UIA_Rapport_ Caravana_Final_WEB_FR

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UIA_Rapport_ Caravana_Final_WEB_FR
Rapport sur la participation de l’UIA
à la 4e Caravana Internacional de Juristas
Colombie / 24-31 août 2014
Julie GOFFIN
Avec le soutien de
UIA – 25, rue du Jour – 75001 Paris (France), Association Loi 1901 n° W751207624
Tél. : +33 1 44 88 55 66 / Fax : +33 1 44 88 55 77 / E-mail : [email protected] / Web : www.uianet.org
Dimanche 24 août : Ouverture de la Caravana- Bogota
1. Présentation du programme par le Professeur Gutierrez à l’Université INCCA
Présentation par le Président d’ACADEHUM, Rafael Palencia des problèmes majeurs rencontrés par
les défenseurs des droits de l’homme :
-
Problématique autour des industries extractives générant des attaques contre la population ;
-
Paramilitarisme et néo-paramilitarisme. Absence d’informations claires sur ceux qui ont
bénéficié des lois d’amnistie ;
-
Stigmatisation des défenseurs des droits de l’homme – harcèlement judiciaire ;
-
Le nombre des disparitions forcées reste inquiétant – 200.000 depuis 1977 ; 78.000 depuis
1990.
-
Emergence des bandes criminelles - anciens paramilitaires ;
En bref, depuis la dernière Caravana, la situation a continué de s’aggraver bien que le
gouvernement ne ménage pas ses efforts pour donner l’apparence d’une amélioration.
2. Intervention d’un représentant du Colectivo José Alvear Restrepo : il expose la campagne « Sin
Abogados no hay justicia ». Il reprend les problématiques liées à l’accès à la justice, les limitations
posées à l’exercice par les avocats de la profession et les atteintes à celles-ci sous forme d’écoutes,
interception d’emails ainsi que la criminalisation de la profession.
3. Intervention d’un représentant du Comité permanent pour la défense des droits de l’homme : il
aborde la question du droit pénal de l’ennemi appliqué en Colombie aux défenseurs des droits de
l’homme.
4. Intervention d’un représentant de Fasol et Asonal Judicial, organisations représentatives de
magistrats : il expose les difficultés vécues sur le terrain par les magistrats (voir infra).
De façon générale, la situation de l’armée reste problématique. L’Etat continue à se militariser (le
nombre de militaires est 5 fois plus important en Colombie qu’au Brésil). Dans ce contexte, les
disparitions forcées et exécutions extra-judiciaires continuent. 5 % des cas font l’objet d’une enquête
et la majorité de ces cas sont ensuite abandonnés à un stade ultérieur de la procédure.
Il y a une forte crainte que le processus de paix se fasse au prix de l’impunité pour un nombre très
important de paramilitaires (et parapolitiques).
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Lundi 25 août 2014 : premier jour d’observation régionale à Medellín
I. Matinée : accueil par l’association Corporación Jurídica Libertad – référent sur Medellín-,
rencontre avec des organisations de défense des victimes de déplacement forcé et avec l’Unité
nationale de restitution des terres.
1. Introduction aux problèmes propres à Medellín
-
Contrôle paramilitaire sur la ville de Medellín.
-
Les groupes ayant conclu des pactes de cessez-le-feu, la violence avait diminué un peu mais a
repris rapidement avec la rupture des pactes. A l’heure actuelle, il y a des attentats répétés
pour le contrôle de certains quartiers de Medellín. Par ailleurs, les autorités ont des accords
avec les paramilitaires. Cette réalité du contrôle paramilitaire est totalement occultée.
Le développement de mégaprojets d’infrastructure entraîne des déplacements de population
et la déstructuration de nombreuses communautés.
-
-
Les autorités sont dans un mouvement de répression quasi systématique des mouvements
sociaux. Toute manifestation, même pacifique, est systématiquement empêchée et réprimée–
les mouvements sociaux sont criminalisés.
