Héloïse Leclerc - Ville de Québec

Transcription

Héloïse Leclerc - Ville de Québec
MÉMOIRE #003
La nourriture de rue à la croisée des chemins
Un mémoire déposé dans le cadre de la démarche consultative de la Ville de Québec sur la cuisine de rue
Présenté par Héloïse Leclerc, Foodista en mission
Québec, le 27 septembre 2016
PRÉSENTATION DE L’AUTEUR
Active dans le domaine des communications et du développement d’affaires depuis une
quinzaine d’années à Québec, Héloïse Leclerc a quitté ses fonctions de conseillère en
développement local et conseillère aux entrepreneurs au Centre local de développement de
Québec en 2011 afin de poursuivre sa passion pour la cuisine.
Elle a complété un diplôme en arts culinaires au Pacific Institute of Culinary Arts en 2012 à
Vancouver, Colombie-Britannique, où elle a démarré son premier blogue culinaire, 180 degrés. À
la même époque, elle a assisté à l’émergence du premier projet pilote de food trucks à
Vancouver, et elle a voyagé jusqu’à Portland, Oregon, la ville américaine la plus reconnue pour
sa nourriture de rue, où elle a réalisé des entrevues suite auxquelles elle a rédigé des billets
s’intéressant aux facteurs de succès de la cuisine de rue.
De retour au Québec, Héloïse Leclerc s’est lancée à son compte avec des services en création et
en communication culinaire. Elle offre son expertise comme consultante en restauration et
rédige des articles culinaires pour plusieurs médias imprimés et électroniques de Québec et de
Montréal, en plus de mener de front plusieurs projets axés sur l’innovation culinaire.
En 2015, elle a notamment consacré son été à la promotion active de la nourriture de rue, en
présentant un menu d’inspiration « street food » dans des événements publics et en
coordonnant une campagne de relations de presse visant à mettre en lumière ce style de
restauration à Québec. Son propos a pu être entendu dans plusieurs médias officiels de Québec,
incluant Le Soleil et la radio de Radio-Canada.
Ne possédant ni restaurant ni food truck, Héloïse Leclerc n’a pas d’intérêt financier dans la
discussion entourant l’implantation d’un projet de cuisine de rue à Québec. Elle a choisi de
s’impliquer, car elle croit que ce dossier aidera sa ville à exprimer son plein potentiel culinaire.
2
QU’EST-CE QUE LA CUISINE DE RUE?
Dans le document de préparation à l’audition sur la cuisine de rue à Québec, les auteurs en
offrent la définition suivante :
« La cuisine de rue, mieux connue sous le nom de "food truck", est la vente d’aliments à partir
d’un véhicule ambulant équipé. Interdite dans la plupart des villes depuis plusieurs années, le
retour en force de cette offre culinaire est occasionné par la récession de 2008. »
Cette définition fonctionnelle gagnerait cependant à être quelque peu élargie. La cuisine de rue
est mieux connue en anglais sous le nom de « Street food » et consiste en la pratique de
commander et de manger de la nourriture sur la rue (plutôt que dans un espace dédié à la
consommation alimentaire, comme une salle de restaurant). Le « food truck », pour sa part,
n’est que l’une des expressions de la nourriture de rue, fournissant une infrastructure
permettant de servir de la nourriture à partir d’un accès routier (et non nécessairement dans la
rue à proprement parler). D’autres formules de cuisine de rue existent au Canada, aux ÉtatsUnis et de par le monde, parmi les suivantes :
-
-
-
Des guichets avec fenêtres sur rue à travers lesquelles des clients peuvent commander
et recevoir de la nourriture, sans possibilité de s’assoir dans une salle à l’intérieur.
Des bicyclettes ou autres petits véhicules motorisés circulant sur la voie publique et
s’immobilisant pour servir de la nourriture préparée à l’avance et maintenue à chaud (le
stand de hot-dogs), préemballée et servie à froid (le camion de crème glacée) ou
préparée à la minute (le kiosque de marrons grillés en est un bon exemple, mais les
préparations peuvent être plus élaborées).
