Le double jeu du président iranien

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Le double jeu du président iranien
International
3
lundi 28 août 2006
Le double jeu
du président
iranien
À trois jours de l’expiration
de l’ultimatum de l’ONU,
Téhéran continue à défier
l’Occident.
Téhéran
ALI L ARIJANI, le négociateur
principal dans le dossier nucléaire
rappelait hier sur la radio d’État
que « la production de l’énergie
nucléaire fait partie des objectifs
stratégiques de l’Iran » et « qu’aucune action visant à limiter l’Iran
ne pourra le forcer à renoncer à ses
objectifs ». Il s’exprimait au lendemain de l’inauguration, par le
président conservateur Mahmoud
Ahmadinejad, d’une usine de production d’eau lourde qui servira à
un réacteur nucléaire controversé,
qui sera achevé en 2009. Un geste
perçu comme de la pure provocation à l’heure où la communauté
i n t e r n a t i o n a l e a p p e l l e l’ Ira n
à stopper son programme nucléaire.
Mais sur un ton qui se voulait
pour la première fois plus modéré
à l’égard de l’État hébreu, Ahmadinejad s’est également dit porteur d’un « message de paix », en
assurant que « l’Iran n’est pas une
menace pour les pays étrangers ni
même pour le régime sioniste ».
Lui qui, il n’y a pas encore si longtemps, appelait à « rayer » Israël
de la carte du monde, en qualifiant l’État hébreu de « tumeur »,
chercherait donc maintenant à
balayer les inquiétudes de la communauté internationale.
Dix ans pour faire une arme
nucléaire au rythme actuel
Ce n’est pas la première fois
que l’Iran souffle à la fois le chaud
et le froid. Pendant la crise libanaise, d’obscures organisations iraniennes n’ont cessé de dérouler, de
manière inquiétante, leur liste de
milliers de kamikazes prêts à viser
des cibles israéliennes. Mais au final, pas un seul des jeunes combattants n’est parvenu à traverser
la frontière iranienne. Les autorités
de Téhéran leur ont tout simplement interdit de quitter le pays.
Ce double jeu ne rend pas la
tâche facile aux experts et diplomates occidentaux qui s’efforcent
de décrypter les signaux contradictoires des Iraniens. Certains
pensent que la République islamique cherche à se montrer plus
dangereuse qu’elle ne l’est. Pour
l’heure, l’Iran n’est parvenue qu’à
faire tourner 164 centrifugeuses
en cascade. Or, il en faudrait des
milliers pour construire une bombe atomique. Au rythme actuel,
Téhéran aurait besoin d’au moins
dix ans pour fabriquer une arme
nucléaire.
Mais parce qu’il flirte avec les
groupes terroristes, et parce que,
pendant des années, il a caché ses
activités nucléaires, l’Iran continue à inquiéter. Sa réponse en demi-teinte, la semaine dernière, au
paquet de mesures incitatives offert par les membres permanents
du Conseil de Sécurité, en échange d’une suspension de l’enrichissement d’uranium, laisse craindre
que les Iraniens cherchent à gagner du temps.
De toute évidence, la République islamique entend profiter
du contexte actuel pour revendiquer sa place sur la scène mondiale et jouer un rôle de premier
plan dans la région. Car elle est
consciente que dans le bras de fer
qui l’oppose à l’Occident, la balance pèse aujourd’hui en sa faveur. D’abord, La Russie et la Chine, deux membres influents du
Conseil de sécurité, semblent déterminées à s’opposer aux sanctions. Ensuite, « l’embourbement » américain en Irak et en
Afghanistan diminue les craintes
d’une opération militaire à son
encontre. Et puis, plus récemment, le cessez-le-feu au Liban a
été perçu, ici, comme une victoire
du Hezbollah sur Israël, et un
moyen, pour l’Iran, de pouvoir
continuer à compter sur ses alliés
régionaux.
Les autorités de Téhéran savent que, lorsqu’il s’agit du nucléaire, elles peuvent également,
en interne, compter sur un atout
de taille : la fibre nationaliste de
leur population. D’habitude divi-
LIBAN
L’intervention d’un corps
expéditionnaire onusien
renforcé reste
potentiellement explosive
en raison de l’absence
de règlement politique
de la crise.
