l`age du sélénium - Histoire de la télévision

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l`age du sélénium - Histoire de la télévision
L'AGE DU SÉLÉNIUM.
Jean-Jacques LEDOS
Texte initialement publié dans le
Bulletin du Comité d’Histoire de la télévision, n° 23, juin 1991
Il n'existe pas de réponse unique à la question "qui a inventé
la télévision?" On observe toutefois que les projets se sont
multipliés dans le dernier quart du dix-neuvième siècle. La
présentation par Alexandre Graham Bell, en 1876, du "téléphone"
inaugure une ère nouvelle pour la communication mais c’est un
évènement d’importance apparemment plus modeste qui a engagé
les chercheurs sur la voie de la vision à distance: la mise en évidence
dans les années 1870 des variations de résistivité d’un métalloïde: le
sélénium1 .
Le téléphone, c’est la possibilité de transmettre grâce à un
courant électrique modulé par une action mécanique - la pression
de l’air sur la plaque d’un électro-aimant - les inflexions et le timbre
d’une voix. C’est un progrès après le télégraphe qui ne transmet que
la continuité d’un courant de même intensité. Le message est
constitué par un code formé par la durée de cette continuité ou de sa
suspension.
Parmi les nombreux articles qui ont décrit les propriétés du
sélénium, on retiendra celui de Willoughby Smith dans le Journal of
Society of Telegraphic Engineers, vol. 6, pp. 423 à 448 (1877, Nov. 28th).
Le physicien allemand
HIittorf avait constaté quelques années
auparavant que “ la conductibilité du sélénium, du graphite et du charbon de
cornues, contrairement à celle des métaux, augmente avec la température " (“Annales
télégraphiques” 1863, p. 389).
1
La télévision - les premiers chercheurs anglais ou américains
disaient : "seeing by electricity" ou "seeing by telegraphy “ - c’est la
possibilité de transmettre, grâce à un courant électrique modulé, les
diverses brillances qui constituent une image. Télé...voir, c'est
connaître à distance une reproduction de la réalité dont la richesse se
mesurera au nombre des attributs transmis: forme, brillance, couleur,
mouvement et langage. C’est un progrès par rapport à la technique
de la "Télautographie" - préhistoire de la télévision - dont le projet,
vers le milieu du XIXème siècle, était d’utiliser le télégraphe électrique
pour transmettre des textes autographes.
Cette période de recherches sur la vision à distance dont on
ne connaît pas de réalisation pratique satisfaisante aura, au moins,
posé la problématique de la "télévision" ainsi baptisée par
Constantin Perskyi dans une communication au "Congrès
international d'électricité" de 1900. 2
P R É H I S T O I R E.
Voir à distance est un fantasme très ancien auquel les
ressources de l’illusion ou de la magie ont tenté d’apporter une
réponse. La légende des “miroirs magiques” est déjà évoquée dans
la tradition pythagoricienne. Elle nourrira de nombreuses fictions
dans lesquelles le merveilleux s’effacera progressivement au profit
de l’anticipation, de Lucien de Samosate (IIème siècle) à Tiphaigne
de la Roche (XVIIIème siècle), en passant par les littératures du
Moyen Orient, c’est au moyen d’un miroir que les héros sont
censés voir ce qui se passe ailleurs. Le réalisme scientiste de la fin du
dix-neuvième siècle soucieux d’une prospective rationnelle demande
aux techniques une réponse fiable à une attente que la nécessité
éloigne du fantasme.
Annexe aux Actes du "Congres international d'électricité - Paris - 18-25 Août
1900 - pp.54-55 - (Ed. Gauthier-Villars - Paris - 1903).
2
Le souci de transmettre des images à distance au moyen de
l'électricité est contemporain des recherches qui aboutiront à la
photographie et au cinéma dont certains espèrent déjà combiner les
potentialités avec le fonctionnement du télégraphe électrique. Il
s'agira, dans un premier temps, de transmettre du trait, par exemple,
une signature pour authentifier un ordre de bourse. Selon que le
courant passe ou ne passe pas, un trait apparaît ou non. Noir sur
blanc. Le balayage ligne après ligne assure la reproduction grâce à
un procédé électro-chimique. C'est la "Téléautographie" ou
"Télautographe" , systèmes auquels sont attachés les noms de Bain,
Bakewell ou Caselli 3
La reproduction des diverses brillances d'un sujet sur une
plaque sensibilisée par procédé chimique à l'action de la lumière est
assurée entre 1830 et 1850. Elle permet la photographie. L'illusion du
mouvement par l'enchaînement d'images successives ébauchée
par des systèmes ingénieux comme le "Thaumatrope" (1825), le
"Phenakistiscope" (1832) ou le "Zootrope" (1834) trouve une
solution praticable avec les Frères Lumière dont le succès a été
indiqué, en théorie, par l'Américain Colman Sellers (1860), le
Français Ducos du Hauron (1864) et les essais infructueux d'Edison4
. On relève aussi dans la revue anglaise "Nature" (Jan. 24, 1878) un
projet de "photographies parlantes" grâce à l'association du
"Phonograph" et du "Kinesigraph"5 .
3 Sous le titre "La Téléphotographie", Georges Ketteet Walter Kiel citent
Bain (1843), Bakewell (1847), Hipp (1851), Caselli(1855), Gerard (1865),
d'Arlincourt Amstutz Dunlany Palmer, Mills (vers 1900) et Korn
(1903).Cet article publié en Février 1927 dans Telegraphen und Fernsprech
Technik a été reproduit dans les Annales des PTT (année 1927 (pp. 1016 sq.)
. Dans une lettre adressée à La lumière électrique (année 1880, p.447) C.
Senlecq affirme avoir imaginé vers 1871 un système télautographique
comparable à celui de "MM. Meyer et Caselli
On peut se laisser aller à imaginer une prémonition de ce procédé à la
lecture du De rerum natura (III, 799sq.) de Lucrece: "Car, à peine une
image s'est-elle évanouie qu'une autre est déjà née dans une autre attitude,
mais semble n'être que la première avec un geste modifié. Cette
substitution, tu le penses bien, se fait avec rapidité..." (Trad. H. Clouard
- Flammarion - GF).
