la belle-mère. - CEDIAS

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la belle-mère. - CEDIAS
UNIVERSITE DE PICARDIE JULES VERNE
FACULTE DE PHILOSOPHIE SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES
DIRECTION DE L’EDUCATION PERMANENTE
EN COLLABORATION AVEC
L’INSTITUT REGIONAL DE FORMATION AUX FONCTIONS
EDUCATIVES (IRFFE)
Belles-mères
Entre “ marâtres ” et “ marraines-fées ”
Rôles et places au sein des familles recomposées
DIPLOME SUPERIEUR EN TRAVAIL SOCIAL
(D.S.T.S)
SOUTENU EN DRASS PICARDIE
Directeur de Mémoire
Bénédicte KAIL
Candidat
Aline RENAUT-LAPORTE
12 mars 2009
2
REMERCIEMENTS
A toutes celles qui ont accepté de me parler de leur
famille et sans lesquelles ce travail de recherche
n’aurait pas été possible.
A Marie-Luce Iovane-Chesneau et à toutes les
adhérentes du “Club des Marâtres”, pour leur accueil.
A Bénédicte Kail, ma directrice de mémoire pour
ses conseils, son soutien et sa disponibilité.
A
chacun
de
mes
proches,
pour
leurs
encouragements et leur patience bienveillante. Avec
une pensée particulière pour Louis.
A Marie et Pauline enfin, sans lesquelles le choix
de ce sujet ne se serait pas imposé avec une telle
évidence.
3
SOMMAIRE
Introduction………………………………………………………...-5Première partie :
De la famille nucléaire à la famille recomposée…………………-111.1. La famille contemporaine en France…………………………....-121.2. La famille recomposée……………………………………………-131.3. La parenté pratique rendue lisible par l’émergence
des familles recomposées…………………………………………-161.4. Lignée, maisonnée et parentèle, trois concepts mobilisés
pour éclairer les différentes composantes de la parenté……….-181.5. Une figure de la famille recomposée : la belle-mère……………-201.5.1. Dénomination et absence langagière……………………….. -201.5.2. L’évolution des représentations…………………………….. -21-
Deuxième partie : Méthodologie…………………………………-242.1. Le rapport à l’objet de recherche……………………………… -252.2. L’échantillon……………………………………………………...-262.3. Le déroulement des entretiens ……………………………..-332.4. Présentation schématique des interviewées …………………....-352.5. Quelles maisonnées pour les belles-mères rencontrées ?............-39-
Troisième partie : A la rencontre des belles-mères, la vie
dans une famille recomposée…………………………………......-413.1. Une Place très différenciée selon les belles-mères……………...-423.1.1. Des modes de fonctionnements conjugaux révélateurs
de la place faite à la recomposition…………………………………-443.1.2. On adapte l’espace ou on fait avec : un révélateur
de la place donnée à chacun………………………………………...-50-
3.2. Les relations interpersonnelles entre la belle-mère et
ses beaux-enfants ……………………………………………………..-543.2.1. Une volonté forte de former famille : des relations
données pour bonnes………………………………………………...-55-
4
3.2.2. Une relation vécue comme contrainte : des relations
données pour difficiles………………………………………………-583.2.3. La pérennité de la relation beau-parentale………………….-63-
3.3. La gestion du quotidien…………………………………………..-683.3.1. L’entretien matériel…………………………………………..-683.3.2. La relation éducative…………………………………………-753.3.3. L’argent, ou qui paye quoi pour qui ?................................... -843.4. L’influence du rapport mère/belle-mère………………………. -883.4.1. Une place laissée vacante par la mère……………………… -893.4.2. Une relation qui se veut de bon ton………………………….-893.4.3. Quand mère et belle-mère s’ignorent………………………..-933.4.4. Une rivalité mère/belle-mère qui entrave
le lien au bel-enfant………………………………………………….-93-
3.5. Deux catégories de belles-mères se révèlent…………………….-97-
Quatrième partie : quand la beau-parentalité interroge
la parentalité...................................................................................-994.1. Belles-mères cherchent pairs : le“Club des Marâtres”……….-1024.1.1. L’aide des pairs plutôt que celle des experts………………-1024.1.2. Quand le lobbying se met en marche………………………-1044.2. Belle-mère en droit : de l’absence de reconnaissance à un
projet de statut……………………………………………………….-1054.2.1. La situation actuelle des beaux-parents
au regard du droit………………………………………………….-1054.2.2. Vers un statut légal du beau-parent ?...................................-108-
CONCLUSION…………………………………………………..-114BIBLIOGRAPHIE……………………………………………....-120ANNEXES………………………………………………………..-125-
5
INTRODUCTION
6
Depuis déjà le milieu des années 1960, le nombre des divorces progresse très
rapidement. Dans le même temps le nombre des mariages diminue, celui des unions libres
augmente, et, avec elles, celui des séparations suivant une union libre. Ainsi, dès le milieu
des années 1980 on estime en France que 30% des mariages se terminent par un divorce1.
Largement médiatisée, la transformation de la cellule familiale interpelle de
nombreux chercheurs ou spécialistes. Qu’ils soient sociologues, psychologues,
psychanalystes, pédagogues ou juristes, ils sont les représentants des différents champs,
auxquels il convient d’ajouter le politique et le religieux qui participent à la définition de la
famille. Cet intérêt pour les nouvelles formes adoptées par l’institution familiale est
relativement récent. Ainsi jusqu’aux années 1990, les familles recomposées étaient comme
inexistantes en France. Elles n’étaient pas encore identifiées par un nom et étaient intégrées
sous le vocable plus général de “ nouvelles familles ” puis de “ familles reconstituées” ou
encore de “secondes familles ”. C’est à la suite des travaux dirigés par Irène Théry en 1993
sur les recompositions familiales que l’on finit par adopter le terme qu’elle avait introduit
en 1987 de “ familles recomposées ”. Elle en donne cette première définition : « Un
homme et une femme, conjoints ou compagnons, un ou plusieurs enfants : ils vivent sous le
même toit, et ne forment pas pour autant une famille nucléaire, au sens classique, du terme
car l’un des adultes n’est pas le parent biologique de l’un -au moins- des enfants de
l’autre. » (Théry, 1993 : 5).
Cette définition amène une question : qu’entend-t-elle par vivre ensemble ? Vit-on
ensemble quand on vit ensemble par intermittence ? Elle-même s’interroge : « qu’est ce au
fond une famille recomposée ? Un ménage de type particulier ? Une constellation
complexe intégrant plusieurs foyers ? Un moment dans une chaîne de transition
familiale ? » (Théry, 1993 : 6) et complète ainsi sa première définition : « la notion de
famille recomposée inclut le ménage du parent non gardien qui était le point aveugle des
autres approches, telles celle de la famille reconstituée (identifiée au ménage du parent
gardien) qui s’interdisait de prendre en considération l’intermittence. » (Théry, 1993 : 16).
Combien forment ensuite des familles recomposées ? Nous imaginons, sans mal, que
leur nombre diffère avec la définition qu’on en donne et on peut se demander si les modes
habituels de recensement sont adéquats. Ainsi, l’INSEE2 ne les a répertoriés, en tant que
1
2
Enquête « Divorce » de l’Institut National des Etudes Démographiques (INED) 1986.
Institut national de la statistique et des études démographiques (INSEE).
7
tel, que lors du recensement de 1990 et a ainsi établi que les familles recomposées étaient
646 000 en 1990 et 708 000 en 19993. L’augmentation est de 10% entre 1990 et 1999 et en
1999, 73,4% des familles sont “traditionnelles ” (enfants vivant avec les deux parents),
18,6% sont monoparentales et 8% recomposées. Les derniers chiffres publiés sont ceux de
1999, toutefois, on peut imaginer que le nombre des familles recomposées a continué à
croître. Il est utile de noter ici que, pour l’INSEE, une famille recomposée est un couple
vivant avec au moins un enfant dont un seul des conjoint est le parent. Ainsi n’est pas
considérée comme famille recomposée, la famille du parent non gardien qui accueille
l’enfant de façon intermittente (le plus souvent week-ends et vacances). Les statistiques
restent donc interrogeables et assez imprécises.
La structure et l’image de la famille ont évolué à un rythme accéléré depuis une
trentaine d’années ; la diversité des formes prises bouscule les normes, les valeurs,
relativise le modèle “unique” précédent tout en se heurtant à de nombreuses résistances
(morales, religieuses). Cette évolution plus générale des façons de vivre la famille, de vivre
en famille, ainsi que la progression rapide du nombre des familles recomposées se sont
trouvées être contemporaine de mon entrée dans la vie professionnelle en temps
qu’assistante sociale. Il m’a ainsi fallu adapter ma pratique professionnelle aux diverses
formes d’évolution de l’institution familiale, aux nouvelles difficultés sociales qui
pouvaient en découler, aux nouvelles législations y référant, tout en étant confrontée à des
discours à la fois opposés et symétriques sur ces familles : d’un coté, symbole de la
modernité, de l’individuation en marche, grande tribu heureuse reposant sur des relations
électives et non plus dictées par les normes morales attachées à la famille nucléaire, de
l’autre “ famille sans aucun repère ” où l’enfant souffre des égoïsmes adultes et risque
toutes les déviances (délinquance, échec scolaire etc.) découlant d’une déviance
inaugurale, la déviance familiale.
Ce dernier topisme est encore aujourd’hui repris par un certain nombre de
professionnels de l’enfance. Ainsi ai-je pu constater, dans le Centre Médico Psycho
Pédagogique (CMPP) dans lequel je travaille, qu’un certain nombre de demandes de
premières consultations se font sur les conseils de l’école, inquiète des conséquences d’un
divorce ou d’une remise en couple des parents d’un élève. Il s’agit de prévenir les troubles
que l’après divorce pourraient faire naître chez l’enfant.
3
(Enquête INSEE « étude de l’histoire familiale », recensement de la population 1999).
8
L’essentiel de ma pratique professionnelle consiste en des entretiens suivis, réguliers
avec des familles dont l’un des enfants est confié quelques jours par semaine à une famille
d’accueil thérapeutique. Il s’agit, au travers du jeu “ des séparations, retrouvailles ”,
d’interroger les liens, les modes de fonctionnements familiaux, parfois source de difficultés
ou de souffrance. Au quotidien c’est donc à partir et avec des familles que je travaille. Or,
les enfants bénéficiant de cette prise en charge vivent pour certains dans une famille
recomposée, voire dans deux familles recomposées. Il m’a ainsi été donné d’observer, à
partir d’une pratique professionnelle, ce qu’il en est des liens qui peuvent se tisser entre
beaux-parents et beaux-enfants ou comment certains “s’apparentent”, pour reprendre
l’expression d’Agnès Martial (Martial A., 2003).
Approchant la manière dont les rôles parentaux et beaux-parentaux se répartissent
dans la configuration familiale recomposée, j’ai pu prendre conscience de ce que ce
“ parent - non parent ” bouleversait mes références les plus traditionnelles en matière de
famille. J’ai également pu constater les difficultés rencontrées, en particulier par le droit
mais aussi par la psychanalyse, dans la définition du rapport de l’enfant à des espaces
familiaux multiples. Difficultés qui me sont apparues comme révélatrices de la difficulté
qu’a notre système social à rendre compte et à accompagner les mutations sociales en
cours.
A partir de ces constats et des questions qu’ils soulevaient, j’ai voulu travailler sur
l’institution familiale, interroger ce qu’est la famille dans la modernité en m’intéressant
plus particulièrement à un de ces acteurs : le beau-parent . J’ai ainsi été amenée, dans un
premier temps, à délimiter comme objet de recherche, les familles recomposées et la place
qu’y occupe le beau-parent. Il me semble utile de préciser que je ne souhaite pas me référer
à la stricte définition que fait l’INSEE de la famille recomposée, mais m’intéresser, à
l’instar d’Irène Théry, tant aux beaux-parents gardiens, qu’aux non gardiens. Dans un
cadre plus global, mon questionnement s’articule autour du concept de parentalité : ce qu’il
représente et comment il se vit dans les familles recomposées.
Au fil des lectures4, j’ai pu me rendre compte que nombre d’ouvrages ont traité de la
question beau-parentale en s’intéressant à la position occupée par le beau-père gardien (une
majorité d’enfants de parents divorcés sont encore confiés à la mère et vivent donc,
4
Irène Théry, Sylvie Cadolle, Agnès Martial, Thierry Blöss, etc.
9
possiblement, avec un beau-père : en 1994, 85% des enfants de parents séparés vivent avec
leur mère, 9% avec leur père et 6% avec aucun des deux (Théry, 1998 : 49).
Plus récemment, la sociologie de la famille s’est intéressée aux points de vue des
enfants sur leur(s) famille(s) recomposée(s). La place de la belle-mère (ou marâtre) a,
quant à elle, été peu étudiée. Est-ce parce qu’elle est moins souvent gardienne ? Quatre fois
moins d’enfants vivaient avec une belle-mère qu’avec un beau-père en 1985 (enquête
INSEE). Est-on belle-mère quand on ne partage pas le quotidien ? L’image de la marâtre
des contes de fées est-elle trop prégnante ? Est-il plus difficile, moins concevable
d’interroger la position maternelle au travers de la place prise par la belle-mère ?
Pourtant, comme nous le rappelle Thierry Blöss, dans le couple, la femme assure
toujours plus de taches éducatives au quotidien que l’homme (Blöss T., 1997).
Actuellement l’évolution du droit facilite le divorce à l’amiable, renforce les droits
des deux parents en faisant de l’exercice de l’autorité parentale conjointe la règle (loi du 4
mars 2002). La loi souhaite ainsi garantir à l’enfant la possibilité de maintenir des liens
avec ses deux parents. Se faisant, on voit germer « l’idée d’un parent en plus, plutôt qu’un
parent en moins » (Martial A., 2003 : 12.). Allant au delà du partage affirmé de l’autorité
parentale, certains parents optent également pour un partage de la garde de l’enfant. Ainsi
les gardes alternées se développent et ont été favorisées, là aussi, par la loi du 4 mars 2002.
Nous pouvons imaginer que les belles-mères, amenées à partager le quotidien de l’enfant,
seront demain plus nombreuses et que le père sera amené à partager ou à leur déléguer un
certain nombre de tâches éducatives.
Ce moindre intérêt pour cette figure féminine de la recomposition dans les écrits
sociologiques, sans doute aussi mon expérience personnelle de belle-mère (sur laquelle je
reviendrai dans la partie méthodologie) m’ont conduite à resserrer l’objet de recherche
autour de la belle-mère et à formuler cette question de départ : quelle est la place de la
belle-mère dans les familles recomposées, quel est son rôle auprès de ses beauxenfants ?
Dans une première partie, je m’intéresserai à ce qu’il advient de la famille dès lors
qu’elle ne repose plus sur le seul modèle de la famille nucléaire. Je traiterai, d’un point de
vue théorique, de l’historique de la famille contemporaine en France, de l’émergence des
familles recomposées pour ensuite m’intéresser plus précisément au personnage et à
l’image de la belle-mère. Les concepts de lignée, maisonnée et parentèle y seront mobilisés
10
pour démontrer l’oscillation, aujourd’hui à l’œuvre, entre deux visions symétriques et
contradictoires de la famille. « À un pôle, la famille est assimilée au lien de filiation, elle
est l’ensemble indissoluble que forment parents et enfants, même si le foyer n’est plus
commun. À l’autre pôle, la famille est assimilée à la maison, au foyer, elle est l’ensemble
de ceux qui vivent sous le même toit. » (Théry, 1996 : 159).
Dans une deuxième partie, je m’attacherai à préciser les choix méthodologiques que
j’ai opérés afin de vérifier les hypothèses posées lors du travail de pré-enquête ainsi que la
mise en œuvre de ces choix méthodologiques. Je terminerai par une présentation de
l’échantillon et des belles-mères qui le composent.
Une troisième partie sera consacrée à l’analyse des matériaux recueillis au cours des
entretiens. Le concept de « parenté pratique », développé en particulier par Florence
Weber, servira de base à l’analyse des relations interpersonnelles et des diverses formes
prises par la relation beau-parentale. A l’aune des places qui sont données aux bellesmères, au travers des rôles qui sont pris par celles-ci, il s’agira d’interroger l’influence du
temps partagé entre belle-mère et bel-enfant ainsi que l’influence des habitus, sur le type
de lien qui s’établit.
Une quatrième partie enfin, sera consacrée aux hésitations du droit confronté à la
diversification des formes familiales. Il s’agira d’interroger ce que la loi de 2002 sur
l’autorité parentale induit en termes de renforcement de la coparentalité et ce que le projet
de statut du beau-parent indique, quant à lui, d’une possible pluriparentalité. Est-il possible
d’articuler coparentalité et pluriparentalité au sein des constellations familiales
recomposées ? Des exemples d’actions de lobbying, menées par diverses associations aux
intérêts présentés comme opposés, seront présentés au lecteur pour illustrer les
antagonismes exprimés.
11
PREMIÈRE PARTIE
DE LA FAMILLE NUCLÉAIRE À LA FAMILLE
RECOMPOSÉE
12
1.1. La famille contemporaine en France.
S’intéresser à la figure beau-parentale dans les familles recomposées, nécessite de
s’intéresser à l’évolution de la famille, pour y situer au nombre des nouvelles formes
familiales (famille monoparentale, homoparentale), la famille recomposée. Je limiterai
néanmoins ce rapide rappel historique à la France et à la famille contemporaine.
François de Singly dans son ouvrage « sociologie de la famille contemporaine »
(2004), se référant à Emile Durkheim, décrit la famille contemporaine comme une
construction progressive d’un espace “privé” se différenciant de l’espace public où la
régulation des rapports intrafamiliaux repose de plus en plus sur l’affectif. La famille se
fait “relationnelle”. Dès 1892, Emile Durkheim nous disait « Nous ne sommes attachés à
notre famille que parce que nous sommes attachés à la personne de notre père, de notre
mère, de notre femme, de nos enfants. Il en était tout autrement autrefois… où toute
l’organisation familiale avait avant tout pour objet de maintenir dans la famille les biens
domestiques, et où toutes les considérations personnelles paraissaient secondaires à côté
de cela » (Durkheim 1921, cité par de Singly, 2004 : 7).
Dès le début du XIXème siècle, les théologiens catholiques s’inquiétaient des méfaits
de l’individualisme sur la “destruction de la famille”. Philanthropes et hygiénistes
s’inquiétaient également de la désorganisation familiale que, selon eux, rencontraient les
classes laborieuses et qui mettait en péril le modèle bourgeois de la famille “normale”. Ces
différents mouvements idéologiques conduirent l’Etat à intervenir de plus en plus dans la
sphère familiale, ce qui amena Emile Durkheim à relever ce paradoxe de la famille
moderne : à la fois de plus en plus privée et de plus en plus publique. Certes, la famille
nucléaire - c'est-à-dire une famille composée d’un homme, d’une femme et de leurs enfants
partageant une même habitation- s’est autonomisée par rapport à la parenté, au voisinage,
au reste de la société, mais elle est devenue plus dépendante de l’Etat.
Au travers de ces diverses évolutions, la famille, objet de toutes les attentions,
cristallise les idéologies en cours. Ainsi dans l’entre-deux guerres, mouvements
familialistes et natalistes s’opposent, tandis que « les marxistes stigmatisent la famille
comme lieu d’oppression… les socialistes revendiquent la liberté de l’individu et célèbrent
l’union libre… la psychanalyse dénonce le péril interne qui guette l’individu enserré dans
13
des relations névrotiques… Simone de Beauvoir souligne la faillite de la morale familiale
bourgeoise et du mariage, lieu d’aliénation de la femme. » (Segalen, 1991 : 12).
Dans les années 1970, l’aspiration des individus à la liberté est de plus en plus
prégnante. Ils ne veulent plus de choix contraints. La stabilité du couple, associée au risque
de la routine, est donc mise à mal. Les relations se font plus passagères. Amour conjugal et
sexualité peuvent se découpler, ainsi que sexualité et procréation. L’émancipation de la
femme qui s’est engagée, au travail, au sein du couple et dans la famille, modifie les
comportements et les échanges.
Dans le même temps, les rapports parents-enfants se sont également modifiés :
davantage de négociations, moins d’autorité. De façon plus générale, la valorisation de la
liberté individuelle et l’affirmation de soi incitent chacun des membres de la cellule
familiale à construire son autonomie en harmonie avec les autres. Ce défi qui se pose au
couple se solde parfois par un échec, conduisant à la rupture. Dans ce contexte de
transformations diverses de la société contemporaine, nous avons assisté, entre autres
choses, à l’émergence de nouvelles formes familiales qui se sont vues qualifiées de
“nouvelles familles” au nombre desquelles : la famille recomposée.
1.2. La famille recomposée.
D’un point de vue historique, Irène Théry a dégagé trois périodes distinctes en ce qui
concerne la famille recomposée (Théry I., 1991a : 141-142) :
– Une première période allant jusqu’au début du XXème siècle.
Les familles recomposées à l’époque ne sont pas rares puisqu’ « au début des temps
modernes un mariage sur trois ou quatre est un remariage » (F. Matthews Grieco, 2002 :
98). La présence du beau-parent est quasi exclusivement la conséquence du veuvage. La
mortalité est alors importante, principalement la mortalité en couches. Il s’agit alors de
remplacer le parent décédé. L’influence de l’église catholique, qui avec le concile de
Latran en 1215 a introduit le mariage indissoluble, reste prégnante et la seule vraie famille
reste la première famille. Jusqu’au début du XVIIe siècle, les prêtres de la France
méridionale refusent d’accorder la bénédiction nuptiale aux remariages. Les charivaris
organisés par les jeunes gens dans les communautés villageoises ont alors une fonction
moralisatrice, marque de protestation contre le remariage d’un homme ou d’une femme
14
plus âgé avec un ou une jeune célibataire de la communauté. La nouvelle épouse du père
est alors incarnée dans l’image de la marâtre qui vient briser l’idéal de la famille
monogame.
– Une deuxième période allant du début du XXème siècle aux années 1970.
Depuis la loi de 1884, le seul divorce possible est le divorce pour faute qui se trouve
de fait être assez marginal. Quand il se produit, c’est que la première famille était
mauvaise, que l’un des conjoints a fauté ou a manqué à ses devoirs. La deuxième famille
est reconnue comme la “bonne famille” et le beau-parent devient substitut du parent
défaillant. Cette substitution pouvant aller jusqu’à l’exclusion pure et simple de ce
“mauvais” parent, le plus souvent le père : un homme se défait d’un lien conjugal et se
trouve, aussitôt, disqualifié dans son lien parental. La garde est confiée dans la très grande
majorité des cas à la mère. Le beau-père se fait appeler “papa” et peut même adopter de
façon plénière l’enfant du premier conjoint. Si toutefois le père garde un lien à ses enfants,
il ne les voit qu’à l’occasion de week-ends et vacances. Très majoritairement à cette
époque les belles-mères se trouvent être non gardiennes5 et on fait peu référence à elles
dans les écrits sur la famille.
– Une troisième période enfin, allant de 1970 à nos jours.
On a trouvé un nom à cette famille ! La famille recomposée. Tout en restant
minoritaire, selon les dernières statistiques de l’INSEE, elle se banalise : l’augmentation de
la divortialité, l’accroissement des taux de remises en couple des ex-conjoints dans environ
un cas sur deux, fait que « on estime en 1994 qu’environ un enfant sur huit se sera trouvé,
un moment, avant sa majorité, dans la situation de bel-enfant » (Festy P., 1994 : 12761277). Plus encore que son nombre actuel, c’est la rapide évolution de celui-ci qui
caractérise la famille recomposée et qui soulève des questions sociétales, voire des
inquiétudes chez certains :
A cette rapide évolution, force est de constater que le droit semble poser des gardefous, comme je l’aborderai plus loin : la fin du couple conjugal ne doit pas être celle du
couple parental. Dire cela, c’est aussi constater qu’il y a famille recomposée parce qu’il y
a enfant d’une séparation. La famille recomposée se structure donc autour d’un enfant déjà
5
J’entends par belle-mère non gardienne, la compagne où l’épouse d’un homme, père d’au moins un enfant
d’une première union avec lequel il ne vit pas au quotidien mais qu’il accueille le plus souvent au rythme
d’un week-end sur deux et de la moitié des vacances scolaires.
A contrario, j’entends par belle-mère gardienne, la femme qui vit avec ses beaux-enfants soit toute la semaine
à l’exception de week-ends ou vacances, soit selon le mode de la garde alternée une semaine sur deux.
15
présent. En cela, elle se démarque fondamentalement de la famille nucléaire, décrite dans
les années 1960 par Talcott Parsons comme dominante, faisant figure de norme et
disqualifiant les autres formes familiales.
Une précision est nécessaire : le terme de famille recomposée s’applique aussi bien
aux recompositions après veuvage qu’après divorce. J’ai pour ma part exclu de ma
recherche, les recompositions après veuvage.
La “famille recomposée” a été en but à de nombreuses critiques, particulièrement
dans les années 1950 où les enfants vivant dans ces familles étaient stigmatisés, jugés plus
prédisposés que d’autres à l’échec scolaire ou à des épisodes de délinquance juvénile. Elle
devenait le signe de la crise de la famille contemporaine. Les enfants devenaient victimes,
ballottés entre deux domiciles. La littérature de l’époque, les médias, se sont faits les
vecteurs de ces craintes. On peut citer en 1979 un film comme Kramer contre Kramer du
réalisateur Robert Benton qui exacerbait le conflit parental autour de l’enfant. En 1985, le
pédiatre Aldo Naouri dénonçait l’évincement, en particulier du père, dans ces nouvelles
familles et la suprématie de la mère refusant au beau-père une fonction paternelle.
D’autres, comme Irène Théry ont toutefois souligné le caractère plus exigeant des
nouveaux liens à l’intérieur des réseaux familiaux fondés sur des « affinités électives » et
qui laissent une plus grande place à l’expression de l’individu dans une famille plus
« démocratique » (Théry I., 1991b).
Il ne s’agit pas pour moi de prendre position pour l’un où l’autre de ces discours qui
s’égarent parfois entre diabolisation et angélisation de la famille recomposée. Les enjeux
moraux et idéologiques, présents dans les points de vue portés, sont forts et chacun de nous
peut être en proie à des représentations diverses. L’intérêt que je porte à ces « familles
recomposées » réside dans la manière dont elles permettent de réfléchir à l’évolution de la
parenté contemporaine. En effet, elles « interrogent obstinément les catégories que nous
pensions les plus ancrées - au point de les croire naturelles- de notre système de parenté »
(Théry I., 1991a :138).
16
1.3. La parenté pratique rendue lisible par l’émergence des
familles recomposées.
Dans un entretien accordé en 2006, Maurice Godellier propose de retenir cette
définition de la parenté : « Elle est un ensemble de liens biologiques et/ou sociaux qui
naissent de l’union de personnes le plus souvent de sexe différent et qui déterminent
l’appartenance et l’identité sociales des enfants qui naissent de cette union ou qui sont
adoptés » (Godelier, 2006 : 23). Il nous rappelle également que selon les systèmes de
parenté les notions de paternité, de germanité et de maternité sont très différentes. Ainsi,
« dans beaucoup de sociétés, tous les frères du père sont des pères, il n’y a pas d’oncle
paternel. Et toutes les sœurs de la mère sont des mères, il n’y a pas de tante maternelle. »
(Godelier, 2006 : 25). Dans nos sociétés occidentales, il en est traditionnellement tout
autrement. Un enfant n’a qu’un seul père ou qu’une seule mère. « La valeur essentielle
attribuée à la dimension biologique de la parenté et, surtout, de la filiation, fait enfin de
cette dernière un lien fondamentalement exclusif. » (Martial, 2003 : 21). Une “naturalité”
des liens parents-enfants marque ainsi les représentations associées à notre système de
filiation et s’impose avec la force de l’évidence et de l’irréversibilité.
Or, les nouvelles techniques de procréation, l’adoption, les familles homoparentales
ou les familles recomposées proposent à la fois de nouvelles façons de penser les liens
familiaux et de nouvelles façons de vivre. Comment les usages, les actes et les
représentations confrontés à ces mutations définissent ils alors le parent ? L’analyse
proposée par Florence Weber éclaire la dissociation qui, dans le cas des familles
recomposées, s’opère entre les différentes composantes de la parenté. Elles sont, pour elle,
au nombre de trois : « le sang, le nom, le quotidien » (Weber, 2005). Alors que pour le
Code Civil, seuls deux types de relations de parenté existent, la filiation et le mariage,
l’anthropologue y ajoute, lui, la résidence.
-“le sang” renvoie à la parenté biologique entre l’enfant et ses géniteurs.
-“le nom” renvoie quant à lui à la filiation juridique qui repose sur la notion de contrat ; le
mariage fonde alors la filiation légitime. « Tout enfant né pendant le mariage est supposé
être le fruit du mariage. » (Weber, 2003 : 21).
Ce lien juridique s’est adapté depuis les dernières décennies à l’évolution des
mœurs, en particulier la baisse des mariages, l’officialisation du concubinage et la montée
17
des divorces. Malgré tout, majoritairement jusqu’à très récemment, le modèle de la famille
nucléaire fusionnait ces deux fondements de la parenté. Un couple se mariait, avait des
enfants, la filiation juridique se rapportait alors à la reproduction biologique. De plus cette
famille nucléaire partageait une résidence commune. Résidence à laquelle Florence Weber
se réfère en appelant la notion de “quotidien”. Quotidien partagé entre les membres de la
famille au sein d’une résidence unique. « La résidence constitue un troisième fondement
des relations de parenté, plus faible que les précédents, mais néanmoins reconnu par
l’anthropologie et, en pointillé, par
certaines institutions contemporaines (protection
sociale et assurance par le biais du concubinage ; fiscalité par le biais des notions de
foyers fiscal et de personne à charge). Il s’agit du partage des soucis de la vie quotidienne
et de la mise en commun des ressources individuelles en vue d’un même objectif. Cette
forme de parenté pratique peut apparaître comme une simple conséquence de la filiation
(parents et enfants vivent ensemble tant que ces derniers ne sont pas autonomes) et du
mariage. En réalité, elle signale une solidarité effective et actuellement plus forte que les
liens du sang et du contrat, auxquels elle se superpose quand ceux-ci sont efficaces, ou
bien auxquels elle se substitue » (Weber, 2003 : 21).
Ainsi, si dans le modèle prédominant de la famille traditionnelle les trois
composantes de la parenté définies par Florence Weber se superposent, elles se dissocient
dans le cas des familles recomposées. Les enfants y circulent. Ils sont éventuellement
nourris, élevés, éduqués par des beaux-parents qui ne sont pas leurs parents biologiques
mais qui peuvent partager avec ces derniers, certaines fonctions de nourrissage et
d’éducation. Le partage du quotidien fonde « une parenté pratique ou parenté
quotidienne » qui est une condition nécessaire et non suffisante à l’exercice de la
parenté. « La parenté quotidienne désigne les liens créés par le partage de la vie
quotidienne et de l’économie domestique, dans leur dimension matérielle (co-résidence,
tâches domestiques) et affective (partage du travail soins donnés et reçus). » (Weber,
2005 : 21). La parenté pratique revêt alors une triple dimension, morale, affective et
matérielle qui, encore une fois, peut se superposer à la parenté légale. Dans cette “parenté
ordinaire” où sont superposés les différents éléments, il est souvent difficile de distinguer
le collectif de survie (ou maisonnée), du collectif de transmission (ou lignée). Dans les
familles recomposées, on assiste à une dissociation de la parenté (parenté quotidienne sans
liens de sang). Etudier la parenté pratique qui y est à l’œuvre, peut nous aider à
18
comprendre les liens de parenté, dans l’écart qui se réalise avec les règles de droit ou de
morale et ainsi percevoir ce qui se joue lorsque l’on passe de la lignée à la seule
maisonnée. C’est pourquoi, à l’instar de Florence Weber, il est utile de mobiliser les
concepts de lignée et de maisonnée.
1.4. Lignée, maisonnée et parentèle, trois concepts
mobilisés pour comprendre les différentes composantes de la
parenté.
La lignée, que l’on peut rattacher à la parenté juridique (le plus souvent superposée
à la parenté biologique) renvoie à la notion de « groupe pérenne ou plus exactement de
longue durée, elle unit des vivants et des morts à travers la propriété collective de biens
symboliques (typiquement un nom propre collectif, des ancêtres prestigieux, un patrimoine
inaliénable) » (Weber, 2005 : 214). Pour Florence Weber, se rattachent au concept de
lignée, des sentiments qui reposent sur une parenté de la consanguinité qui génère une
perception, en quelque sorte, naturalisée du lien de parenté. Ce dernier pouvant alors être
contraint ; que cette contrainte soit idéologique, morale ou légale.
Elle différencie alors ce lien, de celui qui s’exprime au travers des sentiments qui
naissent des expériences quotidiennes partagées au travers de l’appartenance passée ou
présente à une même maisonnée. La maisonnée étant, au contraire de la lignée, temporaire
et déliée de l’idée de reproduction d’un groupe (la lignée). Elle n’unit entre eux que des
vivants dans un principe de solidarité. Il s’agit d’assurer, au sein de la maisonnée, l’avenir
matériel du groupe. « La maisonnée est donc définie comme l’unité de base de la parenté
pratique, au sein de laquelle s’effectue une partie variable des tâches quotidiennes
nécessaires à la survie matérielles de ses membres. Cette unité ne correspond pas
forcément au ménage (groupe de personnes cohabitantes) ni à la famille nucléaire (groupe
constitué par un couple marié et ses enfants).Ce vieux concept de maisonnée prend
aujourd’hui une nouvelle utilité pour analyser la parenté pratique. Cette parenté pratique
prend deux formes qu’il faut distinguer : les liens électifs qui unissent les personnes deux à
deux et dont l’ensemble forme un réseau, la parentèle ; l’appartenance à un groupe
présent au quotidien, le “nous” pratique de la maisonnée (différent du“ nous” symbolique
19
de la lignée, associant des morts, des vivants et des potentiels descendants) » (Debordeaux,
Strobel, 2002 : 89).
A partir de ces deux concepts, il est possible de percevoir combien l’évolution des
modes de vie en famille interroge notre système de parenté. Dans le cas des familles
recomposées après divorce, ces concepts se superposent ou s’articulent. Ainsi, comme
nous le rappelait Agnès Martial, la parenté dans les sociétés occidentales, tant en terme de
représentations symboliques que de définition culturelle, s’articule autour de la notion de
filiation. « Chaque individu peut chez nous référer ses origines de façon théoriquement
égale à deux lignes de filiation, qui l’unissent à son père et à sa mère c'est-à-dire aux deux
individus qui lui ont donné la vie. » (Martial, 2003 : 21).
Lorsque la séparation des parents survient, l’enfant va être amené à circuler entre
les deux foyers de ses parents sans cesser d’appartenir à deux lignées de filiation.
Comment alors penser ces deux foyers ? Est-ce que seul le foyer du parent gardien
présente les caractéristiques du fonctionnement en maisonnée ? Quels types de relations
existent alors, entre cette maisonnée et le foyer non gardien de l’enfant ?
Le concept de parentèle, troisième concept emprunté à l’anthropologie, peut
enrichir cette réflexion. « Les relations entre des unités de même rang (deux individus,
deux ménages, deux lignée) et de statut équivalent (égalité, formelle ou réelle, entre ces
individus ou entre ces groupes) relèvent d’une analyse en termes de réciprocité restreinte,
que nous proposons ici de nommer parentèle en référence à l’anthropologie de la
parenté. » (Weber, 2005 : 213).
