mesure de l`acceptabilite des risques lies aux soins
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mesure de l`acceptabilite des risques lies aux soins
- 2009 - MESURE DE L’ACCEPTABILITE DES RISQUES LIES AUX SOINS Revue de littérature NITARO Léa1 ROBERTS Tamara2 Sous la direction de : QUINTARD Bruno3 MICHEL Philippe4 Avec la participation de Jean Luc Quenon, André Lecigne et Aymery Constant 1 : Psychosociologue, Laboratoire de Psychologie EA 4139 « Santé et Qualité de Vie », Université Victor Segalen Bordeaux 2 2 : Sociologue, EA 495 Laboratoire d’analyse des problèmes sociaux et de l’action collective (LAPSAC) 3 : MCU Psychologie, Laboratoire de Psychologie EA 4139 « Santé et Qualité de Vie », Université Victor Segalen Bordeaux 2 4 : Directeur, Comité de Coordination de l’Evaluation Clinique et de la Qualité en Aquitaine, Hôpital Xavier Arnozan, Pessac 1 SOMMAIRE Introduction : LE PROJET MALIS 5 Partie 1 : LE RISQUE ACCEPTABLE 9 1. Risque et gestion des risques 9 1.1. Emergence du concept de risque et son évolution dans le temps 9 1.2. La problématique polymorphe du risque : de la probabilité à la construction sociale du risque 10 1.3. Le risque lié aux activités médicales et de soins 11 1.4. Gestion des risques 12 1.4.1. De la conquête de la sécurité à la gestion des risques 12 1.4.2. Gestion des risques dans le domaine de la santé et démocratie sanitaire 13 2. L’acceptabilité du risque 16 2.1. L’acceptabilité du risque : une problématique multiforme 16 2.2. L’acceptabilité sociale du risque 18 2.3. La Tolérance où le consentement individuel contraint 19 Partie 2 : L’EVALUATION INDIVIDUELLE raisonnement probabiliste et ses limites DU RISQUE : 1. L’individu « Expert » : du calcul de l’utilité du risque aux préférences révélées le 22 22 1.1. Le paradigme de l’Utilité Espérée : la maximisation de l’utilité dans les situations risquées 22 1.1.1. Présentation du modèle 1.1.2. Limites de l’utilité espérée 1.2. Les « préférences révélées » dans la décision thérapeutique 1.2.1. La participation des individus dans le processus de soins 1.2.2. Les techniques de révélation des préférences 2. Les dimensions qualitatives de la perception du risque 22 24 25 26 26 29 2.1. La particularité des perceptions profanes 29 2.2. Perception des bénéfices et l’ajustement sur le risque acceptable 31 2 Partie 3 : LES LOGIQUES SOCIALES DE GESTION DU RISQUE 34 1. Stratégies sociales de gestion de la santé et du risque 34 1.1. Inscription sociale des conduites sanitaires profanes et stratégies de gestion de la santé 35 1.1.1. Rapport à la santé, au corps, aux institutions médicales 1.1.2. Relativité de l’objectif de santé chez le profane 1.2. L’aversion au risque et les stratégies de mise à distance 35 37 39 1.3. Exemple d’une typologie des logiques profanes de gestion de la santé et du risque (Burton-Jeangros, 2004) 40 2. Les conceptions socioculturelles du risque 2.1. Contextes de vie, interactions d’acteurs, visions du monde 2.1.1. Typologie des structures sociales : le modèle « grid-group » 2.1.2. Apports et limites 43 44 45 47 2.2. Les vulnérabilités sociales et culturelles face aux risques : l’exemple du SIDA 47 3. Les sources d’informations du risque 3.1. Les stations émettrices d’information 51 51 3.1.1. Présentation du modèle SARF (Kasperson, 1988) 3.1.2. Apports et limites du modèle SARF 51 52 3.2. Le rôle des médias 54 3.3. Les « effets secondaires » de l’amplification sociale du risque 55 Partie 4 : LE ROLE DES CROYANCES ET DES PARAMETRES 58 PSYCHOSOCIAUX DANS L’EVALUATION DU RISQUE 1. Le paradigme socio-cognitif en matière de santé et de maladie 58 1.1. Le modèle des croyances relatives à la santé : HBM (Becker, 1975) 59 1.2. La théorie du comportement planifié (Ajzen et Schifter, 1985) 62 1.3. Le modèle transthéorique (Prochaska et DiClemente, 1994) 64 1.4. Le modèle d’autorégulation (Leventhal, 1980) 67 2. Le rôle de certains paramètres psychosociaux dans l’évaluation des risques 2.1. Les ressources et croyances personnelles 2.1.1. Le Locus Of Control (LOC) 2.1.2. Le soutien social reçu 2.1.3. La recherche de sensations 2.1.4. Croyance en un monde juste 2.1.5. Le degré d’allégeance 71 72 72 73 74 75 76 3 2.2. Des croyances à l’évaluation des situations à risque : le rôle des paramètres psychologiques 77 2.2.1. L’attribution causale 2.2.2. La notion de responsabilité 2.2.3. Le contrôle perçu 2.2.4. Le stress perçu 2.2.5. Les stratégies d’ajustement ou de « coping » 78 79 81 82 83 Partie 5 : MODELE CONCEPTUEL 87 1. Choix du modèle d’analyse : modèle intégratif ou multifactoriel 87 2. Le modèle d’analyse conceptuel de l’acceptabilité sociale des risques 89 2.1. Premier temps : les variables antécédentes 2.1.1. Variables socio-démographiques 2.1.2. Variables contextuelles 2.1.3. Variables liées à l’expérience du risque 2.1.4. Variables mesurées au niveau personnel 2.2. Second temps : les variables contrôlées dans les scénarios 2.3. Troisième temps : les variables médiatrices 91 91 91 91 92 92 92 CONCLUSION 94 BIBLIOGRAPHIE 95 4 INTRODUCTION : LE PROJET MALIS Contexte Les risques liés aux soins (risques péri-opératoires, risques infectieux, risques liés aux produits de santé, etc.) constituent par leur fréquence l’un des premiers risques pour la santé. Pour accepter de lutter contre ces risques, il faut accepter qu’il y ait risque. Le concept d’acceptabilité du risque, dont la définition et les déterminants ne sont pas encore consensuels, fait appel à la perception des risques par les différents acteurs mais également à leur perception des activités de soins, et de la politique de gestion des risques. Il est intimement lié aux champs de la gouvernance des soins et de la démocratie sanitaire. La représentation des risques par les acteurs, et notamment leur acceptabilité, devrait donc être l’un des fondements de la définition de priorités en matière de sécurité des soins, au même titre que les résultats quantitatifs produits par l’étude ENEIS 21 (Etude Nationale sur les Evénements Indésirables liés aux Soins). Objectifs et perspectives du projet Malis L’objectif principal de cette recherche est de connaître le niveau d’acceptabilité - et ses déterminants psychosociaux - des principaux risques liés aux soins pour deux acteurs majeurs : le public et les médecins. Les objectifs opérationnels sont de réaliser une revue de la littérature, et de construire un modèle conceptuel définissant l’acceptabilité des risques liés aux soins, de développer un outil de mesure et de l’appliquer à deux populations : la première, représentative de la population générale, la seconde, des médecins. Ce projet participe à une meilleure compréhension des divergences entre les représentations du public et des experts, ainsi que des principaux facteurs associés à cet écart de point de vue. Il permettra également d’étudier les considérations de gouvernance (légitimité des activités, crédibilité des institutions, confiance dans les acteurs, etc.) qui sont actuellement considérées comme importantes dans l’acceptabilité des risques de façon générale et de la gestion des risques en particulier. Pour les autorités publiques, ce projet permettra de connaître l’acceptabilité sociale et professionnelle qui modulent la réaction des individus face à l’évènement indésirable, et ainsi 1 La réduction des événements indésirables graves (EIG) figure en effet parmi les objectifs du rapport annexé à la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique. En 2005, pour répondre aux besoins exprimés par la DGS et la DHOS, une enquête pionnière - dite ENEIS - avait été réalisée. L’étude a pour objectifs d’estimer l’incidence des événements indésirables graves observés en milieu hospitalier et leur caractère évitable, décrire les causes immédiates de survenue de ces événements liés aux soins. L’étude ENEIS a été rééditée en 2009 (ENEIS 2) selon les mêmes principes et avec la même méthode. 5 de contribuer à la définition d’une politique de gestion des risques liés aux soins. De ce fait, ce projet fournira une aide à la décision publique, et permettra d’adapter les communications du ministère. De plus, en accédant à une meilleure compréhension des paramètres de l’acceptabilité, la réalisation de ce projet devrait permettre de comprendre les comportements de la population générale face à une crise sanitaire et donc de les anticiper. Enfin, il offrira une opportunité de participation du public à l’évaluation des risques et aux décisions, contribuant concrètement à la mise en place de la démocratie sanitaire. Objectifs de ce travail Ce rapport correspond au premier objectif opérationnel de cette recherche et consiste en une revue exhaustive et critique de la littérature afin de construire un modèle conceptuel de mesure de l’acceptabilité et de la tolérance, et de ses composantes psychosociales. Méthodes • Recherche documentaire Sources d’informations : Cette revue de la littérature a nécessité une recherche documentaire pluridisciplinaire. C’est pourquoi des banques de données bibliographiques issues du domaine médical comme des sciences humaines et sociales ont été consultées : . Psycarticles . Pascal . MEDLINE . ScienceDirect . SocIndex . BDSP (Banque de Données . Cairn . Psycinfo de Santé Publique) . Persee . Psychology and Behavioral . Francis Sciences Collection Stratégies de la recherche D’une part, les mots clés préalablement identifiés au sein du groupe de travail, ont été combinés en autant d’étapes nécessaires, à l’aide des opérateurs «ET» «OU» «SAUF» : Perception du risque Risk perception Représentation du risque Risk representation Sociologie du risque Sociology of risk Psychologie du risque Psychology of risk Acceptabilité du risque Acceptability of risk 6 Risques Risk