4
5
Nature Jan. 24, 1878; Scientific American May, 1879.
P R O T O H I S T O I R E.
Le 12 Février 1873, Willoughby Smith, ingénieur à la "Telegraph
Construction and Maintenance Company", spécialisée dans la pose des
cables sous-marins, rapporte devant ses collègues de la "Society of
Telegraph Engineers" l'observation d'un exploitant: le sélénium cristallin,
employé comme résistance perd cette propriété lorsqu'il est exposé à la
lumière. Un protocole d'expérimentation est reproduit par divers
opérateurs qui confirment le phénomène 6 . Dans une communication
sur ces résultats présentée en Février 1876 devant la "Royal Institution of
Great Britain", l'un des frères Siemens évoque "in fine" la réalisation,
avec son frère, d'un "oeil artificiel" dans lequel le sélénium occupe la
place de la rétine. Il s'agissait là, au mieux, d'un instrument de
laboratoire qui ne laissait pas prévoir l'utilisation du sélénium pour
transformer des images en signal électrique 7 .
L'idée d'utiliser les propriétés de résistivité variable du sélénium est
née dans l'esprit de Graham Bell ou dans son entourage (Sumner
Tainter). Elle a trouvé sa réalisation sous le nom de "Photophone",
dispositif dans lequel un bloc de sélénium transformait en courant
électrique d'intensité variable les variations d'intensité d' un faisceau
lumineux dévié de sa cible - le sélénium - par le déplacement d'un miroir
solidaire de la plaque vibrante d'un microphone. Au point de réception,
le sélénium transmettait aux bobines d'un écouteur téléphonique un
signal électrique variable correspondant à l'intensité variable du faisceau
lumineux qui le frappait. Ce système a fait l'objet d'une “littérature”
abondante après 1880. Elle a pour origine une conférence prononcée en
Août de cette année-là devant l'“Association américaine pour
l'avancement des sciences" par Graham Bell qui décrivait "...the
construction of apparatus for the production and reproduction of sound by means
of light...”8 .
"On the action of light on selenium" in Nature March, 23, 1876;
"Selenium, its electrical qualities and the effect of light thereon" by W.
Smith in Journ. of the Society of Telegraphic Engineers, Nov. 28th, 1877.
6
"The Action of Light on Selenium" by William C. Siemens in Proceedings
of the Royal Institution of Great Britain vol.VIII-1875-1878.
7
8
"Selenium and the Photophone" in Nature Sept., 23, 1880.
"Reproduction des sons sous l'influence de la lumière: Photophone de M.
On s'interroge alors sur les sources qu'a exploitées le
journaliste
scientifique Louis Figuier pour décrire en 1877 le
"Télectroscope": "...appareil fondé, comme le téléphone sur la
transmission électrique" dont l'auteur attribue l'invention à Graham
Bell et apporte les précisions suivantes: "les journaux de Boston
affirment que les expériences faites dans cette ville, pour reproduire
ainsi les images à distance, ont parfaitement réussi..."9
C'est la première fois qu'est employé le mot "Télectroscope".
Quelques jours plus tard un professeur de physique à l' "Académie
polytechnique" de Porto (Portugal), Adriano De Paiva publie la
description d’un système de “Téléscopie électrique”. L’auteur ne
dissimule pas ses sources: il a pris connaissance des travaux de
Graham Bell mais aussi des communications de William Siemens et
de Figuier auquel il emprunte le mot “Télectroscope”. L’intérêt de
l’article, c’est l’évocation d’expériences de transmission d’images que
Paiva prétend avoir tentées en utilisant le sélénium “comme
plaque sensible de la chambre noire du télectroscope. Ce corps jouit,
en effet, d’une propriété notable, dont la découverte est de toute
récente date. Interposé dans un circuit électrique, qui passe dans un
galvanomètre, il fait dévier l’aiguille d’une manière sensible, toutes les
fois qu’un faisceau lumineux vient incider sur elle, et d’ailleurs, cette
déviation est différente sous l’influence des radiations colorées 10 .”
On note par ailleurs une remarque sur les limites que l'horizon
Graham Bell" in La lumiere électrique (1er Oct. 1880). "The Photophone"
by Alexander Graham Bell in Journal of the Franklin Institute (Oct. 1880).
"Upon the Production of Sound by Radiant Energy" by A. Graham Bell
(Washington DC - 1881), et dans une perspective historique: George
P.Barnard, op. cit. Un système dérivé du “Photophone”, l'
"oscillographe de Blondel" (1890) sera utilisé plus tard pour enregistrer
le son sur la pellicule cinématographique.
"Le Télectroscope, ou appareil pout transmettre à distance les images"
par Louis Figuier in L'Année scientifique et industrielle pp. 80-81 (1877, publ.
1878).
9
“A telephonia, a telegraphia e a telescopia” dans O Instituto. revista
scientifica e literaria (Coimbra, Março de 1878). L’article est reproduit avec
la traduction française (dont on a respecté les imprécisions) en parallèle
dans La Telescopie electrique basée sur l’emploi du sélénium par Adriano De
Paiva (Porto- 1880).
10
opposera à la transmission des rayons lumineux11 . Dans un
document ultérieur, Paiva livre une” revue de presse” qui cite les
projets du Français Constantin Senlecq et de l'italien Carlo-Maria
Perosino12 .