Peut-on imaginer que les deux ex conjoints entretiennent, au-delà de la dissolution
de la maisonnée première, alors même qu’ils ne forment plus un couple, des relations de
parentèle autour de l’intérêt de leur enfant commun ? Cela supposerait alors, le maintien
d’une relation suffisamment bonne entre ces deux ex conjoints, car Florence Weber nous
dit qu’au concept de parentèle correspondent des sentiments électifs. Mais, si cette relation
est suffisamment bonne, est-il possible de penser, qu’au-delà de la séparation, les deux
foyers entre lesquels circule l’enfant fonctionnent ensemble en maisonnée ? A contrario,
que se passe-t-il en cas de séparation conflictuelle ? Lorsque le père n’est pas gardien, que
devient alors le “nous pratique” de la maisonnée évoqué précédemment ? Peut-on
20
considérer que belles-mères et beaux-enfants appartiennent à la même parentèle ? Faut-il
pour cela qu’il existe entre eux des sentiments électifs ?
La dissolution d’une union, l’articulation qui s’en suit, soit entre deux familles
recomposées, soit entre deux familles monoparentales ou entre une famille recomposée et
une famille monoparentale posent plusieurs questions.
L’analyse de ces mouvements apparaît comme complexe lorsque alternent
maisonnée et parentèle, lorsque les uns et les autres sont, à certains moments réunis au sein
d’une même maisonnée, à d’autres séparés, tout en étant reliés par un réseau de parentèle.
La parenté pratique se redéfinit alors en permanence au gré des recompositions familiales.
J’ai choisi, dans cette recherche, de m’attacher plus particulièrement à la position
occupée par les belles-mères au sein de cette parenté pratique.
1.5. Une figure de la famille recomposée : la belle-mère.
1.5.1. Dénomination et absence langagière.
Vivre dans une famille recomposée, c’est à dire « dans l’une de ces constellations
familiales complexes héritières d’unions antérieures, amène inévitablement à se heurter à
l’inadéquation non seulement de notre système de parenté mais aussi du vocabulaire de la
parenté » (Théry I., 1991 : 137).
Chez nos voisins européens il existe des termes différenciés et usités pour désigner
soit la mère du conjoint (“mother in law” en anglais, “schwiegermutter” en allemand et
“suocera” en italien) soit la nouvelle compagne du père (“stepmother” en anglais,
“stiefmutter” en allemand et “matrigna” en italien). Le français confond ces deux relations
dans l’utilisation indifférenciée et courante qui est faite du terme de belle-mère. Il existe
bien le terme de marâtre pour désigner l’épouse du père par rapport aux enfants qu’il a eus
d’un premier mariage, mais il n’est plus usité. Probablement parce qu’il renvoie au mythe
de la méchante marâtre des siècles passés qui épousait le père après le décès prématuré de
la première épouse et ne pouvait donner d’amour à l’enfant d’une autre. « Ce qu’une
marâtre aime le moins, ce sont les enfants de son mari : plus elle est folle de son mari, plus
elle est marâtre » (la Bruyère, les caractères). La connotation négative attachée à marâtre
21
se trouve renforcée à la lecture de la deuxième acception (vieillie), qui, selon le Petit
Robert désigne une mauvaise mère.
Comme nous pouvons le voir, rien de satisfaisant dans le lexique à disposition. J’ai
moi-même utilisé le terme de belle-mère, préférant ainsi l’ambiguïté de l’euphémisation à
l’emploi de marâtre qui est pourtant le mot propre à désigner la nouvelle épouse du père.
Il n’existe pas de “nom” permettant à un enfant de s’adresser à la nouvelle épouse de
son père. Quand un enfant s’adresse à sa belle-mère, la pratique la plus courante est l’usage
du prénom. Or l’usage du prénom produit une absence de distance générationnelle entre
belle-mère et bel-enfant, qui n’est pas sans inconvénient, comme l’évoque Pierre
Bourdieu : « Le prénom qui comme le tutoiement s’emploie entre proches de même rang
social introduit une familiarité propre à affaiblir l’autorité » de la belle-mère. Tutoiement
et prénom évoquent davantage un lien d’amitié qu’un lien de parenté et introduisent la
confusion dans l’écart générationnel » (1996 : 4).
Trop connotés, trop inusités ou ambigus, les termes à disposition se parent de
guillemets ou laissent la place à des périphrases pour désigner la belle-mère. La nonémergence d’un vocable spécifique et approprié traduit l’insuffisance du support
institutionnel proposé à cette nouvelle figure parentale, ou plus exactement beau-parentale,
qu’est la belle-mère. « Ce qui n’est pas nommable ne peut pas être normal » nous dit
encore Pierre Bourdieu. (1996 : 4). Ce qui est qualifié de normal ou pas, en matière de
famille, c’est ce que je me propose maintenant d’aborder à travers l’étude des
représentations attachées à la belle-mère.
1.5.2. L’évolution des représentations.
Je m’appuie sur l’étude réalisée par Sylvie Cadolle sur les représentations des beauxparents dans la littérature enfantine pour approcher l’évolution de ces représentations
(Cadolle S., 2000). En effet, la littérature enfantine est un support intéressant qui, en
participant à la socialisation de l’enfant, véhicule le regard que porte la société sur ellemême. Elle transmet les normes en vigueur dans cette société où les enfants doivent
prendre place. L’implicite est fort dans les livres pour enfants et nous donne accès à
l’interprétation dominante des relations dans la famille, dans les familles.
22
La marâtre de Cendrillon, la méchante reine de Blanche Neige, la Mme Fichini des
malheurs de Sophie ne sont plus qu’images vieillottes et caricaturales. Sylvie Cadolle nous
révèle que dans son corpus, le dernier roman mettant en scène une marâtre est Toufdepoil
(Gutman, 1983). La “belle-doche” y apparaît exigeant l’obéissance de son beau-fils. Ne
l’obtenant pas, elle exprime sa rancœur au père en lui faisant un chantage à la rupture et
exigeant qu’il se débarrasse de l’affreux chien salisseur tant aimé de l’enfant. Une image
redoutable de la marâtre qui a valu à l’auteur la réprobation des lecteurs adultes lui
reprochant d’entretenir les stéréotypes et que Sylvie Cadolle interprète comme un
retournement des images et des normes en quelques années. La littérature enfantine a
longtemps ignoré les recompositions familiales, mais les années 1990 marquent une
explosion de ce thème. Les belles-mères, mise à part la “belle- doche ”de Toufdepoil, sont
parées de qualités dans les livres pour enfants les plus récents. « Elles font des gâteaux, des
cadeaux, protègent… Sont émues quand on a une attention pour elle, sont patientes,
discrètes et gentilles ou bien gaies et chaleureuses, rigolotes, fantaisistes et même tendres
et câlines. En cas de problème, elles sont franches et on peut s’expliquer ». Nous sommes
loin de la marâtre, dont le suffixe “âtre” indique la péjoration. Et même dans les maisons
d’édition catholiques, nous dit Sylvie Cadolle, « le politiquement correct fait que divorce
et remariage sont dédramatisés et vécus positivement par les enfants » (Cadolle S., 2000 :
25).
L’image de la belle-mère devient positive. C’est ce que les livres pour enfants
relayent, de même que les médias. Sylvie Cadolle (2000 : 24) évoque ainsi l’album pour
enfant intitulé par provocation La marâtre (Leach et Browne, 1992) dans lequel un jeune
garçon conclut sur ces mots : « Ma belle-mère est une marraine-fée ». Les reportages et
commentaires de la télévision présentent les divorces et les séparations comme des
moments inévitables qu’il ne faut plus dramatiser ; l’essentiel étant de réussir son divorce,
de rester amis, ce qui est sensé permettre aux enfants de s’en sortir sans dommage.
Le nombre croissant de belles-mères s’accompagne d’une banalisation et de
représentations nouvelles, moins péjoratives. Malgré tout, leur positionnement reste
instable et elles se trouvent prises dans des injonctions assez paradoxales : être aimante
sans prendre la place de la mère ; s’occuper au quotidien de l’enfant sans avoir aucune
légitimité pour cela ; ne pas être reconnue comme un “parent en plus” mais ne pas être
copine, tout en étant toujours disponible pour cet enfant qui, de fait, est un enfant en plus ;
23
aimer, s’investir dans une relation affective avec un enfant sans être assurée de pouvoir
maintenir un lien avec lui en cas de séparation du couple.
Nous l’avons vu plus haut, le lien beau-parent/bel-enfant, éclairé par le système de
parenté contemporain, ne présente pas toutes les caractéristiques d’un lien de parenté. Il est
partiel et, à la lumière de mes dernières réflexions, il a la spécificité de n’exister que dans
l’actualité du lien qui unit le beau-parent et le parent. Il n’est garanti d’aucune pérennité.
Je propose à présent de présenter la méthodologie que j’ai mise en œuvre afin
d’explorer la nature de ce lien.
24
DEUXIÈME PARTIE
MÉTHODOLOGIE
25
2.1. Le rapport à l’objet de recherche.
J’ai traité, en introduction, de mon intérêt professionnel à étudier les diverses formes
prises par l’institution familiale, au travers de l’étude d’un des personnages de la famille
recomposée : la belle-mère. Je reviens brièvement sur ce qui m’a conduite à faire ce choix
de recherche à partir d’implications plus personnelles qu’il me faut questionner afin de
tendre à une certaine distanciation et objectivation.
Dans le cadre professionnel tout d’abord, confrontés à un nombre croissant de
situations familiales recomposées, mes collègues et moi-même sommes amenés à
interroger, voire à revoir nos pratiques : faut-il recevoir exclusivement les parents de
l’enfant, se refuser à recevoir en entretien le beau-parent d’un enfant, y compris quand le
motif énoncé de la demande de consultation est une mauvaise relation de l’enfant avec
celui-ci ?
Personnellement, je suis favorable à l’idée de recevoir le beau-père ou la belle-mère,
estimant que cela peut aider à la résolution des difficultés familiales. Ce faisant, je prends,
en quelque sorte, position pour qu’une place soit reconnue aux beaux-parents. Certaines
confrontations avec le terrain de recherche pourront, comme on le verra ensuite, interroger
ce positionnement. Je considère comme un atout la longue expérience que j’ai du travail
avec des familles, quelles qu’elles soient, car je travaille précisément sur les relations entre
les différents membres de la famille. J’ai ainsi nourri depuis longtemps la question qui
émerge dans ma recherche. Mais cette expérience m’a aussi conduite à faire des choix dans
ma pratique professionnelle, dans ce que je crois être l’intérêt de l’enfant. Ces choix ne
doivent pas m’empêcher de questionner quels enjeux il peut y avoir derrière eux. N’est ce
pas, assez paradoxalement, se conformer à une norme, que de recevoir en entretien une
belle-mère en lui donnant une place parentale ?
Probablement, mon vécu heureux de belle-mère de deux belles-filles côtoyées depuis
maintenant plus de quinze ans influe-t-il sur ce souhait plus ou moins assuré d’une
reconnaissance beau-parentale et mon objectivité peut-être légitimement questionnée.Tout
au long de ce travail de recherche, il m’a fallu tenir compte de cette grande proximité à
26
l’objet. Néanmoins, cette expérience a aussi un intérêt. Elle m’a aidée en particulier dans
l’élaboration du guide d’entretien.
C’est également à partir de questions qui ont jalonné mon parcours de belle-mère
non gardienne que l’influence du temps partagé sur la relation qui s’établit m’est apparue
comme intéressante à explorer. Les lectures effectuées, en particulier celles des ouvrages
de Sylvie Cadolle, Thierry Blöss, Didier Le Gall et Claude Martin qui s’étaient attachés
aux différences entre beaux-pères gardiens et non gardiens, m’ont conduite à me demander
s’il en allait de même pour les belles-mères ? J’ai alors formulé une première hypothèse de
travail :
- La place et le rôle de la belle-mère diffèrent selon le mode de garde du belenfant dans la famille et dépendent alors du partage ou du non-partage du quotidien.
La famille recomposée a-t-elle autant d’évidence quand on alterne les moments de vie avec
des enfants et d’autres exclusivement en couple ? Comment et quels liens se font, dans ce
contexte où on partage l’intimité d’un enfant, parfois dans une grande proximité lorsqu’il
est petit, mais où ces moments sont limités dans le temps ?
A contrario, la belle-mère gardienne adopte-t-elle systématiquement un rôle
assimilable à un rôle maternel ou s’en écarte-t-elle ?
C’est à partir des mêmes travaux sociologiques réalisés sur les beaux-pères mais
aussi à partir des articles de presse et des émissions radiophoniques ou télévisées consacrés
aux famille recomposées, que j’ai lus entendus ou vus, que j’ai formulé, au cours de la préenquête, une deuxième hypothèse, à savoir :
- la place et le rôle de la belle-mère diffèrent selon son milieu social
d’appartenance.
2.2.L’échantillon.
J’ai fait le choix de mener des entretiens exclusivement auprès de belles-mères
gardiennes et non gardiennes ayant au moins un an de vie commune avec le nouveau
conjoint.
Une précision : J’entends par belle-mère toute compagne (mariée, pacsée, ou pas) qui
cohabite avec un homme ayant des enfants d’une ou plusieurs unions précédentes. Je classe
dans la catégorie “gardiennes” les belles-mères dont les conjoints ont la garde alternée. En
27
effet, s’agissant d’une garde partagée le plus souvent sur une alternance une semaine chez
la mère, une semaine chez le père, je considère que le temps passé ensemble est
suffisamment long pour qu’une certaine quotidienneté s’installe. C’est en tout cas le parti
pris que je prends. La possibilité récente offerte aux deux parents, dans ce cas, de percevoir
par la CAF la moitié des allocations familiales chacun va d’ailleurs dans ce sens.
N’interviewant que des belles-mères, je me suis privée volontairement du regard que
portent les beaux-enfants sur la place qu’occupent celles-ci dans leur vie. Ceci constituerait
une autre approche que je n’effectuerai pas dans ce travail de mémoire.
Dans un premier temps, je pensais constituer mon échantillon, dans la mesure du
possible, d’autant de belles-mères gardiennes que non gardiennes afin de comparer si les
unes et les autres ont ou non des relations du même type avec leurs beaux-enfants. Ce qui
signifie tenter de repérer quelles sont les conditions nécessaires à ce qu’une relation
s’établisse et quels sont les éléments qui font que la relation est plus ou moins affective,
amicale ou distante.
Je pensais également tenter d’interviewer autant de belles-mères de milieux
défavorisés à modestes que de milieux moyens à élevés afin d’évaluer si la différence de
milieux socioprofessionnels influe sur le rôle et la place de la belle-mère auprès de son belenfant.
Or, l’entrée sur le terrain, les contacts ressources qui m’ont permis de rencontrer des
belles-mères, ont donné une certaine morphologie à mon échantillon qui s’écarte de mes
souhaits premiers d’un équilibre mathématique.
En ce qui concerne la partition gardiennes/non gardiennes, lorsque je sollicitais mon
entourage relationnel plus ou moins proche, en demandant s’il connaissait une belle-mère,
et passée la première confusion avec la mère du mari, seules venaient à l’esprit, les bellesmères gardiennes. Il m’est alors apparu que dans la représentation commune, le beauparent par intermittence n’est pas symbolisé comme un beau-parent à part entière alors que
statistiquement la belle-mère par intermittence est majoritaire. Didier LE GALL dans un
article paru en 1996 nous dit « il semble désormais acquis, du moins au niveau de la
communauté scientifique, que les enfants du divorce puissent avoir deux beaux-parents.
Reste que l’expression famille recomposée […] renvoie presque toujours aux foyers où ce
double rapport « enfants/adultes » est quotidien. Phénomène qui ne participe pas à
28
visualiser ceux, plus nombreux, où il n’est qu’intermittent. » (Le Gall, 1996 : 132-133).
Ainsi, Sylvie Cadolle nous dit, « En 1994, 8,6% des enfants de parents séparés vivaient
avec leur père et que 5,3% vivaient avec une belle-mère » (2000 : 163). Il n’est, pour elle,
question que des belles-mères gardiennes.
Je suis toutefois parvenue à constituer l’échantillon de belles-mères gardiennes et
non gardiennes en proportion quasiment égale. J’espère ainsi obtenir des éléments
permettant d’expliquer la moindre visibilité de la belle-mère non gardienne.
Il m’a, par contre, été impossible d’avoir une représentation équitable des différents
milieux sociaux d’appartenance au sein de l’échantillon concerné et ce pour des raisons
diverses.
Tout d’abord, il ne m’est pas apparu aisé de retenir des catégories pertinentes compte
tenu du manque de critères mesurables et fiables (capitaux économiques et sociaux).
Fallait-il se référer aux catégories socioprofessionnelles telles que celles utilisées par
exemple par l’INSEE ? Quelle est la profession ou le niveau d’étude qui sert de référence
au classement ? Celui de l’homme ou celui de la femme ? Lequel choisir, quand les deux
ont des niveaux scolaires ou des professions très hétérogènes ? Faut-il dans ce cas,
s’attacher au niveau de vie de la famille et considérer qu’il dépend de celui qui a le revenu
le plus élevé ? Ou au contraire faire primer le niveau culturel ou scolaire ? Quelles sont
mes propres valeurs dans l’établissement de ces catégories ?
En raison de ces interrogations, la dénomination des classes sociales effectuée dans
cette recherche est souple et réfère à celle qu’en fait I. Théry dans ses travaux. Les “classes
populaires” sont entendues ici comme étant les milieux peu dotées en capital culturel : je
les nomme également « milieux modestes » au regard des milieux que je nomme
« favorisés » ou encore « milieux sociaux moyens à supérieurs ».
Outre ce questionnement sur la catégorisation à opérer en termes de milieu social, il
m’a été difficile de rencontrer des belles-mères de milieux modestes. L’idée première de
solliciter des collègues assistantes sociales de secteur pour rencontrer cette catégorie s’est
révélée infructueuse. Bien que toutes aient présenté ma recherche comme une recherche
sociologique menée par une étudiante, elles se sont heurtées à une grande réticence de la
part de ces belles-mères à accepter une interview.
29
Est-ce que cette réserve venait du fait que ma demande était relayée par des
assistantes sociales ? Est-ce que le fait de répondre à une interview est assimilé à un
entretien social, avec en arrière plan le spectre du contrôle social ? Est-ce que parler de
recherche en sociologie à des personnes de milieu modeste, ayant éventuellement un faible
bagage scolaire est très explicite ? Ont-elles bien compris de quoi il s’agissait ? J’ai, en
tout état de cause, abandonné ce mode opératoire. J’ai pu obtenir quelques rendez-vous
avec des belles-mères de milieux populaires en faisant jouer un réseau relationnel, mais
elles sont au nombre de quatre pour sept de milieux moyens à supérieurs.
La rencontre avec les belles- mères de milieux moyens à supérieurs s’est quant à elle
trouvée facilitée par l’observation réalisée à l’association le “Club des Marâtres”.
Observation dont je situe ici le contexte et l’exploitation que j’en ai faite, avant de revenir
à l’échantillon proprement dit.
J’ai eu connaissance de l’existence d’une association parisienne dédiée aux bellesmères, le “Club des Marâtres”, par ma directrice de mémoire. J’ai lors de la pré-enquête,
pris contact avec sa fondatrice M-L Iovane-Chesneau qui m’a reçue et m’en a fait
l’historique. Cette association est née de l’idée, à partir de son expérience de belle-mère
confrontée à un « t’as rien à dire, t’es pas ma mère », de proposer un lieu d’écoute et
d’échange à des belles-mères confrontées à des difficultés relationnelles avec leurs beauxenfants. Ainsi me dira t-elle : « Comment supporter son statut flou de marâtre tandis que
la société ne nous reconnaît pas en tant que telle… qui d’autre qu’une marâtre sait les
concessions innombrables de la marâtre pour réussir à prendre sa place de seconde
épouse et de nouvelle maman quand des enfants naissent dans la famille recomposée ? Il
faut savoir composer avec tout le monde (le conjoint, l’ex du conjoint, les beaux-enfants,
les belles-familles, les amis qui ont connu la précédente famille) sous peine de ne jamais
recomposer quoi que ce soit. Se retrouver à plusieurs, essayer de formaliser, de
comprendre, de dédramatiser, de prendre du recul, d’échanger points de vue et
expériences… »
L’association est née en 2003 et reste la seule association de ce type à ce jour.
Cinquante belles-mères sont adhérentes et 250 à 300 belles-mères seraient touchées,
d’après la fondatrice, par l’intermédiaire de “l’Ecole des parents”6. “L’Ecole des parents”
6
L’école des parents et des éducateurs d’Ile de France est une association loi 1901 qui sur son site Internet
(epe) se définit comme ayant une mission d’accueil, d’information et de guidance des familles et de ceux qui
travaillent avec elles.
30
les accueille dans son café du XIème arrondissement de Paris, chaque deuxième samedi du
mois pour leur rencontre mensuelle.
Depuis janvier 2007 le “Club des Marâtres” a son site Internet et la fondatrice espère
ainsi toucher davantage de femmes. Les cinquante adhérentes sont toutes de milieux
socioprofessionnels moyens à élevés. M-L Iovane-Chesneau le regrette, mais ne peut que
le constater et émet l’hypothèse d’une plus grande facilité à l’élaboration et à la prise de
parole dans ces milieux. De même, aucune femme de culture immigrée ne les a rejointes.
Sur l’invitation de sa fondatrice, j’ai pu assister en tant qu’observatrice à quatre
rencontres mensuelles entre avril et octobre 2007. Marie-Lucie I-C m’y présentait comme
une étudiante en sociologie effectuant une recherche sur les familles recomposées. Les
situations évoquées lors de ces rencontres du “Club des Marâtres” ont fait écho aux
entretiens menés parallèlement et ont permis de confirmer des tendances repérées ; je ne
les ai toutefois pas utilisées comme matériaux en tant que tel. En effet, l’exercice s’est
révélé difficile, nécessitant du temps et une grande concentration de ma part afin de tenter
d’en restituer le maximum de mémoire, n’ayant ni la possibilité de prendre des notes, ni
d’enregistrer. L’apport de ces observations est néanmoins indéniable en ce qu’il a multiplié
les situations qu’il m’était ainsi donné de voir. De plus, chaque fois invitée à me joindre à
celles qui avaient la possibilité de déjeuner ensemble après la réunion, j’ai recueilli des
éléments tout à fait précieux, livrés de façon plus spontanée, comme l’avait prévu M-L
Iovane- Chesneau : « Tu vas voir, c’est souvent là que les langues se délient le plus ! »
J’ai par ailleurs exploité ce travail d’observation afin de mesurer la place prise par
cette association dans les débats qui advenaient dans le même temps sur la scène publique
autour du statut du beau-parent. Un deuxième objectif est d’ailleurs énoncé par M–L
Iovane-Chesneau : attirer l’attention des pouvoirs publics sur le non statut de beau-parent.
« Exister vis-à-vis des pouvoirs publics, de la société des médias, des politiques, qui
ignorent la situation du beau-parent. Le club traite régulièrement de questions juridiques
non réglées. ».
C’est de ce point particulier que je traiterai dans une dernière partie de ce mémoire.
Pour mesurer l’impact de cette association, j’ai mené une recherche (à partir de la base de
données factiva consultable à la bibliothèque universitaire) sur les articles de presse
consacrés à cette association entre janvier 2004 et juin 2008. J’ai également répertorié les
31
émissions radio et télévisées auxquelles la fondatrice ou des adhérentes du “Club” ont
participé. Je ferai ainsi référence à ces articles ou émissions pour illustrer mon propos.
Pour revenir à la composition de mon échantillon, la participation à ces rencontres
mensuelles a facilité la mise en relation avec certaines belles-mères qui ont ensuite accepté
de m’accorder un entretien. J’ai ainsi interviewé quatre belles-mères rencontrées grâce au
“Club des Marâtres”, toutes de milieux sociaux favorisés.
Pour deux autres, c’est mon réseau relationnel personnel qui a été mobilisé.
Une dernière belle-mère enfin, la seule de mon échantillon, m’était connue avant que
je réalise l’entretien alors que je m’étais donné pour règle de n’interviewer que des
inconnues. Cet entretien a eu lieu pendant la phase de pré-enquête. Je vais m’attarder sur le
contexte de cet entretien, car il a été capital pour la suite de cette recherche. Je m’en
explique. Il s’agit d’une femme, Isabelle, avec laquelle j’ai des amis communs. Nous
connaissons l’une, l’autre, certains aspects de nos vies personnelles sans avoir, à
proprement parlé, une relation amicale. Lorsque nous nous sommes connues, elle était
divorcée et je savais qu’elle avait été belle-mère, mais elle ne m’avait jamais parlé de cette
période de sa vie. J’avais, quant à moi, deux belles-filles dont j’étais très proche.
Connaissant la nature de ce lien et sachant la recherche que j’avais entreprise, c’est elle qui
m’a proposé cette interview et a ainsi évoqué la belle-mère, très différente de moi, qu’elle
avait été. C'est-à-dire, une femme dont la priorité était le couple, qui avait la volonté de se
comporter en bonne belle-mère, mais qui pour cela se faisait une certaine violence, se
sentant, en réalité, plutôt détachée, plutôt lointaine. Belle-mère qui, lorsqu’elle s’est
séparée de son mari, n’a maintenu aucun lien avec ses beaux-enfants, qui n’en a même pas
eu l’idée. Pour elle, il s’agissait de ne pas revendiquer de place particulière, de vivre le
mieux possible avec des beaux-enfants le temps que dure le couple mais pas au-delà. Sa
volonté était manifeste : que je ne prenne pas mes propres expériences comme modèles,
que je sois bien consciente de ce que mon vécu génère comme présupposés même
inconscients.
Dans le cadre professionnel, j’ai été amenée à rencontrer des belles-mères dont le
vécu diffère du mien et j’ai d’ailleurs été bien plus souvent confrontée à des vécus
difficiles que sereins. Mais, ce qu’introduit l’entretien avec Isabelle est d’un autre ordre.
32
Au-delà de la question de savoir si une relation est bonne ou mauvaise, c’est la question de
savoir s’il faut une place pour les belles-mères qui est amenée.
Cet entretien m’a permis à l’issue de la phase de pré-enquête de me rendre compte
que mon guide d’entretien spéculait sur le fait que le rôle de la belle-mère se définissait à
partir de ce que sont les soi-disant rôles parentaux. J’ai malgré tout, fait le choix de
conserver les mêmes rubriques pour le guide d’entretien, s’agissant pour moi d’interroger
le système de parenté, la possible parentalité de la belle-mère et la nature de cette
parentalité. Par contre,le positionnement singulier d’Isabelle m’a conduite à favoriser
davantage, lorsque c’était possible, une expression libre, moins attachée au suivi strict de la
grille. Au cours de l’analyse, il m’a également amenée à tenter de relever dans un discours
plus ou moins convenu, des points de contradiction ou d’autres singularités moins
conformes à la norme dans la façon d’être belles-mères.
Enfin, cet entretien s’apparentait davantage à un récit de vie, alors qu’une rupture de
la famille recomposée s’était produite. Le discours se trouvait donc passé au filtre de la
mémoire, mais aussi distancié du vécu et donc en partie déjà analysé par l’interviewée ellemême. Le hasard des rencontres a voulu que deux autres interviewées présentent cette
particularité de ne plus vivre avec le père de leurs beaux-enfants. Sans ce premier entretien
avec Isabelle, je les aurais probablement écartées de mon échantillon m’étant donné pour
règle d’interviewer des femmes en situation de famille recomposée au moment de
l’entretien. Tout en ayant à l’esprit ce que Florence Weber nous enseigne sur les récits de
vie : « L’illusion biographique est consubstantielle aux récits de vie, qu’ils soient
autobiographiques ou racontés […] comme l’illusion biographique, l’illusion familiale
fabrique du continu avec du discontinu » (Weber, 2005 : 254), j’ai choisi de les interviewer
et, à l’analyse, les éléments recueillis me semblent enrichir celle-ci, en partie grâce au
temps qui s’est écoulé.
Aidée à certains moments par le hasard des rencontres, à d’autres moments
empêchée par la révélation de freins ou de résistances, j’ai donc interviewé ces onze bellesmères qui constituent mon échantillon7 :
- quatre belles-mères non gardiennes de milieux socioprofessionnels moyens à
supérieurs.
- trois belles-mères gardiennes de milieux socioprofessionnels moyens à supérieur.
7
Le lecteur trouvera en annexe n°1 un tableau présentant les belles-mères de l’échantillon.
33
- une belle-mère non gardienne de milieu populaire.
- trois belles-mères gardiennes de milieu populaire.
2.3. le déroulement des entretiens.
Le choix de la méthode d’investigation s’est imposé à moi pour plusieurs raisons :
D’une part, je me sens relativement à l’aise avec la technique de l’entretien car elle
m’est professionnellement familière. Bien sûr il ne s’agit pas, là, de mener le même type
d’entretiens que ceux que je mène professionnellement mais je peux, me semble t-il, tirer
un certain avantage de cette habitude. Pour Jean-Claude Kaufmann « Les principes de
l’entretien compréhensif ne sont rien d’autre que la formalisation d’un savoir-faire
personnel issu du terrain. » (Kaufmann, 2007 : 11).
D’autre part, la méthode de l’entretien m’apparaît comme la plus appropriée pour
répondre aux questions posées sur la façon dont les belles-mères perçoivent leurs relations
et leur place dans la famille recomposée. Elle s’inscrit naturellement dans la démarche
compréhensive que je me donne. « Celle-ci s’appuie sur la conviction que les hommes ne
sont pas de simples agents porteurs de structures mais producteurs actifs du social, donc
des dépositaires d’un savoir important qu’il s’agit de saisir de l’intérieur, par le biais du
système de valeurs des individus. […] le travail sociologique consiste à être capable
d’interpréter et d’expliquer à partir des données recueillies. La compréhension de la
personne n’est qu’un instrument, le but du sociologue est l’explication compréhensive du
social. » (Kaufmann, 2007 : 26)
Voulant approcher la parenté pratique, j’ai établi une grille d’entretien8 portant sur
les conditions de vie de la famille recomposée, sur le partage des tâches au sein du couple,
au sein de la famille, sur la prise en charge des enfants ( repas, toilettes, loisirs, devoirs…).
J’ai surtout utilisé la grille d’entretien comme un guide qui m’a permis d’avoir en
tête tous les éléments qu’il était important d’identifier, afin de pouvoir, si besoin, relancer,
en fin d’entretien, sur des sujets qui n’avaient pas été abordés spontanément. En effet, la
plupart des belles-mères rencontrées, en particulier celles de milieux favorisés, se sont
racontées très spontanément à partir de mon introduction de départ qui les invitait à me
8
Le lecteur trouvera en annexe n°2 la grille d’entretien utilisée.
34
parler de leur famille recomposée. J’ai donc privilégié l’écoute, le respect de l’expression
sans chercher à l’influencer. Les entretiens y ont gagné en richesse, tout en gardant une
trame commune, permettant une analyse cohérente à partir des thèmes récurrents et des
oppositions qui se sont dégagés.
Les conditions d’entretien, leur déroulement ont été assez différents. Lorsqu’un relais
avait été sollicité, la prise de contact avec les interviewées a toujours eu lieu par téléphone,
après accord de la personne. Ainsi, gardaient-elles la possibilité de se rétracter aisément.
Deux belles-mères se sont montrées hésitantes au moment du contact téléphonique, mais
au final aucune n’est revenue sur son accord. Des intermédiaires (entourage professionnel
et amical) ont été nécessaires à la réalisation de six des entretiens, et bien souvent les
personnes contactées ont accepté de me rencontrer par amitié ou reconnaissance pour
l’intermédiaire ou la famille de celui-ci.
Le choix du lieu de l’entretien a toujours été donné aux interviewées. Six des onze
entretiens ont eu lieu au domicile des belles-mères. Leurs conditions de logement et leur
contexte de vie m’étaient alors directement accessibles. Les conditions de l’entretien
étaient rendues optimales par le calme ambiant, étant chaque fois seule avec elle. Il n’y a
que pour Flore, où j’ai parfois été gênée par le bruit de fond occasionné par la télévision
laissée allumée. Quatre entretiens se sont déroulés au restaurant ou au café. Il a toujours été
possible de trouver une table quelque peu en retrait permettant une certaine discrétion.
Toutefois l’audition des enregistrements effectués et la retranscription des entretiens ainsi
réalisés, se sont avérées nettement plus fatigantes en raison des bruits parasites importants.
Un dernier entretien a eu lieu dans les locaux du centre de formation.
Des différences se sont également faites jour dans le déroulement même de
l’entretien. Avec certaines, les relances devaient être nombreuses, les personnes étant peu
loquaces. Certaines interviewées se livraient avec une pudeur perceptible au début de
l’entretien, puis à mesure que leur pensée s’organisait, le discours s’élaborait, devenait plus
libre révélant certaines contradictions. D’autres semblaient ne pas avoir de réserve,
évoquant des évènements très intimes de leur vie.
La possibilité d’enregistrer l’entretien était chaque fois questionnée et n’a jamais
posé problème.
Chaque rencontre a donné lieu à une prise de notes des différentes modalités d’entrée
en relation. Le cadre dans lequel l’entretien s’est déroulé a également été consigné, ainsi
35
que toutes les premières impressions, les éléments marquants des échanges ou des lieux, la
manière dont se terminaient les temps de rendez-vous.
Ces divers points d’observation, bien qu’étant obligatoirement subjectifs, puisque repérés
au travers du regard porté, m’ont permis de garder une trace de ce qui a pu influencer la
façon dont j’ai appréhendé dans un premier temps ces différentes femmes. Cette
consignation de détails, dont l’utilité n’était pas immédiatement palpable, a favorisé dans
un second temps un travail de distanciation, de prise de conscience de l’imprégnation
restée possible de certaines images préconçues. Ce travail s’est également révélé
susceptible de donner du sens aux paroles et à l’expression implicite des belles-mères
interviewées.
2.4. Présentation schématique des interviewées.
9
Arielle (gardienne, milieu social favorisé) :
Jeune femme de 30 ans, sans enfant, conseillère en éducation sanitaire et sociale vit
depuis 3 ans avec le père de Mathilde, 11 ans, dont il a la garde. Celle-ci se rend un weekend sur deux et la moitié des vacances chez sa mère. Ils vivent dans un F3 de la banlieue
sud-ouest de Paris. Tous deux souhaitent prochainement avoir un enfant. Arielle a une
place active au “Club des Marâtres” où je l’ai rencontrée. L’entretien s’est déroulé dans
une brasserie parisienne. Son discours traduit la réflexion qu’elle a engagée sur sa place de
belle-mère, mais aussi l’habitude qu’elle a de répondre à des interviews, en particulier avec
des journalistes. Ainsi dans un premier temps, le contrôle des propos tenus est perceptible.
Marie (gardienne, milieu social favorisé) :
Elle a 40 ans, est cadre dans le domaine de la culture. Elle est remariée avec François
Xavier, cadre dirigeant. Marie a un fils de 11 ans d’une première union dont elle a la garde
et un de 6 ans avec son mari. François Xavier a lui également un fils de 11 ans qui vit avec
eux depuis maintenant 5 ans (alors que leur vie commune est de 8 ans). Ils habitent dans un
pavillon de la banlieue parisienne. Son beau-fils ne voit sa mère qu’à Noël et aux vacances
d’été, celle-ci étant partie vivre en Corse. En raison des difficultés relationnelles
rencontrées avec son beau-fils, Marie est allée chercher un soutien au “Club des Marâtres”,
9
A noter que dans le corps du mémoire, j’ai utilisé l’abréviation G. pour gardienne ; NG. Pour non
gardienne ; CSP+ pour les milieux sociaux favorisés et CSP – pour les milieux modestes.
