l`age du sélénium - Histoire de la télévision
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l`age du sélénium - Histoire de la télévision
L'AGE DU SÉLÉNIUM. Jean-Jacques LEDOS Texte initialement publié dans le Bulletin du Comité d’Histoire de la télévision, n° 23, juin 1991 Il n'existe pas de réponse unique à la question "qui a inventé la télévision?" On observe toutefois que les projets se sont multipliés dans le dernier quart du dix-neuvième siècle. La présentation par Alexandre Graham Bell, en 1876, du "téléphone" inaugure une ère nouvelle pour la communication mais c’est un évènement d’importance apparemment plus modeste qui a engagé les chercheurs sur la voie de la vision à distance: la mise en évidence dans les années 1870 des variations de résistivité d’un métalloïde: le sélénium1 . Le téléphone, c’est la possibilité de transmettre grâce à un courant électrique modulé par une action mécanique - la pression de l’air sur la plaque d’un électro-aimant - les inflexions et le timbre d’une voix. C’est un progrès après le télégraphe qui ne transmet que la continuité d’un courant de même intensité. Le message est constitué par un code formé par la durée de cette continuité ou de sa suspension. Parmi les nombreux articles qui ont décrit les propriétés du sélénium, on retiendra celui de Willoughby Smith dans le Journal of Society of Telegraphic Engineers, vol. 6, pp. 423 à 448 (1877, Nov. 28th). Le physicien allemand HIittorf avait constaté quelques années auparavant que “ la conductibilité du sélénium, du graphite et du charbon de cornues, contrairement à celle des métaux, augmente avec la température " (“Annales télégraphiques” 1863, p. 389). 1 La télévision - les premiers chercheurs anglais ou américains disaient : "seeing by electricity" ou "seeing by telegraphy “ - c’est la possibilité de transmettre, grâce à un courant électrique modulé, les diverses brillances qui constituent une image. Télé...voir, c'est connaître à distance une reproduction de la réalité dont la richesse se mesurera au nombre des attributs transmis: forme, brillance, couleur, mouvement et langage. C’est un progrès par rapport à la technique de la "Télautographie" - préhistoire de la télévision - dont le projet, vers le milieu du XIXème siècle, était d’utiliser le télégraphe électrique pour transmettre des textes autographes. Cette période de recherches sur la vision à distance dont on ne connaît pas de réalisation pratique satisfaisante aura, au moins, posé la problématique de la "télévision" ainsi baptisée par Constantin Perskyi dans une communication au "Congrès international d'électricité" de 1900. 2 P R É H I S T O I R E. Voir à distance est un fantasme très ancien auquel les ressources de l’illusion ou de la magie ont tenté d’apporter une réponse. La légende des “miroirs magiques” est déjà évoquée dans la tradition pythagoricienne. Elle nourrira de nombreuses fictions dans lesquelles le merveilleux s’effacera progressivement au profit de l’anticipation, de Lucien de Samosate (IIème siècle) à Tiphaigne de la Roche (XVIIIème siècle), en passant par les littératures du Moyen Orient, c’est au moyen d’un miroir que les héros sont censés voir ce qui se passe ailleurs. Le réalisme scientiste de la fin du dix-neuvième siècle soucieux d’une prospective rationnelle demande aux techniques une réponse fiable à une attente que la nécessité éloigne du fantasme. Annexe aux Actes du "Congres international d'électricité - Paris - 18-25 Août 1900 - pp.54-55 - (Ed. Gauthier-Villars - Paris - 1903). 2 Le souci de transmettre des images à distance au moyen de l'électricité est contemporain des recherches qui aboutiront à la photographie et au cinéma dont certains espèrent déjà combiner les potentialités avec le fonctionnement du télégraphe électrique. Il s'agira, dans un premier temps, de transmettre du trait, par exemple, une signature pour authentifier un ordre de bourse. Selon que le courant passe ou ne passe pas, un trait apparaît ou non. Noir sur blanc. Le balayage ligne après ligne assure la reproduction grâce à un procédé électro-chimique. C'est la "Téléautographie" ou "Télautographe" , systèmes auquels sont attachés les noms de Bain, Bakewell ou Caselli 3 La reproduction des diverses brillances d'un sujet sur une plaque sensibilisée par procédé chimique à l'action de la lumière est assurée entre 1830 et 1850. Elle permet la photographie. L'illusion du mouvement par l'enchaînement d'images successives ébauchée par des systèmes ingénieux comme le "Thaumatrope" (1825), le "Phenakistiscope" (1832) ou le "Zootrope" (1834) trouve une solution praticable avec les Frères Lumière dont le succès a été indiqué, en théorie, par l'Américain Colman Sellers (1860), le Français Ducos du Hauron (1864) et les essais infructueux d'Edison4 . On relève aussi dans la revue anglaise "Nature" (Jan. 24, 1878) un projet de "photographies parlantes" grâce à l'association du "Phonograph" et du "Kinesigraph"5 . 3 Sous le titre "La Téléphotographie", Georges Ketteet Walter Kiel citent Bain (1843), Bakewell (1847), Hipp (1851), Caselli(1855), Gerard (1865), d'Arlincourt Amstutz Dunlany Palmer, Mills (vers 1900) et Korn (1903).Cet article publié en Février 1927 dans Telegraphen und Fernsprech Technik a été reproduit dans les Annales des PTT (année 1927 (pp. 1016 sq.) . Dans une lettre adressée à La lumière électrique (année 1880, p.447) C. Senlecq affirme avoir imaginé vers 1871 un système télautographique comparable à celui de "MM. Meyer et Caselli On peut se laisser aller à imaginer une prémonition de ce procédé à la lecture du De rerum natura (III, 799sq.) de Lucrece: "Car, à peine une image s'est-elle évanouie qu'une autre est déjà née dans une autre attitude, mais semble n'être que la première avec un geste modifié. Cette substitution, tu le penses bien, se fait avec rapidité..." (Trad. H. Clouard - Flammarion - GF). 