mesure de l`acceptabilite des risques lies aux soins

Transcription

mesure de l`acceptabilite des risques lies aux soins
- 2009 -
MESURE DE L’ACCEPTABILITE
DES RISQUES LIES AUX SOINS
Revue de littérature
NITARO Léa1
ROBERTS Tamara2
Sous la direction de :
QUINTARD Bruno3
MICHEL Philippe4
Avec la participation de Jean Luc Quenon, André Lecigne et Aymery Constant
1 : Psychosociologue, Laboratoire de Psychologie EA 4139 « Santé et Qualité de Vie »,
Université Victor Segalen Bordeaux 2
2 : Sociologue, EA 495 Laboratoire d’analyse des problèmes sociaux et de l’action collective
(LAPSAC)
3 : MCU Psychologie, Laboratoire de Psychologie EA 4139 « Santé et Qualité de Vie »,
Université Victor Segalen Bordeaux 2
4 : Directeur, Comité de Coordination de l’Evaluation Clinique et de la Qualité en Aquitaine,
Hôpital Xavier Arnozan, Pessac
1
SOMMAIRE
Introduction : LE PROJET MALIS
5
Partie 1 : LE RISQUE ACCEPTABLE
9
1. Risque et gestion des risques
9
1.1. Emergence du concept de risque et son évolution dans le temps
9
1.2. La problématique polymorphe du risque : de la probabilité à la construction sociale
du risque
10
1.3. Le risque lié aux activités médicales et de soins
11
1.4. Gestion des risques
12
1.4.1. De la conquête de la sécurité à la gestion des risques
12
1.4.2. Gestion des risques dans le domaine de la santé et démocratie sanitaire 13
2. L’acceptabilité du risque
16
2.1. L’acceptabilité du risque : une problématique multiforme
16
2.2. L’acceptabilité sociale du risque
18
2.3. La Tolérance où le consentement individuel contraint
19
Partie 2 : L’EVALUATION INDIVIDUELLE
raisonnement probabiliste et ses limites
DU
RISQUE :
1. L’individu « Expert » : du calcul de l’utilité du risque aux préférences révélées
le
22
22
1.1. Le paradigme de l’Utilité Espérée : la maximisation de l’utilité dans les situations
risquées
22
1.1.1. Présentation du modèle
1.1.2. Limites de l’utilité espérée
1.2. Les « préférences révélées » dans la décision thérapeutique
1.2.1. La participation des individus dans le processus de soins
1.2.2. Les techniques de révélation des préférences
2. Les dimensions qualitatives de la perception du risque
22
24
25
26
26
29
2.1. La particularité des perceptions profanes
29
2.2. Perception des bénéfices et l’ajustement sur le risque acceptable
31
2
Partie 3 : LES LOGIQUES SOCIALES DE GESTION DU RISQUE
34
1. Stratégies sociales de gestion de la santé et du risque
34
1.1. Inscription sociale des conduites sanitaires profanes et stratégies de gestion de la
santé
35
1.1.1. Rapport à la santé, au corps, aux institutions médicales
1.1.2. Relativité de l’objectif de santé chez le profane
1.2. L’aversion au risque et les stratégies de mise à distance
35
37
39
1.3. Exemple d’une typologie des logiques profanes de gestion de la santé et du risque
(Burton-Jeangros, 2004)
40
2. Les conceptions socioculturelles du risque
2.1. Contextes de vie, interactions d’acteurs, visions du monde
2.1.1. Typologie des structures sociales : le modèle « grid-group »
2.1.2. Apports et limites
43
44
45
47
2.2. Les vulnérabilités sociales et culturelles face aux risques : l’exemple du SIDA 47
3. Les sources d’informations du risque
3.1. Les stations émettrices d’information
51
51
3.1.1. Présentation du modèle SARF (Kasperson, 1988)
3.1.2. Apports et limites du modèle SARF
51
52
3.2. Le rôle des médias
54
3.3. Les « effets secondaires » de l’amplification sociale du risque
55
Partie 4 : LE ROLE DES CROYANCES ET DES PARAMETRES
58
PSYCHOSOCIAUX DANS L’EVALUATION DU RISQUE
1. Le paradigme socio-cognitif en matière de santé et de maladie
58
1.1. Le modèle des croyances relatives à la santé : HBM (Becker, 1975)
59
1.2. La théorie du comportement planifié (Ajzen et Schifter, 1985)
62
1.3. Le modèle transthéorique (Prochaska et DiClemente, 1994)
64
1.4. Le modèle d’autorégulation (Leventhal, 1980)
67
2. Le rôle de certains paramètres psychosociaux dans l’évaluation des risques
2.1. Les ressources et croyances personnelles
2.1.1. Le Locus Of Control (LOC)
2.1.2. Le soutien social reçu
2.1.3. La recherche de sensations
2.1.4. Croyance en un monde juste
2.1.5. Le degré d’allégeance
71
72
72
73
74
75
76
3
2.2. Des croyances à l’évaluation des situations à risque : le rôle des paramètres
psychologiques
77
2.2.1. L’attribution causale
2.2.2. La notion de responsabilité
2.2.3. Le contrôle perçu
2.2.4. Le stress perçu
2.2.5. Les stratégies d’ajustement ou de « coping »
78
79
81
82
83
Partie 5 : MODELE CONCEPTUEL
87
1. Choix du modèle d’analyse : modèle intégratif ou multifactoriel
87
2. Le modèle d’analyse conceptuel de l’acceptabilité sociale des risques
89
2.1. Premier temps : les variables antécédentes
2.1.1. Variables socio-démographiques
2.1.2. Variables contextuelles
2.1.3. Variables liées à l’expérience du risque
2.1.4. Variables mesurées au niveau personnel
2.2. Second temps : les variables contrôlées dans les scénarios
2.3. Troisième temps : les variables médiatrices
91
91
91
91
92
92
92
CONCLUSION
94
BIBLIOGRAPHIE
95
4
INTRODUCTION :
LE PROJET MALIS
Contexte
Les risques liés aux soins (risques péri-opératoires, risques infectieux, risques liés aux
produits de santé, etc.) constituent par leur fréquence l’un des premiers risques pour la
santé. Pour accepter de lutter contre ces risques, il faut accepter qu’il y ait risque. Le concept
d’acceptabilité du risque, dont la définition et les déterminants ne sont pas encore
consensuels, fait appel à la perception des risques par les différents acteurs mais également
à leur perception des activités de soins, et de la politique de gestion des risques. Il est
intimement lié aux champs de la gouvernance des soins et de la démocratie sanitaire. La
représentation des risques par les acteurs, et notamment leur acceptabilité, devrait donc être
l’un des fondements de la définition de priorités en matière de sécurité des soins, au même
titre que les résultats quantitatifs produits par l’étude ENEIS 21 (Etude Nationale sur les
Evénements Indésirables liés aux Soins).
Objectifs et perspectives du projet Malis
L’objectif principal de cette recherche est de connaître le niveau d’acceptabilité - et ses
déterminants psychosociaux - des principaux risques liés aux soins pour deux acteurs
majeurs : le public et les médecins. Les objectifs opérationnels sont de réaliser une revue de
la littérature, et de construire un modèle conceptuel définissant l’acceptabilité des risques
liés aux soins, de développer un outil de mesure et de l’appliquer à deux populations : la
première, représentative de la population générale, la seconde, des médecins.
Ce projet participe à une meilleure compréhension des divergences entre les représentations
du public et des experts, ainsi que des principaux facteurs associés à cet écart de point de
vue. Il permettra également d’étudier les considérations de gouvernance (légitimité des
activités, crédibilité des institutions, confiance dans les acteurs, etc.) qui sont actuellement
considérées comme importantes dans l’acceptabilité des risques de façon générale et de la
gestion des risques en particulier.
Pour les autorités publiques, ce projet permettra de connaître l’acceptabilité sociale et
professionnelle qui modulent la réaction des individus face à l’évènement indésirable, et ainsi
1
La réduction des événements indésirables graves (EIG) figure en effet parmi les objectifs du rapport
annexé à la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique. En 2005, pour répondre aux
besoins exprimés par la DGS et la DHOS, une enquête pionnière - dite ENEIS - avait été réalisée.
L’étude a pour objectifs d’estimer l’incidence des événements indésirables graves observés en milieu
hospitalier et leur caractère évitable, décrire les causes immédiates de survenue de ces événements
liés aux soins. L’étude ENEIS a été rééditée en 2009 (ENEIS 2) selon les mêmes principes et avec la
même méthode.
5
de contribuer à la définition d’une politique de gestion des risques liés aux soins. De ce fait,
ce projet fournira une aide à la décision publique, et permettra d’adapter les communications
du ministère. De plus, en accédant à une meilleure compréhension des paramètres de
l’acceptabilité, la réalisation de ce projet devrait permettre de comprendre les
comportements de la population générale face à une crise sanitaire et donc de les anticiper.
Enfin, il offrira une opportunité de participation du public à l’évaluation des risques et aux
décisions, contribuant concrètement à la mise en place de la démocratie sanitaire.
Objectifs de ce travail
Ce rapport correspond au premier objectif opérationnel de cette recherche et consiste en
une revue exhaustive et critique de la littérature afin de construire un modèle conceptuel de
mesure de l’acceptabilité et de la tolérance, et de ses composantes psychosociales.
Méthodes
•
Recherche documentaire
Sources d’informations :
Cette revue de la littérature a nécessité une recherche documentaire pluridisciplinaire. C’est
pourquoi des banques de données bibliographiques issues du domaine médical comme des
sciences humaines et sociales ont été consultées :
. Psycarticles
. Pascal
. MEDLINE
. ScienceDirect
. SocIndex
. BDSP (Banque de Données
. Cairn
. Psycinfo
de Santé Publique)
. Persee
. Psychology and Behavioral
. Francis
Sciences Collection
Stratégies de la recherche
D’une part, les mots clés préalablement identifiés au sein du groupe de travail, ont été
combinés en autant d’étapes nécessaires, à l’aide des opérateurs «ET» «OU» «SAUF» :
Perception du risque
Risk perception
Représentation du risque
Risk representation
Sociologie du risque
Sociology of risk
Psychologie du risque
Psychology of risk
Acceptabilité du risque
Acceptability of risk
6
Risques
Risk
Tolérance face au risque
Risk tolerance
Attitudes
Attitude
Représentations
Representation
Croyances
Beliefs
Acceptation sociale
Social acceptation
Impacts psycho-sociaux
Psycho-social impacts
Anthropologie du risque
Anthropology of risk
Information sur le risque
Risk information
Communication sur le risque
Risk communication
Evaluation
Evaluation
D’autre part, une recherche dans la « littérature grise »2 c’est-à-dire non indexée dans les
banques de données informatisées, a été systématiquement effectuée par les membres du
groupe de travail. Cela nous a permis de sélectionner et d’analyser un certain nombre de
documents et rapports présents notamment sur les sites internet des organismes, institutions
et sociétés savantes compétentes dans le domaine étudié.
Par ailleurs, les bibliographies des références trouvées ont été analysées afin d’élargir la
recherche.
En outre, les publications en langue française et anglaise ont été explorées, afin d’avoir une
vue d’ensemble des publications internationales sur le sujet.
Enfin tout au long du projet, une veille bibliographique a permis d’intégrer des références
nouvelles jusqu’en décembre 2009.
•
Sélection et analyse des articles et ouvrages
La recherche documentaire menée entre janvier et décembre 2009 a permis d’identifier
environ 300 références françaises et anglo-saxonnes. Face à cette littérature abondante une
sélection de 201 publications a été opérée selon les critères suivants :
- Présence ou non d’un résumé ;
- Pertinence du résumé en lien avec la thématique de la recherche ;
- Qualité de la revue dans laquelle a été publié l’article ;
- Qualité et pertinence de la démarche méthodologique de la référence ;
2
La littérature grise est une littérature non indexée dans les catalogues officiels d’édition et dans les
circuits conventionnels de diffusion de l’information : congrès, documents gouvernementaux, études
non publiées, rapports et autres documents non conventionnels (Guide d’analyse de la littérature et
gradation des recommandations, janvier 2000, Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en
Santé).
7
- Population étudiée : population générale, patients.
Une fois la sélection des références opérée, nous avons procédé à une lecture critique de la
littérature en fonction des critères préalablement définis.
Composantes du rapport
Le premier volet de la revue de la littérature s’attachera à mieux définir l’objet de notre
étude. Le concept d’acceptabilité sociale du risque semblant complémentaire de celui de
d'une autre notion, la tolérance, nous proposerons donc une approche conceptuelle fondée
sur ces deux notions : si l’acceptabilité sociale renvoie au fait « d’être d’accord » pour
prendre un risque, la tolérance est davantage apparentée au fait de consentir « à contre
cœur » à prendre ce risque.
A ce jour, le sujet a fait l’objet de peu d’études. En effet, si la perception des risques liés aux
soins a été largement explorée auprès de l’individu, l'acceptabilité ou la tolérance n'ont
encore jamais été étudiées auprès de la population générale ni des professionnels de santé.
Ces deux notions seront abordées comme des prises de positions des sujets face au risque
présenté, positions qui mobilisent divers aspects de l'élaboration des opinions, notamment
des composantes psychologiques en lien avec l'univers normatif et idéologique de l’individu,
et des composantes sociales en lien avec les normes véhiculées par le contexte et les
groupes sociaux d’appartenance des sujets.
Cet aspect multi-déterminé nécessite l'adoption d’une approche pluridisciplinaire. Après une
présentation des travaux de l’économie du risque (deuxième volet) marqués par la figure
probabiliste, rationnelle de l’individu, il s’agira de montrer les limites de cette rationalité.
Nombreuses sont les recherches qui démontrent la difficulté pour le profane de raisonner en
termes probabilistes, à l’instar d’un expert, car il développe ses propres logiques d’évaluation
et de gestion du risque. Les modalités de mise en œuvre de toute démarche d’évaluation
sont par nature très variables. Les troisième et quatrième volets permettent d’accéder à
une meilleure compréhension des spécificités de ces logiques sociales et individuelles en
mettant l’accent sur les différentes composantes sociales et psychosociales de l’évaluation
du risque par l’individu.
Au terme de la revue de la littérature, nous présenterons le modèle conceptuel que nous
avons construit afin de mesurer, dans le cadre d’une recherche standardisée, l’acceptabilité
sociale des risques liés aux soins.
8
PARTIE I
L
RISQUE ACCEPTABLE
Le concept d’acceptabilité du risque fait appel à la perception des risques, des activités
de soins et de la politique de gestion des risques par les individus. C’est pourquoi les
champs de la gouvernance des soins et de la démocratie sanitaire sont intimement liés au
concept d’acceptabilité des risques.
A travers un examen des notions de risque et de gestion des risques, nous verrons
comment le concept d’acceptabilité s’impose comme l’un des fondements de la définition de
priorités en matière de sécurité des soins.
1
1.1.
Risque et gestion des risques
Emergence du concept de risque et son évolution dans le temps
De nos jours, le risque est couramment utilisé dans la vie quotidienne. Son étymologie
reste incertaine (Duclos, 1991) car cette notion renverrait à plusieurs origines : resecum (ce
qui coupe et aussi l’écueil) ; rixicare (la querelle) ; rhiza (la racine en grec) ; risq (le sort en
arabe, et aussi la ration journalière du soldat).
La principale origine étymologique du mot « risque » apparaît dès la fin du Moyen Age (XIVe
siècle) et renvoie à l’écueil (de l’italien risco) qui menace les navires et les marchandises en
mer. Ce terme a été inventé par les armateurs des villes-états italiennes en vue de
développer le commerce maritime à grande distance. Le risque n’est alors pas synonyme de
danger mais plutôt de courage et de maîtrise. En versant une prime d’assurance, ils savaient
que, en cas de périls, la victime pourrait en bénéficier. Il traduit une décision rationnelle
consistant à courir un danger tout en le maîtrisant ; autrement dit, « le risque se prend quand
le danger s’évite » (Ewald, 1998). En assimilant la notion de risque à celle de l’accident, un
grand pacte social en matière de risque et d’acceptabilité a vu le jour à la fin du XIXème
siècle avec la loi de 1898. Cette dernière modifie en profondeur le traitement juridique des
accidents du travail. A ce titre, « un risque acceptable est un risque indemnisable » (Ewald,
1998). Dès la fin des Trente Glorieuses, on assiste à une évolution de la nature du risque,
notamment avec la prise de conscience des risques technologiques majeurs. La notion de
risque implique désormais celle de catastrophe, qu’elle soit naturelle, climatique,
9
technologique, écologique ou sanitaire, et s’accompagne du sentiment de peur face à de
nouveaux
cas
d’incertitude.
Ces
risques
détournent
l’attention
des
champs
de
l’indemnisation pour l’orienter vers ceux de la prévention et de la précaution.
D’autre part, la notion de risque est intimement liée aux avancées scientifiques, mais
aussi culturelles de chaque époque (Bernstein, 1998).
Durant l’Antiquité, pour prendre une décision, on consultait des oracles et s’en remettait à
l’intuition. A cette époque, les hommes sont focalisés sur le présent afin d’assurer leur
subsistance: l’avenir est fixé par les Dieux et n’est qu’une question de chance. Or, pour
intégrer la notion de risque, il faut porter son regard sur le futur, et non sur le présent.
« L’Antiquité a beau jouer avec passion, personne ne cherche, semble-t-il à évaluer
réellement les probabilités de gagner. La prévision reste le privilège des dieux. En revanche,
durant la Renaissance, chacun analyse, expérimente et s’efforce de démontrer ses
hypothèses, depuis les scientifiques jusqu’aux explorateurs, en passant par les peintres et
les architectes. Il est donc logique que le joueur cherche la raison des séries qu’il observe»
(Bernstein, 1998, p.37). De ce fait, le concept de risque donne lieu à la naissance de la
théorie des probabilités aux XVIIe et XVIIIe siècles avec Cardan3, Galilée, Pascal, Fermat,
Daniel Bernoulli et son oncle Jacob Daniel. «D’après Ian Hacking, le raisonnement de Pascal
préfigure la théorie de la prise de décision, « qui permet d’adopter une ligne de conduite lors
même qu’on ignore ce qui va se passer ». La gestion du risque commence nécessairement
par là. » » (Bernstein, 1998, p.63).
Ainsi, les époques ont progressivement façonné la conception du risque, et son
évolution au cours du temps en a fait un concept pluriel qui oscille entre peur de perdre et
espoir de gagner.
1.2. La problématique polymorphe du risque : de la probabilité à la
construction sociale du risque
Le risque est un concept qui recouvre des significations complexes et différentes selon
les domaines. Il fait appel à diverses notions comme celles de probabilité, d’incertitude,
d’aléa, de dommage, de gravité, ou encore d’événement indésirable et/ou redouté.
On observe une distinction entre la définition que le public donne du risque, et celle
recueillie chez les experts. Si pour le sujet profane, le risque renvoie à tout danger ou
menace aussi incertains soient-ils dans leurs niveaux d’exposition et leurs effets réels, pour
10
les experts en santé, c’est « une fonction de la probabilité d’un effet néfaste sur la santé et
de la gravité de cet effet résultant d’un ou plusieurs dangers » (Setbon, 2004). Ainsi, les
statistiques et les probabilités sont utilisées comme un outil méthodologique capable
d’expliquer des phénomènes morbides et mortels, d’en prévoir l’évolution à l’échelle de la
population, et d’élaborer les actions préventives appropriées. Autrement dit, par l’usage
d’outils logico-mathématiques (par exemple, les analyses coûts/bénéfices) le risque est
appréhendé comme un concept efficace de réduction de l’incertitude.
Les sciences sociales et humaines ont reformulé la problématique du risque (BurtonJeangros et al., 2007). L’existence du concept de risque suppose que celui-ci ne se réduise
pas à des faits concrets, soit à une simple réalité objective. Le sociologue du risque Patrick
Peretti-Watel (1999, p.10) insiste sur le versant subjectif et postule que le risque est aussi
« une idée, une construction de l’esprit ». En s’appuyant sur les analyses d’Ewald (1986) cet
auteur propose une approche du risque comme mode de représentation, et privilégie les
modalités de construction de sens par les individus.
Par ailleurs, le concept moderne de risque conduit à reconsidérer la question du lien
causal : « Penser une menace comme un risque, c’est renoncer à lui trouver des causes
simples, déterministes, et leur substituer un enchevêtrement complexe de facteurs de
risque » (Peretti-Watel, 1999, p.13). En effet, la probabilité d’occurrence du risque varie en
fonction des situations et des spécificités individuelles. Alors que pour éradiquer un risque, il
suffisait d’en rechercher la cause, face à la multitude des facteurs de risque, il est désormais
impossible de s’en prémunir totalement et il convient donc d’accepter l’incertitude.
1.3.
Le risque lié aux activités médicales et de soins
On assiste à une progression spectaculaire de l’usage de la notion de risque au sein
de la littérature médicale, ce que Skolbekken (1995) qualifie d’« épidémie du risque ». Bien
que les risques sanitaires ne soient pas nouveaux, depuis deux décennies, ils occupent une
place croissante dans l’espace des débats publics. Ce phénomène est imputable à l’irruption
de catastrophes sanitaires telles que l’épidémie du sida et le drame des contaminations posttransfusionnelles par le virus de l’immunodéficience humaine. En France, 65% des individus
pensent qu’il est probable que des patients puissent subir des préjudices causés par des
soins de santé dans un hôpital, et 56% en milieu non hospitalier (Eurobaromètre 2010).
3
Liber de Ludo Alae (Le livre des jeux de hasard), 1525
11
L’activité
médicale
reste
indissociable
des
conséquences
potentiellement
préjudiciables d’un acte en matière de santé, et implique nécessairement la confrontation au
risque. Néanmoins, la prise de risque se justifie par la recherche du bénéfice, la finalité
première étant de soigner et donc d’éviter un risque augmenté pour le patient. Le risque
constitue alors cette conséquence négative qui accompagne la recherche du bénéfice par le
soin.
La notion d’événement indésirable lié aux soins est souvent associée à celle de risque.
Elle correspond aux situations où le risque « s’est réalisé », provoquant un effet néfaste pour
l’état de santé du patient.
Il existe de multiples classifications des événements indésirables liés aux soins. Les
plus élaborées sont multifactorielles (référence WHO. International Classification for Patient
Safety. 2009, Geneva. http://www.who.int/patientsafety/taxonomy/en/.)
Le projet Malis se centre sur les événements indésirables graves (EIG). Trois grandes
catégories permettent de classer 70 à 80% de ces EIG.
o
EIG liés aux actes invasifs ;
o
EIG infectieux associés aux soins ;
o
EIG liés à l’utilisation des produits de santé : médicaments, dispositifs médicaux,
etc.
Les résultats de l’Eurobaromètre 2010, sur la sécurité des patients et la qualité des soins de
santé, mettent en évidence l’importance de ce type de risque pour la population générale. En
effet, s’ils devaient recevoir des soins de santé, 75% des individus pensent qu’il serait
probable qu’ils soient exposés à des infections nosocomiales, 66% à des diagnostics
erronés, manqués ou tardifs, 58% à des erreurs liées à des médicaments et 56% à des
erreurs chirurgicales.
1.4.
Gestion des risques
1.4.1. De la conquête de la sécurité à la gestion des risques
Dans le mouvement de la conquête de la sécurité, les objectifs des politiques de
sécurité s’inscrivent initialement dans une démarche d’éradication des risques. Or, un certain
nombre d’éléments, en particulier le caractère probabiliste du risque, invalident la notion de
risque nul et induisent l’irruption de l’incertitude dans les méthodes d’appréciation et de
prévention des risques. En 1999, un colloque organisé par l’Institut National d’Etudes de la
Sécurité Civile (INESC) soulevait cette question : face à la multiplication des risques qui
comportent des incertitudes scientifiques, économiques et sociales, la garantie du risque
12
zéro est largement remise en question. A cet effet, plusieurs chercheurs ont annoncé la crise
du modèle de la conquête de la sécurité (Dourlens, Galland et Vidal-Naquet, 1991).
Cette crise tient principalement à cinq facteurs :
o
la remise en question du schéma déterministe qui suppose que la sécurité est
atteinte lorsque les causes sont identifiées. Selon William Dab (1994, p 599),
l’analyse des problèmes de santé en terme de risque s’est accompagnée de la
notion de multifactorialité des maladies laissant la place à une conception
probabiliste : « un faisceau de facteurs augmente la probabilité que survienne un
ensemble de maladies » ;
o
l’irruption de la notion de « risque majeur » ;
o
le maintien de certaines situations d’insécurité, malgré la multiplication des
dispositifs ;
o
l’apparition de nouveaux risques ;
o
la désignation d’un certain nombre d’effets pervers liés à la mise en œuvre
opérationnelle de telle ou telle technique de sécurité spécifique.
Dans ce contexte, on assiste à l’introduction de la précaution dans les politiques de
sécurité. Le principe de précaution a émergé dans le domaine de l’environnement à travers
l’arrêté de dispositions4, les progrès scientifiques ne permettant pas de maîtriser les risques
de manière rationnelle. Ce principe5, appliqué à la santé publique, a pour objectif de
renforcer la sécurité sanitaire en obligeant les pouvoirs publics à intervenir par devoir de
prudence, en raison des risques probables dont il faut évaluer la nature, la gravité, la
probabilité, et en conséquence les dommages collectifs prévisibles.