Tolérance face au risque Risk tolerance Attitudes Attitude Représentations Representation Croyances Beliefs Acceptation sociale Social acceptation Impacts psycho-sociaux Psycho-social impacts Anthropologie du risque Anthropology of risk Information sur le risque Risk information Communication sur le risque Risk communication Evaluation Evaluation D’autre part, une recherche dans la « littérature grise »2 c’est-à-dire non indexée dans les banques de données informatisées, a été systématiquement effectuée par les membres du groupe de travail. Cela nous a permis de sélectionner et d’analyser un certain nombre de documents et rapports présents notamment sur les sites internet des organismes, institutions et sociétés savantes compétentes dans le domaine étudié. Par ailleurs, les bibliographies des références trouvées ont été analysées afin d’élargir la recherche. En outre, les publications en langue française et anglaise ont été explorées, afin d’avoir une vue d’ensemble des publications internationales sur le sujet. Enfin tout au long du projet, une veille bibliographique a permis d’intégrer des références nouvelles jusqu’en décembre 2009. • Sélection et analyse des articles et ouvrages La recherche documentaire menée entre janvier et décembre 2009 a permis d’identifier environ 300 références françaises et anglo-saxonnes. Face à cette littérature abondante une sélection de 201 publications a été opérée selon les critères suivants : - Présence ou non d’un résumé ; - Pertinence du résumé en lien avec la thématique de la recherche ; - Qualité de la revue dans laquelle a été publié l’article ; - Qualité et pertinence de la démarche méthodologique de la référence ; 2 La littérature grise est une littérature non indexée dans les catalogues officiels d’édition et dans les circuits conventionnels de diffusion de l’information : congrès, documents gouvernementaux, études non publiées, rapports et autres documents non conventionnels (Guide d’analyse de la littérature et gradation des recommandations, janvier 2000, Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé). 7 - Population étudiée : population générale, patients. Une fois la sélection des références opérée, nous avons procédé à une lecture critique de la littérature en fonction des critères préalablement définis. Composantes du rapport Le premier volet de la revue de la littérature s’attachera à mieux définir l’objet de notre étude. Le concept d’acceptabilité sociale du risque semblant complémentaire de celui de d'une autre notion, la tolérance, nous proposerons donc une approche conceptuelle fondée sur ces deux notions : si l’acceptabilité sociale renvoie au fait « d’être d’accord » pour prendre un risque, la tolérance est davantage apparentée au fait de consentir « à contre cœur » à prendre ce risque. A ce jour, le sujet a fait l’objet de peu d’études. En effet, si la perception des risques liés aux soins a été largement explorée auprès de l’individu, l'acceptabilité ou la tolérance n'ont encore jamais été étudiées auprès de la population générale ni des professionnels de santé. Ces deux notions seront abordées comme des prises de positions des sujets face au risque présenté, positions qui mobilisent divers aspects de l'élaboration des opinions, notamment des composantes psychologiques en lien avec l'univers normatif et idéologique de l’individu, et des composantes sociales en lien avec les normes véhiculées par le contexte et les groupes sociaux d’appartenance des sujets. Cet aspect multi-déterminé nécessite l'adoption d’une approche pluridisciplinaire. Après une présentation des travaux de l’économie du risque (deuxième volet) marqués par la figure probabiliste, rationnelle de l’individu, il s’agira de montrer les limites de cette rationalité. Nombreuses sont les recherches qui démontrent la difficulté pour le profane de raisonner en termes probabilistes, à l’instar d’un expert, car il développe ses propres logiques d’évaluation et de gestion du risque. Les modalités de mise en œuvre de toute démarche d’évaluation sont par nature très variables. Les troisième et quatrième volets permettent d’accéder à une meilleure compréhension des spécificités de ces logiques sociales et individuelles en mettant l’accent sur les différentes composantes sociales et psychosociales de l’évaluation du risque par l’individu. Au terme de la revue de la littérature, nous présenterons le modèle conceptuel que nous avons construit afin de mesurer, dans le cadre d’une recherche standardisée, l’acceptabilité sociale des risques liés aux soins. 8 PARTIE I L RISQUE ACCEPTABLE Le concept d’acceptabilité du risque fait appel à la perception des risques, des activités de soins et de la politique de gestion des risques par les individus. C’est pourquoi les champs de la gouvernance des soins et de la démocratie sanitaire sont intimement liés au concept d’acceptabilité des risques. A travers un examen des notions de risque et de gestion des risques, nous verrons comment le concept d’acceptabilité s’impose comme l’un des fondements de la définition de priorités en matière de sécurité des soins. 1 1.1. Risque et gestion des risques Emergence du concept de risque et son évolution dans le temps De nos jours, le risque est couramment utilisé dans la vie quotidienne. Son étymologie reste incertaine (Duclos, 1991) car cette notion renverrait à plusieurs origines : resecum (ce qui coupe et aussi l’écueil) ; rixicare (la querelle) ; rhiza (la racine en grec) ; risq (le sort en arabe, et aussi la ration journalière du soldat). La principale origine étymologique du mot « risque » apparaît dès la fin du Moyen Age (XIVe siècle) et renvoie à l’écueil (de l’italien risco) qui menace les navires et les marchandises en mer. Ce terme a été inventé par les armateurs des villes-états italiennes en vue de développer le commerce maritime à grande distance. Le risque n’est alors pas synonyme de danger mais plutôt de courage et de maîtrise. En versant une prime d’assurance, ils savaient que, en cas de périls, la victime pourrait en bénéficier. Il traduit une décision rationnelle consistant à courir un danger tout en le maîtrisant ; autrement dit, « le risque se prend quand le danger s’évite » (Ewald, 1998). En assimilant la notion de risque à celle de l’accident, un grand pacte social en matière de risque et d’acceptabilité a vu le jour à la fin du XIXème siècle avec la loi de 1898. Cette dernière modifie en profondeur le traitement juridique des accidents du travail. A ce titre, « un risque acceptable est un risque indemnisable » (Ewald, 1998). Dès la fin des Trente Glorieuses, on assiste à une évolution de la nature du risque, notamment avec la prise de conscience des risques technologiques majeurs. La notion de risque implique désormais celle de catastrophe, qu’elle soit naturelle, climatique, 9 technologique, écologique ou sanitaire, et s’accompagne du sentiment de peur face à de nouveaux cas d’incertitude. Ces risques détournent l’attention des champs de l’indemnisation pour l’orienter vers ceux de la prévention et de la précaution. D’autre part, la notion de risque est intimement liée aux avancées scientifiques, mais aussi culturelles de chaque époque (Bernstein, 1998). Durant l’Antiquité, pour prendre une décision, on consultait des oracles et s’en remettait à l’intuition. A cette époque, les hommes sont focalisés sur le présent afin d’assurer leur subsistance: l’avenir est fixé par les Dieux et n’est qu’une question de chance. Or, pour intégrer la notion de risque, il faut porter son regard sur le futur, et non sur le présent. « L’Antiquité a beau jouer avec passion, personne ne cherche, semble-t-il à évaluer réellement les probabilités de gagner. La prévision reste le privilège des dieux. En revanche, durant la Renaissance, chacun analyse, expérimente et s’efforce de démontrer ses hypothèses, depuis les scientifiques jusqu’aux explorateurs, en passant par les peintres et les architectes. Il est donc logique que le joueur cherche la raison des séries qu’il observe» (Bernstein, 1998, p.37). De ce fait, le concept de risque donne lieu à la naissance de la théorie des probabilités aux XVIIe et XVIIIe siècles avec Cardan3, Galilée, Pascal, Fermat, Daniel Bernoulli et son oncle Jacob Daniel. «D’après Ian Hacking, le raisonnement de Pascal préfigure la théorie de la prise de décision, « qui permet d’adopter une ligne de conduite lors même qu’on ignore ce qui va se passer ». La gestion du risque commence nécessairement par là. » » (Bernstein, 1998, p.63). Ainsi, les époques ont progressivement façonné la conception du risque, et son évolution au cours du temps en a fait un concept pluriel qui oscille entre peur de perdre et espoir de gagner. 