Programme 11 décembre 2009

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Programme 11 décembre 2009
Direction Marie Christine PANNETIER
avec Bal & Masques :
flûtes à bec, cromornes, Cécile ROBERT
luth et guitare renaissance, Jeanne BOËLLE
flûtes à bec, hautbois du Poitou et cromornes, Isabelle VONCK
percussions, flûte basse, cromorne basse, Maxime FIORANI
Vendredi 11 décembre 2009
Espace Madeleine Delbrêl
Crypte de l'église St Dominique
20, rue de la Tombe-Issoire, PARIS 13ème
SOIRÉE RENAISSANCE
Partie concert
Si je m'en vais (pavane-gaillarde)
Ola, o che buon eco ! (2 chœurs)
Claude GERVAISE
autour de 1550
Roland de LASSUS
1532-1599
Motets
Tu solus facit mirabilia
JOSQUIN DES PRES
1440-1520
Cantate Domino (½ chœur)
Hans Léo HASSLER
1564-1612
Ave Maria (½ chœur)
Tomas-Luis da VICTORIA 1548-1611
Tristis est anima mea
Roland de LASSUS
Surgens Jesus
Roland de LASSUS
Chansons
Ouvrez-moi l’huis (½ chœur)
Clément JANEQUIN
1485-1558
L'invaghito
Giovanni GASTOLDI
1556-1622
La Cortigiana
Giovanni GASTOLDI
L'innamorato (½ chœur)
Giovanni GASTOLDI
Chant des Oiseaux (½ chœur)
Clément JANEQUIN
Pavane d'Espagne
P-Francisque CAROUBEL mort en 1611
Je vois des glissantes eaux (½ ch )
Guillaume COSTELEY
1530-1605
Bransle de la torche
Michael PRAETORIUS
1571-1621
Que de passions et douleurs (½ ch)
Guillaume COSTELEY
Canarie
Michael PRAETORIUS
Changeons propos
Claudin de SERMISY
1490-1562
Buffet de gastronomie Renaissance
Partie dansée
Maîtresse à danser : Jeanne BOËLLE
Bransle des lavandières, des pois Thoinot ARBEAU
Allemande
J-Hermann SCHEIN
1520-1595
1586-1630
Texte de liaison de Jean-Pierre SANTIANO, lu par Gérard TORCHET
En rouge, les parties instrumentales
Déroulement de la soirée
Partie Concert
Le Narrateur :
"Nous sommes en décembre 1591, dans le Puy de musique d'Evreux. Le
Puy, un nom qui signifie hauteur et qui provient du grec pous, podos, via le latin
podium. C'est la 16e année que la Confrérie des chanteurs de la cathédrale organise le
banquet de la Ste Cécile, patronne des musiciens, à qui elle est consacrée. Messire
Guillaume Costeley, organiste du roi de France, y a adjoint un concours de
composition musicale dont je suis le secrétaire.
Nous connaissons hélas cette année de grands troubles qui nous obligent à nous
réfugier dans cette catacombe. (1)
Je ne vous en dis pas plus pour l'instant.
Léonard : La Cène (détail)
Bramante : la coupole de Sta
Maria delle Grazie
Après Si je m'en vais, pavane – gaillarde de Claude Gervaise, aux instruments
et le chant à 2 chœurs Ola, O che buon eco !
"Nous avons commencé par une œuvre de Roland de Lassus dont la renommée
s'étend des Flandres à la Sicile et de l'Espagne à la Styrie. Chanson vive et futile, hors
concours, d'un chœur qui dialogue avec son écho, s'en régale d'abord mais finit par s'en
lasser : Basta, basta ! Nous voulions rendre hommage à cet homme si actif, si génial qui,
aujourd'hui âgé de 59 ans,, commence, hélas, à perdre un peu la tête, dans sa retraite de
Munich.
***
Nous ouvrons ce concours avec des œuvres religieuses de la catégorie "Motet à 4
voix" avec le "Prince de la musique", Josquin des Près, Il a rejoint le Père depuis
maintenant 33 ans mais sa musique reste un modèle pour nos contemporains.
