation ago he launched the
world’s best transit system. His vision
of Bus Rapid Transit is now spreading
around the world, and it works best
precisely where it most
inconveniences autos, by insisting on
dedicated bus lanes and the like. It
makes getting around as easy for the
poor as for the rich; every BRT lane is
a concrete demonstration of what the
Latin American liberation theologians,
scorned and hounded by previous
popes, once called “the preferential
option for the poor.”
12. Il insiste aussi pour donner la priorité aux
« transports publics (LS n°211) » sur les voitures
privées. Ce fut la phrase exacte utilisée par Jaime
Lerner, le maire visionnaire de la ville de Curitiba, au
Brésil, quand il lança, il y a une génération, le meilleur
réseau de transport en commun du monde. Sa vision
du « Bus Rapid Transit » se répand maintenant dans
le monde entier, et il fonctionne le mieux précisément
là où il gêne le plus les voitures, en privilégiant des
lignes de bus dédiées et autres aspects de ce genre.
Cela permet de se déplacer aussi facilement pour le
pauvre que pour le riche ; chaque ligne du BRT est
une démonstration concrète de ce que les
théologiens de la libération latino américains, rejetés
et combattus par les papes précédents, appelèrent en
leur temps « l’option préférentielle pour les pauvres. »
The pope is at his most rigorous when
he insists that we must prefer the
common good to individual
advancement, for of course the world
we currently inhabit really began with
Ronald Reagan’s and Margaret
Thatcher’s insistence on the opposite.
(It was Thatcher who said, memorably,
that “there’s no such thing as society.
There are individual men and women
and there are families,” and that’s
that.) In particular, the pope insists
that “intergenerational solidarity is not
optional, but rather a basic question of
justice, since the world we have
received also belongs to those who
will follow us.”
13. Le Pape est le plus sévère quand il insiste pour
que nous préférions le bien commun au progrès
individuel, car évidemment le monde dans lequel
nous habitons a réellement commencé avec
l’insistance de Ronald Reagan et Margaret Thatcher
pour le contraire (Thatcher a dit, de façon mémorable,
qu’ « il n’y a pas de société. Il y a des hommes et des
femmes individuelles et il y a des familles, » et c’est
tout.) Le Pape insiste en particulier sur le fait que la
solidarité intergénérationnelle n’est pas « une attitude
optionnelle, mais ❲une❳ question fondamentale de
justice, puisque la terre que nous recevons appartient
aussi à ceux qui viendront (LS n°159). »
Think of the limitations that really
believing that would place on our
current activities. And think too what it
would mean if we kept not only “the
poor of the future in mind, but also
today’s poor, whose life on this earth
is brief and who cannot keep on
waiting.” We literally would have to
stop doing much of what we’re
currently doing; with poor people living
on the margins firmly in mind, and
weighing the interests of dozens of
future generations, would someone
like to write a brief favoring, say, this
summer’s expansion by Shell (with
permission from President Obama) of
oil drilling into the newly melted waters
of the Arctic? Again the only
applicable word is “radical.”
But as I say, we’ve seen this kind of
neither-liberal-nor-conservative
radicalism before—from critics like
Schumacher or Berry or, in the
14. Réfléchissez aux limitations que croire réellement
en cela mettrait sur nos activités actuelles. Et
réfléchissez aussi sur ce que cela signifierait si nous
ne penserions non seulement « aux pauvres de
l’avenir », mais aussi aux « pauvres d’aujourd’hui, qui
ont peu d’années de vie sur cette terre et ne peuvent
pas continuer d’attendre (LS n°162). » Nous devrions
littéralement arrêter de faire la plupart des choses
que nous faisons actuellement ; avec les pauvres qui
vivent en marge fermement à l’esprit, et en pesant les
intérêts de dizaines de générations futures, quelqu’un
aimerait-il écrire une lettre en faveur, par exemple, de
l’expansion de cet été des forages pétroliers dans les
nouvelles eaux libres de l’Arctique par Shell (avec la
permission du Président Obama)? Encore une fois, le
seul mot applicable est « radical ».