Un nouveau modèle voit le jour, celui de la gestion des risques qui constitue une aide à
la décision en situation d’incertitude relative. La gestion des risques consiste à reconnaître
les risques, les analyser et les réguler les uns par rapport aux autres. Ainsi, « à une
conception du risque comme danger à éliminer […] aurait succédé une conception du risque
comme aléa à gérer » (Lascoumes, 1991, p. 79). Autrement dit, à défaut de pouvoir garantir
la sécurité absolue, ce modèle a pour objectif d’élever les niveaux de sécurité en
recherchant des compromis et en déterminant des seuils acceptables du risque.
4
Article 130 RA du traité de Maastricht (février 1992), déclaration de Rio sur l’environnement et le
développement (juin 1992), la loi Barnier (février 1995), Charte de l’environnement (juin 2004).
5
Pour une réflexion plus élaborée sur les avantages et les inconvénients attachés au principe de
précaution et à son application en santé, se référer à l’article de Maurice Tubiana (2000), qui constitue
la conclusion du congrès (09/05/2000) intitulé « Principe de précaution, santé et décision médicale ».
13
Néanmoins, malgré une prise de conscience croissante du poids des représentations
de la population générale, le modèle actuel de gestion des risques privilégie l’approche
objective et la quantification technique des risques. Or, le projet MALIS a pour objectif
d’impliquer la population générale dans les mécanismes de décision en gestion des risques.
De ce fait, le caractère à la fois social et politique attaché à la notion de gestion des risques
apparaît comme un complément indissociable de son aspect technique et scientifique. A cet
égard, Marc Audétat (2007), politologue et docteur en sciences6 propose un modèle
d’analyse des risques, le modèle de négociation, plus approprié au degré de démocratie
soulevé par le régime d’acceptabilité contemporain : « Dans ce modèle, la réduction des
incertitudes et la définition des risques dépendent autant de la production d’expertise que de
la mobilisation des acteurs dans la controverse » (p.93).
1.4.2. Gestion des risques dans le domaine de la santé et démocratie sanitaire
La démarche de gestion des risques vise à concilier la prise de risques avec la maîtrise
des risques qui l'accompagnent. L’identification et le traitement des risques ont pour objectif
de tendre vers la sécurité optimale, et de rendre ainsi le risque résiduel acceptable.
•
Historique et législation
L’encadré ci-dessous replace l’émergence de la gestion des risques en santé dans une
perspective historique.
La gestion des risques dans le domaine de la santé s’est développée aux Etats Unis dans les
années 50, pour réduire le risque de mise en cause de la responsabilité des professionnels et, ce
faisant, les actions en dommages-intérêts et le coût des assurances pour négligence médicale. Les
programmes de « risk management », initialement centrés sur les soins et la pratique en milieu
hospitalier, notamment les activités d’obstétrique, d’anesthésie et d’urgence, se sont ensuite étendus
à l’ensemble des événements indésirables. A la fin des années 80, cette approche a évolué dans les
pays anglo-saxons vers un effort de réduction et de prévention des risques indépendamment de leur
probabilité de conduire à un contentieux. La gestion des risques s’attache alors de plus en plus à
identifier et traiter les causes profondes des risques - risques pour les patients, les visiteurs, les
professionnels, risques pour l’institution- quelle que soit la nature de ces risques. (Lecoq R., 2004, p.8)
En France, la loi de sécurité sanitaire (1998) et la loi relative aux droits du malade et à
la qualité du système de santé (4 mars 2002) marquent la volonté de l’Etat d’améliorer la
sécurité sanitaire. Ainsi, dans un contexte où la tolérance collective au risque est de plus en
plus limitée, ces lois répondent aux attentes des usagers en termes de qualité et de sécurité
des soins, d’information et d’implication dans les décisions médicales. On assiste à
6
Institut d’Etudes Politiques et Internationales et Interface Sciences-Société de l’Université de
14
l’émergence du principe de démocratie sanitaire, telle qu’elle a été définie par le législateur
dans la loi du 4 mars 20027. Ce principe se caractérise par l’apparition des usagers dans le
domaine de la santé lors de l’élaboration de la politique de santé publique.
•
Processus de gestion des risques
Le processus de gestion des risques est constitué de plusieurs phases :
-
la définition du problème et de son contexte ;
-
l’identification des risques ;
-
l’analyse des risques ;
-
la hiérarchisation des risques ;
-
l’élaboration et la mise en oeuvre des plans d’action ;
-
le suivi et l’évaluation.
La définition du problème et de son contexte constitue la phase initiale du processus
qui vise notamment à identifier un problème, et à déterminer les objectifs relatifs à la gestion
des risques. C’est au cours de cette phase que l’identification d’un problème réel de santé ou
de la perception d’un problème par la population ou par les experts est effectuée. Elle devrait
dans l’idéal reposer sur les principes d’ouverture et d’appropriation des pouvoirs. L’ouverture
passe par l’identification des préoccupations de la population face au risque, et la mise en
œuvre d’un processus de participation du public en vue de sa contribution à la recherche de
solutions. L’appropriation par le public des pouvoirs traduit une politique de gestion des
risques qui doit inciter les individus à prendre des décisions éclairées et à agir quant aux
risques qui les concernent. Dans cette perspective, il est important de mettre en place un
mécanisme de concertation et de coordination dans le processus de gestion des risques
(Debia et Zahed, 2003).
Au final, ce modèle de gestion des risques fondé sur la démocratie sanitaire, largement
adopté par la communauté scientifique8, se caractérise par une dynamique d’échanges entre
experts, décideurs, gestionnaires et population. En intégrant les préoccupations du public
ainsi que leurs perceptions sociales du risque, cette approche vise à contrôler et réduire les
Lausanne.
7
Loi n°2002-203 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
8
Elle a notamment été adoptée par les communautés scientifiques suivantes :
Presidential/Congressional Commision on Risk Assesment, Risk Management des Etats-Unis, Santé
Canada, Institut National de Santé Publique du Québec.
15
risques à des niveaux acceptables. Or la notion d’acceptabilité du risque est complexe et a
nécessité une recherche approfondie au sein de la littérature en vue d’une meilleure
compréhension.
L’acceptabilité du risque
2
L’acceptabilité est le caractère d’une chose plus ou moins acceptable, tolérable. Cela
s’exprime par des seuils, tels que le seuil d’acceptabilité de la pollution par exemple. Le
verbe accepter est formé du préfixe ab- (« vers soi ») et de la racine cepet du verbe latin
capere (« prendre »). Accepter, c’est « consentir à prendre quelque chose, à recevoir ce qui
est offert »9, c’est aussi admettre une situation, une idée.
Qu’en est-il dans de l’acceptabilité dans le domaine des risques ?
D’emblée, l’acceptabilité des risques s’apparente à un outil d’aide à la décision en
gestion des risques. Dès lors que nous admettons le fait que le risque n’est pas seulement
une donnée objective mais aussi une construction sociale, il convient d’admettre que la
définition des priorités en termes de sécurité des soins (établie par la hiérarchisation et la
sélection des risques) n’est pas seulement associée à la nature et à la gravité des
évènements indésirables liés aux soins.
En somme, la problématique de l’acceptabilité du risque n’est pas uniforme. Nous
pouvons en distinguer trois, qui n’en restent pas moins interdépendantes :
•
L’acceptabilité technique du risque par le système de santé ;
•
L’acceptabilité individuelle du risque par le patient ;
•
L’acceptabilité sociale du risque
2.1.
L’acceptabilité du risque : une problématique multiforme
L’acceptation d’un risque10 dépend des critères retenus par la ou les personnes qui
prennent la décision (ISO/CEI 73).
9
www.larousse.fr
Glossaire issu de la circulaire n° DPPR/SEI2/MM-05-0316 du 7 octobre 2005 relative aux
Installations classées. Prévention des risques accidentels, Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du
Développement
durable
et
de
l’Aménagement
du
territoire.
http://www.risques.auvergne.developpement-durable.gouv.fr/extras/glossaire/index.html
10
16
•
L’acceptabilité technique par le système de santé
L’acceptabilité du risque technique renvoie à un processus décisionnel au cours duquel
un calcul fondé sur des données scientifiques actuelles détermine le rapport risque/bénéfice
pour les patients. L'acceptabilité technique du risque suppose la mise en œuvre par les
professionnels de santé des meilleures conditions de qualité et sécurité possibles, adaptées
à la réalisation de la démarche thérapeutique choisie. C’est le cas par exemple lors de la
délivrance de l’autorisation de mise sur le marché des médicaments. Néanmoins, ce versant
technique de l’acceptabilité n’est pas suffisant pour définir l’acceptabilité individuelle dans la
mesure où l’appréciation du risque encouru est fondée sur les caractéristiques propres du
danger chez des patients « moyens », et ne prend pas en compte les capacités et les
spécificités individuelles.
•
L’acceptabilité du risque par le patient : issue de la perception individuelle du patient
Cette forme d’acceptabilité du risque renvoie à la question du consentement du patient
dans les pratiques de soins et de recherche en médecine. La réglementation en la matière a
précisé les règles du consentement éclairé du patient. Ce consentement est le produit d’une
relation entre le patient et les professionnels de santé, fondée sur la participation active du
sujet aux choix diagnostiques et thérapeutiques. Il repose également sur un échange
d’informations complètes et transparentes sur les conséquences positives et négatives du
soin, et donc sur les modalités possibles de la prise de risque.
•
L’acceptabilité sociale du risque : la référence à l’univers normatif
La sécurité représente le niveau de risque jugé acceptable par les individus
(Kouabénan et Cadet, 2005, p.14). A ce titre, le niveau d’exigence de sécurité des
populations est de plus en plus élevé et l’aversion pour le risque de plus en plus forte. Face
à certaines problématiques telles que le sang contaminé, et les infections nosocomiales,
l’acceptabilité est très souvent réduite. La pression du public et des médias résonne afin que
des actions réglementaires, techniques et organisationnelles soient engagées par les
acteurs politiques.
Par ailleurs, l’acceptabilité du risque varie selon différents paramètres sociaux : la
nature du risque, la communauté qui perçoit le risque, le contexte temporel, politique et
scientifique. En résumé, l’acceptabilité du risque évolue selon les valeurs, les croyances,
17
l’évolution des connaissances scientifiques, de la législation et des mentalités, la position
dans l’organisation et par rapport au risque, la profession exercée, les expériences, etc.
Bien que la littérature soit plus axée sur la perception du risque et l’acceptabilité
technique, certains auteurs ont apporté des définitions de ce versant de l’acceptabilité. En
effet, dès 1981, Fischhoff l’abordera comme une décision problématique qui requiert un
choix parmi plusieurs alternatives. Ce choix est notamment déterminé par des valeurs et des
croyances.
“Acceptable-risk problems are decision problems, that is, they require a choice among
alternatives. That choice is dependent on values, beliefs, and other factors. Therefore, there
can be no single, all-purpose number that expresses the acceptable risk for a society. At
best, one can hope to find the most acceptable alternative in a specific problem, one that will
represent the values of a specific constituency” (Fischhoff et al., 1981, p.2).
L’anthropologie du risque (Douglas, 1986) et la psychologie sociale (Beauvois, 1990)
soulignent également l’importance des processus sociaux dans la réponse individuelle face à
une situation à risque. L’adaptation au risque serait déterminée par les normes et valeurs au
regard de la sécurité, véhiculées par le groupe d’appartenance sociale.
2.2.
Le projet MALIS et l’acceptabilité sociale du risque
Ce versant de l’acceptabilité du risque semble être le plus pertinent pour les objectifs
du projet MALIS. En effet, cette étude sera réalisée auprès d’un échantillon français
représentatif de la population générale de la société française et des médecins. En
choisissant de ne pas cibler une situation particulière, telle que la décision de soins pour un
patient ou un groupe de patients particuliers (auquel cas il faudrait partir du concept
d’acceptabilité individuelle du risque), le projet MALIS prend en compte les différents
mécanismes sociaux et psychologiques à l’œuvre dans l’acceptabilité du risque. Au regard
de la multitude de paramètres sociaux capables d’influencer cette problématique, nous
faisons l’hypothèse qu’il n’existe pas une acceptabilité sociale mais de multiples
acceptabilités sociales du risque. L’acceptabilité sociale du risque serait une notion
subjective et évolutive qui varierait en fonction des époques, des contextes économiques et
socioculturels, de la culture et d’attitudes propres de la personne qui prend la décision.
Nous faisons l’hypothèse qu’un risque acceptable par le public se fonderait sur
l’articulation des deux logiques, technique et sociale, dont le poids varie au gré des
contextes et des situations. En résumé, bien que le concept d’acceptabilité sociale du risque
semble difficile à définir, il se réfère aux attitudes des individus face à des situations à risque,
induites par les informations reçues sur le rapport bénéfice/risque. Ces dernières permettent
18
à l’individu d’établir une balance entre les avantages et les inconvénients attachés à chaque
situation à risque. D’autre part, ces attitudes s’inscrivent dans une rationalité spécifique, plus
ou moins profane, qui renvoie à l’univers moral de l’individu, à l’intérieur duquel interagissent
des facteurs sociaux et des croyances construites au regard des normes et valeurs
véhiculées par la société ou un groupe social donné. Au final, le poids des croyances et
autres facteurs sociaux sous-tend une démarche d’évaluation qui détermine la qualification
du risque comme acceptable ou non acceptable, tolérable ou intolérable.
La notion d’acceptabilité sociale du risque induit un autre questionnement, celui de la
tolérance au risque.
2.3.
La Tolérance où le consentement individuel contraint
De façon générale, la tolérance, du latin tolerare (supporter) se définit comme « une
attitude consistant à accepter sans autoriser formellement ce qu’on pourrait rejeter, refuser,
ou interdire »11. Autrement dit, tolérer c’est accepter ce que l’on désapprouve, ce que l’on
devrait normalement refuser. Adaptée au domaine du risque, la tolérance relèverait d’une
décision individuelle qui consiste à consentir « à contre cœur » à prendre un risque.
En santé, la notion de tolérance renvoie au fait, pour l’organisme, de bien supporter un
agent physique, chimique ou médicamenteux. Ainsi, ce concept est très souvent employé
pour traiter de la résistance d’un patient au traitement thérapeutique ou de l’accoutumance à
la douleur (Richebé et Shefrin, 2008). Dès lors, il s’agit d’un concept qui associe un patient
aux risques que peut générer sa prise en charge.
•
Tolérance et Acceptabilité : deux concepts interdépendants ?
Bien que la littérature sur les risques y fasse parfois référence, la distinction du concept
de tolérance avec celui d’acceptabilité n’est pas clairement délimitée. Ces deux concepts
sont-ils purement indépendants ou ont-ils une base commune ? Autrement dit, relèvent-ils
d’une même dimension (2 pôles opposés d’un même continuum) ou de deux dimensions
distinctes et orthogonales ?
Dès 1983, Kasperson annonçait déjà la complexité de l’évaluation de ces seuils
d’acceptabilité et de tolérance. Selon lui, un consensus au sein de la population serait
11
Dictionnaire Le Petit Robert.
19
difficilement atteignable dans la mesure où on devrait faire face à la divergence des
structures individuelles de la tolérance du risque. Il apporte une explication à la différence de
positionnement entre ces deux concepts.
D’après le schéma n°1 ci-dessous, les seuils de risque acceptables seraient associés à
un niveau de risque plutôt faible. En revanche, lorsque le niveau du risque augmente,
l’usage du concept de tolérance serait plus pertinent. Autrement dit, un risque qui tend vers
l’inacceptable peut être toléré, ou supporté à contre-cœur.
risque certain
Zone de risque
intolérable
risque tolérable
risque acceptable
risque zéro
Schéma n°1: Acceptabilité et tolérance aux risques (selon Kasperson et al., 1983)
Néanmoins, cette analyse n’apporte pas de définitions claires de l’acceptabilité et de la
tolérance. Qu’est ce qui est tolérable mais inacceptable ? Une situation à risque peut-elle
être acceptable et intolérable ?
Face à cette difficulté, nous envisageons de façon provisoire12 l’écart entre ces deux
concepts de la manière suivante : l’acceptabilité sociale du risque intervient dans le cadre
des risques faisant l’objet d’un discours social, normatif. En revanche, face aux risques
dépourvus de discours social, l’usage de la notion de tolérance semble plus pertinent.
L’individu n’ayant pas, ou peu de références, est seul face à une situation à risque.
En effet, pour Comte-Sponville (1995), la tolérance définit le degré d'acceptation face à
un élément contraire à une règle morale, civile ou physique particulière. Plus généralement,
elle définit la capacité d'un individu à accepter une chose avec laquelle il n'est pas
totalement en accord. Et par extension moderne, l'attitude d'un individu face à ce qui est
potentiellement différent de ses valeurs.
12
Les résultats de Malis valideront ou infirmeront cette hypothèse.
20
En conséquence, la tolérance établirait le seuil individuel d’acceptation d’un élément
qui interfère avec l’univers normatif de la personne. De fait, nous faisons l’hypothèse que la
notion de tolérance est plus individuelle que sociale : l’individu engage un processus
d’adaptation qui le conduirait à accepter un risque potentiellement différent de ses valeurs.
La tolérance renverrait à une forme d’acceptabilité moindre.
Au regard de cette première partie, l’acceptabilité sociale du risque repose sur
l’articulation de deux logiques : l’une « technico-rationnelle » qui s’appuie sur un calcul
« bénéfice-risque »,
et
une
autre
plus
« sociale »
qui
intègre
des
paramètres
multidimensionnels. L’acceptabilité du risque est multi-déterminée et nécessite l’adoption
d’une approche pluridisciplinaire. Plusieurs courants théoriques ont modélisé la démarche
d’évaluation d’une situation à risque, indispensable pour réguler nos comportements, nos
conduites et permettre notre adaptation. La suite de cette revue de la littérature s’attache à
analyser ces travaux, selon qu’ils se focalisent sur une appréhension rationnelle du risque
(partie 2), ou sur les logiques sociales (partie 3) et psychosociales (partie 4) à l’œuvre.
La partie qui suit abordera d’une part, l’évaluation du risque à travers un raisonnement
probabiliste se centrant sur les conséquences attendues (paradigme de l’utilité espérée) et
d’autre part, celle du risque perçu, à travers le paradigme psychométrique.
21
PARTIE II
L’EVALUATION INDIVIDUELLE DU RISQUE :
Le raisonnement probabiliste et ses limites
Quelles sont les dimensions qui sous-tendent la perception et l’évaluation d’un
risque ?
Pour tenter de répondre à cette question, deux points sont à considérer conjointement :
•
D’une part, dans le modèle économiste, l’individu évalue tout risque en en quantifiant
toutes les conséquences prévisibles sur une échelle commune : celle de l’utilité.
L’adoption de certains comportements (sains ou à risques) résulterait d’une
délibération individuelle fondée sur un calcul plus ou moins savant, en vue
d’optimiser ses choix.
•
D’autre part, des psychologues ont identifié les grandes références ou dimensions
qui sous-tendent l’évaluation du risque à partir du recueil de l’opinion des individus.
L’objectif était de comprendre comment se structure la perception des risques et
quels en sont les facteurs d’influence.
1
L’individu « Expert » : du calcul de l’utilité du risque aux
préférences révélées
Historiquement, les premières études empiriques qui ont cherché à comprendre et
modéliser les comportements et attitudes des individus en situation de risque ou
d’incertitude, sont issues de l’analyse du risque économique et financier. En effet,
l’investissement financier est le prototype d’une activité risquée. Les décisions que l’agent
(incarné par la figure du joueur rationnel) prend dans le présent, déterminent son futur bienêtre. Pour cela, il lui est nécessaire d’optimiser ses choix.
1.1.
Le paradigme de l’Utilité Espérée : la maximisation de l’utilité dans les
situations risquées
1.1.1. Présentation du modèle
Les économistes ont modélisé ce type d’activités risquées en y introduisant deux
éléments. D’une part, l’évaluation du risque s’effectue par le calcul de l’espérance
mathématique. Il s’agit d’une combinaison de l’évaluation de la probabilité que des
22
évènements non souhaitables se produisent, et de la quantification de l’ampleur de toutes
les conséquences possibles. D’autre part, les économistes prennent en compte les attitudes,
les préférences, à savoir l’aversion ou l’appétence pour le risque.
Ces deux critères fondent la théorie de l’utilité espérée (T.U.E), au cœur de
l’approche axiomatique moderne, qui est issue de la théorie des jeux. Proposée par Daniel
Bernoulli (1700-1782), cette théorie a été validée pour la première fois de manière formelle
par les travaux de Von Neumann et Morgenstern (1947) et de Savage (1954).
Le modèle proposé repose sur un ensemble d’hypothèses préalables, les axiomes, qui
permettent de construire une représentation mathématique de l’utilité et d’assurer les
conditions de sa maximisation. Cette théorie du comportement postule un individu
autonome et calculateur qui cherche à maximiser certaines valeurs d’utilité ou de
satisfaction, en fonction de ses préférences, elles-mêmes déterminées par son degré
d’aversion au risque. Les consommateurs auraient des fonctions d’utilité plus ou moins
concaves, donc des degrés d’aversion au risque différents. La fonction d’utilité sera concave
(négative) si on veut représenter les préférences d’un individu manifestant de l’aversion pour
le risque (riscophobe), linéaire si les préférences de l’individu sont neutres vis-à-vis du
risque, et convexe lorsque l’individu revendique un certain goût du risque.
Le calcul du risque acceptable
La théorie de l’utilité espérée préconise la recherche des utilités soit positives, soit
négatives. Une version quelque peu différente de ce modèle initial a été élaborée : il s’agit
cette fois de considérer de façon simultanée les avantages et les inconvénients liés à un
risque. L’évaluation du risque reposerait ainsi sur une valeur mixte établissant une balance
entre les deux dimensions qui définit le risque acceptable (Fischhoff, et al., 1981).
Cette dualité se doit d’être introduite dans de nombreuses démarches d’évaluation. Cela
permettra in fine, de qualifier le risque et de le considérer comme tolérable ou intolérable,
gérable ou non, bénéfique ou dommageable, acceptable ou inacceptable.
Applications dans le domaine médical
La théorie de l’utilité espérée connaît une utilisation importante dans l’évaluation des
risques médicaux et chirurgicaux. Grenier (1990) démontre son importance pour déterminer
de façon rationnelle le moment de l’acte chirurgical, et en établir les différentes
conséquences. A partir d’observations de situations de cas d’appendicites, cet auteur
reprend un exemple dans lequel on combine des probabilités et des utilités négatives,
puisqu’il s’agit de taux de létalité. L’objectif est donc d’évaluer les risques (dans ce cas précis
ceux d’une appendicectomie) liés à une intervention chirurgicale, en vue de les minimiser.
23
En matière de réanimation cardio-pulmonaire, Sorum (1995) fait également référence à
l’utilité subjectivement espérée afin que la décision soit rationnelle et présente le risque le
moins élevé.
1.1.2. Les limites de la théorie espérée
L’application de la Théorie de l’Utilité Espérée (T.U.E) classique dans le domaine de la
santé n’est pas sans difficulté. Selon Rey (1999), cette théorie est pertinente concernant les
risques unidimensionnels (financiers, par exemple). Autrement dit, elle s’attache à décrire un
seul type de conséquences. Aucun modèle de la T.U.E ne considère des risques de natures
différentes, et ne prend en compte les spécificités d’un risque de santé. Or, ce qui semble
caractériser le risque est bien son caractère bidimensionnel. La survenue d’une maladie a
deux types de conséquences : des conséquences réelles (objectives) mais aussi des
conséquences « psychologiques », plus difficiles à mesurer. A ce titre, l’aversion pour les
risques de santé est plus complexe : elle est définie non seulement par le fait de « vivre »
l’incertitude mais dépend aussi de l’appréhension des effets, des conséquences perçues du
risque. Elle intègre donc la dimension ressentie du risque.
D’autre part, comme le souligne Perreti-Watel (2001), ce modèle est viable tant que les
décisions des agents s’effectuent dans des situations dites risquées où règnent une totale
transparence quant aux évènements potentiellement négatifs qui doivent se produire dans le
futur, et au degré de gravité de leurs conséquences. Or, l’évaluation et la quantification des
conséquences sont délicates à établir, en particulier parce que les situations concrètes du
quotidien renvoient plutôt à des univers incertains et indéterminés. Alors que dans l’univers
risqué, l’agent connaît la probabilité d’occurrence de chacun des évènements qui peuvent se
réaliser dans le futur ; dans l’univers incertain13, il peut envisager les évènements futurs,
mais pas les probabilités correspondantes.
Lorsque les états du monde ne peuvent être associés à des probabilités objectives et
connues, le décideur va attribuer des « probabilités subjectives » qui peuvent ensuite être
quantifiées (Savage, 1954). En effet, ces dernières sont censées atteindre un niveau de
cohérence comparable à celui des probabilités objectives.