C'est à Beaurevoir, près de Cambrai qu'il est né, vers 1442. A 19 ans, il partit pour
l'Italie où il vécut 45 ans. Il y fut chantre à la cathédrale de Milan, maître de chapelle
des Sforza, toujours à Milan, puis au service d'Hercule 1er, duc de Ferrare. On l'a
ensuite retrouvé à la chapelle de Louis XII à Paris, puis à St Quentin, et il a vécu ses 12
dernières années près de son village natal, prévôt de la collégiale à Condé sur l'Escaut,
où il est mort vers 1527. Né bourguignon sous Philippe le Bon, il est mort allemand sous
Charles Quint !
Josquin ne fut pas le seul musicien franco-flamand attiré à la cour de Milan,
duché le plus riche d'Italie, en 1474. Le duc Galeazzo Maria Sforza, y avait rassemblé
pour sa dévotion personnelle un chœur qui égalait les meilleurs dans la péninsule, y
compris la Sixtine. Célèbre pour son mécénat musical, le duc n'en était pas moins cruel,
tyranique et lubrique. Ce qui lui valut d'être assassiné dans une conspiration
spectaculaire le lendemain de Noël 1476.
Son successeur, Ludovic le More, brigand et comploteur, fut lui aussi mécène et
urbaniste. Josquin y connut Léonard quand il peignit sa Cène dans le réfectoire de
Santa Maria delle Grazie et Bramante quand il construisit la coupole de cette même
église. Il a aussi été marqué par les prêches enflammés de Savonarole à Florence
exhortant les foules à revenir aux préceptes de l'Évangile, et qui lui aurait inspiré son
Miserere.
Quoi qu'il en soit, c'est là qu'il composa le motet à 4 voix Tu solus qui facis
mirabilia qui fut imprimé dès 1503 par le vénitien Petrucci, l'inventeur de l'impression
de partitions de musique. Ce motet offre un échantillonnage assez complet de son art
dans le genre. Des passages harmoniques où toutes les voix disent les mêmes paroles en
même temps, marqués par des sortes de points d'orgue, alternent avec des brefs duos qui
se répondent sur un même motif. Ce procédé d'écho a été très utilisé par Josquin et porté
au rang de système par les Vénitiens grâce aux tribunes jumelles de St Marc. Et nous
venons de l'entendre chez de Lassus. On y trouve aussi fréquemment des passages d'un
rythme à 2 temps à un rythme à 3 temps, sans cassure du discours
Tu solus qui facis mirabilia
L'envoi suivant nous vient d'Augsbourg en Bavière. Il est signé de Hans Léo
HASSLER. Il y a joint une courte notice que je vous lis.
"Né en 1564 à Nüremberg, je suis le fils et élève d'Isaac Hassler, organiste, comme
mes 2 frères.
A 20 ans, je suis parti à Venise, où j'ai reçu l'enseignement d'Andréa Gabrielli,
organiste de la basilique St Marc.
Quand celui-ci est mort, 2 ans plus tard,j'ai obtenu le poste, que j'occupe
actuellement, d'organiste à la cathédrale d'Augsbourg et chez les Fugger"
Il a donc aujourd'hui 27 ans. On ne peut que l'imaginer, méditant sous les fines
arcades de la Cour des Dames, la plus belle des 3 cours du palais des frères Fugger, à
Augsbourg. C'est leur oncle Jakob le Riche qui l'avait fait construire au début du
siècle. Sa fortune était énorme. Il achetait prébendes et indulgences directement au Pape
...et les revendait à un prix supérieur ! Il avait financé l'élection de Charles Quint, prêtait
aux rois l'argent qu'exigeaient leurs guerres, gérait les finances de la Curie Romaine et
de Philippe II... Les choses ne sont plus ce qu'elles étaient. Mais les mines d'argent de
Potosi en Bolivie et de cinabre de Castille (dont on tire le mercure, indispensable pour
traiter le minerai d'argent) leur permettent encore d'entretenir dans leur palais une cour
fastueuse, de riches collections et...des musiciens.
