L`Actualité - Atlas Marketing

Transcription

L`Actualité - Atlas Marketing
AFFAIRES
BÂTISSEURS DE
L’EXTRÊME
Camions géants, excavatrices dernier cri… Dans les
couloirs du Salon international du bâtiment et de la
construction de Dubaï, on trouve de tout ! Même
des entrepreneurs québécois déterminés à rafler leur
part du gâteau, qui est de 1,7 trillion de dollars rien
que dans la péninsule arabique.
par Jean-Benoît Nadeau
48 { 1ER AVRIL 2015 L’ACTUALITÉ
DUBAÏ
ILS
viennent de partout, ingénieurs, architectes, entrepreneurs, fabricants, vendeurs. En complet, en djellaba ou en
boubou, ils sont là pour vendre, acheter, s’informer,
réseauter, ou simplement magasiner parmi les
2 800 kiosques du Salon international du bâtiment
et de la construction Big 5 de Dubaï — l’un des
plus grands du genre au monde.
Pendant quatre jours, à la mi-novembre, ils
seront 80 000 à fouler les immenses tapis bleus
de cet invraisemblable capharnaüm composé de
robinets, d’échafaudages, d’excavatrices. Ici, un
groupe d’Émiratis coiffés du traditionnel keffieh
examinent le fonctionnement d’une grenouille
servant au pilonnage et au compactage du sol.
Là, des entrepreneurs italiens font tâter leur
marbre à de potentiels clients coréens. Tandis que, tout près, une nouvelle machine
turque à tresser les clôtures en fil de fer
produit un boucan terrible qui attire les
émules de Bob le bricoleur.
« Ça fait 11 ans qu’on vient au Big 5,
c’est très bon pour nous », dit Philippe
Gosselin, représentant des ventes de
Candock, de Sherbrooke, tout en faisant la démonstration de son système
de quai flottant, qui occupe les trois
quarts de son grand kiosque. Habitué
des salons nautiques, il participe
aussi à des salons de construction.
« Notre concept s’intègre à des projets immobiliers. Il trouve aussi des
usages industriels, notamment
pour soutenir des tuyaux de pompage ou un héliport flottant,
explique-t-il. Et puis, bon nombre
d’entrepreneurs ont besoin d’un
quai pour leurs embarcations. »
Candock n’est pas la seule
entreprise à revenir d’année
en année à Dubaï. La valeur des contrats actuellement en chantier dans la péninsule arabique —
1,7 trillion de dollars, dont 680 milliards rien que
pour les Émirats arabes unis — met l’eau à la
bouche. Car l’industrie mondiale de la construction
voit son centre de gravité se déplacer vers les pays
émergents. D’ici 10 ans, ceux-ci doubleront leur
part du marché mondial de la construction, qui
passera du tiers aux deux tiers ! Les entreprises
québécoises et leurs fournisseurs rêvent tous de
rafler une part du gâteau. Comme Blankfort, de
Saint-Éphrem-de-Beauce, qui a fourni l’âme des
portes intérieures du Burj al-Arab, à Dubaï, l’un
des hôtels les plus chers du monde, reconnaissable
à sa silhouette de voilier.
Candock fait partie de la trentaine de sociétés
canadiennes regroupées autour du pavillon canadien, dans le Hall 1. Parmi les exposants québécois,
il y a aussi Devim 49e, de Pointe-Claire, qui cons­
truit des habitations modulaires préfabriquées,
l’entreprise montréalaise Smardt, qui produit des
refroidisseurs centrifuges pour la climatisation,
et le fabricant de filtres Sonitec-Vortisand, de
Montréal.
« C’est la démesure, ici », dit Francis Létourneau,
directeur du développement des affaires à l’agence
de développement économique Québec International, qui a organisé une mission exploratoire aux
Émirats arabes unis à l’occasion du Big 5. Sept
entreprises y ont participé, parmi lesquelles
L’ACTUALITÉ 1ER AVRIL 2015 } 49
AFFAIRES
SAVIEZVOUS QUE…
Granicor, producteur de granit de SaintAugustin-de-Desmaures, le bureau d’architectes
Bisson Associés, de Québec, et Gentec, fabricant
de commandes électroniques pour circuits électriques. Toutes ont visité des chantiers à Dubaï et,
surtout, se sont familiarisées avec le salon.
