Les exploits des héros dAtlanta.
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Les exploits des héros dAtlanta.
L es exploits des héros d’Atlanta eu de gens contesteront sans doute que l’exploit de Magic Johnson II ait constitué l’apogée de cette semaine des épreuves d’athlétisme qui se sont déroulées dans l’arène olympique d’Atlanta et où les hauts faits furent pourtant nombreux. De toute cette avalanche de défis et de triomphes superbes, Michael Johnson émergea non seulement comme l’athlète par excellence de ces Jeux grâce à son doublé unique sur 400 et 200 mètres - avec un nouveau record mondial époustouflant à la clé - mais aussi par son comporte‘ment et son calme. Beaucoup diront de lui qu’il est l’athlète de tous les Jeux. Quant à ceux dont la mémoire remonte loin dans le temps. Johnson leur rappelle Jesse Owens, non seulement par sa façon de courir, mais également par son attitude et sa présence: un homme dont les manières effacées ont permis de se Michael Johnson (USA) par John Rodda tenir éloigné des excès et du battage qui entourent les vedettes du sport de notre temps, un homme que le Mouvement olympique devrait adopter. non seulement pour sa réussite sportive, mais comme un exemple à suivre. Plus d’un million deux cent cinquante mille personnes ont assisté aux 17 épreuves qui ont eu lieu dans le stade olympique d’Atlanta. Beaucoup d’autres étaient massées le long des rues pour suivre le marathon: jamais encore on n’avait vu un tel engouement pour la première des disciplines olympiques. Il était d’autant plus triste de voir la flamme s’éteindre, les derniers des 83 000 spectateurs se disperser et, l’heure de Cendrillon ayant sonné. l’enceinte olympique échanger son habit de fête contre celui d’un stade de baseball. L’idée est difficile à admettre pour tous les supporters de l’athlétisme, peut-être même pour les Américains. Cependant, grâce aux techniques modernes, tous les instants ont été enregistrés, sous les angles les plus divers. Ainsi, au cours du siècle à venir, les archives du Musée Olympique verront sans doute défiler un grand nombre des enfants et petitsenfants d’Atlanta 1996 qui viendront pour se faire une idée de ce que furent ces Jeux Olympiques, qui ont été. à un titre au moins. les plus grands de tous les temps. La perspective que Johnson puisse réussir le doublé unique sur 400 et 200 mètres représentait l’espoir le plus fou de ces Jeux. La Fédération internationale d’athlétisme amateur a été jusqu’a modifier le programme des courses pour lui faciliter la tâche. La première épreuve paraissait facile. En fait, avant même la 13 mi-course, les cris de la foule n’avaient plus pour but de faire gagner Johnson, mais de l’inciter à viser le record mondial. A l‘arrivée. environ huit mètres le séparaient de son dauphin, le Britannique Roger Black. Butch Reynolds, quant à lui, blessé lors d’une course de qualification, conserva le record du monde pour 20 centièmes de seconde. Certains avaient eu des doutes: Johnson était-il vraiment capable de réussir le doublé attendu ou alors, sa défaite juste avant les Jeux, face au Namibien Frankie Fredericks, annonçait-elle une faille dans son invincibilité? Trois jours plus tard, tous ces doutes furent balayés dans la poubelle des bêtises de l’histoire. Le torse droit, d’une allure presque militaire qui n’est pas sans rappeler celle d’Owens, Johnson mit à contribution bras et jambes pour accomplir en 19,32 secondes l’un des hauts faits de toute l’histoire de l‘athlétisme. «Il est inhu- Carl Lewis (USA). (De g. à d.) Donovan Bailey (CAN). Frankie Fredericks (NAM), Dennis Mitchell (USA) et Ato Boldon (TRI). main» réagissait spontanément le sprinter belge Patrick