Patrimoine Une tour romaine, un trésor de vestige mis
Transcription
Patrimoine Une tour romaine, un trésor de vestige mis
N ÎM ES 4 Vendredi 24 septembre 2010 W3--- Patrimoine Une tour romaine, 3 QUESTIONS À... Richard PELLE un trésor de vestige mis au jour CONTEXTE « Un ouvrage bâti en l’an 10 » ➜ Nîmes la romaine n’en finit pas de livrer ses trésors et cela n’atténue en rien l’émerveillement des amoureux du patrimoine à chaque découverte antique. Après les mosaïques remarquables exhumées de l’avenue Jean-Jaurès à l’occasion d’un important aménagement urbain public, voilà que le rempart antique dévoile quelques-uns de ses secrets les mieux enfouis lors d’un modeste chantier d’ordre privé. Ainsi va l’héritage dans la Rome française ! Pour autant, la ville de Nîmes, gardienne de cette enceinte que le monde romain lui envie, n’en fait pas grand cas. Chef-d’œuvre certes, mais en péril. A l’exception des initiatives privées exemplaires... Françoise CONDOTTA [email protected] Gilbert Bertrand, un mécène « Que Gilbert Bertrand soit remercié pour sa démarche exemplaire », s’enthousiasment les archéologues attachés au musée. C’est que ce propriétaire a eu l’intelligence d’ignorer la rumeur. On lui annonçait des interdictions de travaux, des confiscations de son bien, une foule d’ennuis. « Ridicule, affirme cet amoureux de la romanité en se félicitant d’avoir eu le bon réflexe. Mon expérience prouve, au contraire, que les archéologues et autres responsables du patrimoine, tel les Monuments historiques, sont d’un précieux secours. » Cet entrepreneur à la retraite, qui sait ce que bâtir solide veut dire, ne cesse de s’émerveiller devant des vestiges de 2 000 ans d’âge. Il n’a d’ailleurs pas lésiné pour mettre au jour ces pierres antiques. Mécène (et pressé !), Gilbert Bertrand n’a pas attendu 2011 pour espérer une éventuelle enveloppe sur le prochain budget de l’archéologie régionale. Il a pris en charge les frais inhérents à cette fouille, notamment le transport de 220 tonnes de déblais retirés du site par les fouilleurs. Quelques milliers d’euros pour une fierté sans prix. ● Archéologue, inventeur de ces vestiges Quelles surprises cette fouille réservait-elle ? L’existence de cette tour qui n’était pas soupçonnée. Plus rare, voire exceptionnel, son sol antique était entièrement conservé. Nous avons aussi mis au jour des éléments architecturaux remarquables et trouvé des éléments mobiliers permettant de dater précisément l’édification du rempart et de la tour. Ce qui pourrait remettre en question tout ce que l’on savait avant ces fouilles. En quoi tout cela change-t-il l’histoire ? C’est en voulant implanter une piscine dans son jardin près de la tour Magne que Gilbert Bertrand a fait la superbe découverte. Photos M. ESDOURRUBAILH Sous les températures canicu- laires, il rêvait de plonger le plus rapidement possible dans la piscine qu’il projetait d’implanter parallèlement aux vestiges du rempart romain traversant sa propriété. Mais Gilbert Bertrand, un Nîmois pur sucre, se doutait que son projet était susceptible d’évoluer. Et de fait, la mise au jour de nouveaux vestiges allait contrarier ses plans mais aussi combler de bonheur ce passionné d’Histoire. Dans la rue Combret, à deux pas de la Tour Magne, la propriété de Canteduc, soit l’ancien domaine André, un coin de paradis, domine le site d’extraction des pierres du rempart et autres monuments romains. Bâti sur les falaises de cette carrière, le site cumule des strates historiques. A commencer par l’Antiquité et son enceinte romaine. Et c’est là, au premier coup de godet d’une pelle mécanique, que sont apparues les superbes pierres de parement de l’auguste rempart. Alerté par le propriétaire des lieux, l’institut national de recherches archéologiques préventives a réalisé, en 48 heures, un diagnostic assez prometteur pour autoriser une fouille… L’archéologue Ri- enthousiastes, car de l’abnégation il en fallut pour retirer plus de 200 tonnes de terre rapportée, il parvint au saint Graal. Au pied du squelettique rempart, dépouillé de ses pierres d’ornement au fil du temps et au profit d’autres constructions privées, le sous basse- La tour, baptisée Bertrand, mesure 11 mètres de diamètre extérieur chard Pellé, emballé par ces premières