On trouve ainsi une trace du premier projet de Constantin
Senlecq, notaire à Ardres (Pas de Calais), dans "Les mondes", numéro
daté du 16 Janvier 1879. "...Basé sur cette propriété que possèderait
le sélénium d'offrir une résistance électrique variable et très sensible
selon les différentes gradations de lumière...l'appareil consisterait
dans une chambre noire ordinaire contenant au foyer une glace
dépolie et un système de transmission de télégraphe autographique
quelconque. La pointe traçante du transmetteur destinée à parcourir
la surface de la glace dépolie serait formée d'un morceau de sélénium
maintenu par deux ressorts formant pince, isolés l'un avec la pile,
l'autre avec la ligne. La pointe de sélénium formerait le circuit. En
glissant sur les surfaces plus ou moins éclairées de la glace dépolie,
cette pointe communiquerait, à des degrés différents et avec une
grande sensibilité, les vibrations de la lumière. Le récepteur aurait
également une pointe en plombagine ou en crayon à dessiner très
doux, reliée à une plaque très mince de fer doux maintenue à peu près
comme dans les téléphones Bell, et vibrant devant un électro-aimant
gouverné par le courant irrégulier émis dans la ligne. Ce crayon,
appuyant sur une feuille de papier disposée de manière à recevoir
l'impression de l'image produite dans la chambre noire, traduirait les
vibrations de la plaque métallique par une pression plus ou moins
accentuée sur cette feuille de papier ." La référence aux travaux de
Graham Bell et à l'article de Figuier est, ici encore, implicite.
Constantin Senlecq avait également envoyé son projet à MM.
Th. du Moncel et Hallez d'Arros, respectivement responsables de la
rédaction des très sérieuses revues scientifiques La lumière électrique et
L'Électricité, peu empressés de publier un texte dont English Mechanic
Quelques années plus tard, Edison déclarera: “il est ridicule de songer à
voir quelqu’un entre New York et Paris, la forme ronde de la terre, s’il
n’y avait pas d’autre difficulté, rend la chose impossible.” (New York
Herald, 15 Août 1889).
11
Perosino, Carlo Mario: "Su d'un telefotografo ad un solo filo" in Atti
della royale Academia delle scienze di Torino vol.XIV (Marzo 1879). cf. aussi
une courte analyse dans les Annalen de WIiedemann (n°8) (Berlin, 1879).
12
and World of Science et Scientific American livrent bientôt la substance à
leurs lecteurs 13 . Ces publications lui ont permis de prendre date.
Pas assez tôt toutefois. Lorsque Senlecq aura pris connaissance précisément dans La lumière électrique ( n° 19, 1er oct.1880) - du
projet de De Paiva, il affirmera "avoir conçu dès le commencement
de 1877 le “télectroscope " et disputera même à Graham Bell
(d’après Figuier) l'antériorité du terme . Il aurait conçu, dès 1877 écrit-il en 1880 - “l’idée d’une chambre noire...” et précise: “Je pensais
d’abord à employer une infinité de fils transmetteurs isolés et réunis
en câble, mais le système présentait une complication nuisible au bon
fonctionnement de l’appareil, et je dus l’abandonner. C’est alors que
me vint la pensée d’employer les moyens mis à contribution dans les
télégraphes autographiques, tels que ceux qui ont servi de base aux
systèmes de MM. Meyer, Caselli, etc... Après nombre d’ essais et de
tatonnements, j’arrivai enfin à obtenir, avec un appareil rudimentaire,
sur une simple ligne toutefois, mais avec toutes ses gradations de teintes, la
reproduction d’une surface ombrée (du noir au clair) dont l’image venait se
peindre sur le châssis d’une chambre photographique. Alors, j’eus la
certitude que mon système était réalisable.
Cette conviction m’enhardit plus tard (Novembre 1878) à
adresser à M. Th. du Moncel et à M. Hallez d'Arros, alors directeur
du journal L’Électricité, le plan de mon appareil, auquel je donnais le
nom de “Télectroscope”.14 » Senlecq ne précise malheureusement
pas les moyens qu’il a empruntés à Meyer ou à l’abbé Caselli ni ceux
grâce auxquels il aurait réussi une reconstitution d’image.
Il reprend en 1881 le projet dont il prétend avoir eu l’idée en
1877 (cf. supra). Pour vaincre l'inertie du sélénium il imagine de
multiplier les cellules qu'un sélecteur rotatif "interrogerait"
successivement à une cadence suffisante pour donner l'illusion du
English Mechanic and World of Science (n°723) ( 1879, Jan. 31) donne une
traduction mot à mot de l’article publié dans Les mondes du 16 janvier
précédent. Cf. aussi Scientific American (1879, May, 17.)
13
La lumière électrique, année 1880, p. 447. Cette querelle d’antériorité est de
même nature que celle qui a opposé Popov à Marconi après que celui-ci
eût pris brevet. Cf. à ce sujet “Popov and the Beginnings of
Radiotelegraphy” by Charles Süsskind in Proceedings of the I.R.E. pp. 2036
sq. (1962, Oct.)
14
mouvement. On ignore toutefois si Senlecq a expérimenté 15 .
A la même époque, Scientific American (cf. note 14) évoque
"several devices" (divers systèmes) mais ne cite que celui de George R.
Carey (de Boston), dont il sera question un peu plus loin, et ignore
ceux de Connelly & Mc Tighe (de Pittsburgh), de Hicks (de
Bethleem) ou, encore, celui de Denis D. Redmond, dont English
Mechanic (1879, Feb., 7) a publié la lettre dans laquelle ce dernier
rend compte d'expériences réussies de transmission d'images au
moyen du sélénium: "I have succeeded in transmitting built-up images of very
simple objects". (J’ai réussi à transmettre des images reconstituées
d’objets très simples). Ce système utilise à l’analyse la propriété
photorésistante du sélénium qui “filtre” le courant du circuit dans
lequel il est placé, à proportion de la quantité de lumière qui le
frappe. A l’autre extrémité, les variations d’intensité d’un courant sont
censées porter à l’incandescence un morceau (filament ?) de platine
(“a piece of platinum incandescent”). Redmond affirme avoir réussi ses
expériences en multipliant , par analogie avec la structure de l’oeil, les
circuits sélénium-platine. Il n’est pas encore question de produire
l’illusion du mouvement mais, pour vaincre l’inertie du sélénium,
l’expérimentateur suggère d’analyser l’image dix fois par seconde 16 .