Stevens devant ce chiffre époustouflant. Le record du monde en 19.72 secondes, réalisé en altitude. avait résisté depuis 17 ans. Aux éliminatoires américaines, Johnson avait réussi 19,66 secondes sur cette piste olympique, mais remporter la médaille d’or représentait un tel saut dans l’inconnu que cet exploit équivaut au saut en longueur réussi par Bob Beamon à Mexico en 1968, mais sans aucune aide des éléments naturels. A certains moments durant ce programme d’une semaine, les clameurs nationallistes en provenance des tribunes pouvaient agacer. mais à l’instant où Johnson franchit la ligne et que l’horloge numérique marqua l‘heure historique. les décibels atteignirent des sommets dont personne, pourtant. ne songea à se plaindre. La soirée de ce jeudi 1er août fut riche en succès et en émotions. Par une ironie du sort. la Fraçaise MarieJosé Perec avait précédé Johnson en réalisant le même doublé dans les conpétitions féminines. Mais elle avait déjà remporté le 400 mètres à Barcelone, tandis que Johnson était rentré des Jeux d’alors avec un souvenir moins lumineux. Il y a quatre ans, le rêve olympique de Derrick Adkins s’était effondré lorsqu’il ne termina que quatrième des épreuves de qualification américaines au 400 mètres haies. Aussi était-ce pour lui un moment à la fois doux et difficile de pouvoir s‘aligner cette fois-ci dans cette épreuve et, qui plus est. dans sa ville natale. En fait, avec les caméras braquées sur lui à chacune des dis haies. Adkins semblait avoir course gagnée, ne sachant pas que le Zambien Samuel Matete était constamment sur ses talons jusqu‘à la ligne d’arrivée. Pour finir, les habitants d’Atlanta eurenr le résultat qu’ils souhaitaient et ils exprimèrent leur 14 satisfaction avec une intensité qui trouva son pendant dans leur hospitalité. Tout en remportant la plupart des médailles en athlétisme, les Américains ne furent pas aussi impérieux que prévu. La dispersion des médailles parmi un plus grand nombre de nations a sans doute quelque chose à voir avec l’effet de ruissellement de la Solidarité Olympique. L’or est ainsi allé au Nigéria dans le saut en longueur féminin où une Chioma Ajunwa totalement inattendue réussit un saut de 7,12 mètres. De même, la Norvège et sa rare médaille d’or en athlétisme, le quatuor des Bahamas qui s’est placé deuxième du relais 4 x 100 mètres féminin. devant la Jamaïque, ont constitué des moments prenants. Deux performances ont fait monter mon taux d‘adrénaline. à savoir celles de Davis Kamoga et d’Ezekiel Sepeng. L’Ougandais Kamoga ne possédait qu’une expérience internationale limitée, mais a su profiter de l’arène olympique pour faire la démonstration de son talent dans le 400 mètres, améliorant de près d’une seconde son temps par rapport à sa dernière saison et réussissant à rester dans le sillage de Johnson et du Britannique Roger Black. A mes yeux, l’une des courses les plus palpitantes et les plus dramatiques a été le 800 mètres. Johnny Gray des EtatsUnis, qui avait terminé septième dans la finale de Los Angeles, réussit malgré son âge un brillant premier tour de piste. Même s’il échoua ensuite à «damer le pion» à ses plus jeunes poursuivants. c’est lui qui donna le ton à un spectacle exceptionnel. Trois hommes ont terminé à moins de 1 minute 44 secondes, la médaille d‘or revenant au Norvégien Vebjoern Rodal. L’exploit le plus extraordinaire est toutefois celui de Sepeng, premier Noir Sud-Africain à remporter une médaille olympique. Il courut à son propre rythme, ce qui le plaça au dernier rang avec un retard tout d’abord de 300, puis de 250 mètres. Lorsqu’il recolla au peloton, il se trouva coincé tout à l’intérieur au moment où le groupe doubla Gray. Dans