visions du passé, s’y colla avec passion. Pendant ses congés d’été, avec une équipe réunissant des étudiants en histoire, en archéologie, un professeur de lettres, un musicien, des collègues archéologues, tous bénévoles et ment de l’ouvrage est apparu intact. Puis vinrent les vestiges d’une porte et ceux d’une tour. De 11 mètres de diamètre extérieur, cette structure défensive, militaire, devait cumuler à 9 mètres (2 étages) et l’absence de fragments de tuiles laisse à penser qu’elle était couverte d’un toit terrasse. Cette découverte est d’autant plus étonnante que cette tour, à pédoncule (ce qui est rarissime), est la 4e mise au jour sur une distance de 80 mètres. Et la 30e répertoriée sur les 80 supposées réparties sur le périmètre de l’enceinte. Mieux encore, l’intégralité de cette fouille est riche d’enseignements (lire ci-contre). Désormais, la "tour Bertrand", du nom de son propriétaire, reste une propriété privée, mais cet amoureux du patrimoine qui va investir dans des aménagements paysagers et un plan lumière pour lui rendre son lustre, se fera une joie d’y accueillir ponctuellement, lors des Journées du patrimoine par exemple, d’autres passionnés de romanité. Sa piscine, dont il a modifié l’orientation, est creusée. En 2011, tel un praticien, il s’immergera dans un décor antique. Le rêve. ● LES TROUVAILLES Cette analyse peut-elle être confortée ? Les études sont en cours, mais ces résultats sont corroborés par d’autres fouilles, dont celle de la tour de la rue du Cirque-Romain où divers éléments mobiliers ont également été datés de 15. Ces découvertes sont donc importantes. R EPÈR ES Rempart Fort de 6,5 km de long et 100 000 m3 de pierres, le rempart romain nîmois est le plus important de France et le cinquième du monde romain. Il a fait l’objet de diverses études dont celle réalisée dans les années 90 par Pierre Varène qui fait encore école actuellement. Vestiges Certains pans de ce rempart défient toujours le temps.. En face de Canteduc et dans sa continuité, sur la colline de Montaury, les vestiges de cette enceinte sont spectaculaires. Il s’agit d’un tronçon présentant d’une seule ligne 300 mètres de courtine (jusqu’à 5 m de hauteur), quatre tours et une poterne. Un autre pan de ce rempart est longtemps resté exposé devant l’amphithéâtre nîmois. N’en subsiste aujourd’hui, sur le parvis des arènes, qu’un dessin au sol, discrètement lumineux dans la nuit. 씱 Un pot à eau Parce qu’il présentait une vilaine ébréchure au niveau du col, un Romain aura jeté ce pot à eau qui s’est brisé au pied du rempart. L’archéologue Richard Pellet a patiemment ramassé toutes ces pièces de puzzle pour rendre à cette poterie, de couleur poudrée, ses rondeurs d’origine. A la fêlure antique, d’autres cicatrices se sont ajoutées. Le pot à eau n’en est que plus émouvant. Les spécialistes l’ont daté : il est né entre l’an 0 et l’an 30 de notre ère. Trouvés dans le sol initial et dans les débris de maçonnerie directement liés à cette construction, les monnaies et les morceaux de céramique, datés, prouvent que la construction de l’enceinte romaine, dans ce secteur, a débuté entre 5 et 10 de notre ère pour s’achever en 15. Cela éclaire d’un jour nouveau l’inscription romaine qui figure sur la porte Auguste et laissait penser que ce rempart datait de 15 ou 16 avant notre ère. 쑿 Un as et demi Ces deux pièces de monnaie, des as de Nîmes frappées ici, portent, côté face, les profils d’Auguste et Agrippa. Et il ne s’agit pas de l’épouse de l’empereur ! Agrippa était général d’armée d’Octave Auguste dont il devint le gendre. Ces as présentent les lettres P et P ce qui signifie "Pater patriae". Cette titulature, accordée à l’empereur en 10 de notre ère, permet de dater précisément ces pièces qui, côté pile, sont ornées des incontournables crocodiles et palmier. L’une de ces pièces a été coupée en deux : c’est ainsi que les romains rendaient la monnaie. Inondations Les Romains, en enfermant dans leur rempart le cadereau d’Alès, avaient imaginé les moyens de fournir un passage aux eaux, sans donner une entrée aux ennemis. Les archéologues qui connaissent la porte Sud des eaux, au niveau du bâtiment ERDF sur l’avenue Pompidou, espèrent découvrir la porte Nord, supposée au niveau du cimetière protestant.