Le paradoxe français
Transcription
Le paradoxe français
Le paradoxe français 1977 : en nommant, le 28 mars, un nouveau gouvernement, le président de la République française (à l'époque ValéryGiscard d'Estaing) lui a assigné une double tâche : « poursuivre le redressement économique en cours ; présenter un programme d'actions qui réponde, par des mesures simples, aux préoccupations concrètes des Français ». L'une d'entre elles est déjà le chômage. Le 28 avril, dans sa déclaration de politique générale, Raymond Barre, alors Premier ministre, affirme : « La politique de redressement économique et financier est. à moyen terme, la condition d'un retour au plein emploi ». Mais cela ne suffit pas : « le gouvernement entend mettre en œuvre sans retard un programme d'action spécifique qui soit susceptible de produire, à brève échéance, des effets positifs sur l'emploi et notamment l'emploi des jeunes ». « Notre société, affirme-t-il encore, doit en effet se fixer comme objectif d'offrir un travail à tous, car il s'agit de donner aux hommes et aux femmes de ce pays leur place dans la collectivité nationale, de leur permettre d'exercer leurs compétences et leurs talents, de respecter leur dignité ». « Il s'agit d'abord de mobiliser toutes les possibilités d'offrir un emploi aux jeunes ». Suivent une série de mesures : exonération de la part patronale des cotisations sociales, développement de l'apprentissage, recrutement de jeunes dans des emplois d'utilité publique, développement des stages en entreprises... C'était il y a vingt ans .' Lorsque, en mai 1981, les socialistes arrivent au pouvoir, la France compte 1 794 200 chômeurs. La hantise du nouveau gouvernement devient les 2 millions de chômeurs, une espèce de cap maudit qu 'il ne faudra franchir sous aucun prétexte. Le chef du gouvernement, Pierre Mauroy, se qualifie lui-même de « chef de guerre contre le sous-emploi ». Dès le 3 juin, les mesures se multiplient : réduction des charges pesant sur le SMIC, renouvellement du pacte pour l'emploi des jeunes, annonce de la création de plusieurs dizaines de milliers de postes dans le secteur public. Surtout, pour venir à bout du chômage, le gouvernement entend relancer la croissance économique et promouvoir un « nouveau partage du travail » : réduction de la durée hebdomadaire du travail à 39 heures (le gouvernement reconnaît toutefois que cette réduction ne sera vraiment efficace que si les 35 heures sont atteintes en 1985, soit quatre ans plus tard), limitation des heures supplémentaires, cinquième semaine de congés payés, abaissement de l âge de la retraite à 60 ans, développement du temps partiel... En 1985, il n'est plus question des 35 heures. Le taux de chômage atteint 10,2 % ; dix ans plus tard, 11,6 %. Tous les gouvernements de gauche comme de droite affinnent, depuis 1977, vouloir donner la même priorité à la lutte contre le chômage et contre ce que le nouveau président de la République a si énergiquement dénoncé durant sa campagne : « la fracture sociale ». 1997 : à l'issue de deux ans de Gouvernement Juppé— le chômage touche 12,5 9c de la population active au mois de mai —, les socialistes sortent victorieux des élections législatives anticipées. Le 19 juin, le nouveau Premier ministre. Lionel Jospin. 3 futuribles juillet-août 1997 au cours de sa déclaration de politique générale, propose aux Français « un nouveau pacte républicain » et un « pacte de développement et de solidarité ». « La priorité est de créer des emplois, beaucoup d'emplois » notamment au profit des jeunes auxquels on promet la création de 700 000 emplois ! « Il faut dans le même temps, affirme le Premier ministre, entamer une réduction négociée de la durée du travail privilégiant l'emploi. Réduire le temps de travail, sans perte de salaire, représente à la fois un progrès économique — susceptible de créer de nombreux emplois — et un progrès social. C 'est pourquoi, en accord avec les partenaires sociaux, le passage de la durée légale du travail de 39 à 35 heures sera engagé. Ce sera la mission de la Conférence nationale sur les salaires, l'emploi et le temps de travail que d'établir un cadre général et de débattre de tous les aspects de ce processus ». Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, déclare ne pas s'attendre à « une amélioration significative dans les mois qui viennent » mais souligne toutefois qu'il «existe des marges de manœuvre en matière de croissance et d'emploi ». Espérons que le gouvernement en fera bon usage mais ne surestimons pas l'effet des mesures qui pourraient être adoptées. L'Observatoire Français de Conjoncture Économique (OFCE) a tenté de chiffrer l'impact de la création de 350 000 emplois dans les services collectifs : il aboutit à la conclusion que cette mesure « permettra une réduction significative du chômage, de l'ordre de 50 000, dès la fin 1997 et de 250 000 ci terme », c'est-à-dire en... 2002. Le journal Les Échos (24 juillet 1997) commentant une interview donnée par le ministre de l'Economie et des Finances, Dominique Strauss-Kahn, à l'International Herald Tribune indique que « le ministre semble n 'attendre aucune répercussion significative à moyen terme des mesures en faveur des jeunes et, plus largement, de toutes les décisions qui seront arrêtées à l'issue de la Conférence nationale » qui est prévue en septembre. Nul doute qu'il conviendra alors de s'interroger sur ces vingt années de discours solennels, sur les innombrables mesures pour l'emploi qui ont été adoptées et l'escalade presque continue du chômage , y compris celui des jeunes que l'on entendait combattre en priorité. Pourquoi cet échec des gouvernements de gauche comme de droite face à cette calamité nationale ? 2 Serait-on confronté en l'espèce à une tendance inéluctable ou simplement, en dépit des discours, à un déficit de volonté ou à l'impuissance des acteurs à surmonter nos rigidités ? D'autres pays, ayant des structures économiques et sociales comparables et soumis aux identiques contraintes internationales, ont réussi pourtant (voir l'exemple ici rapporté des Pays-Bas) à relever le défi, certes au prix d'adaptations parfois douloureuses. Ils l'ont fait, non en cherchant à colmater les brèches d'un édifice économique et social dépassé mais en s'attelant à jeter les bases d'un nouveau contrat social mieux adapté aux contraintes mais aussi aux opportunités du monde actuel. Hugues de Jouvenel 1. Voir Alain Parant, « Les politiques de l'emploi en France : un bilan très mitigé ». page 97. 2. Rappelons que le nombre d'emplois (hors emplois aidés dont le nombre s'élevait à 2.9 millions fin 1996) est passé de 21.251 millions en 1972 à 20.256 millions en 1996. Le nombre de chômeurs (selon la définition du BIT) est passé, durant cette même période, de 669 000 à 3.248 millions (source DARES, ministère de l'Emploi et de la Solidarité). 4