15. Mais comme je l’ai dit, nous avons vu dans le
passé du radicalisme ni libéral ni conservateur –
depuis les critiques comme celles de Schumacher ou
formulation of New York Times
columnist David Brooks, other
“purveyors of “1970s-style doommongering about technological
civilization.” Indeed any serious effort
to alter or even critique the largest
trends in our civilization is now
scorned, often by the theoretical left as
well as the right. Brooks is united with,
for instance, n+1 editor Mark Greif,
who in his recent The Age of the Crisis
of Man (2015) heaps contempt on
those who would do precisely what the
pope undertakes:
Anytime your inquiries lead you to say, “At this
moment we must ask and decide who we
fundamentally are…” just stop. You have
begun asking the wrong analytic questions for
your moment…. Answer, rather, the practical
matters…and find the immediate actions
necessary to achieve an aim.
For some, this would mean don’t talk
about individualism versus the
common good; talk about some new
scheme for carbon credits. In Brooks
and Greif we hear the “real world”
talking.
By contrast, at least since the Buddha,
a line of spiritual leaders has offered a
reasonably coherent and remarkably
similar critique of who we are and how
we live. The greatest of those critics
was perhaps Jesus, but the line
continues through Francis’s great
namesake, and through Thoreau, and
Gandhi, and many others. Mostly, of
course, we’ve paid them devoted lip
service and gone on living largely as
before.
We’ve come close to change—opinion
surveys at the end of the 1970s, for
instance, showed that 30 percent of
Americans were “pro-growth,” 31
percent “anti-growth,” and 39 percent
“highly uncertain,” and President
Carter held a White House reception
for Schumacher. But Reagan’s
election resolved that tension in the
usual way, and the progress we’ve
made, before and since, has been
technological, not moral; people have
been pulled from poverty by
expansion, not by solidarity. The
question is whether the present
moment is actually any different, or
whether the pope’s words will fall as
seeds on rocky ground.
Berry jusqu’aux autres « pourvoyeurs
du catastrophisme ambiant style années 70 à propos
de la civilisation technologique », pour reprendre la
formulation du chroniqueur du New York Times David
Brooks. Tout effort sérieux de changer ou même
critiquer les plus grandes tendances de notre
civilisation est bel et bien méprisé, souvent par la
gauche théorique aussi bien que par la droite. Brooks
est solidaire, par exemple, de l’éditeur n+1 Mark
Greif, qui s’en prend à ceux qui voudraient justement
faire ce que le Pape entreprend, dans son récent livre
The Age of the Crisis of Man (2015) :
Chaque fois que vos enquêtes vous amènent à dire,
« En ce moment, nous devons nous demander et décider
ce que nous sommes fondamentalement...», arrêtez
vous simplement. Vous avez commencé à poser la
mauvaise question analytique pour votre
époque…Répondez plutôt aux questions pratiques…et
trouvez les actions immédiates nécessaires pour
atteindre un but.
Pour certains, cela signifie de ne pas parler de
l’individualisme par rapport au bien commun ; parlez
de nouveaux schémas pour les crédits carbone. Avec
Brooks et Greif, nous entendons le « monde réel »
parler.
Par contraste, au moins depuis le Bouddha, une série
de leaders spirituels a offert une critique
raisonnablement cohérente et remarquablement
similaire sur ce que nous sommes et comment nous
vivons. Le plus grand de ces critiques a peut-être été
Jésus, mais la ligne continue avec le grand
homonyme de François, et avec Thoreau, et Gandhi,
et de nombreux autres. Nous n’avons évidemment
accordé à la plupart d’entre eux qu’un intérêt de pure
forme, et avons continué à vivre en grande partie
comme avant.
