Édito. Monde civilisé ? Du n`importe quoi !,Que répondre à l`initiative

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Édito. Monde civilisé ? Du n`importe quoi !,Que répondre à l`initiative
Édito. Monde civilisé ? Du n’importe
quoi !
l’Édito est une nouvelle rubrique qui fait aujourd’hui son apparition
dans Voix d’Exils.
On vit dans un monde où les pays dits « civilisés » dictent ce qui
est bon et ce qui ne l’est pas. Ils nous dictent aussi ce qui est
politiquement correct de dire/faire et même de penser en société et
au nom de leur civilisation. Dans ce monde on assassine même en
direct des prisonniers de guerre et on sourit quand on voit ces
choses horribles.
Le monde civilisé est champion de la politique deux poids deux
mesures. Capable de diaboliser Mugabe du Zimbabwe. De chasser
Gbagbo de la Côte d’ivoire et de l’incarcérer à la Haye.
D’organiser l’assassinat de Kadhafi en direct et en mondovision.
Pour quelles raisons? Au nom de la démocratie? De la civilisation?
Au nom d’intérêts économiques inavoués ? Allez savoir.
Ce qui est sûr, c’est que les réels motifs de ces acharnements
n’ont rien à voir avec l’envie des pays civilisés de restaurer la
démocratie et le bien-être dans ces pays. Sinon, comment expliquer
que les dictateurs les plus féroces et les plus sanguinaires comme
Paul Biya du Cameroun, Teodoro Obiang Nguema de la Guinée
Equatoriale, Sassou Nguesso du Congo, Joseph Kabila de la
République Démocratique du Congo, continuent à séjourner en
Occident et sont reçus en grandes pompes par les pays dits «
civilisés » et sans la moindre gêne? « On va vous aider avec une
coopération policière ». Propos de Michèle Alliot-Marie, alors
ministre français des Affaires étrangères, tenus pendant que le
printemps arabe battait son plein en Tunisie et que les morts se
comptaient par dizaines déjà. Cela avait montré aux yeux du monde
entier une insensibilité incroyable de ce pays dit « civilisé ». Le
dictateur Ben Ali était un « ami » (leur ami). Réveillez-vous ! Le
monde est déjà un enfer ou des humains dansent autour des cadavres
et où des gens se considérant comme « civilisés » fêtent avec un
grand sourire la mort. Pourquoi ferment-ils les yeux sur ce qui se
passe dans les autres pays comme le Gabon, l’Ethiopie, l’Erythrée,
la Guinée équatoriale, le Maroc, le Swaziland, la République
centrafricaine, l’Ouganda, le Soudan, le Cameroun, la République
Démocratique du Congo, le Congo, le Burkina Faso ou le Togo? Et
pourtant, nombre de ces régimes dictatoriaux (en Afrique, au MoyenOrient, au Sri Lanka, à Cuba…) pourraient être renversés sans
difficultés
majeures
si
les
occidentaux
(monde
civilisé)
fournissaient les moyens adéquats comme la mise en place de
sanctions diplomatiques, politiques et économiques contre ces
dictatures ; grâce auxquelles les populations et les institutions
indépendantes pourraient, au nom de la démocratie, restreindre les
sources de pouvoir des dirigeants en place et, ainsi, endiguer leur
nuisance. Ce qui n’est pas le cas. Pourquoi ?
Il y a vingt ans, la jeunesse africaine de la plupart des pays
susmentionnés était déjà descendue dans la rue pour manifester son
exaspération contre les dictateurs. Malheureusement, à l’époque,
cette jeunesse africaine connaissait moins de succès. En fait, la
jeunesse africaine avait été sacrifiée sur l’autel de la «
realpolitik », autrement dit, par le cynisme des Occidentaux (le
monde civilisé) en terre africaine. Les despotes africains, ayant
eu plus de soutiens de la part des pays occidentaux (le monde
civilisé) qui défendirent dans les années 90 leurs intérêts
impérialistes, y compris à coups d’interventions militaires. Ils se
sont offerts le luxe de ne pas céder à la pression de la rue. En
lieu et place, il y a eu des milliers de meurtres perpétrés en
plein jour par des forces armées.