4 5 Nature Jan. 24, 1878; Scientific American May, 1879. P R O T O H I S T O I R E. Le 12 Février 1873, Willoughby Smith, ingénieur à la "Telegraph Construction and Maintenance Company", spécialisée dans la pose des cables sous-marins, rapporte devant ses collègues de la "Society of Telegraph Engineers" l'observation d'un exploitant: le sélénium cristallin, employé comme résistance perd cette propriété lorsqu'il est exposé à la lumière. Un protocole d'expérimentation est reproduit par divers opérateurs qui confirment le phénomène 6 . Dans une communication sur ces résultats présentée en Février 1876 devant la "Royal Institution of Great Britain", l'un des frères Siemens évoque "in fine" la réalisation, avec son frère, d'un "oeil artificiel" dans lequel le sélénium occupe la place de la rétine. Il s'agissait là, au mieux, d'un instrument de laboratoire qui ne laissait pas prévoir l'utilisation du sélénium pour transformer des images en signal électrique 7 . L'idée d'utiliser les propriétés de résistivité variable du sélénium est née dans l'esprit de Graham Bell ou dans son entourage (Sumner Tainter). Elle a trouvé sa réalisation sous le nom de "Photophone", dispositif dans lequel un bloc de sélénium transformait en courant électrique d'intensité variable les variations d'intensité d' un faisceau lumineux dévié de sa cible - le sélénium - par le déplacement d'un miroir solidaire de la plaque vibrante d'un microphone. Au point de réception, le sélénium transmettait aux bobines d'un écouteur téléphonique un signal électrique variable correspondant à l'intensité variable du faisceau lumineux qui le frappait. Ce système a fait l'objet d'une “littérature” abondante après 1880. Elle a pour origine une conférence prononcée en Août de cette année-là devant l'“Association américaine pour l'avancement des sciences" par Graham Bell qui décrivait "...the construction of apparatus for the production and reproduction of sound by means of light...”8 . "On the action of light on selenium" in Nature March, 23, 1876; "Selenium, its electrical qualities and the effect of light thereon" by W. Smith in Journ. of the Society of Telegraphic Engineers, Nov. 28th, 1877. 6 "The Action of Light on Selenium" by William C. Siemens in Proceedings of the Royal Institution of Great Britain vol.VIII-1875-1878. 7 8 "Selenium and the Photophone" in Nature Sept., 23, 1880. "Reproduction des sons sous l'influence de la lumière: Photophone de M. On s'interroge alors sur les sources qu'a exploitées le journaliste scientifique Louis Figuier pour décrire en 1877 le "Télectroscope": "...appareil fondé, comme le téléphone sur la transmission électrique" dont l'auteur attribue l'invention à Graham Bell et apporte les précisions suivantes: "les journaux de Boston affirment que les expériences faites dans cette ville, pour reproduire ainsi les images à distance, ont parfaitement réussi..."9 C'est la première fois qu'est employé le mot "Télectroscope". Quelques jours plus tard un professeur de physique à l' "Académie polytechnique" de Porto (Portugal), Adriano De Paiva publie la description d’un système de “Téléscopie électrique”. L’auteur ne dissimule pas ses sources: il a pris connaissance des travaux de Graham Bell mais aussi des communications de William Siemens et de Figuier auquel il emprunte le mot “Télectroscope”. L’intérêt de l’article, c’est l’évocation d’expériences de transmission d’images que Paiva prétend avoir tentées en utilisant le sélénium “comme plaque sensible de la chambre noire du télectroscope. Ce corps jouit, en effet, d’une propriété notable, dont la découverte est de toute récente date. Interposé dans un circuit électrique, qui passe dans un galvanomètre, il fait dévier l’aiguille d’une manière sensible, toutes les fois qu’un faisceau lumineux vient incider sur elle, et d’ailleurs, cette déviation est différente sous l’influence des radiations colorées 10 .” On note par ailleurs une remarque sur les limites que l'horizon Graham Bell" in La lumiere électrique (1er Oct. 1880). "The Photophone" by Alexander Graham Bell in Journal of the Franklin Institute (Oct. 1880). "Upon the Production of Sound by Radiant Energy" by A. Graham Bell (Washington DC - 1881), et dans une perspective historique: George P.Barnard, op. cit. Un système dérivé du “Photophone”, l' "oscillographe de Blondel" (1890) sera utilisé plus tard pour enregistrer le son sur la pellicule cinématographique. "Le Télectroscope, ou appareil pout transmettre à distance les images" par Louis Figuier in L'Année scientifique et industrielle pp. 80-81 (1877, publ. 1878). 9 “A telephonia, a telegraphia e a telescopia” dans O Instituto. revista scientifica e literaria (Coimbra, Março de 1878). L’article est reproduit avec la traduction française (dont on a respecté les imprécisions) en parallèle dans La Telescopie electrique basée sur l’emploi du sélénium par Adriano De Paiva (Porto- 1880). 