Au cours de l’année 1880, divers périodiques scientifiques font
état du dépôt par Graham Bell d’une description sous pli scellé
(“sealed description") d'un système de vision à distance par les moyens
du télégraphe ("seeing by telegraph ")17 . Plusieurs démarches auprès
Le Télectroscope, appareil destiné
à transmettre à distance les images par
l’Electricité , basé sur la résistance conductrice variable du Sélénium aux différentes
gradations de lumière par l’inventeur C. Senlecq, d’Ardres (1881). La “notice”
est déposée à Paris, Londres et New York.
15
cf. "The Early History of Television" by James Strachan in The
Wireless World and Radio Review, pp. 305sq. (1924, June,11). Le directeur de
La lumière eéectrique voit dans ces informations des "canards absurdes".
16
17 Le dépôt de la "sealed description" est signalé par :
- English Mechanic (Apr., 30, 1880), à la "Smithsonian Institution",
- Scientific American (June, 5, 1880) au "Franklin Institute",
- La lumière électrique (1er oct. 1880) à l'"Institut Franklin",
- Wireless World (June, 11, 1924) (J.Strachan) à la "Smithsonian".
Cette pratique est connue en France, à l "Académie des Sciences", en
particulier, sous le nom de "pli réservé". Il est possible que Graham Bell
l'ait utilisée pour faire sortir les projets concurrents.
d’organismes publics ou privés des États-Unis n’ont pas permis
d’obtenir une copie de ce document. Selon Mr. Sheldon Hochheiser,
historien attaché à “A.T. &T. Bell Laboratories” (lettre du 15 Mai
1990), il pourrait s’agir d’une note décrivant le “Photophone”
confiée, dans une boîte scellée, à la Smithsonian, pour prendre date.
Dès 1880, deux inventeurs, Perry et Ayrton déplorent cette
dissimulation et, tout en réclamant, eux aussi, une antériorité de trois
ans, ils présentent un projet qui n'est pas éloigné du second schéma
de Senlecq : "notre transmetteur consiste en une grande surface
composée de très petits carrés de sélénium ('very small separate squares of
selenium')" reliés par un fil à l'appareil récepteur. Ce “damier” est
l'ébauche d'une "mosaïque" que la future technologie des cellules
photoémissives à métaux alcalins miniaturisés 18. Quelques semaines
plus tard, La lumière électrique publie la traduction d'une lettre de W.E.
Sawyer dont le principal intérêt est de fixer un moment important,
mais difficile à vérifier, de la recherche: "au commencement de
l'année 1877, le principe de la vision à distance par le télégraphe et
même les appareils nécessaires pour atteindre ce but avec un seul fil
télégraphique, furent expliqués, n°21, Cortland street..." à New York
(NY). Sawyer propose l'exploration de l'image selon une spirale de
sélénium disposée au fond d'une chambre noire19 .
Il faut mentionner, ici, l'intervention de George R. Carey (de
Boston, Mass.) dans Scientific American (1880, June, 5th). Trois
hypothèses sont envisagées. La plus intéressante installe dans une
chambre noire sous le nom de "Selenium Camera" un procédé
analogue au second projet Senlecq: "la plaque sur laquelle [l'] image se
dessinait était constituée par un disque de sélénium. Toutefois, ce
“Seeing by electricity"-John Perry et W.E. Ayrton in "Nature" (Apr.,
22,1880). C’est dans cette lettre que les auteurs revendiquent une
antériorité de trois ans pour leur initiative. Punch, la revue anglaise, a
effectivement publié une illustration avec la légende: “Edisons
Telephonoscope (Transmits light as well as sound).” mais dans un
numéro spécial Punch’s Almanack for 1879. Dans "De la vision des objets
à grande distance" (La lumière électrique, 5 déc. 1885), Paul Clemenceau
écrit que les appareils de Perry & Ayrton “furent construits, et, paraît-il,
donnèrent d'assez bons résultats".
18
La lettre a été adressée par W.E. Sawyer à Scientific American qui l'a
publiée dans sa livraison du 12 Juin 1880. A. Abramson in “ The History
of Television 1880-1941” (éd. Mc Farland, Jefferson, N.C. 1987)
mentionne un projet du russe P.I. Bakhmet‘ev (1885) qui ajoute le
balayage en spirale au premier schéma de Senlecq.
19
disque n'était pas homogène: il était constitué d’une pièce isolante
percée d'une infinité de petits trous. Dans ceux-ci, enfin, se trouvait
introduit le sélénium, ainsi que les fils métalliques qui, de cette
manière, pouvaient établir la relation entre les différents points du
disque et les points homologues d'un autre disque du même genre,
constituant l'appareil récepteur. Il ne s’agit toutefois que d’un
procédé de reproduction d’images fixes par un moyen électrochimique: “the electricity will print upon the chemically prepared paper” 20 ."
G.R. Carey a souvent été présenté comme le premier
inventeur d’un système de vision à distance. C’est une erreur
entretenue par négligence de vérification. Dans un article publié en
I928 dans la revue anglaise Discovery, A.A. Campbell-Swinton, qui
tient sa célébrité du rôle qu'il a tenu dans le développement de la
télévision cathodique, soutient que Carey a conçu un projet de
transmission d'images à distance dès 1875. Le même auteur rappelait
dans The Wireless World and Radio Review (Apr.,9, 1924) une
communication de G.R. Carey au périodique Design and Work en
188021 . La première mention des travaux de Carey a paru dans
Scientific American (1879, May 17).
L’évènement important à la fin de l’année 1880 est d'ordre
conceptuel. Maurice Leblanc expose dans La lumière électrique (2 nov.
1880) la problématique de la transmission d'images à distance au
moyen de l'électricité: relation lumière- force électro-motrice, action
électrique de la lumière, action mécanique de la lumière. On trouve
dans cette communication la description du principe de balayage de la
totalité d'une image au moyen d'un rayon lumineux dévié par un
miroir oscillant selon deux axes orthogonaux. Le même article
évoque l'hypothèse de la transmission des couleurs à partir de trois
composantes 22 . Le sélénium soumis à l'action de la lumière fait
Paul Clemenceau (loc. cit.), écrit qu'en 1880, l' "invention de M. G.R.