Augsburg : la Cour des Dames
Notre jeune Hassler se souvient aussi des Maîtres Chanteurs qu'enfant, à
Nuremberg, il allait écouter, et en particulier le plus doué et le plus célèbre d'entre eux,
le cordonnier Hans Sachs, qui mourut quand il avait 12 ans. Des Maîtres Chanteurs, il
s'en trouve aussi à Augsbourg et à Mayence. Mais ces corporations d'artisans et de
bourgeois ont des règles rigides. Ils s'opposent à toute innovation. Leur musique est
toujours monodique et rigoureusement vocale. A cent lieues de sa conception à lui,
Hassler, qui associe à l'esprit populaire allemand l'élégance de la polyphonie
vénitienne.
Le texte de ce motet, Cantate Domino, est extrait du Psaume 96 : Chantez au
Seigneur un chant nouveau. On y retrouve des duos très brefs en imitation, comme on
en a entendu chez Josquin, qui alternent avec des parties harmoniques.
Cantate Domino
Ce courrier nous vient de Madrid, où travaille maintenant Tomas Luis da
Victoria. Mais l'œuvre a probablement été écrite à Rome où il s'est rendu à 18 ans, et
où il est resté 20 ans. Il y a été ordonné prêtre et employé dans différentes églises, en
particulier à Santa Maria de Monserrato, la paroisse espagnole, dédiée à la célèbre
Vierge catalane, tout prés du Campo dei Fiori. Dans la via de Monserrato, qui passe
devant l'église, veillent de jolies madones qui lui ont peut-être inspiré cet Ave Maria.
Au bout de cette rue, en quelques minutes de marche, il pouvait rencontrer son ami
Philippe Néri, dans sa congrégation de l'Oratoire, comme lui à la recherche de formes de
Avila : les remparts
piété renouvelées.
Tomas Luis était né à Avila, près de Madrid. D'un tempérament plutôt contemplatif
Rome,
et isolé du monde, il a certainement connu ou entendu parler de Soeur Thérèse, partagé
Sta Maria son mysticisme (mêlé chez elle à un sens aigu de la réalité), et adhéré aux innovations
di
du récent Concile de Trente. Il a quitté Rome et son agitation en 1585, et a retrouvé sa
Monserra Castille natale, mais à Madrid. Là, il est entré au service de la sœur de Philippe II,
to
retirée dans un couvent de Déchaussées.
Dans sa musique, exclusivement religieuse, il ne s'est pas résigné à suivre la
prescription conciliaire d'une musique monodique : la composition présentée ce soir, son
Ave Maria, reste polyphonique et n'est pas dénuée de sens dramatique. La 1re partie est
contrapuntique, avec des duos en imitation (tic de l'époque !), la 2de, Sancta Maria est
au contraire harmonique, avec un frémissement sur mortis nostrae et l'amen qui suit.
Ave Maria
Avant de devenir empereur, Charles Quint s'appelait Charles II, duc du Brabant, hérité
des ducs de Bourgogne. Cinq ans après la mort de Josquin à Condé, et 25 km plus à l'est,
naissait à Mons, en 1532, Roland de Lassus.
Dès l'âge de 12 ans, il entra au service de Ferdinand de Gonzague fils de François
II de Mantoue et de la grande Isabelle d'Este. Ce Ferdinand est un général de l'armée
impériale. Il a participé au sac de Rome en 1527, défendu Naples contre les Français et
combattu les Turcs. L'empereur l'avait nommé vice-roi de Sicile, puis gouverneur du
duché de Milan. Le petit Roland, dont il avait remarqué la voix, devenu Orlando di
Lasso, l'a suivi en Sicile, puis à Milan, a passé 3 ans à Naples et 2 ans à Rome où il
dirigea le Chœur de St Jean de Latran. Il voyagea en France et en Angleterre, retourna
à Anvers en 1555, où l'édition de ses premières œuvres lui donna la notoriété. Depuis
1556 il est établi à Munich au service d'Albert V, duc de Bavière. Ce duché est resté
catholique, alors que les états allemands du nord ont basculé dans le camp luthérien. Il
est même devenu un bastion de la contre-réforme. De Lassus, d'abord engagé comme
ténor, y est maintenant maître de chapelle.