On a organisé des conférences nationales dites souveraines par ici,
composées des gouvernements de transition démocratique par là.
Malgré tout cela, le changement espéré est demeuré une utopie.
Pire, lorsque les tensions ont baissé, les dictateurs sont revenus
au-devant de la scène, en force. Certains sont même morts de
vieillesse au pouvoir comme Omar Bongo Ondimba du Gabon après… 42
années de règne sans partage ou encore Gnassingbé Eyadema du Togo
après… 38 années de dictature. Et ils se sont faits remplacer à la
tête de ces Républiques par leurs fils avec la bienveillance et la
bénédiction des pays dits civilisés !
Ces régimes sont notoirement imperméables au changement, à
l’alternance et ils répriment lourdement la dissidence. La
corruption (y compris le détournement de l’argent du fond mondial
destiné aux interventions contre la pauvreté et les maladies) et
les atteintes massives aux droits humains sont le lot quotidien de
millions
de
citoyens
dans
ces
pays
qui
sont
à
la
peine
économiquement et qui, pourtant, recèlent d’immenses richesses
naturelles, comme des gisements de diamants, de pétrole, d’or, ou
la culture du cacao, du café etc. En parlant de la corruption, elle
est si répandue que les conditions de vie dans ces pays, pour la
majorité de la population, sont révoltantes. Le prix abordable des
produits de première nécessité, l’accès à l’eau potable, à
l’électricité, aux services de santé, de l’éducation, à l’emploi et
à la sécurité sont de véritables gageures.
Face à ça, l’extravagance du train de vie de la classe dirigeante.
Par exemple, le dictateur Paul Barthelemy Biya Bi Mvondo du
Cameroun vit trois quarts de l’année à l’Hôtel InterContinental de
Genève en Suisse, l’un des hôtels les plus chers du monde. Les
ressortissants camerounais établis en Europe organisent d’ailleurs
régulièrement des marches de protestation devant cet hôtel. La
facture exorbitante que dégage ses séjours prolongés là-bas
(plusieurs millions de francs suisses par… mois) est bien entendu
assurée par le contribuable camerounais. Rien que ça. Il n’est ni
Kadhafi, ni Gbagbo. Il n’a pas tenu tête aux Occidentaux (monde
civilisé). On ferme les yeux tant qu’il protège nos intérêts en
Afrique. On s’en fout, même s’il massacre les siens.
Monde civilisé ? Du n’importe quoi !
Edito signé :
Fbradley Roland
Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils
Que répondre à l’initiative de l’UDC
« Stopper l’immigration
massive ! » ?
Kadhafi: un investisseur autrefois
respectable en Suisse.
Alors que l’Union démocratique du Centre (UDC) désigne les étrangers comme les responsables
de quantité de maux de la Suisse, il paraît opportun aujourd’hui de rappeler que sans la
contribution des étrangers, l’économie du pays s’effondrerait.
Aucune nation ne peut exister dans l’autarcie la plus complète. Elle aura toujours besoin des
autres et la Suisse ne fait pas figure d’exception. Bien au contraire ! En effet, depuis
belle lurette, l’économie de la Suisse bénéficie du concours de la main d’œuvre étrangère
dans les secteurs primaire, secondaire et tertiaire. Les étrangers représentent en Suisse la
proportion de la population active parmi les plus élevées des pays de l’Organisation de
Coopération et de Développement Economiques (OCDE).
Après la Seconde Guerre mondiale, la Suisse a connu une croissance économique importante
soutenue par des contributions en provenance de ses pays voisins en pleine reconstruction.
Les premières vagues d’immigration sont venues des régions du nord de l’Italie puis
d’Espagne, du Portugal, du sud de l’Italie, de la Yougoslavie et de la Turquie.