36
qu’elle fréquente régulièrement. A l’issue d’une réunion du club, nous avons convenu
d’une date de rendez-vous pour un entretien qui a eu lieu à l’heure du déjeuner, dans un
restaurant proche de son lieu de travail.
Fanny (gardienne, milieu social favorisé) :
Agée de 44 ans, peintre décorateur, elle a cessé son activité depuis qu’elle vit avec son
compagnon. Mère de trois enfants de 13 à 8 ans qui vivent avec elle, leur père dont elle
était séparée s’est suicidé il y a deux ans. Elle vit depuis un an avec Thibault, 45 ans, chef
d’entreprise, lui-même père de quatre enfants âgés de 17 à 8 ans. Les deux aînés vivent
avec eux à temps plein et ont rompu le contact avec leur mère. Les deux plus jeunes sont
en garde alternée. Cette famille recomposée de sept enfants vit dans une grande maison
bourgeoise sur trois niveaux, propriété de Thibault, située au milieu d’un parc dans un
village proche de Senlis. Cette maison où a eu lieu l’interview traduit le niveau social et les
pratiques culturelles de la famille (équitation, golf, chasse à courre). Fanny se dit issue
d’un milieu aristocratique : ses enfants la vouvoient. Par contre ses beaux-enfants la
tutoient.
Claudia (non gardienne, milieu social favorisé) :
Agée de 39 ans, cette jeune femme allemande est venue vivre en France lors de sa mise en
couple avec Olivier 40 ans, qui est son amour de jeunesse, rencontré alors qu’ils avaient 17
et 18 ans. Olivier a quitté la mère de ses deux enfants de 13 et 14 ans pour vivre avec
Claudia. Ses deux beaux-enfants viennent un week-end sur deux et la moitié des vacances
scolaires. La relation beau-parentale est tendue. Claudia cherche au “Club des Marâtres”
un soutien compréhensif. Le couple a eu ensemble une petite fille qui a 2 ans. La famille
vit dans un petit F3 de la banlieue sud parisienne. Claudia, éditeur de profession, travaille
au domicile. Elle se livre facilement au cours de l’entretien qui se déroule à son domicile.
Karine (non gardienne, milieu social favorisé) :
Karine est une belle-mère non gardienne de 32 ans, mariée depuis un an avec Eric,
comptable, avec lequel elle vit depuis trois ans. Chargée de communication à l’armée, son
contrat vient de prendre fin. Elle est à la recherche d’un emploi. Eric est, lui, militaire de
carrière. Ils vivent dans un logement de fonction F2 à Paris. Angélique, la fille d’Eric, âgée
de 5 ans, vient chez eux pour la totalité des vacances scolaires et un mois l’été. Karine suit
actuellement un traitement afin de pouvoir avoir un enfant. Après avoir fréquenté le “Club
des Marâtres” qu’elle délaisse ces derniers temps, elle envisage une aide psychologique
37
individualisée. C’est avec beaucoup de spontanéité, de fraîcheur et de finesse qu’elle
aborde les questions qui se posent à une belle-mère par intermittence.
Armelle (non gardienne, milieu social favorisé) :
Armelle, âgée de 42 ans, assistante sociale, a trois enfants d’une première union. Elle a eu
une petite fille aujourd’hui âgée de 9 mois avec Luc son nouveau compagnon, lui-même,
père de trois enfants de deux unions précédentes. Après avoir vécu tantôt chez l’un tantôt
chez l’autre ils ont acheté, il y a un an, une maison dans un petit village à une trentaine de
kilomètres d’Amiens. Eric reçoit ses enfants un week-end sur deux et éventuellement en
milieu de semaine de façon assez informelle. Les enfants d’Armelle vont, eux, chez leur
père un week-end sur deux. La famille recomposée est donc à géométrie variable en
fonction des allers et venues des uns et des autres. La mise en relation s’est faite par une
assistante sociale connue de nous deux. L’entretien a eu lieu au domicile. Armelle s’est
montrée chaleureuse et très coopérante, peut-être en raison de notre profession commune.
Isabelle (non gardienne, milieu social favorisé) :
Isabelle, psychologue, avait 21 ans lorsqu’elle s’est trouvée vivre avec son mari, assureur,
père de 5 enfants de deux précédentes unions. Ceux-ci ne venaient visiter leur père que sur
des temps de journée. Ils vivaient dans une maison spacieuse au sud de Paris. Elle a eu
deux enfants avec son mari dont elle s’est séparée après 25 ans de vie commune et alors
que ses deux fils nés de cette union étaient adolescents. Le contexte de notre rencontre a
été précédemment évoqué.
Jessica (non gardienne, milieu social modeste) :
Jeune femme de 29 ans, ouvrière, vit depuis 6 ans avec Didier, 35 ans, conducteur poids
lourds dans une petite maison dont il est propriétaire dans un gros bourg de la Somme.
Didier a deux filles de 12 et 10 ans qu’il voit un week-end sur deux et la moitié des
vacances, le plus souvent au domicile de sa propre mère. Jessica ne veut pas avoir d’enfant.
Elle n’a accepté de me rencontrer que par amitié pour la personne qui nous avait mises en
relation en lui parlant positivement de moi. L’entretien s’est ensuite trouvée facilité par le
fait que je connaissais à la fois les lieux et certaines personnes auxquels elle faisait
allusion.
38
Flore (gardienne, milieu social modeste) :
Flore, 40 ans, a deux enfants de 13 et 12 ans dont elle a la garde alternée et partage, depuis
deux ans, la vie de Renald, 26 ans, qui lui-même a deux enfants âgés de 5 et 3 ans dont il a
depuis peu la garde alternée (il avait auparavant la garde complète). Ils ont ensemble un
enfant de 3 mois. Flore est employée de libre service en congé parental et Renald,
actuellement sans emploi débute, la semaine suivante, une mission d’intérim en tant que
soudeur. Ils vivent dans une HLM d’un quartier agréable d’une petite ville de l’Oise
sinistrée économiquement. Ma demande d’entretien a été présentée à Flore par Mme P.
psychologue qui travaille avec moi et en laquelle Flore a une grande confiance. Toutefois
son propos sera assez peu spontané. Il me faudra en permanence lancer les questions, donc
suivre mon guide et être assez directive dans cet entretien qui pour moi a été l’un des plus
difficile à mener.
Martine (gardienne et non gardienne, milieu social modeste):
Martine, 49 ans, aide soignante, a vécu 10 ans avec Christian, éducateur sportif, qui avait à
l’époque deux enfants de 12 et 8 ans qui ont maintenant 27 ans et 24 ans. L’aîné vivait
chez eux et le cadet venait pour les week-ends. Ils ont eu deux enfants âgés de 12 et 11 ans
et sont séparés depuis 5 ans.
Martine vit toujours là où elle vivait avec Christian, dans une HLM d’une ville moyenne de
l’Oise. Le retour sur une période passée, maintenant révolue, a été riche d’enseignements
en particulier par la narration qu’elle a faite du maintient de liens avec ses deux beaux-fils
dans un contexte de relation constituée de respect mutuel avec la mère de ceux-ci.
Une relation commune nous a mis en relation. L’entretien a eu lieu chez elle.
Jeanne (gardienne. Milieu social modeste):
La mère de Jeanne était nourrice pour l’aide sociale à l’enfance et venait de se voir confier
un bébé de 18 mois, Joffrey. C’est ainsi que Jeanne rencontra le père de Joffrey avec lequel
elle allait vivre. Elle élèvera ainsi Joffrey et sa sœur âgée à l’époque de trois ans. Ils ont
vécus dans un petit logement parisien, lui était peintre en bâtiment, elle coiffeuse et ont eu
ensemble 3 garçons. La mère de ses beaux-enfants n’a gardé aucun contact avec eux.
Jeanne, seule belle-mère de l’échantillon à être en position de totale substitution
maternelle, mettra beaucoup d’émotion dans l’évocation des liens qu’elle a avec ceux
qu’elle nomme ses enfants.
39
C’est la belle-fille (épouse d’Axel) de Jeanne, une collègue de travail qui nous a mises en
relation. L’entretien a eu lieu dans les locaux de la DEP à Amiens.
2.5. Quelles maisonnées pour les belles-mères rencontrées ?
Après avoir présenté schématiquement les interviewées, je propose de décrire dans
quels types de maisonnée elles s’inscrivent.
NON GARDIENNES GARDIENNES (G)
(NG)
CELIBATAIRES
Sans enfant avant la
recomposition
MERES avant la recomposition
3
dont
2
4
dont
1
dont
2
dont
2
devenues mères restée sans enfant
Jeanne
Arielle
Martine10
devenues mères
Flore
Marie
restées sans enfant
Fanny
3
1
dont
2
dont
1
avec enfant de
la recomposition
Claudia
Isabelle
sans enfant de la avec enfant issu de
recomposition
la recomposition
Jessica
Armelle
Karine
1
0
Il est possible de caractériser schématiquement ainsi les maisonnées en présence :
- une maisonnée regroupant deux fratries préalablement existantes sans enfant issu
de la recomposition et qui cohabitent à temps quasiment plein (de cinq à sept enfants
présents). Celle à laquelle appartient Fanny (G. CSP+)
- trois maisonnées où chacun des conjoints a un ou plusieurs enfants et où il y a
aussi un enfant issu de la recomposition. C’est le cas de deux gardiennes Marie (G. CSP+)
et Flore (G. CSP-) et d’une non gardienne Armelle (NG. CSP+).
10
Martine est à la fois gardienne et non gardienne. Je l’ai arbitrairement classée dans la catégorie gardienne.
40
- quatre maisonnées où tout d’abord,les seuls enfants sont ceux du conjoint puis qui
s’agrandissent avec l’arrivée d’enfants issus de la recomposition. Les enfants sont présents
à temps plein dans le cas de Jeanne (G.CSP-). Dans le cas Martine (G. et NG.CSP-), ses
deux beaux-enfants ne vivent pas ensemble. L’un vit avec sa mère l’autre avec son père et
Martine. Seuls les enfants du nouveau couple sont présents à temps plein pour Isabelle
(NG.CSP+) et Claudia (NG.CSP+).
- trois maisonnées où seul le conjoint a des enfants qui ne sont là
qu’occasionnellement dans deux situations Karine (NG.CSP+) et Jessica (NG.CSP-) et à
temps plein dans le cas d’Arielle (G.CSP+). Il n’y a pas eu d’enfants issus de la
recomposition.
Les enfants circulent (sauf dans la situation de Jeanne) entre ces maisonnées et les
maisonnées de leurs mères ; dans huit cas sur onze les maisonnées des mères sont
monoparentales.
Après cette rapide présentation des familles recomposées et des belles-mères en
présence, je me propose de rendre compte de l’analyse qui a été faite des entretiens.
41
TROISIÈME PARTIE
À LA RENCONTRE DES BELLES-MÈRES :
LA VIE DANS UNE FAMILLE RECOMPOSÉE
42
A partir des entretiens effectués, j’ai tenté d’approcher, ce que vivre auprès de
l’enfant de son conjoint induisait en terme de relation éducative et affective. Est-ce que
l’exercice du rôle de belle-mère, tel qu’il en a été rendu compte par les interviewées, se
rapproche ou se distingue du rôle de parent ? Est-ce que celles-ci s’occupent et comment
du bel-enfant ? Interviennent-elles dans leur éducation ?
Conformément aux hypothèses posées je tenterai de repérer si le milieu
socioculturel ou le mode de garde (belle-mère gardienne ou non) influe de façon
déterminante pour que le beau-parent adopte ou non un rôle parental.
3.1.Une place très différenciée selon les belles-mères.
La recomposition familiale place le beau-parent dans une position qui n’est pas
prédéterminée. Didier Le Gall et Claude Martin, dans un article intitulé « l’instabilité
conjugale et la recomposition familiale », nous disent que « le problème posé par
l’agrégation d’un beau-parent à la constellation familiale bifocale n’est pas
nécessairement un problème de position institutionnelle : pour la plupart il s’agit d’un
problème de rôle.[…], il ( le beau-parent) se trouve du point de vue du droit, et surtout du
rôle parental qu’il assume inévitablement, dans un « flou » qu’il lui faut clarifier selon
des modèles et des conceptions différents selon les milieux : se substituer au père pour les
uns (notamment dans les milieux les moins aisés), empiéter le moins possible sur ce rôle
parental et se limiter à être le partenaire de leur mère pour les autres. » (Le Gall &
Martin, 1991 : 64). En est-il de même pour les belles-mères ? Ce rôle est-il à inventer ou
répond-t-il malgré tout à un modèle ?
C’est ce que je vais tenter d’explorer à partir du quotidien des belles-mères. Je
m’intéresserai également à ce que, dans ce contexte de recomposition familiale, il est
attendu d’elles : par le conjoint et l’entourage, puis par la société dans la dernière partie. En
effet dans un contexte donné on attend d’un acteur qu’il agisse conformément à une norme
définie par sa position ; ce que Erving Goffman appelle l’attente de rôle. Ainsi, je propose
au lecteur une parenthèse sur le concept de rôle et la notion d’attente de rôle afin d’éclairer
l’analyse qui suivra.
43
Le concept de rôle :
Giovanni Busino dans son ouvrage de 1992 indique qu’à partir du XVIIIe siècle le
concept de rôle connaît une multiplicité d’usages : « il signifie la conduite sociale d’un
individu qui joue un personnage, qui dans un contexte social affiche une conduite non
authentique ; il signifie également l’action ou l’influence que quelqu’un exerce dans une
interaction, dans un groupe, dans n’importe quel processus social, mais aussi la fonction
assumée, la mission, la vocation. De très nombreuses dénotations et connotations se sont
surajoutées à partir du début de ce siècle, dont celles d’activité, de situation, d’élément
qui émerge de son ensemble d’appartenance. » (BUSINO, 1992 : 90).
Définit ainsi, le concept de rôle appelle l’idée d’un ensemble d’obligations normées
explicites ou implicites, liées à un statut. Mais il apparaît comme étant porteur
d’ambiguïté. On peut en effet
à la fois se dire que cet ensemble d’obligations est
intériorisé et que c’est de façon inconsciente qu’une personne tient un rôle, mais on peut
également se dire qu’elle « joue un rôle » ce qui implique alors une démarche consciente.
Dans le cas des familles recomposées, le beau-parent n’ayant pas, tout du moins en droit,
de statut spécifique, son rôle n’est pas explicitement défini. Existe-t-il néanmoins une
attente de rôle ? Est ce qu’on attend de lui qu’il agisse conformément à une norme ?
Est-ce que le caractère recomposé de la famille modifie la partition traditionnelle des rôles
homme/femme dans la prise en charge du quotidien ? Pour ce qui concerne ma recherche,
il va s’agir de tenter d’évaluer quels rôles sont tenus par les belles-mères, en écart ou pas
avec les rôles parentaux, différemment ou pas selon leurs milieux socioprofessionnels ?
L’absence de statut de beau-parent laisse-t-il la place à l’invention des rôles qui seraient
alors multiples et différenciés ?
Comment les rôles parentaux et beaux-parentaux s’additionnent, s’articulent ou
s’excluent ?
44
3.1.1 Des modes de fonctionnements conjugaux révélateurs de
la place faite à la recomposition.
La famille nucléaire se constitue à partir de la relation amoureuse d’un couple qui a
des enfants. Les familles recomposées, bien qu’ayant des morphologies différentes, ont
toutes un point commun : une relation amoureuse naît, un couple se forme, alors que l’un
au moins des deux partenaires est déjà parent. Dans le cadre de ma recherche, le père.
Comment alors concilier couple et famille ?
A l’analyse des entretiens, il est apparu deux types de relations entre les conjoints :
certaines qui se centrent sur le couple et d’autres sur les enfants, c'est-à-dire sur la parenté
pratique. C’est tout particulièrement autour de comment se passent les vacances et les fêtes
de fin d’années, que j’ai pu repérer ces deux types de fonctionnement.
3.1.1.1. Une relation centrée sur le couple.
Quatre des onze belles-mères de l’échantillon privilégient leur couple par rapport à
un fonctionnement familial qui engloberait les beaux-enfants. Laurence Charton traite de
ce nouveau positionnement au sein de la famille. « Le déclin de la fécondité des années
1960 et 1970 marque la fin de l’ère des « enfants-rois » apparus avec la famille moderne.
Ces années inaugurent une période durant laquelle les préoccupations paraissent être
centrées sur l’adulte et la réalisation de soi, et sur les relations de couple. Ces dernières
gagnent en importance dans la sphère domestique, tandis que la place donnée aux enfants
s’affaiblit. » (Charton, 2006 : 96). Ainsi, quatre belles-mères insistent sur la primauté de
la relation amoureuse, même si leur conjoint est plus mesuré ou attendrait une attitude
autre par rapport à ses enfants.
Seul le mari d’Isabelle attend qu’elle ait prioritairement, auprès de lui, un rôle de
femme et d’amante. Isabelle n’a que trois ans de plus que l’aînée de ses beaux-enfants. La
relation amoureuse est fusionnelle, mise au premier plan, tant par la belle-mère que par le
père des enfants. Celle-ci est par ailleurs favorisée par l’organisation familiale, puisque les
beaux-enfants ne viennent chez eux qu’à la journée et n’y dorment jamais. En ce qui
concerne les vacances elle me dit : « les emmener ? Non ! Ça ne s’est jamais posé comme
45
ça, on partait à l’hôtel.. rien que nous deux.. puis nous quatre quand j’ai eu mes enfants »
(Isabelle, NG.CSP+).
Pour Jessica, même si le père des enfants souhaiterait que sa compagne s’investisse
dans un rôle parental, elle refuse catégoriquement de tenir ce rôle : « lui il voudrait les
avoirs tout le temps ! facile ! Le samedi il est au foot ou avec ses potes et je devrais les
garder[…]il me dit, ouais moi j’ai des potes et bien leur femme elles acceptent les enfants
d’avant, elles sont sympas, attentionnées, toi t’es un glaçon avec elles […] moi Didier
j’l’avais prévenu, ses filles c’était pas mon problème !.. ». Elle émet, par ailleurs, l’idée
que, si Didier souhaite la voir le suppléer dans certaines tâches, c’est en raison du regard
porté par l’entourage et non en raison d’une réelle implication parentale : « en plus, lui, je
soupçonne aussi que c’est pour les gens qu’il veut les avoir, qu’on dise :c’est un brave
gars, t’as vu comment il est avec ses filles ! Parce que sinon j’suis sûre que ça lui suffit de
les voir chez sa mère ». De fait, Didier, s’il se montre sensible à l’injonction normée de la
société, se conforme néanmoins à la volonté de sa compagne de privilégier leur couple. « Il
me dit 3 fois par jour qu’il m’aime, il m’envoie des SMS, me laisse des mots doux sur le
frigo… non vraiment y a rien à dire… et même pour les vacances, jamais il m’a imposé de
partir avec ses filles.. » (Jessica, NG. CSP-).
Dans les deux exemples suivants, les belles mères pensent également leur nouvelle
vie en termes de couple ou de seconde famille excluant les beaux-enfants. Sur ce point
elles sont en désaccord avec leurs compagnons.
Karine, qui vit une relation fusionnelle : « on était un couple très passionnel, et
c’est vrai qu’une tierce personne dans notre vie de couple, c’était difficile », trouve que
son mari lui demande beaucoup. Tout doit être pour le mieux quand sa fille est là. « Parce
que quand elle est pas là, on est pas l’un sur l’autre, mais on est un couple assez
démonstratif, et quand elle est là il faut plus être comme ça alors ! », le risque de conflits
est continuel : « oui elle rejette ma fille. Tout de suite ça va pas, ça prend une ampleur de
fou parce que, toute suite, il est hyper exigeant avec moi. Même si ça s’est tassé, parce que
je lui ai dit : j’suis pas sa mère, je serai jamais sa mère. Arrête d’être exigeant ! ». Lui
mettait beaucoup de chose sur moi. Voilà, on est une vraie famille, voilà il aime bien dire
ça ! » (Karine, NG.CSP+). Elle a en fait proposé un compromis : elle s’occupe seule de sa
belle-fille pendant certaines vacances où Angélique est chez son père, ce qui permet à ce
dernier de garder des congés pour partir en vacances « en amoureux ».
46
Claudia réfère, quant à elle, à la primauté de son couple, de sa famille et se trouve
en désaccord avec son compagnon sur ce point. Pour elle, il y a deux familles. Si elle a, par
le passé, tenté de partir en vacances avec ses beaux-enfants, c’est devenu inenvisageable :
« On a passé une fois des vacances communes, ben s’était il y a deux ans, Pauliana venait
de naître. Et ça je me suis dit : non ! 4 semaines ! C’était 4 semaines à la suite, et pour moi
c’était trop difficile.. Je me suis dit non je peux plus faire ça, parce que c’est comme si je
n’existais pas pendant plusieurs semaines… c’est mes vacances aussi et… comme ça,
depuis, pour l’instant on passe pas trop les vacances ensemble… » (Claudia, NG.CSP+).
Ces quatre belles-mères n’avaient pas d’enfant avant de connaître leur compagnon.
Pour elles la phase de conjugalité est l’étape préalable à la parentalité, comme c’est le cas
pour la famille nucléaire. On tombe amoureux et on vit pleinement cette période où le
couple est premier dans les préoccupations. Seulement là, le déséquilibre est possible entre
les deux partenaires puisque l’un des deux est déjà parent.
Par ailleurs, ces quatre belles-mères sont non gardiennes. La majeure partie du
temps, elles peuvent avoir, avec leur compagnon, une relation qui repose sur le couple
amoureux. Le changement, entre les temps de vie à deux et les temps de présence des
beaux-enfants, s’opère plus difficilement pour elles que pour les belles-mères gardiennes.
3.1.1.2. Une relation centrée sur la parenté pratique.
Lorsque les deux partenaires ont tous deux des enfants d’une première union, les
attentes de rôles sont, de part et d’autre, liées à l’acceptation par le partenaire de ses
propres enfants. La priorité est donnée aux enfants. La relation conjugale passe, en quelque
sorte, au second plan. C’est le cas pour trois des quatre belles-mères qui étaient mères
avant la recomposition.
Ainsi de l’organisation des vacances, Fanny me dit : « Et bien écoutez, on part tous
ensemble ». C’est à dire à neuf. La première année, les aînés sont partis en train et cette
année, la famille a changé de véhicule pour pouvoir voyager tous ensemble. La dynamique
familiale s’organise autour de la nouvelle famille qu’il faut faire exister de façon
harmonieuse et si possible heureuse : « on a envie de reconstruire quelque chose tous les
47
deux, qu’on soit bien tous les deux, que les enfants soient bien, qu’il y ait une bonne
ambiance pour tout le monde » (Fanny, G. CSP+).
Pour Flore, il n’a pas été possible, pour des raisons économiques, de partir en
vacances. Toutefois, elle va bientôt reprendre son activité professionnelle et son conjoint a
trouvé un emploi. Alors que ses enfants et ceux de son compagnon se croisent
habituellement puisqu’ils sont accueillis en alternance, elle envisage de prendre des
vacances tous ensemble : « l’été prochain, si on peut, j’aimerais qu’on parte en camping
tous ensemble, qu’on soit tous réunis. C’est moins pesant en vacances, on est plus
détendus et puis ce serait bien qu’ils passent tous du temps ensemble avec leur petit
frère… en plus ce serait pas juste qu’on emmène que mes enfants… enfin ou que les
siens.. » (Flore, G. CSP-). Si chacun des conjoints a déjà des enfants, il y a comme une
obligation morale à penser l’organisation au niveau de la famille recomposée et non en
termes de couple. Une recherche d’équité pour les enfants transparaît ainsi dans le discours
de Flore.
Pour Armelle, la question des vacances ne s’est pas encore posée véritablement. Ils
viennent d’acheter une maison, la priorité est donnée aux travaux à réaliser et les enfants
des deux maisonnées sont présents en fonction des dates imposées par le jugement de
divorce. Par contre l’organisation des fêtes de fin d’année vient illustrer la façon dont elle
pense faire famille. Pour elle, il importait peu jusqu’alors que ses beaux-enfants ne soient
pas là à Noël. Elle a modifié sa position depuis la naissance de Maëlle : « l’an dernier on a
fait Noël au nouvel an ! Mais on a envie d’un an sur deux, avec tous présents, maintenant
qu’il y a le bébé » (Armelle, NG. CSP+).
A l’aune de ces deux dernières situations, il apparaît que lorsque les deux conjoints
ont déjà des enfants, c’est la naissance d’un enfant de cette union qui consacre
véritablement la famille recomposée et légitime la belle-mère qui, pour les beaux-enfants,
devient la mère de leur demi-frère ou soeur. Jusqu’alors deux parentèles celle d’Armelle et
celle de son compagnon partageaient une maisonnée à configuration modulable en fonction
des présences/absences des uns et des autres. Avec la naissance de Maëlle, Noël devient la
fête des enfants qui se doit de réunir les deux parentèles autour de l’enfant qui concrétise la
recomposition familiale.
48
Avoir des enfants avant la recomposition influe donc assez nettement sur la façon
dont la nouvelle famille s’organise autour des enfants. Le couple étant relégué à une
position seconde.
Seule la position de Marie, pourtant mère avant la recomposition, diffère un peu.
Elle est dans une position moins tranchée. Avec son époux, ils alternent les vacances en
couple et celles où ils partent avec les trois enfants. Cette jeune femme veut concilier
couple et enfants. De fait elle s’organise (en faisant appel aux grands-parents) pour que
cela soit possible. Par ailleurs, elle s’amuse plutôt des contraintes d’organisations
qu’impose une recomposition familiale : « une fois on a les enfants à Noël une fois au
nouvel an et on fête Noël 3 fois, 4 fois… (Rires partagés) on oublie que Noël c’est le 24 ou
le 25 et on invente des Noëls. » (Marie, G. CSP+).
Au contraire de Marie, trois belles-mères, Jeanne, Arielle et Martine, bien que
n’ayant pas d’enfant avant de rencontrer leur conjoint, ont malgré tout un fonctionnement
familial qui se centre essentiellement sur les enfants.
Pour Jeanne, la situation de substitut maternel qui est la sienne fait que les choses
sont ainsi : ses beaux-enfants, qu’elle considère comme ses enfants, sont là pour toutes les
vacances, toutes les fêtes. De plus Jeanne apparaît dans l’entretien comme une femme qui
se veut davantage mère qu’amante : « je suis tombé amoureuse, je dis toujours, du fils
avant le père ». Elle a donc, sans peine, endossé un rôle de mère. Dans ce cas très
particulier au sein de l’échantillon, la substitution s’est accompagnée d’un secret sur la
filiation des enfants. « D’abord on n’a jamais employé le mot belle-mère, c’était presque
tabou… […]oui, euh, mais en fait c’était peut-être pas bien mais on en parlait pas. Donc
vous ne saviez pas s’ils vous croyaient leur mère ? (Elle me coupe) Si, si pour eux, j’étais
leur mère » (Jeanne, G.CSP-).
Pour Arielle, belle-mère gardienne et sans enfant, les temps réservés au couple sont
les week-ends où sa belle-fille est chez sa mère. Par contre, pour les vacances ils partent
toujours avec sa belle-fille : « non, l’été quand Mathilde est chez sa mère on travaille et on
est en vacances ensuite avec elle.. L’été dernier on est partis faire de la randonnée avec
elle..et mes parents..elle adore mon père… » (Arielle, G. CSP+).
Pour Martine, c’est à l’occasion de Noël que la priorité donnée aux enfants dans
l’organisation de la vie familiale est la plus palpable. Christian le concubin de Martine a
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continué à passer Noël chez son ex-femme tant qu’il n’a pas eu d’enfant commun avec
elle : « ça aussi, au démarrage, ça était dur parce que Noël ils le fêtaient chez leur mère
mais avec leur père ! » (Martine, G et NG. CSP-). Martine ressent alors une absence de
place, non pas tant de belle-mère, mais de femme partageant la vie de Christian. Comme
pour Armelle et Flore, la naissance d’enfants issus de la nouvelle union semble influer sur
l’organisation familiale. Ainsi, lorsque Martine et Christian auront un enfant, il continuera
à passer Noël avec ses enfants, mais dans la deuxième maisonnée, donc avec Martine.
A l’aune de ces exemples, je constate que les situations où le fonctionnement
familial se centre sur les enfants concernent essentiellement des belles-mères gardiennes
(six sur sept). Semble également jouer pour les belles-mères, le fait d’avoir des enfants
d’une première union qui les conduit à une recherche de traitement égalitaire entre tous les
enfants.
De ces deux façons de concilier couple et famille dans les familles recomposées, je
peux mettre en évidence l’influence du temps partagé avec les beaux-enfants. Que ce soit
par choix délibéré, conditionné par le fait d’avoir soi-même des enfants, ou simplement
parce que les enfants sont présents sur des temps suffisamment longs et qu’éventuellement
le père des enfants le souhaite, les belles-mères gardiennes adoptent majoritairement un
fonctionnement centré sur la famille, les enfants, la parenté pratique.
Seule Marie (G. CSP+) vient quelque peu pondérer cette assertion puisqu’elle veille
à préserver des temps de vacances en couple afin de garantir celui-ci. « : « Non, pas cette
fois ! Cette fois c’est tout les 2 ! C’est lié au fait que c’est une deuxième histoire et qu’on
sait l’importance de préserver des temps pour nous.. » (Marie (G. CSP+).
Les belles-mères, qui souhaitent et qui parviennent, avec plus ou moins de facilité,
à privilégier le couple ou la seconde famille, sont quant à elles non gardiennes.
Il n’apparaît pas, de façon significative, de différence entre les milieux sociaux sur
la façon de vivre en famille et de privilégier soit le couple soit l’exercice de la parentalité.
Par contre, ce sont surtout les belles-mères de milieux socioculturels moyens à supérieurs
qui ont évoqué la réaction de leur entourage face à leur façon de vivre en famille, et plus
précisément celles qui donnaient la primauté au couple. A titre d’illustration je citerai
Claudia et Karine qui, toutes deux, ont connu de fortes tensions avec leur conjoint au sujet
des beaux-enfants et ont été confrontées de la part de leurs propres parents à un appel à la
50
bienveillance. Preuve, s’il en faut, de la prégnance de la représentation de l’enfant victime
de la séparation des parents et qu’il faut aimer. Ainsi : « ma mère elle m’adore, enfin
comment dire, elle sait qu’il y a eu beaucoup de choses, de souffrance et tout, mais ma
mère elle est hyper, hyper objective dans le sens où elle pense qu’on a pas à pas l’aimer
cette enfant, enfin ce n’est pas possible ! » (Karine, NG.CSP+). Ou encore : « c’est surtout
aussi mes parents, ils disent : oui mais les pauvres ils voient pas leur papa souvent, il faut
que tu comprennes ! » (Claudia, NG.CSP+).
Toutefois Jessica, de milieu social plus modeste, fait également part de la
réprobation générale devant son abstention totale et revendiquée d’un quelconque rôle
auprès de ses belles-filles. Désignée comme “ mauvaise”, elle force le trait : «..y avait bien
les commentaires de ma belle- mère et des gens… mais depuis que je suis toute petite déjà
y a des réflexions sur nous, ma famille, les B. alors un peu plus un peu moins … j’ai jamais
valu grand-chose pour les donneurs de leçons… alors j’ai décidé que je m’en fichais de
ces gens… et de leur avis ! » (Jessica, NG.CSP-)
Les proches des belles-mères apparaissent ici comme appelant à la bienveillance à
l’égard des beaux-enfants. La belle-mère se doit d’être aimante et compréhensive avec eux.
Nous verrons dans une partie traitant du droit comment celui-ci peut être lu comme la
traduction de la volonté de faire de l’enfant le centre de gravité de la famille.
3.1.2 On adapte l’espace ou on fait avec : un révélateur de la
place donnée à chacun.
Etre belle-mère signifie accueillir de façon permanente ou intermittente l’enfant ou
les enfants de son conjoint ou compagnon. Voyons, à travers l’analyse des organisations
spatiales des maisonnées, quelle place est donnée à chacun et comment cela influe sur le
fonctionnement familial.
3.1.2.1 Un espace à la taille de la nouvelle famille.
Pour six belles-mères, la recomposition familiale s’est traduite par un
déménagement ou par la réalisation de travaux permettant d’adapter l’espace disponible à
la taille de la nouvelle famille.
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Ainsi, Marie et son mari ont effectué des travaux d’extension de la maison, qu’ils
avaient achetée ensemble, dès que son beau-fils est venu vivre chez eux, ceci afin que les
trois enfants aient chacun leur chambre (G. CSP+).
Armelle et son compagnon ont également acheté une maison ensemble et réalisent
progressivement des travaux pour que, à terme, chacun ait son espace, même si quatre des
sept enfants ne sont pas présents à temps plein (N G. CSP +).
Arielle, tout en étant fréquemment chez son ami, a conservé son propre
appartement le temps qu’ils puissent trouver un logement suffisamment grand pour qu’ils
soient tous ensemble (G. CSP +).
Fanny insiste sur l’importance de l’espace individuel. Pour elle, l’organisation de
la maisonnée se doit d’assurer un espace privé à chaque enfant et ainsi être garante du
traitement égalitaire de la fratrie recomposée. La maison de son compagnon, où elle est
venue s’installer avec ses enfants, était suffisamment vaste pour lui permettre de repenser
l’espace en fonction de cet impératif. C’est elle qui a pris en main le choix des peintures,
l’achat de nouveaux meubles pour l’ensemble de la famille, s’appropriant ainsi une maison
où avait vécu avant elle, la première femme : « c’était très important pour nous que
chaque enfant ait sa chambre, c’était une priorité pour nous […] alors pour tous c’est
bien, c’est un confort, une qualité de vie, pour l’équilibre de tous c’est bien et tout le
monde est à égalité et on signifie à tout le monde qu’il est chez lui là… ». (Fanny,
G.CSP+).
Martine (G et NG. CSP -) et Flore (G. CSP -) ont obtenu des logements HLM
correspondant à la taille de la famille (4 chambres), pour un loyer supportable grâce aux
aides au logement de la caisse d’allocations familiales.
Les situations qui viennent d’être évoquées concernent, à une exception près, des
belles-mères gardiennes (cinq sur six). Accueillir à temps plein son ou ses beaux-enfants
,éventuellement en plus des siens, (quatre sur les cinq ont des enfants) conduit les bellesmères gardiennes et leur conjoint à réaménager l’espace de vie, voire à déménager.
L’aspect économique n’empêche pas les familles plus modestes d’adapter leur
espace de vie à l’agrandissement de la famille puisque les offices HLM en tiennent
compte. J’ai toutefois pu noter que Martine et Flore (G. CSP -) n’aborderont pas d’ellesmêmes la question de l’espace indispensable à chacun. Toutes deux sont issues de famille
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de plus de trois enfants de milieux populaires où il était courant de partager sa chambre
avec ses frères ou sœurs. Les enfants de Flore et ses beaux-enfants ne sont pas présents les
mêmes semaines au domicile. Ainsi, les filles ont une chambre qu’elles partagent et les
garçons également. Cette organisation pratique amène chacun des enfants à avoir une
chambre pour lui seul, à l’exception des dimanches qui sont communs. Toutefois au cours
de l’entretien, Flore explique cette organisation par un souci de diminuer la charge que
représentent cinq enfants en même temps et pas par la nécessité que chacun ait son espace.