Des véhicules ou établis (stands) aménagés afin de servir de la nourriture préparée ou
de permettre la préparation de nourriture à la minute, installés de manière semipermanente dans des espaces privés raccordés à la voie publique (ex. : stationnement
privé, lot vacant).
Des individus à pied, disposant ou non d’une glacière, qui servent des mets ensachés ou
préparés à l’avance dans un lieu de production dédié (doté d’un permis) ou non (ex :
cuisine résidentielle.) Ce type de restauration se trouve le plus souvent dans les pays les
moins développés.
En raison des contraintes de préparation alimentaire, dont le manque d’espace, et du mode de
service (la nourriture passe des mains du restaurateur à celles du client, qui doit ensuite se
débrouiller pour manger, souvent debout), le style de nourriture issu de ce contexte fait partie
intégrante de la définition de la nourriture de rue : facile et rapide à manger et relativement
économique. En effet, si la facture grimpe trop, pourquoi se priverait-on d’une place confortable
dans la salle d’un restaurant, à l’abri des éléments?
Finalement, la cuisine de rue est aussi le point de ralliement d’une communauté qui regroupe
l’ensemble des gens qui la produisent et la consomment, et qui participent, du coup, au discours
qui forge l’identité culinaire d’une ville donnée.
3
S’il est vrai que la dépression de 2008 a renforcé l’intérêt porté à la cuisine de rue comme style
de restauration économique, tant pour l’entrepreneur en démarrage que pour le client, la
cuisine de rue existe partout dans le monde depuis très longtemps. Plusieurs municipalités ont
d’ailleurs choisi d’interdire ce style, car sa mobilité (non systématique mais répandue) et son
accessibilité financière (un individu qui décide de vendre ses brioches cuisinées maison sur la
rue fait face à très peu de frais) rendaient difficile le contrôle nécessaire pour garantir la sécurité
du public et la collecte des redevances appropriées.
Certains entrepreneurs ont identifié des manquements dans les législations locales, d’autres les
ont complètement ignorées, ce qui fait qu’au début des années 2000, certaines villes
américaines majeures ont dû faire face à la réalité et entreprendre des chantiers de réflexion
afin d’encadrer correctement ces pratiques. Ce fut le cas de Portland, et ce, bien avant la
récession de 2008.
Plusieurs autres villes américaines et canadiennes ont décidé de réviser leurs politiques à propos
de la nourriture de rue, tantôt pour contrôler la scène émergente, tantôt dans l’espoir de
susciter un succès semblable à celui connu par Portland, Austin et Los Angeles.
À Québec, des événements comme Resto-rue, le BBQ fest, le Festival des Brasseurs ainsi que
diverses fêtes de quartiers donnent lieu à une certaine expression de la nourriture de rue,
puisqu’on retrouve là l’association entre « lieu public » (le seul scénario où la nourriture est
offerte sur rue est la fête de quartier) et « consommation de nourriture. » Ces événements
sporadiques, non coordonnés entre eux, n’offrent cependant pas les éléments structurants
nécessaires pour soutenir une véritable culture de la cuisine de rue à Québec.
4
RÉSUMÉ DE LA PROBLÉMATIQUE
La nourriture de rue fait partie du paysage culinaire de pratiquement tous les pays du monde.
Créative et abordable, elle est attrayante pour la population locale et les touristes. Partout,
cependant, elle suscite un lot d’inquiétudes et de débats axés autour des mêmes enjeux :
l’hygiène, la santé, la salubrité, l’utilisation de l’espace public et l’économie. 1
En tant qu’activité alimentaire commerciale, la nourriture de rue se trouve automatiquement
assujettie aux normes de préparation dictées par l’organisme responsable de cet aspect dans
chaque pays ou région donnée. Au Québec, la réglementation MAPAQ est claire et accessible.