Mahmoud Ahmadinejad a inauguré une usine de production d’eau lourde,
samedi à Arak, qui servira à un réacteur nucléaire controversé. Khamoushi/AP.
sés sur les questions d’ordre politique, les Iraniens ont tendance à
se rassembler derrière leur gouvernement quand il s’agit d’évoquer « leur droit inaliénable à
l’énergie nucléaire ». Dans son discours, prononcé samedi depuis
Arak, Ahmadinejad a parfaite-
ment su jouer sur cette fibre. « En
tant que représentant du peuple, je
suivrai ce que le peuple désire. Aujourd’hui, il souhaite la technologie nucléaire et je respecterai donc
cette demande », déclarait-il à la
cantonade.
D. M.
« Téhéran n’a pas l’intention d’attaquer Israël »
Mojtaba Rahmandoust,
52 ans, est conseiller
du président iranien,
Mahmoud Ahmadinejad,
en matière d’aide
aux vétérans de la guerre
Iran-Irak.
LE FIGARO. – La République
islamique pourrait-elle
envisager d’attaquer Israël ?
Mojtaba RAHMANDOUST. –
Dans les conditions actuelles,
l’Iran n’a pas l’intention d’attaquer Israël. Mais si Israël nous
attaque, alors nous riposterons.
Alors, pourquoi toutes ces
déclarations provocatrices
à l’égard de l’État hébreu ?
Comment expliquer que l’Iran
soit aussi sensible à la question
israélo-palestinienne ?
La question palestinienne
nous concerne, car défendre les
droits des Palestiniens, c’est protéger nos intérêts dans la région.
Israël est le chasseur bombardier
des États-Unis. Ces deux pays,
aux velléités expansionnistes, ne
font qu’un à nos yeux. Au nom
de ses frontières sécuritaires, Israël ne cesse d’étendre son territ o i re. Fa c e à c e d a n g e r, n o u s
pensons qu’il n’est pas raisonnable de rester silencieux. Encourager les Palestiniens à résist e r, c’ e s t r é d u i re l e s c h a n c e s
d’une invasion régionale des
É tats-Unis. Pour être plus clair,
nous considérons que nous
sommes la cible potentielle d’Israël, mais qu’en maintenant le
front de la lutte contre le régime
sioniste au niveau de la Palestine
nous resterons à l’abri de tout
danger. C’est pour cela que je
considère que les autres pays de
la région doivent soutenir les Palestiniens dans leur lutte contre
Israël. Grâce à ce soutien, l’épée
israélienne va finir par se casser.
Faut-il en conclure que tant que
la question israélienne ne sera
pas résolue, une normalisation
des relations entre l’Iran
et l’Amérique est impensable ?
C’est une des raisons principales du problème. Mais ce n’est
pas la seule. Alors que tout le
monde a accepté la révolution
(de 1979) comme un mouvement
populaire et démocratique, les
É tats-Unis ont gelé les avoirs
bancaires iraniens à l’étranger,
tout simplement parce leur allié,
le chah, avait été renversé. Est-ce
juste ? De plus, comment envisager de discuter avec un pays qui
a soutenu Saddam, le dictateur
irakien, pendant la guerre IranIrak et qui, quelques années plus
tard, a provoqué son renversement, sous prétexte d’imposer la
démocratie dans la région, mais
avec pour véritable dessein de
s’emparer du pétrole ? Et puis,
p o u r n o u s, i l e s t i m p e n s a b l e
d’envisager des pourparlers avec
un pays qui se comporte avec
l’ Ira n c o m m e a v e c u n e n f a n t
qu’on tapote sur la tête en lui disant : tu n’as pas le droit d’accéder au progrès technique et tu ne
peux pas disposer de l’énergie
nucléaire. Il nous est impossible
de tolérer ce rapport déséquilibré.
Dans le contexte de tension
actuelle, est-il raisonnable,
de la part du président iranien,
de mettre de l’huile sur le feu
en comparant Israël
à une « tumeur »,
de considérer l’Holocauste
comme un « mythe »
et d’appeler à « rayer » l’État
hébreu de la carte du monde ?