10 opposera à la transmission des rayons lumineux11 . Dans un document ultérieur, Paiva livre une” revue de presse” qui cite les projets du Français Constantin Senlecq et de l'italien Carlo-Maria Perosino12 . On trouve ainsi une trace du premier projet de Constantin Senlecq, notaire à Ardres (Pas de Calais), dans "Les mondes", numéro daté du 16 Janvier 1879. "...Basé sur cette propriété que possèderait le sélénium d'offrir une résistance électrique variable et très sensible selon les différentes gradations de lumière...l'appareil consisterait dans une chambre noire ordinaire contenant au foyer une glace dépolie et un système de transmission de télégraphe autographique quelconque. La pointe traçante du transmetteur destinée à parcourir la surface de la glace dépolie serait formée d'un morceau de sélénium maintenu par deux ressorts formant pince, isolés l'un avec la pile, l'autre avec la ligne. La pointe de sélénium formerait le circuit. En glissant sur les surfaces plus ou moins éclairées de la glace dépolie, cette pointe communiquerait, à des degrés différents et avec une grande sensibilité, les vibrations de la lumière. Le récepteur aurait également une pointe en plombagine ou en crayon à dessiner très doux, reliée à une plaque très mince de fer doux maintenue à peu près comme dans les téléphones Bell, et vibrant devant un électro-aimant gouverné par le courant irrégulier émis dans la ligne. Ce crayon, appuyant sur une feuille de papier disposée de manière à recevoir l'impression de l'image produite dans la chambre noire, traduirait les vibrations de la plaque métallique par une pression plus ou moins accentuée sur cette feuille de papier ." La référence aux travaux de Graham Bell et à l'article de Figuier est, ici encore, implicite. Constantin Senlecq avait également envoyé son projet à MM. Th. du Moncel et Hallez d'Arros, respectivement responsables de la rédaction des très sérieuses revues scientifiques La lumière électrique et L'Électricité, peu empressés de publier un texte dont English Mechanic Quelques années plus tard, Edison déclarera: “il est ridicule de songer à voir quelqu’un entre New York et Paris, la forme ronde de la terre, s’il n’y avait pas d’autre difficulté, rend la chose impossible.” (New York Herald, 15 Août 1889). 11 Perosino, Carlo Mario: "Su d'un telefotografo ad un solo filo" in Atti della royale Academia delle scienze di Torino vol.XIV (Marzo 1879). cf. aussi une courte analyse dans les Annalen de WIiedemann (n°8) (Berlin, 1879). 12 and World of Science et Scientific American livrent bientôt la substance à leurs lecteurs 13 . Ces publications lui ont permis de prendre date. Pas assez tôt toutefois. Lorsque Senlecq aura pris connaissance précisément dans La lumière électrique ( n° 19, 1er oct.1880) - du projet de De Paiva, il affirmera "avoir conçu dès le commencement de 1877 le “télectroscope " et disputera même à Graham Bell (d’après Figuier) l'antériorité du terme . Il aurait conçu, dès 1877 écrit-il en 1880 - “l’idée d’une chambre noire...” et précise: “Je pensais d’abord à employer une infinité de fils transmetteurs isolés et réunis en câble, mais le système présentait une complication nuisible au bon fonctionnement de l’appareil, et je dus l’abandonner. C’est alors que me vint la pensée d’employer les moyens mis à contribution dans les télégraphes autographiques, tels que ceux qui ont servi de base aux systèmes de MM. Meyer, Caselli, etc... Après nombre d’ essais et de tatonnements, j’arrivai enfin à obtenir, avec un appareil rudimentaire, sur une simple ligne toutefois, mais avec toutes ses gradations de teintes, la reproduction d’une surface ombrée (du noir au clair) dont l’image venait se peindre sur le châssis d’une chambre photographique. Alors, j’eus la certitude que mon système était réalisable. Cette conviction m’enhardit plus tard (Novembre 1878) à adresser à M. Th. du Moncel et à M. Hallez d'Arros, alors directeur du journal L’Électricité, le plan de mon appareil, auquel je donnais le nom de “Télectroscope”.14 » Senlecq ne précise malheureusement pas les moyens qu’il a empruntés à Meyer ou à l’abbé Caselli ni ceux grâce auxquels il aurait réussi une reconstitution d’image. Il reprend en 1881 le projet dont il prétend avoir eu l’idée en 1877 (cf. supra). Pour vaincre l'inertie du sélénium il imagine de multiplier les cellules qu'un sélecteur rotatif "interrogerait" successivement à une cadence suffisante pour donner l'illusion du English Mechanic and World of Science (n°723) ( 1879, Jan. 31) donne une traduction mot à mot de l’article publié dans Les mondes du 16 janvier précédent. Cf. aussi Scientific American (1879, May, 17.) 13 La lumière électrique, année 1880, p. 447. Cette querelle d’antériorité est de même nature que celle qui a opposé Popov à Marconi après que celui-ci eût pris brevet. Cf. à ce sujet “Popov and the Beginnings of Radiotelegraphy” by Charles Süsskind in Proceedings of the I.R.E. pp. 2036 sq. (1962, Oct.) 14 mouvement. On ignore toutefois si Senlecq a expérimenté 15 . A la même époque, Scientific American (cf. note 14) évoque "several devices" (divers systèmes) mais ne cite que celui de George R. Carey (de Boston), dont il sera question un peu plus loin, et ignore ceux de Connelly & Mc Tighe (de Pittsburgh), de Hicks (de Bethleem) ou, encore, celui de Denis D. Redmond, dont English Mechanic (1879, Feb., 7) a publié la lettre dans laquelle ce dernier rend compte d'expériences réussies de transmission d'images au moyen du sélénium: "I have succeeded in transmitting built-up images of very simple objects". (J’ai réussi à transmettre des images reconstituées d’objets très simples). Ce système utilise à l’analyse la propriété photorésistante du sélénium qui “filtre” le courant du circuit dans lequel il est placé, à proportion de la quantité de lumière qui le frappe. A l’autre extrémité, les variations d’intensité d’un courant sont censées porter à l’incandescence un morceau (filament ?) de platine (“a piece of platinum incandescent”). Redmond affirme avoir réussi ses expériences en multipliant , par analogie avec la structure de l’oeil, les circuits sélénium-platine. Il n’est pas encore