Fiscalité internationale

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Fiscalité internationale
Revues
Lexbase Hebdo édition fiscale n˚520 du 21 mars 2013
[Fiscalité internationale] Questions à...
France/Chine : quelle fiscalité pour les investisseurs ? —
Questions à Christian Louit, Cabinet Louit & Associés et Jin
Banggui, Maître de conférences, consultant juridique du
cabinet
N° Lexbase : N6229BTU
par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo — édition
fiscale
D'un côté, la Chine, deuxième puissance économique mondiale après les Etats-Unis, dont la croissance
se confirme depuis les années 1980 ; d'un autre côté, la France, cinquième puissance mondiale, touchée
par la crise économique, et dont la croissance est faible. L'Etat français, qui, par le passé, a cherché à
aider les pays en développement en encourageant ses acteurs économiques à investir à l'étranger, tente
de freiner cette fuite de capitaux, et multiplie les dispositifs incitant à la réinjection de l'argent dans son
économie. Pourtant, la Chine ne manque pas d'arguments pour attirer les investisseurs français en son
sein. Au niveau fiscal, quel est l'environnement applicable ? La Convention franco-chinoise date du 30
mai 1984 (N° Lexbase : L6677BHR), et est entrée en vigueur le 21 février 1985. Basée sur le Modèle de
convention fiscale de l'OCDE, son texte diffère pourtant en de nombreux points. Face aux opportunités
offertes par l'"eldorado" chinois, et aux velléités françaises quant à la transparence et à la recherche de
capitaux, comment doivent se placer les investisseurs désireux d'explorer l'Empire du Milieu ?
Pour répondre à ces questions, Lexbase Hebdo — édition fiscale a interrogé Christian Louit, Professeur, Associé
du cabinet Louit & Associés et Jin Banggui, Maître de conférences, consultant juridique du cabinet.
Lexbase : Quels sont les atouts de la Chine au niveau fiscal ?
Christian Louit et Jin Banggui : Jusqu'au 1er janvier 2008, les investisseurs étrangers ayant des activités dans
le secteur industriel en Chine avaient bénéficié d'un statut fiscal privilégié par rapport à leurs homologues chinois.
Cela a duré à peu près 30 ans.
En effet, dès les premiers mois de l'application de la politique d'ouverture et de réforme de la Chine (en 1978), le
Gouvernement chinois a délibérément opté pour la mise en place, en ce qui concerne l'impôt sur les bénéfices, d'un
régime d'imposition spécifique, consistant à accorder aux sociétés étrangères installées dans l'Empire du Milieu une
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série d'avantages fiscaux. Les avantages accordés étaient multiples et substantiels. Ils se traduisaient, de façon
générale, par l'application des taux d'imposition réduits (allant de 15 % à 24 %), le bénéfice d'une exonération totale
pendant deux ans à partir de la première année bénéficiaire et d'une réduction de 50 % pendant les trois années
suivantes, sachant que les entreprises locales étaient imposées au taux de 33 % et que d'autres avantages fiscaux
dont elles pouvaient bénéficier étaient sensiblement moindres.
La réforme fiscale mise en place par la loi du 16 mars 2007 sur l'impôt sur le revenu des entreprises (entrée en
vigueur le 1er janvier 2008) est venue mettre un terme à cette dualité de régimes d'imposition. Si, désormais,
en matière d'impôt sur les sociétés, les entreprises à investissements étrangers, les entreprises étrangères et les
entreprises chinoises sont imposées de la même manière et dans les mêmes conditions, la Chine demeure un pays
relativement attractif au niveau fiscal.
D'une part, le taux d'imposition fixé à 25 % n'est pas exorbitant, notamment par rapport à celui appliqué en France.