Nous considérons qu’Israël
constitue le fond du problème
d a n s l a r é g i o n . Au n o m d e
l’Holocauste, ils justifient leur
p r é s e n c e a u Moy e n - O r i e n t .
Aujourd’hui, nous revendiquons
le droit de s’interroger sur ce qui
s’est vraiment passé pendant la
Seconde Guerre mondiale et de
mettre en doute les chiffres avancés. Depuis 1945, le sionisme international a fait beaucoup de
propagande, via des films, des
expositions, des romans, pour
justifier ses six millions de mort
pendant l’Holocauste. Or, nous
ne comprenons pas pourquoi on
emprisonne en Europe certains
historiens qui se posent des
questions. Nous revendiquons le
d r o i t d e m e t t re e n d o u t e d e s
chiffres qui nous paraissent largement exagérés. C’est au nom
d e c e d r o i t q u’ A h m a d i n e j a d
a parlé. Le président n’a jamais
dit que l’Holocauste est un mens o n g e. Si v o u s é c o u t e z b i e n
s e s p r o p o s , i l s’ e s t p o s é l e s
deux questions suivantes : si
l’Holocauste a vraiment eu lieu,
alors c’est aux Européens d’accueillir la population juive ; et si
ce n’est pas arrivé, alors pourquoi en faire un prétexte pour
s’imposer dans la région ? Enfin,
permettez-moi de poser, à mon
tour, une question : comment se
fait-il que la remise en question
d e l ’ Ho l o c a u s t e e s t p a s s i b l e
d’une lourde peine de prison, et
que l’Occident se taise quand
des caricaturistes insultent le
prophète Mahomet ?
Le conflit qui a opposé Israël
au Hezbollah a-t-il servi
les intérêts de l’Iran ?
Oui, bien sûr. Cette guerre a
démontré que la foi peut l’emporter sur les armes. L’Iran a toujours compté sur la foi de son
peuple, et non sur de pseudoarmes nucléaires qu’on l’accuse
de posséder.
Mais c’est aussi grâce à ses armes
que le Hezbollah a pu résister ?
Bien sûr que le Hezbollah dispose de quelques armes, mais
rien qui ne soit à la hauteur de
l’armée israélienne, considérée
comme la plus puissante de la région. Si la guérilla libanaise, qui
ne possède aucun avion de combat, a réussi à tenir tête à une armée aussi importante, c’est grâce
à la foi de ses hommes.
LA CLARIFICATION des règles
d’engagement des troupes de la
Force intérimaire des Nations
unies au Liban (Finul) n’a pas gommé les risques élevés courus par les
soldats de la force internationale.
À l’issue d’un conflit sans vainqueur ni vaincu, la mission d’interposition des Casques bleus , dont
le déploiement aura lieu d’ici « environ une semaine », a déclaré hier
soir le secrétaire général de l’ONU,
Kofi Annan, peut en effet rapidement se transformer en cauchemar
malgré les garanties obtenues par
la France. Une reprise des accrochages entre des combattants du
Hezbollah, non désarmés et dotés
d’une connaissance parfaite du terrain, et l’armée israélienne est toujours possible. Soumise à un feu
croisé, la Finul ne pourrait, malgré
son mandat renforcé, que compter
les points et... essuyer au passage
de rudes coups.
Mais le principal danger réside
dans le maintien dans la zone de
déploiement des troupes des Nations unies de combattants aguerris du Hezbollah peu enclins au pacifisme. D’autant plus que la milice
chiite bénéficie du parrainage de
l’Iran et de la Syrie, deux pays dont
les régimes voient d’un mauvais
œil ce qu’ils considèrent comme
une intrusion étrangère dans leur
arrière-cour. Damas a déjà fait savoir qu’il n’acceptera pas la présence de la Finul à ses portes. Il menace même d’y répondre en fermant
la frontière, une décision qui aurait
pour conséquence d’asphyxier une
économie libanaise fragilisée par le
blocus israélien. Inquiets, les Libanais refusent d’appeler à l’aide la
communauté internationale pour
sécuriser leurs marches orientales.