1.2. La problématique polymorphe du risque : de la probabilité à la construction sociale du risque Le risque est un concept qui recouvre des significations complexes et différentes selon les domaines. Il fait appel à diverses notions comme celles de probabilité, d’incertitude, d’aléa, de dommage, de gravité, ou encore d’événement indésirable et/ou redouté. On observe une distinction entre la définition que le public donne du risque, et celle recueillie chez les experts. Si pour le sujet profane, le risque renvoie à tout danger ou menace aussi incertains soient-ils dans leurs niveaux d’exposition et leurs effets réels, pour 10 les experts en santé, c’est « une fonction de la probabilité d’un effet néfaste sur la santé et de la gravité de cet effet résultant d’un ou plusieurs dangers » (Setbon, 2004). Ainsi, les statistiques et les probabilités sont utilisées comme un outil méthodologique capable d’expliquer des phénomènes morbides et mortels, d’en prévoir l’évolution à l’échelle de la population, et d’élaborer les actions préventives appropriées. Autrement dit, par l’usage d’outils logico-mathématiques (par exemple, les analyses coûts/bénéfices) le risque est appréhendé comme un concept efficace de réduction de l’incertitude. Les sciences sociales et humaines ont reformulé la problématique du risque (BurtonJeangros et al., 2007). L’existence du concept de risque suppose que celui-ci ne se réduise pas à des faits concrets, soit à une simple réalité objective. Le sociologue du risque Patrick Peretti-Watel (1999, p.10) insiste sur le versant subjectif et postule que le risque est aussi « une idée, une construction de l’esprit ». En s’appuyant sur les analyses d’Ewald (1986) cet auteur propose une approche du risque comme mode de représentation, et privilégie les modalités de construction de sens par les individus. Par ailleurs, le concept moderne de risque conduit à reconsidérer la question du lien causal : « Penser une menace comme un risque, c’est renoncer à lui trouver des causes simples, déterministes, et leur substituer un enchevêtrement complexe de facteurs de risque » (Peretti-Watel, 1999, p.13). En effet, la probabilité d’occurrence du risque varie en fonction des situations et des spécificités individuelles. Alors que pour éradiquer un risque, il suffisait d’en rechercher la cause, face à la multitude des facteurs de risque, il est désormais impossible de s’en prémunir totalement et il convient donc d’accepter l’incertitude. 1.3. Le risque lié aux activités médicales et de soins On assiste à une progression spectaculaire de l’usage de la notion de risque au sein de la littérature médicale, ce que Skolbekken (1995) qualifie d’« épidémie du risque ». Bien que les risques sanitaires ne soient pas nouveaux, depuis deux décennies, ils occupent une place croissante dans l’espace des débats publics. Ce phénomène est imputable à l’irruption de catastrophes sanitaires telles que l’épidémie du sida et le drame des contaminations posttransfusionnelles par le virus de l’immunodéficience humaine. En France, 65% des individus pensent qu’il est probable que des patients puissent subir des préjudices causés par des soins de santé dans un hôpital, et 56% en milieu non hospitalier (Eurobaromètre 2010). 3 Liber de Ludo Alae (Le livre des jeux de hasard), 1525 11 L’activité médicale reste indissociable des conséquences potentiellement préjudiciables d’un acte en matière de santé, et implique nécessairement la confrontation au risque. Néanmoins, la prise de risque se justifie par la recherche du bénéfice, la finalité première étant de soigner et donc d’éviter un risque augmenté pour le patient. Le risque constitue alors cette conséquence négative qui accompagne la recherche du bénéfice par le soin. La notion d’événement indésirable lié aux soins est souvent associée à celle de risque. Elle correspond aux situations où le risque « s’est réalisé », provoquant un effet néfaste pour l’état de santé du patient. Il existe de multiples classifications des événements indésirables liés aux soins. Les plus élaborées sont multifactorielles (référence WHO. International Classification for Patient Safety. 2009, Geneva. http://www.who.int/patientsafety/taxonomy/en/.) Le projet Malis se centre sur les événements indésirables graves (EIG). Trois grandes catégories permettent de classer 70 à 80% de ces EIG. o EIG liés aux actes invasifs ; o EIG infectieux associés aux soins ; o EIG liés à l’utilisation des produits de santé : médicaments, dispositifs médicaux, etc. Les résultats de l’Eurobaromètre 2010, sur la sécurité des patients et la qualité des soins de santé, mettent en évidence l’importance de ce type de risque pour la population générale. En effet, s’ils devaient recevoir des soins de santé, 75% des individus pensent qu’il serait probable qu’ils soient exposés à des infections nosocomiales, 66% à des diagnostics erronés, manqués ou tardifs, 58% à des erreurs liées à des médicaments et 56% à des erreurs chirurgicales. 1.4. Gestion des risques 1.4.1. De la conquête de la sécurité à la gestion des risques Dans le mouvement de la conquête de la sécurité, les objectifs des politiques de sécurité s’inscrivent initialement dans une démarche d’éradication des risques. Or, un certain nombre d’éléments, en particulier le caractère probabiliste du risque, invalident la notion de risque nul et induisent l’irruption de l’incertitude dans les méthodes d’appréciation et de prévention des risques. En 1999, un colloque organisé par l’Institut National d’Etudes de la Sécurité Civile (INESC) soulevait cette question : face à la multiplication des risques qui comportent des incertitudes scientifiques, économiques et sociales, la garantie du risque 12 zéro est largement remise en question. A cet effet, plusieurs chercheurs ont annoncé la crise du modèle de la conquête de la sécurité (Dourlens, Galland et Vidal-Naquet, 1991). Cette crise tient principalement à cinq facteurs : o la remise en question du schéma déterministe qui suppose que la sécurité est atteinte lorsque les causes sont identifiées. Selon William Dab (1994, p 599), l’analyse des problèmes de santé en terme de risque s’est accompagnée de la notion de multifactorialité des maladies laissant la place à une conception probabiliste : « un faisceau de facteurs augmente la probabilité que survienne un ensemble de maladies » ; o l’irruption de la notion de « risque majeur » ; o le maintien de certaines situations d’insécurité, malgré la multiplication des dispositifs ; o l’apparition de nouveaux risques ; o la désignation d’un certain nombre d’effets pervers liés à la mise en œuvre opérationnelle de telle ou telle technique de sécurité spécifique. Dans ce contexte, on assiste à l’introduction de la précaution dans les politiques de sécurité. Le principe de précaution a émergé dans le domaine de l’environnement à travers l’arrêté de dispositions4, les progrès scientifiques ne permettant pas de maîtriser les risques de manière rationnelle. Ce principe5, appliqué à la santé publique, a pour objectif de renforcer la sécurité sanitaire en obligeant les pouvoirs publics à intervenir par devoir de prudence, en raison des risques probables dont il faut évaluer la nature, la gravité, la probabilité, et en conséquence les dommages collectifs prévisibles. Un nouveau modèle voit le jour, celui de la gestion des risques qui constitue une aide à la décision en situation d’incertitude relative. La gestion des risques consiste à reconnaître les risques, les analyser et les réguler les uns par rapport aux autres. Ainsi, « à une conception du risque comme danger à éliminer […] aurait succédé une conception du risque comme aléa à gérer » (Lascoumes, 1991, p. 79). Autrement dit, à défaut de pouvoir garantir la sécurité absolue, ce modèle a pour objectif d’élever les niveaux de sécurité en recherchant des compromis et en déterminant des seuils acceptables du risque. 4 Article 130 RA du traité de Maastricht (février 1992), déclaration de Rio sur l’environnement et le développement (juin 1992), la loi Barnier (février 1995), Charte de l’environnement (juin 2004). 5 Pour une réflexion plus élaborée sur les avantages et les inconvénients attachés au principe de précaution et à son application en santé, se référer à l’article de Maurice Tubiana (2000), qui constitue la conclusion du congrès (09/05/2000) intitulé « Principe de précaution, santé et décision médicale ». 13 Néanmoins, malgré une prise de conscience croissante du poids des représentations de la population générale, le modèle actuel de gestion des risques privilégie l’approche objective et la quantification technique des risques. Or, le projet MALIS a pour objectif d’impliquer la population générale dans les mécanismes de décision en gestion des risques. De ce fait, le caractère à la fois social et politique attaché à la notion de gestion des risques apparaît comme un complément indissociable de son aspect technique et scientifique. A cet égard, Marc Audétat (2007), politologue et docteur en sciences6 propose un modèle d’analyse des risques, le modèle de négociation, plus approprié au degré de démocratie soulevé par le régime d’acceptabilité contemporain : « Dans ce modèle, la réduction des incertitudes et la définition des risques dépendent autant de la production d’expertise que de la mobilisation des acteurs dans la controverse » (p.93). 