Ainsi, les réticences envers la cuisine de rue fondées sur la santé et la salubrité alimentaires ne
sont fondées que dans la mesure où l’on douterait de la capacité du Ministère à en assurer le
contrôle.
Dans le cas de la ville de Québec, les principales réticences relèvent donc davantage de
l’utilisation de l’espace public et, surtout, de préoccupations économiques légitimes des
restaurateurs de Québec. En effet, la ville de Québec compte un nombre très élevé de
restaurants per capita et la perspective que la compétition soit encore exacerbée par
l’augmentation de l’offre alimentaire sous la forme de cuisine de rue inquiète les restaurateurs.
Cette situation n’est cependant pas propre à Québec. De par le monde, ailleurs au Canada et au
Québec notamment, des analyses, des réflexions et des politiques ont été mises en place afin de
bien baliser le développement de cette offre.
La principale récrimination des restaurateurs face à ce style de restauration, c’est l’idée que la
cuisine de rue représente une compétition déloyale parce que les food trucks ne sont pas
assujettis aux mêmes taxes que les restaurants « brique et mortier » traditionnels et qu’en plus,
ils peuvent interpeler la clientèle en face de leur commerce à des moments stratégiques.
En contrepartie, la cuisine de rue n’offre évidemment pas les mêmes services et ne dispose pas
du même potentiel de gains que le restaurant traditionnel (ex : pas de permis de boisson, pas de
salle à manger, donc impossibilité de faire des affaires lorsque la température ne le permet pas
– en hiver ou lorsqu’il pleut –, impossibilité de fournir une expérience globale avec le service et
l’ambiance en salle pour soutenir le propos culinaire...).
1
Jessica Huey, On the go : insights into food trucks regulation. Harvard Kennedy School, ASH Center,
http://datasmart.ash.harvard.edu/news/article/case-study-food-trucks-585 (relevé le 2 septembre 2016),
mars 2015.
5
LE CAS DE PORTLAND
Capitale de la cuisine de rue aux États-Unis2, le cas de Portland est particulièrement intéressant
à étudier, dans la mesure où sa population (609 000) peut se comparer à celle de Québec
(516 000) plus aisément qu’en tentant de tracer des parallèles avec New York ou Los Angeles.
La nourriture de rue s’est développée à Portland avant l’apparition des premiers règlements
visant à l’encadrer. Le premier food cart, exploitant un flou dans la législation municipale, se
serait installé dans un stationnement de la ville au début des années 80 en échange d'une
location de parking mensuelle. L'entrepreneur qui a initié ce modèle n'a pas tardé à connaître
un franc succès et à inspirer d'autres entrepreneurs aventureux et opportunistes, si bien que
leur nombre a grandi tranquillement pendant les années 90 jusqu'à exploser au début des
années 2000, ce qui a entraîné le besoin de légiférer afin d’encadrer les pratiques.
Contrairement à plusieurs villes où la nourriture de rue est perçue comme une menace dont il
faut limiter les impacts négatifs, la ville de Portland a géré ce dossier en étant convaincue de son
potentiel de développement économique et culturel, ce qui était un peu un acte de foi à
l’époque, puisqu’il n’y avait que peu de précédents. L’ensemble des mesures qui ont été
implantées visait à répondre aux enjeux récurrents du style de restauration (hygiène, santé,
sécurité, utilisation de l’espace public, économie – incluant équité avec la restauration
traditionnelle), mais aussi, à en favoriser le succès plutôt que de simplement en limiter les
risques.