question de produire l’illusion du mouvement mais, pour vaincre l’inertie du sélénium, l’expérimentateur suggère d’analyser l’image dix fois par seconde 16 . Au cours de l’année 1880, divers périodiques scientifiques font état du dépôt par Graham Bell d’une description sous pli scellé (“sealed description") d'un système de vision à distance par les moyens du télégraphe ("seeing by telegraph ")17 . Plusieurs démarches auprès Le Télectroscope, appareil destiné à transmettre à distance les images par l’Electricité , basé sur la résistance conductrice variable du Sélénium aux différentes gradations de lumière par l’inventeur C. Senlecq, d’Ardres (1881). La “notice” est déposée à Paris, Londres et New York. 15 cf. "The Early History of Television" by James Strachan in The Wireless World and Radio Review, pp. 305sq. (1924, June,11). Le directeur de La lumière eéectrique voit dans ces informations des "canards absurdes". 16 17 Le dépôt de la "sealed description" est signalé par : - English Mechanic (Apr., 30, 1880), à la "Smithsonian Institution", - Scientific American (June, 5, 1880) au "Franklin Institute", - La lumière électrique (1er oct. 1880) à l'"Institut Franklin", - Wireless World (June, 11, 1924) (J.Strachan) à la "Smithsonian". Cette pratique est connue en France, à l "Académie des Sciences", en particulier, sous le nom de "pli réservé". Il est possible que Graham Bell l'ait utilisée pour faire sortir les projets concurrents. d’organismes publics ou privés des États-Unis n’ont pas permis d’obtenir une copie de ce document. Selon Mr. Sheldon Hochheiser, historien attaché à “A.T. &T. Bell Laboratories” (lettre du 15 Mai 1990), il pourrait s’agir d’une note décrivant le “Photophone” confiée, dans une boîte scellée, à la Smithsonian, pour prendre date. Dès 1880, deux inventeurs, Perry et Ayrton déplorent cette dissimulation et, tout en réclamant, eux aussi, une antériorité de trois ans, ils présentent un projet qui n'est pas éloigné du second schéma de Senlecq : "notre transmetteur consiste en une grande surface composée de très petits carrés de sélénium ('very small separate squares of selenium')" reliés par un fil à l'appareil récepteur. Ce “damier” est l'ébauche d'une "mosaïque" que la future technologie des cellules photoémissives à métaux alcalins miniaturisés 18. Quelques semaines plus tard, La lumière électrique publie la traduction d'une lettre de W.E. Sawyer dont le principal intérêt est de fixer un moment important, mais difficile à vérifier, de la recherche: "au commencement de l'année 1877, le principe de la vision à distance par le télégraphe et même les appareils nécessaires pour atteindre ce but avec un seul fil télégraphique, furent expliqués, n°21, Cortland street..." à New York (NY). Sawyer propose l'exploration de l'image selon une spirale de sélénium disposée au fond d'une chambre noire19 . Il faut mentionner, ici, l'intervention de George R. Carey (de Boston, Mass.) dans Scientific American (1880, June, 5th). Trois hypothèses sont envisagées. La plus intéressante installe dans une chambre noire sous le nom de "Selenium Camera" un procédé analogue au second projet Senlecq: "la plaque sur laquelle [l'] image se dessinait était constituée par un disque de sélénium. Toutefois, ce “Seeing by electricity"-John Perry et W.E. Ayrton in "Nature" (Apr., 22,1880). C’est dans cette lettre que les auteurs revendiquent une antériorité de trois ans pour leur initiative. Punch, la revue anglaise, a effectivement publié une illustration avec la légende: “Edisons Telephonoscope (Transmits light as well as sound).” mais dans un numéro spécial Punch’s Almanack for 1879. Dans "De la vision des objets à grande distance" (La lumière électrique, 5 déc. 1885), Paul Clemenceau écrit que les appareils de Perry & Ayrton “furent construits, et, paraît-il, donnèrent d'assez bons résultats". 18 La lettre a été adressée par W.E. Sawyer à Scientific American qui l'a publiée dans sa livraison du 12 Juin 1880. A. Abramson in “ The History of Television 1880-1941” (éd. Mc Farland, Jefferson, N.C. 1987) mentionne un projet du russe P.I. Bakhmet‘ev (1885) qui ajoute le balayage en spirale au premier schéma de Senlecq. 19 disque n'était pas homogène: il était constitué d’une pièce isolante percée d'une infinité de petits trous. Dans ceux-ci, enfin, se trouvait introduit le sélénium, ainsi que les fils métalliques qui, de cette manière, pouvaient établir la relation entre les différents points du disque et les points homologues d'un autre disque du même genre, constituant l'appareil récepteur. Il ne s’agit toutefois que d’un procédé de reproduction d’images fixes par un moyen électrochimique: “the electricity will print upon the chemically prepared paper” 20 ." G.R. Carey a souvent été présenté comme le premier inventeur d’un système de vision à distance. C’est une erreur entretenue par négligence de vérification. Dans un article publié en I928 dans la revue anglaise Discovery, A.A. Campbell-Swinton, qui tient sa célébrité du rôle qu'il a tenu dans le développement de la télévision cathodique, soutient que Carey a conçu un projet de transmission d'images à distance dès 1875. Le même auteur rappelait dans The Wireless World and Radio Review (Apr.,9, 1924) une communication de G.R. Carey au périodique Design and Work en 188021 . La première mention des travaux de Carey a paru dans Scientific American (1879, May 17). L’évènement important à la fin de l’année 1880 est d'ordre conceptuel. Maurice Leblanc expose dans La lumière électrique (2 nov. 1880) la problématique de la transmission d'images à distance au moyen de l'électricité: relation lumière- force électro-motrice, action électrique de la lumière, action mécanique de la lumière. On trouve dans cette communication la description du principe de balayage de la totalité d'une image au moyen d'un rayon lumineux dévié par un miroir oscillant selon deux axes orthogonaux. Le même article évoque l'hypothèse de la transmission des couleurs à partir de trois composantes 22 . Le sélénium soumis à l'action de la lumière fait Paul Clemenceau (loc. cit.), écrit qu'en 1880, l' "invention de M. G.R. Carey avait passé inaperçue...” 