Ça se passe près de chez vous !
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Ça se passe près de chez vous !
Ça se passe près de chez vous ! 2011 Flux et reflux… de faux-semblants ? Dans son exposition au centre d’art Le Lait à Albi, Fred Forest utilise les dernières technologies pour établir un parallèle entre l'allégorie de Platon et nos modes de communication actuels. Qui sont les ombres d’aujourd’hui et sous quelles formes se manifestent-elles ? Une occasion de réfléchir sur la face cachée de nos échanges avec le monde extérieur. a première installation de Fred Forest fait explicitement référence à la thématique de la caverne de Platon. Il s'agit surtout d'une introduction ludique, d'avantage que philosophique, où l’artiste « capture » l’ombre du visiteur qui se prêtent le plus souvent volontiers au jeu. Mais le vif du sujet va au delà de cette première approche très littérale et évidente, lorsque Fred Forest établit un parallèle entre cette allégorie, et l'utilisation des technologies actuelles dans la communication de tous les jours. A la manière d’une métaphore filée, Fred Forest transpose le mythe de la caverne en une géante industrie de l'illusion. Les ombres d'aujourd'hui constituent les images véhiculées par les médias. Tout comme l'ombre d'une personne, les médias filtrant une situation complexe et multidimensionnelle pour ne laisser voir qu'un faisceau de la réalité, ou la surface immergée de l’iceberg dans toute sa subjectivité. 1 Œuvre de Kumi Yamashita Avec son planisphère représentant tous les points de communication à travers le monde, Fred Forest montre en effet que l'homme peut aujourd'hui communiquer au delà des limites de la distance, mais met aussi en évidence la fracture numérique, le clivage qui se crée entre les multiples flux de communication et de surinformation, au détriment des pays isolés, qui se passent de la technologie. Plus loin encore, l'artiste illustre la dénaturation des contenus, en nous proposant un système de vote des vidéos diffusées. C'est la loi de l'offre et la demande : plus une vidéo est votée, plus sa diffusion est fréquente ! En conséquence, les vidéos n'éveillant que trop peu l’intérêt de la majorité se font plus rares, et sont donc moins souvent proposées et votées. L'aspect démocratique apparent de ce système reflète toute sa manipulation, aspirant Ça se passe près de chez vous ! 2011 plutôt à des fins lucratives qu'à une réelle intention de communiquer avec les spectateurs. Fred Forest pousse l'absurdité de notre monde jusqu'à diffuser la même vidéo sur plusieurs écrans en même temps, tant celle-ci est votée. D’une certaine manière les acteurs (représentant les discours et les valeurs véhiculées) sont les ombres des personnes derrière la caméra (ceux qui décident du discours et des valeurs à véhiculer). Cependant il serait réducteur de penser que seuls les médias sont en cause. Car il existe aussi un monde fait de choses impalpables : les pensées, les émotions propres à chaque personne… qui assemblées constituent une autre dimension de la réalité ! Or l’individu, dans toutes interactions avec le monde extérieur, ne fait qu’une projection fugace et partielle de son état actuel. Chacun reste un mystère à part entière pour l’autre, qui doit se faire sa propre vision Informations pratiques : Centre d’Art le Lait Adresse : Moulins Albigeois 41, rue Porta, 81000 Albi Horaires d’ouvertures : tous les jours, de 14h à 19h Tél : 05 63 38 35 91 Site : www.centredartlelait.com Visitez en ligne la caverne d’internet ! http://www.flux-et-reflux.org 2 subjective et incomplète des personnes qui l’entourent. Nos apparences sont donc des ombres, car personne ne peut nous voir dans notre totalité. Que retenir de l’exposition de Fred Forest ? Pour nous y aider, la « Parole d’Artiste » pose une véritable énigme. Le support utilisé est atypique et difficile d’accès : en guettant au travers d’un mur à trous, nous pouvons voir défiler une suite de phrases apparemment vides de sens et sans aucun lien, ce qui peut laisser dubitatif quant au sens de cette Parole. Pourtant, ce flot d’absurdités se rapproche d’une certaine manière de la réalité de notre monde actuel. Flux et reflux d’informations à ne plus savoir où est le mot de l’histoire, matraquages médiatiques, superficialité des discours : portons-nous des œillères au quotidien? ● Carla Duprez, critique d’art.