Carey avait passé inaperçue...”
20
Dans un article publié dans The Electrical Engineer (Jan. 16, 1895 )
sous le titre “Transmitting, recording and seeing pictures by electricity”, Carey
déclare s’être intéressé à la question dès 1873 et avoir inventé son
système en 1877.
22 Le principe de la sélection trichrome a été suggéré en 1869 par le poète
Charles Cros.
21
varier l’intensité du circuit dans lequel il est introduit. Avec
prémonition, Leblanc qui ne fait pas allusion au rayonnement
cathodique suggère l'utilisation des propriétés luminescentes de
certaines substances "telles que le fluorure de calcium ou le sulfure de
strontium" pour visualiser le signal électrique au moment de la
reproduction 23 .
En 1882, William Lucas établit un premier bilan des solutions
proposées pour voir à distance. Une seule (“single ”) cellule au
sélénium “ traite” successivement les diverses parties de l’image qui
lui sont présentées ou bien de nombreuses cellules au sélénium
disposées sur une plaque transforment en autant de signaux
électriques les parties d’image qu’elles reçoivent. Dans les deux cas,
on ne peut obtenir qu’une image reproduite avec des moyens électrochimiques24 .
LE DISQUE DE NIPKOW.
Le projet le plus important des années 1880 est celui de Paul
Nipkow. On sait que cet ingénieur des chemins de fer allemands ne
sera reconnu qu'un demi-siècle plus tard, après que son système eût
fait la démonstration de son efficacité au point de soutenir, jusqu'en
1936, la concurrence avec l'adversaire "tout-électronique" 25 . Le
brevet de "Télescope électrique" de Nipkow décrit un procédé
d'analyse horizontale et verticale d'une image. La définition est fixée
par le nombre d'éléments d'analyse en ligne: 24 trous disposés en
spirale à la périphérie d'un disque dont la vitesse de rotation assure le
nombre de balayages suffisant par seconde pour produire l'illusion du
Maurice Leblanc, ingénieur polytechnicien, né en 1857 n'a qu'une
relation d'homonymie avec l'auteur de la série "Arsene Lupin", né en
1864, mort en I94I.
23
L’historien américain des techniques, George Shiers rapporte que
Ferdinand Braun a présenté en 1897 un tube cathodique à écran de
phosphore "F. Braun and the Cathode Ray Tube" (Scientific American,
March, 1974).
Sous la signature W.L.: “The Telectroscope, or ‘Seeing by electricity’ ”
in English Mechanic and Wolrd of Science No 891 (April 21, 1882).
24
25
cf. à ce sujet The Television Committee's Report ("Seldson Report" - 1935).
mouvement en utilisant la paresse rétinienne. Le décalage des trous
en spirale permet d’explorer des lignes ou bandes successives de
l’image. La séquence des brillances ainsi captées est recueillie par une
cellule au sélénium (“selenzelle”). Le nombre de balayages par seconde
doit être suffisant pour que le cerveau de l'observateur ne perçoive
pas la solution de continuité entre les moments successifs
d'exploration d'une image. Pour la reproduction, Nipkow préfère au
système dérivé du “Photophone” de Graham Bell (un faisceau
lumineux dévié par la membrane polie d’un écouteur téléphonique
excité par le courant de ligne) la “modulation” par le signal d’analyse
de l’intensité d’un faisceau lumineux traversant un milieu biréfringent (cellule de Kerr) 26 . Bien que son inventeur n'ait pas
poursuivi lui-même la mise en oeuvre de son projet, le disque de
Nipkow est (avec le "tambour à miroirs" de Lazare Weiller) l'un des
deux systèmes qui rendront possible l'expérimentation de la télévision
quand les technologies photoélectrique et thermionique auront, la
première, amélioré la médiocre sensibilité et l'inertie des cellules au
sélénium; la seconde, assuré l'amplification des courants faibles27
Il vaut la peine de s'arrêter sur un projet - une curiosité, plutôt imaginé en 1883 par Firmin Larroque. Si le sélénium y est utilisé
pour l'analyse, l'inventeur propose le palladium comme agent de
recomposition de l'image à partir du signal électrique. "Lorsqu'on
emploie le palladium comme électrode négative dans la décomposition de l'eau, il se
produit un phénomène remarquable: l'électrode absorbe de fortes proportions
d'hydrogène et augmente de volume..." L'absorption de l'hydrogène
augmente la résistance du palladium et notre auteur suppose que cette
variation de résistance peut se traduire en sens inverse, et donc
L’utilisation de la bi-réfringence par prismes de Nicol a été suggérée en
1882 par W. Lucas(English Mechanic and World of Science loc. cit.) qui
imagine qu’un mouvement combiné des deux prismes pourrait permettre
la reproduction. L’action d’un champ électrique sur un faisceau lumineux
traversant ce milieu avait été mentionnée dans The Telegraphic Journal and
Electrical Review p. 303, (1877, Dec., 15).
26
27 Paul Nipkow Berlin: “Elektrisches Teleskop” ( Patentschrift n° 30105
im Deutschen Reiche vom 6. Januar 1884). Dans une déclaration au New
York Times (Aug. 6, 1933), Nipkow déclare qu’il a conçu son projet au
cours du réveillon de Noël 1883 après avoir découvert l’usage du
téléphone. La réalité est, sans doute, moins simple puisque le nom de
Sumner Tainter, collaborateur de Graham Bell, est cité à plusieurs reprises
dans le brevet.
réduire le volume de l’élément de palladium. Au cours de ses
expérimentations, Firmin Larroque déclare avoir tiré "deux seules
épreuves imprimées" de ce qui ressemble à une morasse et compense
l'irréalisme des perspectives par un optimisme mal assuré28 .