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2. Exposé du contentieux autour des confiscations et restitution de terres et rencontres avec
diverses associations de soutien aux victimes (Fundación Forjando Futuros) et campesinos :
Beaucoup des difficultés dans la restitution des terres sont liées au contrôle de ces terres par
les paramilitaires et leur appropriation par les multinationales.
Tant la violence du conflit que l’appropriation des terres via les mégaprojets (électriques
notamment) ont conduit à l’abandon de nombreuses terres dans la région.
La restitution judiciaire se trouve ainsi confrontée sur le terrain à un obstacle majeur.
Un support d’ordre légal est organisé par de nombreuses associations autour de la loi 1448
relative à la restitution des terres. Sur papier, cette loi est évaluée comme très positive mais sa
mise en œuvre est problématique. Son échéance est fixée à 2021, ce qui apparaît comme
totalement irréaliste. Les premières études des décisions rendues dans le contentieux de
restitution commencent à être publiées (voir www.forjandofuturos.org).
Le bilan est mitigé. La microfocalisation pose de nombreux problèmes. Les associations
proposent de travailler d’avantage sur des restitutions collectives.
Toutes les associations insistent sur le dialogue relativement bon avec les autorités qui gèrent
la restitution au niveau administratif et judiciaire (voir infra). Mais le manque de sécurité en cas
de retour sur les terres reste le principal obstacle à une mise en œuvre efficace de la loi. L’une
des associations rencontrées nous parle de 18 réclamants assassinés parmi les requérants
qu’elle assiste.
Selon certains, la loi pourrait aussi être modifiée pour un processus plus rapide, qui se limiterait
à la seule phase administrative, selon certaines associations.
Un paysan livre le témoignage de son déplacement forcé de San Francisco en 2003, suite à une
opération martiale. Les terres ont ensuite été minées pour empêcher le retour. Via des
associations d’aides dans la communauté de déplacés qui l’a accueilli, des fonds ont été
débloqués pour le retour mais en pratique le problème de sécurité subsiste et rend ce retour
impossible. Un projet minier vient en plus ajouter à la complexité de la situation.
L’ensemble des défenseurs travaillant aux côtés des victimes et requérants dans les procédures
de restitution dénoncent les menaces dont ils font l’objet. Les protections qui leur sont
accordées par les autorités sont peu efficaces et octroyées de façon précaire. Un de ces
défenseurs indique même avoir fait l’objet chez lui d’une agression par trois hommes l’ayant
obligé à signer un document par lequel il déclarait vouloir renoncer à toute protection des
autorités.
3. Entretien avec l’Unité de restitution des terres
L’Unité dépend du Ministère de l’Agriculture. Elle est chargée de la mise en œuvre de la loi 1448
dont l’objectif annoncé est la stabilisation socio-économique des populations déplacées.
L’objectif du processus de restitution vise avant tout la réparation, soit via la restitution soit via
des formes de réparation alternatives.
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L’Unité compte 60 à 70 fonctionnaires et a déjà reçu sur trois ans, pour la seule région
d’Antioquia, plus de 16.000 demandes. Elle ne s’occupe que de l’aspect administratif de la
procédure (réception des demandes dans ses bureaux locaux, le cas échéant identification
cadastrale, et gestion des aspects administratifs liés au gel de la propriété pendant la
procédure)
L’assistance juridique est gratuite pour les victimes.
Le processus de restitution se trouve lourdement ralenti par l’identification cadastrale
lorsqu’elle est nécessaire – ce processus est en cours au moment où nous rencontrons la
directrice de l’unité pour 15.000 demandes (voir infra sur les aspects procéduraux de la
restitution).