3.1.2.2 Maisonnée mouvante et espace immuable.
Pour d’autres belles-mères, l’espace n’est pas adapté à la taille de la famille
recomposée.
Arielle a connu ce manque d’espace et a ensuite pu y remédier. Elle a gardé son
propre appartement le temps pour son ami de trouver un logement suffisamment grand
pour trois et nous dit l’importance d’avoir un espace d’intimité garantissant un quant-àsoi : « et là on a emménagé dans un trois pièces ; oh bonheur ! ». Arielle illustrera
l’influence du manque d’espace sur la relation beau-parentale en relatant des témoignages
entendus au “Club des Marâtres” : « c’est ce qu’on appelle l’occupation : les belles-mères
arrivent et disent « je me sens occupée, il y a un intrus sur mon territoire » (Arielle, G.
CSP+).
L’exemple suivant en est l’illustration : celui d’une belle-mère qui a l’impression de
ne pas être chez elle lorsque ses beaux-enfants sont là. Ainsi pour Claudia, qui vit dans un
F3 du sud de Paris et qui travaille à domicile, les tensions liées à l’espace sont à leur
comble. Pour les week-ends, les trois enfants partagent la même chambre : s’y trouvent des
lits superposés pour les deux beaux-enfants adolescents et un petit lit pour sa fille de deux
ans. Lorsque cette dernière fait la sieste, les plus grands investissent le séjour qui est de
petite taille. Claudia s’interdit même d’entrer dans la chambre la nuit lorsque sa fille
pleure : « ça me gène qu’on a pas assez de place, moi j’ose pas trop… par exemple, ils
dorment la nuit, ma fille pleure, c’est Olivier qui y va parce que moi j’ose pas, j’ai pas
envie de rentrer dans cette chambre, c’est un peu trop là, c’est un peu trop de proximité
avec eux. Ils dorment là et mon enfant qui pleure alors là c’est trop.. J’ai pas envie ; ça
c’est trop partager…. » (Claudia, NG. CSP+). Un « lien familier » (Kaufmann, 2001 : 99)
leur fait défaut. Ainsi, lorsque Jean Claude Kaufmann dit que l’espace joue un rôle sur
53
l’expression des gestes familiers, il permet d’éclairer le lien entre Claudia et ses beauxenfants. En effet ils sont des étrangers pour Claudia. Ils ne sont pas de sa famille. « Alors
que la familiarité n’est pas produite par la famille, il n’y a vraie famille que s’il y a
familiarité. » (Kaufmann, 2001 : 111). Ce qui fait problème c’est, d’une part qu’ils vivent
là pour être proches du domicile de la mère (le lieu de résidence n’a pas été choisi par
Claudia), et que d’autre part, elle se sent contrainte de partager une intimité qui ne va pas
de soi avec ses beaux-enfants. Claudia évoque le prix des loyers qui ne leur permet pas de
déménager pour un logement plus grand. Déménagement qui, par ailleurs, n’est pas
véritablement une priorité car son logement lui apparaît comme suffisant grand quand ses
beaux-enfants ne sont pas là.
Dans le cas de Karine, la possibilité d’accéder à un logement plus grand est
entravée par les conditions d’attribution de logement. L’Armée ne reconnaît pas le droit
pour le père non gardien de disposer d’une chambre pour accueillir son enfant. le mari de
Karine est militaire et ils sont logés dans un F2 de fonction. Lorsqu’ils ont fait une
demande de F3 elle leur a été refusée : « comme il n’a pas la garde, il a eu droit qu’à une
demi chambre » me livre Karine dans un sourire : « C’est le top pour l’intimité ! Mais
l’armée je sais même pas s’ils peuvent imaginer une famille recomposée ! Il y a des choses
qui ne se font pas… » (Karine, NG. CSP+). Concrètement, ils ont installé une mezzanine
dans la chambre conjugale et sous celle-ci un lit, une commode, un coffre à jouet pour
Angélique. L’intimité du couple n’existe pas lorsque Angélique est là. Tout en étant gênée
de cette situation, Karine n’envisage pas de quitter le logement de fonction pour trouver un
logement plus grand. En effet, le logement actuel se trouve au centre de Paris, ce
qu’apprécie le couple. Craignant de devoir emménager en banlieue parisienne s’ils ne font
pas appel à l’Armée, ils préfèrent s’accommoder d’une moindre intimité lors des présences
d’Angélique.
En termes de manque de place, les plus grandes difficultés évoquées le sont donc
par Claudia et Karine, toutes deux non gardiennes et vivant en région parisienne. Ces deux
exemples nous montrent que, lorsque l’espace manque, c’est également la place d’un point
de vue symbolique qui peut se trouver mise à mal. Claudia s’interdit d’entrer dans la
chambre de sa fille quand ses beaux-enfants sont là et Karine n’a plus accès à une intimité
de couple. Néanmoins, en ne se donnant pas les moyens d’un déménagement ou d’une
autre organisation de l’espace, elles indiquent, toutes deux, que la priorité n’est pas donnée
54
à la famille recomposée et il est alors possible de questionner la place qu’elles-mêmes
donnent aux beaux-enfants.
Des différences apparaissent clairement entre, les belles-mères gardiennes qui ont
quasiment toutes adapté la taille de la maison à la nouvelle taille de la famille, et les bellesmères non gardiennes qui ne font pas de l’adéquation du logement une de leurs priorités
budgétaires. Elles adaptent, non pas l’espace à leur façon de vivre, mais leur façon de vivre
à cet espace insuffisamment grand quand les beaux-enfants sont là. Pour ces dernières, le
manque de place implique deux modes de vie différents selon que leurs beaux-enfants sont
présents ou non, ce qui laisse présager de possibles difficultés relationnelles nées de cette
contrainte (j’y reviendrai dans un prochain chapitre).
A l’aune de ces situations, je peux également relever que ce sont les belles-mères
de milieux socioculturels moyens à élevés qui, probablement en raison de leurs habitudes
de vie, attachent une importance majeure à l’espace individuel privé. Je n’ai pas rencontré
de belles-mères non gardiennes, de milieux modestes et habitant Paris ou la banlieue me
permettant une véritable comparaison, mais il semble toutefois que l’importance attachée à
l’espace privé, la promiscuité qui fait difficulté, spontanément abordée par les premières,
est l’expression d’un habitus de classe et qu’ainsi s’opère sur ce thème une différence
sensible selon son milieu d’appartenance.
3.2. Les relations interpersonnelles entre la belle-mère et
ses beaux-enfants.
Dans les familles recomposées, des belles-mères, se trouvant dans une situation
d’alliance avec un conjoint ayant des enfants, sont conduites à occuper des fonctions liées
à une position parentale. Des fonctions qui peuvent être dites de “parentalité ” et que
j’étudierai ultérieurement au travers de la gestion du quotidien. Toutefois, contrairement à
ce qui se passe pour la parenté biologique où le fait d’être parent conduit à la parentalité,
pour la belle-mère c’est l’exercice éventuel de cette parentalité qui peut la conduire à
revendiquer une parenté avec l’enfant. Il s’agit de la parenté pratique dont a traité Florence
Weber. Au titre de cette parentalité exercée, certaines belles-mères peuvent revendiquer
une place de parent auprès du bel-enfant. Didier Le Gall et Claude Martin nous
55
disent : « pour comprendre les mécanismes de définition et de légitimation du rôle beauparental, il faut prendre en compte les interactions entre enfants, parent-gardien, parent
non-gardien ; chacun de ces acteurs pouvant favoriser ou entraver l’institution de ce rôle,
en fonction du modèle de famille auquel il se réfère » (Le Gall & Martin, 1991 : 64). De la
même façon, je peux avancer que la place que peut revendiquer une belle-mère lui est
reconnue, donnée par d’autres. C’est la construction de cette place que je vais donc
explorer maintenant au travers des relations interpersonnelles.
Si, à l’exception de Jessica, les belles-mères interviewées débutent toutes la
cohabitation en ayant la volonté d’entretenir une relation affective de qualité avec leurs
beaux-enfants, les déclinaisons au fil des mois et des années sont nombreuses et
contrastées.
3.2.1 Une volonté forte de former famille : des relations
données pour bonnes.
Chez cinq belles-mères, on ressent fortement la volonté de vivre en famille ; dans
une famille qui, pour un observateur extérieur ignorant la recomposition, pourrait
ressembler à la famille nucléaire basique avec un papa, une maman et des enfants. Elles se
lancent dans l’aventure en accueillant volontiers l’enfant ou les enfants du nouvel homme
de leur vie. Les relations avec leurs beaux-enfants sont alors décrites comme bonnes,
l’investissement affectif est relativement fort, en particulier pour trois d’entre elles.
« On a envie de reconstruire quelque chose tous les deux, qu’on soit bien tous les
deux, que les enfants soient bien, qu’il y ait une bonne ambiance pour tout le monde . Et
c’est vrai que pour l’instant, ça fonctionne pas mal du tout » (Fanny, G.CSP+). Ses beauxenfants lui reconnaissent aussi une place qui la valorise, en lui réclamant des soins
maternels pour les plus jeunes, et en la proclamant : « nouvelle maman » pour l’aînée. Des
deux plus grands elle dit : « Ils ont beaucoup de respect pour moi et pour l’instant on n’a
pas de gros conflits. Ils me demandent très souvent mon avis. » De l’aînée, Caroline : « On
est très proches, complices. Caroline dit à ses copines : moi j’ai plus de maman, mais j’en
ai trouvé une autre ! ». En ce qui concerne les deux plus petits : « Ils ont toujours mal à la
jambe, ou mal au ventre, pour qu’on s’intéresse à eux.. Je m’y intéresse […] j’ai
l’impression d’avoir toujours vécu avec eux ». (Fanny, G. CSP+).
56
Flore me dira : « c’est comme si c’était les nôtres quoi, j’leur donne pareil pour
tous !... » (G. CSP -).
Dans le cas de Jeanne cette volonté de former famille va jusqu’au déni de la
recomposition. Elle est appelée : « maman » par ses beaux-enfants ; c’est la seule dans ce
cas. L’investissement affectif est à son comble et s’inscrit dans un contexte de substitution
avec une mère totalement absente. « J’aimais beaucoup Joffrey.. Oui, je regrette qu’une
chose, voilà je les ai pas accouchés ». L’investissement affectif de ses beaux-enfants est
tout aussi important : « elle m’a reproché par contre (sa belle-fille), elle m’a longtemps
reproché à l’adolescence de pas les avoir adoptés, pour être sur mon livret de famille. Elle
voulait s’appeler C. (le nom de jeune fille de Jeanne), elle voulait même pas (rires) le nom
de son père, c’était mon nom à moi qu’elle voulait. (Jeanne, G. CSP -).
Toute une recherche pourrait être consacrée aux objets qui témoignent de la
relation. Je ne relèverai que quelques exemples qui, s’ils peuvent sembler anecdotiques au
regard de ma recherche, donnent une réelle lisibilité à certaines situations où les sentiments
sont extrêmes. Ainsi pour Jeanne, le bracelet de naissance apparaît comme la traduction de
cet amour qu’elle peut démontrer à tous : « par exemple, j’ai les bracelets de naissance des
cinq dans une boite chez moi, j’ai la première mèche de cheveux à Joffrey, à Anaïs j’ai les
mêmes choses pour tous» (ses deux beaux-enfants et ses trois enfants). Elle est en
possession de ces bracelets, donc la mère c’est elle. Elle m’explique d’ailleurs, que Joffrey
son beau-fils : « fait l’arbre généalogique depuis (sanglots)… et l’arbre généalogique est
avec ma famille… . Et ça ça prouve à quel point… » (G.CSP-). La logique en jeu ici est
unique au regard de l’échantillon, et se trouve éclairée par la rupture avec la mère
biologique. Joffrey consacre un lien affectif et éducatif au détriment de son inscription
généalogique. Si rien ne fonde et justifie à priori la parenté pratique, elle prend ici le pas
sur la parenté biologique et l’arbre généalogique porte à voir la reconnaissance du lien
beau-parental substitutif par l’enfant11.
Ces trois belles-mères sont gardiennes. Il apparaît donc, au regard de ces trois
situations toutefois très différentes, que le partage du quotidien influe sur la qualité de la
relation et sur l’émergence d’un lien affectif. Flore pondère quelque peu cela en me livrant
11
Ayant fait le choix de ne pas interviewer les beaux-enfants, je ne peux aller plus loin dans l’exploration
d’une éventuelle dette afective.
57
une fois l’entretien achevé et le dictaphone arrêté : « on est l’intruse ». J’ai d’ailleurs
relevé l’émergence d’une modération. Alors que le discours premier était celui de
l’affection donnée de façon identique à ses enfants et à ses beaux-enfants, elle dira un peu
plus tard : « parce que c’est pas mes enfants que, que je me contiens un peu plus, c’est plus
facile de faire avec ses propres enfants que par rapport à ceux de l’autre quoi … donc
j’remplace pas leur mère à 100%. Faut pas non plus se leurrer la dessus, hein » (Flore,
G.CSP-).
C’est explicitement que Martine introduit l’influence du partage du quotidien sur
l’installation d’une relation affective. Martine présente en effet la particularité d’être
gardienne de l’un de ses beaux-fils et non gardienne de l’autre. L’éclairage qu’elle apporte
est, à cet égard, tout à fait intéressant : « ça se passait très bien avec Jérémie » et avec le
second qu’elle n’avait que le week-end : « à chaque fois, il me disait t’es pas ma mère…
alors moi je me taisais ou je lui disais t’exagères […] euh oui mais t’es pas ma mère
voilà » (Martine, G et NG. CSP-).
Armelle, belle-mère non gardienne, vient nuancer, l’importance du partage du
quotidien sur l’établissement d’une relation de qualité. Chez elle aussi la volonté de
reformer une famille a été forte, même si cela la conduit à se retrouver à la tête d’une
famille nombreuse, quand tous ses beaux-enfants sont là. Par contre, elle s’attarde peu sur
les sentiments qui les lient les uns aux autres, trop prise peut-être par l’aspect
organisationnel de la maisonnée qu’elle m’a décrite avec force détails ; elle dépeint des
sentiments qui dépendent davantage des personnalités des uns et des autres et qui fluctuent
au gré de ce qui agit la maison (les repas, les disputes entre les enfants). On est loin du
« c’est pareil pour tous » énoncé par Flore. De Loïc, le troisième de ses beaux-enfants, elle
dit : « j’ai pas de problème particulier avec lui », de « Miss Marianne » la dernière de ses
belles-filles, elle dit qu’elle peut être « très dure » et aussi en forte demande affective.
Enfin elle est dans la défiance avec l’aînée de 18 ans qu’elle qualifie d’imprévisible : «en
fonction de ses états d’âme » (Armelle, NG. CSP +).
La qualité de gardienne apparaît comme un élément déterminant dans la survenue
de liens affectifs. Par contre, l’hypothèse d’une différence s’opérant selon le milieu social
n’apparaît pas pertinente au regard de ces cinq situations.
58
3.2.2. Une relation vécue comme contrainte, des relations
données pour difficiles.
Les situations que je vais aborder maintenant s’écartent fortement de la volonté de
former une famille en y incluant les enfants de l’autre. Se fait jour, le caractère contraint de
la relation au bel enfant, même si celle-ci se décline de façon très variée.
Ainsi, deux belles-mères montrent une certaine réserve alors que leurs belles-filles
sont plutôt en demande de relations.
Arielle, si elle reconnaît avoir de l’affection pour sa belle-fille : « y a de l’attache,
euh y a de l’affection pour cette enfant », dit aussi sa réserve : « On a pas imaginé que le
prince charmant aurait un enfant. Alors on prend ça pour un défi ! Euh, je le vivrai peutêtre un peu plus maintenant comme une contrainte, parce qu’elle rentre dans
l’adolescence ». Elle introduit l’aspect évolutif de la relation, le caractère non choisi de la
relation ainsi que l’influence de l’âge de l’enfant : « j’pense que d’autres belles-mères qui
auront connu leurs beaux-enfants beaucoup plus jeunes y seront attachées différemment,
ou plutôt davantage ». Sa belle-fille investit positivement le lien à Arielle : « Elle me fait
des câlins, elle dit qu’elle m’aime ». Mathilde ne comprend pas toujours la réserve de sa
belle-mère : « alors où ça coince un peu, c’est que, dans ma famille, j’ai pas été habituée à
dire aux gens que je les aimais. Je lui ai dit : « écoute, je te montre que je t’aime par plein
d’autres démarches dans la vie quotidienne[…]et elle a compris, elle a très bien entendu »
(Arielle, G.CSP+). A l’aune du récit d’Arielle, il apparaît que le lien ne se crée pas
forcément de façon réciproque et simultanée entre belle-mère et bel enfant. En effet, si la
belle-fille Mathilde investie une relation affective, Arielle se dit sur la réserve.
Dans le cas de Karine, le déséquilibre apparaît de façon encore plus marquée. Pour
Karine, le lien à sa belle-fille ne va pas de soi, alors que l’enfant se montre sur un jour
agréable : « c’est une petite fille qui est vraiment agréable, elle a son caractère, elle
m’apprécie vraiment, y a un lien ». Tout d’abord il ne s’agit pas d’un lien électif : « moi je
reconnais que je l’ai pas acceptée, je l’ai pas choisie en fait ». Sa belle-fille, âgée de 5 ans,
lui montre son attachement. Elle a connu sa belle-mère alors qu’elle était âgée de 12 mois.
A cet âge, un enfant peut assez volontiers être demandeur de câlins. Il nécessite une
surveillance de la part de l’adulte, donc une certaine attention. « Des fois elle dit : ouais tu
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vas me manquer […] y a un jour où elle s’était approchée de moi, elle voulait vraiment un
câlin et moi hum ! j’sais pas à ce moment là, j’avais vraiment du mal, mais je l’ai quand
même pas repoussée, j’l’ai pas repoussée quand même.. C’est pas humain (petits rires)
mais j’étais pas complètement.. Elle était là (elle me montre dans ses bras) mais je lui
caressais juste les cheveux, mais j’étais pas complètement câlin. Et elle, elle l’a pas vu
parce qu’elle me voyait pas et tout, elle a pas fait attention […] j’ai pas envie de me
forcer, j’ai pas envie qu’elle voit que c’est pas naturel ». Karine vit la présence de sa bellefille comme une incursion dans sa vie de couple, d’autant plus qu’elle n’a pas encore
d’enfant avec son mari. Aux prises avec un sentiment de culpabilité, elle fait des efforts,
elle ne veut pas qu’Angélique perçoive sa réserve. Elle voudrait aimer cette enfant qui, ditelle : « n’est pas responsable de la situation », mais les disputes sont nombreuses avec son
mari : « moi je suis assez franco, je rentre dedans ! Et j’ai pas peur de faire les choses …
donc des fois on se fait hyper mal ». Elle reconnaît que sa belle-fille est parfois de trop12 :
« Ben là je compte les jours ça y est, j’attends qu’elle s’en aille » et ça ça m’énerve, ça je
le contrôle pas […] ! Et on peut parler de l’amour pour sa belle-fille! Je sais pas comment
je l’aime en fait[…] elle me manque pas quand elle est pas là, quand elle vient euh ,je suis
pas forcément contente de la voir ! (Rires) » (Karine, NG.CSP+).
Il est à noter que ces deux belles-mères sont toutes deux sans enfant, ce qui peut
influer sur l’attitude qu’elles ont avec leurs belles-filles.
Dans deux autres situations, c’est l’indifférence à l’égard des beaux-enfants qui
prévaut. Ainsi, pour Isabelle et Jessica la primauté est donnée à la relation amoureuse et,
contrairement aux deux précédentes situations, le conjoint donne la même primauté au
couple.
Jessica laconique dira : « j’ai rien contre elles, ces tiotes finalement » (Jessica,
NG.CSP-). L’abstention revendiquée de tout rôle éducatif auprès de ses belles-filles
s’accompagne d’une égale abstention de sentiments positifs ou négatifs. Avec quelque
enfant que ce soit, Jessica ne veut pas être dans un rôle parental puisque rappelons le, elle
ne veut pas avoir d’enfant.
Isabelle, belle-mère de cinq beaux-enfants de deux unions précédentes de son mari
dit : « je cédais pas ma place […] j’avais dix neuf ans, j’étais amoureuse, je le voulais lui
12
Il me semble utile de renvoyer le lecteur aux conditions de logement de Karine dont le couple partage la
même chambre qu’Angélique.
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et puis c’est tout». Avec les trois plus jeunes elle confie : « j’ai forcé ma nature, pour ne
pas faire mal et ne pas faire de mal. Mais ça n’a pas créé de liens, d’intimité. Ils sont
restés des invités […] je n’avais pas à me plaindre d’eux, ça n’a jamais été conflictuel
mais ça n’a rien inscrit ». Elle assume volontiers la responsabilité de cet absence de lien en
disant : «les enfants ne devaient pas m’aimer, non pas que j’ai fait quelque chose de mal,
mais parce que je ne les ai pas vraiment aimés ». Isabelle a choisi de garder une distance
avec ses beaux-enfants et ce d’autant plus facilement qu’elle ne les avait pas au domicile.
Une exception toutefois pour cette femme que l’on ressent toute entière faite de passion.
La relation élective qu’elle a eu avec une belle-fille choisie, Nathalie, de quatre ans sa
cadette : « Nathalie que j’ai beaucoup aimée » (Isabelle, NG.CSP+), qu’elle pouvait voir
seule, de façon informelle et avec laquelle elle partageait des loisirs.
Pour ces deux belles-mères, si la relation n’est pas choisie, les liens ne se créent pas
sans pour autant générer de relations conflictuelles. Il arrive, par contre, que la relation
beau-parentale soit marquée par la rivalité. Deux belles-mères vivent de telles situations.
Dans le cas de Marie, le partage du quotidien ne suffit pas à instaurer de véritables
liens entre elle et son beau-fils. Au contraire, la difficulté relationnelle l’a même amenée à
renoncer progressivement à tenir un rôle dans l’éducation de Julien. Marie parle
ouvertement, même si elle s’en culpabilise, du fait que l’on ne puisse pas, selon elle, avoir
les mêmes sentiments pour son bel-enfant que pour son enfant : « moi j’en ai souffert parce
que Julien, il me renvoyait pas du tout ce que me renvoyaient mes enfants […] je me
culpabilise à l’idée de penser, je l’aime pas… voilà.. Rien ne va de soi avec julien c’est
comme ça que je résumerai… ». La nécessaire réciprocité de l’échange est amenée avec
beaucoup d’acuité par Marie qui, au quotidien, se heurte à la jalousie de Julien. Marie se
vit comme venant troubler la relation d’exclusivité souhaitée par Julien avec son père :
« les relations sont distantes parce que pour lui comme vous l’avez compris ça toujours été
le cas !... il voudrait son père pour lui seul ». L’indifférence de Julien lui est d’autant plus
pénible qu’elle vit chaque jour avec lui, ce dernier ne voyant sa mère, qui vit en Corse,
qu’aux vacances d’été et à Noël. « Les rapports sont comment dire, ne sont pas empreints
de naturel, quelque chose qui malgré tout vient gêner l’intimité de la famille ». Par son
attitude, Julien nie en quelque sorte sa présence, la remet à sa place de belle-mère : « Parce
qu’il est pas revendiquant il est plutôt éteint, indifférent avec moi… » (Marie, G. CSP+).
61
Dans le cas de Claudia, la jalousie, la rancœur, mais aussi la souffrance sont
perceptibles. Elle ne se trouve pas de point commun avec les enfants adolescents de son
mari et redoute leur venue le week-end, au point de ne pas en dormir la veille. Cette jeune
femme expansive, chaleureuse lors de l’entretien, se décrit, quand ses beaux-enfants sont
là, comme retenue dans son expression, traquant en permanence les signes de leur rejet
,qui, selon elle, préexistent du fait que le père ait quitté leur mère pour vivre avec elle :
«Les enfants ils étaient pas contents que… enfin il a trouvé une autre… une femme […]
moi c’est vraiment comme je suis pas là...Non ils ne veulent pas me parler».Très sensible
au langage du corps, elle décrit avec moult gestes les mouvements, les attitudes (ce qu’il
n’est pas aisé de traduire au lecteur) : « quand ils dînent ensemble c’est vers le papa…. ils
regardent vers le papa […] Ils étaient scotchés. Comme ils sont deux, un côté de l’autre de
papa, moi j’avais plus la place c’est clair ! (rires partagés) et aussi c’était l’époque aussi
encore où ils ont tenu la main tout le temps alors moi je me trouvais vraiment derrière..
Comme un petit chien, vraiment… ». Claudia se vit ici comme n’ayant aucune place.
Fantasmatiquement dans la rivalité à sa belle-fille, elle va jusqu’à questionner sa place de
femme auprès de son compagnon : « ça arrive aussi qu’elle tienne la main et quand je les
vois devant moi c’est un flash, je me dis : c’est une autre femme ! Ça c’est dur aussi
[…] quand je me dirige comme ça vers eux, ils sont un peu comme ça (elle mime un
mouvement de recul) : qu’est ce qu’elle veut là ? ». Ses beaux-enfants apparaissent comme
des gêneurs et la jalousie, en particulier à l’égard de sa belle-fille, est probablement
renforcée par l’attitude de son compagnon qui l’assigne à accepter ses enfants et prend
parti pour eux au prix de possibles conflits avec elle : « ils sont comme ça, il faut les
accepter comme ça […] Le plus grand problème, c’est pour lui qu’ils viennent pas assez et
pour moi ils viennent trop ! (Petits rires plutôt naturels […] on parle plutôt avec Olivier
après le week-end, on discute, on se dispute souvent pour ça […] je demande pas un grand
intérêt pour ma personne. Je demande juste une situation un peu plus normale,
détendue… C’est la sympathie qui manque, c’est ça le problème ! » Claudia, consciente
d’être, aux yeux de ses beaux-enfants, celle qui a détruit le couple de leurs parents, leur fait
tout de même porter la responsabilité majeure de ce lien défectueux : « Moi je regarde un
peu les gamins dans la rue, mince je me dis : est-ce que ce serait mieux ? (petits rires), on
peut pas dire ça !... mais pourquoi c’est eux ? » (Claudia, NG.CSP+)
62
Comme pour Jeanne, les objets parlent à Claudia. La difficulté du lien, que rien,
pas même le temps, ne semble pouvoir modifier s’y exprime. Elle garde comme preuve de
l’hostilité de sa belle-fille une photo : « je vais te montrer une photo » me dit-elle. S’y
trouve, en arrière plan Olivier, au premier plan Claudia accroupie qui enserre sa fille
Pauliana et derrière, aux cotés d’Olivier, sa belle-fille Juliette les bras croisés, fermée, qui
regarde Claudia avec les sourcils froncés. « C’est incroyable cette photo, tu as vu comme
elle me regarde comme ça du dessus et avec une tête comme ça ! Je l’ai gardé comme
preuve… cette photo et c’est souvent comme ça que ça se passe. (Silence)13». Pour elle, ses
beaux-enfants sont en quelque sorte dans la négation de la recomposition familiale ;
aucune place ne lui est reconnue : « quand on a déménagé ici il y a 3 ans ils ont fait un
grand papier : ici habite Olivier ! Après je me suis dit bon et j’ai dit : c’est sympa ! et eux :
ah oui on va te mettre aussi ! » (rires). C’est vraiment cliché mais c’est…c’est ça… »
(Claudia, NG. CSP+).
Au regard de ces situations, il apparaît que le caractère contraint de la relation beauparentale est davantage exprimé par les belles-mères non gardiennes que par les bellesmères gardiennes (quatre sur six), et plus encore par les belles-mères de milieu social
favorisé (cinq sur six). Toutefois il me faut être prudente sur ce dernier point et son
exploitation. En effet, je constate que quatre de ces cinq belles-mères fréquentent le “Club
des Marâtres” qui présente la particularité de n’accueillir que des belles-mères de milieu
social favorisé et qui viennent là pour exprimer une difficulté avec leur bel-enfant. Il me
faut être d’autant plus prudente que Jessica, de milieu social modeste, est une de celles qui
proclament avec le plus de force ne pas avoir voulu de ses belles-filles.
Seule apparaît ici clairement, l’absence d’un quelconque lien affectif comme le fait
de deux belles-mères non gardiennes, voyant assez peu leurs beaux-enfants.
Tenant compte de ces réserves, le partage du quotidien apparaît comme une
condition nécessaire à l’établissement d’un lien affectif. Néanmoins, s’il est nécessaire, il
n’est pas suffisant, comme nous le montre en particulier le cas de Marie. Encore faut-il
qu’il y ait réciprocité du lien et que, donc, une place soit reconnue par le bel enfant.
13
Il s’agit là de l’interprétation que fait Claudia de cette photo. Juliette interprétant cette photo dirait peut-être
que l’attitude de Claudia se refermant sur sa fille Pauliana est le signe qu’elle, Juliette, ne compte pas pour
Claudia et que son œil noir traduit la non place qu’elle a elle en tant que belle-fille.
63
3.2.3. La pérennité de la relation beau-parentale.
« La maisonnée est en règle général un groupe instable qui disparaît en même
temps que sa cause commune. » (Weber, 2005 : 161). A partir de cette définition de
Florence Weber, j’ai tenté d’explorer ce que les belles-mères imaginaient d’un éventuel
maintien de la relation de parentèle en cas de dissolution de la deuxième maisonnée
(j’utilise deuxième pour ne pas alourdir mon propos). « La parentèle, entendue comme
l’ensemble des personnes avec lesquelles l’individu est apparenté (consanguins, alliés,
beaux-parents par recomposition), constitue un réseau de différentes familles élémentaires
(conjugales ou autres) » (Déchaux, 2007 : 88). Lorsque les relations sont tout juste
existantes, ou mêmes lorsque se sont créés des liens affectifs plus ou moins forts, est-il
possible de les imaginer perdurer par delà la rupture de la maisonnée ? Est ce que cela
diffère selon le temps de partage du quotidien ou selon les milieux sociaux?
J’ai demandé aux belles-mères interviewées de se projeter dans la situation d’une
rupture conjugale et d’envisager alors, ce que serait leur lien à leurs beaux-enfants. Pour
trois d’entre elles (Jeanne, Martine et Isabelle), la séparation était d’ailleurs effective. Il n’y
a qu’avec Claudia que je n’ai pas abordé directement la question. Claudia qui vit ses
beaux-enfants comme des étrangers. Elle attend déjà beaucoup du moment où ayant grandi,
ayant leur vie sociale et amicale, ils ne viendront plus que rarement au foyer. « J’espère
vraiment un jour dans quelques années, ils ont des amis, ils ont envie de passer des
vacances avec leurs amis.J’espère que ça va venir…..mais il faut attendre encore quelques
années.. » (Claudia, NG.CSP+).
3.2.3.1. Le souhait de garder un lien.
Cinq belles-mères sont dans ce cas.
Jeanne, qui considère ses beaux-enfants comme ses enfants, garde des liens forts
avec eux alors que son mari est maintenant décédé. Elle n’a, pour l’instant, entrepris
aucune démarche officielle pour formaliser ou officialiser ce lien. Elle met en avant la
suprématie des sentiments sur une quelconque officialisation, sûre que ses enfants sauront
le prouver le moment voulu. Malgré tout, elle considère que ce serait là un cadeau à faire à
64
ses beaux-enfants : « y a des fois je regrette de pas avoir fait les démarches pour les
adopter… on m’a dit que je pouvais encore le faire. J’y pense. Je me dis quand je
viendrais à mourir quel plus beau cadeau ? Pour qu’ils héritent comme les autres ? Ah
mais ça y a pas de souci de ce coté là … voyez d’abord Axel, Lorenzo et même Lionel euh
aussi ils ont la même foi que moi tout est égal.. Mais légalement ça ne l’est pas … Oui,
mais je sais que eux le feront. J’ai même pas un doute, pas un doute, pas un seul doute,
mais c’est pas dans ce sens là que je voulais le faire. C’était dans le sens, ils sont à moi
quoi, que je leur donnerai mon sang quoi, j’sais pas quoi. En les adoptant , ça
remplacerait l’accouchement quoi » (Jeanne, G.CSP-). Au-delà de ce que Jeanne pense
avoir transmis symboliquement à ses beaux-enfants en termes de comportement familiaux
et d’éducation, se pose concrètement pour elle la question de la transmission matérielle,
que seule l’adoption simple permet actuellement, dans les familles recomposées. Seule
belle-mère de l’échantillon à aborder ce point elle est également la seule à avoir connu une
situation de totale substitution.
Martine, qui est maintenant séparée de son mari, confirme que la présence des
demi-frères et sœurs permet le maintien du lien. Adultes maintenant, ses deux beauxenfants viennent chez elle voir leurs demi-frère et demi-sœur. Alors que j’interroge si
d’après elle, cela aurait été différent en l’absence d’enfant de la seconde union, elle se
montre plus prudente : « je sais pas qu’elle serait ma place, mais en tout cas j’aimerais
garder des contacts, par exemple connaître leur progéniture ! (rires) mais bon je sais pas
si… De toute façon je les connaîtrais au moins par mon ex mari.. » (Martine, G et NG.
CSP-). Martine est désireuse de maintenir le lien et ses beaux-fils également. D’ailleurs, ils
pourraient voir leurs demi-frère et demi-sœur chez leur père, or ils viennent également
chez Martine, on peut donc penser que c’est elle aussi qu’ils viennent voir.
L’enfant de la recomposition n’en est pas moins un facilitateur probable de la
pérennité du lien, autour de l’amour porté par chacun des acteurs à cet enfant. Ainsi même
Claudia, que j’imagine ne pas souhaiter un quelconque lien avec ses beaux-enfants, se dit
touchée de l’affection que sa belle-fille manifeste à sa fille : « elles jouent avec beaucoup
de fantaisie, d’amour aussi entre les deux sœurs, ça c’est sympa à voir ! Ça j’apprécie, je
dois le dire, » (Claudia, NG. CSP+).
Fanny, tout comme Arielle, souhaiterait le maintien d’un lien beau-parental dans
l’éventualité d’une séparation. Elle n’est toutefois pas sûre, que cela serait possible avec
65
ses deux plus jeunes beaux-enfants. Reprenant les propos de son compagnon : « il m’a dit
: tu es tellement proche des grands que ça changerait rien » […] mais les petits iraient
forcément avec leur maman, les grands pas, comme ils sont en conflit, mais qu’est ce qui
arriverait, qu’est ce qui arriverait ? Je ne reverrai peut-être plus jamais les petits,
pourtant ils vivent avec moi au quotidien une semaine sur deux » (Fanny, G. CSP+). Dans
ce cas, c’est la mauvaise relation avec la mère des enfants qui pourrait venir empêcher le
maintien d’un lien avec les plus jeunes de ses beaux-enfants.
Pour Arielle, c’est en quelque sorte, au possible maintien du couple beau-parental
au-delà de la rupture du couple qu’elle en appelle : « Je pense que oui, je l’élève quand
même et j’espère que l’on aurait lui et moi cette intelligence là... Pour elle » (Arielle,
G.CSP +).
Pour Armelle enfin, c’est davantage le lien fraternel qui est garanti en cas de
séparation. La seule certitude qu’elle ait, c’est que le lien serait gardé avec leur demi-sœur.
Ainsi sa fille relie chacun des « apparentés » (Martial, 2003 : 187) de la recomposition et
renforce ainsi la possibilité de maintenir un lien.