1.4.2. Gestion des risques dans le domaine de la santé et démocratie sanitaire La démarche de gestion des risques vise à concilier la prise de risques avec la maîtrise des risques qui l'accompagnent. L’identification et le traitement des risques ont pour objectif de tendre vers la sécurité optimale, et de rendre ainsi le risque résiduel acceptable. • Historique et législation L’encadré ci-dessous replace l’émergence de la gestion des risques en santé dans une perspective historique. La gestion des risques dans le domaine de la santé s’est développée aux Etats Unis dans les années 50, pour réduire le risque de mise en cause de la responsabilité des professionnels et, ce faisant, les actions en dommages-intérêts et le coût des assurances pour négligence médicale. Les programmes de « risk management », initialement centrés sur les soins et la pratique en milieu hospitalier, notamment les activités d’obstétrique, d’anesthésie et d’urgence, se sont ensuite étendus à l’ensemble des événements indésirables. A la fin des années 80, cette approche a évolué dans les pays anglo-saxons vers un effort de réduction et de prévention des risques indépendamment de leur probabilité de conduire à un contentieux. La gestion des risques s’attache alors de plus en plus à identifier et traiter les causes profondes des risques - risques pour les patients, les visiteurs, les professionnels, risques pour l’institution- quelle que soit la nature de ces risques. (Lecoq R., 2004, p.8) En France, la loi de sécurité sanitaire (1998) et la loi relative aux droits du malade et à la qualité du système de santé (4 mars 2002) marquent la volonté de l’Etat d’améliorer la sécurité sanitaire. Ainsi, dans un contexte où la tolérance collective au risque est de plus en plus limitée, ces lois répondent aux attentes des usagers en termes de qualité et de sécurité des soins, d’information et d’implication dans les décisions médicales. On assiste à 6 Institut d’Etudes Politiques et Internationales et Interface Sciences-Société de l’Université de 14 l’émergence du principe de démocratie sanitaire, telle qu’elle a été définie par le législateur dans la loi du 4 mars 20027. Ce principe se caractérise par l’apparition des usagers dans le domaine de la santé lors de l’élaboration de la politique de santé publique. • Processus de gestion des risques Le processus de gestion des risques est constitué de plusieurs phases : - la définition du problème et de son contexte ; - l’identification des risques ; - l’analyse des risques ; - la hiérarchisation des risques ; - l’élaboration et la mise en oeuvre des plans d’action ; - le suivi et l’évaluation. La définition du problème et de son contexte constitue la phase initiale du processus qui vise notamment à identifier un problème, et à déterminer les objectifs relatifs à la gestion des risques. C’est au cours de cette phase que l’identification d’un problème réel de santé ou de la perception d’un problème par la population ou par les experts est effectuée. Elle devrait dans l’idéal reposer sur les principes d’ouverture et d’appropriation des pouvoirs. L’ouverture passe par l’identification des préoccupations de la population face au risque, et la mise en œuvre d’un processus de participation du public en vue de sa contribution à la recherche de solutions. L’appropriation par le public des pouvoirs traduit une politique de gestion des risques qui doit inciter les individus à prendre des décisions éclairées et à agir quant aux risques qui les concernent. Dans cette perspective, il est important de mettre en place un mécanisme de concertation et de coordination dans le processus de gestion des risques (Debia et Zahed, 2003). Au final, ce modèle de gestion des risques fondé sur la démocratie sanitaire, largement adopté par la communauté scientifique8, se caractérise par une dynamique d’échanges entre experts, décideurs, gestionnaires et population. En intégrant les préoccupations du public ainsi que leurs perceptions sociales du risque, cette approche vise à contrôler et réduire les Lausanne. 7 Loi n°2002-203 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. 8 Elle a notamment été adoptée par les communautés scientifiques suivantes : Presidential/Congressional Commision on Risk Assesment, Risk Management des Etats-Unis, Santé Canada, Institut National de Santé Publique du Québec. 15 risques à des niveaux acceptables. Or la notion d’acceptabilité du risque est complexe et a nécessité une recherche approfondie au sein de la littérature en vue d’une meilleure compréhension. L’acceptabilité du risque 2 L’acceptabilité est le caractère d’une chose plus ou moins acceptable, tolérable. Cela s’exprime par des seuils, tels que le seuil d’acceptabilité de la pollution par exemple. Le verbe accepter est formé du préfixe ab- (« vers soi ») et de la racine cepet du verbe latin capere (« prendre »). Accepter, c’est « consentir à prendre quelque chose, à recevoir ce qui est offert »9, c’est aussi admettre une situation, une idée. Qu’en est-il dans de l’acceptabilité dans le domaine des risques ? D’emblée, l’acceptabilité des risques s’apparente à un outil d’aide à la décision en gestion des risques. Dès lors que nous admettons le fait que le risque n’est pas seulement une donnée objective mais aussi une construction sociale, il convient d’admettre que la définition des priorités en termes de sécurité des soins (établie par la hiérarchisation et la sélection des risques) n’est pas seulement associée à la nature et à la gravité des évènements indésirables liés aux soins. En somme, la problématique de l’acceptabilité du risque n’est pas uniforme. Nous pouvons en distinguer trois, qui n’en restent pas moins interdépendantes : • L’acceptabilité technique du risque par le système de santé ; • L’acceptabilité individuelle du risque par le patient ; • L’acceptabilité sociale du risque 2.1. L’acceptabilité du risque : une problématique multiforme L’acceptation d’un risque10 dépend des critères retenus par la ou les personnes qui prennent la décision (ISO/CEI 73). 9 www.larousse.fr Glossaire issu de la circulaire n° DPPR/SEI2/MM-05-0316 du 7 octobre 2005 relative aux Installations classées. Prévention des risques accidentels, Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire. http://www.risques.auvergne.developpement-durable.gouv.fr/extras/glossaire/index.html 10 16 • L’acceptabilité technique par le système de santé L’acceptabilité du risque technique renvoie à un processus décisionnel au cours duquel un calcul fondé sur des données scientifiques actuelles détermine le rapport risque/bénéfice pour les patients. L'acceptabilité technique du risque suppose la mise en œuvre par les professionnels de santé des meilleures conditions de qualité et sécurité possibles, adaptées à la réalisation de la démarche thérapeutique choisie. C’est le cas par exemple lors de la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché des médicaments. Néanmoins, ce versant technique de l’acceptabilité n’est pas suffisant pour définir l’acceptabilité individuelle dans la mesure où l’appréciation du risque encouru est fondée sur les caractéristiques propres du danger chez des patients « moyens », et ne prend pas en compte les capacités et les spécificités individuelles. • L’acceptabilité du risque par le patient : issue de la perception individuelle du patient Cette forme d’acceptabilité du risque renvoie à la question du consentement du patient dans les pratiques de soins et de recherche en médecine. La réglementation en la matière a précisé les règles du consentement éclairé du patient. Ce consentement est le produit d’une relation entre le patient et les professionnels de santé, fondée sur la participation active du sujet aux choix diagnostiques et thérapeutiques. Il repose également sur un échange d’informations complètes et transparentes sur les conséquences positives et négatives du soin, et donc sur les modalités possibles de la prise de risque. • L’acceptabilité sociale du risque : la référence à l’univers normatif La sécurité représente le niveau de risque jugé acceptable par les individus (Kouabénan et Cadet, 2005, p.14). A ce titre, le niveau d’exigence de sécurité des populations est de plus en plus élevé et l’aversion pour le risque de plus en plus forte. Face à certaines problématiques telles que le sang contaminé, et les infections nosocomiales, l’acceptabilité est très souvent réduite. La pression du public et des médias résonne afin que des actions réglementaires, techniques et organisationnelles soient engagées par les acteurs politiques. Par ailleurs, l’acceptabilité du risque varie selon différents paramètres sociaux : la nature du risque, la communauté qui perçoit le risque, le contexte temporel, politique et scientifique. En résumé, l’acceptabilité du risque évolue selon les valeurs, les croyances, 17 l’évolution des connaissances scientifiques, de la législation et des mentalités, la position dans l’organisation et par rapport au risque, la profession exercée, les expériences, etc. Bien que la littérature soit plus axée sur la perception du risque et l’acceptabilité technique, certains auteurs ont apporté des définitions de ce versant de l’acceptabilité. En effet, dès 1981, Fischhoff l’abordera comme une décision problématique qui requiert un choix parmi plusieurs alternatives. Ce choix est notamment déterminé par des valeurs et des croyances. “Acceptable-risk problems are decision problems, that is, they require a choice among alternatives. That choice is dependent on values, beliefs, and other factors. Therefore, there can be no single, all-purpose number that expresses the acceptable risk for a society. At best, one can hope to find the most acceptable alternative in a specific problem, one that will represent the values of a specific constituency” (Fischhoff et al., 1981, p.2). L’anthropologie du risque (Douglas, 1986) et la psychologie sociale (Beauvois, 1990) soulignent également l’importance des processus sociaux dans la réponse individuelle face à une situation à risque. L’adaptation au risque serait déterminée par les normes et valeurs au regard de la sécurité, véhiculées par le groupe d’appartenance sociale. 