Car le Big 5 est franchement intimidant. Même
si le World Trade Center de Dubaï est deux fois
plus grand que le Palais des congrès de Montréal
et quatre fois plus grand que celui de Québec, les
30 000 visiteurs quotidiens se marchent presque
sur les pieds parmi la quinzaine de halls
consacrés à la machinerie, au béton, à
la peinture, à la décoration, à la robinetterie, au concassage, alouette !
Dans ce méga-Rona des entreprises
de construction, on en vient vite
à ne plus savoir où donner de la
tête. C’est une avalanche de
nacelles-araignées sur chenilles dignes des Transformers, de gants
protecteurs,
de tubes
de
silicone
en tout genre
— en veux-tu, en
voilà. D’une allée à
l’autre, les générateurs de
glace en flocons (essentielle au
refroidissement du béton) le disputent aux machines à scier les rails,
aux robots poseurs de vitres et aux
coffrages à béton en bambou (développement durable oblige).
Ceux qui en veulent un peu plus peuvent suivre
une des 55 formations gratuites : « Les secrets de
la parfaite présentation de concept », « Le guide
des contrats en PPP », « Se lancer dans les affaires
dans un pays du Golfe » ou « L’étiquette des affaires
au Moyen-Orient ».
Pour faciliter le travail des visiteurs, les organisateurs ont créé un « Sentier de l’innovation », qui
comprend un certain nombre de produits avantgardistes, comme le visionnement holographique
50 { 1ER AVRIL 2015 L’ACTUALITÉ
Les Saoudiens ont
entrepris, à Djedda, la
construction d’un gratteciel d’un kilomètre de
hauteur, la Tour du Royaume.
de projets de bâtiments, la penture pour porte sans
cadre, l’interrupteur sans fil, le drain qui ne se
bouche pas, le bloc de béton allégé, le tapis en
ciment et la membrane anticrevaison pour pneus
de machinerie lourde.
« La grande tendance ici, aux Émirats, c’est le
développement durable, imposé partout. Nous
avons donc créé les prix Gaïa », dit Andy White,
directeur des activités du Groupe DMG,
société britannique qui organise le Big 5
de Dubaï, auquel il a invité L’actualité.
Parmi les gagnants de 2014, un système
de structures temporaires en sacs de
sable — très commode dans le désert
— et un puits de lumière qui suit
le soleil à la manière d’un péri­
scope, grâce à un jeu de miroirs.
Andy White convient qu’il
existe des salons encore plus gros.
Batimat, à Paris, attire six fois plus de
visiteurs tous les deux ans. « Mais le Big 5
de Dubaï est la plus grande foire de construction
du Moyen-Orient, dit-il, et nous avons maintenant
quatre franchises, soit le Big 5 en Arabie saoudite,
au Koweït, en Inde et en Indonésie ! »
Boris Murray, président d’Atlas Marketing International, de Montréal, agit comme agent auprès
d’organisateurs de salons internationaux pour recruter des exposants canadiens. « Normalement, il faut
des mois pour vendre les places dans le pavillon du
Canada. Pour le Big 5, c’est réglé en quelques jours. »
L’ambition des organisateurs du Big 5 est
conforme à la tendance à la démesure de Dubaï,
un ancien petit port perlier devenu une métropole
du golfe Persique. C’est à Dubaï qu’on trouve le
plus haut gratte-ciel du monde — la Burj Khalifa,
828 m, cinq fois le mât du Stade olympique de
Montréal —, le plus grand centre commercial (le
Dubaï Mall), la plus grande île artificielle (en forme
de palmier), le plus long métro automatisé et le
plus important centre de ski intérieur (cinq pistes,
un remonte-pente). Tout est immense à Dubaï : on
creuse un nouveau canal qui passera sous trois
autoroutes ? Pas de problème : on construira deux
ponts de 6 voies et un autre de 16 voies en trois ans !
En fait, c’est toute la région du Golfe, et plus
largement le Moyen-Orient, qui est en ébullition.
PAGE PRÉCÉDENTE : BRUNO MORANDI / GETTY IMAGES ; TOUR DU ROYAUME : ADRIAN SMITH ET GORDON GILL ; MALL OF THE WORLD : AP / PC ; HÔTEL BURJ AL-ARAB : JUMEIRAH GROUP ; PELLE : ISTOCK ; KIOSQUE : ATLAS MARKETING ; FOULE : J.-B. NADEAU.