En dépit cet aspect positif et irréfutable de l’immigration et de la vie des étrangers en
Suisse, il y’a des gens qui, ne sachant pas où trouver leurs bouc-émissaires, s’offrent le
privilège de taxer les étrangers d’auteurs ou de causes de certaines crises comme la pénurie
de logements, l’insécurité, le manque d’emplois pour ne citer que cela.
Que deviendraient donc les domaines de la restauration, de l’hôtellerie, de la construction
(en particulier la maçonnerie), du nettoyage, du traitement des déchets pour ne citer que
ceux-ci sans la contribution des étrangers ?
Nous pouvons aussi reconnaître l’importance d’une autre contribution invisible telle que les
fonds de certains dirigeants étrangers déposés dans des banques Suisses. Les 6,5 millions de
dollars rendus à la famille Mobutu, et les 630 millions de francs suisse que détenait il y a
encore quelques mois le Guide Libyen en passant par les 3,5 milliards d’euros de Laurent
Gbagbo, ancien président de Côte d’Yvoire. Flash back sur les 2 milliards de Sani Abacha du
Nigéria. Beaucoup d’autres dirigeants sont encore dans l’ombre, et
seul l’après pouvoir nous
révélera les merveilleux trésors qui « sommeillent » dans les banques suisses.
Si l’on se penche maintenant sur l’évolution démographique, qui joue un rôle primordial pour
la vitalité économique du pays, le constat est manifeste : les étrangers maintiennent le taux
de croissance démographique en Suisse et cela ne peut que contribuer positivement à la vie
économique.
Tout compte fait la réponse à la question de départ est clair: que les UDCistes arrêtent de
berner à coups de millions la population suisse qui fait de son mieux pour maintenir la
cohésion sociale du pays.
Hubert YIGO
Membre vaudois de la rédaction de Voix d’Exils
Election présidentielle en Côte
d’Ivoire : chronique d’un scrutin
calamiteux
Paul Yao N’dré, président du
Conseil constitutionnel
ivoirien
A l’heure où le panel des cinq chefs d’Etats mandatés par l’Union
Africaine (UA) vient à son tour d’échouer dans sa tentative de médiation,
la diplomatie internationale reste centrée sur les seules personnes de
Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, le premier reconnu par les
institutions ivoiriennes, le second par la communauté internationale.
L’un doit partir, l’autre doit gouverner.
Vue sous cet angle, la question semble simple. Et pourtant, derrière le feuilleton médiatique
qui présente la situation comme un bras de fer entre deux politiciens qui revendiquent le
pouvoir, se dessinent en filigrane d’autres facettes de la question qui sont fondamentales
pour comprendre le problème actuel qui traverse la Côte d’Ivoire: le déroulement des
élections, les résultats et leur certification par l’ONUCI, la mission des Nations Unies en
Côte d’Ivoire chargée d’accompagner le processus électoral ivoirien.
2002-2007 : de la rébellion à la réconciliation
Pour cela, il faut d’abord revenir sur quelques événements clé qui ont marqué le déroulement
des élections et rappeler brièvement le contexte institutionnel dans lequel celles-ci se sont
déroulées. Suite à la partition du pays en 2002 entre le Nord rebelle et le Sud républicain,
puis à l’Accord de paix de Ouagadougou (APO) signé
en 2007 entre le président Laurent Gbagbo
et le chef de l’ex-rebellion (Forces Nouvelles ou FN) Guillaume Soro, Gbagbo avait accepté de
nommer ce dernier Premier Ministre du gouvernement de réconciliation nationale. Il avait
également approuvé la composition de la Commission Electorale Indépendante (CEI) avec une
représentation majoritaire de l’opposition, notamment du RDR, parti de Ouattara [1].