2.2. Le projet MALIS et l’acceptabilité sociale du risque Ce versant de l’acceptabilité du risque semble être le plus pertinent pour les objectifs du projet MALIS. En effet, cette étude sera réalisée auprès d’un échantillon français représentatif de la population générale de la société française et des médecins. En choisissant de ne pas cibler une situation particulière, telle que la décision de soins pour un patient ou un groupe de patients particuliers (auquel cas il faudrait partir du concept d’acceptabilité individuelle du risque), le projet MALIS prend en compte les différents mécanismes sociaux et psychologiques à l’œuvre dans l’acceptabilité du risque. Au regard de la multitude de paramètres sociaux capables d’influencer cette problématique, nous faisons l’hypothèse qu’il n’existe pas une acceptabilité sociale mais de multiples acceptabilités sociales du risque. L’acceptabilité sociale du risque serait une notion subjective et évolutive qui varierait en fonction des époques, des contextes économiques et socioculturels, de la culture et d’attitudes propres de la personne qui prend la décision. Nous faisons l’hypothèse qu’un risque acceptable par le public se fonderait sur l’articulation des deux logiques, technique et sociale, dont le poids varie au gré des contextes et des situations. En résumé, bien que le concept d’acceptabilité sociale du risque semble difficile à définir, il se réfère aux attitudes des individus face à des situations à risque, induites par les informations reçues sur le rapport bénéfice/risque. Ces dernières permettent 18 à l’individu d’établir une balance entre les avantages et les inconvénients attachés à chaque situation à risque. D’autre part, ces attitudes s’inscrivent dans une rationalité spécifique, plus ou moins profane, qui renvoie à l’univers moral de l’individu, à l’intérieur duquel interagissent des facteurs sociaux et des croyances construites au regard des normes et valeurs véhiculées par la société ou un groupe social donné. Au final, le poids des croyances et autres facteurs sociaux sous-tend une démarche d’évaluation qui détermine la qualification du risque comme acceptable ou non acceptable, tolérable ou intolérable. La notion d’acceptabilité sociale du risque induit un autre questionnement, celui de la tolérance au risque. 2.3. La Tolérance où le consentement individuel contraint De façon générale, la tolérance, du latin tolerare (supporter) se définit comme « une attitude consistant à accepter sans autoriser formellement ce qu’on pourrait rejeter, refuser, ou interdire »11. Autrement dit, tolérer c’est accepter ce que l’on désapprouve, ce que l’on devrait normalement refuser. Adaptée au domaine du risque, la tolérance relèverait d’une décision individuelle qui consiste à consentir « à contre cœur » à prendre un risque. En santé, la notion de tolérance renvoie au fait, pour l’organisme, de bien supporter un agent physique, chimique ou médicamenteux. Ainsi, ce concept est très souvent employé pour traiter de la résistance d’un patient au traitement thérapeutique ou de l’accoutumance à la douleur (Richebé et Shefrin, 2008). Dès lors, il s’agit d’un concept qui associe un patient aux risques que peut générer sa prise en charge. • Tolérance et Acceptabilité : deux concepts interdépendants ? Bien que la littérature sur les risques y fasse parfois référence, la distinction du concept de tolérance avec celui d’acceptabilité n’est pas clairement délimitée. Ces deux concepts sont-ils purement indépendants ou ont-ils une base commune ? Autrement dit, relèvent-ils d’une même dimension (2 pôles opposés d’un même continuum) ou de deux dimensions distinctes et orthogonales ? Dès 1983, Kasperson annonçait déjà la complexité de l’évaluation de ces seuils d’acceptabilité et de tolérance. Selon lui, un consensus au sein de la population serait 11 Dictionnaire Le Petit Robert. 19 difficilement atteignable dans la mesure où on devrait faire face à la divergence des structures individuelles de la tolérance du risque. Il apporte une explication à la différence de positionnement entre ces deux concepts. D’après le schéma n°1 ci-dessous, les seuils de risque acceptables seraient associés à un niveau de risque plutôt faible. En revanche, lorsque le niveau du risque augmente, l’usage du concept de tolérance serait plus pertinent. Autrement dit, un risque qui tend vers l’inacceptable peut être toléré, ou supporté à contre-cœur. risque certain Zone de risque intolérable risque tolérable risque acceptable risque zéro Schéma n°1: Acceptabilité et tolérance aux risques (selon Kasperson et al., 1983) Néanmoins, cette analyse n’apporte pas de définitions claires de l’acceptabilité et de la tolérance. Qu’est ce qui est tolérable mais inacceptable ? Une situation à risque peut-elle être acceptable et intolérable ? Face à cette difficulté, nous envisageons de façon provisoire12 l’écart entre ces deux concepts de la manière suivante : l’acceptabilité sociale du risque intervient dans le cadre des risques faisant l’objet d’un discours social, normatif. En revanche, face aux risques dépourvus de discours social, l’usage de la notion de tolérance semble plus pertinent. L’individu n’ayant pas, ou peu de références, est seul face à une situation à risque. En effet, pour Comte-Sponville (1995), la tolérance définit le degré d'acceptation face à un élément contraire à une règle morale, civile ou physique particulière. Plus généralement, elle définit la capacité d'un individu à accepter une chose avec laquelle il n'est pas totalement en accord. Et par extension moderne, l'attitude d'un individu face à ce qui est potentiellement différent de ses valeurs. 12 Les résultats de Malis valideront ou infirmeront cette hypothèse. 20 En conséquence, la tolérance établirait le seuil individuel d’acceptation d’un élément qui interfère avec l’univers normatif de la personne. De fait, nous faisons l’hypothèse que la notion de tolérance est plus individuelle que sociale : l’individu engage un processus d’adaptation qui le conduirait à accepter un risque potentiellement différent de ses valeurs. La tolérance renverrait à une forme d’acceptabilité moindre. Au regard de cette première partie, l’acceptabilité sociale du risque repose sur l’articulation de deux logiques : l’une « technico-rationnelle » qui s’appuie sur un calcul « bénéfice-risque », et une autre plus « sociale » qui intègre des paramètres multidimensionnels. L’acceptabilité du risque est multi-déterminée et nécessite l’adoption d’une approche pluridisciplinaire. Plusieurs courants théoriques ont modélisé la démarche d’évaluation d’une situation à risque, indispensable pour réguler nos comportements, nos conduites et permettre notre adaptation. La suite de cette revue de la littérature s’attache à analyser ces travaux, selon qu’ils se focalisent sur une appréhension rationnelle du risque (partie 2), ou sur les logiques sociales (partie 3) et psychosociales (partie 4) à l’œuvre. La partie qui suit abordera d’une part, l’évaluation du risque à travers un raisonnement probabiliste se centrant sur les conséquences attendues (paradigme de l’utilité espérée) et d’autre part, celle du risque perçu, à travers le paradigme psychométrique. 21 PARTIE II L’EVALUATION INDIVIDUELLE DU RISQUE : Le raisonnement probabiliste et ses limites Quelles sont les dimensions qui sous-tendent la perception et l’évaluation d’un risque ? Pour tenter de répondre à cette question, deux points sont à considérer conjointement : • D’une part, dans le modèle économiste, l’individu évalue tout risque en en quantifiant toutes les conséquences prévisibles sur une échelle commune : celle de l’utilité. L’adoption de certains comportements (sains ou à risques) résulterait d’une délibération individuelle fondée sur un calcul plus ou moins savant, en vue d’optimiser ses choix. • D’autre part, des psychologues ont identifié les grandes références ou dimensions qui sous-tendent l’évaluation du risque à partir du recueil de l’opinion des individus. L’objectif était de comprendre comment se structure la perception des risques et quels en sont les facteurs d’influence. 1 L’individu « Expert » : du calcul de l’utilité du risque aux préférences révélées Historiquement, les premières études empiriques qui ont cherché à comprendre et modéliser les comportements et attitudes des individus en situation de risque ou d’incertitude, sont issues de l’analyse du risque économique et financier. En effet, l’investissement financier est le prototype d’une activité risquée. Les décisions que l’agent (incarné par la figure du joueur rationnel) prend dans le présent, déterminent son futur bienêtre. Pour cela, il lui est nécessaire d’optimiser ses choix. 1.1. Le paradigme de l’Utilité Espérée : la maximisation de l’utilité dans les situations risquées 1.1.1. Présentation du modèle Les économistes ont modélisé ce type d’activités risquées en y introduisant deux éléments. D’une part, l’évaluation du risque s’effectue par le calcul de l’espérance mathématique. Il s’agit d’une combinaison de l’évaluation de la probabilité que des 22 évènements non souhaitables se produisent, et de la quantification de l’ampleur de toutes les conséquences possibles. D’autre part, les économistes prennent en compte les attitudes, les préférences, à savoir l’aversion ou l’appétence pour le risque. Ces deux critères fondent la théorie de l’utilité espérée (T.U.E), au cœur de l’approche axiomatique moderne, qui est issue de la théorie des jeux. Proposée par Daniel Bernoulli (1700-1782), cette théorie a été validée pour la première fois de manière formelle par les travaux de Von Neumann et Morgenstern (1947) et de Savage (1954). Le modèle proposé repose sur un ensemble d’hypothèses préalables, les axiomes, qui permettent de construire une représentation mathématique de l’utilité et d’assurer les conditions de sa maximisation. Cette théorie du comportement postule un individu autonome et calculateur qui cherche à maximiser certaines valeurs d’utilité ou de satisfaction, en fonction de ses préférences, elles-mêmes déterminées par son degré d’aversion au risque. Les consommateurs auraient des fonctions d’utilité plus ou moins concaves, donc des degrés d’aversion au risque différents. La fonction d’utilité sera concave (négative) si on veut représenter les préférences d’un individu manifestant de l’aversion pour le risque (riscophobe), linéaire si les préférences de l’individu sont neutres vis-à-vis du risque, et convexe lorsque l’individu revendique un certain goût du risque. Le calcul du risque acceptable La théorie de l’utilité espérée préconise la recherche des utilités soit positives, soit négatives. Une version quelque peu différente de ce modèle initial a été élaborée : il s’agit cette fois de considérer de façon simultanée les avantages et les inconvénients liés à un risque. L’évaluation du risque reposerait ainsi sur une valeur mixte établissant une balance entre les deux dimensions qui définit le risque acceptable (Fischhoff, et al., 1981). Cette dualité se doit d’être introduite dans de nombreuses démarches d’évaluation. Cela permettra in fine, de qualifier le risque et de le considérer comme tolérable ou intolérable, gérable ou non, bénéfique ou dommageable, acceptable ou inacceptable. Applications dans le domaine médical La théorie de l’utilité espérée connaît une utilisation importante dans l’évaluation des risques médicaux et chirurgicaux. Grenier (1990) démontre son importance pour déterminer de façon rationnelle le moment de l’acte chirurgical, et en établir les différentes conséquences. A partir d’observations de situations de cas d’appendicites, cet auteur reprend un exemple dans lequel on combine des probabilités et des utilités négatives, puisqu’il s’agit de taux de létalité. L’objectif est donc d’évaluer les risques (dans ce cas précis ceux d’une appendicectomie) liés à une intervention chirurgicale, en vue de les minimiser. 