Et le pari a été relevé, puisqu’en plus d’avoir 500 food carts actifs3 en ce moment, Portland se
situe au troisième rang du nombre de restaurants à service complet per capita aux États-Unis,
soutenant l’idée que le développement d’une scène n’a pas à se faire au détriment de l’autre, et
qu’au contraire, elles peuvent se soutenir mutuellement pour contribuer à la réputation
culinaire d’une ville.4
L’un des aspects les plus intéressants de la politique de Portland repose sur une conception très
différente de la cuisine de rue. En effet, les camions de cuisine de rue ne circulent pas dans les
rues de Portland. À l’image de l’entrepreneur à qui l’ont doit le premier food cart, les unités de
cuisine de rue de la ville sont généralement stationnées dans divers emplacements stratégiques
(ex : lots vacants, stationnements convertis, terrains privés) et regroupés en « pods », des îlots
rassemblant plusieurs food carts. La ville en compte actuellement une vingtaine dont plusieurs
îlots ont développé une identité distincte. Ces îlots culinaires semi-permanents attirent leur
2
Jessica Huey, On the go, p.11-12
Marlene Parrish, Portland, Ore., shows how it can be done with 500 food carts and trucks,
http://www.post-gazette.com/food/2012/10/04/Portland-Ore-shows-how-it-can-be-done-with-500-foodcarts-and-trucks/stories/201210040350 (relevé le 2 septembre 2016), 4 octobre 2012
4
Dana Bowen, Portland, Oregon's food cart phenomenon goes well beyond America's mobile dining
trend, http://www.saveur.com/article/Travels/Portland-Food-Trucks, (relevé le 2 septembre 2016), 5 août
2012
3
6
propre clientèle plutôt que de faire de la simple prédation sur la clientèle des restaurants.
Certains food pods ont même permis de revitaliser des secteurs du centre-ville.
Cela ne revient pas à dire que ce modèle est le seul qui soit viable : certaines villes sont dotées
d’un modèle mixte permettant à la fois aux camions de circuler ou de se stationner à plus long
terme, d’autres encore imposent des déplacements fréquents en imposant une distance
réglementaire variable (allant de 0 à 1000 pieds) entre le lieu de vente et la proximité de
restaurants conventionnels.
7
VERS UN PLAIDOYER POUR LA CUISINE DE RUE
Il est important de prendre conscience que si la cuisine de rue peut présenter un risque, elle
peut aussi être un moteur de développement. Elle peut être particulièrement utile pour
combattre des déserts alimentaires, activer des espaces sous-utilisés comme des lots vacants,
servir d’incubateur à de futurs restaurateurs prospères. Les recherches sur la contribution de la
cuisine de rue à la vitalité sociale, culturelle et économique sont formelles : le potentiel est là.
Un aspect en particulier de la formule d’affaires de la cuisine de rue mérite qu’on s’y attarde de
manière plus spécifique : il s’agit d’un moteur d’innovation culinaire.
Entrepreneuriat, innovation et rayonnement culinaire
La mise de fonds nécessaire pour démarrer un projet de cuisine de rue n’a rien à voir avec celle
requise pour démarrer un restaurant, ce qui permet de favoriser l’entrée sur le marché de la
restauration à des entrepreneurs aux profils diversifiés. Par exemple, on pourrait penser aux
immigrants, aux jeunes diplômés et même, aux chefs d’expérience qui ont toujours été à
l’emploi d’un restaurateur sans réussir à réunir le financement nécessaire pour démarrer leur
propre établissement5.
L’intérêt de donner une voix culinaire à ces cuisiniers est manifeste : malgré le fait que le
nombre de restaurants per capita soit très élevé à Québec, la diversité n’est pas au rendez-vous
et la cuisine de rue, présentant des risques moindres, favorise l’innovation.
Comment se fait-il que la ville ne figure à peu près nulle part dans les palmarès nationaux et
mondiaux? Pourquoi n’est-elle pas considérée comme une destination gourmande au niveau
international, national, ou même provincial? Quel Montréalais fait le voyage jusqu’à Québec
pour y vivre une expérience culinaire? La qualité de ce qu’on y sert n’étant pas en cause, peutêtre faut-il regarder ailleurs.