Pour ce concours, il nous a envoyé 2 motets à 5 voix. Le 1er, Tristis est anima
mea, est bâti sur les paroles de Jésus au Mont des Oliviers le soir avant d'être arrêté puis
crucifié. Il confie sa tristesse à ses disciples Pierre, Jacques et Jean, selon un poème qui
cite et commente un verset d'évangile (Mt 26,38 et Mc 14, 34) : "Mon âme est triste à
mourir; restez ici et veillez avec moi". Deux parties contrapuntiques alternent avec deux
courts passages harmoniques qui mettent en valeur les phrases : "maintenant vous
verrez" et "moi, j'irai au sacrifice".
Roland de Lassus
Tristis est anima mea
Des autorités religieuses qui crucifient un innocent, voilà qui nous ramène aux
troubles que j'évoquais au début.
Le raffinement et l'art de vivre qui avaient caractérisé la première moitié de notre
16ème siècle (sous Louis XII et François 1er) se sont noyés dans le sang de la St
Barthélemy.
Si les Protestants dominent au sud de la Loire, la Ligue catholique, menée par les
Guise, domine au nord. Soutenue par le roi d'Espagne Philippe II et le Pape, elle y fait
régner la terreur.
Ces derniers temps, les choses se sont précipitées. Le roi Henri III, humilié et
chassé de Paris par Henri de Guise, le Balafré, le fait assassiner. Mais le duc de
Mayenne le remplace à la tête de la Ligue et un moine dominicain du couvent de St
Jacques, tout proche d'ici, assassine le roi à son tour.
Henri de Navare, protestant modéré, devenu héritier de la couronne de France, a
mis le siège devant notre ville d'Evreux que notre évêque a engagée dans la Ligue.
C'était en mars 1590. Mayenne et ses ligueurs le prennent sur ses arrières, à deux contre
un. Le Béarnais l'emporte pourtant. C'est là qu'il galvanise ses gentilshommes en
s'écriant "Si vous perdez vos enseignes, ne perdez point de vue mon panache". Puis il
revient mettre le siège devant Paris. Malgré 30 000 morts de faim, sur ses 300 000
habitants, la ville, fanatisée par les moines et les ligueurs, résiste. Des armées
d'Espagnols et de Napolitains affluent pour les soutenir.
Nous en sommes là aujourd'hui. Quel gâchis ! A quoi cela va-t-il nous mener ?
J'espère que le motet suivant, Surgens Jesus, du même Roland de Lassus, par
son caractère jubilatoire, va vous faire oublier ces horreurs. "Jésus apparut au milieu de
ses disciples et leur dit : la paix soit avec vous" Structure comparable au précédent : un
court passage harmonique vertical (Gavisi sunt discipuli = les disciples se réjouissent)
est encadré par 2 parties imitatives. La 1ère, sur le mot Surgens (apparut), illustre le
caractère immatériel de la présence de Jésus, et la 2de, la joie des disciples sur le mot
Alleluia.
Surgens Jesus
Ang
ers,
la
cath
édra
le St
Mau
rice
Nous abordons maintenant la catégorie "chanson légère ou facétieuse à quatre
voix". Pour votre agrément, nous y avons glissé en manière d'intermède, des danses
instrumentales, que l'on se contentera d'écouter d'assis pour l'instant.
Tout comme Josquin des Prés, Clément Janequin n'est plus. Il nous a quittés
en 1558, 33 ans déjà ! Mais comment l'oublier dans une manifestation comme la nôtre !
Pour les plus jeunes, je rappellerai qu'il est né à Chatelleraut en 1485, que, devenu
prêtre (ce qui est d'abord un gagne-pain, les prébendes étant un bon moyen de
subsistance), il a exercé dans la région de Bordeaux, que dès 1520 sont publiés 4
recueils de ses chansons, à Venise d'abord, puis à Paris, qu'il se fixe à Angers, avant de
s'installer à Paris, rue de la Sorbonne, à 64 ans. Il y est chapelain du duc de Guise,
François de Lorraine, puis chantre de la chapelle royale d'Henri II, sous les ordres de
Claudin de Sermisy, et enfin compositeur ordinaire du même Henri II, qui mourra un an
après lui.