Le Mall of the World, projet de
complexe hôtelier et récréatif dont
la superficie pourrait atteindre huit
kilomètres carrés, sera entièrement
sous verre et climatisé.
Les Saoudiens ont entrepris de construire, à
Djedda, un immeuble qui fera un kilomètre de
hauteur (presque deux fois la Tour CN, à Toronto).
Plusieurs chantiers pharaoniques sont amorcés :
la Turquie consacrera 400 milliards de dollars à
la réfection des infrastructures urbaines et les pays
du Golfe en investiront 20 milliards pour construire
2 100 km de voie ferrée. Et que dire des 23 milliards
pour les hôpitaux saoudiens et des 10 milliards
pour le grand aéroport d’Abu Dhabi ?
À considérer les dimensions du Big 5 et les
ambitions de Dubaï, on s’attendrait à ce que les
participants au salon y signent des contrats faramineux. Or, c’est le contraire : c’est tout juste si les
organisateurs trouvent à annoncer deux contrats de quelques
millions de dollars.
« Ce n’est pas le but. Un salon
de ce genre, ça sert surtout à dénicher des clients potentiels et à
créer des liens », dit René Baillar­
geon, PDG de Blankfort, de SaintÉphrem-de-Beauce. Au troisième
jour, il a eu une heureuse surprise : lui qui devait présenter ses
produits à un groupe de 20 personnes en a vu arriver 60 !
« J’ai dû voir 250 personnes en
quatre jours. Ça n’arrive jamais
au bureau, même pendant les
meilleures périodes », dit John
Starr, vice-président de Covertech, un fabricant d’isolant métallisé de Toronto. Pour gérer cette
masse de nouveaux contacts, il
s’est procuré une appli servant à
numériser les cartes de visite à
partir d’un téléphone intelligent.
« Grâce au logiciel de reconnaissance de texte, les informations
sont stockées dans une base de
données, et je peux y attribuer
une liste de tâches : rappeler,
envoyer la brochure, faire une
soumission, etc. »
La plupart des entreprises
rêvent de trouver au Big 5 le dis-
L’âme des portes intérieures de
l’un des hôtels les plus chers du
monde, le Burj al-Arab, à Dubaï,
vient de Saint-Éphrem-de-Beauce,
une réalisation de Blankfort.
tributeur ou le partenaire local qui leur ouvrira
les portes d’un marché très dynamique. Marcel
Landry, vice-président de Gentec, qui faisait partie de la délégation de Québec International, est
reparti satisfait. Ce fabricant d’appareils de commande électronique pour circuits électriques a
déniché un distributeur prêt à intégrer les produits
de Gentec dans ses catalogues.
De telles alliances sont la principale retombée
Le kiosque de
d’un salon professionnel, plus que les contrats
Candock, une
proprement dits. Elles sont des tremplins. Le fabrientreprise de
cant de refroidisseurs centrifuges Smardt, de Mont­
Sherbrooke,
au Big 5,
réal, a carrément ouvert un bureau de vente à
qui attire
Dubaï. Quant au constructeur de maisons modu80 000 visiteurs.
laires Devim 49 e, de PointeClaire, il s’est doté d’une filiale,
Devim Gulf, pour le marché du
Golfe.
La délégation canadienne,
avec ses 30 entreprises, a l’air
d’une naine en comparaison de
celle de l’Italie, qui en comprend
380. Les délégations turque et
française en comptent également des centaines. Les Canadiens — et les Québécois, sousreprésentés — manquent-ils
d’ambition ? Selon Boris Murray,
d’Atlas Marketing International,
de Montréal, c’est avant tout
une question de subventions.
Nombre d’États financent lourdement la participation à ce
genre de salon. Pas le Canada :
les entreprises paient tout de
leur poche. Et ce n’est pas
donné : au minimum 3 000 dollars pour un kiosque de quelques
mètres carrés.
Boris Murray s’est dit heureux
de la participation au Big 5 : « Les
entreprises canadiennes veulent
toutes y revenir, c’est bon signe. »
Il envisage même un deuxième
étage au pavillon canadien l’an
prochain. Un joli contrat de
construction en perspective !
L’ACTUALITÉ 1ER AVRIL 2015 } 51

Documents pareils