Gentlewoman portrait driver
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Gentlewoman portrait driver Pilote amateure, INÈS TAITTINGER effectuera ses débuts aux 24 Heures du Mans en juin. À 26 ans, elle est la seule femme engagée à ce jour dans la plus célèbre course d’Endurance au monde. Par erik Bielderman, au Castellet (Var). Photos Alexis Réau On peut parler d’atavisme. Inès Taittinger, jeune pilote d’Endurance, est fille et petite-fille de fondus de course automobile. La voilà, à 26 ans, pleine d’insouciance et d’envie, admise dans la cour des plus grands. Elle sera, le 18 juin prochain, au départ des 24 Heures du Mans au volant d’une Morgan-Nissan engagée par le team alsacien Pegasus (1), dont c’est la quatrième participation à cette compétition. Atavisme ? Inès, pilote amateure, actuellement en stage de journalisme à Eurosport, ne peut renier la passion pour la course automobile de fait le volant Elf en 1976. Ça se passait François Taittinger, un des patriarches plutôt bien, mais il m’a fallu faire un de la célèbre famille de producteurs de choix. C’était devenir pilote ou avoir un vrai métier. » Vu le traumatisme famichampagne. Tout le monde dans le clan se souvient lial, Hugues renonce au volant. du grand-père François engageant une Inès va se nourrir de la passion contraCitroën DS pour disputer le Rallye de riée du père. Opérée à cœur ouvert Monte-Carlo, à la fin des années 1950. dans sa prime enfance (2) en raison François qui aimait rouler vite. Trop d’une malformation cardiaque, puis à vite. Et se tua sur la route en 1960. Son nouveau perturbée dans ses études par fils Hugues, papa d’Inès, avait hérité de d’autres graves soucis de santé, Inès se son amour des voitures de course. « J’ai cherche. S’ennuie. L’adolescente sollicite son père pour qu’il lui fasse faire des tours au volant de sa Porsche 911, mais Hugues Taittinger attend de sa fille qu’elle obtienne d’abord son permis. À peine le papier rose décroché, en 2008, Inès réclame son dû. Ce sera des tours de circuit en Catheram et 62 | l’équipe magazine en Ferrari. « Une Modena ! J’étais aux anges… » L’envie va vite se muer en passion. Philippe Alliot, ancien pilote de F1 (19841994), accepte de guider les premiers pas vers la compétition de la jeune femme. Un an après avoir décroché son permis, la voilà au volant d’une Ligier développant 250 chevaux en Championnat VdeV, une formule de courses hétérogènes où cohabitent gentlemen drivers et pilotes prometteurs. « Ma première compétition, je l’ai disputée sur une JS51, à MagnyCours. Il pleuvait, la nuit tombait. C’était chaud. J’étais une véritable chicane mobile. Un vrai danger. » Un nom prestigieux qui suscite la jalousie, des moyens financiers supposés généreux, le fait d’être une femme dans un milieu d’hommes… forcément, on la regarde de travers. « Je me suis surtout fait allumer sur les réseaux sociaux, se souvientelle. Sur le Motorsport.com, c’était des réflexions du genre : “Ça paye bien le champagne…” Mais je suis restée hermétique à ce type de sarcasmes. » Inès s’obstine, fait ses gammes auprès d’Alliot et progresse. Le paddock va peu à l’équipe magazine | 63 peu l’adopter. « On a fini par oublier mon nom. » Dans le même temps, son père, Hugues, craque et s’offre une ancienne F1 : une Surtees TS16 de 1974. Et s’en va disputer les Grands Prix historiques. En 2012, il termine dixième dans sa catégorie à Monaco. Quelques mois plus tard, grosse frayeur : il explose sa Surtees contre un muret au virage de la Source, sur le circuit de Spa, après une rupture de suspension, de freins et de direction. Inès s’inquiète, mais cela ne refroidit en rien sa détermination : elle fera Le Mans, comme Marguerite Mareuse et Odette Siko, LMP2, comme elle le