Il doit sa gloire à la chanson, genre qu'il a porté à son plus haut degré de perfection.
Il en a écrit plus de 250, délaissant quelque peu la musique religieuse : des psaumes et
seulement 2 messes, et encore, sur des thèmes de chansons !
Or donc, en voici une : "Ouvrez-moi l'huis". L'amant cogne à la porte et insiste.
La belle joue l'innocente : "que voulez-vous ?" Il se fait pressant. Elle s'obstine : "ma
mère ne dort pas, si elle vous entend, elle en sera marie". Flairant un mensonge de
coquette, il répète inlassablement son ordre.
Ouvrez-moi l'huis
Mantoue, Santa Barbara au
cœur du palais ducal
Eh bien on ne s'ennuie pas à la cour des Gonzague à Mantoue !
A cause des 4 lacs qui l'entourent, cette ville magique semble sortie de l'eau. Autant
Guillaume Gonzague duc de Mantoue avait été précautionneux, économe, conservateur,
autant son fils Vincent, qui lui a succédé en 1587, est irréfléchi et dispendieux. Le luxe,
les femmes, les spectacles offerts, la collection effrénée d'œuvres d'art, les fêtes, les
voyages l'intéressent plus que la conduite de son duché. La musique aussi le passionne.
Il vient d'engager un jeune violoniste de talent , un dénommé Claudio Monteverdi. Mais
surtout, il est ravi des services de Giovanni Giacomo Gastoldi, qui compose de
superbes madrigaux et de ravissants ballets : son livre de balletti, qui vient juste d'être
édité à Venise, a déjà connu un succès extraordinaire. Ses œuvres religieuses avaient été
écrites du temps de Guillaume, le père, passionné de musique sacrée. Austère, il
composait lui-même, commandait des oeuvres à Palestrina suivant un cahier des charges
détaillé, et en discutait ensuite avec lui par courrier. Il avait même fait construire, la
grande Basilique Palatine Santa Barbara, achevée en 1565, au milieu de son immense
palais, pour mieux entendre cette musique.
Gastoldi, né vers 1554 à Caravaggio prés de Milan, venu à sa cour en 1572, a été
nommé chapelain en 1575, puis ordonné prêtre et a enseigné le contrepoint aux novices.
Guillaume refusa de s'en séparer quand Charles Borromée, l'évêque de Milan, une des
vedettes du Concile de Trente, voulut le prendre à son service. Il devint Maître de
Chapelle en 1585. Il est le premier depuis le 13e siècle à composer des "chansons à
danser" sur des motifs instrumentaux et pouvant être joués par des instruments seuls.
Vous allez entendre 2 pièces instrumentales : le soupirant (l'invaghito), la
courtisane (la cortigiana) et un madrigal à 5 voix, a cappella : L'amoureux
(l'inamorato). Ils comportent 2 sections répétées, très homophoniques, terminées
chacune par un bref refrain, sur Falala. Ces balletti atteignent leur objectif, avoué dans
l'introduction du recueil : O Compagni, allegrezza, allegrezza ! Un cantor luthérien
contemporain, Johan Lindenmann a même mis les paroles "In dir ist die Freude" (En
Toi est la joie) sur l'air de l'Inamorato !
L'invaghito, La cortigiana, L'innamorato
Voici une 2ème chanson de Clément Janequin : Le chant des Oiseaux. Elle
fait partie du recueil édité en 1528 par Ataingnant, imprimeur à Paris, il avait alors 30
ans, était prêtre au service de Lancelot du Fau, un humaniste, président de la cour des
requêtes du Parlement de Bordeaux et curé général de l'archevêché.
Vers cette époque, c'est à dire après la mort de Josquin, les musiciens se sont
détournés quelque peu des messes et motets, genres où tout semblait avoir été dit par le
Prince de la musique. Leur zèle s'est porté sur la chanson, qu'ils ont entrepris
d'émanciper et de rendre plus alerte, dans une société que la prospérité rendait plus
frivole.