23 En matière de réanimation cardio-pulmonaire, Sorum (1995) fait également référence à l’utilité subjectivement espérée afin que la décision soit rationnelle et présente le risque le moins élevé. 1.1.2. Les limites de la théorie espérée L’application de la Théorie de l’Utilité Espérée (T.U.E) classique dans le domaine de la santé n’est pas sans difficulté. Selon Rey (1999), cette théorie est pertinente concernant les risques unidimensionnels (financiers, par exemple). Autrement dit, elle s’attache à décrire un seul type de conséquences. Aucun modèle de la T.U.E ne considère des risques de natures différentes, et ne prend en compte les spécificités d’un risque de santé. Or, ce qui semble caractériser le risque est bien son caractère bidimensionnel. La survenue d’une maladie a deux types de conséquences : des conséquences réelles (objectives) mais aussi des conséquences « psychologiques », plus difficiles à mesurer. A ce titre, l’aversion pour les risques de santé est plus complexe : elle est définie non seulement par le fait de « vivre » l’incertitude mais dépend aussi de l’appréhension des effets, des conséquences perçues du risque. Elle intègre donc la dimension ressentie du risque. D’autre part, comme le souligne Perreti-Watel (2001), ce modèle est viable tant que les décisions des agents s’effectuent dans des situations dites risquées où règnent une totale transparence quant aux évènements potentiellement négatifs qui doivent se produire dans le futur, et au degré de gravité de leurs conséquences. Or, l’évaluation et la quantification des conséquences sont délicates à établir, en particulier parce que les situations concrètes du quotidien renvoient plutôt à des univers incertains et indéterminés. Alors que dans l’univers risqué, l’agent connaît la probabilité d’occurrence de chacun des évènements qui peuvent se réaliser dans le futur ; dans l’univers incertain13, il peut envisager les évènements futurs, mais pas les probabilités correspondantes. Lorsque les états du monde ne peuvent être associés à des probabilités objectives et connues, le décideur va attribuer des « probabilités subjectives » qui peuvent ensuite être quantifiées (Savage, 1954). En effet, ces dernières sont censées atteindre un niveau de cohérence comparable à celui des probabilités objectives. Or, face à la complexité qu’induit l’élaboration des probabilités subjectives, les individus ont recours à une panoplie d’outils simplificateurs : les « heuristiques ». Il s’agit d’une dizaine de biais cognitifs qui tendent à structurer le traitement subjectif de l’information 24 statistique au moment de la prise de décision (Tversky et Kahneman ; 1982). Les principales heuristiques mises en évidence par la psychologie expérimentale sont entre autre : le biais de représentativité, le biais de disponibilité, et le biais de représentation. A titre d’exemple, le biais de disponibilité caractérise la facilité avec laquelle des exemples ou des cas identiques au cas à juger peuvent venir à l´esprit. Au final, bien que l’estimation des probabilités subjectives ne repose pas sur une « super rationalité » de l’agent, elle nécessite cependant une certaine capacité calculatrice. De plus, cette théorie « semble désemparée lorsqu’il s’agit de s’intéresser à la précision que l’agent associe aux probabilités estimées […]. Or cette précision influence les comportements individuels […]. Un risque donné n’est pas perçu de la même façon suivant que la probabilité associée est précise et fiable, ou vague et incertaine » (Peretti-Watel, 2000, p 107). Enfin, ce modèle ne prend pas en compte les interactions entre les individus, et leur influence réciproque dans la construction des convictions n’est pas considérée. L’extension des recherches expérimentales autour de l’économie du risque s’accompagne d’une prise en compte progressive des croyances et mécanismes cognitifs latents. On assiste à une « psychologisation » de l’évaluation des conséquences. Vers les années soixante-dix, les cliniciens se sont davantage intéressés au retentissement psychosocial des traitements sur les individus. En parallèle, l'évaluation économique - poursuivant son objectif d'aide à la décision thérapeutique - a cherché à améliorer les indicateurs d'efficacité, en ne prenant plus exclusivement en compte les paramètres cliniques et en utilisant des indicateurs multidimensionnels. 1.2. Les « préférences révélées » dans la décision thérapeutique De multiples études portant sur la qualité de vie des sujets malades se sont intéressées au point de vue des individus quant à la prise de décision thérapeutique, ces derniers revendiquant de longue date une telle participation. Les patients sont ainsi progressivement passés d’un état d’insatisfaction vis-à-vis des médecins qui ne prenaient pas en compte leur opinion à une demande croissante d'information sur leur maladie et sur les traitements pour aboutir à une exigence d'autonomie, ce qui a nécessité une révision 13 C’est le cas également des situations des univers indéterminés où l’agent ne connaît ni les évènements possibles, ni les probabilités d’occurrence. 25 complète du modèle traditionnel14 de la relation médecin-patient. La remise en cause de ce modèle a conduit à diverses tentatives de prise en compte du point de vue des individus dans les choix thérapeutiques et a permis de rejoindre la réflexion économique fondamentale sur la révélation des préférences individuelles face au risque et à l'incertain. Progressivement, nous sommes passés d'une prise en charge « paternaliste » des patients à une relation de partage de la décision thérapeutique. 1.2.1. La participation des individus dans le processus de soins L’objectif des travaux qui s'efforcent d'analyser les interactions médecins-individus est d'attirer l'attention sur le fait que leurs préférences peuvent diverger (Macquart-Moulin et al, 1997). Ces divergences d’arbitrage, notamment sur l’estimation de l'espérance de vie et de la qualité de vie, impliquent le traitement de l'incertitude dans la pratique médicale, ce qui peut directement affecter la décision thérapeutique (Kasper, 1992 ; McNeil et Pauker, 1982). Dans le but de faire participer les individus à la décision médicale, il est nécessaire de leur procurer des informations sur les différents traitements possibles, qu'ils seront à même d'assimiler et d’utiliser. Ces informations doivent comporter des données, des probabilités sur les avantages et les inconvénients associés à chaque type de traitement. Cependant, l'expérience clinique et les travaux psychosociologiques ont tendance à souligner les difficultés de transmission d'une information probabiliste, et mettent en évidence qu’il faudrait pouvoir « familiariser » les patients à sa compréhension. C’est pourquoi plusieurs études ont modélisé les processus à l’œuvre dans la prise de décision individuelle, et ont construit des outils pour mettre au jour les préférences des sujets. 1.2.2. Les techniques de révélation des préférences Afin de révéler les préférences des individus face à une situation de choix, plusieurs techniques ont été développées. Ces dernières s'inspirent de la théorie de l’utilité espérée. Ce modèle vise à déterminer dans un ensemble d'actions possibles, l'action « optimale » pour un individu donné, compte tenu de son système de préférences. A titre d’exemple, le Time Trade Off (ou marchandage temps -TTO-), et le Standard Gamble (ou loteries -SG-), sont les deux techniques les plus utilisées, et permettent grâce à des calculs probabilistes de pouvoir déterminer les préférences des individus face à des situations de choix et d’incertitude. 