Les quatre belles-mères, qui ont gardé un lien avec leurs beaux-enfants ou le
souhaiteraient en cas de séparation, sont toutes gardiennes. Partager le quotidien permet
donc d’établir des relations qui s’inscrivent dans le temps. Il n’apparaît pas ici de
différences significatives selon les milieux sociaux, puisque deux belles-mères sont de
milieux modestes et deux de milieux sociaux plus favorisés.
3.2.3.2 Des liens qui cessent avec la fin de la maisonnée.
Flore, tout en étant, comme on l’a vu précédemment, dans un rôle nourricier
important avec ses beaux-enfants encore petits et qui vivent une semaine sur deux chez
elle, n’émet pas de velléité particulière quant à un maintien du lien en cas de rupture : « et
si on se séparait ? Ça j’y pense pas.. De toute façon j’crois pas ! Mais si ça arrive, alors là
j’sais pas du tout si on aurait des contacts avec les enfants. Ç’est bien compliqué quand
même ! Et pis j’vous l’ai dit, j’suis pas leur mère… » (Flore, G.CSP-). Flore ne peut
envisager une rupture de son couple, mais au-delà de cela, ce qui lui semble la norme c’est
que seule la mère est légitime à avoir un lien affectif avec les enfants. C’est un peu comme
66
si mère et belle-mère devaient co-exister pour les enfants le temps de la recomposition,
mais que l’une excluait forcément l’autre en cas de rupture de la deuxième maisonnée.
Marie, tout en partageant le quotidien de son beau-fils sur de longues périodes et
tout en disant souffrir de son indifférence à son égard, n’a pas, selon elle, établi de liens qui
pourraient être pérennes : « j’ai jamais pensé à cela ; sûrement pas dans un premier temps
non…c’est trop..trop vide entre nous… je sais pas si je pourrais et lui je pense pas..il
verrait son frère c’est tout.. » (Marie, G.CSP+).
Pour Jessica et Isabelle qui côtoient assez peu leurs beaux-enfants, sans avoir de
griefs particulier à leurs égards, il est entendu que rupture conjugale signifie rupture de la
relation beau-parentale : « si demain j’suis plus avec Didier, ça m’étonnerait de continuer
à les voir, c’est la vie ça ! » (Jessica NG.CSP-). Une forme de fatalisme est également
présente dans le discours d’Isabelle qui, elle, a connu la séparation d’avec son mari. Après
celle-ci, elle n’a pas gardé de contact avec ses beaux-enfants. Tous avaient jusque là une
relation difficile avec leur père et au moment de la rupture du couple : « ils se sont
retrouvés en m’excluant » dit-elle. Nathalie, avec laquelle elle avait un lien fort, a coupé
tout contact ; ce qu’Isabelle a vécu difficilement, mais elle n’a pas fait de démarches pour
la revoir : « avec Nathalie, que j’ai beaucoup aimé, je la tiens à l’écart parce que c’est
plus tranquille». Des autres, elle dit ne pas avoir envie de les revoir. A noter que cette
psychologue, prompte par sa profession à traquer les lapsus, en commet un de taille en
disant : «je n’ai pas envie de revoir mes ex-enfants ». La liberté de ton d’Isabelle traduisant
son positionnement en marge de la norme, m’amène plutôt à comprendre ce lapsus comme
la résurgence inconsciente de l’injonction faite à la belle-mère par la société de se
comporter en parent14. Elle ajoute : « c’est pas un contentieux ; si je les croisais, j’irai
gentiment vers eux, mais c’est plus ma vie… on enchaîne les vies » (Isabelle, NG.CSP+).
En enchaînant les vies, les vies amoureuses, les femmes pourraient-elles ainsi être amenées
à enchaîner les vies de belles-mères ? Les liens aux beaux-enfants seraient-ils, alors,
forcément temporaires ?
Karine rejoint Fanny quant à l’influence de la relation à la mère de sa belle-fille sur
une éventuelle pérennité du lien : « J’y pense je vous l’ai dit avec la donation et là c’est.. si
14
Rappelons que pour isabelle, la période de recomposition familiale remonte à vingt ans et que celle-ci a
pris fin il y a dix ans. C’est en me référant au contexte de l’époque que je fais cette interprétation de son
lapsus. En effet, les attentes de la société à l’égard des belles-mères se modifient. J’y reviendrai dans une
quatrième partie.
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il meure ! j’suis sûre alors, qu’elle sera téléguidée par sa mère.. alors non, ce sera la
rupture, mais sûrement dans la douleur. » (Karine, NG.CSP+).
Deux des belles-mères qui envisagent un scénario où les liens beaux-parentaux ne
résistent pas à la dissolution de la maisonnée ont la particularité d’être gardiennes. Ce
résultat vient donc minorer les conclusions du paragraphe précédent qu’il convient de
reformuler ainsi : partager le quotidien, c'est-à-dire être belle-mère gardienne, est un
élément nécessaire mais pas suffisant à ce que la relation beau-parentale s’envisage comme
pérenne. Une relation, tout juste existante, voire difficile, s’imagine difficilement comme
pouvant survivre à la séparation. Pourquoi la maintenir si elle n’est pas satisfaisante ? C’est
la question que soulève le cas de Marie.
Pour les trois autres, sans qu’il y ait de relations particulièrement difficiles, le lien
tissé, pendant les temps de vie partagée, n’a pas suffisamment de consistance pour résister
en cas de séparation. Ce qui viendrait conforter, en quelque sorte en négatif, l’importance
du temps partagé sur le possible établissement d’un lien qu’on pourrait vouloir résistant au
temps et aux aléas d’une séparation.
L’hypothèse d’une différence entre belles-mères gardiennes et non gardiennes est
vérifiée au regard de ce thème. Par contre on retrouve dans les deux groupes des bellesmères de milieux sociaux différents, l’hypothèse d’une partition selon les milieux sociaux
n’est donc pas, ici, pertinente.
Au terme de l’analyse sur les relations interpersonnelles, je peux conclure que la
différence de milieux sociaux est peu opérante et que l’hypothèse qui s’y réfère ne se
vérifie pas en ce qui concerne ces relations.
Par contre, l’hypothèse portant sur une place octroyée à la belle-mère qui diffèrerait
selon le mode de garde est, elle, pertinente. En effet, le partage du quotidien apparaît
majoritairement comme nécessaire à l’établissement d’un lien beau-parental de bonne
qualité. Toutefois, il apparaît également comme n’étant pas suffisant :
- La relation peut être d’emblée difficile ou le devenir et l’intimité partagée au
quotidien n’y change rien.
- Au contraire, le lien peut se renforcer lorsque la belle-mère a des enfants d’une
première union, que le fonctionnement familial se centre sur les enfants, et qu’elle est alors
68
incitée à traiter tous les enfants de la même façon et à aimer ceux de son partenaire comme
les siens.
Le paragraphe sur la possible pérennité de la relation beau-parentale vient
confirmer en tous points les conclusions précédentes. Lorsque la relation qui s’est établie
est bonne, les belles-mères l’imaginent comme pouvant perdurer, y compris dans
l’éventualité d’une rupture dans le couple, et lorsqu’elle est mauvaise, ou tout juste
existante, sa pérennité n’a pas lieu de s’envisager.
3.3 La gestion du quotidien.
Après mettre intéressée au type de liens qui s’établissent entre belle-mère et belenfant, je me propose d’étudier à présent ce qui se passe concrètement au sein de la
maisonnée, en ce qui concerne la prise en charge du quotidien, le soin et l’éducation
apportée aux enfants.
3.3.1 L’entretien matériel.
Sylvie Cadolle, à l’appui d’études menées en particulier par François de Singly et
Jean-Claude Kaufmann, nous indique que le travail ménager est majoritairement effectué
par les mères. « Dans le cadre de la répartition des tâches au sein du couple ; l’implication
du père seul ou du couple parental de façon égalitaire est beaucoup moins répandue même
si de plus en plus d’hommes partagent volontiers la confection des repas et s’occupent des
enfants quand ils sont là. » (2002 : 113). La division sexuée traditionnelle du travail
domestique conduit donc la mère à prendre en charge les tâches domestiques. Le “qui fait
quoi chez vous ?” présent dans ma grille d’entretien m’a permis d’aborder de façon
ouverte la question de l’entretien domestique et de percevoir si celui-ci se trouvait modifié
du fait de la recomposition familiale. Il s’agissait pour moi d’appréhender quelle
délégation était faite aux belles-mères de ce que Florence Weber appelle : « le souci, le
69
care, la prise en charge » (2005 : 143) et citant une de ses interviewées « les corvées
physiques/mentales du quotidien) » (Helena15).
Spontanément, plus de la moitié des belles-mères qui constituent l’échantillon
évoquent la charge supplémentaire que constitue la vie dans une famille recomposée. Il
s’agit de celles qui sont passées du statut de célibataire à celui de belle-mère gardienne, et
de celles qui ayant elles-mêmes des enfants, ont avec la nouvelle famille une famille très
nombreuse : « et surtout la contrainte c’est les courses ! Parce qu’il manque toujours
quelque chose, mais je peux le faire parce que j’ai le temps pour le faire » (Fanny, G. CSP
+) ; « rien qu’avec le linge c’est hyper contraignant, y en a partout, c’est l’horreur ! »
(Armelle, NG. CSP +).
Qu’est ce qui est pris en charge par une belle-mère ? Est ce que le père qui ne
reçoit ses enfants que le week-end participe spécifiquement aux tâches ménagères à ces
moments-là ? Lorsque les tâches sont partagées et que chacun a des enfants est-ce qu’ils
prennent en charge l’ensemble des enfants de la maisonnée ou pas ? Telles sont quelquesunes des questions que je vais explorer.
3.3.1.1. Des belles-mères impliquées dans la gestion du quotidien.
Arielle, célibataire sans enfant vivant à temps plein avec une belle-fille de 8 ans,
s’est très vite impliquée dans la prise en charge du quotidien de la maison toute entière :
« donc je me retrouve dans un rôle de belle-mère du jour au lendemain ! ». Belle-mère
gardienne, elle s’occupe de la maison, fait seule avec sa belle-fille, les achats de vêtements
que le père lui rembourse ensuite : « et de me laisser faire beaucoup plus de choses ! Parce
qu’il n’est plus tout seul, il a plus tout à assumer.. Alors, il peut rentrer tard, il peut se
mettre les pieds sous la table (Rires) » (Arielle, G. CSP+).
Karine, elle aussi sans enfant, a connu une courte période où seul son mari
s’occupait de sa fille qui la voyait, elle Karine, comme une étrangère Elle assume
maintenant une relation de maternage auprès de sa belle-fille, âgée de douze mois au
moment de la recomposition, sur des périodes relativement brèves et éloignées dans le
temps, Angélique ne venant qu’à l’occasion des vacances scolaires. Toutefois, pendant ces
15
Helena est une mère sans conjoint et sans emploi que Florence Weber a interviewée dans le cadre d’une
recherche dont les conclusions sont données dans son ouvrage de 2005.
70
vacances, elle s’occupe seule d’Angélique pendant que son mari travaille : « ah oui oui,
mais tout ça ça fait longtemps que c’est réglé, la toilette les vêtements. Parce que le truc
que je vous dis : qu’elle m’acceptait pas machin, c’était vraiment tout au début. » (Karine,
NG. CSP +).
Pour Armelle, dont la taille de la famille fluctue entre cinq et huit en fonction des
présences des uns et des autres, la participation des enfants est requise en fonction de leurs
âges et de leurs possibilités. Les deux membres du couple, qui ont vécu une période de
monoparentalité, se trouvaient tout d’abord enclins à prendre en charge tous deux les
tâches domestiques : « Au début on se retrouvait au même endroit, la machine à laver, la
cuisinière, au même moment ; il fait les courses, il est capable de faire à manger et il lui
arrive de le faire mais, avec l’achat de la maison et les travaux à réaliser on a recentré
nos compétences dans des domaines de compétences plus classiques ; à lui les travaux, à
moi l’intérieur » (Armelle, NG. CSP +). Une période de tâtonnement où chacun cherche
son rôle marque dans cette famille les débuts de la cohabitation : ne s’occuper que de ses
enfants ? Faire à tour de rôle pour tous sans distinction ? Le couple optera ensuite pour une
répartition traditionnelle des tâches qui conduira Armelle à assurer la prise en charge
matérielle de tous les enfants de la maisonnée.
Pour Fanny, cette prise en charge matérielle est revendiquée et s’accompagne d’une
volonté forte de former une famille heureuse. Récemment remise en couple (un an et
demi), c’est l’une de celles qui vante avec le plus d’enthousiasme les joies de la vie dans
une de ces « nouvelles tribus » pour reprendre le terme fréquemment usité par les
médias. « Je garde des moments pour moi mais je suis quand même très présente ! (dans
l’organisation du quotidien)[…] c’était ma priorité et, la cuisine, ils ont de la chance, c’est
une de mes passions.. Et de deux ils étaient plutôt habitués à manger du surgelé, du vite
fait, alors que moi j’adore faire la cuisine ». Fanny trouve ici matière à se valoriser,
soulignant de façon sous entendue les carences d’une mère peu encline à cuisiner. Le
compagnon de Fanny n’intervient, au quotidien, que pour les accompagnements des uns et
des autres pour leurs activités personnelles (sportives, apprentissage de la conduite,
rencontres des amis…). Thibault, chef d’entreprise, pourvoit à l’entretien de la famille.
Fanny a fortement réduit son activité professionnelle pour ne travailler que deux demijournées par semaine. Les revenus de cette famille leur permettent par ailleurs de faire
appel à une femme de ménage, l’entretien de la maison pèse donc moins sur son couple, et
71
sur Fanny en particulier, que pour les belles-mères de milieux moins favorisés. « Alors le
repassage, il y a une femme de ménage ici qui vient 2 fois par semaine pour le ménage, 2
fois 4H et 1 fois 4H pour le repassage, mais 4 H ne suffisent pas donc c’est moi qui fait en
moyenne, on va dire…, 1H30 de repassage » (Fanny, G.CSP+).
L’influence du milieu socioprofessionnel joue sans conteste sur la possibilité de se
faire aider ou non. Ainsi Martine, Jeanne et Flore, toutes trois de milieux plus modestes, ne
peuvent s’offrir les services d’une femme de ménage. Pour elles, la prise en charge de la
maison est plus lourde et vient s’ajouter, pour Martine et Jeanne, à une journée de travail.
Seul le conjoint de Jeanne participe. Il prend en charge une partie relativement importante
des tâches ménagères, en particulier l’entretien du linge, (ce qui pour l’époque - début des
années 1970 - était probablement assez rare). « Moi je les déposais à l’école, et souvent
Jean Paul quand il rentrait,, lui il était peintre en bâtiment, il faisait beaucoup d’intérim,
lui il récupérait les enfants, il les baignait il faisait à manger heu, bon à l’époque par
exemple on avait pas de machine à laver, c’est lui qui lavait le linge, enfin il participait
énormément et moi quand je rentrais et bien je faisais ce qui restait à faire … » (Jeanne,
G.CSP-).
Martine a vu son mode de vie transformé par la cohabitation avec Christian qui a
deux enfants alors qu’elle a vécu en célibataire sans enfants jusqu’à 32 ans : « ah ben oui,
quand même, moi j’avais une vie de célibataire avec mes loisirs, ma vie, que moi à
m’occuper et là je vivais avec un homme qui avait des enfants ». Elle endosse néanmoins
la charge de la maison avec philosophie et indulgence à l’égard de son conjoint : « il
s’occupait beaucoup des enfants quand il était là. Mais bon, il n’était pas souvent là ! Le
médecin, le dentiste ? Oh oui, c’était moi de toute façon qui gérait tout ça pour tous..
(Rires) » (Martine, G et NG. CSP-). Ses beaux-fils participaient à des compétitions, avaient
des entraînements chaque soir et il ne leur était rien demandé en termes d’aide ménagère.
Flore se montrera très laconique sur les questions du quotidien : « Là pour le
moment, comme il travaillait pas c’était chacun à tour de rôle ! » (Flore, G.CSP-). En
introduisant la temporalité et l’inactivité de son conjoint, elle signifie implicitement que
dans d’autres circonstances elle assumerait seule la charge de la maisonnée.
Ainsi, même lorsque le conjoint participe davantage aux tâches ménagères, les
discours restent marqués par le partage normé des tâches selon le genre : « Et ben Jean-
72
Paul avait son rôle de père, forcément et moi j’avais mon rôle de mère ! » (Jeanne, G.
CSP-). Il est également important de noter la difficulté que j’ai eu à aborder ce thème avec
certaines. Avec Jeanne qui se montrera agacée par des questions trop axées sur le quotidien
et avec Flore qui, elle, les évincera16.
La prise en charge matérielle de la maison ne se modifie pas véritablement dans une
famille recomposée. En effet, sept belles-mères sur onze prennent en charge l’entretien de
la maison même si elles le font en le justifiant de façons différentes et si cette charge est
plus ou moins lourde selon la taille des familles et selon le milieu socioprofessionnel
d’appartenance. Les belles-mères gardiennes, en particulier, endossent de façon quasi
obligatoire le rôle traditionnellement dévolu à la femme, puisque cinq belles mères
gardiennes sur six prennent en charge l’entretien de la maison, ceci indépendamment du
fait qu’elles travaillent ou non. Excepté peut-être pour Jeanne, le père, lorsqu’il est gardien,
délègue la prise en charge de ses enfants à sa nouvelle compagne, même lorsque celle-ci
n’a pas elle-même d’enfant ce qui est le cas d’Arielle.
3.3.1.2. Une prise en charge matérielle limitée et ciblée : le cas de
Marie.
Marie, belle-mère gardienne a du modifier le rôle tenu auprès de son beau-fils :
« dès le départ, je me suis mise dans une situation de mère, plutôt…, de mère (en appuyant
chaque syllabe) et pas de belle-mère ». Elle a été échaudée par l’indifférence de son beaufils et surtout par le refus que lui a opposé la psychologue qui le voyait régulièrement, de la
recevoir, elle, en entretien : « ç’a été comme un électrochoc et j’ai décidé de ne plus
m’occuper d’aucun rendez-vous pour Julien ! (Le ton est bas assez déprimé). Depuis je
laisse mon mari s’en occuper ! » Elle modifiera donc son attitude pour ne plus assurer que
le minimum : les repas et l’entretien du linge : « alors je cuisine, le linge, je le lave, je le
sèche. Pour le reste on a une femme de ménage qui vient 5 heures par semaine. Mon mari,
16
Avec Flore Il n’était pas question d’explorer plus concrètement ce qu’il en était des charges matérielles du
quotidien. Comme je l’expliquais dans le mémoire exploratoire de licence, je me suis au cours de cet
entretien fantasmatiquement vécu en tant qu’assistante sociale exerçant le contrôle social et me suis dès lors
censurée dans certaines relances qui aurait pu être utiles. Je pré-sentais sa réticence à aborder ces questions et
de mon coté lui demander ce qu’était que s’occuper d’une maison ou d’enfants représentait une violence
dont j’ai été incapable.
73
il s’occupe de l’extérieur et puis il fait des trucs avec les garçons c’est plutôt lui qui les
emmène à la piscine ou qui leur explique je sais pas moi comment vit tel peuple ou la
nature…ou les apprend à jouer aux échecs ou au tarot… ». Le recul pris par rapport à
Julien est net. Elle n’a plus un rôle parental mais un rôle qui s’apparente davantage à la
responsabilité que peut avoir n’importe quel adulte dès lors qu’il est en relation avec un
enfant17 : « maintenant.. C’est un peu comme si j’emmenais un copain de Nathan avec
nous…. c’est à dire que je veille sur lui mais pas dans une position de mère » (Marie,
G.CSP+).
Les situations précédentes démontrent combien la norme qui veut que la femme
s’occupe de l’entretien matériel de la maison et des enfants reste prégnante. Marie n’y a
pas échappé dans les premières années où elle avait auprès de Julien un rôle qui d’ailleurs
correspondait à son idéal premier : « Ben voilà Julien est là, je m’en occupe comme de
Nathan, je fais la même chose pour tout le monde à tout point de vue, et puis j’ai vécu
comme ça pendant, pendant un moment 4 ans ! Non ! Pendant 2 ans » (Marie, G.CSP+).
Par la suite, il s’est alors agi d’un renoncement à occuper ce rôle plutôt que d’une volonté
affirmée de ne pas avoir ce rôle. Marie, qui pensait prendre en charge son bel-enfant et
adopter un comportement maternel, y a renoncé du fait de l’indifférence marquée de Julien
à son égard et de l’attitude de la psychologue qui lui a fait prendre conscience de la place
qu’elle occupait.
Cet exemple confirme que le rôle pris par le beau-parent n’est pas statique, qu’il
peut se modifier au cours du temps. La mauvaise qualité de la relation au bel-enfant peut
venir empêcher l’inscription dans un rôle maternel, comme pour Marie, ou au contraire,
l’amélioration de la relation peut permettre une inscription dans ce rôle, comme nous
l’avons vu pour Karine. La qualité de la relation avec le bel-enfant influe donc directement
sur la nature de l’investissement relationnel de la belle-mère. On peut y voir le caractère
électif de la relation beau-parentale. La belle-mère se différenciant de la mère par les
fluctuations qu’elle peut opérer dans son investissement auprès de l’enfant. Pour les
parents il n’y a pas ce caractère électif de la relation mais quelque chose de plus immuable
dans l’attention à porter à l’enfant.
17
Le cas de Marie montre bien l’évolution de la société par rapport au rôle de la belle-mère. J’y reviendrai
dans la quatrième partie.
74
3.3.1.3. Le maintien à distance.
Trois belles-mères se distinguent en ce qu’elles s’abstiennent de l’entretien matériel
lié à leurs beaux-enfants. Quelles particularités ont-elles ?
Isabelle est peu représentative puisque ses beaux-enfants ne viennent que pour des
visites. L’aspect matériel de la prise en charge est donc réduit à une part congrue.
Claudia n’intervient pas dans la prise en charge quotidienne de ses beaux-enfants
lorsqu’ils viennent en week-end : « Olivier fait tout quand ils sont là « laisse, laisse reste
assis ! » (Elle soupire). C'est-à-dire que c’est lui qui cuisine quand ils sont là ? Oui, oui,
mais c’est exprès il fait des courses ce qu’ils aiment ! Parfois, pas toujours ça m’énerve !
(Rires). ». Le compagnon de Claudia s’occupe de tout ce qui concerne le matériel de ses
deux enfants. Craignant qu’ils ne veuillent plus venir, conscient de la relation difficile
entre Claudia et ses enfants, il compense par des petits plats et des attentions qui leur sont
destinés. Claudia vit mal cette attitude de son compagnon qui, selon elle, en fait plus pour
ses deux premiers enfants que pour elle et leur fille commune. Elle a opté pour une
position de repli : « Moi je m’occupe de ma fille c’est tout » (Claudia, NG.CSP+).
Jessica, quant à elle, va plus loin dans l’abstention en revendiquant une nonimplication dans le quotidien de ses belles-filles : « mais moi Didier j’l’avais prévenu, ses
filles c’était pas mon problème j’ai mis mes conditions : je m’en occuperai pas ! Il a dit oui
et on s’est installé ensemble […] quand elles venaient c’était la journée et c’est lui qui
faisait tout : la cuisine, le bain des filles… moi je vivais à coté d’eux.. ». Jessica ne se
considère pas comme une belle-mère alors qu’elle vit avec son compagnon depuis déjà six
ans. « Et par rapport à vos belles-filles ? Ah c’est drôle (songeuse) j’dis jamais ça moi,
j’dis toujours : les filles de Didier ou Cyndie et Léa… j’ai pas vraiment imprimé ! (Rires)..
Vous devez vous dire que je suis une horreur pour ces deux là ! ? » Pour Jessica, la priorité
est donnée à son épanouissement personnel, la pratique de loisirs choisis et pratiqués en
solitaire, sa relation amoureuse ne doit pas se trouver contrariée par la présence de ses
belles-filles. Si Jessica ne se vit pas comme une belle-mère, elle dit aussi ne pas vouloir
être mère : « Nous on était 10 à la maison et j’suis la deuxième après un garçon. Alors les
couches, les biberons, les pleurs, la mère qui m’envoyait à la coop chercher du lait et du
vin à crédit, la honte quoi ! Ça j’m’étais juré que jamais plus […] j’lui disais : j’veux pas
de tes filles » (Jessica, NG.CSP-).
75
Il apparaît nettement, que les seules qui peuvent se permettre cette mise à distance
ne sont pas gardiennes, mais les raisons de l’abstention sont hétérogènes. Dans le cas de
Claudia, son conjoint ne délègue rien concernant ses enfants. Peut-être, parce qu’il est
désireux que leur présence ne pèse pas à sa compagne au niveau matériel alors qu’il perçoit
la réserve de celle-ci à leur égard. Pour Jessica l’abstention est revendiquée. Issue d’une
famille nombreuse, elle refuse la contrainte de certaines tâches de maternage qu’elle a
effectuées auprès de ses frères et sœurs plus jeunes.
Je peux en conclusion de ce chapitre, affirmer que la prise en charge des tâches de
maternage est, dans les familles recomposées comme dans toute famille, liée au genre.
Cette importance du genre prévaut visiblement sur une partition qui dépendrait du mode de
garde, puisque aux belles-mères gardiennes et non gardiennes revient majoritairement la
prise en charge de l’entretien matériel. On peut toutefois relever une influence du mode de
garde lorsque l’abstention est totale, puisque celle-ci est alors exclusivement le fait de
belles-mères non gardiennes. Qu’elles aient ou non des enfants n’influe pas de façon
déterminante et le milieu social d’appartenance ne parait pas non plus un indicateur
pertinent.
3.3.2. La relation éducative.
Comme je viens de le démontrer, les trois quarts des belles-mères que j’ai
interviewées assurent l’entretien matériel de leurs beaux-enfants, qu’elles aient ou non des
enfants elles-mêmes. Il s’agit de prendre en charge la maisonnée dans son ensemble de
façon somme toute assez traditionnelle.
Je vais maintenant m’intéresser à la relation éducative. Est-ce que la belle-mère
participe au suivi scolaire ? Est-ce qu’elle pose des règles ? Est ce qu’elle partage des
loisirs avec son bel-enfant ? Sylvie Cadolle nous dit « l’une des attentes sociales les plus
importantes aujourd’hui vis à vis des parents concerne le suivi scolaire des enfants […]
les femmes fournissent un suivi quotidien très prenant, alors que les hommes
n’interviennent que ponctuellement et à la demande » (2000 : 109).
76
Explorant les entretiens réalisés autour du thème de l’éducation, il est apparu assez
nettement que les interviewées hiérarchisaient différemment les formes prises par la
relation éducative lorsque celle-ci était présente. Que celle-ci soit préférentiellement
évoquée au travers de l’aide aux devoirs, du partage de loisirs ou de l’exercice d’une
autorité. C’est ce que je vais tenter de montrer et pour ce faire, il me semble pertinent de
référer à nouveau au concept d’habitus développé par Pierre Bourdieu.
Avant de passer à l’analyse proprement dite, je propose donc au lecteur une parenthèse
théorique sur le concept d’habitus.
Pierre Bourdieu énonce que l’individu, même s’il a une responsabilité, est défini en grande
partie dans ses possibilités et ses impossibilités par la structure dans laquelle il est placé
ainsi que par la position qu’il occupe dans cette structure.
Pierre Bourdieu dit, parlant de l’individu (qui pour lui est un agent) : « qu’il est à la façon
d’un électron, l’expression d’un champ. On ne comprend rien si on ne comprend pas le
champ qui le produit » (1996b : 63). Ce champ d’appartenance étant naturellement pris
lui-même dans l’espace social. Etudiant les relations entre structures sociales et structures
mentales, il introduit le concept d’habitus.
Pour Pierre Bourdieu, l’habitus se définit comme : « un système de dispositions durables et
transposables, structures structurées disposées à fonctionner comme structures
structurantes, c'est-à-dire en tant que principes générateurs et organisateurs de pratiques
et de représentations qui peuvent être objectivement adaptées à leur but sans supposer de
visée consciente de fins et de maîtrise expresse des opérations nécessaires pour les
atteindre. » (1980 : 88-89). L’habitus constituant, en quelque sorte, le point ultime de
l’intégration des contraintes sociales qui font qu’on les prend pour des éléments de liberté.
L’habitus est, une histoire faite corps, incorporée, dont l’inscription se retrouve dans tout
ce que l’individu est : son corps, son cerveau, sa façon de s’exprimer, son accent, ses
gestes…
L’habitus c’est cet ensemble de capacités, d’habitudes et de marqueurs corporels qui
forment l’individu par le fait d’inculquer une façon d’être, propre à son milieu. C’est le
produit d’un apprentissage devenu non conscient, intégré, qui se traduit ensuite par une
aptitude apparemment naturelle à évoluer librement dans son milieu. L’habitus est le social
incorporé. A chaque position sociale correspond un habitus de classe. Les habitus sont
77
alors des schèmes classificateurs, des principes de division. Un même comportement peut
alors sembler distingué à quelqu’un, prétentieux à un autre ou bien encore vulgaire à un
troisième. L’habitus d’un individu sera donc en grande partie ce qui déterminera son
jugement et ses réactions face à l’autre. Les différenciations symboliques qu’il opérera
selon son habitus constitueront un véritable langage auquel il serait intéressant d’avoir
accès.
La question qui se pose alors est : en quoi est ce que cet habitus se constitue en aliénation à
son propre milieu, aliénation non consciente qui détermine pour partie sa conduite ? Selon
Pierre Bourdieu en effet l’individu participe à la reproduction de la marque que le social et
la domination symbolique ont inscrite en lui.
3.3.2.1. Education scolaire et participation de la belle-mère.
Au regard de notre échantillon, les comportements d’éducation scolaire n’apparaissent pas
homogènes.
Ainsi, Jeanne ne fait pas référence à une aide aux devoirs apportée à ses beauxenfants. Par contre, elle endosse une responsabilité parentale en se rendant aux réunions à
l’école. Elle est la seule de l’échantillon à prendre cette place : « et les réunions parents –
professeurs ? Y’avait pas de problème j’y allais, je venais comme maman à part entière ».
Jeanne se trouve dans une totale substitution à la mère absente, mais l’institution scolaire
lui renverra la réalité biologique : « je reçois un coup de tel du principal qui me dit.. euh
j’avais marqué Jeanne en tant que mère et bien sur là, la filiation était pas bonne. Ils
avaient demandé une fiche d’état civil. C’était un problème ça l’école, voyez c’étaient des
détails comme ça qui de temps en temps nous rappelaient… » (Jeanne, G. CSP -).
Martine, gardienne d’un de ses beaux fils, ne se rend pas aux réunions à l’école.
Elle estime que cela ne lui revient pas et ne le souhaite pas. Ainsi, elle dit aussi ne pas
avoir pris part aux décisions d’orientation invoquant que cela revenait aux parents et que
cela avait été rendu possible par une bonne entente parentale. La scolarité est toutefois
quelque chose qui apparaît comme important. Elle occupe une place reconnue auprès du
beau-fils qui partage sa vie et dont elle surveille les notes : « Il faisait ses devoirs sur la
table de la cuisine, le plus souvent avec des copains… ils s’aidaient quoi ». « Moi je faisais
78
attention à leurs notes et au carnet surtout pour Jeremy, et puis leur père il montait vite en
cas de mauvaise note.. » (Martine, G et NG. CSP -).
Flore a des beaux-enfants qui ne sont pas en âge d’avoir des devoirs, il ne m’est
donc pas possible d’évaluer le rôle qu’elle occuperait dans l’aide aux devoirs. Pour ses
enfants, elle préfère les inscrire à l’étude ne s’estimant pas en véritable capacité de les
aider. Elle paye l’étude pour que ceux-ci aient une véritable aide aux devoirs. « J’ai
toujours mis mes enfants à l’étude, moi-même si j’aimais bien l’école j’ai peur de me
tromper » (Flore, G et CSP -).
Pour Martine et Flore qui appartiennent à un milieu modeste, le rapport à l’école
peut être interrogé. Si pour elles, l’école, les résultats scolaires, sont importants, elles ne
disposent pas du capital culturel suffisant, selon elles, pour s’impliquer personnellement
dans l’aide aux devoirs.
En revanche, Fanny et Arielle ont une part active dans l’aide aux devoirs. Et en
cela, leurs habitus influent différemment que pour Martine et Flore.
Pour Arielle : « la confiance aussi qu’elle me donne par rapport à ses devoirs !euh
ça c’est important, elle préfère même les faire avec moi plutôt qu’avec son père. Ça
s’explique, son père n’est pas patient, il monte plus vite sur ses chevaux, que moi je vais
être plus calme, plus posée, euh j’aborde plus facilement les choses avec elle ! … »
(Arielle, G. CSP +)
Pour Fanny : « et pour les devoirs ? Les ¾ du temps c’est moi qui m’en occupe. Les
deux soirs où je travaille c’est lui, mais sinon c’est moi ! » (Fanny, G. CSP +). Elle
évoquera aussi l’aide apportée à son beau fils aîné pour écrire une lettre de motivation à
l’entrée dans une grande école, se montrant ainsi intéressée par son orientation.
Arielle et Fanny, belles-mères gardiennes, assurent ainsi un rôle traditionnellement
dévolu aux femmes comme nous l’a montré précédemment Sylvie Cadolle. Mais leur
capital culturel peut aussi expliquer le statut de “personne ressource” en termes d’aide
scolaire qui leur est octroyé. Leur habitus leur confère aussi probablement une grande
sensibilité à l’égard des enjeux sociaux que revêt la scolarité de leur bel enfant.
Il est possible de constater que la relation éducative est essentiellement axée sur
l’école pour la majorité des belles-mères gardiennes. Seulement, elle prend des formes
79
diverses selon les milieux sociaux, allant d’une simple attention aux notes à une véritable
aide aux devoirs.
Il arrive aussi que les belles-mères n’interviennent que peu auprès de leurs beauxenfants sur ces questions, ou alors en y étant contraintes, alors même que la scolarité
apparaît dans le discours comme quelque chose de fortement valorisée.
Prenons le cas de Marie qui jusqu’à ce qu’elle décide de ne plus intervenir dans le
quotidien de Julien, aidait davantage son beau-fils qu’elle ne le faisait pour son fils car il
rencontrait des difficultés scolaires. Elle dit : « avant oui c’était 3mn avec Nathan et 1
heure avec Julien dans les cris les larmes et la douleur et j’avais pas envie que nos
relations soient basées là-dessus. En même temps, c’était une période où son père était
moins dispo ! Alors il fallait bien que quelqu’un s’en charge, mais y avait une vraie
résistance… » (Marie, G. CSP +). Par le : « il fallait bien », elle exprime que pour elle il y
a une obligation parentale à participer à la réussite scolaire des enfants. Puisque son mari
est indisponible, cette tâche lui revient, même si c’est au prix de tensions avec Julien dont
elle voulait pourtant se préserver.
Certaines belles-mères de milieux moins favorisés délèguent aux instances
périscolaires telles que l’étude, le soin de veiller aux devoirs.