A ce succès a aussi contribué l'activité débordante des Imprimeurs éditeurs. Le
mouvement est parti de Venise, avec Petrucci, qui a mené un travail écrasant. En France,
grâce à l'utilisation des caractères mobiles, Attaingnant a publié une centaine de recueils
en 20 ans (à partir de 1528). Des grands éditeurs à Lyon puis aux Pays-Bas, et plus près
de nous, Adrian Le Roy et Ballard, ont répandu l'incroyable vogue de la chanson
L'Almanach du berger, mois de mai
française, ou plutôt parisienne, à 4 voix le plus souvent, plus légère, plus rapide, plus
gaie. Tour à tour courtoise, lyrique, gaillarde ou descriptive comme celle que nous allons
écouter maintenant.
Le chant des oiseaux
Après ces onomatopées frénétiques, retour au calme avec une Pavane d'Espagne.
Cette danse pourrait avoir son origine à Padoue (padovana), qui lui aurait donné
son nom, ou en Espagne, du mot pava, qui signifie paon. Dans son traité de danse
appelé Orchésographie, paru voici 2 ans, Thoinot Arbeau donne force détails dont
j'extrais les suivants :
"Nos joueurs d'instruments la sonnent quand on mène épouser en face de sainte
Église une fille de bonne maison, & quand ils conduisent les prêtres, le bâtonnier & les
confrères de quelque notable confrérie.
Le Gentilhomme la peut danser ayant la cappe & l'épée. Et les damoiselles avec
une contenance humble, les yeux baissés, regardant quelquefois les assistants avec une
pudeur virginale. Et sont lesdites pavanes jouées par hautbois & saquebouttes qui
l'appellent le grand bal,"
Quant à Pierre-Francisque Caroubel, qui l'a composée, n'ayant reçu aucune
notice biographique, je peux seulement dire qu'il vit encore, qu'il est violoniste, a écrit
abondante musique de danse et a collaboré avec Michael Praetorius, dont nous parlerons
plus tard.
Pavane d'Espagne
L'heure est venue de vous parler de mon maître Guillaume Costeley,
fondateur du présent Puy de Musique. A cause de ses 60 ans, il n'a pu nous suivre dans
ces catacombes.
Natif de Pont-Audemer, organiste, humaniste, il a été musicien à la cour de
Charles IX et d'Henry II, a composé pour eux des musiques officielles et, sur le poème
de Ronsard, Mignonne allons voir si la rose. Il s'est retiré en notre bonne ville d'Évreux
depuis 1570, après qu'il eut fêté son 40e anniversaire et publié à Paris une vaste somme
de ses œuvres. Il a fait briller d'un vif éclat les chansons de type ancien. Son style est
d'un raffinement extrême. Et l'allégresse de ses chansons est souvent tempérée de
quelque mélancolie. C'est le cas des celles que nous vous présentons maintenant :
Je vois des glissantes eaux suivi du Branle de la torche
Que de passions et douleurs, suivi d'une Canarie
Paris, la Sainte Chapelle
"Assez parlé d'amour : buvons !"
C'est Clément Marot, qui nous y invite dans son poème Changeons propos. Telle
injonction n'a pas manqué d'inspirer Claudin de Sermisy, prêtre, musicien de cour et
chansonnier, qui aurait 100 ans cette année s'il n'était pas mort en 1562 ! Il a souvent
déménagé, comme son contemporain Janequin. Prêtre comme lui, il a mené de front une
carrière ecclésiastique, de chanoine ou de prieur (à la Ste Chapelle à Paris, près de
Nantes, Noyon, à Rouen, à Abbeville, à Troyes) et de musicien de cour : à la chapelle
royale de Louis XII et de François 1er, qu'il suivait dans leurs pérégrinations, puis à la
chapelle privée de la reine, et participant comme chanteur aux cérémonies
diplomatiques du roi de France avec le Pape, ou le roi d'Angleterre, au Camp du Drap
d'or.
Il a composé des messes et une centaine de motets. Mais c'est dans la chanson
parisienne qu'il a le plus marqué son temps... et les siècles futurs, puisque Joseph
Samson (1888-1957) écrira à son tour des chansons de même style, en particulier sur le
poème de Marot.
Changeons propos sera notre invitation à boire et à danser ensemble.