16. Nous avons failli changer – des sondages à la fin
des années 70, par exemple, montraient que 30%
des Américains étaient pour la croissance, 31%
contre, et 39% « très incertains, » et le Président
Carter a tenu une réception à la Maison Blanche pour
Schumacher. Mais l’élection de Reagan a résolu cette
tension de la manière habituelle, et le progrès que
nous avons fait, avant et depuis, a été technologique,
pas moral ; les gens ont été sortis de la pauvreté par
l’expansion, pas par la solidarité. La question est de
savoir si les temps actuels sont vraiment différents,
ou si les mots du Pape tomberont comme des graines
If there’s a difference this time, it’s that
we seem to have actually reached the
edge of the precipice. Schumacher
and the visionaries of the 1970s
imagined that the limits to growth were
a little further off, and offered us strong
warnings, which we didn’t heed.
sur le sol pierreux.
S’il y a une différence cette fois-ci, c’est qu’il semble
que nous avons réellement atteint le bord du
précipice. Schumacher et les visionnaires des années
70 imaginaient que les limites de la croissance étaient
un peu plus éloignées, et nous ont offerts de sérieux
Take water, which the pope addresses avertissements, dont nous n’avons pas tenu compte.
at length. We probably should not
need his words to know that “access
to safe drinkable water is a basic and
universal human right, since it is
essential to human survival.” We all
know it should not be wasted, and yet
we continue to waste it because doing
so is beneficial to the rich and
powerful: for instance, insurance
companies have planted enormous
almond groves across California in
recent years even as water supplies
have started to shrink, and
agribusiness planters have drawn
down the aquifers of the Midwest.
In the same week that the pope’s
encyclical emerged, a huge new study
showed that those aquifers are now
overdrawn in regions that provide food
for two billion people—the data come
from satellites measuring the earth’s
gravitational field, which means that
the water losses are so large they’re
affecting the planet on that scale. In
the American West alone, the drought
has become so serious that last year
those satellites showed the
evaporation of 63 trillion gallons of
groundwater, weighing nearly 240
billion tons, a loss of enough weight
that the Sierra Nevada mountains
became measurably higher. New data
also show that California’s drillers
must now go so deep to find
groundwater that the supplies they tap
have been in the ground for 20,000
years.
Or take biodiversity, where the pope
rightly notes that “caring for
ecosystems demands far-sightedness,
since no one looking for quick and
easy profit is truly interested in their
preservation.” But that alarm sounds
somewhat louder when, in the same
week as the encyclical, a new study in
a prestigious journal found that
extinctions were now happening at
17. Prenez l’exemple de l’eau, que le Pape traite
longuement. Nous n’avons probablement pas besoin
de ses mots pour savoir que « l’accès à l’eau potable
et sûre est un droit humain primordial, fondamental et
universel, parce qu’il détermine la survie des
personnes (LS n°30). » Nous savons tous qu’elle ne
doit pas être gaspillée, et portant nous continuons à
la gaspiller parce que cela est bénéfique pour les
riches et les puissants : par exemple, des
compagnies d’assurance ont planté d’énormes bois
d’amandiers à travers la Californie dans les années
récentes, même si les réserves d’eau ont commencé
à diminuer, et les planteurs agroalimentaires ont
épuisé les nappes aquifères du Midwest.
La même semaine que celle de la parution de
l’encyclique du Pape, une étude nouvelle de grande
envergure a montré que les nappes aquifères sont
maintenant épuisées dans des régions qui produisent
de la nourriture pour deux milliards de personnes –
les données viennent de satellites qui mesurent le
champ gravitationnel terrestre, ce qui signifie que les
pertes en eau sont si grandes qu’elles affectent la
planète à cette échelle. Rien que dans l’Ouest
américain, la sécheresse est devenue si sérieuse que
ces satellites ont montrés l’an dernier l’évaporation de
63 milliards de gallons d’eau souterraine, soit environ
240 milliards de tonnes, une perte de poids telle que
les montagnes de la Sierra Nevada s’en sont
trouvées surélevées de façon mesurable. De
nouvelles données montrent aussi que les foreurs de
Californie doivent maintenant creuser si
profondément pour trouver des nappes phréatiques
que les ressources qu’ils puisent gisent dans le sol
depuis 20 000 ans.