Or, face à la complexité qu’induit l’élaboration des probabilités subjectives, les
individus ont recours à une panoplie d’outils simplificateurs : les « heuristiques ». Il s’agit
d’une dizaine de biais cognitifs qui tendent à structurer le traitement subjectif de l’information
24
statistique au moment de la prise de décision (Tversky et Kahneman ; 1982). Les principales
heuristiques mises en évidence par la psychologie expérimentale sont entre autre : le biais
de représentativité, le biais de disponibilité, et le biais de représentation. A titre d’exemple, le
biais de disponibilité caractérise la facilité avec laquelle des exemples ou des cas identiques
au cas à juger peuvent venir à l´esprit.
Au final, bien que l’estimation des probabilités subjectives ne repose pas sur une
« super rationalité » de l’agent, elle nécessite cependant une certaine capacité calculatrice.
De plus, cette théorie « semble désemparée lorsqu’il s’agit de s’intéresser à la précision que
l’agent associe aux probabilités estimées […]. Or cette précision influence les
comportements individuels […]. Un risque donné n’est pas perçu de la même façon suivant
que la probabilité associée est précise et fiable, ou vague et incertaine » (Peretti-Watel,
2000, p 107). Enfin, ce modèle ne prend pas en compte les interactions entre les individus,
et leur influence réciproque dans la construction des convictions n’est pas considérée.
L’extension des recherches expérimentales autour de l’économie du risque
s’accompagne d’une prise en compte progressive des croyances et mécanismes cognitifs
latents. On assiste à une « psychologisation » de l’évaluation des conséquences.
Vers les années soixante-dix, les cliniciens se sont davantage intéressés au
retentissement psychosocial des traitements sur les individus. En parallèle, l'évaluation
économique - poursuivant son objectif d'aide à la décision thérapeutique - a cherché à
améliorer les indicateurs d'efficacité, en ne prenant plus exclusivement en compte les
paramètres cliniques et en utilisant des indicateurs multidimensionnels.
1.2.
Les « préférences révélées » dans la décision thérapeutique
De multiples études portant sur la qualité de vie des sujets malades se sont
intéressées au point de vue des individus quant à la prise de décision thérapeutique, ces
derniers revendiquant de longue date une telle participation. Les patients sont ainsi
progressivement passés d’un état d’insatisfaction vis-à-vis des médecins qui ne prenaient
pas en compte leur opinion à une demande croissante d'information sur leur maladie et sur
les traitements pour aboutir à une exigence d'autonomie, ce qui a nécessité une révision
13
C’est le cas également des situations des univers indéterminés où l’agent ne connaît ni les
évènements possibles, ni les probabilités d’occurrence.
25
complète du modèle traditionnel14 de la relation médecin-patient. La remise en cause de ce
modèle a conduit à diverses tentatives de prise en compte du point de vue des individus
dans les choix thérapeutiques et a permis de rejoindre la réflexion économique fondamentale
sur la révélation des préférences individuelles face au risque et à l'incertain.
Progressivement, nous sommes passés d'une prise en charge « paternaliste » des patients à
une relation de partage de la décision thérapeutique.
1.2.1. La participation des individus dans le processus de soins
L’objectif des travaux qui s'efforcent d'analyser les interactions médecins-individus est
d'attirer l'attention sur le fait que leurs préférences peuvent diverger (Macquart-Moulin et al,
1997). Ces divergences d’arbitrage, notamment sur l’estimation de l'espérance de vie et de
la qualité de vie, impliquent le traitement de l'incertitude dans la pratique médicale, ce qui
peut directement affecter la décision thérapeutique (Kasper, 1992 ; McNeil et Pauker, 1982).
Dans le but de faire participer les individus à la décision médicale, il est nécessaire de
leur procurer des informations sur les différents traitements possibles, qu'ils seront à même
d'assimiler et d’utiliser. Ces informations doivent comporter des données, des probabilités
sur les avantages et les inconvénients associés à chaque type de traitement. Cependant,
l'expérience clinique et les travaux psychosociologiques ont tendance à souligner les
difficultés de transmission d'une information probabiliste, et mettent en évidence qu’il faudrait
pouvoir « familiariser » les patients à sa compréhension. C’est pourquoi plusieurs études ont
modélisé les processus à l’œuvre dans la prise de décision individuelle, et ont construit des
outils pour mettre au jour les préférences des sujets.
1.2.2. Les techniques de révélation des préférences
Afin de révéler les préférences des individus face à une situation de choix, plusieurs
techniques ont été développées. Ces dernières s'inspirent de la théorie de l’utilité espérée.
Ce modèle vise à déterminer dans un ensemble d'actions possibles, l'action « optimale »
pour un individu donné, compte tenu de son système de préférences.
A titre d’exemple, le Time Trade Off (ou marchandage temps -TTO-), et le Standard Gamble
(ou loteries -SG-), sont les deux techniques les plus utilisées, et permettent grâce à des
calculs probabilistes de pouvoir déterminer les préférences des individus face à des
situations de choix et d’incertitude.
14
Selon la définition de Parsons (1951) le patient se doit de suivre les directives de son médecin de
26
Le Standard Gamble (SG) (ou la méthode des loteries) postule que, confronté à une
situation incertaine, l’individu choisit entre deux éventualités, de manière à maximiser non
plus la seule utilité, mais l’espérance de l’utilité (Von Neumann et Morgenstern, 1944).
L’utilité espérée, par exemple d’une opération chirurgicale, est la moyenne des utilités
attribuées à chacun de ses résultats possibles, pondérée par leur probabilité d’occurrence.
La personne interrogée doit imaginer qu’elle vit dans un état de santé dégradé. Elle a le
choix entre demeurer toute sa vie dans cet état, ou bien accepter une opération risquée se
soldant soit par un retour à une parfaite santé, soit par un décès immédiat. Une telle situation
de choix s’apparente, par exemple, au dilemme du coronarien qui peut opter pour une
thérapie longue, qui lui assure une survie à court terme mais sans amélioration de son état,
ou bien prendre le risque d’un pontage afin de recouvrer une meilleure santé.
En faisant varier la probabilité de l'issue la plus favorable de la situation à risque, ce
modèle permet d’évaluer l’attitude de l’individu vis-à-vis du risque. Cependant, la complexité
du dispositif rend cette méthode très difficile à utiliser. Cette technique a été, par exemple,
appliquée à une population atteinte de cancer du sein, dans le but d'évaluer les préférences
des patientes concernant l'arbitrage entre les risques et les bénéfices d'une radiothérapie
après une chirurgie conservatrice. Elle montre que la méthode de la loterie permet bien
d'obtenir une valorisation des utilités des patientes associées à différentes options de
traitement (Hayman et al., 1997).
La technique du Time Trade-Off (TTO) (ou marchandage temps) a été développée par
Torrance et al. (1972) comme une version simplifiée du standard gamble, dans le but de
remédier au problème de compréhension que la notion de probabilité pose aux répondants.
En effet, si la technique du standard gamble s’utilise dans des univers incertains (d’où
l’usage des probabilités), avec la technique du time trade-off, les décisions se prennent dans
un contexte certain. Aussi, le standard gamble s’attache à faire varier les probabilités
d'apparition de l'événement alors que le time trade-off repose sur la variable « temps ».
La personne interrogée doit choisir entre deux options non risquées : vivre dans un état
dégradé pour le restant de ses jours, ou vivre en parfaite santé mais en ayant une durée de
vie limitée. La question posée revient donc à échanger des années contre une meilleure
santé. La quantité de longévité que cette personne se dit prête à sacrifier pour recouvrer une
parfaite santé, sert à positionner l’état de santé sur une échelle de 0 à 1 (la mort possède
façon à aller mieux.
27
une valeur nulle et la parfaite santé une valeur unitaire). Cette méthode a été utilisée dans
un nombre assez conséquent d'études (Sebban et al., 1995 ; Ashby et al., 1997).
Ainsi, le time trade-off et le standard gamble ont été utilisés pour estimer l’utilité de
traitements contre différents types de pathologies. Parmi les applications récentes, nous
citerons le diabète (Sullivan et al., 2002), la maladie de Crohn (Gregor et al., 1997), les
troubles de la fonction érectile (Stolk et al., 2000) et le cancer (Stiggelbout et al., 1994).
Si le time trade-off semble être plus facile à mettre en place, il semble aussi que ce ne soit
pas la méthode la plus rigoureuse en terme de théorie économique (Mehrez et Gafni, 1990).
Quant au standard gamble, sa mise en application est plus compliquée car il demande
souvent de la part des individus une parfaite compréhension des probabilités.
Ces études empiriques de révélation des préférences ont permis de mettre en lumière
la complexité des arbitrages entre les différents éléments de choix thérapeutique (la durée
du traitement et son retentissement à court et à long terme sur la qualité de vie.) qui peuvent
entrer en ligne de compte, notamment dans l'acceptabilité du traitement par les individus.
Ces éléments sont caractérisés par la variabilité des attitudes possibles des individus selon
leur perception de la maladie, de l'incertitude, du risque associé au traitement, de leur degré
de confiance et de « délégation » à l'équipe médicale, et de leur situation « psychologique »
et « sociale » du sujet au moment de la prise de décision.
Les développements théoriques des économistes qui ont fait suite à la théorie de
l’utilité espérée ont davantage pris en considération les univers incertains et indéterminés, et
donc les références plus subjectives inhérentes aux mécanismes de l’évaluation du risque.
En effet, les individus apprécient plus le risque sur des critères qualitatifs que sur des
critères quantitatifs. Ainsi, pourquoi certaines activités à risque auxquelles on ne peut
attribuer que peu de victimes ou même aucune sont pourtant sources de stress, tandis que
d’autres, qui peuvent être considérées comme des problèmes majeurs de santé publique
(alcoolisme, tabagisme, etc.) ne retiennent guère l’attention du public ?
C’est ce qu’ont tenté de comprendre divers travaux en psychologie cognitive et sociale,
effectués autour de l’approche psychométrique développée par Paul Slovic (1987).
28
2
Les dimensions qualitatives de la perception du risque
Le courant psychométrique s’est construit sur la base d’enquêtes empiriques. Son
cadre d’analyse souligne la diversité des perceptions profanes en opposition au modèle
« expert ». Cette approche a permis d’identifier les principaux aspects utilisés par le profane
pour juger si un risque est acceptable ou non.
2.1.
La particularité des perceptions profanes
Les analyses psychométriques se sont d’abord intéressées à la problématique des
différences de perception entre profane et expert. En effet, cette divergence tiendrait au fait
que les experts s’attachent à la notion de risque « réel » ou « objectif » (la mortalité moyenne
par exemple), tandis que le jugement des profanes serait davantage lié à des critères
spéculatifs, subjectifs comme le potentiel catastrophique pour les générations futures.
L’étude PERPLEX15 (2006) compare la perception des risques des personnes du « grand
public » à celle des personnes travaillant au sein d’organismes scientifiques français
concernés par les questions environnementales et sanitaires. Ces derniers sont désignés
par le terme d’ « institutionnels ». Le « grand public » et les « institutionnels » sont interrogés
sur l’importance perçue du risque. Des différences significatives sur la quasi-totalité des
situations sont observées, ce qui traduit une utilisation différente de l’échelle de notation : le
public est plus attiré par les modalités « élevés » pour se prononcer sur le danger d’un
risque. A titre d’exemple, 14.4% du public estime les risques associés aux radiographies
médicales « élevés », contre 6.1% des institutionnels. Au total, sur les 27 activités proposées
dans le questionnaire, toutes obtiennent auprès du public des scores de risque élevé plus
importants que chez les institutionnels. Ces différences sont significatives et sont en
moyenne de l’ordre de 19%. Il semblerait que le public fasse preuve de plus de sévérité pour
juger d’un risque. Les institutionnels affichent une attitude plus optimiste face aux risques.
Comment expliquer ces divergences de perception ?
Les études psychométriques ont permis d’identifier un certain nombre de facteurs qui
tendent à structurer de manière systématique la façon dont les individus profanes perçoivent
le risque et y réagissent. Ces caractéristiques constituent des dimensions implicites du
risque perçu dans le sens où elles ne sont pas consciemment utilisées par les individus. En
15
Perception des risques par le public et les experts.
29
regroupant les différentes variables retenues, Slovic et ses collaborateurs ont formellement
mis en évidence trois dimensions principales dans la perception du risque (cf. tableau n°1 cidessous) : la première constitue le coefficient d’effroyabilité (perceived dread), la seconde
correspond à la connaissance du risque (unknown hazard). La troisième dimension, de
nature quantitative n’est pas systématique ; il s’agit du nombre de personnes exposées au
risque.
RISQUE PERCU FAIBLE
RISQUE PEU CRAINT
Individuellement contrôlable
Réversible
Potentiel global non catastrophique
Pas effrayant
Conséquences non fatales
Equitable
Individuel
Naturel
A faible risque pour les générations futures
Exposition réductible
Décroissant
Exposition volontaire
RISQUE CONNU
Observable
Connu de ceux qui y sont exposés
Effets immédiats
Risque ancien – familier
Risque inconnu de la science
Risque faiblement médiatisé
RISQUE PERCU ELEVE
FACTEUR « EFFROYABILITE »
FACTEUR « CONNAISSANCE »
RISQUE CRAINT
Incontrôlable
Irréversible
Potentiel global catastrophique
Effrayant
Conséquences fatales
Inéquitable
Collectif
Du à l’action humaine
A haut risque pour les générations futures
Exposition non réductible
Croissant
Exposition non volontaire
RISQUE INCONNU
Non observable
Inconnu de ceux qui y sont exposés
Effets différés
Nouveau risque – non familier
Risque connu de la science
Risque fortement médiatisé
FACTEUR « ETENDUE DU RISQUE »
Peu de personnes exposées
Beaucoup de personnes exposées
Tableau 1 : Détermination du risque perçu et du risque acceptable à partir des critères subjectifs
Les deux premiers groupes de facteurs ont permis de dégager une « carte cognitive »
des risques (voir figure 1 ci-après) qui traduit l’univers des évaluations, traité par l’analyse
factorielle. Cette cartographie des perceptions peut être représentée comme un espace du
risque à deux dimensions principales : l’axe vertical renvoie aux facteurs liés à la
connaissance du risque ; l’axe horizontal représente le niveau de crainte (ou coefficient
d’effroyabilité).
On constate que les risques peu redoutés sont ceux pratiqués au quotidien. C’est le
cas par exemple des risques liés à un traitement thérapeutique (aspirine, valium,
contraceptifs, antibiotiques, etc.). Le sentiment de maîtrise individuelle explique en partie la
minimisation de ces risques.
30
Ris
qu
es
n
o
n
r
e
Risques redoutés
Risques non redoutés
Risques inconnus
R
is
q
u
e
s
Risques connus
Figure 1 : Représentation graphique des perceptions
2.2.
Perceptions des bénéfices et l’ajustement sur le risque acceptable
En 1982, Slovic et al., entreprennent une étude comparative de 90 situations
impliquant des activités risquées (des risques technologiques et des risques naturels). Au
total, 18 caractéristiques sont évaluées pour chaque risque. Pour chacun de ces risques, les
sujets doivent évaluer16 le risque perçu de mort et les bénéfices perçus. En outre, les sujets
doivent indiquer s’il convient d’ajuster le risque perçu sur le risque acceptable.
Cette étude conduit à la conclusion suivante : le risque perçu est en relation inverse
avec les bénéfices attendus. Une activité risquée est perçue d’autant moins grave qu’elle
procure plus de bénéfices. Les individus « contrôlent » les effets de cette relation en faisant
référence à une valeur optimale d’équilibre entre risques et bénéfices : le risque acceptable.
La « quantité » subjective de bénéfice doit être trois fois plus importante que la « quantité »
subjective de risque (Slovic, 1987). « En d’autres termes, cela signifie que les dividendes à
obtenir en contrepartie de l’acceptation du risque sont élevés. Ils ne sont généralement pas
atteints, ce qui amène de nombreuses personnes à estimer que les niveaux des risques
sociétaux les plus courants sont anormalement élevés à l’égard des facilités qu’offrent les
activités qui les engendrent » (Cadet et Kouabénan, 2005, p. 20). Ceci explique la tendance
des profanes à percevoir comme « inacceptable » la plupart des risques. La transfusion
sanguine et les risques qui y sont associés illustrent bien cet aspect. Le drame de la
contamination des hémophiles et des personnes transfusées par le virus du sida a entraîné
16
Sur une échelle d’évaluation de 0 à 100.
31
le classement du risque transfusionnel infectieux dans la catégorie « effroyable » (Hergon et
al., 2004). En effet, on peut constater que ce risque comportait les éléments suivants :
exposition involontaire des individus et caractère injuste17.
Paul Slovic (1987, 1998) retient un ensemble d’aspects (issus des trois dimensions
précédemment évoquées) que mobilise le profane pour juger de l’acceptabilité d’un risque.
Les conditions de l’acceptabilité sont les suivantes :
-
la possibilité de contrôler individuellement le risque ou non ;
-
le caractère volontaire ou subi du risque ;
-
le caractère juste ou injuste du risque ;
-
le caractère connu ou mystérieux du risque ;
-
l’ampleur des conséquences du risque : immédiates ou différées à long terme ;
-
le plus ou moins fort « potentiel catastrophique » du risque : nombre de personnes
concernées ;
-
le degré de confiance envers les autorités et les experts.
Les études psychométriques ont notamment permis d’expliquer l’aversion particulière
des individus pour certains risques, leur indifférence à d’autres, ainsi que les contradictions
entre ces réactions et l’opinion des experts. De façon générale, ces analyses ont démontré
que la perception du risque est fortement influencée par le facteur qui regroupe des
éléments autour de l’effroyabilité. Les risques considérés à la fois comme effrayants et
incompréhensibles par le public sont moins bien acceptés par la société et susciteraient une
forte demande de réglementation.
Ces analyses ont également mis en évidence des corrélations étroites entre plusieurs
dimensions pour de nombreux dangers, par exemple entre les risques volontaires, connus,
et contrôlables ou entre l’impact à long terme et le potentiel catastrophique.
17
Ce risque était produit par certains et supporté par d’autres et comportait des conséquences fatales
et irréversibles.
32
L’évaluation du risque par les citoyens n’est pas irrationnelle et injustifiée, mais au
contraire guidée par une rationalité différente de celle des experts d’ordre « informelle »,
« implicite », « intuitive » (Fischhoff et al., 1978). La perception du risque dépendrait de
l’interaction complexe de variables psychologiques, étroitement combinées à des facteurs
d’ordre social, culturel, éthique, émotionnel, symbolique et affectif (Fischhoff et al., 1978 ;
Slovic, 1992). Néanmoins, ces travaux ont été jugés insatisfaisants d’un point de vue
sociologique. Selon Peretti-Watel (2000), nous ne nous contentons pas de percevoir les
risques, qui d’ailleurs échappent bien souvent à nos sens ; nous les construisons, nous en
élaborons des représentations. A ce titre, il souligne l’intérêt de raisonner en termes de
représentation plutôt que de perception du risque. Pour Mary Douglas (1982), la sélection
des risques (en craindre certains et en ignorer d’autres) opérée par l’individu est largement
déterminée par sa position sociale et son système de valeur. Il y aurait autant de
représentations du risque que de positions et de trajectoires sociales (Peretti-Watel, 2000).
Aussi, une décision individuelle ne peut être considérée en dehors de son contexte
organisationnel et des contraintes que ce dernier fait peser sur l’individu (Simon, 1957). Les
travaux en sciences sociales permettent de s’extraire d’une approche strictement centrée sur
l’individu pour considérer les logiques sociales de gestion de la santé et du risque, en
prenant notamment en compte les contextes sociaux et relationnels comme des instances
déterminantes dans la formation des réponses aux risques.
33
PARTIE III
LES LOGIQUES SOCIALES DE GESTION DU RISQUE
Dans le modèle de l’acteur rationnel et calculateur, la conscience du risque doit aboutir
à des comportements orientés vers la santé. Pourtant, un certain nombre de recherches ont
mis en évidence l’écart entre les conceptions élaborées par les acteurs sociaux et la
définition objective, probabiliste du risque telle qu’elle est appréhendée par les experts. En
mettant l’accent sur les modalités de construction sociale du risque, ces chercheurs adoptent
un point de vue relativiste.
« La rationalité absolue – au sens d’utilité attendue – ne constitue que l’une des
composantes de la réalité et d’autres modèles de rationalités intégrant des éléments sociaux
– normes, valeurs, contraintes, ressources, etc. – doivent être pris en compte» (BurtonJeangros, 2004, p.61). Ainsi, par l’élaboration de significations sociales du risque, le profane
cherche à réduire la complexité des situations potentiellement à risques (Perrow, 1984). De
ce fait, « l’individu transforme le discours scientifique en une construction socialement
acceptable des risques qu’une collectivité veut prendre » (Burton-Jeangros, 2004).
La rationalité profane s’explique d’une part par la mise en œuvre de stratégies de
gestion de la santé et du risque spécifiques. D’autre part, elle repose sur des conceptions
socioculturelles du risque diverses, provenant d’une multitude de sources d’informations.
1
Stratégies sociales de gestion de la santé et du risque
« Dans des sociétés individualistes comme le sont les sociétés occidentales, la gestion
des risques sanitaires par les personnes est un impératif. Elles sont en effet
responsabilisées et le blâme est porté sur elles si elles sont réticentes à abandonner leurs
conduites à risque pour adopter des comportements de santé dont la rationalité apparaît
évidente » (Paicheler, 2007).
La responsabilisation évoquée par Geneviève Paicheler atteint son paroxysme lorsque
le profane adopte l’attitude « réflexive » développée par Beck (1992) pour remettre en
question les énoncés scientifiques tels que les données épidémiologiques, ou encore
34
contester les recommandations du médecin en mettant en œuvre une automédicalisation18.
Parfois, on assiste au développement de ce que Brown (1992) a nommé l’“épidémiologie
populaire”, qui traduit la mobilisation de citoyens pour faire reconnaître, évaluer et obtenir la
mise en œuvre de mesures de prévention de risques sanitaires non reconnus.
Si l’individu tend à adopter de plus en plus souvent cette posture de l’expert, sa
démarche centrée sur l’expérience19, sa façon d’appréhender le risque, les significations qu’il
construit, sont indissociables de la prise en compte de diverses dimensions qui dépassent
l’ordre du biologique car elles sont élaborées selon des logiques propres. Par conséquent,
les stratégies sociales de gestion de la santé et du risque, plus ou moins explicites
s’éloignent très souvent des normes épidémiologiques.
1.1. Inscription sociale des conduites sanitaires profanes et stratégies de
gestion de la santé
Un certain nombre d’éléments sont des paramètres incontournables pour accéder à
une meilleure compréhension de l’inadéquation des pratiques sanitaires profanes avec les
attentes du modèle médico-épidémiologique.
1.1.1. Rapport à la santé, au corps, aux institutions médicales
En premier lieu, les conduites sanitaires profanes s’expliquent en grande partie par le
type de rapport que l’individu entretient avec la santé et le corps. A l’issue d’une étude
auprès de 80 individus, Herzlich (1992) a analysé la complexité des notions développées
par les profanes à l’égard de la santé. Elle distingue trois formes de représentations de la
santé. En premier lieu, la « santé vide » signifie que la santé ne prend sens que dans
l’irruption de la maladie. Le manque de conscience de soi et de son corps caractérise les
individus manifestant ce type de représentations. En second lieu, le « fond de santé » est
associé à l’idée selon laquelle la santé n’est pas un état mais un capital qui constitue la
résistance individuelle à la maladie, à la fatigue. Enfin, la « santé équilibre » renvoie à un
idéal de l’autonomie et du bien être à atteindre. Par ailleurs, de nombreux travaux ont porté
18
Cette automédicalisation repose sur des informations recueillies très souvent sur internet ou dans
des ouvrages.
19
La recherche de Michelle Proulx sur l’hypertension artérielle met en évidence le travail de
construction de sens chez l’individu. L’hypertension artérielle définit un trouble qui ne manifeste aucun
symptôme et par conséquent qui n’est perceptible que par le médecin. En interrogeant le patient sur la
maladie (réception du diagnostic, compréhensions du risque de complications, causes attribuées à la
survenue de l’affection etc.), cette étude qualitative a mis en évidence l’écart entre le discours savant
et le discours profane.
35
sur les explications données par les individus pour expliquer l’origine de la maladie. Dans les
années 50, Heider proposait l’opposition entre causalité interne (expliquer la survenue d’un
événement à des facteurs qui dépendent de soi) et causalité externe (attribuer la survenue
d’un événement à des facteurs que l’on ne contrôle pas : hasard, chance, destin, etc.).
Aussi, l’anthropologie a étudié les modèles étiologiques qui oscillent entre ces deux pôles :
les explications exogènes privilégient les facteurs extérieurs (environnement physique et
social) et par opposition le modèle endogène met l’accent sur l’individu (stress, style de vie).
Les représentations du corps ont aussi un impact dans la manière de gérer sa santé.