Cependant, il avait nommé un proche, Paul Yao N’Dré, cacique de son parti le FPI (Front
Populaire Ivoirien), au poste de président du Conseil Constitutionnel, instance suprême
chargée par la Constitution ivoirienne d’annoncer le résultat des élections, pour autant que
la CEI ne l’ait pas fait dans un délai de trois jours après la tenue du scrutin. La Côte
d’Ivoire, en dépit de ses huit années de conflit, reste un pays souverain dont les
institutions républicaines n’ont jamais cessé de fonctionner.
Des irrégularités passées sous silence
Or que s’est-il passé dans les faits ? La préparation du scrutin, malgré son coût
astronomique [2] , a été calamiteuse. Elle a été marquée par des détournements de fonds
colossaux, l’absence d’un désarmement effectif des ex-rebelles dans la partie Nord du pays
contrairement à la feuille de route prévue par l’APO, une mauvaise formation des agents
électoraux et une logistique – distribution, collecte et transport du matériel électoral –
défaillante de la part de l’ONUCI. Ceci a entraîné un fort taux de PV électoraux mal remplis
et donc de bulletins nuls, des bureaux de votes « sécurisés » par des ex-rebelles en armes et
le transport d’une partie des urnes par des sociétés privées non agrées. Or, vu le temps,
l’énergie et l’argent consacrés par l’ONU[3] à cette élection, elle se devait d’être
exemplaire. Suite à la tenue du second tour le 28 novembre 2010, le FPI de Laurent Gbagbo a
déposé une plainte pour diverses irrégularités et fraudes dans plusieurs régions du Nord.
Parallèlement, la société SILS Technology, mandatée pour le comptage électronique des voix, a
remis ses résultats le 1er décembre par courrier à la CEI. Celui-ci mentionnait le rejet de
plus de 2000 PV pour « nombre de votants anormalement supérieur au nombre d’inscrits ». Cette
plainte devait, selon la loi ivoirienne en vigueur [4] et jusqu’à preuve du contraire, être
prise en compte par la CEI qui aurait dû, avant d’annoncer des résultats provisoires, lui
donner suite en consolidant les résultats contestés. En l’absence d’éléments suffisants pour
convaincre tous les commissaires centraux de la CEI [5] à l’issue du délai légal de trois
jours, la CEI doit transmettre l’ensemble des PV électoraux au Conseil Constitutionnel.
Celui-ci dispose alors de 45 jours pour étudier les plaintes et consolider les résultats
avant de les annoncer ou décider de l’annulation du scrutin.
La Constitution ivoirienne bafouée
Or, après trois jours tumultueux au sein de la CEI, aucun consensus n’a pu être trouvé entre
les commissaires centraux. Le 1er décembre 2010, le porte-parole de la CEI Bamba Yacouba a
voulu proclamer des résultats provisoires non validés, mais sa feuille lui a été arrachée des
mains par l’un des commissaires centraux représentant le candidat Gbagbo. Ces images ont fait
le tour du monde, témoignant de la tension extrême qui régnait au sein de la CEI. Le
lendemain, le 2 décembre à 15 heures, alors que le délai légal de trois jours avait expiré
depuis le 1er décembre à minuit, le président de la CEI Youssouf Bakayoko annonce, non pas au
siège de CEI mais au Golf Hôtel – QG de campagne d’Alassane Ouattara sécurisé par l’ONUCI et
les FN – la victoire de Ouattara avec 54% des voix. La scène est confuse, le lieu inadapté,
les représentants de Gbagbo ne sont pas présents, Bakayoko hésitant, la télévision nationale
ivoirienne absente et les seuls médias présents sont les médias occidentaux, à commencer par
France 24 qui s’empresse de diffuser ces images en boucle. Le lendemain, en réaction à cet
acte anticonstitutionnel que le camp Gbagbo assimile à un coup d’état électoral, Paul Yao
N’Dré, le président du Conseil Constitutionnel, invalide les résultats de 7 régions
concernées par la plainte du FPI et déclare Laurent Gbagbo vainqueur par 51% des voix.