18. Ou bien prenez la biodiversité, pour laquelle le
Pape note avec raison que « la sauvegarde des
écosystèmes suppose un regard qui aille au-delà de
l’immédiat, car lorsqu’on cherche seulement un
rendement économique rapide et facile, leur
préservation n’intéresse réellement personne (LS
114 times the normal background rate,
and that the planet’s “sixth mass
extinction is already underway.” In
view of such empirical data, we can
understand the pope’s rare flicker of
real anger when he refers to those
“who turned the wonderworld of the
seas into underwater cemeteries
bereft of colour and life.”
His profound sadness about the
inequality among people, and the toll it
exacts on the poor, is also
undergirded by remarkable new data
that separate it from earlier critiques.
The data show right now that
inequality is reaching almost absurd
heights: for instance, the six heirs to
the Walmart fortune have more assets
than the bottom 42 percent of all
Americans combined; the two Koch
brothers (together the richest men on
the planet) have plans to spend more
than the Republicans or the
Democrats on the next federal
election. If you want to understand
why the Occupy movement or the
early surge toward Bernie Sanders
caught the usual political analysts by
surprise, consider those facts. (The
pope suggests that “many
professionals, opinion makers,
communications media and centres
and power, being located in affluent
urban areas, are far removed from the
poor with little direct contact with their
problems.”)
Above all, the empirical data about
climate change make it clear that the
moment is ripe for this encyclical. A
long line of gurus, of whom Francis is
the latest, is now converging with a
large number of contemporary
scientists; instead of scriptures, the
physicists and chemists consult the
latest printouts from their computer
models, but the two ways of knowing
seem to be making the same point. So
far we’ve melted most of the sea ice in
the summer Arctic, made the oceans
30 percent more acidic, and started
the apparently irreversible slide of the
West Antarctic Ice Sheet into the
surrounding ocean. We are, to put it
another way, systematically destroying
the largest physical features on the
planet, and we are doing it at a rapid
pace.
n°36).
» Mais cette alarme sonne plus fort encore
quand, la même semaine que l’encyclique, une
nouvelle étude dans un journal prestigieux révéla que
les extinctions se produisaient maintenant à un taux
114 fois supérieur au taux normal naturel, et que la
« sixième extinction massive d’espèces de la planète
est déjà en cours. » En vue de telles données
empiriques, nous pouvons comprendre le rare éclat
de vraie colère du Pape quand il fait état de ceux qui
ont « transformé le merveilleux monde marin en
cimetières sous-marins dépourvus de vie et de
couleurs (LS n°41). »
19. Sa profonde tristesse à propos de l’inégalité entre
les personnes, et le tribut que cela fait payer aux
pauvres, s’appuie sur de nouvelles données
remarquables, qui la différencient des critiques
antérieures. Les données montrent dès à présent que
l’inégalité atteint des proportions presque absurdes :
par exemple, les six héritiers de la fortune Walmartv
ont plus de biens que les 42% de tous les Américains
les moins riches réunis ; les deux frères Kochvi
(ensemble les hommes les plus riches de la planète)
ont des projets de dépenser plus que les
Républicains et les Démocrates pendant la prochaine
élection fédérale. Si vous voulez comprendre
pourquoi le mouvement Occupyvii ou la première
vague en faveur de Bernie Sandersviii prirent par
surprise les analystes politiques habituels, prenez en
compte ces faits. (Le Pape suggère que « beaucoup
de professionnels, de leaders d’opinion, de moyens
de communication et de centres de pouvoir sont