Douglas et Calvez (1990) ont mis en évidence quatre conceptions différentes du corps et de
sa vulnérabilité dans le cadre d’une étude sur les attitudes et les comportements à l’égard du
sida. L’élaboration de cette typologie permet d’expliquer l’échec relatif des campagnes de
prévention. Le schéma n°2 ci-dessous permet d’identifier les quatre types :
CORPS TRES PERMEABLE, TRES VULNERABLE
Toutes les maladies sont très contagieuses
Pourquoi se protéger si le corps peut être facilement contaminé ?
CORPS PERMEABLE A CERTAINS POINTS D’ENTREE
Ces individus doivent prendre soin de leur corps en surveillant ces points d’accès
pour éviter l’infection
Responsabilisation de l’individu et meilleure sensibilité aux campagnes de
prévention
CORPS TRES RESISTANT
Auto régulation du fonctionnement interne
Excellent système immunitaire
Pas nécessaire de se protéger contre les maladies infectieuses
CORPS PROTEGE PAR UNE DOUBLE ENVELOPPE, PHYSIQUE ET SOCIALE
L’individu doit faire preuve d’une double vigilance, de lui et de son
groupe. Les individus focalisent davantage sur les porteurs de virus que sur le virus
lui-même.
Schéma n°2 : Typologie des conceptions du corps
36
Enfin, des chercheurs ont souligné le rôle de la confiance20 accordée aux autorités,
aux experts, aux institutions médicales (Peretti-Watel, 1999, 2000, 2001 ; Burton-Jeangros,
2004 ; etc.). L’attitude du profane à l’égard des experts est marquée par un « mélange de
déférence et de scepticisme, de confort et de crainte » (Giddens, 1994, p.96). Dans le
domaine médical, cette forme de défiance vis-à-vis des systèmes experts s’est développée
en réaction à la médicalisation croissante de la société. Dans une étude sur les cultures
familiales du risque, Claudine Burton-Jeangros (2004) s’est attachée à mesurer la proximité
des répondants avec les institutions médicales. Si 58% des sujets ont une proximité
importante avec la science, 42% expriment une position plus nuancée. Chaque année le
baromètre IRSN21 questionne le public sur le danger, la confiance et la vérité. Il s’agit de
points intimement liés qui contribuent à la formation des opinions sur les risques. Les
résultats 2009 montrent que les Français sont toujours aussi exigeants vis-à-vis de
l’expertise scientifique : « Ils attendent d’un expert qu’il produise des résultats robustes, qu’il
soit ouvert et transparent ». Néanmoins, l’enquête contredit l’idée d’une crise de
confiance dans la science et les experts : neuf français sur dix font plus ou autant
"confiance en la science qu’il y a dix ans" ; trois sur cinq sont d’accord avec l’idée que "les
décideurs politiques ne s’appuient pas assez sur les experts scientifiques" et 58% des
personnes interrogées déclarent avoir une bonne opinion des experts.
Pour Peretti-Watel, la confiance est un déterminant important de l’acceptabilité d’un
risque : « le public accepte davantage un risque s’il juge que les autorités qui le gèrent sont
compétentes, et ne dissimulent pas des informations alarmantes » (1999, p. 27-28). En
outre, cette confiance serait inégalement répartie dans la société ce qui génèrerait des
inégalités sociales quant à l’acceptabilité d’un risque.
Au final, malgré une médicalisation croissante de la société, subsiste une diversité des
rapports à la santé et aux institutions qui traduit une certaine autonomie du profane face aux
discours experts.
1.1.2. Relativité de l’objectif de santé chez le profane
Des chercheurs anglais ont apporté des explications aux décalages entre les conduites
sanitaires profanes et les discours d’éducation à la santé et ont mis en évidence la relativité
de l’objectif de santé chez le profane (Backett ,1992). Le fait d’être conscient de la menace
20
Pour Giddens (1994, p.41), « la confiance est un sentiment de sécurité justifié par la fiabilité d’une
personne ou d’un système, dans un cadre circonstanciel donné, et cette sécurité exprime une foi dans
la probité ou l’amour d’autrui ou dans la validité de principes abstraits (le savoir technologique) »
21
Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire.
37
ne conduit pas nécessairement les individus à ajuster leurs pratiques. Les individus ne
présentent pas d’orientation préventive générale (Aïach et Cèbe, 1992 ; Blaxter, 1990 ;
Harris et Guten, 1979) et évoluent entre des réalités multiples et des contraintes pouvant
entraver la concrétisation de certains objectifs de santé. En effet, les priorités de la vie
quotidienne limitent le choix ou la liberté par rapport à certaines pratiques. Ainsi, un
ensemble de paramètres entrent en ligne de compte, tels que les interactions, les contextes
sociaux et les normes en vigueur au sein de ces derniers.
Au final, la recherche de la santé varie en fonction des domaines concernés et de
multiples considérations. Comme l’a souligné Claudine Burton-Jeangros (2004, p. 32), « la
recherche
de
la
santé
peut
se
révéler
incompatible
avec
d’autres
aspirations
quotidiennement négociées. L’idée selon laquelle la santé constitue une valeur suprême doit
être relativisée, au profit d’un examen des conditions dans lesquelles d’inévitables
compromis se mettent en place ».
Par exemple, la recherche du bénéfice immédiat est une stratégie profane assez
courante. Le maintien d’une pratique sanitaire néfaste ne traduit en aucun cas une carence
cognitive de l’individu. L’individu peut être tout à fait conscient qu’il pratique un
comportement à risque mais choisir de l’entretenir en raison du bien être, du plaisir ou de la
reconnaissance sociale qu’il procure. Par conséquent, la dimension temporelle et le rapport
à l’avenir, variables selon les individus et les groupes sociaux, sont des déterminants
importants des évaluations profanes. L’individu a tendance à privilégier le court terme, en
particulier pour justifier des bénéfices immédiats que certaines pratiques procurent (Backett,
1992).
Ainsi, les stratégies sociales de gestion de la santé procèdent d’une rationalité
spécifique, différente du modèle professionnel de santé publique. En outre, comme l’ont
montré les études psychométriques, le fossé se creuse entre la perception profane du risque
et celle de l’expert. Ce décalage s’explique par la peur que suscitent les situations
potentiellement à risque. Afin de vivre avec le risque, d’y faire face, et donc de le gérer,
l’individu développe des stratégies de mise à distance.
38
1.2.
L’aversion au risque et les stratégies de mise à distance
L’aversion au risque est un trait essentiel de la psychologie de l’agent économique. (cf.
supra, la Théorie de l’Utilité Espérée). Dans le sens commun, cette notion traduit un
évitement du risque lié à l’incertitude et donc à la peur qu’il suscite. La notion de peur,
relevant du domaine l’émotionnel, voire de l’irrationnel, traduit une « exacerbation du risque
perçu » (Burton-Jeangros, 2004). Ainsi, chez le profane les notions de peur et de risque se
recouvrent largement. C’est pourquoi les estimations du risque par les individus, guidées par
ce sentiment de peur, sont souvent erronées. Néanmoins, un certain nombre d’études ont
montré que lorsqu’on demande à un individu d’évaluer le risque pour lui-même, son
estimation se distancie de celle effectuée pour la collectivité à laquelle il appartient.
Autrement dit, l’individu tend à sous-estimer l’ampleur du risque personnel.
Ce phénomène est le résultat de stratégies de mise à distance du risque par le
profane. Bien que l’individu ait conscience des risques et des conséquences potentiellement
importantes, celui-ci se considère systématiquement comme moins en danger que ses pairs.
Ce sentiment d’invulnérabilité traduit un biais d’optimisme irréaliste (Weinstein, 1982). Il a été
observé dans différents contextes tels que le risque routier (Peretti-Watel, 2000), l’industrie
(Duclos, 1987) ou le risque en santé (Burton-Jeangros, 2004). Cet aspect traduit un besoin
de sécurité, un sentiment d’ « immunité subjective » (Douglas, 1985) qui constituerait un
moyen de rendre le monde immédiat plus sûr qu’il ne l’est en réalité. Cette tendance est
accentuée par les frontières entre groupes sociaux : en identifiant un profil de victime
potentielle, en rejetant le risque sur des « boucs émissaires » l’individu s’en démarque. Cette
sélection victimaire (Girard, 1982 ; Peretti-Watel, 1999), cette attribution sociale du risque
(Calvez, 2004) reposent sur la désignation de « groupes à risques ». Le sida constitue un
exemple révélateur de ce type de mécanisme de dénégation du risque : la tendance à
associer le virus à des groupes sociaux clairement définis et distants (homosexuels,
drogués) entretient cette protection symbolique vis-à-vis du risque. A cet égard et afin
d’éviter ce phénomène, les discours de santé publique relatifs à la prévention du sida ont
finalement substitué à cette notion de « groupes à risques » celle de « comportements à
risque ».
D’autre part, le sentiment de maîtrise individuelle conduirait également les
individus à relativiser le danger pour eux-mêmes, à le mettre à distance. A titre d’exemple,
les enquêtes sur les perceptions du risque révèlent que de façon générale, les individus
craignent davantage les accidents d’avion que les accidents de la route. Alors que le
39
passager d’avion est impuissant, l’individu a le sentiment de contrôler son véhicule. BurtonJeangros (2004) qualifie de « risques maîtrisables » une catégorie de risque (obésité,
dépression, crise cardiaque) faisant référence à des situations pouvant dépendre d’une
certaine hygiène de vie. Ainsi, les menaces pouvant être réduites à ses propres conduites ou
à son style de vie, sont généralement évaluées comme moindres au niveau personnel car
considérées par le sujet comme étant sous son propre contrôle.
Enfin, la mise en perspective des risques les uns par rapport aux autres est une
façon d’établir des priorités et de relativiser certains risques (notamment ses propres
pratiques à risque) en comparaison avec d’autres. Cette minimisation du risque par
hiérarchisation a été mise en évidence dans une étude sur le VIH auprès d’homosexuels :
Lowy et Ross (1994) ont noté l’établissement d’une hiérarchie entre des « risques
acceptables » et des « risques significatifs ». Les premiers font référence à des relations
sexuelles relativement sûres tandis que les seconds renvoient à des situations à risque
élevées.
Ces phénomènes de mise à distance du risque, de minimisation ou de relativisation du
danger, représentent autant de stratégies d’ajustement (ou « coping », voir infra) – plus ou
moins conscientes – de gestion des risques. Autrement dit, elles permettent au profane
d’intégrer l’incertitude dans son quotidien. Le risque est perçu comme moins menaçant.
Selon Peretti-Watel (1999), le sentiment de pouvoir faire face au risque (maîtrise individuelle)
ou au contraire de s’y soustraire (sélection victimaire) permet d’envisager le risque comme
évitable et de le rendre plus acceptable.
1.3. Exemple d’une typologie des logiques profanes de gestion de la santé et
du risque (Burton-Jeangros, 2004)
Cette sociologue suisse a réalisé une étude auprès de mères ayant de jeunes enfants,
âgés de 7 à 8 ans. Elle se fonde sur 1300 questionnaires et une cinquantaine d’entretiens.
Les situations à risque proposées sont la maladie de Creutzfeldt-Jakob, les accidents de la
route, le cancer du poumon, le cancer du sein et les abus sexuels.
L’objectif de ce travail était de mieux comprendre les logiques profanes de gestion de
la santé et des risques. Les stratégies individuelles de gestion des risques ne correspondent
pas toujours aux normes de santé publique. Ces dernières sont communiquées à travers un
« discours professionnel » qui constitue une forme de régulation sociale de l’ensemble de la
40
population. Néanmoins, la diffusion sociale de ce message n’est que partielle puisque les
individus élaborent leur propre modèle de gestion des risques.
Les résultats de l’étude l’ont conduite à élaborer une typologie empirique qui distingue
quatre formes de culture du risque qui renvoient à des modèles différents de gestion de la
santé et du risque. Le tableau 2 ci-contre indique les différents paramètres pris en compte
pour établir cette typologie. Ils se regroupent autour de trois axes conceptuels : le rapport à
la santé (perception de l’état de santé; niveau de santé psychosociale ; définition de la
santé ; sources de la santé) ; les représentations du risque (sentiments de peur vis-à-vis des
risques, niveau d’information sur les risques, jugement de ses propres pratiques à risque), et
les pratiques de santé (examens préventifs réguliers , etc.).
Jugement de l’état de
santé
*excellent
Modèle
« expert »
Modèle de
l’extériorité
Modèle de
l’égocentrisme
+
-
-
62%
23%
28%
Modèle de
réflexivité
+
le meilleur score
76%
+
-
+
+
67%
14%
63%
78%
Définition de la santé
*expressive
54%
45%
72%
62%
Sources de la santé
*endogène
18%
15%
20%
64%
Sentiments de peur
*modérés
56%
35%
62%
11%
Niveau d’informations
*suffisant
78%
70%
77%
82%
Risques faibles
80%
56%
Risques élevés
20%
Risques élevés
18%
Saines
Peu saines dans
presque tous les
domaines
Conduites à
risques
Conduites à
risques
Impuissance, peu
d’emprise sur leur
santé
Mise en
perspective de la
santé avec
d’autres valeurs
(épanouissement
de soi, émulation)
Peur de mal faire
Sentiment
d’isolement face à
des décisions qui
apparaissent
lourdes de
conséquences
Santé psycho-sociale
*bonne
Jugement de ses
propres risques
*nuls ou faibles
Pratiques sanitaires
Gestion des risques
Conforme à celle
de promotion de la
santé
Tableau 2 : Typologie des modèles de gestion des risques profanes en fonction des paramètres
retenus
41
Le Modèle « expert » correspond à la rationalité instrumentale (principes de
maximisation utilitariste). Ce modèle de gestion des risques correspond aux attentes des
professionnels. L’individu met en œuvre une rationalité de type positiviste (bonne santé,
proximité avec les institutions médicales, perceptions faibles du risque). Aussi, il engage des
moyens concrets (comportements de santé) et présente des attitudes (sentiment d’être bien
informé, craintes modérées) qui lui permettent d’atteindre le but visé, à savoir une bonne
santé. Autrement dit, le sujet a une stratégie pragmatique : la confiance en les normes
officielles des experts de santé publique permet à l’individu de limiter l’incertitude. Ce modèle
pourrait s’apparenter au profil du bureaucrate de Mary Douglas (1982)22.
Le Modèle de l’extériorité traduit une logique d’impuissance face à des éléments
externes menaçant la santé. Il se définit par l’absence de contrôle individuel, une conception
fataliste du monde. Autrement dit, pourquoi chercher à éviter les risques puisqu’ils sont
inévitables ? Ce modèle est marqué par un principe de causalité circulaire : l’individu engage
peu d’efforts de prévention dans la vie quotidienne parce que la santé lui apparaît impossible
à maximiser. La dégradation de la santé est aussi le résultat de l’attention moins grande
portée aux comportements de prévention. Ce modèle s’apparente au profil de l’exclusion de
la typologie « grid-group » de Douglas (1982).
Le Modèle de l’égocentrisme caractérise des individus qui favorisent des principes
ou des valeurs égocentriques qui seraient à leurs yeux plus importants que les éventuelles
conséquences de leurs actes. La recherche du bénéfice immédiat génère souvent des
comportements à risque.
Le Modèle de réflexivité est la version réflexive du modèle expert. L’individu accorde
une grande importance aux sources endogènes de la santé associée à des sentiments de
peur élevés. Il se caractérise par le refus de quantifier les risques en raison du scepticisme
envers les experts. De plus, l’individu est dépassé par sa volonté de faire reposer sa santé
sur des choix personnels. Ce modèle renvoie à une véritable stratégie de l’inadéquation. Par
la place accordée à l’incertitude, cette rationalité serait typique de la modernité réflexive
évoquée par Beck (1992) et Giddens (1991).
Au final, ces différentes cultures du risque se superposent partiellement au discours
scientifique, ce qui confirme que les normes épidémiologiques occupent une place non
22
La typologie de Mary Douglas (1982) est développée dans la partie suivante sur les conceptions
socioculturelles du risque.
42
négligeable dans la société. En effet, une partie de la population adopte une conception
probabiliste de la santé et de la maladie (modèle expert). Cela se traduit par une
relativisation des dangers, en particulier parce qu’ils adoptent des pratiques globalement
favorables à la santé. Leur conception du risque est donc associée au sentiment de maîtrise
de l’environnement. Dans ce cas précis, on assiste à un succès des stratégies de prévention
moderne. En revanche, dans d’autres segments de la population, l’ampleur des sentiments
d’impuissance et de vulnérabilité empêche l’adoption d’un mode de gestion probabiliste de la
santé (modèle de l’extériorité). L’explication apportée repose sur deux pistes de réflexion.
D’une part, l’inégalité des individus face à la santé traduit une exposition différentielle des
individus à divers dangers (Peretti-Watel, 1999). D’autre part, la résistance de certains
groupes sociaux à la prévention est imputable aux décalages culturels entre des systèmes
de valeurs distincts (Douglas, 1982) : ceux sous-jacent au discours de prévention et ceux
tenus par les profanes. Claudine Burton-Jeangros (2004) est allée au-delà de cette vision
dichotomique des cultures du risque en proposant ces deux autres modèles, soit de
l’égocentrisme et de la réflexivité.
Si les stratégies sociales de gestion de la santé et du risque témoignent de la
singularité de la rationalité profane, celle-ci repose également sur des « discours », des
« savoirs » élaborés, construits par le profane, par la mise en perspective de différentes
sources. Il existe une multiplicité de savoirs profanes qui dépendrait largement du groupe
social d’appartenance. Ces discours, ces conceptions du risque servent ensuite de référence
à l’individu pour agir, pour se comporter face à une situation aversive.
Des chercheurs issus de disciplines variées, telles que la sociologie, la psychologie ou
encore l’anthropologie, ont appréhendé la construction de cette rationalité profane,
notamment en établissant des liens entre la réponse au danger et les influences
psychologiques et sociales. Mary Douglas (1982) et Roger Kasperson (1988) ont construit
un modèle relationnel entre la perception et l’acceptation du risque, et les facteurs
psychologiques et socioculturels. L’examen approfondi de ces recherches présente un
intérêt considérable dans la mesure où elles permettent de dégager un certain nombre de
déterminants de la perception et de l’acceptation d’un risque.
2
Les conceptions socioculturelles du risque
Les conceptions socioculturelles du risque s’élaborent et se construisent à travers un
processus cognitif qui intègre et organise les informations (données formelles ou informelles)
provenant de différentes sources (discours professionnel, médiatique, social) en vue
43
d’aboutir à un ensemble cohérent d’informations pour faire face à la complexité des
situations à risque. Ces mécanismes de sélection et d’interprétation des informations
relatives au risque sont inévitables et s’opèrent dans la vie quotidienne (Douglas, 1985), que
ce soit par le biais des valeurs véhiculées par le groupe social d’appartenance, de
l’entourage social, de l’expérience personnelle du risque ou encore des médias (Douglas,
1985).
L’anthropologie culturelle permet de comprendre comment s’organisent les « pensées
complexes et disparates du risque » des institutions, qui les induisent, les gèrent ou les
préviennent, et surtout des individus « épris d’aventure ou de sécurité » (Duclos, 1994,
p.345). Les travaux de Douglas (1982) et de Wildavsky (1982), Thompson (1983, 1990), ou
encore ceux de Rayner (1985) prennent le contre-pied des modèles rationalistes et
individualistes
proposés
par
l’approche
technique
des
risques
et
le
paradigme
psychométrique. Cette approche tente également d’apporter des réponses à la question de
l’incohérence des perceptions et des attitudes individuelles face aux risques.
La perception du risque en sociologie et en anthropologie met l’accent sur l’influence des
contextes sociaux et culturels. La culture fournit un cadre de perception spécifique, qui
détermine la façon d’appréhender le monde, d’interpréter les informations, et aussi la façon
d’évaluer le risque (Perreti-Watel, 2001).
2.1.
Contextes de vie, interactions d’acteurs, visions du monde
Les normes et valeurs issues d’un contexte social particulier participent à la
construction d’une hiérarchie particulière des dangers. De ce fait, la théorie culturelle de
Mary Douglas postule que la perception du risque est elle-même étroitement dépendante de
la position des individus dans la société.
« En choisissant un mode de vie, nous choisissons également de courir certains risques.
Chaque forme de vie sociale a son propre portefeuille de risques. Partager les mêmes valeurs, c’est
aussi partager les mêmes craintes, et inversement les mêmes certitudes » (Douglas et Wildavsky,
1982, p. 8).
L’analyse culturelle du risque soutient l’émergence d’une culture commune du risque
qui repose sur un certain nombre de normes et de croyances partagées par les membres du
groupe qui tendent à faire banaliser ou au contraire sur-évaluer le risque. Il s’agit de
principes et de visions du monde, produits par les interactions et le partage des expériences
44
notamment, qui sont mobilisés par les individus en vue de revendiquer des conduites à tenir
et afin de justifier les actions entreprises. Ces principes culturels contribuent à la formation
des institutions sociales qui définissent des manières de faire et d’être plus ou moins
stabilisées par l’usage. Les individus associent les situations dans lesquelles ils se trouvent à
l’expérience qu’ils ont de la structure sociale, appréhendée comme un cadre d’orientation et
de contrainte de l’action sociale dans un contexte d’incertitude et de danger.
En partant d’une approche anthropologique des croyances relatives aux dangers et
aux interdits, Douglas et Wildavsky (1982) ont mobilisé cette perspective de recherche pour
étudier la sensibilité contemporaine aux risques de l’environnement. Ces derniers
s’intéressent aux risques qui font l’objet d’un débat public impliquant des protagonistes
organisés et aussi différents que les communautés d’écologistes, les entrepreneurs, les
ingénieurs, ou les bureaucrates des grandes institutions américaines de contrôle, de
prévention ou de protection. Selon eux, la logique profonde de notre rapport à la menace, au
danger, au calcul, à la chance, est influencée par notre position sociale, notre insertion
subjective et pratique dans les institutions, et par notre système de valeurs (Duclos, 1994, p.
347). Or, pour Douglas, la position d’un groupe au sein de la société et les valeurs, les
façons de penser de ce groupe sont étroitement liées. Pour rendre compte de son approche,
elle a construit une typologie qui vise à résumer la diversité des structures sociales par un
classement sur deux dimensions : il s’agit du modèle grid / group. Douglas s’appuie surtout
sur des types organisationnels ou professionnels.
2.1.1. Typologie des structures sociales : le modèle « grid-group »
Dans le modèle « grid-group », la dimension « grid » renvoie aux limites externes du
groupe par rapport à l’ensemble de la société et permet ainsi de définir la collectivité
d’appartenance. La dimension « group » fait référence à la structuration interne du groupe,
au degré de hiérarchisation entre les membres du groupe (opportunité de négociation libre
ouverte aux membres individuels). Autrement dit, Douglas définit la prescription ou non des
rôles sociaux. Ces deux dimensions séparent l’espace social en quatre segments (cf.
schéma 3 ci-après) et permettent d’identifier quatre types de contextes sociaux qui orientent
et contraignent les possibilités d’action des individus et les justifications qu’ils mobilisent. Par
conséquent, les perceptions du risque sont censées varier d’un segment de la société à
l’autre. Les quatre types de perception du risque sont les suivants :
45
DEGRE DE CONTROLE
Exercé par le groupe sur la vie de ses membres
« Grip » ou Structuration interne
+
DEGRE DE DISTINCTION
D’un groupe d’individus par
rapport à son environnement
« Group » ou limites externes
Bureaucrates
Exclus
Dépendants
_
+
Individualistes
Entrepreneur
Egalitaires
Enclave, secte
_
Schéma 3 : Les quatre pôles de l’analyse culturelle
-
Le type bureaucrate (administrateurs, politiciens, technocrates), appelé aussi
structure hiérarchique, fait référence à un univers très compartimenté et contraignant
au sein duquel les individus ont une aversion au risque élevée dans la mesure où ils
accordent une grande importance aux règles et aux recommandations scientifiques
afin de fuir la réprobation sociale. Autrement dit, la mobilité est faible et les opinions
individuelles étroites ;
-
Le type égalitaire, proche des mouvements écologiques, traduit un monde où l’on
prône un idéal d’égalité. Il se démarque des autres segments (fort degré de
distinction de ce groupe par rapport aux autres) par son importante motivation,
notamment dans la perspective d’atteindre le risque zéro ;
-
Le groupe des exclus (ou structure de subordination sociale) s’identifie par une
importante hiérarchie interne mais une faible différenciation par rapport aux autres
segments de l’espace social. Les membres de ce groupe présentent une vision des
risques plus fataliste et passive. En effet, ils se contentent d’exécuter, sans se
mobiliser et sont peu solidaires ;
-
Enfin, les individualistes nommés aussi entrepreneurs se caractérisent par un
certain goût du risque qui s’explique aussi par la concurrence en vigueur au sein du
groupe. Seul responsable, l’individu qui prend des risques est aussi celui qui en
perçoit les bénéfices.