20 Dans un article publié dans The Electrical Engineer (Jan. 16, 1895 ) sous le titre “Transmitting, recording and seeing pictures by electricity”, Carey déclare s’être intéressé à la question dès 1873 et avoir inventé son système en 1877. 22 Le principe de la sélection trichrome a été suggéré en 1869 par le poète Charles Cros. 21 varier l’intensité du circuit dans lequel il est introduit. Avec prémonition, Leblanc qui ne fait pas allusion au rayonnement cathodique suggère l'utilisation des propriétés luminescentes de certaines substances "telles que le fluorure de calcium ou le sulfure de strontium" pour visualiser le signal électrique au moment de la reproduction 23 . En 1882, William Lucas établit un premier bilan des solutions proposées pour voir à distance. Une seule (“single ”) cellule au sélénium “ traite” successivement les diverses parties de l’image qui lui sont présentées ou bien de nombreuses cellules au sélénium disposées sur une plaque transforment en autant de signaux électriques les parties d’image qu’elles reçoivent. Dans les deux cas, on ne peut obtenir qu’une image reproduite avec des moyens électrochimiques24 . LE DISQUE DE NIPKOW. Le projet le plus important des années 1880 est celui de Paul Nipkow. On sait que cet ingénieur des chemins de fer allemands ne sera reconnu qu'un demi-siècle plus tard, après que son système eût fait la démonstration de son efficacité au point de soutenir, jusqu'en 1936, la concurrence avec l'adversaire "tout-électronique" 25 . Le brevet de "Télescope électrique" de Nipkow décrit un procédé d'analyse horizontale et verticale d'une image. La définition est fixée par le nombre d'éléments d'analyse en ligne: 24 trous disposés en spirale à la périphérie d'un disque dont la vitesse de rotation assure le nombre de balayages suffisant par seconde pour produire l'illusion du Maurice Leblanc, ingénieur polytechnicien, né en 1857 n'a qu'une relation d'homonymie avec l'auteur de la série "Arsene Lupin", né en 1864, mort en I94I. 23 L’historien américain des techniques, George Shiers rapporte que Ferdinand Braun a présenté en 1897 un tube cathodique à écran de phosphore "F. Braun and the Cathode Ray Tube" (Scientific American, March, 1974). Sous la signature W.L.: “The Telectroscope, or ‘Seeing by electricity’ ” in English Mechanic and Wolrd of Science No 891 (April 21, 1882). 24 25 cf. à ce sujet The Television Committee's Report ("Seldson Report" - 1935). mouvement en utilisant la paresse rétinienne. Le décalage des trous en spirale permet d’explorer des lignes ou bandes successives de l’image. La séquence des brillances ainsi captées est recueillie par une cellule au sélénium (“selenzelle”). Le nombre de balayages par seconde doit être suffisant pour que le cerveau de l'observateur ne perçoive pas la solution de continuité entre les moments successifs d'exploration d'une image. Pour la reproduction, Nipkow préfère au système dérivé du “Photophone” de Graham Bell (un faisceau lumineux dévié par la membrane polie d’un écouteur téléphonique excité par le courant de ligne) la “modulation” par le signal d’analyse de l’intensité d’un faisceau lumineux traversant un milieu biréfringent (cellule de Kerr) 26 . Bien que son inventeur n'ait pas poursuivi lui-même la mise en oeuvre de son projet, le disque de Nipkow est (avec le "tambour à miroirs" de Lazare Weiller) l'un des deux systèmes qui rendront possible l'expérimentation de la télévision quand les technologies photoélectrique et thermionique auront, la première, amélioré la médiocre sensibilité et l'inertie des cellules au sélénium; la seconde, assuré l'amplification des courants faibles27 Il vaut la peine de s'arrêter sur un projet - une curiosité, plutôt imaginé en 1883 par Firmin Larroque. Si le sélénium y est utilisé pour l'analyse, l'inventeur propose le palladium comme agent de recomposition de l'image à partir du signal électrique. "Lorsqu'on emploie le palladium comme électrode négative dans la décomposition de l'eau, il se produit un phénomène remarquable: l'électrode absorbe de fortes proportions d'hydrogène et augmente de volume..." L'absorption de l'hydrogène augmente la résistance du palladium et notre auteur suppose que cette variation de résistance peut se traduire en sens inverse, et donc L’utilisation de la bi-réfringence par prismes de Nicol a été suggérée en 1882 par W. Lucas(English Mechanic and World of Science loc. cit.) qui imagine qu’un mouvement combiné des deux prismes pourrait permettre la reproduction. L’action d’un champ électrique sur un faisceau lumineux traversant ce milieu avait été mentionnée dans The Telegraphic Journal and Electrical Review p. 303, (1877, Dec., 15). 