LE “TAMBOUR A MIROIRS” de LAZARE WEILLER
En 1889, apparaît la description d’un système original qui sera
repris par divers inventeurs et connaîtra jusqu’au début des années
1930 des applications expérimentales. Elle a pour auteur un ingénieur,
Lazare Weiller qui “cherche à résoudre l’importante question de la
vision à distance par l’electricité, grâce à l’emploi combiné d’une
cellule à sélénium, d’un téléphone à gaz et de miroirs tournants,
formant un appareil spécial qu[’il] nomme phoroscope...”29
L’exposé de la problématique exprime une intuition originale:
l’illusion de la reproduction peut-être assurée par un échantillonnage
des attributs de la réalité: ” pour avoir l’impression de la forme des
contours et des détails d’un ou plusieurs objets, il n’est pas nécessaire
que l’oeil reçoive tous les rayons lumineux qui en émanent...pour
avoir cette impression, il n’est pas nécessaire que l’oeil reçoive en
même temps les rayons lumineux nécessaires à la vision.30 ”
S’inspirant des expériences de Lissajous (1873), Weiller imagine
une série de miroirs disposés à l’extérieur d’un cylindre ou polyèdre
(“tambour”) rotatif. Chacun de ces miroirs renvoie les diverses
brillances recueillies sur une bande de l’image vers une cellule de
sélénium qui “filtre”( par une illumination variable) le courant qui la
Firmin LARROQUE: "Sur un procédé de transmission électrique des
images et des objets" in La lumière électrique (19 Décembre 1885).
Ce projet n'aurait pas retenu l'attention si le palladium n'avait reparu dans
l'actualité récente: en 1989, deux électro-chimistes ont affirmé avoir réussi
une fusion d'atomes de deutérium dans une opération d'électrolyse dont
une des deux électrodes était une tige de palladium. Le monde a publié, le
28 février 1990 sous la signature de Jean-Paul DUFOUR, un résumé de
l'affaire.
28
29
La lumière électrique, vol. XXXIV - 16 Nov. 1889 - p.334
Le génie civil, 9ème année - Tome XV - n° 24, p. 570. Il est aisé,
aujourd’hui, d’y voir une anticipation du codage numérique.
30
traverse. L’inclinaison progressive de chacun des miroirs
(360) permet de balayer des zones différentes du sujet 31 . La vitesse
de rotation du “tambour” (30 tours par seconde) permet de porter la
cadence nécessaire d’exploration du sujet jusqu’au seuil de la
persistance rétinienne. Pour reproduire l’image à partir des variations
électriques, Weiller imagine de faire varier l’éclat d’une flamme de
bec à gaz par les vibrations d’une plaque téléphonique32. La
continuité des éclats successifs qui reproduit l’image est assuré par
redistribution au moyen d’un disque à miroirs. En 1924, à l’issue
d’une conférence de Campbell-Swinton sur les perspectives de la
télévision cathodique, Llewelyn B. Atkinson rappellera qu’il avait
conçu un tel système, en 1882, à l’âge de dix-huit ans: “I distributed my
picture and my ultimately received picture...by simply a series of mirrors which
were on a revolving frame, and were inclined at different angles, so that they swept
out the whole surface of the picture...” 33
Le Conservatoire National des Arts et Métiers (C.N.A.M.) de
Paris possède un “tambour” de Weiller (à 30 miroirs). C’est avec cet
appareil que René Barthélemy présentera
à la communauté
scientifique française, le 14 Avril 1931, la première transmission
d’images par voie hertzienne entre la “Compagnie des Compteurs” à
Montrouge et l’ “École Supérieure d’Électricite” à Malakoff, dans la
banlieue sud de Paris. A la réception, une lampe à néon remplaçait le
“téléphone à gaz”.
Le système Nipkow est repris en 1890 sous le nom de
En 1908, le Français Georges Rignoux imaginera le procédé inverse: un
rayon lumineux réfléchi par les miroirs disposés autour d’un polyèdre
balaye le sujet. Une cellule au sélénium recueille la réflexion des brillances
(“albédo”). Cette technique sera développée en 1923 dans les laboratoires
de la Westinghouse. C’est un dispositif de ce genre qu’utilisera John
Logie Baird lors de ses premières démonstrations (d’après A.
Abramson). On peut voir un portrait de M.Marc Chauvierre ainsi
“éclairé” sur la couverture de son dernier ouvrage “Soixante quinze ans
de radio et de télévision” (Chiron, Paris, 1990).
31
Weiller parle du “téléphone à gaz”. D’autres auteurs ont suggéré
l’utilisation de la “capsule manométrique” imaginée par Kœnig vers 1860.
32
“The Possibilities of Television with Wire and Wireless” by A.A.
Campbell-Swinton in The Wireless World and Radio Review (April 23,
1924). Atkinson a évoqué son invention dans le Telegraphic Journal and
Electrical Review (1889, Dec. 13).
33
“Telephane” par un inventeur australien, Henry Sutton qui utilise
comme source de lumière, à la reproduction, une lampe à huile34 .
Au début de 1891, Marcel Brillouin propose une réforme de la
problématique de la vision à distance. Il estime irréalisables les
projets de Nipkow et de Weiller: “le disque à trous en spirale de M.
Nipkow ne permet ni finesse ni éclat, et le cylindre à 360 miroirs de M. Weiller
qui permet à peu près l’un et l’autre, est d’une construction presque impraticable,
si l’on veut de la fidélité”. L’autosatisfaction du pionnier “in abstracto”
sera cruellement dénoncée par l’expérimentation réussie grâce à ces
deux systèmes. Pour que l’image soit nette, affirme-t-il, le diamètre
du faisceau d’analyse - ce qu’il appelle la “tache mobile” - ne doit
pas être supérieur à 0,05 mm. L’image d’une “surface de seize
centimètres carrés” devrait être explorée selon “800 bandes d’un
vingtième de millimètre de hauteur”. Le physicien exprime, par
ailleurs, des réserves sur la sensibilité du sélénium.