46
2.1.2. Apports et limites du modèle « grid-group »
Cette typologie des contextes sociaux est un instrument de recherche pour la théorie
culturelle. De la même manière que les idéaux-types, elle procure des modèles rationnels
pour donner une intelligibilité aux variations des perceptions et des conduites sociales. En
conséquence, ce modèle permet de construire une explication sociologique des perceptions
du risque en les rapportant à des modes différenciés de relations sociales. L’attachement à
un mode de vie et de relations induit des biais dans les façons de percevoir l’environnement
et de réagir aux problèmes. Ce courant relativise l’idée d’une spécificité des dangers dans le
monde moderne soutenue par l’approche technico-rationnelle et prône l’idée selon laquelle
les risques sont socialement construits. Les individus mobilisent diverses logiques
argumentaires qui sont en étroite dépendance avec les préférences qu’ils manifestent pour
un type donné d’institution sociale.
Cette grille d’analyse a su rendre compte de la diversité et de la complexité des
positions des acteurs sociaux face aux situations à risque. Néanmoins, elle a été peu testée
empiriquement. En effet, Douglas n’a jamais élaboré de questionnaire pour valider sa
typologie « grid-group ». En revanche, Wildavsky (1990) a construit un questionnaire en vue
de la validation empirique de la théorie culturelle, qui, au final, ne s’est pas révélé très
convaincant (Perretti-Watel, 2000). Dans l’analyse des risques de santé, Gabe (1995) met
également en évidence la faiblesse des tentatives d’application empirique de la théorie
culturelle effectuées à ce jour. Enfin, après l’utilisation de ce modèle pour rendre compte des
attitudes à l’égard des risques de santé liés à une activité professionnelle et à la conduite
routière, Bellaby (1990) considère qu’il est trop statique. En effet, il est incapable de rendre
compte des changements de perceptions à l’égard du risque au cours d’une vie.
2.2. Les vulnérabilités sociales et culturelles face aux risques : l’exemple du
SIDA
De la psychanalyse aux contextes socioculturels, divers cadres de référence sont
mobilisés pour rendre compte des réponses apportées aux risques de transmission du VIH.
De manière générale, l’analyse des conduites à l’égard des risques utilise des indicateurs
sur les connaissances relatives au sida et à la prévention ainsi que des indicateurs
comportementaux23. En partant de la définition épidémiologique des risques, ces analyses
expliquent les désajustements entre les connaissances et les conduites par les « fausses
croyances » ou « l’irrationalité des conduites ». Pour Marcel Calvez (1992), l’approche de la
théorie culturelle permet d’aller au-delà de cette vision comportementale en étudiant les
47
univers de significations dans lesquelles se meuvent les représentations et dans
lesquelles se forment les attitudes à l’égard des risques considérés, en tant qu’ils engagent
des logiques d’affiliation sociale. L’analyse culturelle des risques permet de rendre compte
des bonnes raisons24 qui conduisent les individus à ajuster ou non leurs conduites aux
représentations du risque et aux normes que véhicule la prévention.
Dans le cadre d’une recherche de l’ANRS (Agence Nationale de Recherche sur le
SIDA), Marcel Calvez (1992) a adopté une perspective de recherche qui fait appel à
l’analyse culturelle des risques. En identifiant la diversité des modalités d’accès et des
contextes socioculturels des personnes séropositives, cette recherche vise à mieux
comprendre le recours tardif aux soins. La notion d’accès tardif est définie à partir d’un cadre
médical, celui d’une bonne pratique qui permet un optimum de soins au bénéfice du patient.
Cet idéal de traitement médical (un dépistage précoce et un accès aux soins proche du
dépistage) se confronte à une diversité des trajectoires d’accès aux soins qui procède d’un
autre cadre de référence que le monde médical. Quelles sont alors les bonnes raisons qui
conduisent les personnes à consulter à un moment de l’évolution de leur maladie que le
médecin juge tardif ?
L’accès tardif aux soins ne s’explique pas par une mauvaise perception des risques du
sida puisque l’enquête a montré que 40% des individus interrogés sont en retard dans leur
itinéraire de soins malgré une perception des risques pertinente. Le recours aux soins, dans
le cadre du sida, dépend de la possibilité pour l’individu de se reconnaître comme preneur de
risques et de sa capacité à recourir au système de santé. Ces deux facteurs explicatifs de la
faiblesse du dépistage en lien avec les recommandations de la prévention, procèdent de
déterminations sociales. En référence à la théorie culturelle de Mary Douglas (1982), Marcel
Calvez (1992) les appréhende sur deux plans complémentaires :
La place dans la structure sociale : elle se mesure par les Professions et Catégories
Sociales et divers indicateurs de conditions de vie tels que le revenu et le logement ;
L’expérience sociale qui se mesure d’une part par les modes de participation sociale
(descripteurs extérieurs des modes de vie et types de réseaux auxquels l’individu prend
part : étendu, centré au niveau de la famille, etc.) et d’autre part par les caractéristiques
relationnelles du réseau telles qu’elles sont perçues par l’individu.
23
Il s’agit des enquêtes KABP (Knowledge, Attitudes, Beliefs, Practices).
Les individus sont capables de justifier leurs actes en les appuyant sur des arguments
convaincants, même s’ils ne sont pas forcément justes. Les individus ont toujours de bonnes raisons
de faire ce qu’ils font (Boudon, 2003).
24
48
Le premier facteur explicatif, à savoir la capacité des individus à recourir au système
de santé, dépend essentiellement de la place du sujet dans la structure sociale. En effet, il
s’agit d’un élément non négligeable pour expliquer la faiblesse du dépistage en lien avec les
recommandations de la prévention. L’étude souligne des usages différenciés du système de
soins. Autrement dit, les individus n’exploitent pas de la même manière les systèmes de
santé. Le second facteur - la possibilité pour l’individu de se reconnaître comme preneur de
risques - est en grande partie déterminé par le contexte relationnel dans lequel se trouve
l’individu et l’information sur la séropositivité qui y est diffusée. A ce titre, l’analyse du réseau
relationnel et de son inscription dans la structure sociale a montré que la confiance dans
l’entourage et la stabilité de celui-ci sont des indicateurs pertinents pour mesurer la diffusion
de sa séropositivité.
L’enquête a permis d’identifier deux types de réseaux relationnels au sein desquels
l’individu agit et mobilise les ressources qui l’environnent pour construire une action, en
particulier l’adoption d’un comportement de prévention. Par ressources, Calvez (2006) fait
référence aux réseaux sociaux par lesquels les conduites relatives à la santé se forment ou
l’information sur les risques et les soins circulent, mais aussi à la proximité avec le monde
médical et les capacités à faire appel aux services de santé. Les deux types de réseaux
relationnels identifiés se rapportent à deux des quatre contextes sociaux de la typologie grid
/ group de Mary Douglas (1982) : le contexte de subordination sociale et le contexte
individualiste. La différence entre ces deux contextes relationnels réside en la capacité de
l’individu à orienter ses conduites selon son intérêt. Dans le type individualiste ou « réseau
faible », l’individu peut agir selon son intérêt propre alors que le contexte de subordination
(ou « réseau fort ») correspond à des situations de domination sociale (liée à la migration, au
genre, au sous-emploi, etc.) et est associé à l’adhésion à des normes imposées. Dans ce
type de réseaux, la personne n’inscrit pas sa séropositivité car elle n’est pas en confiance. A
ce titre, il est fort probable que le sida soit perçu en tant que stigmate, ce qui justifierait le
silence sur son état et son incapacité à envisager une exposition au risque. A l’inverse, dans
le réseau faible ou contexte individualiste, la confiance est fondée sur un engagement
personnel. C’est pourquoi les individus ont plus de probabilités de parler de leur
séropositivité et d’envisager la possibilité d’une exposition aux risques.
L’objectif de cette étude a donc été d’analyser les filtres que chaque type de contexte
social peut engendrer dans la perception des risques et dans l’interprétation des
recommandations de la prévention. D’autres recherches ont mis en évidence l’importance de
la position sociale des individus. A titre d’exemple, Blaxter et Paterson (1982) ont montré
dans une étude écossaise que les femmes issues de milieux défavorisés minimisaient leurs
49
problèmes de santé en les définissant comme normaux dans leur milieu social, leur région
ou encore leur catégorie d’âge. Calnan et Williams (1991) considèrent cette sous-estimation
de la maladie chez les groupes socialement défavorisés comme le reflet de leurs attentes,
plus faibles que dans les milieux se situant en haut de l’échelle sociale. C’est pourquoi
l’impact de l’éducation à la santé varie en fonction de l’appartenance sociale de l’individu. Si
les messages de prévention sont intégrés dans tous les milieux, Calnan (1986) a montré
qu’en raison des contraintes et barrières structurelles limitant certains choix, la mise en
pratique est plus difficile en milieu défavorisé.
Par ailleurs, Morgan et Spanish (1985) ont également souligné l’importance de
l’expérience sociale (l’expérience vécue par le biais de l’entourage social) : les individus
observent et interprètent constamment le cas d’autres individus dans leur réseau personnel,
professionnel ou public. Ce mode relationnel de construction d’images des risques aboutit à
l’élaboration d’une « épidémiologie profane » (Davinson et al., 1991). Cette information de
seconde main, construite sur la base d’éléments concrets, s’oppose à l’incertitude du
discours expert. L’expérience antérieure du risque, qu’elle soit personnelle ou sociale, est
par conséquent un facteur déterminant dans l’appréciation de la vulnérabilité individuelle.
Celui-ci peut être plus opérant que la peur ou le niveau d’information (Calnan et Johnson,
1985).
Ainsi, en proposant un autre cadre d’analyse d’appréhension des risques, ces travaux
mettent l’accent sur la multiplicité des critères d’acceptabilité du danger. La théorie culturelle
apporte une contribution à l’analyse des risques de santé en s’interrogeant sur les
déterminants sociaux et culturels de la prise en compte de risques et d’incertitudes.
L’attitude vis-à-vis d’un risque n’est pas homogène et varie en fonction de l’appartenance à
divers groupes sociaux. Nous avons mis en évidence deux composantes principales du
savoir profane : une dimension expérientielle (expérience et interactions quotidiennes) et une
dimension plus « cognitive ». Cette dernière examine plus précisément le rôle joué par les
sources utilisées pour s’informer sur les risques. A travers la théorie de Kasperson (1988),
nous allons voir que l’influence des facteurs socioculturels et psychologiques est médiatisée
par divers canaux de communications, parmi lesquels les médias.
50
3
Les sources d’informations du risque
Nous avons vu précédemment que le profane appréhendait le risque, lui donnait du
sens selon les principes, valeurs et représentations du contexte social au sein duquel il
évolue. Or, ces différentes conceptions du risque circulent et sont véhiculées par une
multiplicité de canaux de communication. La communication joue donc un rôle prépondérant
dans la lecture du risque qu’opèrent les individus (Joffe, 2005). D’après les résultats de
l’Eurobaromètre 2010, pour 68% de la population française interrogée, la télévision est la
principale source d’information. Les répondants citent ensuite la presse écrite (43%). Les
amis et la famille (29%), ainsi que la radio (29%) arrivent en troisième position ; et 24% se
documentent via internet. Seul 9% des participants affirment utiliser les statistiques officielles
afin de s’informer sur les effets indésirables consécutifs à des soins de santé.
3.1.
Les stations émettrices d’information
3.1.1. Présentation du modèle SARF (Kasperson, 1988)
Roger Kasperson (1988) a présenté un modèle théorique, le SARF (Social
Amplification of Risk Framework) qui combine les aspects de la perception du risque et de la
théorie culturelle à ceux du champ communicationnel. Les signaux du risque (images,
symboles) interagissent avec des processus psychologiques, sociaux, institutionnels et/ou
culturels qui amplifient ou atténuent la conscience du risque (Joffe, 2005, p. 123). Le modèle
de Kasperson (cf. schéma 5, p 51) constitue un véritable processus de communication où
trois sources principales d’information sont mises en évidence: les expériences,
personnelles, la communication directe et la communication indirecte.
Les canaux d’informations correspondants, autrement dit les entités qui vont faire
circuler l’information, sont respectivement : l’individu, le réseau social et le réseau
professionnel (cf. schéma 5, p 51). Kasperson souligne également le rôle des stations
sociales (leaders d’opinions, groupe socio-culturel, agence gouvernementale, organisations
volontaires, nouveaux médias) et des stations individuelles (filtre d’attention, évaluation et
interprétation, connaissance du monde social, etc.).
Ces canaux reçoivent et envoient des signaux du risque qui influencent et structurent
les perceptions du risque. « Stations d’amplification positive ou négative du risque », les
individus filtrent les signaux émis vers la société en les atténuant ou en les amplifiant (cf.
51
schéma 4 ci-dessous). L’implication dans un processus de communication du risque
transforme chaque message conformément à ses représentations, son expérience, ses
valeurs. Ainsi, ces interactions positives ou négatives sont prévisibles puisqu’elles sont
fonction des représentations culturelles véhiculées par le réseau social de l’individu.
Schéma 4 : Les mécanismes d’amplification et d’atténuation du risque
3.1.2. Apports et limites du modèle SARF
Cette théorie a pour avantage d’unifier les approches socioculturelle et psychologique.
En intégrant les dimensions psychologiques et sociales de la perception du risque dans son
approche, Kasperson a cherché à comprendre pourquoi un risque est amplifié ou au
contraire atténué par l’opinion publique. Les perceptions du risque et les comportements
seraient influencés par des facteurs sociaux, institutionnels et psychologiques à travers un
réseau de canaux de communication formels (médias, campagnes publiques d’information,
etc.) ou informels (rumeurs, bouche à oreille, etc.).
Toutefois, malgré un apport théorique solide, ce modèle a fait très peu l’objet
d’applications empiriques, notamment dans le champ de la santé. Aussi, bien que cette
approche soit très intéressante, elle laisse entrevoir une limite : ceux qui reçoivent les
signaux du risque ne sont pas des récepteurs passifs. N’oublions pas que l’individu est
capable de s’engager dans un questionnement actif de l’information liée au risque au lieu de
saisir des bribes de savoir.
52
Schéma n°5 : Amplification sociale du risque, Kasperson and al., 1988.
53
RISQUE ET
EVENEMENTS
RISQUES
Réseau social
Réseau
professionnel
Communication
indirecte
Individu
CANAUX
D’INFORMATION
Communication
directe
Expériences
personnelles
SOURCES
D’INFORMATION
Connaissance du
contexte social
Evaluation et
interprétation
Organisations
volontaires
Nouveaux
médias
Biais d’intuition
Décodage
Groupe socioculturel
Agence
Gouvernementale
Filtre d’attention
STATIONS
INDIVIDUELLES
Leaders
d’opinion
STATIONS
SOCIALES
Protestation
sociale
Réponses des
organisations
Actions
politiques et
sociales
Attitudes/
Changements
d’attitudes
COMPORTEMENTS
INSTITUTIONNELS
ET SOCIAUX
AMPLIFICATION ET ATTENUATION
Société
Autres technologies
Industrie
Entreprise
Personnes
directement
affectées
Communautés locales
Groupes professionnels
Parties prenantes
Société
REPERCUSSIONS
Perte de confiance
dans les
institutions
Problèmes de la
communauté
Hausse ou baisse
des risques
physiques
Litiges
Changements
organisationnels
Actions
réglementaires
Pertes
financières
Baisse des
ventes
IMPACTS
3.2.
Le rôle des médias
Le rôle des médias est important en tant qu’élément sociologique de la perception des
risques. L’amplification ou l’atténuation d’un risque dépend beaucoup de cette station
émettrice et réceptive d’informations. Pour Patrick Champagne (1993), les médias masquent
ou déforment parfois la réalité25.
Jusqu’au début des années 70, le milieu médical a fait preuve de méfiance à l’égard de
la recherche d’informations sensationnelles. A l’époque, le journalisme médical est
pratiquement inexistant, dans la presse professionnelle comme dans la grande presse. On
constate une très grande prudence quant à la diffusion des informations à destination du
grand public, notamment en raison du poids des incertitudes sur les découvertes médicales,
sur la mise au point des traitements et des médicaments. Cette forme de monopolisation du
traitement de l’information scientifique par les institutions savantes, s’accompagne d’une
responsabilisation de la presse en vue « de ne pas susciter de faux espoirs ou de
déclencher, à l’inverse, des paniques » (Champagne, 1993). Néanmoins, l’affaire du sang
contaminé a suscité une emprise médiatique sans précédent. Le champ journalistique s’est
emparé du sujet relatif au sang contaminé parce qu’il comporte les ingrédients nécessaires
pour attirer un large public : « le sexe, le sang, le mystère, la mort » (Champagne, 1994).
L’encadré26 ci-après retrace l’évolution de ce phénomène.
1982 (repérage de la maladie) – 1985 : traitement médiatique « ordinaire »
« Les médias exploitent, sans retenue particulière, les fantasmes présents dans le corps social qu’une
telle épidémie peut réactiver. La nouveauté de cette maladie, ses modes de transmission laissent le
champ libre aux représentations communes avec lesquelles les médias peuvent jouer, pour les
renforcer ou les combattre »
Exemple : scoops sur la peur de la contamination, sur le public à risque, homosexuels ou drogués
1985 - 1989 : multiplication des journalistes médicaux
La circulation des rumeurs s’atténue, notamment par la mise au point des tests de dépistage et la
connaissance des mécanismes de diffusion du virus s’améliore. « La maladie devient l’affaire des
spécialistes. […]. Jusqu’en 1989, la presse de grande information manifeste une grande retenue,
faisant bloc notamment contre les diverses tentatives de moralisation et de politisation et contre tout
ce qui pourrait conduire à la stigmatisation ou à l’exclusion de tel individu ou groupe social ».
1989 : montée des controverses au sein de la communauté scientifique et de l’occupation de la
scène médiatique par des médecins non spécialisés
« Les informations « sensationnelles » et la recherche systématique d’ « affaires » ou de
« scandales » autour de l’épidémie se multiplient. »
1991 : « Scandale du sang contaminé »
25
Il a qualifié ce phénomène d’ « effet d’écran » dans l’étude de la couverture médiatique des
évènements des banlieues dites « à problèmes ».
54
«La qualification des faits comme « scandaleux » loin d’avoir été évidente et immédiate, a été le
résultat d’une lutte singulière qui a notamment opposé, durant de longs mois, certaines victimes de la
contamination par le sang à l’Etat, à la justice et aux journalistes, puis les journalistes aux milieux
médicaux et politiques, et enfin les journalistes entre eux . »
L’étude de l’évolution de la « couverture médiatique » du sida a permis de saisir les luttes
entre le champ journalistique et les champs scientifiques, politique ou judiciaire.
Dans un autre domaine, Koren et Klein (1991) ont étudié et comparé la couverture
médiatique de deux études médicales. L’une d’elle publiait une bonne nouvelle, « il n’y a pas
d’augmentation du risque de cancer dans la population habitant à proximité d’une centrale
nucléaire», l’autre une mauvaise nouvelle, « il y a une augmentation du risque de leucémie
chez les hommes de race blanche travaillant dans tel laboratoire ». Au final, ils ont constaté
que les médias amplifiaient la mauvaise nouvelle, notamment en la portant davantage à
l’attention du public, et qu’ils atténuaient la bonne. Comme l’a souligné Allègre (1999) lors de
l’introduction du colloque « Risque et société » : « l’information ne peut être que tragique ».
3.3.
Les « effets secondaires » de l’amplification sociale du risque
Les effets secondaires traduisent les répercussions multiples d’un risque au-delà
même des personnes directement affectées. Comme le souligne le modèle du SARF27, les
répercussions ou « effets secondaires » de l’amplification ou l’atténuation du risque par les
médias peuvent se révéler très importantes. Ce canal de communication est très souvent
mis en cause par les scientifiques qui lui reprochent de mettre en scène et d’« amplifier » les
incertitudes et controverses entre experts (Breyer, 1993). Cela génère une montée
d’inquiétude de la part de la population, laquelle fait pression afin que les politiques
travaillent à la sécurisation des dispositifs en question. Par conséquent, des mesures
législatives et réglementaires parfois excessives sont prises, ce qui pénaliserait à terme les
entreprises, forcées de se plier à des mesures non adaptées, produit initial d’une pression
médiatique. Dans le domaine médical, au regard de la sensibilité de notre société sur les
questions de santé, tout évènement indésirable lié aux soins peut être amplifié, ce qui
génèrera des effets négatifs.
En premier lieu, l’amplification médiatique dont a fait l’objet la contamination
transfusionnelle des patients par le VIH a un impact sans précédent sur les perceptions et
l’acceptabilité de ce risque (Hergon et al., 2004). Le risque viral lié à la thérapeutique
26
27
Les citations sont toutes extraites de l’article de Patrick Champagne (1994).
Social Amplification of Risk Framework.
55
transfusionnelle, auparavant connu et accepté en raison de la perception des bénéfices, est
devenu aujourd’hui inacceptable et les individus ainsi que les institutions exigent un niveau
de sécurité maximal. Or, en focalisant l’attention sur le risque viral, les médias occultent
l’ensemble des autres risques associés à la thérapeutique transfusionnelle, qu’ils soient
bactériens, parasitaires, immunohématologiques ou volémiques. A ce titre, l’individu a une
information limitée face à cette pratique médicale, ce qui pourrait biaiser la prise de décision.
De plus, les mesures de sécurité drastiques associées à cette pratique aboutissent à des
situations où l’on préfère ne pas transfuser et les conséquences peuvent être dramatiques.
Cet effet pervers a largement été évoqué dans les réflexions sur le risque : la gestion d’un
risque peut entraîner d’autres risques.
Un autre exemple révélateur des possibles répercussions négatives est celui des
vaccinations contre l’hépatite B. En 2000, à la demande du Directeur Général de la Santé
et dans le cadre du Comité national de sécurité sanitaire, Michel Setbon (2004) et son
équipe de recherche entreprennent une recherche rétrospective afin de rendre intelligibles
les décisions de sécurité sanitaire prises en réponse à des dangers ou à des risques. Dans
cette perspective, ils étudient la décision de suspension de la vaccination scolaire contre
l’hépatite B. En 1998, les autorités sanitaires sont confrontées à l’existence possible d’un
risque d’atteintes démyélinisantes du système nerveux apparues dans le cadre d’une vaste
campagne de vaccination lancée en 1994 dans les collèges par le secrétariat d’Etat à la
Santé. Les médias s’emparent du sujet, et « amplifient » le risque, notamment en
médiatisant les cas d’atteintes de sclérose en plaques. Les études épidémiologiques peinent
à parvenir à un résultat statistiquement significatif en terme de causalité. C’est pourquoi,
elles entreprennent un calcul bénéfice/risque qui aboutit à une quantité plus importante de
bénéfices collectifs, bien que le risque soit réel. Néanmoins, en octobre 1998, les
gestionnaires décident dans l’urgence de suspendre la campagne de vaccination en milieu
scolaire dans un contexte général d’inquiétude marqué par une pression médiatique et
associative visant à promouvoir le lien causal entre vaccination et atteintes démyélinisantes.
Lors du colloque Risque et société, Maurice Tubiana (1998) aborde cette affaire. Selon lui,
l’usage excessif du principe de précaution, soit une sur-régulation en réponse à une
focalisation de l’opinion sur ce risque hypothétique, peut générer une augmentation de la
fréquence de la maladie : « En vaccinant tous les jeunes d’une classe d’âge (800.000), on
peut espérer éviter environ 10.000 cas d’hépatites B. Parmi celles-ci, 1000 évolueraient vers
une infection chronique (causant quelques centaines de cirrhoses) et une centaine de décès
seraient causés par hépatite fulminante, cirrhose du foie ou cancer du foie, alors que si la
vaccination était effectivement nocive (ce qui n’est pas certain), on éviterait au maximum un
ou deux cas de sclérose en plaques en la supprimant ».
56
Par conséquent, les études sur les médias ont mis en évidence l’importance des
« effets secondaires » d’un risque lorsque celui-ci est amplifié par ces canaux de
communication. Roger Kasperson (1988) a également souligné le rôle et l’impact d’un
ensemble de stations émettrices d’informations, qu’elles soient informelles (réseau social,
expérience personnelle, etc.) ou au contraire officielles (médias, agences gouvernementales
etc.). A ce titre, son approche sur l’amplification sociale du risque est très intéressante
puisque globale.
La littérature relative à la sociologie de la santé et du risque s’attache à mieux
comprendre l’ancrage social de la rationalité profane. Elle repose sur des stratégies sociales
de gestion de la santé et du risque telles que les mécanismes de dénégation du risque ou
les attitudes vis-à-vis de la santé et des institutions médicales, par exemple. De plus,
l’appréhension des situations risquées n’est pas unidimensionnelle mais au contraire varie
en fonction des conceptions du risque mobilisées. Par conséquent, dans une approche
constructiviste des significations des risques, le savoir profane est le résultat d’un processus
cognitif qui intègre et organise les informations provenant de différentes sources. Nous
avons principalement mis en évidence deux composantes essentielles de ces savoirs
profanes : la dimension « expérientielle » qui traduit la prise en considération de l’expérience
du risque et de la maladie, qu’elle soit biographique, ou vécue par l’entourage social ; et la
dimension « cognitive », qui renvoie au niveau de connaissance lié au risque, ainsi qu’à la
nature des sources d’informations utilisées. Au final, la rationalité profane du risque se
construit à travers divers processus relationnels, sociaux et culturels.