Claudia intervient très peu dans l’aide aux devoirs. D’une part elle n’accueille ses
beaux-enfants que sur des temps de week-ends et, ayant des activités sportives régulières,
ils font peu leurs devoirs chez leur père. D’autre part, voyant peu ses enfants, Olivier
cherche à éviter les activités qui pourraient être source de conflit. La mère garde donc la
primauté dans ce domaine. Claudia aurait souhaité qu’ils fassent allemand deuxième
langue, sa langue maternelle : « j’aurais trouvé ça super qu’ils prennent l’allemand,
comme ça j’aurais pu les aider, ça m‘aurait fait plaisir en plus ». Aucun des deux n’a
choisi l’allemand. En choisissant l’espagnol ils maintiennent la distance à Claudia là où
l’allemand aurait pu marquer un possible rapprochement. Elle en a été déçue car elle
pensait aussi participer ainsi à leur enrichissement culturel et se faire reconnaître. Elle
considère ne pas avoir été comprise par son compagnon qui a justifié l’attitude de ses
enfants par : « c’est rien contre toi parce que l’allemand il est compliqué ! […] leur mère
elle a appris aussi l’espagnol…mais moi je le sens contre moi ! » Ne se sentant pas
légitime à intervenir en ce domaine, ni auprès de ses beaux-enfants, ni de son compagnon,
80
Claudia s’est délibérément mise en retrait : « c’est rare qu’ils demandent, ça nous est
arrivé que j’aide un peu comme ça.. mais c’est vrai qu’après toutes ces années je cherche
pas trop ! Parce que y a pas une résonance, y a pas un sentiment » (NG SCP +).
L’importance du lien s’exprime ici avec beaucoup d’acuité.
A l’aune de ces deux exemples, il est possible de questionner si l’habitus de classe
qui porte naturellement Marie et Claudia à valoriser la scolarité ne se trouve pas contrarié
par la mauvaise relation beau-parentale. Comme l’a démontré le chapitre consacré aux
relations interpersonnelles, cette dernière apparaît de façon récurrente comme un élément
capable de minorer l’influence de l’une ou l’autre des hypothèses posées.
3.3.2.2Une relation éducative liée aux loisirs.
Deux belles-mères qui ne se reconnaissent aucun rôle en terme d’éducation scolaire
mettent par contre l’accent sur les loisirs partagés ou qu’elles aimeraient partager avec
leurs beaux-enfants.
Armelle va à la piscine et au cinéma avec enfants et beaux-enfants. Elle considère
qu’elle a aussi à cuisiner avec eux, leur apprendre la pâtisserie. Autant d’activités qu’elle
leur propose régulièrement : « même seule avec eux, bon il faut dire que les samedi je suis
seule avec eux, mon ami travaille » (NG. CSP +).
Pour Isabelle (NG. CSP+) la relation éducative se doit de procurer une certaine
ouverture culturelle aux enfants. Elle entraîne, donc, toute la famille, dans des sorties
culturelles alors que son mari se contenterait de rester à la maison.
Là où la relation éducative des belles-mères gardiennes est surtout centrée sur
l’école, Armelle et Isabelle, toutes deux non gardiennes, privilégient les activités de loisirs.
Tout comme les pères non gardiens délaissent les devoirs au profit d’activités ludiques
avec leurs enfants qu’ils ne voient que le temps d’un week-end, il est possible que les
belles-mères non gardiennes privilégient le domaine des loisirs et se sentent moins
concernées par le domaine de la scolarité qui resterait alors le domaine de la mère.
Néanmoins, les activités de loisirs ne sont pas exclusivement le domaine des belles-mères
non gardiennes. Flore et Martine ont ainsi évoqué cet aspect de la relation éducative.
81
Pour Martine (G et NG.CSP-) les activités de loisirs sont valorisées mais elles ne
sont pas partagées, les enfants pratiquent un sport de compétition, donc seuls.
Pour Flore, les loisirs partagés c’est : « oui on fait les choses ensemble, tous
ensemble […] et nos loisirs c’est les promenades, c’qui coute rien, vous voyez. » (G.CSP-).
Au travers de ces situations, il est possible de relever l’influence des différentes
catégories socioprofessionnelles sur les loisirs qui sont pratiqués. Aux belles-mères de
milieux favorisés, des activités partagées, plutôt culturelles, tournées vers l’extérieur et qui
ont un coût. Aux belles-mères de milieux plus modestes soit des activités partagées mais
qui ne coûtent rien soit des activités payantes, plutôt sportives mais que l’enfant pratique
seul.
3.3.2.3. l’exercice de l’autorité, un domaine réservé aux parents ?
« Tenir un rôle parental avec succès implique pour le beau-parent que les
interventions éducatives soient acceptées et efficaces donc qu’il y ait autorité sur
l’enfant. » nous dit Sylvie Cadolle (2000 : 115). Qu’en est-il donc pour les belles-mères
que j’ai interviewées ?
Seules deux belles-mères disent exercer une autorité sur leurs beaux-enfants :
Jeanne (G. CSP -) dit exercer véritablement une autorité qui, dans la logique de
substitution où elle se trouve, est comparable à celle d’une mère. Elle a donné une
éducation à ses beaux-enfants que ceux-ci n’ont pas contestée, acceptant ses interventions
comme celles d’une mère.
Flore : « je pense que les petits me craignent un peu plus que leur papa, parce que
justement je suis extérieure… enfin j’suis pas leur maman quoi, j’crois que ça doit jouer un
peu plus parce que ils me craignent un ptit peu plus que leur papa quoi. » (G.CSP-). Dans
l’enquête précitée, Irène Théry fait de l’autorité un attribut de la parenté biologique, ce que
neuf belles-mères de mon échantillon semblent illustrer par leurs témoignages (Cadolle,
2000 : 108). Flore dénote donc, en affirmant qu’il est plus facile à l’adulte non parent
d’exercer l’autorité.
82
Une majorité de belles-mères s’abstient d’intervenir :
Pour trois des belles-mères rencontrées qui sont également celles qui s’abstiennent
dans la prise en charge du quotidien de leurs beaux enfants et qui, rappelons le, sont non
gardiennes la question d’un possible exercice d’une autorité est sans objet : Isabelle (NG.
CSP +) et Jessica (NG CSP -) vivent davantage leurs beaux-enfants comme des invités leur
rendant plus ou moins souvent visite. Claudia est ignorée d’eux, ils ne s’adressent qu’à leur
père.
Pour quatre autres, la seule revendication en matière d’autorité concerne
éventuellement le respect des règles de vie propres à la maisonnée. En effet dans la
majorité des cas l’autorité est énoncée comme le domaine des parents. Ainsi Martine
évoque la difficulté rencontrée avec son deuxième beau-fils qui vient occasionnellement et
qui, lorsqu’elle pose une règle, lui répond : « mais t’es pas ma mère gnan gnan…. ».
Malgré tout, il existe des règles de vie propre à cette maisonnée qui ne sont peut-être pas
les mêmes chez sa mère mais qu’elle entend faire respecter : « je sais bien que j’suis pas ta
mère, je veux pas prendre la place de ta mère, mais t’es là, tu viens ici, tu te plies à
certaines règles, ça me parait logique ! ». Pour Martine, partager le quotidien à temps
complet facilite l’exercice de l’autorité : « disons que j’avais sûrement plus d’autorité avec
Jérémie le grand, qu’avec Aurélien qui venait occasionnellement. Et puis je voulais pas
non plus faire preuve de .. ( silence) d’autorité entre guillemet. Parce que déjà il avait du
mal à… c’était dur pour lui. Donc je laissais son père, en général, gérer s’il y avait un
souci hein. » (Martine, G et NG. CSP -). Armelle (NG. CSP+) et Karine (NG. CSP +)
adoptent un comportement similaire. Elles se sentent en décalage avec l’éducation donnée
par la mère de leurs beaux-enfants et ne cherchent pas à exercer une autorité, ou plus
précisément elles se limitent tout comme Martine à veiller aux respects des règles de la
maison. Pour Marie enfin (G. CSP +), au-delà de la légitimité, il y a quelque chose qui fait
obstacle à l’exercice de cette autorité, qui, au contraire s’exerce naturellement avec ses
propres enfants. Selon elle, l’exercice de l’autorité est un attribut dont la nature est liée à
la parenté biologique. Rien n’est dit par ces quatre belles mères sur la position du père, qui
autorise ou non l’exercice de l’autorité par la belle-mère.
Pour les deux dernières, même si le père apparaît comme prêt à déléguer tout ou
partie d’une autorité parentale, l’exercice de cette autorité est délaissée au profit d’une
83
relation davantage marquée par la complicité et l’écoute, à l’instar de ce que Sylvie
Cadolle évoque faisant référence à une enquête d’Irène Théry et M.J. Dhavernas en 1991 «
de nombreux beaux-parents font état d’une absence de légitimité dans l’exercice de
l’autorité qui les conduirait à ne pas chercher à s’imposer, mais à utiliser l’humour ou
l’écoute, dans la relation avec leurs beaux-enfants. » (Cadolle, 2000 : 118).
Malgré la position de son compagnon qui lui reconnaît une possible autorité :
« Thibault a toujours dit à ses enfants : si Fanny vous dit quelque chose, vous faites ce que
vous dit Fanny » ou peut-être parce qu’elle sait qu’elle ne serait pas contestée par Thibault,
Fanny privilégie un rôle de confidente et de conseil auprès de ses beaux-enfants. Elle dit
de Caroline : « elle se livre avec moi… on est complice » et de Matthieu : « il me demande
très souvent mon avis » (G. CSP +).
Arielle affirme la primauté du père dans l’exercice de l’autorité et la place seconde
qu’elle occupe18 : « moi je me rallie après, à l’autorité parentale[…] il faut demander à
papa, moi je suis rien pour toi, donc tout ce qu’on dit, ce qu’on fait toutes les deux, j’en
informe papa pour pas qu’il me le reproche un jour » (G. CSP +).
Majoritairement, il y a consensus sur le fait que l’exercice de l’autorité est un
domaine réservé au parent biologique. J’ai pu observer le caractère réfléchi et volontaire de
la posture occupée vis-à-vis de l’exercice de l’autorité, mais la grande prudence observée
par la majorité des belles-mères, qu’elles soient gardiennes ou non et quelque soit leur
milieu social d’appartenance, ne me permet pas de vérifier mes hypothèses de travail à
l’analyse de ce thème. Tout juste m’est il possible de relever que les deux belles-mères qui
disent avoir une autorité sont de milieux modestes et que l’une d’elle est dans la
substitution et ne se pose donc pas la question de la parenté biologique.
A ce stade de l’analyse, il est possible de conclure que milieu socioprofessionnel et
mode de garde influent tous deux sur la forme prise par la relation éducative en excluant
toutefois l’exercice d’une autorité parentale.
L’influence du mode de garde est toutefois prépondérante. En effet, cinq belles-mères
gardiennes sur six ont une relation éducative centrée sur la scolarité, démontrant que le
suivi de la scolarité est plutôt dévolu au foyer gardien.
18
Je tenterai dans un chapitre sur le droit d’évaluer si le renforcement de l’autorité parentale
réaffirmée par la loi de 2002 peut éclairer ce positionnement.
84
Le capital culturel et l’habitus interviennent ensuite, selon les milieux sociaux dans
la forme que prend ce suivi qui revient aux belles-mères :
- Les belles-mères de milieux modestes ayant fait peu d’études portent une
attention aux résultats et au comportement à l’école sans aide véritable aux devoirs.
- Dans les milieux plus favorisés l’investissement est fort, il se traduit par une aide
aux devoirs et se trouve lié à un enjeu important en terme de réussite sociale.
L’importance du mode de garde sur l’instauration d’une relation éducative se
trouve confirmée puisque deux belles-mères, sur les trois qui affirment ne pas avoir de
relations éducatives, (Claudia et Jessica) sont non gardiennes et que la troisième (Marie) si
elle n’a plus cette relation l’a eu au début de la cohabitation.
L’importance de ce même mode de garde sur le type de relation éducative qui
s’instaure est démontrée puisque les trois belles-mères qui mettent en avant le rôle qu’elles
occupent dans les loisirs de leurs beaux-enfants sont non gardiennes alors que les
gardiennes parlent davantage de la relation éducative en terme de scolarité.
En ce qui concerne l’autorité, si quelques velléités se repèrent, elles ne peuvent être
assimilées à une autorité parentale. Elles concernent essentiellement l’imposition de règles
de vie interne à la maisonnée mais ne vont pas au-delà, les belles-mères renvoyant le plus
souvent au père.
3.3.3. L’argent ou qui paye quoi pour qui ?
Après avoir étudié les pratiques domestiques et éducatives des belles-mères à
l’égard de leurs beaux-enfants, il apparaît utile de s’intéresser aux comportements ayant
trait à l’argent du ménage. A quelles dynamiques répondent les divers comportements et
répondent-ils à des logiques semblables à celles qui viennent d’être relevées ?
Agnès Martial nous rappelle les études de Didier Le Gall et Claude Martin qui dans
les années 90 portaient sur ce thème et indiquaient deux logiques familiales qui trouvaient
leur traduction dans la gestion du budget : « soit celui-ci (le foyer), pensé comme une
famille, est le lieu d’un investissement désintéressé, sans qu’il soit tenu compte des
différentes origines des enfants qui y vivent, soit cette cohabitation se fait dans une logique
“comptable” où chacun assume la responsabilité de son enfant. » (2003 : 171). Les cas,
sur lesquels s’appuient les études de D. Le Gall et C. Martin mais aussi celle d’A. Martial,
85
sont pratiquement exclusivement ceux de beaux-pères gardiens. Or, si le beau-père reste
classiquement associé à la figure d’un pourvoyeur de revenus, la belle-mère a longtemps
été vue comme une marâtre pouvant se montrer financièrement intéressée et capable de
spolier les enfants de son conjoint.
J’ai, pour ma part, également trouvé une distinction dans la gestion de l’argent : on
ne compte pas ou au contraire on applique une logique comptable. J’ai abordé ce point par
une question directe sur : « qui paye quoi, pour qui, chez vous ? ». La totalité des bellesmères rencontrées (à l’exception de Jeanne) ont un fonctionnement où chacun des
conjoints a son propre compte en banque et éventuellement un compte commun pour les
dépenses courantes occasionnées par la vie familiale. Par ailleurs, aucune des belles-mères
rencontrées n’est sans ressources propres. Dix travaillent, même si l’une a une activité très
réduite, la dernière est en congé parental et s’apprête à retravailler.
3.3.3.1 Une absence de comptabilité.
Six belles-mères, dont quatre n’ont pourtant pas de compte joint avec leur
compagnon, affirment “ne pas compter”.
Pour Fanny : « non, en fait, comment dire on a toujours dit qu’on en parlerait et on
en a jamais parlé ! Moi, je suis quelqu’un qui n’aime pas parler d’argent et Thibault non
plus. Et ça se passe Voilà, mais on compte pas ! » (Fanny, G.CSP +).
Ou pour Marie : « on a pas de compte commun et chacun paye certaines factures
et bon ça va, mais c’est vrai qu’on se pose pas trop de questions là-dessus car on peut ne
pas s’en poser, on a les moyens de ne pas s’en poser » (Marie, G.CSP +). Marie dit ne pas
compter aussi parce que n’ayant aucun souci financier. Toutefois le milieu social ne paraît
pas influer sur le fait de ne pas tenir de comptabilité. En effet, Flore, qui dispose de
moyens plus modestes, ne tient pas non plus de comptes : « Admettons que c’est moi qui le
paye et ben lui il va compenser par autre chose quoi » (Flore, G.CSP-).
On est là dans une logique familiale où les deux membres du couple participent
financièrement à l’entretien de l’ensemble de la maisonnée. Les belles-mères ayant cette
caractéristique se trouvent être celles dont la nouvelle famille est prioritairement centrée
sur l’enfant et sur la relation de parentalité.
86
Elles sont majoritairement gardiennes (cinq sur six) et se répartissent égalitairement
entre milieux modestes et milieux favorisés. Quatre avaient des enfants avant la
recomposition et les deux autres sont devenues mères. Les familles où il n’est pas tenu de
compte sont donc majoritairement des familles à belles-mères gardiennes, mères et de tous
milieux socioprofessionnels.
3.3.3.2 Des comptes bien tenus.
Quatre belles-mères appliquent au contraire une logique comptable stricte. Les
raisons qui en sont données diffèrent toutefois.
Pour Arielle, elle-même sans enfant, il va de soi que son compagnon finance seul
les dépenses spécifiques à l’entretien de sa fille : « ah c’est lui qui finance, c’est moi qui
choisis. Parce que là il a pas de patience.. » (Arielle, G. CSP +).
Karine veut surtout se prémunir. Elle anticipe l’avenir et le danger que pourrait
représenter l’ex-compagne de son mari en cas de décès de celui-ci. Elle n’a pas hésité à
aider son mari à rembourser les dettes contractées par la première femme, mais les charges
sont réparties de façon comptable : « en fait, le compte commun c’est pour l’appartement,
loyer factures courses… on vire de l’argent dessus chacun et après on a nos comptes à
nous ! Et puis, ouais, avec le mariage moi je veux me protéger un peu plus ! Parce qu’on a
pas fait de contrat de mariage, mais de toute façon un contrat de mariage ça me protégeait
pas, je m’étais renseignée et je veux faire une donation entre époux .. Et il faut que je le
fasse assez rapidement ! » (Karine, NG. CSP +)
Pour Claudia et Jessica une forme de rivalité avec les beaux-enfants apparaît au
sujet de l’argent.
Claudia, pour qui les comptes sont également clairement établis entre elle et son
compagnon, juge néanmoins ses beaux-enfants mieux lotis par leur père que leur fille
commune et elle-même : « non, je garde mon argent et on partage ce qu’il y a à payer
mais parfois j’ai l’impression que pour Pauliana, ses jouets, ses vêtements y a que moi qui
paye et lui pour ses enfants, mais c’est aussi sa fille ! J’en parle pas directement mais ça
me tracasse ! Pour eux rien n’est trop et parfois il dit non je peux pas aller en Allemagne
ce mois ci, l’essence c’est cher !.. » (Claudia, NG, CSP +)
87
Jessica estime que la pension que son compagnon verse à la mère de ses deux filles
suffit à leur entretien, d’autant plus que leur beau-père gagne bien sa vie ; on retrouve ici
l’image du beau-père pourvoyeur : « moi je veux maîtriser mon budget… alors pas de
compte joint… »« j’veux des loisirs alors pas questions qu’il me dise je peux pas, j’ai
donné des sous en plus pour Léa ou pour Cyndie.. Ah non ça pas question.. » (Jessica, NG,
CSP -).
Si contribuer financièrement à l’entretien de la maisonnée, semble aller de soi
lorsque l’on partage le quotidien de son bel-enfant et que les deux conjoints ont des
enfants, cela n’est plus le cas lorsqu’il ne vient que par intermittence. Majoritairement, ce
sont les belles-mères non gardiennes qui fonctionnent selon une répartition stricte des
différentes dépenses (trois sur quatre). Elles sont également majoritairement de milieu
social favorisé (trois sur quatre). Cette attitude parait par ailleurs renforcée par le fait de ne
pas avoir soi même d’enfant ou tout du moins pas avant la recomposition (puisque Claudia
a eu une fille avec son ami). N’est ce pas cette caractéristique qui peut expliquer
qu’Arielle, pourtant gardienne, se trouve dans une logique comptable et ne participe pas
aux dépenses strictement liées à sa belle-fille ? Avoir ou non des enfants serait alors un
élément pondérant l’hypothèse de l’influence du mode de garde.
Il existe donc bien une différence entre belles-mères gardiennes et non gardiennes : aux
premières l’absence de comptabilité, aux secondes une tenue stricte des comptes. La
partition selon le milieu social n’est, quant à elle, pas apparue ici pertinente.
En guise de conclusion, on peut remarquer que les situations sont variées et que les
rôles se déclinent différemment selon un axe qui va de l’abstention à la substitution en
passant par le plus fréquent : une belle-mère collaboratrice du parent dont elle partage la
vie. Certaines constantes se repèrent néanmoins.
L’entretien matériel de la maisonnée reste majoritairement une affaire de femmes.
Une proportion toutefois plus importante de belles-mères gardiennes prend en charge
l’entretien matériel de leurs beaux-enfants. Si aide il y a, le milieu social joue. C’est dans
les milieux modestes que le conjoint aide le plus ; dans les milieux sociaux favorisés il est
fait appel à une femme de ménage.
88
La relation éducative prend, elle, plus clairement, des formes qui diffèrent selon
que les belles-mères sont gardiennes ou non et se met en œuvre également différemment en
fonction des habitus liés aux différents milieux sociaux. A l’exception d’un des aspects de
la relation éducative, l’exercice d’une autorité, dont la majorité s’exclut au profit des
parents biologiques et ce quelque soit le mode de garde et le milieu social d’appartenance.
L’une et l’autre des hypothèses posées se révèlent pertinentes à des niveaux plus ou moins
importants.
D’autres éléments déterminants ont également pu être repérés comme porteur de
nuances. En premier lieu la temporalité. L’exemple de Karine a montré qu’il fallait du
temps pour devenir belle-mère et que le rôle peut aussi se modifier dans le temps. Toutes
ne souhaitent pas non plus avoir un rôle auprès des enfants de leur conjoint ou compagnon.
Le fonctionnement conjugal centré sur les enfants ou sur le couple est alors apparu comme
un élément déterminant. Dans le premier cas, les belles-mères s’engagent plus volontiers
dans un rôle de suppléance ou d’assistance au parent pouvant alors être qualifiée de
« parent en plus » pour reprendre l’expression d’Agnès Martial( 2003 : 12). Dans le second
cas, elles se tiennent à l’écart des responsabilités éducatives étant davantage dans une
position de « compagnonnage conjugal » pour reprendre l’expression de Sylvie Cadolle
(2000 : 80) et de sociabilité, parfois amicale, parfois hostile avec les enfants.
3.4. L’influence du rapport mère /belle-mère.
Au fil des entretiens, revenait de façon récurrente un discours sur la mère du belenfant qui est rapidement apparu comme influant l’établissement du lien au belenfant, alors que je ne l’avais à priori pas pensé comme une hypothèse. Je me suis alors
demandé, si cela pouvait en partie expliquer que le nécessaire partage du quotidien ne soit
pas suffisant ? La relation directe qui unit une belle-mère à son bel enfant ne suffirait alors
pas à illustrer les comportements mais gagnerait à être éclairée par le rapport mère/bellemère. C’est ce que je vais m’attacher à analyser à présent. Auparavant, il est utile de
rappeler que huit des mères biologiques auxquelles il est référé dans cette recherche n’ont
pas formé de nouveaux couples. Ce peut-il alors que l’absence de tiers influe sur la place
qu’elles peuvent être disposées à laisser à la belle-mère de leurs enfants ? Que se passe-t-il
si au contraire la mère délègue volontiers ou si elle est absente ?
89
3.4.1. Une place laissée vacante par la mère.
Dans le cas de Jeanne, l’absence de la mère favorise la logique de substitution. Le
rôle de belle-mère prend une dimension parentale ce qui est rendu possible par l’absence
totale de la mère biologique. Il ne donne pas lieu à partage, il incombe, de fait, à celle qui
vit avec le bel-enfant. Bien que Jeanne revendique la place occupée : « c’était peut-être
aussi pour moi que je faisais ça. J’avais pris cette place là et elle était à 100%, il y avait
rien de la mère ». J’ai pu noter, dans son discours, la conscience de ce qu’est, dans la
société actuelle, le modèle normé du beau-parent qui préserve le lien au parent biologique.
Aussi à plusieurs moments de l’entretien, elle tente d’expliquer la position qu’elle a prise,
en la légitimant par l’abandon de la mère : « Par exemple leur maman aurait gardé des
liens, je n’aurais pas pris la même.. (Silences) La même place ? J’aurai pas du tout pris la
même place. Pas au niveau que je les aurais moins aimés mais pas la même position.
J’aurais su conserver ma place quoi. ». Légitimité qui se gagne au prix d’une
disqualification de la mère : « On ne savait pas où elle était, on avait des échos. Elle avait
été vue à place Clichy à faire… le trottoir quoi. Sinon rien » (Jeanne, G, CSP-).
3.4.2. Une relation qui se veut de bon ton.
Cinq des belles-mères rencontrées, tout en présentant des modes de relation aux
mères de leurs beaux-enfants très différents, ont malgré tout pour point commun de ne pas
rencontrer d’opposition ouverte de leur part. Rien, selon elles, ne laisse supposer en
particulier dans le discours de leurs beaux-enfants une attitude critique de la mère à leur
encontre et en retour elles prennent garde de préserver la place maternelle.
Martine reconnaît même à cette femme l’intelligence du cœur qui lui a permis
d’accepter que son fils adolescent demande à vivre avec son père : « ah oui ! Moi quand
j’en parle, les gens sont parfois étonnés de voir quelle relation je peux avoir … mais bon je
me dis que c’est quand même mieux comme ça ! […] C’est elle qu’était partie, mais, tant
bien que mal, elle a eu aussi cette intelligence là. (Silences)… on a des relations tout à fait,
j’ai pas. ; Y a pas de conflits … » (Martine, G et NG. CSP-). Elle entretient des relations
cordiales avec la mère de ses beaux-enfants, il arrive à ses propres enfants d’aller déjeuner
chez celle-ci et Martine n’exclurait pas que toutes deux puissent se retrouver à la même
90
table à l’occasion d’un évènement familial (mariage d’un beau-fils par exemple). La
position du père a probablement son importance et Martine décrit un couple parental qui,
au-delà de la séparation du couple initial, a pu préserver une bonne entente.
Si Arielle entretient, elle, des relations essentiellement téléphoniques avec l’exfemme de son compagnon, les relations entre les deux parents de sa belle-fille sont quant à
elles tendues. Arielle se place même en position de médiateur entre son compagnon et la
mère de Mathilde : « moi je suis objective, toi tu penses qu’elle n’a pas changé depuis 10
ans, moi je pense qu’elle a changé par rapport à ce que me dit Mathilde et ce que tu disais
d’elle avant, je pense qu’elle a changé. Donc quelque part je la défends, mais je suis
objective ! » (Arielle, G.CSP+). Dans le cas d’Arielle, il est possible que son attitude soit
stratégique. Arielle est une belle-mère active au sein de l’association le “Club des
Marâtres” qu’elle dit avoir fréquenté au début à titre préventif, se nourrissant de
l’expérience des autres pour établir une ligne de conduite à partir de ce qu’il ne faut surtout
pas faire. En prenant la main sur les relations avec la mère, elle empêche l’éventuel
maintien du couple premier tout en facilitant l’exercice de la coparentalité, et évite des
conflits qui pourraient envenimer sa relation avec sa belle-fille.
Pour Martine et Arielle les relations avec leurs beaux-enfants ne font pas
difficultés. Ce qui n’est pas le cas pour Marie, qui pourtant se sent reconnue par la mère de
Julien dans un rôle de parenté additionnelle. Selon elle, ce qui fait obstacle c’est davantage
la position de cette mère assez infantile, repartie vivre chez ses parents et qui ne se voit pas
assumer la charge de son fils ; ce que celui-ci souhaite désespérément. Marie considère que
Julien la rejette essentiellement car elle n’est pas sa mère, celle avec laquelle il veut vivre,
mais elle dit avoir la confiance de la mère. Tout juste concède-t-elle que les incursions
téléphoniques quotidiennes de la mère de Julien n’aide pas ce dernier à lui faire une place
dans sa vie : « En fait à la fois elle ne veut pas vivre avec lui mais elle veut être là quand
même dans sa tête ! Que moi je n’y sois pas peut-être ! » (Marie, G.CSP+). Le discours
prudent de Marie peut s’expliquer par le fait qu’elle est, elle-même, la mère de Nathan qui
a une belle-mère par intermittence. Je n’ai pas la possibilité de vérifier la pertinence de
cette analyse du fait que Marie est la seule belle-mère de mon échantillon à être dans cette
configuration.
91
Ces trois exemples infirment ce que nous expose Sylvie Cadolle : « Occuper cette
posture de belle-mère gardienne signifie qu’une mère n’a pas eu la garde de ses enfants, et
donc se situe d’une certaine manière à contre-courant de la norme, ce qui a toutes les
chances de renforcer les conflits […] la mère peut se sentir menacée dans son statut, dans
son identité « par l’existence d’une mère de remplacement ; la rivalité des femmes se
jouerait alors plus directement par rapport à l’enfant » (2000, 163). En effet, les trois
belles-mères précédemment évoquées sont gardiennes. Comment expliquer une forme de
délégation parentale exempte de rivalité ? Le nombre de belles-mères gardiennes tendant à
augmenter, il se peut que les mères non gardiennes se sentent moins dans une position
marginale par rapport à la norme et par conséquent moins sujettes à l’opprobre en laissant
au père la garde des enfants. Je peux appuyer cette analyse sur le fait que dans les trois cas
précédents le père n’a pas obtenu la garde contre la mère mais avec son approbation. La
taille de mon échantillon bien inférieur à celui de Sylvie Cadolle me suggère toutefois la
prudence.
Du coté des belles-mères, outre le fait qu’elles soient tenues par la nécessité de
faire cohabiter les deux maisonnées au rythme de la circulation des enfants, elles agissent
peut-être ainsi afin de préserver un lien de bonne qualité avec leurs beaux-enfants. Elles
seraient alors conscientes que ceux-ci, aux prises avec un conflit de loyauté, prendraient le
parti de la mère en cas de difficultés entre ces deux figures maternelles.
Flore bien que gardienne, illustre le poids de la norme encore prégnante à laquelle
réfère Sylvie Cadolle. Il y a incompréhension face à une femme qui accepte qu’une autre
femme s’occupe de ses enfants comme cela transparaît dans le discours de Flore : « ben …
(soupir) ouais c’est ça c’est pas des jouets, elle prends elle laisse… j’suis p’têtre dure mais
bon, moi j’suis une maman, en tant que maman je peux pas quoi ! Mes enfants c’est tout
quoi ! » (Flore, G. CSP-). Le jugement porté n’interfère pas néanmoins sur la relation avec
ses beaux-enfants, mais la conduit à éviter tout contact avec leur mère.
Sans que les relations soient conflictuelles, le discours peut donc se teinter de
critiques à l’égard de la mère. C’est aussi le cas pour Armelle qui par ailleurs ouvre la
réflexion sur ce qui se passe avec les ex-femmes du compagnon, quand ces ex sont
multiples, quand les maisonnées, en quelque sorte, s’additionnent. Elle décrit des relations
92
faciles avec la première des ex comme si le spectre de cette première maisonnée, déjà bien
éloigné, perdait en dangerosité. Avec la femme qui l’a directement précédée, c’est au
travers du concret de la circulation entre les maisonnées que la rivalité s’exprime. Des
phrases chargées de jugements péjoratifs sont véhiculées par les enfants : « sa mère lui
disait : y’a pas de place pour deux dans le cœur des gens, ou encore : ça va pas un peu vite
tout ça, une maison, un bébé ? » Armelle ne relève pas devant sa belle-fille et adopte une
attitude lénifiante. Elle évoque des choix de vie, des attitudes éducatives différentes des
siennes. Parlant des vêtements : « c’est une maman qui n’a aucun souci dans ce domaine
là ». Lorsque je l’invite à expliciter davantage, elle change de registre et révèle ce qu’il y a
d’insupportable, pour elle, dans le peu de soin que la mère prend à vêtir ses enfants, ce qui
l’expose, elle, à être perçue comme une mauvaise belle-mère. Le comble pour Armelle,
assistante sociale de profession : « moi je peux pas aller me balader avec mes enfants bien
habillés et les enfants de mon conjoint habillés comme des pouilleux… j’veux pas qu’on
dise « ben la belle-doche elle habille bien ses enfants mais ceux de son mari ! ». N’étant
pas gardienne, Armelle n’a pas la maîtrise du linge et vit d’autant plus mal ce qu’elle
ressent comme des divergences éducatives, expressions d’habitus différents qui influent
sur la relation beau-parentale. Bien souvent la tenue de Marianne à table par exemple
l’irrite fortement. Ce qu’elle traduit par : « c’est pas facile de reconstruire une famille
avec des enfants qui ont des éducations, des environnements aussi différents. » (Armelle,
NG.CSP+). J’ai ressenti au cours de cet entretien le contrôle que peut exercer l’interviewée
sur son discours. En effet, lorsque je l’ai invitée à expliciter la question des attitudes
éducatives, une rupture s’est produite dans l’attitude compréhensive qu’elle exprimait
jusque là par rapport à la mère. Par ailleurs, Arielle évite également les contacts avec les
mères de ses beaux-enfants, estimant que c’est au père de s’en charger.
A partir de ces exemples je constate que ces cinq belles-mères qui, tous milieux
sociaux confondus, ne font pas état de rapports conflictuels avec les mères des beauxenfants sont pour quatre d’entre elles gardiennes. Ces dernières se gardent d’un discours
trop négatif et les différents avec la mère, décrits par ailleurs comme mineurs, ne
parviennent pas à entamer la qualité (dans les cas où la relation est perçue de qualité) d’une
relation avec les beaux-enfants tissée au fil du temps par l’intimité du quotidien. Est-il
93
possible d’en conclure que lorsque la belle-mère est gardienne, mère et belle-mère se
doivent de faire alliance ? Peut-être alors au nom de l’intérêt de l’enfant ?
3.4.3. Quand mère et belle-mère s’ignorent.
Dans deux situations rencontrées, l’influence de cette non-relation n’est pas
véritablement mesurable puisque Isabelle et Jessica dont il s’agit ici s’excluent de fait de
toute parenté pratique avec leurs beaux-enfants, l’une les désignant comme des « invités »,
l’autre se considérant comme « vivant à côté ». Elles ne revendiquent aucune place.
Jessica, qui travaille dans la même entreprise que la mère de ses belles-filles, n’a avec elle
que des échanges qui s’inscrivent dans le domaine professionnel : « on se voit à l’usine, on
se dit bonjour, on peut même parler boulot ; c’est tout… » (Jessica, NG.CSP-).
Isabelle, qui je le rappelle faisait retour sur une situation passée puisque séparée de son
mari, évoque le conflit de loyauté, selon elle inévitable, dans lequel se trouvent les
enfants : « ils ne devaient pas se sentir autorisés à m’aimer même si leur mère ne leur a
jamais rien dit contre moi… ils sentent bien celui qui est heureux parce qu’il a fait du
nouveau et puis l’autre… » (Isabelle, NG.CSP+). Ce qui est relevé par Isabelle est
toutefois intéressant. Elle est à l’origine de la rupture du couple parental et pressent que ses
beaux-enfants, en dehors même de propos vengeurs de la mère, sont empêchés de ce fait
d’établir un lien avec elle. Cette lecture sera transposable à d’autres situations, comme le
lecteur va pouvoir en juger.
3.4.4. Une rivalité mère/belle-mère qui entrave le lien au belenfant.
Qu’elle soit réelle ou fantasmée, la rivalité peut être exacerbée et se traduire par une
absence totale de relation avec la mère des beaux-enfants, ce qui a des répercussions sur le
lien qui s’établit avec ceux-ci.
Ainsi Fanny, belle-mère gardienne à temps plein des deux enfants aînés de son
compagnon et gardienne par alternance des deux cadets, se montre réfractaire à tout
contact. Là où elle tire profit de la mauvaise relation que les aînés ont avec leur mère en
étant la confidente, elle se montre plus prudente dans son investissement affectif avec les
94
plus jeunes redoutant les propos assassins que la mère pourrait tenir à son égard : « Non
elle me parlera pas car il y a de très mauvais rapports … elle pensait que c’est elle qui
partirait, elle qui demanderait le divorce et en fait c’est Thibault qui lui a dit : c’est
terminé.. Alors là comme j’étais là, j’étais la rivale…C’est pour ça qu’avec les petits il y a
plus de résistance de ma part, parce que je ne sais pas ce qu’elle dit de moi.. Ce qu’elle dit
de moi et comment eux me perçoivent vraiment ! » (Fanny, G.CSP+).