situés loin des pauvres, dans des zones urbaines
isolées, sans contact direct avec les problèmes des
exclus (LS n°49). »
20. Par-dessus tout, les données empiriques sur le
changement climatique montrent clairement que le
moment est mûr pour cette encyclique. Une longue
lignée de gourous, dans laquelle François est le
dernier, converge maintenant avec un grand nombre
de scientifiques contemporains ; au lieu des écritures,
les physiciens et les chimistes consultent les derniers
enregistrements de leurs modèles informatiques,
mais les deux manières de connaitre semblent
souligner la même chose. Jusqu'à maintenant, nous
avons fait fondre la plupart de la glace marine dans
l’été Arctique, rendu les océans 30% plus acides, et
provoqué le glissement apparemment irréversible de
la calotte glaciaire de l’Antarctique ouest dans l’océan
environnant. Autrement dit, nous sommes en train de
Given that, who’s the realist? The
pope, with his insistence that we need
a rapid cultural transformation, or
David Brooks, speaking for the
complacent, with his insistence that
“over the long haul both people and
nature are better off with technological
progress”? The point is, there no
longer is any long haul. Those who
speak, in the pope’s words, the
language of “nonchalant resignation or
blind confidence in technical solutions”
no longer have a tenable case. What
he calls the “magical conception of the
market” has not, ultimately, done what
Reagan promised; instead it has
raised, for the first time, the very real
specter of wholesale planetary
destruction, of change that will be
measured in geological time.
It’s quite possible—probable, even—
that the pope will lose this fight. He’s
united science and spirit, but that
league still must do battle with money.
The week the encyclical was released,
Congress approved, in bipartisan
fashion, fast-track trade legislation, a
huge victory for the forces of
homogenization, technocracy, finance,
and what the encyclical calls
“rapidification.”
It’s not that markets shouldn’t play a
part in environmental solutions:
everyone who’s studied the problem
believes that the fossil fuel industry
should pay a price for the damage
carbon does in the atmosphere, and
that that price, if set high enough,
would speed up the transition to
renewable energy. But the climate
movement has largely united behind
plans that would take that money from
the Exxons of the world and return it to
all citizens, which would have the
effect of giving poor and middle-class
people, who generally use less fossil
fuel, a substantial net gain. The new
fast-track agreements, by contrast,
apparently explicitly forbid new climate
agreements as a part of trade
negotiations.
Anyway, if the outcome of the realworld battle is uncertain, the pope
carries the intellectual contest. Brooks,
for instance, makes the centerpiece of
détruire systématiquement les plus grands ensembles
physiques de la planète, et nous le faisons à un
rythme rapide.
21. Ceci étant, qui est réaliste ? Le Pape, disant avec
insistance que nous avons besoin d’une
transformation culturelle rapide, ou David Brooks,
parlant pour la complaisance, disant avec insistance
que « sur le long terme, les êtres humains et la nature
sont mieux lotis avec le progrès technologique ? » Le
fait est qu’il n’y a plus de long terme. Ceux qui
parlent, en reprenant le Pape, le langage de « la
résignation facile, ou la confiance aveugle dans les
solutions techniques (LS n°14) », n’ont plus à présent
un cas défendable. Ce que le Pape appelle la
« conception magique du marché (LS n°190) »
n’a pas réalisé, en fin de compte, ce que Reagan
promettait ; au lieu de cela, elle a agité, pour la
première fois, le spectre vraiment réel d’une
destruction planétaire massive, d’un changement qui
sera mesuré en temps géologique.