En outre, deux courants issus de la psychologie mettent plus particulièrement l’accent
sur le rôle des croyances dans les processus d’évaluation de l’individu. L’approche sociocognitive centre son analyse sur les processus de traitement de l’information mis en place
par l’individu, afin d’adapter ses comportements et d’ajuster ses actions. De plus, nous
avons jugé nécessaire d’explorer un certain nombre de déterminants psychologiques qui
interviennent dans la manière d’appréhender le monde. De ce fait, leur impact sur
l’évaluation que l’individu fait d’une situation risquée est à considérer.
57
PARTIE IV
LE RÔLE DES CROYANCES ET DES PARAMETRES
PSYCHOSOCIAUX DANS L’EVALUATION DU RISQUE
Le profane utilise ses impressions et cherche à donner aux situations de la vie
quotidienne des types d’explications pour établir sa connaissance du monde social. Il est
donc plongé dans un monde qui le submerge d’informations alors même que sa capacité à
les
traiter est
limitée.
C’est
pourquoi,
il
a
recours
à
certaines
« croyances »,
« représentations » et « illusions » qui lui donnent accès à un monde plus simple, plus
prévisible, plus contrôlable et donc plus à même d’être expliqué. Comme nous l’avons vu
dans la partie précédente, ce corpus de connaissances est fondé sur des traditions
partagées et enrichies par des expériences personnelles, des observations, des pratiques. Il
procure aux individus un « sens commun » auquel ils ont recours spontanément quand ils
veulent comprendre le monde dans lequel ils vivent. Cette logique profane n’est pas
« irrationnelle » car « la pensée sociale n’est assurément pas le lieu de l’incohérence et du
désordre. Tout semble indiquer au contraire qu’elle se construit selon un ordre rigoureux et
conformément à des règles précises […]. Loin de se résoudre en une série arbitraire
d’erreurs et de manquements à la logique classique, la pensée naturelle offre donc sa propre
cohérence et constitue un type de rationalité » (Rouquette, 1973, p. 327).
Nous allons aborder cette rationalité profane spécifique au travers d’un examen
général de différents concepts. Dans un premier temps, nous présenterons l’approche sociocognitive en matière de santé et de maladie. Dans un second temps, nous explorerons un
certain nombre de croyances et paramètres généraux issus de théories psychosociales,
permettant de mieux appréhender les logiques individuelles, et de mieux comprendre les
différences inter-individuelles observées dans l’acceptabilité du risque.
1
Le paradigme socio-cognitif en matière de santé et de
maladie
Différents modèles socio-cognitifs ont été élaborés et utilisés pour analyser l’adoption
de comportements de santé et identifier leurs principaux déterminants. En ce sens, ils
peuvent apporter un éclairage intéressant pour mieux comprendre les stratégies que
58
l’individu peut déployer face au risque ou encore dans quelle mesure il accepte de prendre
un
risque
pour
lui-même.
Les
termes
« habitudes
comportementales
saines »,
« comportements de santé », et « stratégies de gestion du risque » seront utilisés de façon
interchangeable, en partant du principe que leur fonction est de maintenir ou d’améliorer la
santé physique de l’individu (Stone, 1979).
Ces modèles explicatifs ont fréquemment été étudiés dans le cadre de recherches sur
l’adhésion des individus à différents programmes de prévention. L’adhésion se définit par le
degré de concordance entre le comportement de la personne (suivre son traitement, etc.) et
les recommandations médicales qui lui sont faites.
Dans l’ensemble, ces modèles s’intègrent dans la conception de la santé développée
par Engel (1977), soit l’approche globale ou bio-psychosociale (où la maladie n’est pas
considérée uniquement comme organique, mais résultant également de facteurs humains et
sociaux). En somme, la personne est considérée comme un être autonome et indépendant
pouvant agir pour contrôler sa santé ainsi que le risque qui en découle. En d’autres termes,
l’individu prendrait des décisions rationnelles face à sa propre santé.
Nous
proposons
ici
deux
objectifs :
identifier
d’une
part
les
principales
caractéristiques conceptuelles des modèles sélectionnés ; les comparer d’autre part, afin
d’approfondir la compréhension des mécanismes pouvant favoriser l’acceptabilité du risque
et la gestion qu’en a l’individu.
Parmi l’ensemble des modèles recensés dans la littérature, nous avons sélectionné
ceux dont les recherches ont mis en évidence leur qualité heuristique tant d’un point de vue
fondamental qu’appliqué. Sur 15 modèles étudiés, nous en avons finalement retenu quatre
qui nous ont semblé les plus pertinents pour traiter de l’acceptabilité des risques.
1.1.
•
Le modèle des croyances relatives à la santé : HBM (Becker, 1975)
Présentation du modèle
Le modèle des croyances relatives à la santé, ou Health Belief Model (HBM), est le
modèle le plus ancien, mais aussi le plus utilisé en psychologie sociale de la santé. Ce
modèle prend racine dans deux grandes théories :
59
ƒ
la
théorie
stimulus-réponse
développée
par
Watson
(1930),
où
les
comportements constitueraient des réponses à des stimuli de l’environnement, et où
les attitudes correspondraient à des positionnements de l’individu.
ƒ
la théorie cognitive de type valeur/attente de Lewin (1936) qui soutient l’idée selon
laquelle les gens ne sont pas simplement des spectateurs passifs de forces
environnementales, mais que les conduites sont déterminées d’une part par les
attentes que l’individu a, relatives à l’efficacité du comportement, et d’autre part, par
ses valeurs et croyances.
Ce modèle fut par la suite retravaillé par Rosenstock en 1960 puis par Becker en 1975.
Le HBM (cf. schéma 6 ci-après) vise à évaluer seulement les influences cognitives sur
le comportement à partir de quatre types de croyances qui augmenteraient la probabilité
d’entreprendre l’action recommandée en rapport avec un risque de santé ou à une maladie :
(1) La perception de sa vulnérabilité : la probabilité subjective d’être exposé au
risque ;
(2) L’estimation de la gravité des conséquences de la maladie : qui influence plus le
comportement que l’importance du risque en terme de mortalité ;
(3) La perception subjective de la menace : engendrée par l’apparition de la maladie
ou de l’évènement indésirable (si la personne se sent plus sensible à un risque
sérieux, elle sera plus motivée à agir puisque la menace est élevée) ;
(4) La croyance en l’efficacité de l’action : en fonction de la résultante de la
perception des bénéfices et des barrières liées à la prise de risque. Le bénéfice
correspond à l’efficacité du comportement à produire l’effet désiré, tandis que les
barrières représentent la faisabilité en considérant les coûts et les aspects négatifs de
l’action. Si les coûts surpassent les avantages, alors les chances d’émettre le
comportement sont diminuées.
Note : les numéros 1, 2, 3, 4 font référence au positionnement des facteurs dans le modèle (schéma
ci-après)
D’autres variables interviennent sur la probabilité d’émettre l’action, telles que les
déclencheurs de l’action (Becker, 1975), qui se manifestent sous la forme de « rappels du
problème de santé ». Ils peuvent être internes (symptômes de la maladie) ou externes
(médias, relations interpersonnelles). Par exemple, ressentir des palpitations cardiaques, ou
lire un article dans une revue sur les facteurs de risque d’un infarctus, pourrait influencer
directement la perception subjective du risque de maladie cardiaque.
60
Schéma 6 : Modèle des croyances relatives à la santé ou Health Belief Model (Becker, 1975)
Conséquemment, plus la perception de sa vulnérabilité est élevée, plus les bénéfices
perçus de l’action excèdent les barrières perçues, et plus grande est la probabilité
d’entreprendre l’action recommandée. Ainsi, ce modèle présuppose qu’une personne
disposant d’informations pour éviter le risque de santé, agirait de façon rationnelle et
objective et adhérerait aux recommandations prescrites.
Par exemple, les personnes âgées de 15 à 29 ans constituent le groupe le plus à
risque concernant la vulnérabilité au cancer de la peau. Eviter les expositions au soleil ou se
protéger la peau avec un indice U.V adapté permettrait de réduire les risques de cancer.
Bien que la perception subjective d’avoir la maladie soit élevée, elle n’arrivera toutefois pas à
surpasser les inconvénients associés aux comportements préventifs recommandés. De ce
fait, les individus seront moins enclins à émettre les comportements préventifs (Carmel et al.,
1994). Nous voyons bien dans cet exemple, que la perception des barrières liées à ce type
de risque est plus importante que la perception de la menace de cancer, et qu’elle influence
la décision d’émettre le comportement préventif.
Les études de validation révèlent que les freins perçus semblent être le meilleur
prédicteur de l’adoption d’un comportement de prévention, suivi dans une certaine mesure,
par la vulnérabilité et les bénéfices perçus. La gravité perçue est la moins prédictive (Janz et
Becker, 1984 ; Van der Pligt, 1994).
Dans une étude sur les patients ayant des symptômes avancés de la maladie
inflammatoire de l’intestin, les coûts et les bénéfices perçus prédisent à la fois l’intention
comportementale alors que chez les patients pour qui les symptômes sont moins aigus, il n’y
a que les coûts qui jouent un rôle. En somme, la gravité de l’état du patient affecte sa
61
réceptivité aux informations concernant les coûts et les bénéfices du traitement (Goldring et
al., 2002).
•
Avantages et limites :
Le fonctionnement du HBM est relativement facile à comprendre. Ce modèle est
d’autant plus attrayant qu’il traite directement du comportement de santé, ou lié à un risque
de santé, en privilégiant le rôle des variables cognitives dans son opérationnalisation. De
surcroît, il s’agit d’un modèle de prédiction relativement efficace pour des comportements
simples tels que la vaccination ou l’hygiène bucco-dentaire (O’Leary, 1992).
Cependant, bien qu’il ait été utilisé durant plus de 30 ans, plusieurs éléments atténuent
maintenant sa contribution à la compréhension des mécanismes des comportements de
santé. Ainsi, le HBM néglige l’impact des facteurs qui ne sont pas reliés directement avec la
santé et qui pourraient influencer positivement l’adoption de comportements, tels que le
besoin d’approbation sociale, par exemple. Par ailleurs, ce modèle se centre presque
exclusivement sur les influences cognitives et omet celles liées à la dimension émotive
comme la peur qui peut affecter le jugement de la personne lors de l’analyse des coûts et
des bénéfices. Cette peur peut limiter la rationalité de l’évaluation du risque.
1.2.
•
La théorie du comportement planifié (Ajzen et Schifter, 1985)
Présentation du modèle
La théorie de l’action planifiée ou du comportement planifié (TCP) est le prolongement
de la théorie de l’action raisonnée de Fishbein et Ajzen (1975). Elle pallie les limites de cette
dernière qui ne s’applique qu’aux comportements qui sont sous l’effet de la volonté, en
intégrant le concept de contrôle comportemental.
La TCP postule un individu rationnel, qui utilise de façon logique l’information
disponible afin de considérer les implications de ses actions avant de décider d’effectuer ou
non le comportement. Elle vise à prédire et comprendre l’adoption et le maintien des
comportements dans diverses situations, et ce, principalement à travers l’intention d’agir. La
notion de volonté est donc encore présente par le biais de cette variable.
62
L’intention d’agir est déterminée à partir de trois variables (cf. schéma 7 ci-dessous) :
(1) L’attitude envers le comportement désigne une disposition favorable ou non à
émettre le comportement à travers une évaluation à la fois émotive et cognitive des
avantages et inconvénients ;
(2) La variable « normes subjectives » correspond à la perception que l’individu a de
l’opinion de personnes significatives, sur la nécessité d’émettre ou non le
comportement. Toutefois, s’agissant d’une perception, la croyance normative peut ne
pas refléter ce que les autres cautionnent vraiment. Ainsi, l’individu exécuterait une
action lorsqu’il la juge comme positive et qu’elle est approuvée par son
environnement social ;
(3) La perception de contrôle relève de l’estimation subjective de l’individu concernant
la facilité ou la difficulté d’émettre le comportement. Celle-ci varie en fonction de la
situation d’exécution, et de la nature du comportement à émettre.
Par exemple, le fait de décider d’effectuer un dépistage du cancer prend en compte
plusieurs facteurs. En effet, plus l’examen de dépistage est perçu comme un moyen efficace
de prévention et facile à subir, plus l’individu aura une attitude favorable envers ce
dépistage. Si, de surcroit, sa famille l’encourage, son intention devrait être encore plus
positive (Devillis et al., 1990). Par ordre d’importance, plus l’intention et la perception sont
élevées, plus la probabilité de faire l’examen de dépistage du cancer augmentera. D’autres
applications ont montré la pertinence de ce modèle qui permettrait de prédire, entre autre,
l’usage effectif du préservatif (Albarracin et al., 2001).
Schéma 7 : Théorie du comportement planifié (Ajzen et Schifter, 1986)
63
•
Avantages et limites:
La TCP s’est avérée pertinente pour prédire les comportements simples, faciles à
mesurer et qui fluctuent peu durant la période d’évaluation (prévention de l’hygiène buccodentaire, de la conduite automobile, de l’infection par le HIV). Toutefois, elle présente des
résultats moins solides lorsqu’il s’agit de comportements de dépistage précoce des
problèmes médicaux (Godin et Kok, 1996).
Le modèle, dans sa globalité est facile à comprendre. De plus, l’ajout de la perception
de contrôle a augmenté les possibilités d’applications cliniques, et l’inclusion des normes
subjectives permet de prendre en compte l’impact des facteurs sociaux sur l’adoption d’un
comportement.
Cependant, l’adaptation de la TCP à la menace ou au risque implique d’autres
processus qui n’apparaissent pas dans le modèle. La TCP occulte le sentiment de peur lié à
la dimension émotive générée par la menace, ainsi que les variables qui déterminent cette
peur. Or, ces facteurs peuvent affecter le jugement rationnel qui est postulé par la théorie.
Probablement à cause de ces limites, le modèle reste à ce jour peu utilisé pour guider le
développement d’interventions préventives et thérapeutiques dans le domaine de la santé.
1.3.
•
Le modèle transthéorique (Prochaska et DiClemente, 1994)
Présentation du modèle
Le modèle transthéorique aussi appelé « étapes de changements », provient des
observations cliniques de Prochaska et DiClemente (1994) lors de séances de
psychothérapie. Ils remarquent que les individus semblent passer à travers des étapes
similaires pour modifier un comportement de santé, et ceci indépendamment de la thérapie
employée. Ainsi, le modèle transthéorique a été développé pour expliquer les étapes menant
à l’initiation, à l’adoption et au maintien d’un comportement de santé donné.
Deux dimensions caractérisent le modèle. La première est celle du changement en luimême explicité dans le modèle par une succession d’étape (cf. schéma 8 ci-après). La
seconde, quant à elle, fait référence aux processus à l’œuvre dans cette dynamique de
changement. En effet, pour Prochaska et DiClemente (1994), le processus plutôt que la
64
conséquence est la composante principale de chaque étape : c’est grâce au processus de
changement que l’individu progresse par étape vers le comportement recommandé.
Les cinq étapes du changement sont :
(1) La pré-contemplation : aucune intention de modifier un comportement ; les individus
ne sont pas prêts à changer ;
(2) La contemplation : intention de modifier un comportement ; l’individu perçoit autant
les avantages que les inconvénients ;
(3) La préparation : l’individu prend des initiatives et met au point un plan d’action ;
(4) L’action : l’individu s’implique activement dans le changement en émettant des
comportements qui diminuent significativement le risque ;
(5) Le maintien : la personne est engagée et continue à effectuer les changements
comportementaux nécessaires.
Schéma 8 : le modèle transthéorique (Prochaska et DiClemente, 1994)
On notera que les individus traversent ces étapes successivement, à des rythmes plus
ou moins rapides. Cette progression n’est pas linéaire, et il peut y avoir des périodes de
stagnation, une régression à une étape précédente, ou même un abandon et plus tard une
reprise du processus de changement.
On a vu précédemment que ce sont les processus de changement (cf. tableau n°3 ciaprès) qui amènent l’individu au plus près du comportement de santé désiré. Il existe dix
processus de changement regroupés en deux catégories : les processus expérienciels
65
(intériorisés tant au niveau affectif que cognitif) et comportementaux (observés par les
autres).
Les processus expérienciels
Les processus comportementaux
La prise de conscience : efforts pour mieux comprendre
Le soutien social : faire confiance et utiliser le soutien des
le comportement problématique ;
autres pour modifier le comportement ;
L’auto réévaluation : la personne clarifie ses valeurs et se Le conditionnement inverse : utiliser des activités
sent mieux sur le plan émotionnel et cognitif en modifiant
alternatives afin d’éviter l’émission du comportement ;
le comportement ;
L’expérience dramatique : l’individu remet en question
Le contrôle : essayer de contrôler les facteurs facilitant
ses agissements et reconnaît que son comportement
l’apparition du comportement problématique ;
peut avoir des conséquences négatives sur son bien
être ;
La réévaluation de l’environnement : prendre en
L’engagement personnel : s’impliquer dans le
considération que son comportement peut avoir une
changement ;
influence négative sur son environnement physique et
social ;
La libération sociale : augmenter les occasions sociales
La gestion du renforcement.
pour émettre le nouveau comportement.
Tableau 3 : Processus expérienciels et processus comportementaux
Ce modèle, initialement conçu pour les besoins thérapeutiques, a été appliqué avec
plus ou moins de succès à divers problèmes de santé : arrêt du tabac (Di Clemente et al.,
1991), choix d’une alimentation saine (Armitage, et al., 2004), accepter de passer une
mammographie (Lauver et al., 2003).
En examinant les changements obtenus pour 12 comportements différents, notamment
liés à l’exercice et l’activité physique, Prochaska et al., (1998) observent une relation
récurrente entre les stratégies du changement et les sujets qui sont initialement « pour » ou
« contre » le changement. En effet, pour que les gens passent du stade de précomtemplation à l’action, il importe que les bénéfices associés au changement soient
supérieurs aux inconvénients (Kidd et al., 2003). Ceci amène à penser que les interventions
de santé doivent valoriser les aspects positifs du changement plutôt que de se focaliser sur
les effets négatifs du comportement indésirable.
66
•
Avantages et limites:
Le modèle fait la promotion d’une intervention adaptée au niveau de la préparation au
changement d’une personne. En fonction de celui-ci, il est possible de cibler et d’appliquer
les techniques de modification de comportement.
Malgré tout, le modèle paraît plutôt statique et descriptif, ce qui ne favorise pas la
compréhension de la dynamique menant à l’émission d’un comportement adapté (Coutu et
al., 2000). D’autre part, l’identification des stratégies de résolution de problème, incluant la
façon de percevoir et de vivre avec la problématique, n’est pas disponible. De nombreux
comportements et cognitions spécifiques sont ciblés, mais des facteurs importants semblent
avoir été oubliés. L’attente de résultats, les expériences antérieures, et les croyances en
sont quelques exemples.
1.4.
•
Le modèle de l’autorégulation (Leventhal, 1980)
Présentation du modèle
Malgré son apparition au début des années 80, ce modèle reste peu utilisé en
comparaison des modèles précédents. Il s’inscrit dans le rapprochement effectué entre les
behavioristes
et
les
cognitivistes,
desquels
sont
issues
les
théories
cognitivo-
comportementales. Le modèle de l’autorégulation tente de comprendre les différents
facteurs, ainsi que leurs interactions, impliqués dans la construction de la représentation
cognitive et émotive de la menace en matière de santé. L’individu est considéré comme un
agent actif dans la résolution de son problème. Il chercherait à diminuer l’écart entre son état
actuel de santé et l’état auquel il aspire. Ainsi, le comportement dépendrait des
représentations cognitive et émotionnelle de la maladie qui guideraient les stratégies
utilisées
pour
modifier
le
comportement,
ainsi
que
l’évaluation
du
processus.
Conséquemment, la représentation est propre à chacun et ne peut correspondre à une
réalité médicale.
Une fois que l’individu a pris connaissance des informations relatives à la menace pour
sa santé, le modèle identifie quatre étapes :
67
(1) La représentation cognitive de la menace, qui se définit à partir de cinq
caractéristiques dont l’identité de la menace (les symptômes), la durée de la maladie
(aiguë, cyclique, ou chronique), les conséquences (immédiates et à long terme et ce
autant sur le plan physique, que économique, et social), la causalité (les croyances à
propos des facteurs contribuant au développement de la maladie, mais aussi ses
causes antécédentes comme les blessures, infections, prédispositions génétiques),
et la perception de contrôle (comment la menace de santé se manifestera dans le
temps) ;
(2) La représentation émotionnelle de la menace de santé (tirée des épisodes
antérieurs de la maladie et du vécu émotionnel) ;
Ces 2 niveaux engendrent des boucles interactives et de rétroactions, l’une régulant les
cognitions rattachées au danger, l’autre les émotions ;
(3) Le plan d’action consiste à sélectionner différentes options et choisir les
comportements à effectuer. Ce cheminement se fait dans le but de gérer la maladie ;
(4) Le stade d’évaluation où l’individu évalue l’efficacité des comportements émis, afin
de déterminer s’ils réduisent ou augmentent l’écart entre la situation actuelle et le but.
Des facteurs individuels, culturels et sociaux influencent l’ensemble des quatre étapes.
Note : les numéros 1, 2, 3, 4 font référence au positionnement des facteurs dans le modèle (schéma
ci-dessous)
Schéma 9 : Le modèle de l’autorégulation (Leventhal, 1980)
68
A titre d’exemple, considérons le cas d’une personne venant de recevoir un diagnostic
d’hypertension artérielle. Afin de mieux comprendre sa maladie, elle peut puiser de
l’information auprès de son entourage. Elle peut également devenir sensible à certaines
accélérations cardiaques normales et les interpréter comme un symptôme de son
hypertension. Cette sensibilité accrue aux fluctuations physiologiques accompagnant des
moments de stress, d’anxiété ou de nervosité, peut faire resurgir des souvenirs concrets
d’épisodes similaires, renforçant l’hypothèse que la tension psychologique fait augmenter la
tension artérielle. Les inférences qui découlent d’une telle représentation influencent les
actions adaptatives vers des stratégies visant à diminuer les sources de tensions et de
stress. Ainsi, si cette personne croit que la relaxation aide à diminuer la pression et qu’elle
est capable de se relaxer, elle risque de s’orienter vers ce type d’action. Afin d’évaluer
l’efficacité de son intervention, la personne observera par la suite s’il y a une réduction de
ses symptômes. Dans la négative, elle cessera la relaxation et réévaluera la situation.
•
Avantages et limites
Le modèle de l’autorégulation comporte plusieurs avantages dont celui d’intégrer
plusieurs facteurs prédictifs importants. Le principe fondateur de ce modèle est de
comprendre la perception de la maladie ainsi que les comportements régulateurs, en partant
du point de vue de l’individu.
D’autre part, ce modèle inclut l’impact de la représentation émotive de la maladie dans
le processus décisionnel. Ceci donne la possibilité d’expliquer certains comportements
irrationnels. Bien qu’il ait été conçu il y a 30 ans, il est étonnant que peu d’études aient à ce
jour, tenté d’en vérifier la validité prédictive ou explicative. Ceci est en partie dû à la
complexité de ce modèle qui rend son opérationnalisation particulièrement difficile.
En dépit des nombreuses critiques, l’ensemble des modèles présentés valorise le rôle
des croyances, préconceptions et représentations communes. Ces dernières seraient des
déterminants fondamentaux des comportements sains ou à risque, et donc de l’état de santé
des individus. Ces modèles permettraient également de mieux saisir la variabilité interindividuelle de l’acceptabilité des risques. Ces modèles explicatifs ont fréquemment été
étudiés dans le cadre de recherches sur l’adhésion des individus à différents programmes de
prévention, et ont permis de vérifier l’impact des croyances des individus sur certains
comportements comme le recours au dépistage, l’usage d’un préservatif, le fait de se faire
vacciner, ou encore le sevrage tabagique et alcoolique.
69
Cependant, ces modèles consistent en une séquence de traitement, qui suppose qu’un
recueil important d’informations permette d’identifier une situation, ce qui conduirait l’individu
à agir de façon pragmatique. Or, dans les situations les plus courantes, on peut douter de la
capacité de l’individu, submergé par une quantité d’informations, à agir de façon entièrement
rationnelle.
Ainsi, l’évaluation du risque n’est pas entièrement réductible à ce processus de recueil
d’informations. L’activité d’évaluation est plus complexe que ne le laissent supposer ces
modèles : elle consiste non seulement en des processus perceptivo-cognitifs immédiats mais
aussi en des processus de réévaluation successives, de « raisonnements » et d’inférences
destinés à valider ou infirmer les hypothèses et explications initialement formulées par
l’individu. Par conséquent, la complexité du processus d’évaluation s’explique par la capacité
limitée de l’individu à traiter une information abondante, et le caractère à la fois dynamique et
complexe des situations aversives et de leur évaluation. L’individu en tant qu’évaluateur est
soumis à des influences sociales diverses ainsi qu’à des biais dans le traitement de
l’information.
D’autre part, un autre reproche qui peut être formulé à l’encontre de ces modèles est
qu’ils cherchent à prédire l’adoption supposée de comportements sains ou de prévention. Or,
il est admis qu’il peut exister un écart important entre la manière dont les individus pensent
agir, et la façon dont ils réagiront effectivement, une fois la situation survenue.