Validation du marché
À Portland comme ailleurs, certains entrepreneurs de cuisine de rue ont connu un tel succès
avec leur produit que pour répondre adéquatement à l’offre, ils ont éventuellement ouvert un
restaurant « brique et mortier » avec une cuisine dédiée et un espace pour offrir une expérience
complète aux clients.
Ce cheminement est exemplaire, surtout lorsqu’on sait que 70% des nouveaux restaurants
traditionnels ferment leurs portes avant de célébrer leur 5e anniversaire et qu’à peine 15% se
rendent à leur dixième année d’opération. Dans ce contexte, il est logique d’imaginer un modèle
d’affaires grâce auquel les entrepreneurs culinaires auraient la possibilité de tester leur produit
dans leur marché cible et de bâtir un noyau de clientèle fidèle avant d’investir plus de 250 000$
5
Richard Myrick, Six reasons to start a food truck before opening a restaurant, http://mobilecuisine.com/startup-basics/food-truck-before-opening-a-restaurant/ (relevé le 2 septembre 2016)
8
dans l’ouverture d’un restaurant conventionnel. Pour environ 35 000$, c’est précisément ce qui
devient possible par l’entremise de la cuisine de rue.
Un exemple de succès canadien : le Japadog à Vancouver
Le street food le plus emblématique de Vancouver est sans contredit le Japadog6, une sorte de
fusion entre le hot dog américain et les saveurs du Japon. Ce nouvel aliment a été introduit au
centre-ville de Vancouver en 2005, dans un simple food stand sur rue démarré par deux
immigrants japonais avec de modestes moyens. En 2009, la franchise possédait 15 stands. La
consécration est véritablement arrivée avec les Olympiques de 2010, tandis que les athlètes et
visiteurs du monde entier ont attribué à cette création le statut de porte-étendard de la cuisine
de Vancouver, partagée entre son flair nord-américain et une influence asiatique marquée. C’est
en 2010 également que le commerce a ouvert son premier établissement brique et mortier. Son
premier food truck a, quant à lui, pris la route en 2011.
Parallèlement, la ville de Vancouver a amorcé un projet-pilote de nourriture de rue en 2011. Un
jury composé d’experts a été chargé de déterminer quels candidats obtiendraient l’un des rares
permis de food truck à partir d’une série de critères axés sur le menu, incluant l’utilisation
d’ingrédients locaux et la qualité nutritionnelle. Mentionnons que, selon ces critères, le Japadog
ne se serait pas qualifié, s’il n’avait pas déjà été reconnu comme street food emblématique de la
ville?
Cette situation invite à reconnaître que la cuisine de rue participe à la vitalité culinaire et
culturelle d’une ville par son aspect innovant et hautement démocratique.
Ces considérations doivent être au sommet de toute réflexion à propos de l’encadrement de la
nourriture de rue. Si le public ne cautionne pas, le produit ne survivra pas. Si le public embarque,
une nouvelle étoile est née – une étoile qui aurait pu ne jamais naître si elle avait été
disqualifiée par un encadrement trop restrictif, comme cela aurait pu être le cas pour le Japadog
de Vancouver.
6
Mladen Kukic, Everything tastes better standing up: a comparative analysis of food truck entreprise
bylaws in the cities of Vancouver and Toronto , http://hdl.handle.net/1974/8056 (relevé le 2 septembre
2016), 2013
9
FACTEURS DE SUCCÈS D’UNE SCÈNE DE CUISINE DE RUE DYNAMIQUE
Les facteurs favorables au succès d’une cuisine de rue en harmonie avec la scène de la
restauration existante ont été analysés en détail par divers comités et chercheurs 7. Nous
croyons que ces pistes constituent un bon aiguillage pour Québec dans le cadre de la législation
entourant un projet-pilote de cuisine de rue.