Changeons propos
Buffet de gastronomie Renaissance
Menu
Premier metz
Veel en pastez (pâté de veau)
Veau cru, mie de pain, poudre d'amande, œufs, vin blanc,
muscade râpée, sel, poivre
Second metz
Flamiche à poreaulx
Pâte feuilletée, poireaux, lait, œufs, saindoux (ou beurre),
muscade râpée, sel, poivre
Tourte de légumes
Bettes (blettes), épinards, persil, cerfeuil, fromage râpé,
œufs, beurre, cannelle, muscade
Fromages
Brie de Meaux, Fourme d'Ambert
accompagnés de mendiants (fruits secs : noix, amandes... )
Dessertes
Rissoles à mendiants
Pâte brisée, figues séchées, raisins secs, noix,
pommes cuites, cannelle
Pets de nonnes
Farine, beurre, œuf, sucre, bain de friture
Pain d'épices
Farine blanche, farine complète, miel, lait, poudre d'amande,
gingembre, cannelle, coriandre, clous de girofle,
une orange, un citron
Issue
Boissons
Fruits secs
Noix, amandes, pignons, noisettes
Vin aux épices (chaud)
Vin rouge, citron épluché coupé en 4, cannelle, gingembre, clou
de girofle, grains de poivre, zestes d'orange et citron
Jus de pomme aux épices
Jus de pommes, gingembre, clous de girofle
"Après diner, tous allèrent pelle melle à la Saulsaie, et là dancerent
au son des joyeux flageolletz et doulces cornemuses tant baudement que
c'estoit passetemps céleste les veoir ainsi soy rigouller."
(Rabelais, Gargantua, chap. 4, Éd. Garnier Flammarion)
Les mets et boissons offerts ce soir ont été amoureusement préparés par les
choristes suivant les recettes transcrites par Josy Marty-Dufaut dans son livre "La
Gastronomie du Moyen Age, 170 recettes adaptées à nos jours" (Éditions Autres
Temps, 97 av de la Gouffonne, 13009 Marseille), [sachant qu'un des traités de
référence a été publié en 1420 et que ces recettes avaient cours au XVIème siècle].
Cet ouvrage donne aussi de nombreuses indications historiques et sociologiques
passionnantes.
Partie dansée
Avant de danser, quelques mots sur ce vieux monsieur de 70 ans qui est notre
grand théoricien de la danse. On l'appelle Thoinot Arbeau, anagramme de Jehan
Labourot. Prêtre, normal pour un musicien, chanoine même, à la cathédrale de Langres
où il a fait toute sa carrière! Son oeuvre majeure est sans conteste, son traité de danse,
l'Orchésographie. Publié il y a 3 ans, le traité se présente sous la forme d'un dialogue
entre le maître et son élève.
Du genre :
"Si voulez vous marier, vous devez croire qu'une maîtresse
se gagne par la disposition & grâce qui se voit en une dance."
Ou encore :
"En l'église primitive la coutume continuée jusques en notre temps, a été de chanter les
hymnes en dançant & ballant, & y est encor en plusieurs lieux observée.
Après quoi il décrit les différentes danses contemporaines, et note très
précisément la manière de les danser...
C'est lui qui a tout appris à notre maîtresse à danser, Jeanne Boëlle, qui va
maintenant nous initier au Branle simple, double et à la Pavane.
(1) Le Puy ne s'est pas tenu en 1590 ni en 1591 "en raison des troubles". C'est ce qui
nous a autorisé cette fiction sur le lieu, le programme et la date (la Ste Cécile se fête le
22 nov)
Texte de JP Santiano
SOURCES
Bernard GAGNEPAIN, La musique française du Moyen Age et de la Renaissance, PUF Que sais je?
Site WiKIPEDIA (encyclopédie libre)
Orchésographie : transcription effectuée par Nicolas Graner sur
<http://graner.net/nicolas/arbeau/>
Le Puy d'Evreux : site web perso.numericable.fr/costeley
POUR EN SAVOIR PLUS
danceries-provins.com : biographie de Thoinot Arbeau, informations sur chaque danse
memory.loc.gov : apprentissage de chaque danse par video