Par ailleurs, la plupart de ces modèles socio-cognitifs se centrent essentiellement sur
le rôle des facteurs et processus cognitifs, sans réellement prendre en compte celui des
processus émotionnels, de certaines caractéristiques environnementales, contextuelles et
sociales « réelles »28. Or, celles-ci sont également à considérer pour comprendre la façon
dont les individus élaborent leur connaissance du monde social.
Enfin, l’approche socio-cognitive systématise le rôle des croyances en matière de
santé et de maladie en se centrant sur les opérations cognitives que l’individu met en place
afin de traiter l’information recueillie. Cependant, de nombreuses recherches en sciences
humaines et sociales montrent que les individus peuvent être sujets à des biais pendant la
phase d’évaluation du risque.
28
Le réseau social du sujet, par exemple.
70
Ainsi, aux croyances d’un sujet sont étroitement associées diverses caractéristiques
psychosociales qui sont à prendre en compte pour comprendre la façon dont les individus
élaborent leur connaissance du monde social.
Le rôle de certains
l’évaluation du risque.
2
paramètres
psychosociaux
dans
De nombreux facteurs psychosociaux affectent également de façon notable la santé.
En effet, ces caractéristiques psychosociales jouent un rôle dans l’apparition des maladies et
peuvent accélérer ou ralentir leur évolution. Ainsi, la santé, la qualité de vie ou même le bienêtre peuvent être influencés par trois types de caractéristiques psychosociales :
o
Les antécédents environnementaux et socio-démographiques dont l’importance
a été soulignée par diverses approches biomédicales et épidémiologiques ;
o
Les
antécédents
individuels,
correspondant
aux
caractéristiques
comportementales, cognitives ou conatives mesurées au niveau des individus (styles
de vie, traits de personnalité, etc.). Leur rôle a été suggéré par les études
épidémiologiques et par certaines approches psychologiques ;
o
Des variables médiatrices, plus « processuelles », qui exercent des effets indirects.
Elles peuvent atténuer ou renforcer l’impact des antécédents sur la santé, ou
simplement exprimer leur influence.
Ces diverses variables ont des effets tantôt pathogènes (facteurs de risque29, facteurs de
pronostics30) tantôt salutogènes31.
Cet ensemble de caractéristiques, en interaction étroite les unes avec les autres, est
activé pour permettre à l’individu confronté à une situation d’incertitude d’y faire face de
façon plus ou moins efficace (Bruchon-Schweitzer, 2002).
29
Elles contribuent à l’initiation de certaines pathologies.
Elles contribuent à l’aggravation d’une maladie pré-existante.
31
Elles jouent un rôle protecteur, en réduisant le risque de développer une maladie ou en freinant son
évolution.
30
71
2.1.
Les ressources et croyances personnelles
Nous allons explorer à présent un certain nombre de ressources et croyances
personnelles de l’individu, intéressantes à prendre en compte dans l’étude de l’acceptabilité
sociale du risque. Nous verrons successivement le locus of control, le soutien social reçu et
la croyance en un monde juste.
2.1.1. Le Locus Of Control (LOC)
Les gens pensent généralement qu’ils maîtrisent dans une certaine mesure ce qui leur
arrive et qu’ils contrôlent en partie le cours de leur existence. Ce contrôle perçu correspond
à la croyance généralisée dans le fait que les évènements ultérieurs (appelés aussi
« renforcements ») dépendent soit de facteurs internes, soit de facteurs externes.
D’emblée, Rotter (1966), considéra le LOC comme une variable générale de
personnalité. Ainsi, l’individu se caractériserait par une tendance générale à penser que les
renforcements sont ou ne sont pas sous son contrôle. Quand un sujet perçoit un
renforcement comme n’étant pas totalement déterminé par une action de sa part, ce dernier
est perçu comme le résultat de la chance, du hasard, du destin. Quand l’individu perçoit le
renforcement de cette façon, il s’agit d’une croyance en un contrôle externe. Si au contraire,
la personne établit un lien causal entre ses actions et les renforcements qu’elle perçoit, cela
traduit un contrôle interne.
Le contrôle serait acquis par apprentissage social au cours des expériences de la vie,
à partir des succès et échecs relatifs à nos actions, mais aussi par simple observation du
comportement d’autrui.
De nombreuses études ont exploré cette variable vis-à-vis de la santé en général, mais
aussi vis-à-vis de la santé mentale, des troubles cardio-vasculaires, du diabète, du poids, de
l’arthrite, du cancer, de l’hypertension, du tabagisme de l’alcoolisme, etc. (Furnham et al.,
1993). L’internalité semble favoriser l’adoption de comportements sains32 (Sarafino, 1994 ;
Horner, 1998). D’autre part, elle aurait un effet direct et positif sur le bien être émotionnel,
alors que l’externalité constituerait un facteur de vulnérabilité (notamment dans les situations
aversives) : troubles anxio-dépressifs, faible estime de soi, détresse émotionnelle (Cohen et
32
Exercice, alimentation, soins médicaux, adhésion thérapeutique, prévention, sevrage tabagique,
etc.
72
Edwards, 1989 ; Horner, 1998 ; Hurrell et al., 1991 ; Thompson et Collins, 1995). L’internalité
apparaît comme une variable « tampon » atténuant les effets délétères des évènements
stressants sur la santé émotionnelle.
Au final, l’internalité joue un rôle fonctionnel non négligeable sur l’état de santé des
individus. Citons comme exemple une étude prospective qui a concerné plus de 2.000
militaires anglais volontaires pour partir en Antarctique : cinq à six ans après le départ, les
sujets internes présentaient moins de problèmes de santé que les externes (Hurrell et al.,
1991).
2.1.2. Le soutien social reçu
Parmi les ressources dont dispose un individu pour faire face à une situation à risque,
on distingue ses « ressources personnelles » (ou capacités personnelles) de ses
« ressources sociales » ou soutien social perçu (perception que le sujet peut avoir de l’aide
dont il peut bénéficier en cas de besoin). Quant au soutien social reçu, il se définit comme
« l’aide effective apportée à un individu par son entourage » (Winnubst et al., 1988).
On peut distinguer quatre fonctions du soutien :
-
le soutien émotionnel consiste à exprimer à une personne les affects positifs que
l’on éprouve à son égard (confiance, amour, amitié, etc.), et apporte à celle-ci des
sentiments de protection, de réconfort qui vont permettre de l’aider à traverser des
moments difficiles ;
-
le soutien d’estime consiste quant à lui à rassurer une personne sur ses
compétences et sa valeur. Ces encouragements lui permettront de mieux faire face à
des situations à risque notamment, en augmentant sa confiance en elle-même ;
-
le soutien informatif consiste à conseiller, renseigner la personne sur un problème.
Il peut être fourni par l’entourage familial ou amical du sujet, aussi bien que par des
spécialistes dans des situations à risques par exemple ;
-
le soutien matériel implique une assistance effective comme le prêt, le don d’argent
ou de biens matériels, dans des moments difficiles.
La majorité des travaux menés sur l’efficacité de ces différentes fonctions de soutien
indique que le soutien émotionnel joue le rôle le plus important.
73
De nombreuses études montrent à quel point le soutien social a des effets
généralement bénéfiques sur la santé physique (population générale, cancéreux,
cardiopathes, diabétiques, sujets infectés par le VIH, etc.) comme sur le bien être. L’aspect
perceptif du soutien atténuerait l’impact nocif des stresseurs (médicaux, professionnels,
etc.). Le soutien émotionnel apparaît comme bénéfique s’il est dispensé par des proches
(partenaire, famille, amis), le soutien informatif, lorsqu’il provient des professionnels
(médecins, soignants, supérieurs hiérarchiques). C’est l’adéquation du soutien social avec
les besoins du sujet (en fonction d’une situation spécifique) et ses attentes (en fonctions des
caractéristiques personnelles) qui apparaît comme l’aspect le plus pertinent du soutien
(Thoits, 1995).33
2.1.3. La recherche de sensations
Une autre variable de personnalité nous a semblé pertinente à considérer dès lors
qu’on s’intéresse à la notion de risque : la recherche de sensation. Zuckerman (1974) a
développé un modèle psychobiologique de la recherche de sensations à partir du concept de
« niveau optimum de stimulation ». Ce dernier serait variable selon les individus et définirait
un trait unidimensionnel de la personnalité. « La recherche de sensations en tant que trait de
la personnalité, se définit par la recherche d’impressions et d’expériences variées, nouvelles
et intensives, en association avec une disposition à prendre des risques physiques, sociaux,
légaux et financiers pour y parvenir » (Zuckerman, 1994, p. 27).
Le niveau de recherche de sensations d’un individu serait déterminé par son bagage
génétique, correspondant a un niveau optimal d’activation physiologique (Hebb, 1955 ;
Leuba, 1955 ; Zuckerman, 1979, 1990 ; Zuckerman, Buschbaum, et Murphy, 1980). Ainsi,
lorsque l’environnement est trop stimulant, le degré d’activation dépasse le niveau optimal,
ce qui induit la diminution du niveau de stimulation recherché par l’individu. Et, inversement,
l’individu sous stimulé s’ennuie et à tendance à rechercher de nouvelles sensations afin
d’augmenter son niveau d’activation.
Dans le modèle de Zuckerman, la recherche de sensations se subdiviserait en quatre
dimensions :
33
Même si le soutien social ne désigne pas totalement une caractéristique objective des relations
sociales de l’individu, mais une transaction entre individu et environnement telle que perçue par
l’intéressé, les besoins de l’étude nous ont amenés à l’envisager comme une caractéristique
contextuelle c'est-à-dire comme une ressource personnelle et sociale dont dispose le sujet pour faire
face à une situation à risque.
74
-
la recherche de danger et de prise de risques ;
-
la recherche d’expériences nouvelles et excitantes ;
-
la désinhibition et utilisation de substance ;
-
la susceptibilité à l’ennui.
Ce concept de recherche de sensations a fait l’objet de nombreuses études depuis son
développement initial. On sait que « les individus qui ont un score élevé sur l’échelle de
recherche de sensations participent à divers types d’activités à risques aussi bien négatives
que positives » (Ficher et Smith, 2004, p. 535). Par exemple, la consommation de tabac
(Pederson, 1991 ; Zuckerman, Ball, & Black, 1990), d’alcool et de médicaments (Bates et
Labouvie, 1997 ; Stacy, Newcomb et Bentler, 1993). Des études ont également montré
l’importance du facteur « âge » dans la variabilité de la recherche de sensations
(Zuckerman, 1994). En effet, la recherche de sensations connaît un pic à la fin de
l’adolescence et décroît avec l’âge (Zuckerman et Neeb, 1980).
Un parallèle peut être fait avec le concept de l’homéostasie du risque (Wilde, 1982,
1994). Selon cette théorie, les individus acceptent un certain niveau de risque subjectif pour
leur santé et leur sécurité en échange du bénéfice qu’ils comptent retirer d’une activité
donnée. La finalité de l’homéostasie est l’atteinte d’un équilibre nouveau ajusté à la situation
nouvelle qui a déclenché le processus. Ainsi, les individus auraient tendance à rechercher
des sensations en se confrontant à une situation à risque. Ceci permettant d’équilibrer de
façon optimale leur besoin de stimulation. Etant donné les normes de sécurité et de
protection qui sont de plus en plus présentes dans notre société, les situations
potentiellement sources de stimulations s’en trouvent aseptisées. C’est pourquoi Zuckerman
et Kuhlman (2000) suggèrent que l’engagement dans des conduites à risques (sports
extrêmes, par exemple) est fonction des sensations fortes recherchées afin de rétablir
l’équilibre homéostatique à son niveau optimal d’activation.
2.1.4. Croyance en un monde juste
Dans le sens commun, certaines croyances poussent les individus à considérer
qu’une victime est responsable de ce qui lui arrive. En effet, si cet évènement était gouverné
par la fatalité, nous risquerions d’être frappés à notre tour par le malheur. Si par contre la
victime est responsable, alors ces attributions permettent de penser que nous pouvons
éviter ces évènements négatifs. Ce type de croyance a une fonction défensive, qui traduit
une motivation des individus à contrôler l’environnement. Si les gens ont besoin de croire
75
qu’ils ont le contrôle sur leur environnement, il faut qu’ils puissent éliminer le hasard comme
facteur causal de ce qui leur arrive.
Pour Lerner (1980), une façon de nier l’intervention du hasard consiste pour les
individus à croire, ou à faire l’hypothèse que nous vivons dans un monde juste (du moins
tendanciellement juste) dans lequel les gens obtiennent ce qu’ils méritent. Autrement dit, les
gens n’accepteraient pas de penser que le monde dans lequel ils vivent est incohérent et
que les bonnes et les mauvaises choses, les récompenses et les punitions sont attribuées
de façon aléatoire. Ils cherchent à rendre légitime le coup du sort, à lui donner du sens
notamment en rendant la victime responsable de l’évènement malheureux. Nous filtrons
donc ce que nous voyons par un « non-dit » cognitif : « tout ce qui arrive à quelqu’un, il l’a
mérité ». Lerner (1980), a défini ce filtrage de l’information, à travers le concept de « belief in
a just world » ou « croyance en la justice du monde ».
Dans le domaine de la santé, cette variable a été étudiée par Maes (1999). L’étude qui
portait sur les attitudes envers les malades du cancer met bien en évidence cette tendance
générale selon laquelle les gens obtiennent ce qu’ils méritent, et méritent ce qu’ils ont.
Cette variable peut être appliquée à un contexte spécifique ; pour Malis, elle sera mesurée
au niveau personnel de l’individu, c'est-à-dire comme référent à une ressource personnelle.
2.1.5. Le degré d’allégeance
Dans les explications que tout un chacun construit des événements et des conduites,
on a généralement tendance a surestimer le poids des causes internes (liées aux
caractéristiques, notamment psychologiques, des acteurs), tandis que l’on occulte plus
facilement le rôle des déterminismes externes (et tout particulièrement sociaux).
Cette surestimation est socialement valorisée, comme l’ont initialement exposé Jellison
et Green (1981), en introduisant le concept de norme d’internalité. Depuis, de très nombreux
travaux expérimentaux ont confirmé l’importance de cette norme (Dubois, 1987, 1994), dans
différents domaines de la pratique sociale (éducation, travail social, recrutement, et
globalement dans les pratiques évaluatives).
La psychologie politique s’est intéressée à ces travaux en ce qu’ils éclairent les
mécanismes par lesquels, dans les sociétés libérales, l’exercice du pouvoir génère les
conditions idéologiques de sa pérennisation. En effet, la norme d’internalité « trouve son
champ de pertinence sociale dans la production d’un système de pouvoir libéral » (Dubois
76
1994, p.193). Ainsi, l’internalité procèderait de la naturalisation des valeurs dominantes. Elle
permettrait de légitimer, en invoquant des qualités personnelles comme le « mérite », la
position de chacun dans la hiérarchie, tout en masquant l’arbitraire social.
Or, cette norme d’internalité fait depuis peu l’objet d’un examen critique. Gangloff
(1999) a ainsi mis en évidence, expérimentalement, que la norme ne portait pas tant sur
l’internalité mais plutôt sur l’allégeance : les explications données tairaient l’influence de
l’environnement social, et préserveraient l’ordre établi. La norme d’allégeance se définit
comme la valorisation sociale des explications des évènements qui respectent et/ou
soutiennent une figure de pouvoir en jeu dans la situation. Les individus, que ce soit de
manière interne ou externe, excluraient, dans leurs attitudes, comportements et conduites,
toute mise en cause de l'environnement social, préservant ainsi la hiérarchie des pouvoirs
inhérents à cet environnement (Gangloff, 2002). Selon Pansu, « l’évaluation des conduites
ne vise pas à sélectionner les meilleurs, les plus capables, mais ceux qui adhèrent, se
conforment aux valeurs idéologiques en tant que personne pouvant assurer la cohésion
sociale » (1994, p.19).
La norme d’allégeance a été largement étudiée dans la sphère professionnelle, en
particulier dans celle de l’insertion professionnelle (Dagot et Castra, 2002), mais elle n’a, à
notre connaissance, pas fait l’objet d’investigations dans le domaine de la santé. Pourtant,
cette variable serait intéressante à prendre en compte : les individus valorisent-ils
socialement la figure de pouvoir et d’autorité que peut incarner le médecin ?
Les croyances sont des bribes de représentations sociales qui permettent à l’individu
de comprendre l’environnement dans lequel il évolue. Cependant, d’autres processus
intermédiaires, ou transaction entre l’individu et l’environnement sont à considérer pour bien
comprendre le fonctionnement de la logique profane.
2.2.
Des croyances générales à l’évaluation des situations à risque : le rôle
des médiateurs psychologiques
Ces médiateurs psychologiques ou transactions (ce que l’individu pense et fait
actuellement modulent l’impact des variables antécédentes contextuelles (caractéristiques
environnementales) et personnelles (ce que l’individu est) que nous venons de présenter.
Ainsi, l’individu confronté à une situation aversive commence par évaluer cette situation, puis
77
évalue ses ressources personnelles et sociales avant d’élaborer des réponses pour faire
face au problème.
Au sein de nos recherches, nous avons sélectionné un ensemble de variables nous
semblant importantes à considérer : l’attribution causale, la notion de responsabilité, le
contrôle perçu, le stress perçu et les stratégies d’ajustement ou de « coping ».
2.2.1. L’attribution causale
Une tradition de recherche déjà ancienne en psychologie sociale aborde cette
psychologie du sens commun qui nous permet d’interpréter notre comportement et celui
d’autrui. L’attribution causale est un processus cognitif qui consiste à rechercher des causes
pouvant expliquer la survenue des évènements. Ce processus inférentiel est parfois
confondu avec le lieu de contrôle (LOC). Alors que ce dernier est une croyance élaborée a
priori, l’attribution causale est une explication donnée a posteriori. Elle consiste à expliquer
ce qui nous est arrivé antérieurement par des facteurs internes (compétences, actions, etc.)
ou externes (autrui, hasard, etc.)
Selon la théorie de l’attribution (Abramson et al., 1978), les individus interprètent leurs
résultats de quatre façons :
-
Internalité/externalité : l’état de santé d’une personne peut être interprété par celleci comme dépendant de sa manière de vivre (attribution interne) ou comme lié à un
évènement extérieur (attribution externe) ;
-
Stabilité/instabilité : ce même état de santé peut être expliqué par la personne
comme dépendant de facteurs stables, qui vont durer avec le temps ou par des
facteurs instables (de courte durée) ;
-
Globalité/spécificité : les causes invoquées peuvent être globales (aptitudes
physiques générales, etc.) ou spécifiques (dysfonctionnement chronique, etc.).
Dans une étude prospective effectuée sur 68 sujets cancéreux, Watson et al., (1990)
montrent qu’une attribution interne de la maladie (« c’est de ma responsabilité si je suis
malade ») est associée à l’anxiété et à la détresse ultérieure. Une autre étude prospective
menée sur une cohorte d’une centaine d’étudiants a également montré qu’un style explicatif
pessimiste initial prédit un mauvais état de santé ultérieur (Peterson et al., 1988).
78
Weiner
(1985)
ajoute
une
quatrième
caractéristique :
contrôlabilité/incontrôlabilité des évènements. L’intérêt à inclure cette 4
ème
la
relative
facette dans la
théorie de l’attribution est clairement démontré par les recherches relatives à l’adoption de
comportements sains ou à risque. La croyance par les individus en des facteurs de risques
contrôlables se traduit par l’adoption de comportements de prévention. L’attribution de
diverses
pathologies
liées
à
des
facteurs
incontrôlables
(facteurs
génétiques,
incompétences des médecins, inefficacité des traitements etc.) facilite le développement
d’attitudes fatalistes et de comportements à risque, ce qui est évidemment préjudiciable
pour la santé (Nuissier, 1994).
2.2.2. La notion de responsabilité
Le risque, évènement fâcheux, relève par essence de l’incertain. Autrement dit,
l’incident, le dysfonctionnement ou l’erreur rappellent les limites de nos certitudes, les limites
de la fiabilité des systèmes.
Dans ce contexte incertain, le maître mot dont on use à profusion, est celui de la
responsabilité. Cette notion qui renvoie à un fait linguistique, tout autant que social, nous
interpelle en raison de la richesse de ses significations. Dans la sphère politique, être
responsable – ou plutôt être un responsable – c’est avoir du pouvoir sur autrui. Dans la
sphère morale, être responsable c’est s’engager librement, sans attente de récompense ni
crainte de châtiment. Dans la sphère juridique, la responsabilité s’exprime en termes de
causalité : « je suis responsable de ce qui arrive par ma faute ».
Ces trois acceptions de la notion de responsabilité ont cohabité sans trop de heurts
jusqu’à la fin du XIXe siècle. Cependant, au principe politique de responsabilité basé sur le
pouvoir succède progressivement une conception de la régulation sociale en termes de
solidarité. Le fondement du droit de la responsabilité se fait donc social plutôt que
philosophique et moral : il s’agit d’assurer une répartition équitable de la charge des
dommages liés à des activités reconnues comme socialement utiles. Dans le domaine
juridique, les législations sur les accidents du travail instituent des systèmes de réparation
centrés autour de la notion de risque et non plus sur celle de faute : c’est le souci de la
victime et de son dédommagement qui prime. Solidarité, répartition équitable, réparation :
c’est bien de la question du « juste » à l’intérieur du groupe dont il est question ici.
Dans le domaine qui nous occupe, l’idée de représentation populaire de la
responsabilité est notamment basée sur la question de l’imputation causale : désigner les
79
responsables réels (ou potentiels) de l’acte dommageable. Or, quand on rend les gens
responsables d’une situation, la question centrale sous jacente est celle de l’intention (Jones
et Davis, 1965). En effet, si la notion d’attribution causale correspond à la recherche des
causes possibles, l’imputation de responsabilité fait quant à elle référence à la recherche de
l’origine.
C’est Heider (1944) qui établit le premier une distinction entre l’origine et la cause. Il se
réfère à Fauconnet (1928) : l’homme est une cause première, au moins pour la qualité
morale de ses actes. Pour Fauconnet, la recherche de la cause première s’enracine dans un
besoin social : le besoin de trouver une responsabilité aux délits, crimes, à tout ce qui paraît
déviant, pour pouvoir ensuite appliquer la sanction. L’individu agirait en « juriste naïf ».
L’idée est que l’homme de la rue, face aux évènements ou aux conduites à expliquer, se
comporte un peu comme un juré dans un tribunal, ce qui expliquerait la focalisation sur
l’intention.
En effet, concernant la question de l’imputation de la responsabilité (« qui est jugé
cause de l’acte fautif commis »), certains travaux (Sardi et al., 1995 ; Kellerhals et al., 1997)
permettent de lui reconnaître les dimensions suivantes :
- La responsabilisation individuelle définit le fait qu’une personne est jugée responsable
de ses actes malgré l’importance des pressions que le contexte (la publicité, par exemple, ou
un climat social de compétition ou d’insécurité, etc.) peut exercer sur son comportement ;
- L’agentisme se caractérise par le report, en cas d’acte fautif, de la responsabilité de cet
acte sur l’institution dans laquelle cet auteur est inséré ;
- L’intentionnalité définit le couplage ou le découplage que l’on établit entre la connaissance
que l’acteur a des conséquences possibles de son acte et la responsabilité qui lui est
imputée. Il y a couplage lorsque la méconnaissance entraîne la non-responsabilité,
découplage lorsque l’on est réputé responsable de conséquences que l’on n’était cependant
pas à même de prévoir au moment de la commission de l’acte (Kellerhals, 2001) ;
- La révocabilité consiste en la possibilité, accordée à une personne, de se dégager des
engagements qu’elle a contractés (par exemple, lors d’un achat ou de la signature d’un bail)
avec un ou plusieurs autres acteurs. On peut également la nommer « droit au regret ».
Dans nos sociétés actuelles, la tendance semble être de rejeter la responsabilité d’un
acte et le poids de sa réparation sur des instances collectives (Kellerhals, 2001). A ce titre,
les conceptions de James Reason (1995, 2000), comme celle de Jens Rasmussen (2000,
80
2002) considèrent le système socio-technique dans sa globalité, plutôt que de centrer la
responsabilité sur les seuls opérateurs.
Reason introduit les erreurs humaines dans un contexte (le système technique et
organisationnel), et identifie dans le système, des facteurs pathogènes qui se combinent et
amènent à l’accident. Son analyse de l’erreur humaine se focalise sur la défaillance à
chaque organisationnelle identifiable au travers des barrières du système.
Les travaux de Jens Rasmussen portent sur le caractère global de l’accident. Son
approche est basée sur une représentation globale du système socio-technique. Cette
dernière intègre un maximum de paramètres qui contribuent à l’accident. Ils sont regroupés
en six tranches : le travail (action des opérateurs), le personnel (psychologie, facteurs
humains, etc.), le management (revue des opérations), la société (indicateurs de la sécurité),
l’autorité (application des lois, inspection, analyse d’accident), et le gouvernement (les lois et
politiques). Les actions des opérateurs sont déterminées par les évaluations et décisions des
tranches organisationnelles supérieures.
