Mon Faust

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Mon Faust
Mon Faust...
Nouvelle de Guy Dessauges
Par ce beau matin ensoleillé, je fis à pied, le chemin vers mon éditeur. J'étais
d'excellente humeur et je me réjouissais de la bonne farce que j'allais lui faire.
J'avais copié le Faust original de Goethe, grâce à un scanner mirifique qui
déchiffrait les caractères étrangers sans problème.
Mon éditeur, Monsieur Drucker, un Allemand actif et bon commerçant
m'avait sauvé de la vie besogneuse de l'écrivain sans succès qui m'attendait, en
reprenant mes textes jusqu'à ce qu'ils soient vendables ! Il avait à son compte
une liste impressionnante de best-sellers. Il était le self-made-man dans tout son
horreur, mais il était très gentil... Il n'était pas avare, j'avais assez d'argent, pour
faire ce que je voulais.
Je posais le manuscrit sur son bureau avec l'air triomphant de l'auteur à succès.
C'est à dire un rictus arrogant de satisfaction... Drucker regarda le titre avec
méfiance... Faust hurla-t-il... C'est une histoire de boxeur ! ( En allemand
"Faust" veut dire poing !) Je gardais un silence dédaigneux. Il feuilletait le petit
manuscrit de 200 pages avec un air blasé...
Qui c'est ce type : Méphistophélès ? Ce nom est trop long, je propose Félix ! ...
Il y a une nana là-dedans ? Marguerite, t'es fou, c'est démodé, on l'appellera
Chantal, pour l'édition française, et pour l'allemande : Heidi !... Les histoires de
filles abandonnées se vendent encore bien, surtout si elles sont jolies et bien
salopes ! Ajouta-t-il d'un air satisfait...
Surpris, je le regardais stupéfait... Il ne connaissait pas le chef-d'œuvre de la
littérature allemande ! Ou bien il jouait la comédie ! Il prit un air dégoûté :
La nuit de Walpurgis... où as-tu trouvé ce nom ? On fera ce bal chez "Bébert
le ventre en l'air" pour l'édition française et pour la version allemande ce sera :
"Fest beim Bahnhof Zoo". C'est très évocateur ! C'est le rendez-vous des putes et
des drogués à Berlin ! Dieu et l'enfer... Tu t'imagines que l'on croit encore à
ces balivernes...
Et ces anges ! Des soldats de l'Armée du Salut... arrivant en ULM... C'est
mieux ! La magie, idiotie démodée !... Une banque de petits crédits ! Tu reçois
de l'argent, tu rembourses et tu leur dois le double... A 18% par mois, ça c'est
de la magie ! Le public connaît !
Le chœur des anges ! Des putes dans un bordel qui fêtent l'anniversaire de la
matrone ! En chantant " Mimi pattes en l'air..." Et ce Burgdorf, c'est en Suisse !
On met la scène sur la Repperbahn à Hambourg... C'est le rendez-vous des
chauds lapins...
On remplace Dieu par Benito, chef de la mafia... Et l'enfer par un concert
Rock ! Ou mieux encore, un défilé Techno ! ... Au fond, tu sais, ton histoire
ferait une bonne pièce de théâtre, ou un opéra super-techno ! Je vais étudier la
question... Ce Wagner prête à confusion, on le remplace par un psychiatre
nommé "Psyqui" !
Je ne savais que répondre, je bredouillais que j'allais réécrire le texte... En
rentrant chez moi je me demandais sérieusement si Faust était un chef-d'œuvre...
Il s'agissait sans nul doute, d'un texte mystificateur, écrit par des étudiants
munichois à la fête de la bière !... Déjà le fait que Goëthe l'ait soi-disant fait
publié après sa mort est plutôt douteux, cela sent la farce estudiantine...titine !
Je pourrais arranger ce fait divers pour Drucker, sans difficulté...
Cette histoire stupide et bigote allait enfin prendre, grâce à mes retouches, une
forme actuelle... L'on avait déjà rempli de caca en boîtes, les musées du monde
entier ! Pourquoi se faire des scrupules ?