Le système d’analyse proposé évoque le système Nipkow parce
qu’il utilise deux disques rotatifs percés de trous 35. Brillouin décrit:
“deux disques circulaires mobiles autour d’arbres parallèles. chacun d’eux porte
enchassées (sic) dans des fenêtres rectangulaires une série de 10 lentilles, toutes de
même foyer, et dont les centres optiques sont rigoureusement sur une même
circonférence concentrique à l’axe de rotation. leurs mouvements sont liés
rigoureusement l’un à l’autre. de manière que l’un d’eux tourne
rigoureusement 1000 fois plus vite que l’autre.“ Le procédé ne s’applique
toutefois qu’à la transmission d’images fixes: “le transmetteur est relié par
des fils conducteurs de l’électricité à un récepteur éloigné, au moyen duquel une
image réelle semblable à l’image fournie par l’objectif au départ , est décrite en
quelques minutes, sur la surface d’une plaque photographique, qu’on développe
ensuite à la manière ordinaire. “ La reproduction de l’illusion du
G. Shiers in “Historical Notes on Television Before 1900” (SMPTE
Journal, March 1977) soutient que Sutton aurait imaginé son dispositif
cinq ans auparavant.
34
Le brevet de Nipkow prévoyait de part et d’autre du disque d’analyse
un système optique convergent, lentilles et miroir concave. Il était, par
ailleurs recommandé, pour favoriser la lecture, d’ajouter des lentilles
aux perforations du disque: “ ...so bringt man vor jeder Oeffnung .in einer
zweiten.zu setzenden Scheibe convexe Linsen.” John Logie Baird utilisera, en
1925, un disque à 16 trous disposés en spirale et munis de lentilles pour
diriger un faisceau de lumière (“flying spot”) sur le sujet à transmettre.
35
mouvement n’est jamais suggérée.36
Le “Telectroscope” de Léon Le Pontois (Pittsburgh) propose,
avec quelques variantes à la réception, un projet d’analyse au
moyen d’un disque de Nipkow qui retient l’attention parce que son
auteur, peut-être informé de l’observation de Hittorf (cf. note 1)
préconise l’éclairage du sujet par une lumière chaude (“a source of light
giving very hot rays - calcium light for instance”)37 .
Au cours de la dernière décennie du siècle, la recherche va
développer trois utilisations de cette particule qui va bientôt recevoir
un nom: l’électron. En 1889, deux physiciens allemands Julius Elster
et Hans Geitel observent que certains métaux tels le sodium, le
rubidium ou le coesium produisent un courant électrique faible
lorsqu’ils sont éclairés. C’est l’origine de la cellule photoémissive,
application de l’effet photoélectrique, qui s’imposera face au sélénium
dont la lenteur de réponse était incompatible avec l’exigence d’une
exploration et d’une “transduction” rapides des images. J.A. Fleming
met au point dans les dernières années du siècle le premier tube
électronique - une “diode” ou “valve”- dont la propriété de redresser
les courants alternatifs sera d’abord retenue comme détecteur des
ondes électro-magnétiques. L’adjonction par Lee De Forest, dans les
premières années du siècle suivant, d’une troisième électrode ouvrira
la voie de l’amplification des signaux faibles. En 1897, le physicien
allemand de l’Université de Strasbourg, Ferdinand Braun, soumet le
faisceau d’électrons à la contrainte d’un champ magnétique. Le
balayage rapide en long et en large d’une surface à explorer et à
reproduire devient possible. La réalisation de la problématique de la
télévision devra toutefois attendre pendant quelques décennies la
mise au point de ces technologies. D’ici là, l’expérimentation suivra
au plus près les schémas primitifs de l’analyse électro-mécanique.
On retiendra, dans ce domaine, le développement en Autriche,
en 1897, par Jan Szczepanik et Ludwig Kleinberg de l’idée de Maurice
Leblanc (1880): deux miroirs striés et oscillants, disposés à angle droit
Revue générale des sciences pures et appliquées, 2ème année, n° 2, 30 janvier
1891.
36
“The telectroscope”: Scientific American Supplement No 910, 1893, June
10.
37
explorent en zig-zag des bandes d’image successives dont les
brillances sont réfléchies vers une cellule au sélénium. Le schéma du
dispositif ne laisse apparaître aucun système optique de formation de
l’image. Une présentation annoncée à l’ “Exposition Universelle” de
Paris, en 1900, semble n’avoir jamais eu lieu.
CONCLUSION.
Dans l’intervention devant le "Congrès international de
l’électricité" (1900) au cours de laquelle il proposa le nom
“Télévision”, Constantin Perskyi dressait un premier bilan des
projets de transmission des images à distance. Il était toutefois
prématuré de s’installer dans la perspective historique. En 1908,
Shelford Bidwell recommande, sans conviction, la construction d’une
panneau de 20 cm2 de surface composé de 90 000 cellules au
sélénium reliées fil à fil à autant de cellules pour la réception38. Cette
proposition suscite une réaction du scientifique britannique AlanArchibald Campbell-Swinton qui ouvre la voie de la télévision
moderne et toujours actuelle. Les moyens mécaniques de permettent
pas d’effectuer 160 000 opérations synchronisées par seconde. La
difficulté ne peut être résolue que par l’utilisation de deux faisceaux
de rayons cathodiques, l’un à la transmission - on dit aujourd’hui: la
prise de vues -, l’autre à la reproduction39 . Peu de temps auparavant,
le Russe Boris Rosing (qui comptera parmi ses assistants, quelques
années plus tard, un jeune étudiant: Vladimir Kosma Zworykin) et
l’allemand Max Dieckmann ont recommandé, chacun de son côté,
l’utilisation du tube cathodique à déflection, dit de “Braun”
(“Braunscherohr”), pour la recomposition d’une image à partir d’un
signal électrique.
Avant que la technologie ne réalise ces intuitions, le sélénium
apparaît encore dans quelques démonstrations, telle celle des
Français Rignoux et Fournier que rapporte un journaliste de
“L’Illustration” , Henry de Varigny (11 Décembre 1909). Le dispositif
38
39
Nature (1908, June, 4, p. 106).
“Distant Electric Vision” in Nature (1908 , June,18).
réalise avec plus de modestie le récent schéma de Bidwell. La même
source mentionne une expérience de même nature conduite à Berlin
par Ernst Ruhmer.