Ces différents niveaux sont associés à des disciplines différentes (psychologie,
sociologie, économie, politique, etc.), et l’ensemble des connaissances correspondantes
seraient essentielles pour accéder à une meilleure compréhension du fonctionnement du
système. Contrairement à Reason, l’analyse de Rasmussen ne permet pas d’identifier des
défaillances organisationnelles, mais permet une contextualisation afin de mieux saisir les
déterminants des actions et la dérive du système.
2.2.3. Le contrôle perçu
Précédemment, nous avons considéré le lieu de contrôle (LOC) comme une croyance
généralisée34. Nous allons à présent nous pencher sur des aspects beaucoup plus
transitoires et spécifiques du contrôle : le contrôle perçu.
Le contrôle perçu est une croyance en la maîtrise d’un problème ou d’un stresseur
particulier. Il est conceptuellement distinct du lieu de contrôle et n’est pas forcément prédit
par lui. En effet, le contrôle perçu consiste à croire que l’on dispose des ressources
personnelles permettant d’affronter et de maîtriser les évènements. C’est un processus
évaluatif en interaction avec le précédent (le LOC) ; il est relativement spécifique (il est
34
Les évènements ultérieurs dépendent soit de facteurs internes, soit de facteurs externes.
81
fonction d’une situation particulière) et transitoire (c’est un état momentané), ce qui le
distingue du lieu de contrôle, croyance durable et généralisée, considéré comme un
antécédent dispositionnel (trait de personnalité) plutôt que comme un processus
transactionnel. Le contrôle perçu est considéré comme un processus transitoire résultant de
la transaction entre une personne (se caractérisant par des croyances générales en ses
possibilités de contrôler les évènements) et une situation (un évènement particulier plus ou
moins contrôlable objectivement).
Au final, le contrôle perçu joue un rôle très protecteur vis-à-vis de la santé somatique et
psychique. En revanche, le sentiment de perte de contrôle a des effets nettement
dysfonctionnels. Par exemple, chez les sujets lombalgiques, le contrôle perçu vis-à-vis du
mal de dos modère l’intensité de la douleur et prédit un meilleur ajustement à cette
pathologie. Un faible contrôle perçu vis-à-vis de la douleur est associé à diverses issues
dysfonctionnelles (Koleck, 2001).
En outre, il a été observé que le contrôle perçu améliore la qualité de vie émotionnelle
et fonctionnelle, ceci dans des groupes de patients très divers (asthmatiques, cancéreux,
arthritiques, cardiopathes, etc. Voir Bruchon-Schweitzer et Quintard, 2001). D’autre part, les
effets du contrôle perçu seraient assez complexes et notamment en interaction avec d’autres
variables comme le soutien social perçu ou le stress perçu.
2.2.4. Le stress perçu
« Le stress est une transaction particulière entre la personne et l’environnement, dans
lequel la situation est évaluée par l’individu comme taxant ou excédant ses ressources et
pouvant menacer son bien être » (Lazarus et Folkman, 1984, p. 19). Selon cette conception,
ce ne sont pas les caractéristiques objectives de la situation à risque, mais son évaluation et
son ressentiment, qui moduleraient la relation entre le contexte aversif et l’état de l’individu
(émotionnel, somatique). Il est donc tout à fait nécessaire de distinguer les stresseurs
environnementaux objectifs liés à la situation à risque de l’impact subjectif de cette situation,
ou stress perçu.
Ainsi, le stress perçu serait la résultante de diverses transactions entre l’individu et son
contexte, conduisant celui-ci à percevoir une discordance entre les contraintes de la
situation et les ressources dont il dispose pour y faire face. C’est donc un processus
dynamique et élaboré activement par la personne de façon singulière. Le stress perçu est
82
l’un des médiateurs essentiels par lesquels transitent à la fois les caractéristiques de la
situation aversive et la personnalité du sujet. Son impact est en général dysfonctionnel.
Les études qui ont été menées pour évaluer l’effet de divers types de stresseurs
(familiaux, scolaires, professionnels ou médicaux) sur divers critères (santé somatique,
santé mentale) montrent que les petits tracas quotidiens ont un impact plus important sur la
santé que les évènements de vie majeurs (De Longis et al., 1982). Ces auteurs spécifient
également que le stress perçu a des effets nocifs plus marqués que des mesures objectives
des évènements (Amiel-Lebigre, 1993 ; Adler et Matthews, 1994 ; Cohen et Edwards, 1989).
Plusieurs études épidémiologiques de grande ampleur ont montré que le stress,
surtout lorsqu’il est combiné à l’isolement social et à un faible contrôle perçu, est un facteur
de risque cardio-vasculaire (Johnson et Hall, 1989). Une autre étude menée sur des sujets
atteints d’un traumatisme médullaire (évènement grave puisqu’il induit le plus souvent la
perte de la locomotion, de l’autonomie, de la sensibilité, etc.) met en évidence que les sujets
qui évaluent cette pathologie en termes de menace ou de perte, présenteront plus de
détresse émotionnelle que ceux qui la perçoivent comme un défi (Nuissier, 2001).
Divers travaux menés dans le champ de la psychosomatique ont montré la relation
entre certains évènements de vie stressants et l’initiation ou la récidive des symptômes.
C’est la cas de l’eczéma, du psoriasis et de l’asthme, où des périodes d’activité de la
maladie semblent succéder à des séparations et à d’autres évènements familiaux
éprouvants (Amiel-Lebigre, 1993, p. 128-129). Mais ces travaux, essentiellement
rétrospectifs, ont par la suite été largement invalidés du fait de leur faiblesse
méthodologique (faible échantillon de sujets, outils peu valides, biais de rappel rétrospectif,
etc.). A ce jour il convient de rester extrêmement prudent quant au rôle prédictif des
événements de vie sur la survenue d’une pathologie (ils n’expliqueraient que 9% environ de
la variance de l’état de santé à un an). A l’inverse, les événements de vie constitueraient de
bons prédicteurs de l’évolution du processus morbide chez les sujets déjà malades
(Bruchon-Schweitzer, 2002 ; Bruchon-Schweitzer et Quintard, 2001).
2.2.5. Les stratégies d’ajustement ou « coping »
L’individu ne subit pas passivement les évènements de vie aigus et chroniques. Il
essaye de « faire face ». On parle de « coping » ou stratégie d’ajustement pour désigner les
réponses et réactions que l’individu va élaborer pour maîtriser, réduire ou tolérer la situation
83
aversive. Le coping peut prendre des formes très diverses. Il peut s’agir de cognitions35,
d’affects36 et de comportements37.
Lazarus et Folkman (1984, p. 141) définissent le coping comme « l’ensemble des
efforts cognitifs et comportementaux, constamment changeants, déployés pour gérer des
exigences spécifiques internes et/ou externes qui sont évaluées par la personne comme
consommant ou excédant ses ressources ». Il s’agit bien ici d’une conception
transactionnelle du stress et du coping qui ne sont ni des caractéristiques de la situation, ni
des caractéristiques des individus, mais des processus impliquant des actions réciproques
entre sujet et environnement38. Ce sont des stratégies élaborées pour tenter de maîtriser les
situations aversives et/ou pour réduire la détresse induite par ces situations. Cette définition
montre bien que le coping est un processus spécifique et constamment changeant, et non
une caractéristique générale et stable. Nous ne pouvons donc pas confondre les stratégies
de coping (tout ce que l’individu pense et met en place face à la situation) avec les effets
(fonctionnels ou non de ces stratégies). Il est impossible de considérer a priori une stratégie
de coping comme adaptée ou inadaptée, une stratégie pouvant être efficace dans certaines
situations (par exemple la fuite en cas de menace) et inefficace dans d’autres Par exemple,
si la menace est objectivement incontrôlable, la fuite constituera une stratégie fonctionnelle
et adaptative, alors que la combativité sera dysfonctionnelle et associée à une issue
défavorable (troubles de l’ajustement).
Selon Lazarus et ses collègues (1984), les stratégies de coping peuvent être
regroupées en deux catégories, auxquelles certains auteurs ont rajouté une troisième :
-
Le coping centré sur le problème regroupe toutes les stratégies visant à réduire
les exigences de la situation et/ou à augmenter ses propres ressources pour mieux y
faire
face,
comme
par
exemple,
consulter
un
médecin,
augmenter
ses
connaissances sur le problème, rechercher des informations, etc. ;
-
Le coping centré sur les émotions regroupe les diverses tentatives de l’individu
pour réguler les tensions émotionnelles induites par la situation ;
35
Réévaluation de la situation problématique ou des ressources disponibles, restructuration cognitive,
plans d’actions, etc.
36
Expression ou répression de la peur, colère, etc.
37
Résolution du problème, recherche d’information ou d’aide, etc.
38
L’individu pouvant modifier la situation et être modifié par elle.
84
-
La recherche de soutien social apparaît parfois comme troisième stratégie
générale. Elle correspond aux efforts du sujet pour obtenir la sympathie et l’aide
d’autrui et ne doit pas être confondue avec le réseau social ni le soutien social qui
sont des caractéristiques réelles ou perçues de l’entourage social. Il s’agit ici de
tentatives effectives d’une personne pour obtenir une écoute, un réconfort, des
informations, ou encore une aide matérielle.
Le coping est donc un processus dynamique qui ne peut pas être réduit à un
phénomène linéaire de type « stimulus-réponse ». Il est constitué d’efforts cognitifs et
comportementaux qui varient en fonction des ajustements du sujet à son environnement.
De nombreuses études ont été réalisées sur des sujets malades, afin d’évaluer
l’efficacité relative des diverses stratégies d’ajustement élaborées face à la douleur ou face
à diverses maladies (cancers, infection par le VIH, diabètes, etc.) sur leur bien-être
émotionnel et sur leur état fonctionnel. A titre d’exemple, d’après la synthèse de la littérature
réalisée par Bidan-Fortier (2001), les sujets séropositifs recourent à trois stratégies
essentielles : coping centré sur le problème (combativité, adhésion thérapeutique, recherche
d’informations, etc.), coping évitant (évitement cognitif et émotionnel) et coping centré sur
l’émotion (impuissance-désespoir, fatalisme, etc.). Les stratégies centrées sur le problème
sont associées à une moindre détresse et à une meilleure qualité de vie. En revanche, la
stratégie évitante et la stratégie émotionnelle induisent une aggravation des problèmes
psychologiques chez les patients.
Il a été observé, chez des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR) que les
diverses facettes du coping émotionnel (auto-accusation, impuissance-désespoir, etc.) sont
toutes dysfonctionnelles. La dramatisation, par exemple, induit une intensification de l’état
dépressif et une augmentation de la douleur et du handicap fonctionnel. Un coping passif
(rester couché, restreindre ses activités, etc.) induit une augmentation de la douleur, de la
fréquence des poussées inflammatoires et de la détresse. En revanche, un coping centré sur
le problème impliquant une attitude réaliste vis-à-vis de la maladie, une minimisation de la
menace et une réévaluation positive de la situation, s’est avéré efficace par rapport à
l’ajustement fonctionnel et émotionnel de ces patients (Aguerre, 2001, p. 123-124).
Des stratégies spécifiques sont élaborées par les patients cancéreux : esprit combatif,
impuissance-désespoir, fatalisme-résignation, auto-accusation, préoccupations anxieuses,
répression des émotions. Si l’impuissance-désespoir et la répression des émotions sont
associées à une issue péjorative, la combativité n’a pas d’effet fonctionnel sur la survie, sauf
85
dans les études de très longue durée impliquant un suivi de plus de dix ans. En ce qui
concerne les issues émotionnelles, c’est la combativité qui apparaît comme la stratégie la
plus fonctionnelle : elle prédit une meilleure qualité de vie ultérieure chez les patients. En
revanche, l’impuissance-désespoir, comme les autres stratégies émotionnelles, est associée
à une augmentation de la détresse des patients (Cousson-Gélie, 2001, p.63-66).
Dans l’ensemble, nous avons constaté que les stratégies de coping centrées sur le
problème avaient des effets fonctionnels, alors que les stratégies émotionnelles avaient
quant à elles des effets plutôt dysfonctionnels. Cependant, nous ne pouvons pas généraliser
ce phénomène, car, comme nous l’avons déjà souligné, il n’y a pas de stratégie de coping
efficace indépendamment des caractéristiques des individus (conatives, cognitives) et de
celles des situations rencontrées (gravité, durée, contrôlabilité).
Les croyances et autres variables psychosociales, qu’elles correspondent à des
caractéristiques personnelles de l’individu, ou qu’il s’agisse de transactions avec son
environnement, sont activées pour permettre à l’individu confronté à une situation
d’incertitude de combler les lacunes dans la connaissance objective et de faire des
hypothèses explicatives. Elles visent à le rassurer quant au contrôle qu’il peut avoir sur son
environnement.
L’examen de la littérature nous a permis de mieux saisir les décalages existant entre
les représentations du public et le « modèle expert », et de mieux connaître les principaux
facteurs associés à cette divergence.
L’analyse des influences sociales et des paramètres psychosociaux conduit à une meilleure
compréhension des mécanismes d’appréhension du risque par les profanes. Les différentes
études et théories présentées concourent vers la même idée : les individus intègrent
diverses considérations, différents paramètres dans leur conception du risque, ce qui traduit
une appréhension constructiviste de la réalité. Face au risque, l’individu profane active de
nombreuses sources telles que les représentations sociales, les systèmes de valeurs et de
croyances, la tonalité positive ou négative de certaines expériences passées, la fonction
dans le groupe, l’information sur les risques sous l’influence des médias.
A présent, il s’agit de s’interroger sur la construction d’un modèle en vue
d’opérationnaliser l’ensemble des éléments sélectionnés à partir de cette revue de la
littérature.
86
Partie V
MODELE CONCEPTUEL
Au regard de la définition de l’acceptabilité sociale du risque, l’analyse de la revue de
la littérature nous a conduits à sélectionner un certain nombre de paramètres. En effet, nous
faisons l’hypothèse que l’acceptabilité sociale du risque se mesure à l’aide de plusieurs
types de variables : celles liées aux caractéristiques du contexte (dans lequel évolue le
risque), celles associées aux dispositions personnelles de l’individu (caractéristiques sociodémographiques, styles de vie, croyances, valeurs, représentations sociales, traits de
personnalité, etc.) et celles relatives aux diverses transactions (stress perçu, contrôle perçu,
soutien perçu, etc.) que celui-ci établit pour tenter de gérer la situation (ici le risque).
Le premier point sera consacré à présenter le modèle d’analyse sur lequel nous nous
sommes basés pour conceptualiser l’acceptabilité sociale du risque. Puis, nous détaillerons
la structuration du modèle d’analyse conceptuel construit en fonction des variables
sélectionnées.
Choix du modèle d’analyse : Modèle intégratif et multifactoriel
1
L’objectif de Malis est de mesurer le niveau d’acceptabilité – et ses déterminants
psychosociaux - des principaux risques liés aux soins dans deux populations, le public et les
médecins. A ce titre, divers modèles prédictifs et explicatifs considérant l’état de santé
comme un critère à prédire ont été élaborés en psychologie de la santé. Bruchon-Schweitzer
(2002) a structuré un modèle intégratif et multifactoriel de la santé et de la maladie. Celui-ci
intègre les trois types de facteurs ayant un impact sur la santé, à savoir :
-
Les facteurs antécédents environnementaux et socio-démographiques (le
contexte dans lequel le sujet évolue et son « l’histoire » personnelle) ;
-
Les facteurs antécédents individuels qu’ils soient psychosociaux ou biologiques
(ce que l’individu « est ») ;
-
Les facteurs dits de transactions et d’ajustement (ce que l’individu « pense » et
ce qu’il « fait » face à l’adversité).
87
Chacun de ces groupes de facteurs participe à expliquer une part des critères, ou
issues de la situation. En effet, dans ce modèle, les issues (ou critères) sont le plus souvent
soit biologiques et somatiques (initiation d’une maladie, état fonctionnel, guérison, etc.), soit
émotionnelles et psychologiques (bien-être, qualité de vie subjective, etc.). Cependant, ce
modèle peut être utilisé pour prédire des critères extrêmement variés, et doit être spécifié et
adapté pour chaque situation. Comme le souligne Bruchon-Schweitzer (2002), il convient à
l’étude du risque. En effet, ce modèle comprend une succession de séquences temporelles
(antécédents, médiateurs, issues), car toute situation de risque est une histoire, autrement
dit un processus temporel et non statique. Enfin, ce modèle est suffisamment flexible pour
convenir à la prédiction d’issues très différentes : état de santé, dépression, etc.
L’originalité de cette approche repose sur la phase d’évaluation primordiale qui
déterminerait les efforts d’ajustement qui suivront. L’évaluation est la façon dont la personne
perçoit la situation en fonction de ses valeurs, de ses attentes et de son histoire. C’est donc
un contexte subjectif qui est au centre de ce modèle et non le contexte tel qu’il est. Ainsi,
selon cette approche, un individu donné, compte tenu de ce qu’il affronte (contraintes de son
histoire : biographie, évènements antérieurs, contexte passé), et de ce qu’il est (traits, types
de personnalité, style de vie, etc.), va évaluer ses ressources personnelles et sociales qui à
leur tour détermineront diverses stratégies de faire face (ou coping) visant soit à réguler
directement la tension émotionnelle induite par le stresseur (se résigner, penser à autre
chose, minimiser le problème, etc.), soit à tenter de résoudre le problème, ce qui permet,
indirectement, de réguler des affects (établir un plan d’action, se battre, chercher une
solution, etc.).
Force est de constater que les processus de transactions et d’ajustement à la situation
jouent un rôle fondamental en modulant l’impact des diverses caractéristiques contextuelles
et individuelles sur la santé. Comme le spécifie Bruchon-Schweitzer, (2002, p. 388) « c’est
un modèle intégratif et multifactoriel, prenant en compte à la fois les déterminants
environnementaux, dispositionnels, et les transactions individu-environnement qui est le plus
heuristique ». En effet, ce modèle intègre l’ensemble des facteurs contribuant à la prédiction
de l’état de santé. D’autre part, il permet de revisiter les hypothèses concernant les relations
possibles entre différents facteurs (effets principaux, directs, indirects, etc.).
C’est en fonction de ces arguments que nous avons choisi de nous appuyer sur ce
modèle dit « intégratif et multifactoriel », afin de mesurer l’acceptabilité sociale des risques
liés aux soins. Nous allons à présent détailler les différents facteurs sélectionnés, en fonction
de leur place dans le modèle conceptuel.
88
Le modèle d’analyse conceptuel de l’acceptabilité sociale des
risques
2
D’après le modèle intégratif ou multifactoriel, nous avons classé les variables extraites
de la revue de la littérature selon qu’elles correspondent à des variables antécédentes ou
médiatrices. Nous avons ajouté à ce modèle un autre groupement de variables liées au profil
du risque (cf. schéma n°10 p 88).
Afin de mesurer l’acceptabilité et la tolérance aux risques liés aux soins (variables
dépendantes/issues), l’outil de mesure (le questionnaire soumis à la population) repose sur
l’architecture de ce modèle. Il se décline en trois temps :
-
Dans un premier temps, nous soumettrons les items issus des variables
antécédentes ;
-
Dans un second temps, nous présenterons des scénarios qui introduisent une
situation à risque liée aux soins. Dans la construction de ces scénarios, nous avons
pris en compte certaines variables liées au profil du risque. Le choix de neutraliser
ces variables permet d’une part de caractériser les situations à risque présentées ; et
d’autre part de mesurer la variabilité des réponses en fonction de ces dimensions ;
-
Dans un troisième temps, la population de l’étude sera questionnée sur les items
des variables médiatrices qui font directement référence à la situation à risque
présentée dans le scénario. Nous avons également choisi de soumettre deux items
issus des variables antécédentes.
A présent, nous allons décliner l’ensemble des variables sélectionnées dans la revue de la
littérature pour chacune des trois phases.
89
Variables Antécédentes
Variables issues / Dépendantes
Acceptabilité
♦ Variables sociodémographiques
(Niveau social)
Variables
♦ Variables contextuelles
Médiatrices
♦ Variables liés à l’expérience du risque
♦ Variables mesurées au niveau personnel
Tolérance
(Niveau + psychologique)
Variables contrôlées dans les scénarios
♦ Variables liées au profil du risque
Schéma n°10 : Modèle conceptuel de mesure de l’acceptabilité sociale des risques liés aux soins
90
2.1.
Premier temps : les variables antécédentes
Comme nous l’avons vu précédemment, il s’agit des variables qui nous permettent de
mesurer les variables dépendantes/issues, ici l’acceptabilité sociale du risque, et la
tolérance.
Nous avons choisi de les subdiviser en plusieurs parties : les variables sociodémographiques, les variables liées à l’expérience du risque, les variables contextuelles, et
les variables mesurées au niveau personnel.
2.1.1. Variables socio-démographiques
Ce sont les variables permettant d’identifier l’individu. Elles s’opérationnalisent à l’aide
d’indicateurs positionnels.
♦ Age
♦ Sexe
♦ Situation familiale
♦ Dernier diplôme obtenu
♦ Professions et catégories socioprofessionnelles (PCS)
♦ Revenu mensuel familial net et tous revenus confondus
♦ Nombre d’enfants dont enfants à charge
♦ Zone d’habitation
2.1.2. Variables contextuelles
Les variables contextuelles renvoient à l’environnement dans lequel l’individu évolue.
Pour cette étude, un facteur nous semblait essentiel :
♦ Soutien social habituellement reçu
2.1.3. Variables liées à l’expérience du risque
Deux variables sont à prendre en compte afin de connaître le rapport de l’individu avec
le risque :
♦ Expérience biographique du risque (vécu au sein de l’entourage social avec chaque
famille de risque
♦ Expérience relationnelle du risque (vécu personnel en lien direct avec chaque famille de
risque: fréquence au cours de ces cinq dernières années)
91
2.1.4. Variables mesurées au niveau personnel
Elles renvoient aux caractéristiques individuelles relativement stables de l’individu. Les
variables retenues sont les suivantes :
♦ Ressources cognitives (information sur les risques, etc.)
♦ Rapport à la santé (bien-être en général, pratiques de santé, conduites à risque, rapport
envers les institutions médicales)
♦ Equité perçue (perception de l’égalité face à la santé)
♦ Lieu de contrôle face à la santé (LOC)
♦ Croyance en un monde juste
♦ Degré d’allégeance (niveau de soumission vis-à-vis de l’autorité médicale)
♦ Coping-trait (tendance habituelle du sujet à réagir aux menaces environnementales par
des stratégies plutôt centrées sur le problème, sur l’émotion ou sur la recherche de
soutien social)
♦ Recherche de sensations
2.2.
Second temps : variables contrôlées dans les scénarios
Ces variables sont issues des travaux de Slovic et ses collaborateurs. Elles sont liées
au profil du risque.
♦ Connus/inconnus
♦ Gravité
♦ Effrayant/non effrayant
♦ Caractère évitable
♦ Volontaire/involontaire
♦ Omission/commission
♦ Fréquence
♦ Existence de politique
♦ Nature
2.3.
Troisième temps : les variables médiatrices
Les variables dites « médiatrices » font référence aux réactions et perceptions d’un
sujet par rapport à la situation à risque. Ce sont les transactions individu-contexte. Ces
variables vont moduler (amplifier et/ou atténuer) l’impact des variables antécédentes
précédemment citées sur le degré d’acceptabilité du risque et sa tolérance.
♦ Attribution causale
♦ La responsabilité
♦ Utilité perçue de l’acte qui a conduit à l’évènement indésirable
♦ Caractère évitable perçu
92
♦ Conséquences perçues
♦ Perception du nombre de personnes affectées
♦ Niveau d’exposition perçu
♦ Stress perçu
De plus, nous avons jugé pertinent d’ajouter deux autres variables déjà mesurées en
antécédente :
♦ Expérience biographique du risque présenté dans le scénario
♦ Expérience relationnelle du risque présenté dans le scénario
Ce modèle d’analyse a pour finalité l’opérationnalisation de l’ensemble des variables
jugées pertinentes lors de l’examen de la littérature. En intégrant les dispositions
personnelles, les caractéristiques contextuelles et les transactions sujet-environnement, il
rend compte des trois grands courants (dispositionnel, situationniste et interactionniste)
explicatifs des conduites.
93
CONCLUSION
Cette revue de la littérature a permis :
- de définir les notions clés d’acceptabilité sociale et de tolérance du risque ;
- de dégager les principaux concepts et modèles potentiellement explicatifs et prédictifs,
transposables à la problématique de l’étude ;
- de construire, à partir de diverses dimensions associées à l’acceptabilité sociale du risque,
dans leurs valences prédictives et corrélationnelles, un modèle d’analyse permettant de la
mesurer.
A présent, il s’agit de mettre à l’épreuve ce modèle dans une recherche standardisée
qui ciblera deux types de sujets : la population générale et les professionnels de santé. En
identifiant différents degrés d’acceptabilité des risques liés aux soins, cette recherche pourra
rendre compte de la variabilité inter-individuelle et inter-groupes des représentations,
perceptions, attitudes et réactions face à ce type de risque.
94
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