D'autre part et surtout, les investisseurs, qu'ils soient étrangers ou chinois d'ailleurs, ont toujours la possibilité de
réaliser une optimisation fiscale en profitant de différentes mesures préférentielles maintenues ou nouvellement
accordées par la nouvelle loi. Certes, les avantages fiscaux accordés ne sont plus liés à la localisation de l'entreprise
ou à la durée du contrat sino-étranger, ce qui était le cas dans le passé. Parmi ces mesures préférentielles, nous
pouvons citer, à titre d'exemple,
– l'exonération de l'impôt sur les sociétés pour les bénéfices (dividendes) réalisés par un investissement direct
effectué par une entreprise résidente (une filiale implantée en Chine par une entreprise étrangère, par exemple)
dans une autre entreprise résidente, ou pour les dividendes réalisés par une entreprise non résidente à travers
son établissement ou local installé en Chine ;
– l'exonération ou la réduction de l'impôt sur les sociétés pour les bénéfices provenant des activités d'agriculture,
de sylviculture, d'élevage ou de pêche ;
– l'application du taux réduit à 15 % aux entreprises de haute et nouvelle technologie remplissant les conditions
définies par le Gouvernement ;
– l'exonération de l'impôt sur les sociétés pour les trois premières années et une réduction d'impôt de 50 % pour
les trois années qui suivent pour les bénéfices réalisés dans le secteur d'infrastructures publiques (ports, aéroport, chemin de fer, routes, transports urbains, etc.), ainsi que pour les bénéfices réalisés par l'investissement et
l'exploitation dans les activités favorables à la protection de l'environnement ou à l'économie de l'énergie ou de
l'eau ;
– pour les revenus provenant du transfert de technologie réalisés par les entreprises résidentes, une exonération
totale de l'impôt sur les sociétés pour la partie inférieure à cinq millions de yuans (environ 595 337 euros), et une
réduction d'impôt de 50 % pour la partie supérieure à cinq millions de yuans.
Lexbase : Au regard de la Convention fiscale franco-chinoise, est-il intéressant, pour un financier installé
en France, d'investir des capitaux en Chine ?
Christian Louit et Jin Banggui : D'un point de vue purement fiscal, un financier installé en France a toujours
intérêt à investir des capitaux en Chine, au regard, à la fois, de la Convention fiscale franco-chinoise et de la
législation fiscale chinoise. Si la Convention franco-chinoise institue un partage d'imposition entre l'Etat de la source
et l'Etat de la résidence et prévoit des modalités pour éviter les doubles impositions, c'est une Convention qui a
été négociée et signée dans les années 80, et qui fait partie des conventions que la France a fréquemment signé
avec les pays en voie de développement. En effet, en adoptant la méthode de l'imputation pour éviter la double
imposition sur les revenus de capitaux mobiliers, la Convention comporte une clause de crédit d'impôt forfaitaire.
Autrement dit, le montant du crédit d'impôt qui peut être imputé sur l'impôt français est, en ce qui concerne les
dividendes, les intérêts et les redevances, calculé d'une manière forfaitaire et à un taux expressément fixé par
la Convention, quel que soit le montant du prélèvement effectif de l'impôt chinois, ou même en l'absence de tout
prélèvement en Chine. Le taux de calcul forfaitaire fixé par la Convention franco-chinoise est de 20 % du montant
brut des dividendes, 10 % pour les dividendes payés par les entreprises à capitaux mixtes sino-étrangers et 10 % du
montant brut des intérêts. Il est à noter que, selon la Convention franco-chinoise, le taux de prélèvement effectué
par l'Etat de la source, en l'occurrence la Chine, ne peut excéder 10 % du montant brut des dividendes ou des
intérêts, d'autant plus que, comme nous l'avons évoqué plus haut, selon la loi fiscale actuellement en vigueur en
Chine, les dividendes peuvent bénéficier d'une mesure fiscale préférentielle, s'ils remplissent les conditions légales.
Plus précisément, sont exonérés de l'impôt sur les sociétés les dividendes perçus par une entreprise résidente (une
filiale française implantée dans l'Empire du Milieu par exemple) s'ils proviennent d'un investissement direct effectué
dans une autre entreprise résidente, et les dividendes perçus par une entreprise non résidente (une entreprise
française, par exemple) ayant installé un établissement ou local en Chine si la réalisation de ces dividendes a un
lien effectif avec cet établissement ou local.
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Lexbase : Au regard de la même Convention, est-il intéressant, pour une entreprise française, de s'implanter
en Chine ?
Christian Louit et Jin Banggui : Oui. Malgré la suppression récente de la politique fiscale discriminatoire en faveur
des investisseurs étrangers, il convient de rappeler que les avantages fiscaux accordés par la loi fiscale chinoise
demeurent assez nombreux et intéressants. Une entreprise étrangère a la possibilité d'en bénéficier en choisissant,
par exemple, le secteur d'activité encouragé par le Gouvernement, ou en investissant dans les zones de l'ouest de
la Chine. La Convention fiscale franco-chinoise rend ces avantages encore plus attractifs pour une entreprise française. En effet, pour tous les revenus autres que les revenus de capitaux mobiliers, les redevances, les gains en
capital et les revenus des artistes et sportifs, la méthode adoptée par la Convention pour éviter les doubles impositions est celle de l'exemption, c'est-à-dire que les revenus imposables en Chine sont alors exonérés en France.