Mille deux cents décisions de restitution ont été rendues au moment de notre visite. Ces
décisions impliquent des restitutions proprio motu mais aussi d’autres garanties d’ordre socioéconomique (assistance en matière de santé, d’éducation…). Lorsque la restitution est
impossible des formes alternatives de réparation sont mises en place. La directrice nous cite le
cas d’un dossier de restitution déclarée impossible du fait de l’existence de ressources minières
sur le terrain restitué et dans lequel elle a été chargée de trouver une terre équivalente.
L’Unité peut être amenée à introduire un recours contre une décision de non restitution
(recours possible uniquement via la tutela). L’Unité dispose également de la possibilité de
racheter une terre sur laquelle le requérant ne souhaite pas retourner pour de justes motifs
afin de l’octroyer à un autre demandeur.
La directrice de l’unité insiste également sur les difficultés liées à l’absence de sécurité sur le
terrain. La politique publique est de travailler sur les zones les plus sûres, là où se développent
des projets économiques mais avec alors des limites éventuelles aux possibilités de restitution.
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II. Après-midi : visite dans des quartiers de déplacements urbains au nord de Medellín – Ciudad
Nord-Occidente
Nous rencontrons les habitants d’un des « settlement » de Medellín1 dans un « local » qui leur a été
octroyé, extrêmement bruyant et mal protégé de la pluie et du vent. La réunion se tient dans des
conditions difficiles.
Après avoir écouté les récits de plusieurs familles déplacées dans les immeubles du Nord-Occidente,
nous nous rendons dans les bâtiments qu’ils occupent.
Ces bâtiments sont construits dans des matériaux de tellement mauvaise qualité qu’ils sont vétustes
moins de 5 ans après leur finition. L’eau est rationnée mais l’humidité s’installe partout rendant la
plupart des pièces insalubres.
Les conditions de sécurité sont extrêmement mauvaises. Les enfants évoluent dans un environnement
extrêmement dangereux (absence de rambarde, y compris aux étages, fossés et effondrements de
passerelles, éboulements de terrain…). Les infrastructures publiques sont inexistantes ou au mieux
insuffisantes. Une école est prévue pour une communauté de 70.000 personnes ainsi qu’un hôpital
avec quelques dizaines de lit, hôpital qui a été inauguré par les autorités mais jamais mis en service.
Aucune infrastructure n’est prévue pour les personnes handicapées.
Un diagnostic d’infrastructure a été établi. Le résultat est dramatique mais les habitants n’ont jamais
pu obtenir l’accès aux données des constructeurs et sont empêchés d’exercer les recours légaux contre
ceux-ci.
1
Medellín compte 16 communautés et 5 settlements
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Les habitants se retrouvent en outre littéralement piégés dans un système qui les oblige à supporter
des coûts énormes qui ne leur incombent pas (réparation des immeubles et taxes cadastrales
disproportionnées), leur fait perdre des droits sociaux du fait des supposés avantages liés à leur
relogement (forcé) dans des habitations étiquetées de meilleure qualité, et les prive du droit de
revendre leur logement soit parce qu’il n’en ont jamais obtenu le titre formel de propriété soit parce
ce droit leur est nié du fait de la qualification de zone à haut risque de tout le lotissement (sic !).
Ces populations dénoncent toute la politique de « town planning »annoncée en grande pompe à
Medellín. Elles ne sont jamais associées de façon effective aux discussions et toute la politique de la
ville se règle exclusivement entre acteurs ayant des intérêts communs dans le développement
économique de la cité, au profit des grandes entreprises et au détriment des populations défavorisées.
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Mardi 26 août 2014 : deuxième jour d’observation régionale à Medellín
I. Matinée : rencontre avec les magistrats
A. Rencontre à la bibliothèque du Palais de Justice avec divers représentants d’associations de
magistrats (Colegios de Jueces) :
L’association de juges et procureurs a été créée pour organiser des formations pour les juges
et de façon plus générale aider le travail des juges dans la mise en œuvre de leurs décisions.
Elle vise aussi à leur donner une certaine protection. A l’époque de Pablo Escobar, un grand
nombre de juges travaillant sur des dossiers pénaux ont été tués.