26 27 Paul Nipkow Berlin: “Elektrisches Teleskop” ( Patentschrift n° 30105 im Deutschen Reiche vom 6. Januar 1884). Dans une déclaration au New York Times (Aug. 6, 1933), Nipkow déclare qu’il a conçu son projet au cours du réveillon de Noël 1883 après avoir découvert l’usage du téléphone. La réalité est, sans doute, moins simple puisque le nom de Sumner Tainter, collaborateur de Graham Bell, est cité à plusieurs reprises dans le brevet. réduire le volume de l’élément de palladium. Au cours de ses expérimentations, Firmin Larroque déclare avoir tiré "deux seules épreuves imprimées" de ce qui ressemble à une morasse et compense l'irréalisme des perspectives par un optimisme mal assuré28 . LE “TAMBOUR A MIROIRS” de LAZARE WEILLER En 1889, apparaît la description d’un système original qui sera repris par divers inventeurs et connaîtra jusqu’au début des années 1930 des applications expérimentales. Elle a pour auteur un ingénieur, Lazare Weiller qui “cherche à résoudre l’importante question de la vision à distance par l’electricité, grâce à l’emploi combiné d’une cellule à sélénium, d’un téléphone à gaz et de miroirs tournants, formant un appareil spécial qu[’il] nomme phoroscope...”29 L’exposé de la problématique exprime une intuition originale: l’illusion de la reproduction peut-être assurée par un échantillonnage des attributs de la réalité: ” pour avoir l’impression de la forme des contours et des détails d’un ou plusieurs objets, il n’est pas nécessaire que l’oeil reçoive tous les rayons lumineux qui en émanent...pour avoir cette impression, il n’est pas nécessaire que l’oeil reçoive en même temps les rayons lumineux nécessaires à la vision.30 ” S’inspirant des expériences de Lissajous (1873), Weiller imagine une série de miroirs disposés à l’extérieur d’un cylindre ou polyèdre (“tambour”) rotatif. Chacun de ces miroirs renvoie les diverses brillances recueillies sur une bande de l’image vers une cellule de sélénium qui “filtre”( par une illumination variable) le courant qui la Firmin LARROQUE: "Sur un procédé de transmission électrique des images et des objets" in La lumière électrique (19 Décembre 1885). Ce projet n'aurait pas retenu l'attention si le palladium n'avait reparu dans l'actualité récente: en 1989, deux électro-chimistes ont affirmé avoir réussi une fusion d'atomes de deutérium dans une opération d'électrolyse dont une des deux électrodes était une tige de palladium. Le monde a publié, le 28 février 1990 sous la signature de Jean-Paul DUFOUR, un résumé de l'affaire. 28 29 La lumière électrique, vol. XXXIV - 16 Nov. 1889 - p.334 Le génie civil, 9ème année - Tome XV - n° 24, p. 570. Il est aisé, aujourd’hui, d’y voir une anticipation du codage numérique. 30 traverse. L’inclinaison progressive de chacun des miroirs (360) permet de balayer des zones différentes du sujet 31 . La vitesse de rotation du “tambour” (30 tours par seconde) permet de porter la cadence nécessaire d’exploration du sujet jusqu’au seuil de la persistance rétinienne. Pour reproduire l’image à partir des variations électriques, Weiller imagine de faire varier l’éclat d’une flamme de bec à gaz par les vibrations d’une plaque téléphonique32. La continuité des éclats successifs qui reproduit l’image est assuré par redistribution au moyen d’un disque à miroirs. En 1924, à l’issue d’une conférence de Campbell-Swinton sur les perspectives de la télévision cathodique, Llewelyn B. Atkinson rappellera qu’il avait conçu un tel système, en 1882, à l’âge de dix-huit ans: “I distributed my picture and my ultimately received picture...by simply a series of mirrors which were on a revolving frame, and were inclined at different angles, so that they swept out the whole surface of the picture...” 33 Le Conservatoire National des Arts et Métiers (C.N.A.M.) de Paris possède un “tambour” de Weiller (à 30 miroirs). C’est avec cet appareil que René Barthélemy présentera à la communauté scientifique française, le 14 Avril 1931, la première transmission d’images par voie hertzienne entre la “Compagnie des Compteurs” à Montrouge et l’ “École Supérieure d’Électricite” à Malakoff, dans la banlieue sud de Paris. A la réception, une lampe à néon remplaçait le “téléphone à gaz”. Le système Nipkow est repris en 1890 sous le nom de En 1908, le Français Georges Rignoux imaginera le procédé inverse: un rayon lumineux réfléchi par les miroirs disposés autour d’un polyèdre balaye le sujet. Une cellule au sélénium recueille la réflexion des brillances (“albédo”). Cette technique sera développée en 1923 dans les laboratoires de la Westinghouse. C’est un dispositif de ce genre qu’utilisera John Logie Baird lors de ses premières démonstrations (d’après A. Abramson). On peut voir un portrait de M.Marc Chauvierre ainsi “éclairé” sur la couverture de son dernier ouvrage “Soixante quinze ans de radio et de télévision” (Chiron, Paris, 1990). 31 Weiller parle du “téléphone à gaz”. D’autres auteurs ont suggéré l’utilisation de la “capsule manométrique” imaginée par Kœnig vers 1860. 32 “The Possibilities of Television with Wire and Wireless” by A.A. Campbell-Swinton in The Wireless World and Radio Review (April 23, 1924). Atkinson a évoqué son invention dans le Telegraphic Journal and Electrical Review (1889, Dec. 13). 33 “Telephane” par un inventeur australien, Henry Sutton qui utilise comme source de lumière, à la reproduction, une lampe à huile34 . Au début de 1891, Marcel Brillouin propose une réforme de la problématique de la vision à distance. Il estime irréalisables les projets de Nipkow et de Weiller: “le disque à trous en spirale de M. Nipkow ne permet ni finesse ni éclat, et le cylindre à 360 miroirs de M. Weiller qui permet à peu près l’un et l’autre, est d’une construction presque impraticable, si l’on veut de la fidélité”. L’autosatisfaction du pionnier “in abstracto” sera cruellement dénoncée par l’expérimentation réussie grâce à ces deux systèmes. Pour que l’image soit nette, affirme-t-il, le diamètre du faisceau d’analyse - ce qu’il appelle la “tache mobile” - ne doit pas être supérieur à 0,05 mm. L’image d’une “surface de seize centimètres carrés” devrait être explorée selon “800 bandes d’un vingtième de millimètre de hauteur”. Le physicien exprime, par ailleurs, des réserves sur la sensibilité du sélénium. Le système d’analyse proposé évoque le système Nipkow parce qu’il utilise deux disques rotatifs percés de trous 35. Brillouin décrit: “deux disques circulaires mobiles autour d’arbres parallèles. chacun d’eux porte enchassées (sic) dans des fenêtres rectangulaires une série de 10 lentilles, toutes de même foyer, et dont les centres optiques sont rigoureusement sur une même circonférence concentrique à l’axe de rotation. leurs mouvements sont liés rigoureusement l’un à l’autre. de manière que l’un d’eux tourne rigoureusement 1000 fois plus vite que l’autre.