Il est bien possible – probable, même – que le Pape
perdra son combat. Il a uni la science et la spiritualité,
mais cette alliance doit encore se battre avec de
l’argent. Dans la semaine de la publication de
l’encyclique, le Congrès a approuvé, de façon
bipartite, une législation économique accélérée, une
énorme victoire pour les forces d’homogénéisation,
de la technocratie, de la finance, et le reflet de ce que
l’encyclique nomme « rapidaciónix (LS n°18). »
Ce n’est pas que les marchés ne devraient pas jouer
un rôle dans les solutions environnementales : tout
ceux qui ont étudié le problème pensent que
l’industrie des combustibles fossiles devrait payer le
prix pour les dommages occasionnés à l’atmosphère
par le carbone, et que ce prix, s’il est suffisamment
élevé, accélèrerait la transition vers les énergies
renouvelables. Mais le mouvement climatique s’est
largement uni derrière des plans qui prendraient
l’argent des Exxons du monde et le redistribueraient à
tous les citoyens, ce qui aurait pour effet de donner
un gain net substantiel aux pauvres et aux gens de la
classe moyenne, qui utilisent généralement moins de
combustibles fossiles. Les nouveaux accords
accélérés, au contraire, interdisent apparemment
explicitement que de nouveaux accords climatiques
fassent partie des négociations commerciales.
De toute manière, si le résultat de la bataille du
his attack on the encyclical the notion
that the promising technocratic
approach is, fortunately, expanding
fracking, because burning natural gas
produces less carbon than burning
coal. This is scientifically obtuse (as I
explained in these pages, an emerging
body of evidence shows that fracking
instead liberates vast quantities of
methane, an even more potent
greenhouse gas2), but in any event
the extent of the damage we’ve
already done to the climate means we
no longer have room for slightly less
damaging fossil fuels. We have to
make the leap to renewable power.
And the good news is that that’s
entirely possible. Thanks to the
engineers whose creativity the pope
celebrates, we’ve watched the price of
solar panels fall 75 percent in the last
six years alone. They’re now cheap
enough that a vast effort, rooted in
pragmatic physics, could ensure
before the decade was out that there
would hardly be a hut or hovel that
lacked access to energy, something
that the fossil fuel status quo has
failed to achieve in two hundred years.
Such a change would be carried out
by small-scale entrepreneurs of just
the sort the pope has in mind when he
describes the dignity of work. And it
would mean a very different world.
Instead of centralized power in the
hands of a few oil and gas barons like
the Koch brothers, the earth would
draw its energy from a widely diffused
and much more democratic grid.
Building that system in time would
require aid to the poorest nations to
jumpstart the transition. It would
require, for instance, a world much like
the one the pope envisions, where
concern for the poor counts as much
as, in Brooks’s sad words, the “low
motivations of people as they actually
are.”
Brooks, Reagan, and Thatcher
summon the worst in us and assume
that will eventually solve our
problems—to repeat Brooks’s sad
phrase, we should rely on the “low
motivations of people as they actually
are.” Pope Francis, in a moment of
great crisis, speaks instead to who we
could be individually and more
monde réel est incertain, le Pape mène le débat
intellectuel. Brooks, par exemple, utilise comme pièce
maîtresse de son attaque contre l’encyclique la notion
que l’approche technocratique prometteuse est,
heureusement, l’expansion de la fracturation
hydraulique (fracking)x, parce que brûler du gaz
naturel produit moins de carbone que de brûler du
charbon. Ceci est scientifiquement obtus (comme je
l’explique dans ces pages, un ensemble de nouvelles
preuves montre que la fracturation hydraulique libère
plutôt de vastes quantités de méthane, un gaz à effet
de serre encore plus puissantxi ), mais de toute façon
l’étendue des dégâts que nous avons déjà faits au
climat signifie que nous n’avons plus de marge pour
accommoder des combustibles fossiles légèrement
moins polluants. Nous devons faire le saut vers
l’énergie renouvelable.