Nous avons regroupé les divers facteurs de succès en quatre thématiques : cohabitation et
équité, mobilité de la cuisine de rue, sélection des détenteurs de permis et sécurité, et facilité
d’accès au démarrage.
1. Cohabitation et équité
- Évaluer toutes les formules de cuisine de rue à disposition et non seulement la formule
« food trucks » (qui peut s’avérer ne pas être adéquate pour un territoire donné) ou
l’approche événementielle (qui ne permet pas l’émergence ou le maintien d’une culture
de la nourriture de rue).
- Éviter une approche à l’emporte-pièce et travailler à l’échelle locale pour favoriser une
cohabitation respectueuse entre les établissements de restauration traditionnels et les
restaurateurs de rue8.
- Ne pas exclure les restaurateurs de rue des artères commerciales, mais plutôt les inclure
avec une formule de membership qui contribue à la mobilisation9.
- Imposer une distance réglementaire entre les food trucks et les établissements de
restauration de moins de 61 mètres10, en misant d’abord et avant tout sur l’obligation
du restaurateur de rue d’offrir des produits et thèmes différents de ceux déjà proposés
par les restaurateurs traditionnels.
- Ne pas interdire systématiquement aux restaurateurs de rue l’accès aux zones plus
passantes et densément peuplées1112. Plutôt, identifier des zones commerciales denses
où la présence de nourriture de rue peut jouer un rôle de valeur ajoutée et autoriser la
présence de restaurateur de rue dans des zones désignées1314.
- Ne pas interdire aux restaurateurs de rue d’être en activité à des heures lucratives
(heure du diner ou du souper).
7
Nous recommandons l’excellent « On the go », une analyse mettant en relief les similitudes et les
différences entre 13 villes américaines sélectionnées pour leur représentativité de la scène de la
nourriture de rue aux États-Unis (notamment par leur représentation de villes à faible, moyenne et haute
densité), Food on Wheels ainsi que Everything tastes better standing up (une analyse des politiques de
cuisine de rue à Vancouver et Toronto comparées à celles de 4 autres villes américaines.)
8
National League of Cities, Food on wheels, p4, p.25, p. 28
9
Mladen Kukic, Everything tastes better standing up, p.4-5, p.48
10
National League of Cities, FOOD ON WHEELS: Mobile Vending goes mainstream,
http://www.nlc.org/Documents/Find%20City%20Solutions/Research%20Innovation/Economic%20Develo
pment/RI_FoodTruckReport2013_final.pdf (relevé le 2 septembre 2016), p.13
11
National League of Cities, Food on Wheels, p. 4, p.26-27
12
Mladen Kukic, Everything tastes better standing up, p.4
13
Mladen Kukic, Everything tastes better standing up, p.4
14
National League of Cities, Food on wheels, p.4, p.26-27
10
-
En dernier recours, limiter le nombre de restaurateurs de rue dans une zone
commerciale donnée et établir un système de loterie pour attribuer les emplacements15,
voire favoriser l’établissement sur des lots vacants16.
2. Mobilité de la cuisine de rue (si pertinent)
- Faciliter la mobilité des restaurateurs de rue afin de leur permettre de bénéficier de leur
principal avantage compétitif. Au besoin, recourir à plusieurs types de permis selon
l’emplacement (ex. : zone patrimoniale vs zone urbaine dense vs zone excentrique)
comme c’est le cas à Vancouver.
- Ne pas forcer des déplacements de food trucks à un intervalle de moins de 4 heures,
sachant qu’au moins une heure est généralement requise pour servir un premier client à
partir du moment où le véhicule est immobilisé sur un emplacement autorisé, une
heure sans revenu consacrée à lancer les activités de la cuisine17.
- Mettre en place des formules flexibles qui permettent aux restaurateurs de rue d’être
opportunistes (de se trouver là où la foule a besoin d’eux) aussi bien en ville qu’en
contexte privé afin de multiplier les sources de revenus.