Les bénéfices réalisés par les filiales implantées en Chine par les entreprises françaises sont imposables en Chine.
Par ailleurs, aux termes de la Convention, si une entreprise française exerce son activité par l'intermédiaire d'un
établissement stable qu'elle a implanté en Chine, les bénéfices de cette entreprise imputables à cet établissement
stable sont imposables en Chine. Enfin, il faudrait rappeler que le taux d'imposition de l'impôt chinois sur les sociétés
est relativement faible par rapport à celui actuellement appliqué en France.
Lexbase : La France est très attachée à l'échange de renseignements et à l'assistance administrative à
l'international. Ceci se ressent-il dans les relations franco-chinoises ?
Christian Louit et Jin Banggui : C'est vrai. La France est très attachée à l'échange de renseignements et à
l'assistance administrative internationale. C'est ainsi qu'un article à cet égard a été intégré dans la Convention fiscale
franco-chinoise. Mais d'après les informations en notre possession, l'échange de renseignements entre les deux
administrations fiscales rencontrerait pas mal de difficultés. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la Convention
n'est pas appliquée de façon satisfaisante à cet égard. Cela est sans doute dû à deux éléments : d'une part, jusqu'à
présent, l'administration fiscale chinoise n'a pas ressenti un réel besoin d'un tel échange, en tout cas, ce n'était pas
une préoccupation de premier plan du côté chinois ; d'autre part, selon une circulaire publiée en 2006 par la State
Administration of Taxation (SAT) de Chine, l'autorité compétente chargée de l'échange de renseignement du côté
chinois est justement la SAT elle-même. Autrement dit, tout échange de renseignements avec une administration
fiscale étrangère doit passer par elle. Sans l'accord de sa part, les autorités fiscales locales ne peuvent procéder à
aucun échange de renseignement avec l'autorité fiscale étrangère.
Cette situation pourrait évoluer dans les années à venir. Nous constatons que l'administration fiscale chinoise commence à attacher de l'importance à l'échange de renseignements avec les autres administrations fiscales. En effet,
en raison d'un nombre croissant d'entreprises et d'entrepreneurs chinois qui investissent à l'étranger, l'administration fiscale chinoise devrait nécessairement s'appuyer davantage sur l'assistance administrative internationale et
sur sa collaboration avec ses homologues étrangers afin de prévenir la fraude et l'évasion fiscales.
Une coopération plus étroite à cet égard entre les autorités fiscales françaises et chinoises reste à l'avenir tout à
fait possible.
Lexbase : Selon vous, la France est-elle susceptible de renégocier la Convention fiscale franco-chinoise ?
Christian Louit et Jin Banggui : Oui, nous pensons effectivement que, vu l'évolution de la situation chinoise
depuis la signature de la Convention fiscale franco-chinoise, la France a intérêt à proposer une renégociation de
cette Convention avec la Chine. Plusieurs points dans la Convention mériteraient d'être revus. Nous pensons, par
exemple, aux modalités prévues par la Convention pour éviter les doubles impositions. Pour l'instant, la France
et la Chine n'appliquent pas les mêmes règles. Pour la Chine, la méthode de l'imputation s'applique à tous les
revenus, que ce soit les bénéfices industriels et commerciaux ou les revenus de capitaux mobiliers, les redevances
ou les gains en capital, tandis que pour la France, comme nous l'avons évoqué supra, la méthode de l'imputation ne
s'applique qu'aux revenus de capitaux mobiliers, aux redevances et aux gains en capital, la méthode de l'exemption
s'appliquant aux bénéfices industriels et commerciaux. Nous pensons aussi à la méthode de calcul forfaitaire du
crédit d'impôt. Pour accompagner l'arrivée des investissements chinois en France, ces méthodes devraient être
harmonisées. Enfin, de nouveaux dispositifs en matière d'échange de renseignements et d'assistance administrative
pourraient être introduits, afin de rendre les dispositifs en la matière plus opérationnels et la coopération entre les
deux administrations fiscales plus efficace.
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