Huit cents juges sont membres de l’association à Antioquia, ils représentent la majorité des
juges de la région. Il existe aujourd’hui 27 associations de juges. Ils tiennent un symposium
chaque année.
Les juges colombiens restent extrêmement faibles face aux autorités qu’ils disent être les
principaux auteurs des violations des droits de l’homme. Par ailleurs ils ont des difficultés à
faire appliquer leurs décisions, en sus du manque de nomination.
Ils se plaignent également du manque de moyens mis à leur disposition pour se former et
s’informer, notamment du développement de la jurisprudence.
Les magistrats rencontrent des difficultés considérables, du fait principalement de l’absence
d’indépendance des autorités judiciaires. La réforme de la justice ne prend pas en compte leurs
revendications.
Par ailleurs l’arriéré judiciaire est énorme et conduit à une situation d’impunité. Le manque
d’avocats pro deo (abogados de oficio) est aussi criant.
L’absence d’informatisation du système judicaire est aussi dénoncée, de même que le piratage
à grande échelle des communications des magistrats par les autorités.
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La “desobedencia civil » est un mode de protestation utilisé de temps en temps lorsque la
situation devient vraiment intenable, particulièrement pour certains magistrats dont la tâche
est la plus difficile comme les juges ruraux ou du contentieux foncier.
Les magistrats prenant des décisions critiques vis-à-vis des autorités deviennent leur cible, soit
par dénigrement public, soit via des poursuites judiciaires et disciplinaires (voir le cas du Judge
Solana abordé dans le rapport de la Caravana 2012).
La réforme de la justice et la tutela :
Plusieurs magistrats nous ont fait part de leurs préoccupations au vu des projets de réforme
de la tutela2. Ils ont écrit au Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies à cet
égard, faisant état des risques de voir limiter de façon drastique les possibilités d’utiliser ce
recours constitutionnel.
Ils considèrent cet instrument juridique essentiel au vu de la situation dans le pays et du
nombre de victimes du conflit armé. Le gouvernement estime que la tutela coûte trop cher à
l’État. Il s’agit d’un recours très accessible, qui impose des délais de procédures très courts
(décision dans les 10 jours et mesures d’exécution forcée si pas d’exécution volontaire dans
les 48 heures). Gustavo Adolfo qui est un juge social nous indique avoir à traiter plus de 50
actions de tutela par semaine.
Effectivement ce recours peut générer des mesures d’exécution coûteuses (notamment en
matière de santé) mais comme le fait remarquer très justement l’un des magistrats avec lequel
nous nous sommes entretenus, il suffirait de faire en sorte que les violations cessent ou
diminuent pour diminuer de la même façon le nombre de tutela et les coûts générés par cette
voie de recours.
B. Rencontre avec des magistrats du contentieux de la restitution au siège de la juridiction
nationale à Medellín
Les magistrats rencontrés nous font un exposé de la procédure. Celle-ci se divise en deux
phases. Lors de la phase administrative, les éléments de preuve sont rassemblés. Elle se clôture
par l‘inclusion du titre de propriété dans le registre. La phase judiciaire ne peut en effet
commencer que si la terre a été enregistrée (soit par un nouvel enregistrement soit du fait
d’un enregistrement préalable à la procédure de restitution). La phase judiciaire suppose une
requête présentée auprès des juges. En l’absence d’opposition la décision est rendue sous 8
ou 9 mois (délai estimé rapide …). En cas de contestation, le juge demandera des éléments
complémentaires et renverra le dossier chez un magistrat (magistrado= le juge d’appel).
Le niveau d’exigence de la preuve est relativement bas. La bonne fois du réclamant est
présumée et la procédure en tant que telle peu formelle.