En 1922, un Hongrois, Nicolas Langer décrit encore un
système d’analyse à miroir unique oscillant selon des axes et des
fréquences différents. Une cellule au sélénium à réponse élevée (10
000 Hz) ainsi que des amplificateurs à lampe (“thermionic valve
amplifiers”) sont prévus40 .
A la même époque, l’avenir de la télévision pratique se prépare
ailleurs. En Grande-Bretagne, l’écossais John Logie Baird engage
l’expérimentation du système qui lui permettra de présenter une
première démonstration de transmission d’image au “Selfridge’s” de
Londres, en Avril 1925. Aux Etats-Unis où il a émigré, Zworykin
dépose, dans les derniers jours de 1923, un premier brevet pour un
système de télévision tout-électrique (“All-electric Television”). Il ne sera
publié qu’en 1938. En 1926, Campbell-Swinton déclare qu’il a tenté
sans succès (“not very successful”) d’analyser une image au moyen d’un
tube de Braun (“home-made”) dans lequel une fine couche de sélénium
avait remplacé l’écran fluorescent 41 .
De ces schémas anciens seuls les systèmes d’analyse électromécanique: le disque de Nipkow et le “tambour à miroirs” de Weiller
seront utilisés jusqu’à l’inauguration des premières stations de
télévision, en mars 1935 pour l’Allemagne, en Novembre de la même
année pour la France, en Novembre 1936 pour l’Angleterre. Mais le
sélénium n’y a pas sa place. Il est vrai que ses applications ne tiennent
pas les promesses dont les chercheurs l’ avaient crédité. En 1937,
deux ingénieurs de EMI donnent à la “Television exhibition” du
“Science Museum” de Londres une démonstration de tubes
d’analyse qui utilisent l’effet photoconducteur de certains cristaux
(dont le sélénium et ses dérivés), mais c’est en 1949 que trois
chercheurs de RCA, Paul Weimer, Robert Goodrich et Stanley
Forgue présenteront une application à peu près fiable de cet effet
“A Development in The Problem of Television” in The Wireless World
and Radio Review 1922, Nov. 11.
40
41
Nature, 1926, Oct. 23.
dans un nouveau tube de prise vues: le “Vidicon” . Un support
transparent recouvert d’une fine couche de sélénium amorphe est
exploré par un faisceau d’électrons lents (balayage de type
“Orthicon”). La résistance élevée du sélénium non éclairé assure le
stockage de charge 42. Ce procédé connaîtra un avenir industriel
durable dans la télé-surveillance.
Un article dans le Journal of the SMPTE résume en 1987 la
carrière du métalloïde découvert en 1817 par le chimiste suédois
Berzelius: “le sélénium est le plus ancien photoconducteur connu. Il y a plus de
cent ans, une barre de sélénium était employée pour tester les câbles sous-marins et
on avait observé que la résistance variait en fonction de la lumière qui le frappait.
Depuis, il a été utilisé dans les posemètres, dans les photocopieurs et dans un tas
d’instruments photoélectriques 43 .” Ce n’est pas un éloge posthume. A la
même époque, le sélénium apparaît encore dans un projet de tube
de prise de vues du laboratoire de recherches de la télévision
publique japonaise NHK en 1987 44 .
Jean-Jacques Ledos.
“The Electrical Reproduction of Images by the Photoconductive
Effect” par H. Miller et J.W. Strange in Journ. of the Phys. Soc. (50), May,
2, 1938.
“Television camera tubes” par Robert G. Neuhauser in SPMTE Journal
vol. 99, No 9, September 1990. Dans un de ses dernières interventions
publiques (1954), René Barthélemy évoque les “cibles photo-résistantes
au sulfure de thallium et au sélénium amorphe” créées par la RCA.
42
Les premières caméras portables utilisées par la RTF étaient équipées de
tubes “Vidicon”. Par la suite, la Compagnie Française Thomson-Houston
a mis sur le marché, pour le studio, des caméras de ce type à tourelle de
quatre objectifs.
NEUHAUSER (Robert G.): “Photoconductors utilized in TV Camera
Tubes” in SPMTE Journal ,vol. 96, No 5, May 1987.
43
“An Avalanche-Mode Amorphous Selenium Photoconductive Layer for
Use as a Camera Tube Target” in “IEEE Electron Devices Letters”,
September 1987.
44
Madame RONCHAUD, Bibliothèque technique de TDF,
Monsieur ALBERTINI, Bibliothèque Centrale de RADIOFRANCE,
Monsieur Patrice A. CARRE, Collections Historiques du CNET,
Mr. J. CLARK, SCIENCE MUSEUM LIBRARY (LONDON),
La Bibliothèque du CNET (Issy les Moulineaux),
Le CENTRE CULTUREL PORTUGAIS de Paris (Fondation
GULBENKIAN),
La BIBLIOTECA PUBLICA MUNICIPALE
de
PORTO
(Portugal),
La LIBRARY OF CONGRESS (WASHINGTON D.C. USA),
L’AMERICAN LIBRARY in PARIS,
Mr. Henry F. SCANNELL, BOSTON PUBLIC LIBRARY
(BOSTON, Ma., USA)
Mr Sheldon HOCHHEISER, A.T. & T. BELL Laboratories,
Mrs. Nance L. BRISCOE,
NMAH: “SMITHSONIAN
INSTITUTION”
(WASHINGTON, DC, USA)
La “FRANKLIN INSTITUTE LIBRARY” (PHILADELPHIA,
PA. USA)
ont bien voulu me permettre l’accès à leurs documents.
Je leur exprime ma gratitude.
NOTE BIBLIOGRAPHIQUE.
L’ouvrage de George P. BARNARD: “THE SELENIUM CELL,
ITS PROPERTIES AND APPLICATIONS” CONSTABLE &
COMPANY Ltd Publishers - LONDON – 1930, comporte en
annexe une riche bibliographie sur le sélénium et ses applications au
cinéma parlant, à la téléphotographie et à la télévision.

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