Karine a vécu par procuration conjugale la relation très conflictuelle entre Eric et la
mère d’Angélique. Procès, enquête sociale, problèmes financiers se sont succédés. Aux
propos haineux que lui rapporte Angélique : « de toute façon ma mère elle m’a dit que
t’étais méchante, ma grand-mère elle dit que t’es moche et (appuyé) méchante », elle
répond par un positionnement tout aussi passionné à l’égard de la mère : « ah ça j’ai
tendance à la juger ! […] déjà elle voulait pas qu’Angélique me voit […] c’est pour ça que
cette mère je la déteste et que quand elle appelle je tremble et que pour moi c’est des ondes
négatives et ci et ça ! ». Karine se sent empêchée d’avoir une place auprès d’Angélique du
fait de l’attitude de la mère : « je me dis pauvre Angélique comment elle va faire pour s’en
sortir… la belle-mère elle a beau faire, ça changera rien du tout si derrière la mère la
casse !.. Et moi en retour c’est pour ça que je la déteste sa mère ». Cette non
reconnaissance, dont Angélique est consciente interfère dans leur relation : « elle n’a que 5
ans, même si parfois elle comprend pas mal de choses, elle voit ce qui nous énerve. Par
exemple vis-à-vis de sa mère elle sait que ça nous énerve ». Karine ressent alors Angélique
comme donnant prise à la malveillance maternelle : « si Angélique aime Karine, elle est
contre sa mère car sa mère déteste Karine…» (Karine, NG. CSP+). Une des particularités
de la famille recomposée c’est qu’elle est toujours seconde, voire plus, or Karine souffre
d’avoir à composer avec la première maisonnée qui a le malheur d’exister : « Et j’ai de la
jalousie parce que elle, elle est mère et moi non ! Et je suis super jalouse, je suis jalouse
d’avoir, enfin voilà mon mari il a eu un enfant avec une personne que je déteste ! Et qui
fait partie de ma vie et ça c’est super dur quoi, c’est ça le plus dur en fait » (Karine, NG.
CSP+).
Cette concurrence passionnée entre les deux maisonnées se retrouve chez Claudia.
De la mère de ses beaux-enfants Claudia, qui ne l’a jamais rencontrée, ne l’a jamais eue au
téléphone, dit : « oui, elle m’en veut ! Même si elle a quelqu’un maintenant […] Au début
j’avais des cauchemars à cause de cette femme, quand je suis venue m’installer ici, je
95
rêvais qu’elle m’attendait derrière la maison, qu’elle me parlait méchamment…. ». Cette
mère, par ailleurs, n’empêche pas ses enfants de venir chez le père, ce que peut être
inconsciemment Claudia souhaiterait : « elle est aussi assez égoïste de passer le week-end
seule avec son ami… elle fait très attention, si on les a pas pendant 2 week-ends parce
qu’il y a un truc.. Elle les envoie 2 fois de suite ah oui oui ». Le temps des week-ends, les
rapports de jalousie s’exercent entre Claudia et ses beaux-enfants qui viennent empêcher
son idéal de vie axée sur son couple, sa famille (elle, Benoît et leur fille Pauliana). Cette
exacerbation des sentiments amoureux pour son conjoint la conduit à interpréter comme le
maintien d’un lien conjugal les rapports haineux entre Benoît et son ex-femme : « il y a
une relation, pas bonne, agressive comme… comme
ah comment vous dites ?...
Haine après passion. Mais y a une relation qu’existe. Comme tu sais quand y a plusieurs
femmes,. » (Claudia, NG.SCP+). Ayant volontairement limité ma recherche à des
entretiens avec les belles-mères je n’ai pas les moyens d’une comparaison avec le discours
des mères. Toutefois Sylvie Cadolle, dans l’étude déjà citée, montre que « certaines mères
conservent avec leur ex des relations qui ne sont pas uniquement des relations de « parents
d’enfant commun », mais prolongent de façon plus passionnelle, conflictuelle, inégalitaire,
des relations de couple » (2000 : 63).Tout comme pour Karine, l’attitude de Claudia
traduit son impossibilité à accepter la première maisonnée. Les mères sont alors désignées
coupables de vouloir empêcher un lien effectif entre belle-mère et beaux-enfants.
Dans ces trois situations, les belles-mères ont été à l’origine de la séparation du
premier couple. Quand l’adultère a eu lieu avec celle qui va devenir la belle-mère, les
griefs de la mère à l’encontre du parent recomposant et de celle qui se trouve à l’origine de
la séparation peuvent venir compromettre, du moins dans un premier temps, l’avenir de la
relation beau parentale.
Agnès Fine nous dit se référant à Sylvie Cadolle que « les recompositions
familiales après divorce renforcent la matricentralité qui caractérise nos sociétés. Après
leur divorce les mères mettent davantage de temps à former un nouveau couple, de sorte
que les enfants développent des liens de fusion forte avec elles […] elles influencent
fortement la relation de l’enfant avec son père et de manière indirecte avec la bellemère[…] elles vivraient la séparation d’avec eux (les enfants) comme une mutilation
personnelle et comme un abandon. En outre elles supportent très mal la concurrence, très
96
vive entre mères et belles-mères, surtout lorsque la belle-mère a été à l’origine de la
séparation. » (2002 : 22-23).
A l’éclairage de la recherche menée, ces assertions se trouvent confirmées dans les
cas où la belle-mère se trouve à l’origine de la séparation. La rivalité est alors très vive
entre mère et belle-mère et la relation au bel-enfant s’en trouve contrariée, quelque soit par
ailleurs le mode de garde et le milieu social.
Comme dans l’étude menée par Sylvie Cadolle, une majorité des mères biologiques
des familles recomposées n’avaient pas recomposé au moment où j‘ai réalisé les interviews
(c’est le cas pour huit sur onze). Aucun élément ne m’a été donné sur la nature des liens
mères/enfants. La progression de la garde alternée interroge ce qu’elle nous dit du « refus
des mères de se laisser déposséder d’une fonction qui n’est pas ressentie seulement comme
une charge mais comme un enrichissement de soi. ». Quatre des mères co-gardiennes de
mon échantillon ont accepté ou demandé la garde alternée et la présence d’une belle-mère
ne paraît pas leur poser de problème.
On peut se demander si, six ans après la parution de cet article, la matricentralité de
notre société est toujours aussi forte. Est-ce que la volonté des pères à accueillir leur enfant
est plus forte qu’auparavant ? Est-il davantage tenu compte du choix de l’enfant ? Est-ce
que ce dernier peut à un certain âge vivre avec sa mère et à un autre avec son père ? Est-ce
que davantage de femmes ne se démarquent pas de cette matricentralité dictée par la bonne
morale d’une époque, par une norme ? Pour Agnès Fine : « il semblerait en effet que la
maternité ne puisse se vivre que dans une proximité faite de gestes et de mots quotidiens,
fortement investis affectivement, excluant toute concurrence féminine. ». Les situations
rencontrées me font penser différemment, puisque c’est majoritairement les belles-mères
gardiennes qui ont les meilleures relations avec la mère des beaux-enfants. Il me faut
toutefois pondérer mon propos, puisque c’est par contre chez les belles-mères non
gardiennes que se trouvent la majorité de celles qui sont à l’origine de la séparation. Dans
ce dernier cas, les assertions d’Agnès Fine se vérifient.
97
3.5. Deux catégories de belles-mères se révèlent.
Au terme de l’analyse des expériences de vie, livrées par les belles-mères
interviewées, apparaît une grande diversité dans les places occupées et les rôles joués par
celles-ci au sein des constellations familiales recomposées.
Deux domaines font toutefois exception à cette règle en révélant une forte
homogénéité. Il s’agit de la prise en charge matérielle de la maisonnée et de l’exercice de
l’autorité. Ainsi, une majorité de belles-mères prennent en charge l’aspect matériel de la
maisonnée tendant à prouver que cette prise en charge reste souvent le fait des femmes. La
partition selon le genre est alors prépondérante à celle qui s’opérerait selon le milieu social
ou même selon le mode de garde. Toutefois, dans les rares cas d’abstention d’une telle
prise en charge, elle n’est le fait que de belles-mères non gardiennes. En ce qui concerne
l’exercice d’une autorité parentale les belles-mères sont quasiment toutes dans une position
de retrait.
En dehors de ces deux exceptions, les rôles et les places, tout en présentant une
grande diversité, se déclinent toutefois avec des constantes repérables en fonction des
modes de garde et du milieu social et permettent d’opérer un classement schématique des
belles-mères en deux grandes catégories.
- D’une part, des belles-mères qui adoptent majoritairement un mode de relation
centrée sur l’enfant et la parenté pratique. Elles prennent acte du caractère recomposé de la
famille en adaptant l’espace de vie à la taille de la nouvelle famille. Les vacances sont
prises tous ensemble. Délibérément, dans cette nouvelle famille, il n’est pas tenu de
comptes. La part prise par la belle-mère dans l’éducation des beaux-enfants est réelle et le
partage du quotidien avec les beaux-enfants apparaît comme facilitateur de l’établissement
d’un lien ; lien qui peut alors être envisagé comme plus ou moins pérenne. La quasi-totalité
des belles-mères qui appartiennent à ce groupe sont gardiennes et de tous milieux sociaux.
Le milieu social n’influe que de façon secondaire, par exemple dans l’importance qui est
donnée aux répercussions qu’a l’espace sur la qualité des relations entre les membres de la
maisonnée. Importance qui est davantage relevée par les belles-mères de milieu social
favorisé.
98
-D’autre part des belles-mères dont la conception de la vie dans une famille
recomposée diffère totalement du précédent groupe, la relation y étant centrée sur le
couple. La priorité est ainsi donnée au couple ou à la deuxième famille qu’elles cherchent à
faire vivre en faisant quelque peu abstraction des beaux-enfants. Le plus souvent, l’espace
manque quand les beaux-enfants sont là sans qu’il soit cherché à remédier à cet état de fait.
Ces belles-mères tiennent une comptabilité stricte n’envisageant pas de participer
financièrement à la prise en charge de leur bel-enfant. La relation éducative y est plus
ténue que dans le précédent groupe, rendue moins nécessaire du fait d’une moindre
présence des beaux-enfants. En effet ce sont majoritairement les belles-mères non
gardiennes que l’on trouve dans ce groupe. Le lien beau-parental s’y crée également de
façon plus laborieuse et peut se révéler difficile.
Au regard de la différenciation, en ces deux grands groupes, mise à jour par
l’analyse, le partage du quotidien apparaît comme un élément important de cette
différenciation. Toutefois, si le partage du quotidien se révèle nécessaire à l’établissement
d’une relation éducative et affective, il n’est pas suffisant. La qualité du lien apparaît
également comme dépendant de la place revendiquée ou non par la belle-mère, de celle
que le bel-enfant veut bien lui donner mais aussi de celle qui lui est ou non laissée par la
mère. Une mauvaise relation mère/belle mère constitue un empêchement certain à
l’établissement d’une relation au bel-enfant satisfaisante. La responsabilité de la belle-mère
dans la rupture de la première union est alors un facteur déterminant de la relation
mère/belle-mère.
Dans une quatrième partie, je vais maintenant m’intéresser à l’espace public dans
lequel évoluent ces familles recomposées et tenter de révéler les enjeux et les idéologies en
présence, à travers l’analyse de la catégorisation et de l’institutionnalisation qui sont
proposées des rôles parentaux et beaux-parentaux.
99
QUATRIÈME PARTIE
QUAND LA BEAU-PARENTALITÉ INTERROGE
LA PARENTALITÉ
100
Les histoires familiales inscrites dans le contexte de la famille recomposée
interrogent notre système de parenté. Il existe de multiples façons d’être en famille. Les
rôles parentaux et beaux-parentaux s’interrogent, s’articulent. Comme nous l’avons étudié
au travers des pratiques mises en œuvre, la diversité des configurations familiales rend
moins évidents les repères collectifs. Selon les époques, la famille se définit donc
différemment, tout comme diffèrent aussi, ses constructions culturelles, morales,
religieuses, politiques et juridiques ; chaque champ livrant sa propre représentation de la
famille.
L’observation réalisée au “Club des Marâtres” m’a révélé les enjeux publics,
politiques découlant de l’évolution de l’institution familiale. Plus particulièrement la
question d’un statut légal pour le beau-parent questionné au cours des réunions mensuelles
du “Club” me conduit à m’intéresser à la place que donne et reconnaît le droit aux
différents adultes, parent, “parent en plus ” qui gravitent autour d’un enfant. Autrefois, on
ne se posait guère de questions : il y avait la famille et la puissance paternelle. La
multiplication des formes familiales a généré doutes et incertitudes, a obligé à repenser les
frontières de la parenté et a réinterrogé les rôles et les places.
L’Etat n’est pas resté indifférent au pluralisme des modèles familiaux. A “la
liberté” d’être parent de telle ou telle manière, de faire entrer d’éventuels “parents en plus”
dans les familles au nom de leurs choix électifs, est venu répondre “l’intérêt de l’enfant”.
Ce dernier a été érigé en réponse à la question de savoir ce qui peut faire repère collectif,
venant à la fois soutenir et contraindre le désir parental.
C’est dans ce contexte qu’est née la notion de parentalité sur laquelle je me
propose de m’attarder.
La notion de parentalité a été formalisée par Benedekt à la fin des années 50 et
introduite en France peu après, nous rappelle Gérard Neyrand (2001). La définition qui en
est donnée est alors psychologique: «La parentalité peut se définir comme l’ensemble des
réaménagements psychiques et affectifs qui permettent à des individus de devenir parents,
c'est-à-dire de répondre aux besoins de leurs enfants à trois niveaux : le corps (les soins
nourriciers) ; la vie affective ; la vie psychique ; C’est un processus maturatif » (Lamour
M., Barraco M., 1998 : 26). Pour la psychiatrie et la psychologie, la notion de parentalité
renvoie plutôt aux aspects psychologiques du fait d’être parent ainsi qu’à d’éventuelles
101
défaillances pathologiques.
Cette définition, comme le relève Gérard Neyrand, ne tient pas compte de la dimension
sociale de la parentalité. C'est-à-dire du fait d’être parent reconnu et désigné comme tel
par l’organisation sociale légitimant la parenté. «Dans le champ sociologique, le terme de
parentalité désigne plutôt les nouvelles formes de conjugalité et de vie familiale, voire de
modes de filiation ? c’est donc plutôt au sens de structures familales qu’il faut
l’entendre. » (Sellenet, 2007 : 31). D’autres disciplines se sont emparées de cette notion
en le transformant ainsi en un “mot-valise”. Usitée dans le domaine des politiques
familiales, on parle d’aides matérielles ou financières à la parentalité comme auparavant
on parlait d’aide à la famille. La notion de “soutien à la parentalité” envahit, par ailleurs,
le discours des professionnels de l’enfance ou du social. S’agit-il d’une nouvelle
conception des relations entre parents et professionnels ou d’une nouvelle “police des
familles ”pour reprendre l’expression de Jacques Donzelot (1977) ?
En droit, comme on le verra ultérieurement, il a donné lieu à des extensions :
coparentalité et pluriparentalité qui renvoient davantage au partage qui peut s’opérer dans
l’exercice de la parentalité.
On peut voir dans la référence croissante à la parentalité la réhabilitation de la place des
familles, la reconnaissance, la valorisation de leurs capacités à prendre en charge un être
inachevé donc dépendant. On peut y voir aussi le constat de leurs défaillances. Elle peut
aussi être reçue comme une mise en œuvre de la co-éducation des enfants mais aussi
comme le constat de la “démission des parents”.
Il est important de noter que cette notion de parentalité s’est développée en France à
l’époque où la fragilité du lien conjugal devenait admise, où les efforts se concentraient
sur la nécessité de proclamer le lien de filiation indissoluble. « Le concept est porteur de
l’inquiétude publique : les parents ne seraient aujourd’hui aptes à éduquer et socialiser
leurs enfants, soit en raison de leur supposée“ démission” soit en raison des conditions
matérielles de leur existence soit enfin en raison des avatars que connaît le couple
familial. La dissolution familiale conduirait à la faillite de l’éducation » (Segalen M.,
2006 : 142). Si le terme de parentalité est polysémique et peut être connoté positivement
ou négativement selon les idéologies qu’il porte, il n’en demeure pas moins qu’il renvoie
souvent à un discours du risque, mobilisant des pratiques d’étayage et d’écoute face à des
parents disqualifiés.
102
La parentalité n’est donc pas qu’une histoire de parents mais se situe entre
expérience privée et injonctions publiques. Pour ma part et en lien avec la parenté pratique
dont j’ai traité dans une précédente partie, je retiens la définition donnée par Maurice
Godelier et qui nous est restituée par Catherine Sellenet : « la parentalité est l’ensemble
culturellement défini des obligations à assumer, des interdictions à respecter, des
conduites, des attitudes, des sentiments, des émotions, des actes de solidarité et des actes
d’hostilité qui sont attendus ou exclus de la part d’individus qui se trouvent dans des
rapports de parents à enfants. »(Sellenet, 2007 : 31)
4.1. Belles-mères cherchent pairs : le “Club des Marâtres”.
4.1.1. L’aide des pairs plutôt que celle des experts.
Comme je l’évoquais dans la partie méthodologie c’est l’observation réalisée au
“Club des Marâtres” qui m’a permis de prendre conscience des enjeux moraux mais aussi
publics inhérents aux familles recomposées.
Les belles-mères qui fréquentent le “Club des Marâtres” passent généralement le
seuil de cette association parce qu’elles rencontrent des difficultés dans leur relation avec
leur bel-enfant. Le premier temps de la réunion est consacré à ce que la présidente du
“Club” nomme, non sans humour, “la complainte des marâtres”. Les matériaux que j’ai
recueillis diffèrent peu, tout du moins dans le fond, de ceux que j’ai recueillis en entretien.
S’y retrouvent les questions sur la place, le rôle de la belle-mère, l’éducation, le lien ou la
difficulté relationnelle aux beaux-enfants. C’est dans la forme que prend l’énoncé de la
difficulté et dans la recherche d’une aide spécifique que leur démarche est originale. Cette
aide est spécifique dans le sens où c’est auprès d’autres belles-mères, comme elles,
qu’elles sollicitent de l’aide.
En tant qu’assistante sociale travaillant auprès des familles, je n’ai pas manqué
d’être intriguée par leur démarche. En effet transparaissait dans leur discours,
l’incompréhension à laquelle elles se sont heurtées dans leur entourage proche ; Amis,
parents qui, s’ils prêtaient
une oreille bienveillante à leur plainte de belle-mère, ne
103
manquaient pas non plus de leur rappeler que les enfants ne pouvaient être tenus pour
responsables, qu’ils étaient les premières victimes. Transparaissait également, le refus d’un
recours aux experts. Ainsi, lors de la rapide présentation qu’elles font d’elles au début de la
réunion, deux d’entre elles parleront explicitement de leur défiance vis-à-vis des experts de
la famille (psychologues, psychiatres, médiateurs familiaux, travailleurs sociaux…). Selon
elles, ces experts, qu’elles avaient, pour certains, rencontrés, proposent une aide
asymétrique. D’un côté le savoir, de l’autre la défaillance et la souffrance. Leur attente, en
venant au “Club des Marâtres” est d’un autre ordre. Et de fait, les réunions mensuelles de
l’association se caractérisent par l’élaboration d’une aide alternative. Elles comparent leurs
vécus, leurs pratiques à celles des autres belles-mères, elles échangent des “recettes” pour
“affronter” leurs beaux-enfants. Les voyant ainsi fonctionner, j’ai été témoin de la mise en
œuvre d’une aide reposant sur la mise en situation et la démarche pratique ( recettes,
stratégies) et qui éclaire un des enjeux du rapport des parents aux experts en faisant écho
au discours ambiant sur la parentalité.
Il est important de noter que les belles-mères fréquentant le “Club”, sont toutes,
selon les propos de M-C Iovane Chesneau de milieux sociaux favorisés. Leur capital
culturel n’est pas étranger à la façon dont elles rendent comptent de leur expérience
concrète, de la vie dans une famille recomposée. Une des traductions en est, également,
l’intellectualisation qu’elles font de la relation au bel-enfant, ainsi que la réflexion qu’elles
sont en mesure de porter sur le discours ambiant. Ainsi, le contrôle social inhérent à l’aide
à la parentalité ne leur a pas échappé. Ne leur a pas non plus échappé, l’injonction sociale
qui leur est faite d’être un adulte bienveillant auprès de leur bel-enfant. Injonction sociale
relevée par la présidente de l’association qui, non sans provocation, a choisie comme nom
“le Club des Marâtres”.
Les belles-mères que j’ai entendues veulent éviter à tout prix un contrôle extérieur
et s’il leur arrive de faire appel à un expert, elles ne le pensent pas comme un pourvoyeur
de solutions miracles, elles l’estiment, lui aussi, dans l’incertitude ou la partialité par
rapport à la place de la belle-mère. C’est à leurs pairs qu’elles reconnaissent la possibilité
de les aider, soit à titre curatif par leur écoute bienveillante et éclairée, soit à titre préventif.
Ainsi Arielle, que j’ai par ailleurs interviewée, dira venir se “mithridatiser” : « Mithridate
absorbait chaque jour du poison en petite quantité afin d’être en capacité de résister à un
104
empoisonnement, c’est ce que je fais en venant ici.. J’écoute tout ce qui pourrait
m’arriver ! » (G.CSP+).
J’ai, par ailleurs, été frappée par le déroulement des réunions. En effet, si le savoir
et l’aide sont attendus des pairs, la forme prise par la réunion est rigoureuse. Un tour de
table débute la réunion, la présidente aide à la circulation de la parole, l’écoute est
attentive. Un temps est imparti à chaque point de l’ordre du jour et cette partition est
respectée. Tout se passe comme si la rigueur du cadre, qu’au fil de mes participations je
découvrirai immuable, conférait sérieux à ces réunions qui toutefois ne sombraient pas
dans la psychologisation. Là aussi, on peut y voir l’expression des habitus des bellesmères présentes, au travers de leur aisance verbale et de leur capacité d’élaboration.
4.1.2. Quand le lobbying se met en marche.
Si l’objectif premier, en venant au “Club des Marâtres”, est de mobiliser des
ressources, soit pour améliorer la relation au bel-enfant, soit pour revendiquer ne pas être
une belle-mère en tout point conforme aux attentes de la société, le deuxième temps de la
réunion m’a donné à voir un autre objectif de l’association qui s’apparente à une action de
lobbying.
L’association s’est en effet, au fil du temps, inscrite dans une volonté de se faire
connaître. Faire connaître la position instable des belles-mères, leurs revendications. M-L
Iovane- Chesneau a ainsi pris des contacts avec différents journalistes afin de porter le
débat concernant les familles recomposées sur la place publique. Au début modeste, la
sollicitation de l’association par les médias s’accélère19.
De 2004 à 2006, la presse écrite s’est essentiellement faite le relais de la difficulté
des belles-mères à trouver une place et de leur lassitude face aux reproches qui leur sont
faits.
Puis à partir de 2007, la réflexion menée au sein du “Club des Marâtres” sur les
discours ambiants, sur les incertitudes du droit, a conduit la présidente à prendre partie
pour une reconnaissance d’un statut spécifique pour le beau-parent. L’action de lobbying
s’est accrue en ce sens. Les interviews dans la presse écrite se sont multipliées (sept de
19
Le lecteur trouvera en annexe n° 3 un tableau présentant les articles de presse consacré au “Club des
Marâtres ”
105
janvier 2007 à juin 2008) et couvrent un large panel de la presse française. Les médias
radiophoniques et télévisuels ont également traité du phénomène incarné par le “Club des
Marâtres” et ont interviewé certaines des belles-mères20. Il s’agissait alors pour les
adhérentes de témoigner de ce que l’absence de statut reconnu au beau-parent avait comme
répercussion dans le quotidien et dans la difficulté à occuper une place pour les bellesmères.
Force est de constater que M-L Iovane- Chesneau ainsi que des belles-mères
adhérentes du “Club” sont parvenues, en l’espace de quatre ans, à donner une lisibilité aux
familles recomposées en termes d’enjeu de société. Cette action de lobbying n’est pas
menée par n’importe quelles belles-mères mais par des belles-mères à fort capital
intellectuel et culturel, capables de mobiliser un réseau de relations afin de se faire
entendre. Ce qui tend à confirmer l’hypothèse que l’on n’est pas belle-mère de façon
identique selon son milieu social d’appartenance.
L’action de lobbying menée par le “Club des Marâtres” pour une reconnaissance
d’un statut du beau-parent s’est alors heurtée à une autre action de lobbying ayant des
revendications concurrentes, celle de l’association “SOS PAPA” dont les médias se sont
également fait le relais. Ces actions de lobbying concurrentes permettent d’éclairer les
incertitudes du droit qui tout à la fois veut renforcer la coparentalité et reconnaître la
pluriparentalité. C’est ce que je me propose maintenant d’étudier.
4.2. La belle-mère en droit :
d’une absence de reconnaissance à un projet de statut.
4.2.1 La situation des beaux-parents au regard du droit.
Jusqu’en 2007, les différentes études sur les recompositions familiales constataient
une non-reconnaissance juridique des relations nées des recompositions familiales. « Tout
se passe comme s’il était toujours impossible de penser la famille hors des catégories de
l’alliance et de la filiation » (Lenoir R., 2003 : 41). Le droit évolue toujours plus lentement
20
Le lecteur est invité à consulter l’annexe n° 4 présentant les émissions de radio et de télévision auxquelles
des adhérentes du “Club des Marâtres ont participé.
106
que les mœurs ou les comportements des citoyens même si, dans son essence, la loi est
faite pour s’adapter aux évolutions de la société. Les six dernières années ont néanmoins
été fécondes en terme de réflexions et de débats autour de la prise en compte juridique des
nouvelles constellations familiales. Dans un souci de clarté, je me propose donc de suivre
un déroulement chronologique afin de mesurer les évolutions du droit à cet égard.
La question d’un éventuel statut juridique pour le beau-parent est antérieure à la loi
de 2002 sur l’autorité parentale. Les commissions chargées d’en débattre, dirigées en 1998
par Irène Théry et en 1999 par Françoise Dekeuwer-Defossez, avaient relevé une difficulté
à trancher. Au regard des différentes figures dans lesquelles s’incarnaient les beaux-parents
(beaux-parents parents de substitution, beaux-parents remplissant une fonction parentale,
beaux-parents soucieux de respecter la place des parents ou beaux-parents tiers
complémentaires), elles avaient renoncé à construire un statut spécifique au beau-parent et
s’étaient prononcées pour la création d’un statut du tiers qui, membre de la famille, proche
ou étranger, pourrait être amené à prendre en charge un enfant. L’hétérogénéité des figures
beau-parentales suffit elle à justifier ce positionnement ?
La loi du 4 mars 2002 sur l’autorité parentale éclaire ce questionnement. Le
rapporteur de la proposition de loi à l’assemblée nationale affirmait « il serait quelque peu
paradoxal de consacrer la place du tiers, alors que l’un des objectifs de la proposition de
loi est de renforcer le principe de la coparentalité ». De fait, comme il est dit en préface
d’une thèse de droit présentée par Muriel Rebourg en 2003 sur la prise en charge de
l’enfant par son beau-parent, « le législateur du 4 mars 2002 a résolu la tension entre le
statut du beau-parent, investi d’une fonction parentale ou quasi parentale, et le statut des
parents séparés, en sacrifiant le beau-parent sur l’autel de la coparentalité » (Rebourg,
2003 : 3). C’est en effet, le principe de coparentalité que cette loi systématise. « Chacun
des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les
liens de celui-ci avec l’autre parent » (art.373-2) et « la séparation des parents est sans
incidence sur les règles de dévolution de l’autorité parentale » (art.373-2). Avec cette loi,
l’enfant devient le pivot de la famille. « Certes la loi du 4 mars 2002 a créé dans le code
civil un nouveau paragraphe intitulé “de l’intervention du tiers”, mais il
s’agit
essentiellement d’un regroupement de dispositions plus ou moins retouchées, parfois dans
un sens plutôt restrictif d’ailleurs. Et toutes les tentatives pour introduire dans les textes
les dispositions qui donnent au beau-parent tel ou tel pouvoir à côté des pouvoirs
107
traditionnellement reconnus aux parents (par le biais, par exemple d’un mandat, furent
rejetées » ( Rebourg, 2003 : 3).
Ainsi, actuellement la belle-mère reste quasiment ignorée du droit. Elle n’a, à
l’égard de l’enfant de son conjoint ni droits ni devoirs spécifiques, aucune autorité
parentale et aucune responsabilité juridique ; elle n’apparaît spécifiquement qu’en tant que
conjointe du père en matière d’empêchement au mariage avec un de ces beaux-enfants
après divorce ; le droit ne légifère pas sur ce que Françoise Héritier a nommé “ Inceste du
deuxième type” (1994) ; il n’y a pas d’avantages successoraux entre beau-parent et belenfant en dehors de la procédure d’adoption simple ou plénière ; il n’y a pas d’obligation
alimentaire entre le beau-parent et le bel-enfant. Malgré tout il est tenu compte des revenus
du premier pour le montant de la pension alimentaire et « on a pu constater que différents
mécanismes du droit des régimes matrimoniaux permettent de faire participer le beauparent à cet entretien, notamment la contribution aux charges du mariage qui inclut
l’entretien de l’enfant du conjoint » ( Rebourg, 2003 : 126) ; aucun droit d’hébergement
n’est prévu en cas de rupture avec le père des beaux-enfants ou en cas de décès de celui-ci,
alors que certaines belles-mères qui ont tissé des liens forts avec ces enfants le réclament.
Telle est actuellement la situation en terme de droit.
La question du statut du beau-parent est redevenue d’actualité courant 2007. Peu
après son élection, Nicolas Sarkozy chargeait Xavier Bertrand de proposer un texte de loi
sur ce statut. C’est Dominique Versini défenseure21 des enfants qui sera chargée d’établir
un rapport sur ce sujet. Dans l’émission de France Culture “Sur les docks” diffusée le 1er
octobre 2008, celle-ci rappelle que quatre millions d’enfants ne vivent pas avec leur deux
parents, soit un enfant sur quatre et qu’aux figures traditionnelles de la parentèle que sont
les grands-parents, les oncles et tantes…sont venus s’ajouter les beaux-pères et bellesmères. C’est le statut de cette nouvelle parentèle qu’elle a tenté de proposer. En tant que
défenseure des enfants, elle agit au nom de “l’intérêt supérieur de l’enfant” auquel se réfère
la convention internationale des droits de l’enfant. Il est, pour elle, important de clarifier
les relations au nom des liens que l’enfant « tisse avec des adultes qui ne sont pas son papa
ou sa maman mais qui comptent dans sa vie, qui comptent dans son éducation et lui
donnent de l’amour ». Il s’agit d’assurer à l’enfant le lien affectif avec « les adultes qu’on
lui impose […] avec des parents dont on ne sait pas combien de temps ils vont être en
21
La défenseure des enfants est une institution de la République créée en 2000 dans le prolongement de la
ratification de la convention internationale des droits de l’enfant.
108
couple », il s’agit d’aider l’enfant à circuler. Son propos se situe clairement du côté de
l’enfant et responsabilise les adultes. Elle reprend à son compte les propos qu’elle attribue
à la psychanalyse Geneviève Delaisy de Perceval : « les adultes ont construit un monde
mouvant dans lequel l’enfant est en circulation. Aidons le à circuler ! ». Pour elle, ce statut
doit s’élargir aux autres configurations familiales, telles les familles homoparentales, et
également aux familles d’accueil. C’est donc un statut du tiers « boite à outil pour famille
à configuration familiale variable » qu’elle propose dans le rapport qu’elle a rendu au
gouvernement.
4.2.2. Vers un statut légal du beau-parent ?
Le projet de donner un statut légal au beau-parent est ainsi à l’étude et Dominique
Versini propose Trois outils principaux pour définir le statut de tiers.
- Un mandat partiel d’éducation. Le parent donnerait une autorisation ponctuelle à
un tiers, quel qu’il soit, pour accompagner l’enfant dans des actes usuels de la vie courante
(école, dentiste…)
- Une convention de partage de l’exercice de l’autorité parentale qui concernerait
également les actes usuel du quotidien mais, aussi avec l’accord des deux parents, un ou
deux actes qualifiés de graves. Cette convention serait toujours réversible et facultative.
Elle serait homologuée par un passage devant le juge aux affaires familiales. Cette
convention préserverait l’autorité des deux parents qui continueront tous deux à décider
des actes importants de la vie de l’enfant (changement d’école, voyage à l’étranger,
opération.)
- La possibilité pour l’enfant, si le couple recomposé se sépare, de continuer à avoir
des liens avec son beau-père ou sa belle-mère dont il aura partagé, parfois pendant
plusieurs années, le quotidien et avec lequel ou laquelle il aura créé des liens affectifs.
Dominique Versini a remis ce rapport au président de la République qui l’a
approuvé et a demandé au gouvernement de l’avaliser. Dans un premier temps le
gouvernement a travaillé, à partir de ce rapport, à un projet intitulé “statut du beau-parent”
et qui se limitait donc aux familles recomposées.
109
En mars 2008, Nadine Moreno est nommée secrétaire d’État chargée de la famille
et reprend le dossier. Cette dernière en tant que députée s’est plutôt montrée favorable aux
nouvelles constellations familiales ce qui peut expliquer que le projet pourrait s’intituler,
selon les informations dont dispose Dominique Versiny, “autorité parentale et droit des
tiers”.
On ne sait pas quand cette proposition de loi viendra devant le parlement. Les
hésitations du droit sont ici palpables.
D’un côté, le droit a repris à son compte l’idée que le couple parental devait survivre
au couple conjugal. La parentalité se place du côté de la compétence de la condition
parentale et se pose comme principe, au nom du maintien des liens de l’enfant avec ses
deux parents. On parle alors de coparentalité. On peut se demander si vouloir que la
parentalité s’exerce dans la coparentalité n’est pas une façon de maintenir le prima des
liens biologiques, de sauver l’institution familiale classique en proposant une variante dans
laquelle, dans l’intérêt de l’enfant, certains liens entre adultes devraient perdurer malgré la
rupture.
D’un autre côté, le droit tente de faire reconnaître la pluriparentalité. Penser le lien
qui unit un adulte à un enfant dont il prend soin se révèle difficile. Aussi a-t-on vu
s’adjoindre le préfixe “pluri” au terme de parentalité pour donner le néologisme de
pluriparentalité et tenter ainsi de rendre compte de ces situations qui attribuent à l’enfant
plusieurs parents. L’émergence de cette notion pourrait-elle signifier la possibilité d’un
décalage entre l’investissement imaginaire de la parentalité et la reconnaissance sociale du
droit à occuper cette place ? Ce qui revient à se demander si plusieurs personnes peuvent
occuper des places différentes à l’intérieur de ce dispositif de parentalité et le beau-parent
devenir en quelque sorte un parent additionnel. Penser un statut de tiers suppose de
parvenir à distinguer les trois dimensions de la parenté que sont, pour reprendre
l’expression de Florence Weber « le sang, le nom, le quotidien » et reconnaître qu’elles
peuvent être assurées par des personnes différentes.