14 Selon la définition de Parsons (1951) le patient se doit de suivre les directives de son médecin de 26 Le Standard Gamble (SG) (ou la méthode des loteries) postule que, confronté à une situation incertaine, l’individu choisit entre deux éventualités, de manière à maximiser non plus la seule utilité, mais l’espérance de l’utilité (Von Neumann et Morgenstern, 1944). L’utilité espérée, par exemple d’une opération chirurgicale, est la moyenne des utilités attribuées à chacun de ses résultats possibles, pondérée par leur probabilité d’occurrence. La personne interrogée doit imaginer qu’elle vit dans un état de santé dégradé. Elle a le choix entre demeurer toute sa vie dans cet état, ou bien accepter une opération risquée se soldant soit par un retour à une parfaite santé, soit par un décès immédiat. Une telle situation de choix s’apparente, par exemple, au dilemme du coronarien qui peut opter pour une thérapie longue, qui lui assure une survie à court terme mais sans amélioration de son état, ou bien prendre le risque d’un pontage afin de recouvrer une meilleure santé. En faisant varier la probabilité de l'issue la plus favorable de la situation à risque, ce modèle permet d’évaluer l’attitude de l’individu vis-à-vis du risque. Cependant, la complexité du dispositif rend cette méthode très difficile à utiliser. Cette technique a été, par exemple, appliquée à une population atteinte de cancer du sein, dans le but d'évaluer les préférences des patientes concernant l'arbitrage entre les risques et les bénéfices d'une radiothérapie après une chirurgie conservatrice. Elle montre que la méthode de la loterie permet bien d'obtenir une valorisation des utilités des patientes associées à différentes options de traitement (Hayman et al., 1997). La technique du Time Trade-Off (TTO) (ou marchandage temps) a été développée par Torrance et al. (1972) comme une version simplifiée du standard gamble, dans le but de remédier au problème de compréhension que la notion de probabilité pose aux répondants. En effet, si la technique du standard gamble s’utilise dans des univers incertains (d’où l’usage des probabilités), avec la technique du time trade-off, les décisions se prennent dans un contexte certain. Aussi, le standard gamble s’attache à faire varier les probabilités d'apparition de l'événement alors que le time trade-off repose sur la variable « temps ». La personne interrogée doit choisir entre deux options non risquées : vivre dans un état dégradé pour le restant de ses jours, ou vivre en parfaite santé mais en ayant une durée de vie limitée. La question posée revient donc à échanger des années contre une meilleure santé. La quantité de longévité que cette personne se dit prête à sacrifier pour recouvrer une parfaite santé, sert à positionner l’état de santé sur une échelle de 0 à 1 (la mort possède façon à aller mieux. 27 une valeur nulle et la parfaite santé une valeur unitaire). Cette méthode a été utilisée dans un nombre assez conséquent d'études (Sebban et al., 1995 ; Ashby et al., 1997). Ainsi, le time trade-off et le standard gamble ont été utilisés pour estimer l’utilité de traitements contre différents types de pathologies. Parmi les applications récentes, nous citerons le diabète (Sullivan et al., 2002), la maladie de Crohn (Gregor et al., 1997), les troubles de la fonction érectile (Stolk et al., 2000) et le cancer (Stiggelbout et al., 1994). Si le time trade-off semble être plus facile à mettre en place, il semble aussi que ce ne soit pas la méthode la plus rigoureuse en terme de théorie économique (Mehrez et Gafni, 1990). Quant au standard gamble, sa mise en application est plus compliquée car il demande souvent de la part des individus une parfaite compréhension des probabilités. Ces études empiriques de révélation des préférences ont permis de mettre en lumière la complexité des arbitrages entre les différents éléments de choix thérapeutique (la durée du traitement et son retentissement à court et à long terme sur la qualité de vie.) qui peuvent entrer en ligne de compte, notamment dans l'acceptabilité du traitement par les individus. Ces éléments sont caractérisés par la variabilité des attitudes possibles des individus selon leur perception de la maladie, de l'incertitude, du risque associé au traitement, de leur degré de confiance et de « délégation » à l'équipe médicale, et de leur situation « psychologique » et « sociale » du sujet au moment de la prise de décision. Les développements théoriques des économistes qui ont fait suite à la théorie de l’utilité espérée ont davantage pris en considération les univers incertains et indéterminés, et donc les références plus subjectives inhérentes aux mécanismes de l’évaluation du risque. En effet, les individus apprécient plus le risque sur des critères qualitatifs que sur des critères quantitatifs. Ainsi, pourquoi certaines activités à risque auxquelles on ne peut attribuer que peu de victimes ou même aucune sont pourtant sources de stress, tandis que d’autres, qui peuvent être considérées comme des problèmes majeurs de santé publique (alcoolisme, tabagisme, etc.) ne retiennent guère l’attention du public ? C’est ce qu’ont tenté de comprendre divers travaux en psychologie cognitive et sociale, effectués autour de l’approche psychométrique développée par Paul Slovic (1987). 28 2 Les dimensions qualitatives de la perception du risque Le courant psychométrique s’est construit sur la base d’enquêtes empiriques. Son cadre d’analyse souligne la diversité des perceptions profanes en opposition au modèle « expert ». Cette approche a permis d’identifier les principaux aspects utilisés par le profane pour juger si un risque est acceptable ou non. 2.1. La particularité des perceptions profanes Les analyses psychométriques se sont d’abord intéressées à la problématique des différences de perception entre profane et expert. En effet, cette divergence tiendrait au fait que les experts s’attachent à la notion de risque « réel » ou « objectif » (la mortalité moyenne par exemple), tandis que le jugement des profanes serait davantage lié à des critères spéculatifs, subjectifs comme le potentiel catastrophique pour les générations futures. L’étude PERPLEX15 (2006) compare la perception des risques des personnes du « grand public » à celle des personnes travaillant au sein d’organismes scientifiques français concernés par les questions environnementales et sanitaires. Ces derniers sont désignés par le terme d’ « institutionnels ». Le « grand public » et les « institutionnels » sont interrogés sur l’importance perçue du risque. Des différences significatives sur la quasi-totalité des situations sont observées, ce qui traduit une utilisation différente de l’échelle de notation : le public est plus attiré par les modalités « élevés » pour se prononcer sur le danger d’un risque. A titre d’exemple, 14.4% du public estime les risques associés aux radiographies médicales « élevés », contre 6.1% des institutionnels. Au total, sur les 27 activités proposées dans le questionnaire, toutes obtiennent auprès du public des scores de risque élevé plus importants que chez les institutionnels. Ces différences sont significatives et sont en moyenne de l’ordre de 19%. Il semblerait que le public fasse preuve de plus de sévérité pour juger d’un risque. Les institutionnels affichent une attitude plus optimiste face aux risques. Comment expliquer ces divergences de perception ? Les études psychométriques ont permis d’identifier un certain nombre de facteurs qui tendent à structurer de manière systématique la façon dont les individus profanes perçoivent le risque et y réagissent. Ces caractéristiques constituent des dimensions implicites du risque perçu dans le sens où elles ne sont pas consciemment utilisées par les individus. En 15 Perception des risques par le public et les experts. 29 regroupant les différentes variables retenues, Slovic et ses collaborateurs ont formellement mis en évidence trois dimensions principales dans la perception du risque (cf. tableau n°1 cidessous) : la première constitue le coefficient d’effroyabilité (perceived dread), la seconde correspond à la connaissance du risque (unknown hazard). La troisième dimension, de nature quantitative n’est pas systématique ; il s’agit du nombre de personnes exposées au risque. RISQUE PERCU FAIBLE RISQUE PEU CRAINT Individuellement contrôlable Réversible Potentiel global non catastrophique Pas effrayant Conséquences non fatales Equitable Individuel Naturel A faible risque pour les générations futures Exposition réductible Décroissant Exposition volontaire RISQUE CONNU Observable Connu de ceux qui y sont exposés Effets immédiats Risque ancien – familier Risque inconnu de la science Risque faiblement médiatisé RISQUE PERCU ELEVE FACTEUR « EFFROYABILITE » FACTEUR « CONNAISSANCE » RISQUE CRAINT Incontrôlable Irréversible Potentiel global catastrophique Effrayant Conséquences fatales Inéquitable Collectif Du à l’action humaine A haut risque pour les générations futures Exposition non réductible Croissant Exposition non volontaire RISQUE INCONNU Non observable Inconnu de ceux qui y sont exposés Effets différés Nouveau risque – non familier Risque connu de la science Risque fortement médiatisé FACTEUR « ETENDUE DU RISQUE » Peu de personnes exposées Beaucoup de personnes exposées Tableau 1 : Détermination du risque perçu et du risque acceptable à partir des critères subjectifs Les deux premiers groupes de facteurs ont permis de dégager une « carte cognitive » des risques (voir figure 1 ci-après) qui traduit l’univers des évaluations, traité par l’analyse factorielle. Cette cartographie des perceptions peut être représentée comme un espace du risque à deux dimensions principales : l’axe vertical renvoie aux facteurs liés à la connaissance du risque ; l’axe horizontal représente le niveau de crainte (ou coefficient d’effroyabilité). On constate que les risques peu redoutés sont ceux pratiqués au quotidien. C’est le cas par exemple des risques liés à un traitement thérapeutique (aspirine, valium, contraceptifs, antibiotiques, etc.). Le sentiment de maîtrise individuelle explique en partie la minimisation de ces risques. 