fera au Mans. « Elle premières femmes à courir l’épreuve en est courageuse », admire Panis, qui a 1930, au volant d’une Bugatti Type 40. La lui-même monté un team avec Fabien voilà, à 23 ans, en quête de budget et de Barthez. L’ancien gardien de but internavolant pour tenter sa chance dans cette tional, qui pilote aujourd’hui une Ligier course de légende. « Je n’ai pas trouvé en LMP2, est passé par ces affres du d’argent. Ouf ! Je n’étais vraiment pas questionnement. « Suis-je prêt ? Légiprête », rit-elle aujourd’hui. time ? Comment gérer la différence de Olivier Panis, ancien pilote de F1 (1994- vitesse et de niveau de pilotage avec les 2004) et quatre 24 Heures du Mans à Protos et les GT ? » son actif, croise désormais Inès dans le Assis sur le marchepied de son paddock des European Le Mans Series camion-atelier, l’ancien champion du (le Championnat d’Europe d’Endu- monde revisite ses débuts en 2014, en rance), où elle s’aligne dans la catégorie catégorie GT, et délivre quelques conseils à Inès : « Ne sois pas obsédée par tes rétros. Reste sur ta trajectoire. C’est aux Circuit du Castellet en mars. pilotes pros des Audi, Porsche et autres Inès Taittinger en séance Toyota de se débrouiller. Ils te font des d’essais au volant de la Morgan-Nissan qu’elle appels de phares. Tu les verras arriver. conduira au Mans. Elle fera comme Marguerite Mareuse et Odette Siko, premières femmes au mans en 1930 64 | l’équipe magazine Sauf aux virages Porsche, juste avant les stands. Là, c’est chaud. Ça déboule derrière toi sans prévenir. » Mais avant d’apprendre Le Mans et d’apprivoiser le circuit, Inès Taittinger se doit de maîtriser sa nouvelle auto. Deux fois plus de puissance que la Norma qu’elle pilotait encore l’an passé en Championnat VdeV (500 ch contre 250). Julien Schell, le patron de l’écurie Pegasus : « Le gap entre VdeV et LMP2 est important. L’idéal eût été qu’elle fasse une transition via la catégorie intermédiaire des LMP3. Mais voilà, la course automobile n’est pas qu’une affaire d’expérience. C’est aussi une affaire de budget. » Sans partenaire, pas de volant ! Il en coûte 400 000 euros pour une saison en Endurance. Aux trois pilotes de se débrouiller. Dans l’escarcelle d’Inès, la banque privée suisse Pictet, le cabinet d’avocats de Gaulle & associés, les « assistants de conduite » Coyote et, bien sûr, les champagnes Taittinger… mais uniquement là où la loi autorise le partenariat avec une marque d’alcool. Sur le muret, où plus souvent devant l’écran où défilent les temps, Hugues Taittinger savoure plus qu’il ne stresse de voir sa fille aligner les tours. « Grâce à elle, me revoilà dans les paddocks. » Sur le bord du circuit, Jobo Scheier, ancien pilote en charge du suivi d’Inès en compétition, observe sa protégée. « Je suis là pour l’aider à se perfectionner. Voilà deux ans qu’elle a basculé dans sa tête entre le pilotage plaisir et la volonté d’aller vite. On décrypte ensemble les vidéos de ses tours. » Moments privilégiés ou le binôme Inès-Jobo aime à s’isoler pour visionner les images embarquées des séances de roulage de la jeune femme. On a beau être amateurs, on se prépare comme des pros. Le Mans ne s’improvise pas. n [email protected] Dans ce monde quasi exclusivement masculin, Inès Taittinger, ci-contre avec son père, l’industriel et ex-pilote Hugues Taittinger, et en bas aux côtés de deux coéquipiers, détonne. (1) Elle est engagée en LMP2 (Le Mans Prototype 2), le niveau en dessous de la catégorie reine, les LMP1. En plus des protos, deux classes de voitures Grand Tourisme Endurance sont représentées aux 24 Heures du Mans : les LM GTE Pro et les LM GTE Am. (2) Inès Taittinger est ambassadrice pour l’association Mécénat chirurgie cardiaque. l’équipe magazine | 65