La question est de savoir si notre société est prête à repenser ainsi notre système de
parenté. Les enjeux sont importants ainsi que les résistances. Face aux groupes de pression
qui militent pour un statut du beau-parent, s’élèvent d’autres groupes qui lui sont hostiles.
L’union nationale des associations familiales (UNAF) a ainsi dénoncé la confusion et le
risque de contentieux que pourrait générer une autorité parentale de fait, concurrente d’une
110
autorité parentale légale. Les associations de pères séparés sont également hostiles à ce
projet. Invité d’une émission de radio22, Alain Cazenave président de l’association “SOS
PAPA” nous dit « ce projet nous a profondément choqué, pas tant sur son contenu même,
mais par le symbole qu’il représente ». Selon lui, on va créer un statut pour permettre au
beau-parent de conserver un lien avec leurs beaux-enfants alors qu’eux même, les pères,
ne parviennent pas à voir leurs enfants. Pour lui, la priorité est de tout mettre en œuvre
pour que l’enfant garde les contacts avec ses deux parents biologiques avant de s’intéresser
au statut des beaux-parents.
Pris entre des forces qui se veulent progressistes et des positions d’inertie ou
d’opposition, le droit hésite à donner une reconnaissance à la relation beau-parentale.
4.2.2.2. Ce qu’en pense les interviewées.
J’ai précédemment explicité la position prise par l’association le “Club des
Marâtres” en faveur d’un statut spécifique pour les beaux-parents. L’observation que j’ai
réalisée au “Club des Marâtres” étant concomitante de la réalisation des entretiens, j’ai
questionné les belles-mères sur ce statut (à l’exception de Flore que j’avais déjà rencontrée
et que je n’avais pas questionnée à ce sujet).
Jessica, qui n’était pas au courant de ce statut, après m’avoir demandé quelques
explications me dit : « faudrait que je sois tordue pour revendiquer ça ! Je m’en occupe
pas ! ». (NG. CSP-). Illustration d’une nécessaire concordance entre la réalité du vécu et un
statut possible. En ne donnant pas au statut du beau-parent un caractère obligatoire, le
projet à l’étude prend en compte ce type de situations.
A l’époque où Isabelle était belle-mère, l’autorité parentale était entièrement au
parent gardien. C’est en tant que psychologue qu’elle a réfléchi et plus particulièrement sur
le point qui concerne l’éventuelle dissolution de la deuxième union : « quand ça se passe
bien, c’est des choses de bon sens, y a pas besoin d’un statut, l’enfant crée des liens avec
d’autres que ses parents. Quand ça se passe mal c’est vrai que légiférer c’est une
protection pour l’enfant et pour l’adulte qui a établi un lien affectif avec un enfant…reste
tout de même le conflit de loyauté.. C’est compliqué cette question ! » (NG. CSP +)
22
“Sur les docks ”. France Culture. le 1er octobre 2008
111
Comme pour Isabelle, la question n’était pas d’actualité au moment où Jeanne (G.
CSP-) était belle-mère, et de plus, étant dans la substitution elle a fait comme si elle était la
mère.
La question a quelque peu surprise Martine qui n’y avait pas réfléchi : « ah je sais
pas !, en fait peut-être que ça aurait été bien pour Jérémie qui vivait là tout le temps, pour
son frère par contre c’était pas vraiment utile. ; je sais pas …je me suis jamais posé cette
question ! Et puis leur mère était jamais loin non plus… » (G. et NG. CSP-).
Pour Armelle les habitudes prises pendant la période de monoparentalité perdurent :
« ça se pose pas vraiment, ils sont là que pour le week-end et on a eu l’habitude de vivre
seuls avec nos enfants et de prendre beaucoup en charge. Les rendez vous chez le médecin
ou à l’école on délègue pas vraiment … en tout cas pas pour l’instant. » (NG. CSP +).
Claudia met en avant la dimension affective du lien beau-parental pour réfuter dans
son cas l’opportunité d’avoir un statut légal : « ça changerait rien aux sentiments, s’il y a
des sentiments oui…sinon non je voudrais pas » (NG.CSP+).
Marie qui, comme Claudia, a une relation difficile avec son beau-fils voit, quant à elle, une
aide possible dans ce statut : « là voilà, y a vraiment besoin d’avoir une vraie
reconnaissance et pour les enfants et pour les adultes. Que des choses claires soient
posées même si c’est surtout l’affectif qui joue. Si le droit nous reconnaît une place, les
enfants seront aussi élevés avec cette idée que des familles comme ça, ça existe, que la
société les reconnaît…actuellement on se débrouille on adapte… si un jour je pouvais dire
à Julien : écoute ça c’est moi qui fait ça pour toi, parce que le droit me le permet… et bien
je sais pas s’il m’acceptera davantage mais au moins il entendra que la société me
reconnaît comme légitime… ne serait-ce que parce que actuellement ç’est pas satisfaisant
donc il faut voir quelles implications ça aurait sur notre quotidien, sur le regards des
autres » (G.CSP+).
Karine ne souhaite pas bénéficier d’un tel statut qui, selon elle, la contraindrait
légalement à un lien de parentalité partagé avec la mère de sa belle-fille : « oh là là moi je
veux pas de ça ! Pour moi ce serait avoir un lien avec la mère d’Angélique, je peux pas ça
me fait horreur ! Je suis mariée à Eric donc je suis la belle-mère d’Angélique.
Officiellement ! C’est bon ça me suffit !ah non là-dessus je suis pas du tout d’accord avec
Marie-Luce. » (NG. CSP+).
112
Arielle est partagée. Fréquentant depuis longtemps le “Club des Marâtres” et étant
proche de la présidente, elle a dans un premier temps été favorable au statut du beau-parent
mais celui-ci soulève des questions d’ordre général et une réserve à un niveau personnel.
Elle craint que son compagnon ne se décharge davantage sur elle de la prise en charge de
sa belle-fille : « j’étais pour le statut car ça définirait davantage les choses sauf que ce
statut qui se met en place, par exemple, sur un couple parental qui lui n’échange pas sur
les rôles de chacun, ça va être difficile d’ajouter un statut en plus. Ça risque de générer
encore plus de conflits ! Moi je vois là entre mon ami et son ex ça se passe pas forcément
bien alors ajouter un statut la dessus ! Actuellement on discute de tout. S’il y a un statut
est-ce que mon ami ne va pas tout me déléguer.. ? J’ai pas envie. Le médecin, les réunions
d’école..ça va alourdir..les tribunaux ont pas besoin de ça ! » (G. CSP+).
Fanny est également partagée mais plutôt favorable. Dans son discours on perçoit
les tensions entre la légitimité de la coparentalité qu’elle relie à son éducation et la
pluriparentalité qu’elle vit au quotidien : « Est-ce que vous trouveriez important que le
beau-parent ait un statut donné par le droit ?
Oui, vraiment, même si c’est pas simple
pour moi avec mon éducation de dire ça comme ça, de dire que la famille elle peut être
autrement que classique papa, maman, les enfants.. donner des droits à un beau-père , une
belle-mère, c’est donner une existence à..à ce que je vis, c’est sûr..mais qui n’est pas le
modèle idéal de la famille catholique avec lequel j’ai grandi..même si il y a beaucoup à en
dire…je suis attachée malgré tout je pense à certaines traditions…(rires) difficiles à
tenir ! » (G.CSP+).
En mettant ces témoignages en perspectives avec les hypothèses de recherche, il
est possible de relever que la totalité des belles-mères non gardiennes ne souhaitent pas ou
ne voient pas un intérêt particulier au statut du beau-parent. Seules des belles-mères
gardiennes, et encore pas toutes, sont favorables au statut du beau-parent. Elles y voient la
reconnaissance de leur place et une possible légitimité auprès de leurs beaux-enfants.
Aucune n’évoque la garantie que ce statut apporte sur un maintien du lien en cas de
séparation.
Je peux déduire de cette analyse que le fait d’être gardienne ou non gardienne influe
sur la position prise par rapport au statut, puisque celles qui ne partagent pas le quotidien
y sont défavorables ou ne se sont pas posées la question.
113
Le degré de réflexion diffère également selon que les belles-mères sont gardiennes
ou pas. Assez nettement, on remarque que les belles-mères gardiennes se sont davantage
questionnées sur cet éventuel statut que les autres. Surtout, le degré de réflexion sur cette
question est plus avancé chez les belles-mères de milieux sociaux favorisés. Toutefois cette
réflexion ne les conduit pas forcément à plébisciter le statut du beau-parent.
Il m’est apparu intéressant de tenter de mesurer si fréquenter le “Club des
Marâtres” avait un effet sur la façon dont les belles-mères interviewées pensaient le statut.
Elles sont au nombre de quatre : Claudia, Marie, Arielle et Karine. Seule Marie y est
favorable, Karine est hésitante, Claudia est assez désabusée et Karine y est farouchement
opposée. Si des actions de lobbying sont menées par des adhérentes du “Club des
Marâtres” qui, comme on l’a vu précédemment, ont les capitaux sociaux et culturels leur
permettant de mener de telles actions collectives, elles peuvent aussi, à titre plus
individuel, s’écarter du discours dominant dans l’association qu’elles fréquentent, hésiter et
poursuivre la réflexion.
En conclusion, les modifications qui s’opèrent dans les façons de vivre en famille
sont rapides. Elles nécessitent des adaptations et représentent des défis à relever pour
différents acteurs. D’une part, pour les protagonistes de ces nouvelles familles : ainsi les
belles-mères font preuve de création dans l’élaboration de rôles et de places qui ne sont pas
légalement institués. D’autre part, pour la société qui tente d’organiser ces pluriparentalités
sans que les places et les responsabilités ne soient confondues.
114
CONCLUSION
115
J’ai mené cette recherche, sur les différents aspects des relations beau-parentales au
sein des familles recomposées, dans un contexte d’évolution de l’institution familiale qui
interrogeait et continue à interroger mes pratiques d’assistante sociale auprès des familles
que je suis amenée à rencontrer. L’évolution des modes de vie, l’augmentation du travail
féminin, la modification du fondement et des attentes du couple, participent, avec d’autres
facteurs, de la croissance du nombre des divorces et des recompositions familiales.
Au terme de cette recherche, les logiques à l’œuvre dans l’instauration des relations
beau-parentales sont apparues comme plurielles, dans des familles recomposées où
s’inventent des termes, des rôles, des places et des statuts qui ne sont pas définis par
avance. J’ai pu constater que les fonctionnements sont multiples, se modifient au cours du
temps et reposent sur la négociation au sein de la sphère privée.
L’hypothèse selon laquelle une différenciation de places et de rôles s’opérerait
entre belles-mères gardiennes et non gardiennes a été, en grande partie, validée. Les
premières, en partageant le quotidien de leur bel-enfant sont majoritairement amenées à
assumer un rôle proche de la fonction parentale et à organiser la vie de la maisonnée autour
des enfants. Elles occupent, alors, une place de « parent en plus » (Martial, 2003 : 2003) et
témoignent de la pluriparentalité qui peut être mise en pratique au sein des constellations
familiales recomposées. Pour les secondes, vivre auprès de l’enfant de son conjoint
n’induit pas forcément l’émergence d’une relation éducative et parentale ; ce qui se vérifie
d’autant plus, lorsqu’il s’agit de belles-mères qui ne vivent que par intermittence avec leur
bel-enfant. Se comporter en parent, « parent en plus », en élevant un enfant que l’on a pas
conçu, procède donc d’un choix de se comporter comme tel ; choix que toutes les bellesmères ne font pas. C’est ce que j’ai constaté, en particulier chez les belles-mères non
gardiennes que j’ai interviewées et qui majoritairement donnaient la primauté à la relation
conjugale.
Par ailleurs, l’instauration d’un lien affectif entre belle-mère et bel-enfant est
apparu comme facilité par le partage du quotidien mais aussi par la place que la mère du
bel-enfant est disposée à donner à la belle-mère. Ce dernier point conditionne le plus
souvent la reconnaissance, par l’enfant, d’une relation de parentalité avec sa belle-mère. La
condition sine qua non à l’établissement d’une relation beau-parentale étant une élection
réciproque des deux acteurs de cette relation.
116
Il n’a pas été relevé, dans cette recherche, de véritable différence dans les places et
les rôles tenus par les belles-mères qui relèverait de l’appartenance à des milieux sociaux
différents. En tout cas, pas dans le cadre de la sphère strictement privée ou dans ce qui
constitue la prise en charge du quotidien. Le primat d’un rôle de substitut parental pour le
beau-parent dans les familles de milieux modestes (comme le montrait certaines études
citées en introduction), ne s’est pas vérifié dans cette recherche. Même si ces études
portaient sur les beaux-pères et non les belles-mères, il est apparu qu’une nouvelle norme
suivant laquelle, le beau-parent n’a pas à se substituer au parent, semble en voie d’être
intégrée par l’ensemble des acteurs de la recomposition et ce, tous milieux sociaux
confondus. En revanche, le milieu social d’appartenance joue sur la participation des
belles-mères à la réflexion qui se fait jour sur les nouvelles formes de parentalité. C’est
exclusivement dans les milieux sociaux favorisés, à fort capital économique ou culturel,
qu’il a été constaté une démarche d’intellectualisation de la relation beau-parentale,
démarche d’interrogation autour des enjeux publics liés aux nouvelles formes familiales, et
enfin démarche de mise en œuvre d’une véritable action de lobbying visant à donner une
lisibilité publique aux familles recomposées et aux questions qui se posent à elles.
Si cette recherche microsociologique a permis d’établir un certain nombre de
constantes au sein de l’échantillon en présence, elle a surtout mis en évidence la difficulté
qu’il y aurait, au regard de la diversité des situations, à vouloir donner une spécificité aux
rôles beau-parentaux ou à tenter de définir la place occupée par le beau-parent.
Par contre, la mise en évidence de ces diverses façon de vivre dans une famille
recomposée a permis d’éclairer les définitions plurielles qu’il est possible de donner des
liens familiaux, en tenant compte de l’évolution de ces liens et de l’évolution de la parenté
dans nos sociétés occidentales contemporaines. Ainsi, la société française se voit-elle
confrontée à l’éventualité croissante d’une dissociation des composantes biologiques,
domestiques et généalogiques de la parenté alors que de façon séculaire, elle les voulait
indissociables. Prendre en compte cette dissociation, ne va pas de soi. En témoigne, par
exemple, les difficultés repérées dans le champ sémantique et le champ juridique pour
désigner ces réalités sociales nouvelles liées au statut de la famille et aux rapports qui
s’établissent entre ses membres.
Cette nécessité qu’il y aurait à repenser un système de parenté, s’accompagne par
ailleurs, d’une modification radicale des fondements de la famille. Ainsi, l’augmentation
117
du nombre des divorces et celle du nombre des cohabitations hors mariage font que le
mariage a bien moins qu’auparavant le rôle de fondateur de la famille. C’est désormais, de
plus en plus, à l’enfant qu’est dévolu ce rôle.
Les débats suscités par la diversité des situations familiales sont encore aujourd’hui
passionnés, et les réponses institutionnelles, juridiques et sociales s’en trouvent hésitantes
voire contradictoires selon qu’elle soutiennent la coparentalité et ainsi la primauté d’une
parenté biologique ou la pluriparentalité qui reconnaît quant à elle une place possible au
tiers qu’est le beau-parent et prend ainsi acte d’une parenté pratique. Un élément fédère,
toutefois, ces diverses interventions : l’intérêt de l’enfant. Car c’est bien celui-ci qui
justifie aux yeux du législateur, le nécessaire maintien du couple parental au-delà la rupture
conjugale ou la reconnaissance d’un tiers repéré comme ayant des liens affectifs forts avec
un enfant et qu’il y a lieu de préserver.
Au terme de cette réflexion, et sur ce dernier point en particulier on peut remarquer
que le tiers possiblement reconnu par le législateur est un tiers engagé dans une relation
parentale forte avec un enfant.
Pour ce qui concerne cette recherche à quelle belle-mère correspond cette
catégorisation ? La belle-mère gardienne qui a instauré une relation affective et éducative
avec son bel-enfant ? Quid des autres, celles qui ne souhaitent pas se comporter comme un
« parent en plus » ? En tentant de définir les devoirs et les droits d’un beau-parent, on
prend aussi le risque de signaler la “mauvaise” belle-mère, celle qui ne souhaite pas
occuper une place parentale particulière. En effet, si la catégorie donne une place, elle
rétrécie aussi le champs des possibles, en classant, voire en stigmatisant.
C’est donc aux divers enjeux que recouvre une éventuelle catégorisation du beauparent que l’assistante sociale, que je suis, se doit d’être attentive. De la même façon, il y a
lieu d’être conscients de l’exploitation qui peut être faite d’une référence à la parentalité. A
partir de quelques pistes réflexives que je soumets au lecteur, il m’est apparu que la
présente recherche pourrait utilement se compléter d’une étude sur l’émergence de la
notion de parentalité de façon contemporaine à la diversification des formes familiales. Les
faits de la parentalité, leurs traductions dans le quotidien et les sentiments qui en découlent
sont de plus en plus reconnus. L’action publique fait explicitement référence à la
parentalité et prend en compte les nouveaux types de relations entre les membres de la
famille. Lorsque l’on cherche, au sein des configurations familiales nouvelles, des modes
118
d’être ensemble, que l’on questionne qu’est ce qu’être belle-mère ou beau-père, par effet
miroir on est amené à questionner qu’est ce qu’être une mère ou un père. Cette réflexion ne
peut qu’enrichir les pratiques professionnelles des acteurs du social. Ce qui, toutefois,
m’interroge c’est que c’est sous l’angle du soutien à la parentalité que l’action sociale
impulse cette réflexion. Les actions, en ce domaine, ne manquent pas dans le champ social
et prennent appui sur l’intérêt premier de l’enfant. La parentalité s’impose comme une
responsabilité individuelle parentale que les autorités publiques ont à soutenir et à rappeler
au nom d’une responsabilité collective. Michel Chauvière nous dit que « cette parentalité
institutionnalisée est d’abord une norme morale considérée comme quasi naturelle,
justifiée prioritairement par l’enfant et qui, lui-même, est considéré comme un
investissement affectif et matériel majeur pour ses géniteurs/parents. Mais elle est
également une norme d’intervention collective mise en œuvre par différents réseaux
d’acteurs de la société civile dont les pouvoirs publics centraux sont normalement garants,
tout en exerçant dans ce domaine un légitime pouvoir d’exiger, de surveiller, voire de
punir. » (Chauvière, 2008 : 21).
Dans cette époque où les mutations de la famille sont rapides, dans un contexte qui
est ainsi rendu riche en innovations sur les relations qui s’élaborent au sein des familles, la
remise en question des pratiques des travailleurs sociaux auprès des familles s’avère
nécessaire et peut se révéler porteuse d’une véritable dynamique. Elle n’en est pas moins
délicate. Il s’agit de penser les actions menées, en tenant compte des contradictions
précédemment révélées et qui s’expriment quand la parentalité se décline en coparentalité
mais aussi en pluriparentalité. Il s’agit aussi, de ne pas ignorer le risque, inhérent aux
actions de soutien à la parentalité, de référer à la notion de contrôle social.
De façon plus générale, suivre au plus prêt, la façon dont seront argumentés dans
l’avenir les choix politiques, liés à l’évolution de la famille, à celle du lien de filiation ou à
la refonte de notre système de parenté, constitue une possible suite à cette recherche. Il
serait probablement intéressant d’étendre cette veille à différents pays occidentaux. D’un
point de vue sociologique, cette recherche pourrait également s’élargir à la façon dont
s’organisent les recompositions familiales après séparation dans d’autres cultures. Ainsi,
par exemple, au Japon, « en cas de divorce, l’un des parents sort de la maison -« uchi »en
japonais- et crée, de fait, un deuxième « uchi », sans rapport avec son ancienne maison.
En occident l’intérêt supérieur de l’enfant est de voir les deux parents. Au japon, il est de
119
vivre dans une maison de manière stable. Il est fréquent que l’ex-conjoint qui n’a pas la
garde de son enfant ne soit même pas autorisé à lui rendre visite » (Mesmer, 2008 : 3).
Une telle mise en perspective, rappelle, s’il le faut, la forte composante culturelle des
schèmes qui permettent de référer à un système de parenté ou à une définition des liens
familiaux.
120
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MESMER (P), 2008, « Au Japon, la gare partagée est un combat »,Le Monde,29 juillet,
pp 3
NAOURI (A), 1985, Une place pour le père, Paris, Seuil.
NEYRAND( G), 2001, « Mutations sociales et renversement des perspectives sur la
parentalité » in D. LE GALL et Y. BETTAHAR s/d, La pluriparentalité, Paris, PUF,
coll. « Sociologie d’aujourd’hui », pp 21-46.
REBOURG (M), 2003, La prise en charge de l’enfant par son beau-parent, Paris,
Defrénois, coll de Thèses. « Doctorat et Notariat ».
123
SEGALEN (M), 1981, Sociologie de la famille, Paris, Armand Colin (6ème édition en
2006).
SEGALEN (M) (dir), 1991, Jeux de famille, Paris, Presses du CNRS.
SELLENET(C), 2007, La parentalité décryptée. Pertinence et dérives d’un concept, Paris,
L’Harmattan.
THERY (I), 1991, « Trouver le mot juste. Langage et parenté dans les recompositions
familiales après divorce », in Martine SEGALEN s/d, Jeux de famille, Paris, Presses du
CNRS, pp. 137-156.
THERY (I), 1993a, « Le temps des recompositions familiales », in Marie-Thérèse
MEULDER-KLEIN et Irène THERY s/d, Les recompositions familiales aujourd’hui,
Paris, Nathan, pp. 5-31.
THERY (I), 1993b, Le démariage, Paris, Odile Jacob, coll. « Opus » (édition de 1996)
THERY ( I), 1996, « Normes et représentations de la famille au temps du démariage. Le
cas des liens fraternels dans les familles recomposées, in D. Le Gall & C. Martin dir.,
Familles et politiques familiales, Paris, L’harmattan, pp. 151-176.
THERY (I), 1998, Couple, filiation et parenté aujourd’hui. Le droit face aux mutations de
la famille et de la vie privée, Paris, Odile Jacob, La documentation française.
THERY (I), 2001, «Famille : l’éclatement des modèles familiaux », Sciences humaines,
questions de notre temps, hors série septembre, pp. 38-41.
VERSINI (D), novembre 2006, Rapport de la défenseure des enfants « L’enfant au cœur
des nouvelles parentalités. Pour un statut des tiers qui partagent ou ont partagé la vie d’un
enfant et ont des liens forts avec lui. »
WEBER (F), 2003, GOJARD Séverine, GRAMAIN Agnès, s/d, Charges de familles :
dépendance et parenté dans la France contemporaine. Paris, la découverte.
WEBER (F), 2005, Le sang, le nom, le quotidien : une sociologie de la parenté pratique,
La Courneuve, Ed. Aux Lieux d’être.
124
LITTÉRATURE ENFANTINE.
COLE(B), 1997, le dé-mariage, Paris, Seuil jeunesse.
COMTESSE de SEGUR, 1864, Les malheurs de Sophie, Paris, Librio (édition de 2005).
GRIMM (J) et (W), 1857, « blanche neige » in les contes de Grimm, Paris, Larousse,
coll. « mes premiers contes Larousse » (édition de 2004).
GUTMAN (C), 1983, Toufdepoil, Paris, Bordas.
LEACH (N) et BROWNE (J), 1992, la Marâtre, Paris, Kaléidoscope.
PERRAULT (C), 1697, Cendrillon ou la petite pantoufle de verre, Paris, Mango,
coll. « Au temps jadis » (édition de 1994).
RUBIO (V), DIEUAIDE (S), GIBERT (B), 2001, Ma mère se remarie : la famille
recomposée, Paris, Autrement junior, série « société »
125
ANNEXES
126
JEANNE
53 ans
MARIE
40 ans
FANNY
44 ans
ARIELLE
30 ans
MARTINE
49 ans
Gardienne
Gardienne
Gardienne
Gardienne
Gardienne
Gardienne
(Garde
alternée
Une semaine
Sur deux)
(Temps
Plein)
(Moitié des
Vacances
Chez la mère)
(Temps
Plein pour 2
et garde
alternée pour
2)
(Moitié des
Vacances et
1 week-end/2
chez la mère)
(Pour un
enfant
Non gardienne
pour un
enfant)
1
4
1
2
(présence des
beaux-enfants)
FLORE
40 ans
Durée de vie
commune
Habitat
Profession
Nombre
D’enfants
Nombre de
Beaux-enfants
Gardienne
ou
Non
gardienne
Prénom
et Age
ANNEXE N°1
Tableau présentant les belles-mères de l’échantillon.
2
2
3
3
2
(dont 1 issu
de la
recomposition)
(issus de la
recomposition)
(dont 1 issu
de la
recomposition)
(issus d’une
1ère
union)
Employée
De libre
service
Coiffeuse
Cadre dans
Le milieu
culturel
Appt.
Appt.
Maison
Petite
commune de
L’Oise
Région
parisienne
Banlieue sud
ouest de paris
Peintre
Conseillère Aide
Décoratrice en
soignante
(a restreint
Economie
son activité)
Sanitaire et
sociale
Maison de Appt.
Appt.
Banlieue sud Petite
Maître
(en congé
parental)
Non
renseigné
17 ans
9 ans
3
village
Sud de l’Oise
1 an 1/2
0
2
(souhaite être
mère)
(issus de la
recomposition)
de Paris
3 ans
commune de
L’Oise
10 ans
127
KARINE
32 ans
JESSICA
29 ans
ISABELLE
55 ans
ARMELLE
42 ans
Non Gardienne
Non Gardienne
Non Gardienne
Non Gardienne
Non Gardienne
(Un week-end
Sur deux +
moitié des
vacances)
(moitié des
vacances)
(week-ends sans
régularité)
(journées sans
nuits)
(1 week-end/2
+ mercredi sans
régularité +
moitié des
vacances)
(présence des
beaux-enfants)
CLAUDIA
39 ans
Durée de
vie
commune
Habitat
Profession
Nombre
D’enfants
Nombre de
Beaux-enfants
Gardienne
ou
Non
gardienne
Prénom
et Age
ANNEXE N°1 suite
Tableau présentant les belles-mères de l’échantillon.
2
1
1
0
2
0
(issu de la
recomposition)
(souhaite être
mère)
(ne souhaite pas
être mère)
Editeur
Chargée de
Ouvrière
Communication
5
2
3
4
(issus de la
recomposition)
(dont 1 issu de la
recomposition)
Psychologue
Assistante
Sociale
En recherche
d’emploi
Appt.
Appt.
Maison
Maison
Maison
Banlieue sud de
Paris
Paris centre
Petite commune
de la Somme
Banlieue ouest
de
Paris
Village de la
Somme
3 ans
3 ans
6 ans
15 ans
2 ans
128
ANNEXE N° 2
GUIDE D’ENTRETIEN
Introduction : L’objet de cet entretien est si vous en êtes d’accord de parler de comment on
vit chez vous, dans votre famille ; qui fait quoi…
Légende : en gras les questions principales
en noir les questions secondaires qui ne viendront que si la personne interviewée
ne les aborde pas d’elle-même.
en surligné les questions supplémentaires pour les famille non gardiennes.
1) Qui vit sous votre toit, de façon permanente, de façon plus périodique ?
- Quel est l’âge des enfants ?
2) Est-ce que vous pouvez me décrire votre logement ? Le nombre de pièces…
- Comment s’organise l’occupation de l’espace par chacun ?
- Les enfants ont-ils chacun leur chambre ? Qui dort dans la même chambre que qui
- Cette organisation change t’elle quand vos beaux-enfants sont là ?
3) Comment vous organisez vous par rapport aux enfants ? Qui s’occupe de quoi ?
- Comment ça se passe pour l’école, les devoirs…
- Chez vous qui amène les enfants chez le médecin ?
- Qui se charge des transports des enfants pour aller aux activités, chez les copains, pour
les allers retours entre chez vous et chez leur mère ?
- Est ce que vous partagez ensemble des loisirs ?
- A qui demandent-ils le plus souvent un avis ?
- Et en cas de chagrin, qui console, fait des câlins ?
- Comment se prennent les décisions pour les orientations ?
- A qui demandent-ils l’autorisation de sortir ?
- Qui selon vous a le plus d’autorité ?
- Avez-vous entendu parler du statut du beau-parent qui est à l’étude ? Si oui qu’en pensezvous ?
4) Quelles sont au quotidien les taches habituellement effectuées par vous, par votre
conjoint ?
- Qui cuisine habituellement chez vous ?
- Et quand vos beaux enfants sont là ?
- Qui lave le linge ?
- Vos beaux enfants laissent ils du linge chez vous
- Qui fait les courses ?
- Les enfants participent ils au tache ménagères ?
129
- Si oui y a-t-il une organisation particulière entre eux ?
5) qui décide de quoi dans votre couple ?
- Pour les achats importants
- Pour les vacances
- Pour les sorties, les loisirs…
6) Comment se gère l’argent dans le couple ?
- Avez-vous un compte joint, chacun son compte ?
- Est-ce que vous donnez de l’argent de poche aux enfants ?
- Qui paye quoi pour les études ?
- Et quand vous partez en vacances qui paye quoi pour qui?
- Qui achète, choisit les cadeaux de noël d’anniversaire ?
7) Comment cela se passe t’il avec les autres membres de la famille/ la mère des
enfants ?
- Quels échanges avez-vous avec la mère de vos beaux enfants ?
- Comment avez-vous été accueillie dans la famille de votre conjoint ?
- Comment vos parents ont-ils accueillis ses enfants ?
- Comment vos beaux enfants vous appellent ‘ils ? Quand ils s’adressent à vous, quand ils
parlent de vous à quelqu’un ?
- Comment parleriez vous de votre relation à vos beaux-enfants,quelle est la nature de vos
liens
- Imaginez vous garder un lien avec eux si vous deviez vous séparer de votre compagnon ?
8) En cas de désaccord dans votre couple au sujet des enfants comment cela se passe
t’il le plus souvent ?
- Vous disputez vous souvent à leur sujet ?
- Pensez vous alors que l’un ou l’autre des enfants interfère dans le conflit ?
- En quoi selon vous, avoir recomposé une famille a modifié votre vie au quotidien ?
Pour finir, pouvez vous me dire :
9) Quel est votre âge ? Votre profession ?ceux de votre conjoint ? Depuis combien de
temps vivez vous ensemble ?
Vos parents sont ils divorcés, viviez vous vous-même dans une famille recomposée ?
Ages et professions de vos parents, de vos beaux parents ?
130
ANNEXE N° 3
ARTICLES DE PRESSE RELATIFS AU “CLUB DES MARÂTRES”
Date de
parution
13/09/2004
14/01/2005
24/04/2006
24/01/2007
14/03/2007
06/05/2007
27/09/2007
19/02/2008
20/02/2008
06/03/2008
27/03/2008
Média
Agence
France Presse
Quotidien
Libération
Quotidien
libération
Quotidien
La Croix
Quotidien
Le monde
Dimanche
Ouest France
Hebdomadaire
L’Express
Quotidien
Libération
Quotidien
suisse.
Le Temps
L’Humanité
Dimanche
Quotidien
Le Figaro
Références
(Titre ; Auteur ; nombre de mots)
La complainte des marâtres
; Natacha Czerwinski .
Ma marâtre est marrie ;
Michael Hajdenberg .
Les belles-doches en ont marre des reproches ;
Caroline Bodinat
Dossier : Quelle place pour les beaux-parents ? ;
Christine Legrand ; 1370 mots.
Les marâtres se révoltent ;
Marion Heilmann ; 1228 mots
Un club pour les marâtres ;
Valérie Parlan ; 299 mots
Nouveaux rôles, nouveaux liens ;
Claire Chartier ; 1412 mots
Sa fille est une princesse,je ne peux rien lui dire ;
Charlotte Rotman
La vie des autres ;
Benjamin Louis ; 309 mots
Pas marrant d’être marâtres ;
132 mots
La complainte des belles-mères ;
Agnès Leclair 317 mots
131
ANNEXE N°4
ÉMISSIONS RADIOPHONIQUES ET TÉLÉVISÉES AVEC PARTICIPATION
D’ADHÉRENTES DU “CLUB DES MARÂTRES”.
Date
14/11/2005
Télévision/radio
France 2
19/10/2006
France 5
4/04/2007
France 3
21/07/2007
France Culture
28/11/2007
M6
2/03/2008
France Inter
29/09/2008 au 1/10/2008
France Culture
Références
Journal de 20 heures :
Reportage sur le “Club des
Marâtres”
Emission “Les maternelles”
Reportage de Sylvie
Alloneau sur les familles
recomposées. Invitée :
M-L Iovane-Chesneau
présidente du “Club des
Marâtres”.
Emission “Vie privée, vie
publique” de Mireille
Dumas : « demander la
permission aux enfants ».
Invitée : M-L IovaneChesneau présidente
du “Club des Marâtres”.
Emission “Les pieds sur
terre” de Sonia Kronlud :
« Le Club des Marâtres »
reportage de Farida Taher.
Interviews de 8 adhérentes.
Documentaire de téléréalité
de Karine Dusfour : « mon
beau-père, ma demi-sœur et
moi. ».Participation du
“Club des Marâtres”
sollicitée.
Emission “Interception” de
Valérie Cantié et Lionel
Thompson : « Marâtres :
bienvenue au club ! »
reportage de Sandrine
Oudin.
Emission “Sur les docks” de
Pierre Chevalier : « Les
nouvelles parentalités ».
Témoignage d’adhérentes
du “Club des Marâtres”
132
NOM :
PRENOM :
Date du jury :
RENAUT-LAPORTE
Aline
12 mars 2009
FORMATION :
Diplôme Supérieur en Travail Social
TITRE :
Belles-mères
Entre “marâtres” et “marraines-fées”
Rôles et places au sein des familles recomposées
MOTS-CLEFS : Famille. Parenté. Famille recomposée. Belles-mères. Parentalité.
RÉSUMÉ :
Que signifie être belle-mère dans une famille recomposée ? Quel est le rôle de celle-ci
auprès de ses beaux-enfants ? Quelle place lui est donnée ? De quelle nature sont ces liens,
jusqu’alors inédits, qui unissent belle-mère et bel-enfant ? C’est à ces questions que tente
de répondre cette étude menée auprès de onze belles-mères.
Ainsi, cette recherche s’articule autour des interrogations que font naître, les nouvelles
façons de vivre et de penser les liens familiaux.
Partant d’une étude microsociologique, axée sur la figure singulière que représente la
belle-mère ainsi que sur l’organisation interne de la vie quotidienne au sein de ces
nouvelles maisonnées, l’analyse intègre une démarche de compréhension des différentes
composantes de notre système occidental de parenté.
Au travers des constellations familiales recomposées, la possible dissociation de ces
composantes est rendue lisible. La lecture qui est faite de l’institutionnalisation de la
parenté biologique et de la parenté pratique, en particulier par le droit, éclaire les tensions
qui sont à l’œuvre alors que notre société pourrait avoir à penser différemment son
système de parenté.
Une nouvelle norme semble émerger faisant de « L’intérêt de l’enfant » le nouvel
élément fondateur de la famille. Dans ce contexte, les actions de soutien à la parentalité,
que cette dernière soit coparentalité ou pluriparentalité, témoignent du contrôle de
l’institutionnel sur la sphère privée.
NOMBRE DE PAGES : 131
VOLUME ANNEXES : 4
CENTRE DE FORMATION :
Université de Picardie Jules Verne, Direction de l’Education Permanente
En collaboration avec l’Institut Régional de Formation aux Fonctions Educatives