“ Le procédé ne s’applique toutefois qu’à la transmission d’images fixes: “le transmetteur est relié par des fils conducteurs de l’électricité à un récepteur éloigné, au moyen duquel une image réelle semblable à l’image fournie par l’objectif au départ , est décrite en quelques minutes, sur la surface d’une plaque photographique, qu’on développe ensuite à la manière ordinaire. “ La reproduction de l’illusion du G. Shiers in “Historical Notes on Television Before 1900” (SMPTE Journal, March 1977) soutient que Sutton aurait imaginé son dispositif cinq ans auparavant. 34 Le brevet de Nipkow prévoyait de part et d’autre du disque d’analyse un système optique convergent, lentilles et miroir concave. Il était, par ailleurs recommandé, pour favoriser la lecture, d’ajouter des lentilles aux perforations du disque: “ ...so bringt man vor jeder Oeffnung .in einer zweiten.zu setzenden Scheibe convexe Linsen.” John Logie Baird utilisera, en 1925, un disque à 16 trous disposés en spirale et munis de lentilles pour diriger un faisceau de lumière (“flying spot”) sur le sujet à transmettre. 35 mouvement n’est jamais suggérée.36 Le “Telectroscope” de Léon Le Pontois (Pittsburgh) propose, avec quelques variantes à la réception, un projet d’analyse au moyen d’un disque de Nipkow qui retient l’attention parce que son auteur, peut-être informé de l’observation de Hittorf (cf. note 1) préconise l’éclairage du sujet par une lumière chaude (“a source of light giving very hot rays - calcium light for instance”)37 . Au cours de la dernière décennie du siècle, la recherche va développer trois utilisations de cette particule qui va bientôt recevoir un nom: l’électron. En 1889, deux physiciens allemands Julius Elster et Hans Geitel observent que certains métaux tels le sodium, le rubidium ou le coesium produisent un courant électrique faible lorsqu’ils sont éclairés. C’est l’origine de la cellule photoémissive, application de l’effet photoélectrique, qui s’imposera face au sélénium dont la lenteur de réponse était incompatible avec l’exigence d’une exploration et d’une “transduction” rapides des images. J.A. Fleming met au point dans les dernières années du siècle le premier tube électronique - une “diode” ou “valve”- dont la propriété de redresser les courants alternatifs sera d’abord retenue comme détecteur des ondes électro-magnétiques. L’adjonction par Lee De Forest, dans les premières années du siècle suivant, d’une troisième électrode ouvrira la voie de l’amplification des signaux faibles. En 1897, le physicien allemand de l’Université de Strasbourg, Ferdinand Braun, soumet le faisceau d’électrons à la contrainte d’un champ magnétique. Le balayage rapide en long et en large d’une surface à explorer et à reproduire devient possible. La réalisation de la problématique de la télévision devra toutefois attendre pendant quelques décennies la mise au point de ces technologies. D’ici là, l’expérimentation suivra au plus près les schémas primitifs de l’analyse électro-mécanique. On retiendra, dans ce domaine, le développement en Autriche, en 1897, par Jan Szczepanik et Ludwig Kleinberg de l’idée de Maurice Leblanc (1880): deux miroirs striés et oscillants, disposés à angle droit Revue générale des sciences pures et appliquées, 2ème année, n° 2, 30 janvier 1891. 36 “The telectroscope”: Scientific American Supplement No 910, 1893, June 10. 37 explorent en zig-zag des bandes d’image successives dont les brillances sont réfléchies vers une cellule au sélénium. Le schéma du dispositif ne laisse apparaître aucun système optique de formation de l’image. Une présentation annoncée à l’ “Exposition Universelle” de Paris, en 1900, semble n’avoir jamais eu lieu. CONCLUSION. Dans l’intervention devant le "Congrès international de l’électricité" (1900) au cours de laquelle il proposa le nom “Télévision”, Constantin Perskyi dressait un premier bilan des projets de transmission des images à distance. Il était toutefois prématuré de s’installer dans la perspective historique. En 1908, Shelford Bidwell recommande, sans conviction, la construction d’une panneau de 20 cm2 de surface composé de 90 000 cellules au sélénium reliées fil à fil à autant de cellules pour la réception38. Cette proposition suscite une réaction du scientifique britannique AlanArchibald Campbell-Swinton qui ouvre la voie de la télévision moderne et toujours actuelle. Les moyens mécaniques de permettent pas d’effectuer 160 000 opérations synchronisées par seconde. La difficulté ne peut être résolue que par l’utilisation de deux faisceaux de rayons cathodiques, l’un à la transmission - on dit aujourd’hui: la prise de vues -, l’autre à la reproduction39 . Peu de temps auparavant, le Russe Boris Rosing (qui comptera parmi ses assistants, quelques années plus tard, un jeune étudiant: Vladimir Kosma Zworykin) et l’allemand Max Dieckmann ont recommandé, chacun de son côté, l’utilisation du tube cathodique à