L’existence d’une phase judiciaire à la procédure a fait l’objet de critiques, en particulier pour
les dossiers qui ne présentent pas d’opposition. Les juges et magistrats indiquent toutefois que
la phase judiciaire constitue une garantie contre l’arbitraire.
La tutela, introduite par la constitution de 1991, est une action judiciaire permettant à tout un chacun de
soulever la violation d’un droit fondamental par un organe de l’état ou toute autorité ou personnes à l’égard
desquelles le requérant se trouve sans autre recours.
2
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Le personnel nommé n’est pas capable de faire face au nombre élevé de demandes. Seuls 3
juges et 3 magistrats ont été nommés (à temps partiel) pour toute la région d’Antioquia et un
contentieux de plus de 11.000 demandes.
La plupart des décisions sont rendues sur des dossiers sans opposition. Lorsque des opposants
se présentent, il s’agit généralement de compagnies extractives ou productrices qui réclament
des droits liés à des concessions octroyées sans consultation des populations locales.
Une fois la restitution décidée se pose le problème de l’exécution de la décision (voir supra).
L’un des juges a insisté sur le fait que la loi de 1448 est une loi dite post-conflictuelle alors
qu’en réalité le pays est toujours en conflit. Il semble que cette critique peut s’appliquer à
d’autres instruments légaux mis en place par le gouvernement qui souhaite donner l’image
d’un pays sur la voie post-conflictuelle alors qu’en pratique celui-ci fait toujours rage et
continue de générer de nombreuses victimes.
II. Après-midi : rencontres avec des associations de victimes (Ríos Vivos, Ascobas , Corporación
Nativos de San Carlos, Movice)
Réunion sur les thèmes de la confiscation de terre par les mégaprojets, de l’impunité et du
contrôle militaire
Le conflit armé se double d’un conflit social du fait des populations déplacées par les
concessions minières et les projets liés aux combustibles.
Les mégaprojets génèrent des violences de la part des paramilitaires qui ont des intérêts dans
ces projets, au même titre que les entreprises publiques colombiennes et un certain nombre
de gouvernements étrangers qui soutiennent les entreprises qui ont investi dans ces projets.
Le modèle économique poursuivi par les autorités a du coup généré un « projet capitaliste de
déplacement des populations paysannes ».
Le problème de la violence persiste ; le niveau d’homicide est le plus élevé de l’hémisphère
sud même s’il a diminué durant la dernière décennie. Plusieurs charniers ont été découverts à
Medellín et dans la région au cours des dix dernières années.
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Les crimes en série sont souvent liés à des périodes de réorganisation criminelle. Après la mort
d’Escobar en 1993, la structure de l’organisation criminelle a changé mais les différents
groupes gardent un contrôle sur la ville. Le lien entre les cartels et les paramilitaires donne une
dimension politico-mafieuse à toute l’organisation du crime.
La connivence est totale entre forces politiques et les organisations criminelles (20 à 30 gangs
à Medellín) qui offrent la sécurité et une certaine régulation de l’économie, en échange de
l’impunité. Le contrôle de la ville est total, à tous les niveaux de l’économie, jusqu’aux vendeurs
de rue. Un système de justice propre aux gangs s’est installé. Ils contrôlent leurs frontières,
lesquelles ne sont connues que d’eux.
Le franchissement même involontaire de ces frontières peut conduire à l’assassinat (de
nombreux jeunes gens se font tuer pour avoir passé la « frontière invisible » parce qu’ils sont
suspectés d’appartenir à une autre bande).
L’emploi de mineurs au sein des bandes est très important (40 à50 %) de même que dans les
forces armées. Des enfants très jeunes sont utilisés notamment comme coursiers ou pour
récupérer l’argent extorqué par les paramilitaires.
Quid de l’impact des négociations de paix ?
Les activistes sont très pessimistes – les militaires continueront de conserver leur pouvoir et
l’idéologie militaire ne changera pas. La posture idéologique contre la population et la
stigmatisation par les autorités des défenseurs des droits de l’homme, assimilés à des
gauchistes et intégristes sont trop fermement installées.