Quelques heures plus tard, le représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies et
chef de l’ONUCI, le Coréen Y.J. Choi, annonce, en contradiction avec le cadre légal de sa
mission[6] , que l’ONU certifie et valide le résultat annoncé la veille donnant vainqueur
Alassane Ouattara. Le bras de fer post-électoral peut alors commencer.
Impérialisme et démocratie
Derrière ces annonces successives et la confusion totale qui s’en est suivie, bon nombre de
questions méritent d’être posées. Pourquoi le président le la CEI, Youssouf Bakayoko, a-t-il
annoncé des résultats provisoires hors délai donnant Ouattara vainqueur ? Pourquoi au Golf
Hôtel en non au siège de la CEI ? Pourquoi M. Choi s’est-il empressé de valider les résultats
provisoires donné par Bakayoko plutôt que de chercher à faire la lumière sur le déroulement
du processus électoral, à consolider les chiffres ou encore à solliciter, conformément au
point 3 de la feuille de route prévue par l’APO, l’arbitrage du facilitateur : le président
burkinabé Blaise Compaoré ? Pourquoi la communauté internationale dans sa quasi intégralité
a-t-elle immédiatement et sans hésitation reconnu Ouattara ? Pourquoi l’ONU et Ouattara ontt-ils refusés un nouveau décompte des voix comme le proposait Laurent Gbagbo ?
Ces questions soulèvent la problématique globale de la souveraineté des pays en voie de
développement et du rôle de l’ONU dans l’accompagnement de processus électoraux dits
démocratiques. On sait aujourd’hui que l’annonce de la victoire de Ouattara par Youssouf
Bakayoko – qui a ensuite immédiatement été exfiltré vers Paris – a été décidée sous la
pression de l’ancienne puissance coloniale et des USA et avec la bénédiction de Ban Ki-Moon.
L’ONU, sentant la situation lui échapper, a opté pour le passage en force, comptant sur un
mouvement de soutien populaire massif en faveur de Ouattara qui légitimerait de facto le
résultat ainsi proclamé. Or, malgré le battage médiatique international, une partie
importante de la population ivoirienne de même que la majorité des forces armées
républicaines sont restées, et restent encore à ce jour, fidèles au président sortant Laurent
Gbagbo, contestant la victoire de Ouattara et accusant l’ONU et la France d’ingérence. Devant
cette situation ubuesque – un pays avec deux présidents – en dépit du soutien officiel de la
CEDEAO[7] et de l’UA à Ouattara, les dirigeants de même que les citoyens africains restent
profondément divisés sur l’attitude à adopter en Côte d’Ivoire, alors qu’en 2011 doivent se
tenir 17 élections présidentielles sur le continent. Et la question de fond, c’est-à-dire la
validité du scrutin et les conditions dans lesquelles il s’est déroulé, n’a toujours pas été
abordée sérieusement. Il est probable que l’annulation du scrutin par l’ONUCI aurait pu
permettre d’éviter cette situation et la reprise des hostilités entre les deux camps, même si
elle aurait gravement mis en cause sa crédibilité. Cette annulation aurait créé un précédent
historique, gage d’un engagement réel de l’ONU en faveur de la démocratie sur le continent
africain, par opposition aux mascarades électorales qu’elle a pris l’habitude de cautionner.
Mais la désormais flagrante complaisance occidentale envers les ex-dictatures tunisiennes et
égyptiennes nous le rappelle, les intérêts géostratégiques et économiques priment sur la
bonne gouvernance et le respect des droits de l’homme. Désormais, tant dans le camp de Gbagbo
que dans celui de l’ONU, on applique une logique de fuite en avant, dont la population civile
ivoirienne paie actuellement le prix fort.
Mathias NAGY
Sociologue et co-fondateur de l’agence Nouchy Arts.
A résidé en Côte d’Ivoire de 2005 à 2010
[1] La CEI comporte 31 membres dont 6 sont issus de La Majorité
Présidentielle (FPI) et les autres membres représentent les partis
d’opposition et les Forces Nouvelles (ex-rebelles).