déflection, dit de “Braun” (“Braunscherohr”), pour la recomposition d’une image à partir d’un signal électrique. Avant que la technologie ne réalise ces intuitions, le sélénium apparaît encore dans quelques démonstrations, telle celle des Français Rignoux et Fournier que rapporte un journaliste de “L’Illustration” , Henry de Varigny (11 Décembre 1909). Le dispositif 38 39 Nature (1908, June, 4, p. 106). “Distant Electric Vision” in Nature (1908 , June,18). réalise avec plus de modestie le récent schéma de Bidwell. La même source mentionne une expérience de même nature conduite à Berlin par Ernst Ruhmer. En 1922, un Hongrois, Nicolas Langer décrit encore un système d’analyse à miroir unique oscillant selon des axes et des fréquences différents. Une cellule au sélénium à réponse élevée (10 000 Hz) ainsi que des amplificateurs à lampe (“thermionic valve amplifiers”) sont prévus40 . A la même époque, l’avenir de la télévision pratique se prépare ailleurs. En Grande-Bretagne, l’écossais John Logie Baird engage l’expérimentation du système qui lui permettra de présenter une première démonstration de transmission d’image au “Selfridge’s” de Londres, en Avril 1925. Aux Etats-Unis où il a émigré, Zworykin dépose, dans les derniers jours de 1923, un premier brevet pour un système de télévision tout-électrique (“All-electric Television”). Il ne sera publié qu’en 1938. En 1926, Campbell-Swinton déclare qu’il a tenté sans succès (“not very successful”) d’analyser une image au moyen d’un tube de Braun (“home-made”) dans lequel une fine couche de sélénium avait remplacé l’écran fluorescent 41 . De ces schémas anciens seuls les systèmes d’analyse électromécanique: le disque de Nipkow et le “tambour à miroirs” de Weiller seront utilisés jusqu’à l’inauguration des premières stations de télévision, en mars 1935 pour l’Allemagne, en Novembre de la même année pour la France, en Novembre 1936 pour l’Angleterre. Mais le sélénium n’y a pas sa place. Il est vrai que ses applications ne tiennent pas les promesses dont les chercheurs l’ avaient crédité. En 1937, deux ingénieurs de EMI donnent à la “Television exhibition” du “Science Museum” de Londres une démonstration de tubes d’analyse qui utilisent l’effet photoconducteur de certains cristaux (dont le sélénium et ses dérivés), mais c’est en 1949 que trois chercheurs de RCA, Paul Weimer, Robert Goodrich et Stanley Forgue présenteront une application à peu près fiable de cet effet “A Development in The Problem of Television” in The Wireless World and Radio Review 1922, Nov. 11. 40 41 Nature, 1926, Oct. 23. dans un nouveau tube de prise vues: le “Vidicon” . Un support transparent recouvert d’une fine couche de sélénium amorphe est exploré par un faisceau d’électrons lents (balayage de type “Orthicon”). La résistance élevée du sélénium non éclairé assure le stockage de charge 42. Ce procédé connaîtra un avenir industriel durable dans la télé-surveillance. Un article dans le Journal of the SMPTE résume en 1987 la carrière du métalloïde découvert en 1817 par le chimiste suédois Berzelius: “le sélénium est le plus ancien photoconducteur connu. Il y a plus de cent ans, une barre de sélénium était employée pour tester les câbles sous-marins et on avait observé que la résistance variait en fonction de la lumière qui le frappait. Depuis, il a été utilisé dans les posemètres, dans les photocopieurs et dans un tas d’instruments photoélectriques 43 .” Ce n’est pas un éloge posthume. A la même époque, le sélénium apparaît encore dans un projet de tube de prise de vues du laboratoire de recherches de la télévision publique japonaise NHK en 1987 44 . Jean-Jacques Ledos. “The Electrical Reproduction of Images by the Photoconductive Effect” par H. Miller et J.W. Strange in Journ. of the Phys. Soc. (50), May, 2, 1938. “Television camera tubes” par Robert G. Neuhauser in SPMTE Journal vol. 99, No 9, September 1990. Dans un de ses dernières interventions publiques (1954), René Barthélemy évoque les “cibles photo-résistantes au sulfure de thallium et au sélénium amorphe” créées par la RCA. 42 Les premières caméras portables utilisées par la RTF étaient équipées de tubes “Vidicon”. Par la suite, la Compagnie Française Thomson-Houston a mis sur le marché, pour le studio, des caméras de ce type à tourelle de quatre objectifs. NEUHAUSER (Robert G.): “Photoconductors utilized in TV Camera Tubes” in SPMTE Journal ,vol. 96, No 5, May 1987. 43 “An Avalanche-Mode Amorphous Selenium Photoconductive Layer for Use as a Camera Tube Target” in “IEEE Electron Devices Letters”, September 1987. 44 Madame RONCHAUD, Bibliothèque technique de TDF, Monsieur ALBERTINI, Bibliothèque Centrale de RADIOFRANCE, Monsieur Patrice A. CARRE, Collections Historiques du CNET, Mr. J. CLARK, SCIENCE MUSEUM LIBRARY (LONDON), La Bibliothèque du CNET (Issy les Moulineaux), Le CENTRE CULTUREL PORTUGAIS de Paris (Fondation GULBENKIAN), La BIBLIOTECA PUBLICA MUNICIPALE de PORTO (Portugal), La LIBRARY OF CONGRESS (WASHINGTON D.C. USA), L’AMERICAN LIBRARY in PARIS, Mr. Henry F. SCANNELL, BOSTON PUBLIC LIBRARY (BOSTON, Ma., USA) Mr Sheldon HOCHHEISER, A.T. & T. BELL Laboratories, Mrs. Nance L. BRISCOE, NMAH: “SMITHSONIAN INSTITUTION” (WASHINGTON, DC, USA) La “FRANKLIN INSTITUTE LIBRARY” (PHILADELPHIA, PA. USA) ont bien voulu me permettre l’accès à leurs documents. Je leur exprime ma gratitude. NOTE BIBLIOGRAPHIQUE. L’ouvrage de George P. BARNARD: “THE SELENIUM CELL, ITS PROPERTIES AND APPLICATIONS” CONSTABLE & COMPANY Ltd Publishers - LONDON – 1930, comporte en annexe une riche bibliographie sur le sélénium et ses applications au cinéma parlant, à la téléphotographie et à la télévision.