Aucun espace politique de discussion n’est octroyé et les défenseurs des droits de l’homme ne
peuvent compter sur aucun appui des parlementaires dont 5 sénateurs (sur 102) et 7 députés
seulement ne sont pas engagés de façon plus ou moins directe dans des liens avec les
paramilitaires.
La confiance dans les institutions est nulle auprès de la population qui vit dans une crainte
relative de dénoncer les violations.
Les écoles de droit ne promeuvent pas suffisamment les droits de l’homme, et les activités de
défense de ces droits.
Quid de la légalisation de la drogue :
Certains poussent pour une légalisation afin de freiner les déviances de la politique actuelle de
lutte contre la drogue qui sert de prétexte pour armer les bandes.
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III. Soirée : Débriefing sur la réunion avec les magistrats de Justicia y Paz
Les populations sont toujours persécutées malgré le processus justicia y paz- la diffusion de la
terreur continue.
Pour rappel, la loi Justicia y Paz prévoit pour les paramilitaires en aveu des peines de 5 à 8 ans,
lesquelles se retrouvent appliquées à des individus ayant admis avoir fait exécuter parfois
jusqu’à 2.500 personnes
Sur un nombre évalué à 16.000, seulement 2.000 paramilitaires ont demandé à bénéficier de
la loi 975. Quatorze mille restent donc dans l’impunité la plus totale et nourrissent aujourd’hui
les bandes criminelles. Les avocats des victimes dénoncent la mise en place par le
gouvernement d’un mécanisme visant en réalité à soustraire à la justice les « gros poissons »,
et s’assurer avant tout de la neutralisation de ceux d’entre eux enclins à dénoncer les
politiques derrière les paramilitaires.
Les accords conclus par le gouvernement avec certains paramilitaires poursuivis aux États-Unis
pour trafic de drogue en vue d’une suspension de leur extradition sont tombés lorsque ces
individus se sont révélés trop bavards lors de leur jugement dans le cadre de la loi 975.
Si la loi prévoit que l’indemnisation des victimes s’opère notamment via les avoirs des
paramilitaires, en pratique il n’en est rien.
Par ailleurs, l’objectif d’établissement de la vérité comme une forme de réparation n’est pas
rempli dans la mesure où dans beaucoup de procédures les dires du paramilitaire en aveu ne
sont pas vérifiés, leur contenu non recoupé avec d’autres informations.
Jusqu’à ce jour il y a eu 14 condamnations en vertu de la loi Justicia y paz.
Mercredi 27 août 2014 : Rencontre avec des avocats syndicalistes et retour sur Bogota
Le problème de l’usage disproportionné de la détention par les autorités policières :
La discussion porte sur l’utilisation du droit pénal de l’ennemi à l’encontre des opposants
politiques et du recours massif à la détention préventive. « Si le procureur veut détenir une
personne, il lui attribue une infraction grave ». On assiste à une utilisation du procès pénal
comme une « pena anticipada ».
Le système pénal colombien est oral inspiré du procès anglo-saxon sous la réserve que le
principe de la liberté sous caution n’est pas repris. Toute personne arrêtée reste en détention
jusqu’au procès.
Les autorités policières font usage des différentes formes de détention administrative et des
possibilités de détention à titre de mesure de protection pour détenir abusivement des
individus. Or dans les situations de détention par mesure de protection, l’accès aux moyens de
défense (accès à un avocat notamment) est limité. Cette pratique est souvent utilisée à l’égard
des manifestants.
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Les difficultés rencontrées par les avocats syndicalistes :
La syndicalisation est difficile; les syndicalistes n’ont pas de compensation suffisante, sont sous
la pression des employeurs. Les employeurs préfèrent payer les amendes plutôt que respecter
les réglementations sociale.