Or, c’est via la Syrie que transiterait
l’armement du Hezbollah. Si ce trafic devait se poursuivre, la milice
chiite, qui a tiré quelque 4 000 roquettes sur le nord d’Israël, pourrait rapidement reconstituer ses
stocks. Une perspective jugée inacceptable par Tsahal.
Selon la résolution 1701 de
l’ONU, qui fixe le cadre du règlement du conflit, la Finul est priée
de « prêter assistance au gouvernement libanais sur sa demande »
pour lui permettre de « sécuriser
ses frontières et les autres points
d’entrée de manière à empêcher
l’entrée au Liban sans son consentement d’armes ou de matériel
connexe ». Kofi Annan doit se
rendre aujourd’hui à Beyrouth
pour tenter de trouver une solution. Mais la question sera également au centre des discussions à
chaque étape de sa tournée dans
la région, qui devrait probablement le conduire en Syrie, puis en
Iran le 2 septembre.
Si elle veut réussir, la force de
maintien de la paix doit bénéficier
d’un feu vert au moins tacite de
Damas et de Téhéran ; mais qui
est susceptible de passer à l’orange ou au rouge au gré des aléas
d’une vie politique libanaise mou-
Les militaires français qui vont
opérer se souviennent du sanglant
attentat du Drakkar en 1983. Mori/AP.
vementée. Il nécessite aussi des
contreparties périlleuses. « Nous
jugeons positivement le rôle important joué par l’ONU et nous
sommes heureux que la Finul ne
soit pas impliquée dans des tâches
qui lui créeront des problèmes », a
ainsi affirmé hier le vice-ministre
syrien des affaires étrangères, Fayçal Meqdad, dans une allusion au
désarmement du Hezbollah.
Climat d’hostilité
entre la Syrie et la France
Les leçons du passé incitent
également à la plus grande prudence. Les militaires français qui
vont opérer dans le « hezbollahland » gardent en mémoire l’attentat commis en octobre 1983
contre l’immeuble du Drakkar à
Beyrouth. Le bâtiment abritant le
poste d’un précédent corps expéditionnaire français avait été détruit par le camion piégé d’un
kamikaze. Cinquante-huit parachutistes français avaient trouvé
la mort dans ce raid orchestré par
le Hezbollah qui fourbissait ses
premières armes. Et une explosion simultanée avait tué deux
cent quarante et un marines au
quartier général des forces américaines. Les miliciens chiites mettaient au goût du jour cette année-là l’attentat kamikaze qu’ils
baptisaient la « bombe atomique
du pauvre ». Ils planifiaient aussi
des enlèvements pour peser dans
les négociations sur les contentieux entre Téhéran et Paris. Les
circonstances sont cette fois différentes. Mais un climat d’hostilité
oppose la Syrie, l’autre allié du
Hezbollah, à la France.
Fin juillet, Jacques Chirac a
exprimé un fort ressentiment à
l’égard de Bachar al-Assad, en
soulignant qu’il avait interrompu
le dialogue avec le président syrien car son régime lui était apparu « difficilement compatible avec
la sécurité et la paix ». Il reproche
aux autor ités syr iennes de se
soustraire à l’enquête sur l’assassinat, en février 2005, de l’ancien
premier ministre libanais Rafic
Hariri. Chargé jusqu’en février du
commandement de la Finul et
participant décisif de cette force,
la France a la particularité de
s’opposer à un retour de la Syrie
dans la communauté internationale. Un engagement qui l’oblige
plus encore que ses partenaires à
se tenir sur ses gardes.
THIERRY OBERLÉ
L’Iran a-t-il fourni des armes
au Hezbollah ?
Je vais vous répondre en vous
posant une question : pourquoi
personne ne s’interroge sur l’origine des armes israéliennes ? Le
Hezbollah est libre d’acheter ce
qu’il veut sur le marché. En pleine guerre avec l’Irak, alors que
n o u s s u b i s s i o n s u n e m b a rg o
américain, nous avons, nousmêmes, utilisé toutes sortes de
moyens pour nous procurer des
pièces détachées.
Propos recueillis par
DELPHINE MINOUI (À TÉHÉRAN)
C
PROLIFÉRATION
Les chausse-trapes
de la Finul