[2] 68 $ par électeur, contre 15 $ aux USA et 2 $ au Ghana.
[3] On estime le coût de la mission de l’ONUCI à près de 2,5 mia de $
entre 2005 et 2010.
[4] Article 2 nouveau de la loi n°2004-642 du 14 décembre 2004 modifiant
la loi n°2001-634 du 9 octobre 2001 relative à la CEI.
[5] Les délibérations de la Commission Centrale sont prises par
consensus. En d’autres termes, tout résultat de vote ne peut être publié
s’il n’a été validé à l’unanimité des membres de la Commission centrale.
[6] La résolution 1528 du Conseil de Sécurité définit en ce sens les
missions de l’ONUCI : « Appui à la mise en œuvre du processus de paix ;
en concertation avec la CEDEAO et les partenaires internationaux, aider
le gouvernement de réconciliation nationale à rétablir l’autorité de
l’Etat partout en Côte d’Ivoire ; avec le concours de la CEDEAO et des
autres partenaires internationaux, offrir au gouvernement de
réconciliation nationale un encadrement, des orientations et une
assistance technique en vue de préparer et faciliter la tenue d’élections
libres et transparentes dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord de
Linas-Marcoussis, en particulier d’élections Présidentielles ».
[7] Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest
La Côte d’Ivoire peine à installer la
démocratie
Bingu wa Muthaika, président de l’Union
Africaine rencontre Laurent Gbagbo.
Photo: Abidjan.net
Après les élections présidentielles de 2010, le pays est divisé entre pro
Gbagbo et pro Ouattara. Entre partition et chaos, l’avenir des Ivoiriens
s’annonce très incertain.
Depuis les élections du 28 novembre dernier, la situation en Côte d’Ivoire défraie la
chronique. Les medias du monde entier se font l’écho de la crise qui frappe ce pays depuis la
victoire dans les urnes d’Alassane Ouattara. Une victoire contestée par le président sortant,
Laurent Gbagbo, qui s’autoproclame vainqueur. Comment a-t-on pu en arriver là dans un pays
qui, hier encore, était perçu comme la vitrine de l’Afrique de l’Ouest ? Il faut savoir que
la Côte d’Ivoire a connu le régime du parti unique depuis les années 60 jusqu’en 1990 qui
voit la naissance du multipartisme. Le parti le plus influent sera le Front Populaire
Ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo. Ce dernier, après une lutte acharnée contre ses adversaires
politiques une décennie durant, accède à la magistrature suprême en 2000. Il promet monts et
merveilles au peuple ivoirien.
Laurent Gbagbo et l’esprit nationaliste
Très futé, Laurent Gbagbo met la jeunesse de son côté et installe un pouvoir aux relents
dictatoriaux. Il commence par endoctriner la population en distillant un esprit nationaliste.
Sa cible sera l’Occident et principalement la France, qu’il traite d’impérialiste. Il réussit
à inculquer cette vision du monde dans l’esprit d’une partie des ivoiriens et surtout dans
les milieux estudiantins. En 2002, commence la rébellion armée qui aura des conséquences
désastreuses, aussi bien pour la Côte d’Ivoire que pour le Mali, le Burkina, le Ghana et la
Guinée qui sont les pays frontaliers. La population ivoirienne, lassée de vivre au quotidien
le calvaire de la guerre, appellera de tous ses vœux le retour de la paix. Une paix qui ne
sera possible que par l’expression de la souveraineté du peuple, c’est-à-dire l’organisation
d’élections transparentes. C’est ainsi, après maints reports, qu’ont enfin lieu les
élections, qui verront s’affronter deux candidats, en la personne de Laurent Gbagbo du FPI et
d’Alassane Ouattara du Rassemblement Démocratique Républicain (RDR), opposés lors du deuxième
tour, le 28 novembre 2010.