Le Syndicat national CIMICA, actif au sein des entreprises de production de peinture et divers
produits chimiques nous expose les difficultés dans les relations avec les patrons, notamment
sur les questions de sécurité et de santé (plomb, mercure,…). Des produits qui ont été retirés
du marché en Europe car toxiques (contraires aux normes OIT et OMS), sont toujours utilisés
en Colombie.
Les condamnations envers les compagnies ne sont pas proportionnelles aux violations – les
amendes prononcées ou les compensations octroyées sont minimes au vu du dommage
causé.
Jeudi 28 août 2014 : Invitation par l’UNINCCA à donner un exposé sur la CPI
La conférence sur la CPI donnée à l’université
UNINCCA a été l’occasion de parler également
du travail important de l’UIA et d’autres
organisations professionnelles dans la défense
de la profession devant la Cour.
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Vendredi 29 août 2014 : rencontre avec divers collectifs d’avocats et avec les autorités
diplomatiques.
I. Matinée : Rencontre avec la Comité ejecutivo de la Abogacía Colombiana et le Colegio de la
Abogacía de Bogotá :
Comité Ejecutivo De La Abogacía Colombiana avec Nubia Esperanza Garzón Otalora et Fabio Sepúlveda
Betancourt - Dra. Julie Goffin, Dra. Rachel Rwhby- Abogada Británica, Dr. Matethew Norwood – Juez
Administrativo CO.USA. DR. Shaw Drake – IBA. Dr. Joe Egan – Abogado Reino Unido – Inglaterra. Dra. Nubia
de Garzón Salinas, Dr. Jairo Céspedes, Dr. Fabio Sepúlveda, Dr. Germán León Niño, Dr. Eulices Castellanos,
Dra. Adriana Rojas.
Les avocats du comité nous font part de la situation générale de leurs confrères en Colombie, du
nombre de meurtres ces dernières années.
Les avocats sont stigmatisés, même au sein des juridictions, ils sont rendus responsables de la
congestion judiciaire.
« Sólo estamos perseguidos y nunca somos escuchados ».
Le problème de la détention est également soulevé. La détention préventive est la règle générale
et utilisée de façon systématique comme un moyen de pression sur les suspects et même sur les
témoins. Dans le cadre du processus justice et paix, plus de 3000 témoins ont admis avoir fait des
faux témoignages sous la pression des autorités en détention.
S’agissant de la réforme de la justice, leur position est que la réforme est une façade visant à
sauvegarder au final les intérêts des juges et des politiques.
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Il est suggéré que dans le cadre de cette réforme, la Caravana et d’autres organisations essaient de
mettre la pression sur les autorités pour qu’elles reconnaissent le rôle essentiel des avocats auprès
des citoyens.
Les avocats rencontrés souhaitent la constitution d’un barreau national. Ils souhaitent la disparition
du Consejo de la Judicatura qui est compétent notamment en matière de discipline pour les avocats.
Ils sont néanmoins conscients du fait qu’un tel organe n’est pas souhaité par une partie des avocats,
notamment les avocats défenseurs des droits de l’homme qui craignent qu’il soit un moyen pour
les contrôler de même qu’ils ne sont pas favorables à un système de contrôle interne.
En filigrane apparaît la scission ou les divergences au sein de la profession entre avocats défenseurs
des droits de l’homme et autres avocats litigants. Les organisations d’avocats défenseurs
bénéficient pour certains de financement externes, parfois importants, alors que le Comité
Ejecutivo de la Abogacía bénéficie de fonds publics ce qui est mal reçu par une partie importante
des avocats défenseurs des droits de l’homme.
Le Comité formule une demande en matière de formation aux modes alternatifs de conflit.
La Colombie a en effet développé récemment des structures de médiation, arbitrage…..
II. Après-midi : rencontre avec l’Ambassadeur belge en Colombie :
Échange d’informations et discussions sur les actions qui pourraient être entreprises pour une
pérennisation de l’action de la Caravana.