la ligne droite, Sepeng tenta sa chance, mais trouva la voie barrée par plusieurs athlètes. Il fut obligé de faire un écart jusque dans le quatrième couloir pour pouvoir dépasser trois coureurs dans les 25 mètres du sprint final et s’adjuger ainsi la médaille d‘argent. Ce furent là sans doute des erreurs tactiques et il est d’autant plus surprenant qu’il soit parvenu à un tel résultat. En réalisant un saut en longueur de 8,50 mètres, Carl Lewis a ajouté un autre fleuron à sa couronne olympique. Il égale ainsi le succès d’Al Oerter, quatre fois médaillé d’or au lancer du disque lors de quatre éditions différentes des Jeux Olympiques. Du même coup, Lewis porta sa moisson de médailles olympiques à un total de dix. La chance l’avait un peu aidé, car deux de ses plus sérieux rivaux, à savoir Mike Powell (Etats-Unis) et Ivan Pedroso (Cuba) n’étaient pas complètement remis d’une blessure. Mais après des débuts de compétition plutôt difficiles, force est de constater que douze ans après Los Angeles, personne n’a été en mesure cet été d’égaler véritablement Carl Lewis au saut en longueur. Il n’est arrivé que deux fois dans l’histoire olympique (abstraction faite du boycott de 1980), soit en 1928 et en 1976, que les Américains manSvetlana Materkova (RUS). quent la médaille d’or du 100 mètres. Que la troisième fois se passe dans leur propre pays a dû les chagriner, d’autant plus que le vainqueur, le Canadien Donovan Bailey, a réalisé un nouveau record du monde en 9,84 secondes. Ce fut un exploit remarquable, surtout après trois faux départs dont deux étaient Vebjoern Rodal (NOR). imputables au champion sortant Linford enjambées de la ligne d’arrivée, manChristie, qui fut alors disqualifié. La choquant ainsi très probablement la chance se fâcha Ato Boldon, champion de Trinide réaliser un deuxième record du té-et-Tobago. et il faut bien dire que ce monde. contretemps a quelque peu réduit le Trois premières olympiques eurent lieu suspens de cette épreuve. Le résultat fut sur la route. L’Equatorien Jefferson Perez pourtant indiscutable, avec Frankie Freremporta la marche sur 20 kilomètres dericks de la Namibie, médaillé d’argent en améliorant sa meilleure performance en 9,89 secondes, tandis que Boldon, en personnelle de près de trois minutes, un remportant le bronze en 9,9 secondes, exploit qui mit à mal quelques-uns des réalisa la course la plus rapide de tous meilleurs spécialistes de la discipline. les temps pour une troisième place. Perez, âgé de 22 ans, resta dans le grouPour la première fois également. les pe de tête jusqu’à deux kilomètres de trois médailles sont allées à trois athlètes l’arrivée, puis s’en détacha pour voler du Commonwealth. Pour les Américains, littéralement vers une victoire qui valut ce 100 mètres prit l’allure d’une répétià son pays la première médaille d’or tion d’un autre échec. En effet, le derolympique de tous les temps. nier jour des competitions, les CanaAuparavant, l’Ethiopienne Fatuma Roba diens prirent le meilleur sur les Etatsétait devenue la première femme africaiUnis dans le relais 4 x 100 mètres. Bailey ne à remporter le marathon, d‘une fouétait à tel point heureux de cette victoire lée régulière et bénéficiant d’une tempéqu’il jeta les bras en l’air à quelques 15 rature qui se situait en-dessous de la moyenne habituelle d’Atlanta. Comme la plupart de ses compatriotes. Roba trouva son inspiration du côté d’Abebe Bikila, le premier Ethiopien à avoir remporté des médailles d’or olympiques, à savoir aux marathons de 1960 et 1964. Roba possède toutes les qualités de Bikila: une approche calme et déterminée. et une connaissance parfaite du moment où il faut porter son attaque. Fatima Roba (ETH). Ce moment se situa à mi-course, lorsque plusieurs des favorites avaient en vain cherché à prendre le large. Roba les passa d’un pied léger et remporta son troisième marathon de l’année en 2 heures 26 minutes et 5 secondes. soit trois minutes de moins que son meilleur temps jusqu’alors. L’Afrique du Sud connut une nouvelle réussite le matin du dernier jour lorsque Josia Thugwane obtint l’or au marathon masculin. A moins de trois kilomètres de l’arrivée. il accéléra légèrement le rythme, laissant le Coréen Bang-Ju Lee et le Kenyan Eric Wainaina sur place. Lee sut toutefois revenir à la charge de telle sorte que Thugwane ne gagna finalement que de trois secondes. ce qui représente l’écart le plus faible de toute l’histoire du marathon olympique. Il y eut une double victoire tout à fait inattendue dans le 800 et le 1 500 mètres féminins. Svetlana Masterkova remporta le 1 500 mètres devant la Britannique Kelly Holmes, qui avait mené la course à une allure vive et obligé la Russe à attaquer sur les derniers 200 mètres. Elle en fit de même dans le 800 mètres plat où on attendait la Cubaine Anna Quirot et la Mozambicaine Maria Mutola. Mais la Russe sprinta une nouvelle fois et creusa l’écart. les poursuivantes n’eurent pas la riposte attendue. En fait, Masterkova était tellement surprise de sa victoire qu’elle effectua une partie de son tour d’honneur en sprintant, visiblement survoltée par son succès et sa deuxième médaille d’or. Les Américains ont connu des hauts et des bas. Après avoir défendu avec succès son titre du 100 mètres, Gail Devers fut ensuite incapable de retrouver la vitesse et la technique nécessaires au 100 mètres haies. La victoire revint à l’ex-Russe Ludmila Engquist, Suédoise depuis peu. L’entrée en scène du très médiatique Dan O’Brien combla certaines des attentes placées en lui. S’il n’a pas réussi à atteindre les 9 000 points magiques, il a néanmoins démontré qu’il reste le meilleur athlète complet du monde. L’Allemand Frank Busemann, âgé de 21 ans, ex-champion du monde junior de haies. se posa en rival sérieux de l’Américain et se classa finalement deuxième à seulement 118 points du vainqueur. Les Africains conservèrent leur suprématie dans les courses de demi-fond et de fond à partir de 1 500 mètres. Haile Gebresselassie réussit un exploit superbe sur 10 000 mètres. Des attaques précoces lancées contre lui, notamment par le Kenyan Paul Tergat, échouèrent et l’Ethiopien s’envola vers sa victoire au cours du dernier tour dans le style quelque peu nonchalant qui le caractérise. Le 1 500 mètres masculin, considéré tout comme le 100 mètres comme l’épreuve 16 reine du programme d’athlétisme, ne répondit pas réellement à l’attente suscitée. L’Algérien Nourredine Morceli, qui, bien que n’ayant pas réussi à monter sur le podium à Barcelone, a tout gagné depuis dans cette épreuve. remporta le titre mais une collision, alors que les concurrents entamaient leur dernier tour de piste, priva la course d’une véritable arrivée. Le Tunisien Ali Hakimi, qui avait affiché un tel sang-froid pour un Inessa Kravets (UKR). aussi jeune coureur, heurta le talon de Morceli, perdit l’équilibre et tomba. Fermin Cacho dut soudain se transformer en coureur de haies. Les concurrents s’éparpillèrent, ce qui laissa la voie libre à Morceli dans le dernier tour. Cacho se calma enfin pour se lancer à la poursuite de la médaille d’argent. Enfin, c’est au lancer du poids que l’on assista à l‘une des plus spectaculaires victoires américaines: Randy Barnes, médaillé d’argent en 1988, figura parmi les derniers au classement jusqu’au dernier tour; c’est alors qu‘il effectua le lancer qui lui permit d’accéder à la plus haute marche du podium.