22. Et la bonne nouvelle est que c’est tout à fait
faisable. Grâce aux ingénieurs dont le Pape célèbre
la créativité, nous avons vu le prix des panneaux
solaires baisser de 75% rien que dans les six
dernières années. Ils sont maintenant suffisamment
bon marché qu’un gros effort, basé sur de la physique
pragmatique, pourrait garantir, avant la fin de la
décade, qu’il n’y aurait plus de hutte ou de masure
manquant d’accès à l’énergie, ce que les
combustibles fossiles n’ont pas réussi à faire en deux
cent ans. Un tel changement serait effectué par des
entrepreneurs de petite taille, exactement ceux que le
Pape a en tête quand il décrit la dignité du travail. Et
cela signifierait un monde bien différent. À la place
d’un pouvoir centralisé dans les mains de quelques
barons du pétrole et du gaz comme les frères Koch,
la Terre tirerait son énergie d’un réseau largement
répandu et bien plus démocratique. Construire ce
système à temps exigerait de l’aide aux nations les
plus pauvres, pour démarrer la transition. Cela
exigerait, par exemple, un monde ressemblant
beaucoup à celui que le Pape envisage, dans lequel
la préoccupation pour le pauvre compte autant que
les « faibles motivations des gens telles qu’elles sont
en réalité », pour reprendre les mots tristes de
Brooks.
23. Brooks, Reagan, Thatcher en appellent au pire en
nous et supposent que cela va finalement régler nos
problèmes – pour répéter la triste phrase de Brooks,
nous devrions compter sur les « faibles motivations
des gens telles qu’elles sont en réalité. » Le Pape
François, dans un moment de grande crise, s’adresse
importantly as a species. As the data
suggest, this may be the only option
we have left.
au contraire à ceux que nous pourrions être
individuellement et, plus important encore, en tant
qu’espèce. Comme le suggèrent les données, c’est
peut-être bien la seule option qui nous reste.
iVoir Prophet in Kentucky, The New York Review, June 14, 1990.
iiLaudato Si’ (LS), n° 110 ; tous les passages extraits de Laudato Si’ correspondent au texte
publié en français par le Vatican (http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/encyclicals/documents/papafrancesco_20150524_enciclica-laudato-si.html) (NdT).
iiiDu mouvement clandestin, apparu en Angleterre au début du XIXeme siècle, appelé
luddisme, qui était contre les machines ; par extension, terme utilisé pour designer les
opposants aux nouvelles technologies (source : Wikipedia, Luddisme) (NdT).
ivFrederick Law Olmsted (1822-1903) était un architecte-paysagiste américain, célèbre entre
autres pour la construction de Central Park, à New York (source : Wikipedia) (NdT).
vWalmart est une entreprise américaine multinationale spécialisée dans la grande
distribution (source : Wikipedia) (NdT).
viCharles G. Koch et David H. Koch possèdent Koch Industries, société privée américaine
avec des filiales dans des domaines très variés : génie pétrolier, génie chimique, finance,
courtage de matières premières, élevage (source : Wikipedia) (NdT).
viiLe mouvement Occupy est un mouvement international de protestation sociale,
principalement dirigé contre les inégalités économiques et sociales (source : Wikipedia)
(NdT).
viiiBernie Sanders est un homme politique américain, candidat aux primaires du Parti
démocrate pour l'élection présidentielle américaine de 2016 (source : Wikipedia) (NdT).
ixEn espagnol dans le texte original de Laudato Si’ (NdT).
xLa fracturation hydraulique est une technique d’extraction du pétrole ou du gaz naturel
(NdT).
xiVoir “Why Not Frack?,” The New York Review, March 8, 2012.
xiiNote du traducteur (tirée d’une lettre adressée le 10 juin 2016 par Roger Simon à Jacques
VALLÉE) : « J’ai noté deux points pas tout à fait corrects dans cet article. Le premier, quand
l’auteur affirme, à propos des papes précédents, que « pour eux les questions écologiques
étaient secondaires » (voir n° 4). Il suffit de lire les textes cités par le Pape François pour voir
qu’ils s’en sont sérieusement préoccupés, dans le contexte respectif qui était le leur. Le
deuxième, plus « subversif », est à propos des théologiens de la libération (voir n° 12)
« scorned and hounded by previous popes ». Cela peut donner l’impression que la théologie
de la libération était parfaite ! »

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