III. Soirée : rencontre au siège de CCAJAR
1. Actualisation de l’information sur David Ravelo Crespo – condamné à 18 ans de prison pour
homicide. En attente d’une décision de la Cour suprême pour une cassation.
Son procès est l’exemple même d’un procès entaché des pires violations au droit à un procès
équitable. Il a été accusé par deux paramilitaires d’avoir participé à une réunion où s’est décidé
l’assassinat d’un politique. Ces deux paramilitaires ont eux-mêmes été accusés par David
d’être impliqués dans un massacre dans la région. Devant les juridictions Justice et Paix, ils ont
confirmé avoir participé au massacre. Un de ces deux paramilitaire est en outre accusé d’avoir
apporté des faux témoins dans le cadre du processus Justice et Paix. Le fiscal qui a poursuivi
David était membre de la police ; il a été condamné pour avoir été à l’origine d’un cas de
disparation forcée.
CCAJAR demande que des messages soient envoyés à la Corte suprême pour évoquer la
préoccupation sur la situation de David Ravelo et demander qu’il soit jugé de façon impartiale.
2. Informations sur la situation actuelle de CCAJAR :
CCAJAR a subi une série d’agressions de 1990 à 2006 :
-
Ces attaques ont un aspect structurel : guerra jurídica de la doctrina militar.
UIA – 25, rue du Jour – 75001 Paris (France), Association Loi 1901 n° W751207624
Tél. : +33 1 44 88 55 66 / Fax : +33 1 44 88 55 77 / E-mail : [email protected] / Web : www.uianet.org
-
Inteligencia ilegal : Les moyens de communications sont interceptés. La loi
permet ce genre de pratique.
-
Aucune de leurs plaintes ne sont instruites : les auteurs restent dans l’impunité
L’État a développé des moyens très élaborés de dépréciation des avocats. Ces méthodes
viennent compléter le travail de la DAS là où celle-ci n’a pas pu être assez efficace.
CCAJAR a connu un cas d’attaques directes lorsque l’un de leurs témoins s’est révélé être un
faux témoin – ils ont subi ensuite une campagne importante de dénigrement de la part des
autorités, ainsi que des poursuites pénale et disciplinaire.
Actuellement CCAJAR a porté plusieurs dossiers devant la Commission interaméricaine des
droits de l’homme. Le recours à la Commission peut se révéler fructueux. Ils ont obtenu
plusieurs décisions très satisfaisantes. La situation n’est donc pas totalement noire.
CCAJAR a présenté plusieurs demandes ou communications devant la Cour pénale
internationale. Les représentants de CAJAR ont rencontré la Procureur, mais ils sont
extrêmement déçus de l’absence de réaction appropriée à leurs doléances. Ils ne se font pas
d’illusion ; ils savent que tant que le processus de négociation de paix est en court, les chances
de voir la Cour se saisir du cas colombien sont faibles.
Samedi 30 août : débriefing et clôture de la Caravana
1)
Clôture de la Caravana à l’UNINCCA
Discours d’Erwin Rubio, vice-président d’ACADEHUM – remercie les délégués des différents pays.
Sarah Chandler insiste sur le fait que la Caravana est toujours mieux accueillie. S’agissant des
constatations sur le terrain, le décalage entre l’image que cherche à donner le pays et sa réalité a
été très frappant.
Il est important maintenant de continuer à communiquer sur la situation et diffuser les
informations.
Rapports régionaux :
A noter : Buenaventura : communauté totalement oubliée de l’État– 90 % Afro-Colombien – 70 %
chômage – extrême violence du conflit (les enfants sont entraînés à pratiquer des
démembrements dans des chop houses). Les autorités ont organisé une zone humanitaire où les
gens se sentent un peu plus en sécurité.
Recommandation: faire connaître la situation.
UIA – 25, rue du Jour – 75001 Paris (France), Association Loi 1901 n° W751207624
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