La confiscation du pouvoir et le peuple pris en otage
Il faut rappeler ici que, pour éviter tout dérapage et toute contestation de résultat, le
pays, en collaboration avec la Communauté internationale, s’est doté de tous les moyens
nécessaires pour aboutir à des élections irréprochables. Après trois jours de dépouillement,
les résultats donnent Alassane Ouattara en tête. Les Ivoiriens ont enfin un président de la
République et se réjouissent de pouvoir profiter d’une paix retrouvée. Mais que constate-on
dans le camp de Laurent Gbagbo ? Après dix années de gestion calamiteuse des affaires de la
nation, le candidat déchu n’entend remettre sa place à personne d’autre, encore moins à
Laurent Ouattara, auquel il conteste la victoire. Voilà le peuple ivoirien à nouveau pris en
otage. L’espoir de réunification d’une nation longtemps divisée s’effondre. Toutes les
tentatives de médiation se soldent par un échec. La partition de la Côte d’Ivoire est plus
que jamais une éventualité préoccupante avec, au nord, les pro Ouattara et, au sud, les pro
Gbagbo. Le pays est devenu l’arène de sanglants affrontements quotidiens entre les partisans
des deux leaders, à quoi s’ajoutent encore les répressions abusives de la part des forces de
l’ordre.
Eviter de faire couler le sang
Faisant fi des accords et des engagements préalables pris auprès des Ivoiriens et des membres
de la Commission Electorale Indépendante (CEI) au cours du processus électoral, Laurent
Gbagbo s’accroche au pouvoir coûte que coûte en prétendant respecter la légalité
constitutionnelle. Une question reste sans réponse : Pourquoi Laurent Gbagbo a-t.il accepté
la certification des résultats du premier tour faite par les représentants de la Communauté
internationale et conteste-t-il celle faite par eux au deuxième tour ? Il continue de vouloir
faire vibrer la corde patriotique, en jetant l’anathème sur la France, les soldats de l’ONUCI
(Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire) et les représentants de la CEDEAO (Communauté
Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Pour le ramener à la raison, plusieurs
solutions se présentent dont celle militaire, mais avec le risque de faire couler le sang. Si
on considère les conséquences tragiques de l’intervention américaine en Irak et en
Afghanistan, on comprend que cette option ne serait pas la bienvenue pour ce petit pays
d’Afrique de l’Ouest.
L’inaction coupable du peuple ivoirien
Aussi, ce qui étonne, c’est le mutisme des Ivoiriens. Aujourd’hui les peuples africains en
général et celui de Côte d’Ivoire en particulier feraient bien de s’inspirer de l’exemple
tunisien. Voilà un peuple qui a subi les dictats d’un chef d’état durant vingt trois ans et
dont le soulèvement à partir d’une petite localité a provoqué la libération. Les Ivoiriens se
souviennent comme si c’était hier, qu’en 2000, le général Guéi Robert s’était autoproclamé
président de la république au lendemain des élections. Une marée humaine s’était alors
rassemblée dans les rues d’Abidjan pour lui arracher le pouvoir qui revenait de droit à
Laurent Gbagbo. Aujourd’hui, cependant, on ne ressent pas de vigueur dans les réactions du
peuple, que ce soit dans le nord où il semble acquis à la cause d’Alassane Ouattara ou dans
le sud. C’est pourtant au peuple qu’il appartient d’aller chercher le pouvoir là où il se
trouve et non à quelqu’un d’autre de le faire à sa place. Actuellement, les divisions
ethniques sont le résultat des discours discriminatoires des politiques dont la devise
pourrait être : diviser pour régner. Or, aucune nation ne peut se construire sur cette base.
Un état moderne est un état dont l’appareil gouvernemental repose sur l’alternance
démocratique. Il est donc impérieux que le peuple ivoirien impose ses choix à ses gouvernants
pour recouvrer enfin la stabilité et une paix durable.
Clément AKE
Membre de la rédaction lausannoise de Voix d’Exils