Je songeais déjà à un remake de la comédie humaine du Dante, qui est encore
plus stupide que Faust... Vous me direz que ces histoires sont sans intérêt et que
c'est la langue qui fait leur valeur...
Une belle langue, qui ne transporte pas d'idées neuves n'est pour moi que
lettre morte ! Il en est de même pour le beau langage transportant des
malédictions et des mensonges !
Arrivé chez moi je trouvais un message de Drucker, il voulait, tous comptes
faits, que l'histoire se passe dans un grand bureau... où notre Faust serait la
victime du mobbing de ses collègues.
Félix serait son sauveur. Il lui aiderait à monter en grade et à se venger. Grâce
à une secrétaire à la bouche pulpeuse, un peu pute. Elle le ferait chanter, en lui
faisant croire qu'elle était enceinte de lui !
(Sacré Drucker, j'avais réussi à lui faire lire le Faust de Goethe... S'il savait la
vérité, il m'étranglerait !)
Finalement Faust, bourré d'hormones de croissance finira ses jours, écrasé par
un tram, portant le numéro 666... Celui de Satan... Seul concession à l'histoire
bien chrétienne et bien morale du Faust classique !
Plus trace de morale, Dieu retrouvera certainement ses petits... La mort dans
l'âme, je me mis au travail. Maudissant ma stupide farce...
En travaillant, je reconnus qu'avec un truc pareil nous allions faire fortune !
Mon éditeur Drucker avait raison, il faut plaire au lecteur.
Si non, l'on reste coincé pour toujours, dans les rayons poussiéreux d'une
bibliothèque. Mieux valent les kiosques de gare !
Je pensais avoir la paix, mais mon cher Drucker téléphonait tous les jours
pour ajouter des modifications. (Il lisait entre deux coups de téléphone...)
Il finit même, par accepter l'idée de Dieu dans ce fatras, avec une scène finale
où se rencontreraient tous les personnages, y compris le Pape, avec Dieu le
Père, au milieu, déguisé en père Noël... Les anges devant, agenouillés, pleurant
de repentir... Costumés en mafieux, costumes noirs en polyester et canotiers
blancs...
Pour la version hollywoodienne, on ferait entrer la Vierge qui chanterait l'air
de la reine de la nuit de l'Opéra de Mozzarella, tu sais bien... Ce petit
compositeur allemand (sic !) Je proposais la mort de Boris Godounov, mais il
trouvait l'air trop déprimant! On se mit d'accord pour proposer le Messie de
Haendel... le célèbre compositeur anglais !
De toute façon Hollywood choisira leur compositeur maison qui assemble les
chutes de musique de film dans les corbeilles à papiers des tables de montages...
Il avait eu le grand prix de Busac Kontemporaine pour grandes surface, au cours
d'une Aktion de la Star allemande, Boueux... Ce type crasseux qui exposait des
sandwichs Big Mac dégoulinants sur des poubelles pleines de harengs pourris,
flottant sur une mer de sang...
Symbole élégant pour lutter contre la consommation eugé-nique ta mère...
Comprenne qui pourra ! Ce qui est important si l'on veut faire un tabac dans le
bon peuple, c'est que ce soit incompréhensible et nébuleux.
Lorsque j'arrivais chez Drucker, ma nouvelle version sous le bras. Il avait déjà
vendu mon œuvre à Hollywood. Le metteur en scène serait J. Fokyou, qui avait
fait les plus grands films cochons de l'histoire du cinéma américain obligeant
les stars à jouer des scènes à poil... Pas des scènes d'amour ! De simples actions,
comme laver la vaisselle ou passer l'aspirateur. Ou de chercher une boucle
d'oreille sous le lit ! Inoffensif !... Les ligues des vertus respectueuses contre la
concupiscence n'ont pas pu agir... Ces ligues préfèrent voir à la TV une
opération de la prostate à l'heure des repas. Chacun ses goûts... En insistant un
peu, il me donna un chèque, de quoi passer des vacances épuisantes sur le navire
suédois PornoCruser. Où tout est compris, même le lift-boy chinois...
FIN