3. Sélection des détenteurs de permis et sécurité
- Octroyer un nombre de permis assez significatif pour créer un réel mouvement de
cuisine de rue.
- Octroyer des permis aux demandeurs qui se conforment aux normes prescrites, et non
seulement aux restaurateurs qui possèdent un établissement de restauration
traditionnel.
- Encadrer l’implication du comité chargé d’évaluer les candidatures des demandeurs de
permis de cuisine de rue (ex : en fonction de la viabilité du plan d’affaires et la
conformité aux normes établies) et plutôt laisser aux consommateurs l’occasion de
réguler l’offre en fonction de leurs préférences réelles18.
- Ne pas imposer de restriction au niveau du style de nourriture ou de la qualité
nutritionnelle des menus anticipés par les demandeurs de permis de cuisine de rue, en
mettant plutôt de l’avant le fait que l’innovation sera favorisée (et qu’elle permettra au
futur restaurateur de rue de ne pas se positionner en compétition avec l’offre actuelle) 19
- Exiger que la préparation alimentaire se fasse dans un commissaire, c’est-à-dire, un lieu
de production alimentaire doté des infrastructures et permis nécessaires. Cela pourrait
prendre la forme d’une sous-location d’une cuisine de restaurant en dehors de ses
heures régulières d’ouverture (ce qui représenterait un revenu d’appoint pour le
15
National League of Cities, Food on Wheels, p. 12
Mladen Kukic, Everything tastes better standing up, p.4, p.27
17
Mladen Kukic, Everything tastes better standing up, p.12
18
Mladen Kukic, Everything tastes better standing up, p.5, p.49-51
19
Idem
16
11
restaurateur traditionnel) ou même, favoriser la création d’un espace de travail collectif
avec une mission culinaire (comme c’est le cas à Portland et Montréal)20.
4. Facilité d’accès au démarrage
- Mettre en vente des permis à coût modéré (de 75 à 1000$, la moyenne américaine se
situe dans la fourchette de 150 à 400$21) en s’assurant que ces coûts permettent
d’éponger les frais engendrés par l’administration du projet.
- Limiter au maximum le nombre de permis requis de la part de chaque restaurateur de
rue
- Limiter le nombre d’interlocuteurs pour le démarrage d’un projet de cuisine de rue,
voire offrir un guichet unique pour les entrepreneurs intéressés par la cuisine de rue 22.
- Accepter et encadrer la prise d’ententes entre les restaurateurs de cuisine de rue et les
propriétaires de terrain privés (ex. : stationnement au centre-ville).
20
National League of Cities, Food on Wheels, p.19-22
National League of Cities, Food on Wheels, p.9-10
22
National League of Cities, Food on Wheels, p.8
21
12
EN CONCLUSION
À Québec, le contexte particulier (faible densité urbaine et saison d’opérations courte) rend
l’implantation de la cuisine de rue plus difficile que dans certaines villes canadiennes et
américaines. L’inflexion donnée à la législation entourant ce style de cuisine aura un impact
certain sur sa capacité à émerger et à contribuer positivement à la scène culinaire locale en
retour.
Cela ne revient pas à dire que la pratique commerciale des entrepreneurs de cuisine de rue ne
devrait pas être réfléchie, balisée et négociée, mais dans le cadre d’une réflexion qui se veut
exhaustive, il est important d’analyser tous les aspects d’une question, qu’ils soient favorables
ou défavorables.
Au regard de ce qui précède, nous formulons les recommandations suivantes :
1- Nous invitons Québec à considérer le dossier de la cuisine de rue comme une opportunité
d’innovation culinaire et de positionnement stratégique de la ville sur la scène culinaire
nationale et internationale.
2- Nous invitons Québec à s’inspirer des recherches portant sur les meilleures pratiques en
matière de réglementation de la cuisine de rue déjà disponibles.
13

Documents pareils