30 Ris qu es n o n r e Risques redoutés Risques non redoutés Risques inconnus R is q u e s Risques connus Figure 1 : Représentation graphique des perceptions 2.2. Perceptions des bénéfices et l’ajustement sur le risque acceptable En 1982, Slovic et al., entreprennent une étude comparative de 90 situations impliquant des activités risquées (des risques technologiques et des risques naturels). Au total, 18 caractéristiques sont évaluées pour chaque risque. Pour chacun de ces risques, les sujets doivent évaluer16 le risque perçu de mort et les bénéfices perçus. En outre, les sujets doivent indiquer s’il convient d’ajuster le risque perçu sur le risque acceptable. Cette étude conduit à la conclusion suivante : le risque perçu est en relation inverse avec les bénéfices attendus. Une activité risquée est perçue d’autant moins grave qu’elle procure plus de bénéfices. Les individus « contrôlent » les effets de cette relation en faisant référence à une valeur optimale d’équilibre entre risques et bénéfices : le risque acceptable. La « quantité » subjective de bénéfice doit être trois fois plus importante que la « quantité » subjective de risque (Slovic, 1987). « En d’autres termes, cela signifie que les dividendes à obtenir en contrepartie de l’acceptation du risque sont élevés. Ils ne sont généralement pas atteints, ce qui amène de nombreuses personnes à estimer que les niveaux des risques sociétaux les plus courants sont anormalement élevés à l’égard des facilités qu’offrent les activités qui les engendrent » (Cadet et Kouabénan, 2005, p. 20). Ceci explique la tendance des profanes à percevoir comme « inacceptable » la plupart des risques. La transfusion sanguine et les risques qui y sont associés illustrent bien cet aspect. Le drame de la contamination des hémophiles et des personnes transfusées par le virus du sida a entraîné 16 Sur une échelle d’évaluation de 0 à 100. 31 le classement du risque transfusionnel infectieux dans la catégorie « effroyable » (Hergon et al., 2004). En effet, on peut constater que ce risque comportait les éléments suivants : exposition involontaire des individus et caractère injuste17. Paul Slovic (1987, 1998) retient un ensemble d’aspects (issus des trois dimensions précédemment évoquées) que mobilise le profane pour juger de l’acceptabilité d’un risque. Les conditions de l’acceptabilité sont les suivantes : - la possibilité de contrôler individuellement le risque ou non ; - le caractère volontaire ou subi du risque ; - le caractère juste ou injuste du risque ; - le caractère connu ou mystérieux du risque ; - l’ampleur des conséquences du risque : immédiates ou différées à long terme ; - le plus ou moins fort « potentiel catastrophique » du risque : nombre de personnes concernées ; - le degré de confiance envers les autorités et les experts. Les études psychométriques ont notamment permis d’expliquer l’aversion particulière des individus pour certains risques, leur indifférence à d’autres, ainsi que les contradictions entre ces réactions et l’opinion des experts. De façon générale, ces analyses ont démontré que la perception du risque est fortement influencée par le facteur qui regroupe des éléments autour de l’effroyabilité. Les risques considérés à la fois comme effrayants et incompréhensibles par le public sont moins bien acceptés par la société et susciteraient une forte demande de réglementation. Ces analyses ont également mis en évidence des corrélations étroites entre plusieurs dimensions pour de nombreux dangers, par exemple entre les risques volontaires, connus, et contrôlables ou entre l’impact à long terme et le potentiel catastrophique. 17 Ce risque était produit par certains et supporté par d’autres et comportait des conséquences fatales et irréversibles. 32 L’évaluation du risque par les citoyens n’est pas irrationnelle et injustifiée, mais au contraire guidée par une rationalité différente de celle des experts d’ordre « informelle », « implicite », « intuitive » (Fischhoff et al., 1978). La perception du risque dépendrait de l’interaction complexe de variables psychologiques, étroitement combinées à des facteurs d’ordre social, culturel, éthique, émotionnel, symbolique et affectif (Fischhoff et al., 1978 ; Slovic, 1992). Néanmoins, ces travaux ont été jugés insatisfaisants d’un point de vue sociologique. Selon Peretti-Watel (2000), nous ne nous contentons pas de percevoir les risques, qui d’ailleurs échappent bien souvent à nos sens ; nous les construisons, nous en élaborons des représentations. A ce titre, il souligne l’intérêt de raisonner en termes de représentation plutôt que de perception du risque. Pour Mary Douglas (1982), la sélection des risques (en craindre certains et en ignorer d’autres) opérée par l’individu est largement déterminée par sa position sociale et son système de valeur. Il y aurait autant de représentations du risque que de positions et de trajectoires sociales (Peretti-Watel, 2000). Aussi, une décision individuelle ne peut être considérée en dehors de son contexte organisationnel et des contraintes que ce dernier fait peser sur l’individu (Simon, 1957). Les travaux en sciences sociales permettent de s’extraire d’une approche strictement centrée sur l’individu pour considérer les logiques sociales de gestion de la santé et du risque, en prenant notamment en compte les contextes sociaux et relationnels comme des instances déterminantes dans la formation des réponses aux risques. 33 PARTIE III LES LOGIQUES SOCIALES DE GESTION DU RISQUE Dans le modèle de l’acteur rationnel et calculateur, la conscience du risque doit aboutir à des comportements orientés vers la santé. Pourtant, un certain nombre de recherches ont mis en évidence l’écart entre les conceptions élaborées par les acteurs sociaux et la définition objective, probabiliste du risque telle qu’elle est appréhendée par les experts. En mettant l’accent sur les modalités de construction sociale du risque, ces chercheurs adoptent un point de vue relativiste. « La rationalité absolue – au sens d’utilité attendue – ne constitue que l’une des composantes de la réalité et d’autres modèles de rationalités intégrant des éléments sociaux – normes, valeurs, contraintes, ressources, etc. – doivent être pris en compte» (BurtonJeangros, 2004, p.61). Ainsi, par l’élaboration de significations sociales du risque, le profane cherche à réduire la complexité des situations potentiellement à risques (Perrow, 1984). De ce fait, « l’individu transforme le discours scientifique en une construction socialement acceptable des risques qu’une collectivité veut prendre » (Burton-Jeangros, 2004). La rationalité profane s’explique d’une part par la mise en œuvre de stratégies de gestion de la santé et du risque spécifiques. D’autre part, elle repose sur des conceptions socioculturelles du risque diverses, provenant d’une multitude de sources d’informations. 1 Stratégies sociales de gestion de la santé et du risque « Dans des sociétés individualistes comme le sont les sociétés occidentales, la gestion des risques sanitaires par les personnes est un impératif. Elles sont en effet responsabilisées et le blâme est porté sur elles si elles sont réticentes à abandonner leurs conduites à risque pour adopter des comportements de santé dont la rationalité apparaît évidente » (Paicheler, 2007). La responsabilisation évoquée par Geneviève Paicheler atteint son paroxysme lorsque le profane adopte l’attitude « réflexive » développée par Beck (1992) pour remettre en question les énoncés scientifiques tels que les données épidémiologiques, ou encore 34 contester les recommandations du médecin en mettant en œuvre une automédicalisation18. Parfois, on assiste au développement de ce que Brown (1992) a nommé l’“épidémiologie populaire”, qui traduit la mobilisation de citoyens pour faire reconnaître, évaluer et obtenir la mise en œuvre de mesures de prévention de risques sanitaires non reconnus. Si l’individu tend à adopter de plus en plus souvent cette posture de l’expert, sa démarche centrée sur l’expérience19, sa façon d’appréhender le risque, les significations qu’il construit, sont indissociables de la prise en compte de diverses dimensions qui dépassent l’ordre du biologique car elles sont élaborées selon des logiques propres. Par conséquent, les stratégies sociales de gestion de la santé et du risque, plus ou moins explicites s’éloignent très souvent des normes épidémiologiques. 1.1. Inscription sociale des conduites sanitaires profanes et stratégies de gestion de la santé Un certain nombre d’éléments sont des paramètres incontournables pour accéder à une meilleure compréhension de l’inadéquation des pratiques sanitaires profanes avec les attentes du modèle médico-épidémiologique. 1.1.1. Rapport à la santé, au corps, aux institutions médicales En premier lieu, les conduites sanitaires profanes s’expliquent en grande partie par le type de rapport que l’individu entretient avec la santé et le corps. A l’issue d’une étude auprès de 80 individus, Herzlich (1992) a analysé la complexité des notions développées par les profanes à l’égard de la santé. Elle distingue trois formes de représentations de la santé. En premier lieu, la « santé vide » signifie que la santé ne prend sens que dans l’irruption de la maladie. Le manque de conscience de soi et de son corps caractérise les individus manifestant ce type de représentations. En second lieu, le « fond de santé » est associé à l’idée selon laquelle la santé n’est pas un état mais un capital qui constitue la résistance individuelle à la maladie, à la fatigue. Enfin, la « santé équilibre » renvoie à un idéal de l’autonomie et du bien être à atteindre. Par ailleurs, de nombreux travaux ont porté 18 Cette automédicalisation repose sur des informations recueillies très souvent sur internet ou dans des ouvrages. 19 La recherche de Michelle Proulx sur l’hypertension artérielle met en évidence le travail de construction de sens chez l’individu. L’hypertension artérielle définit un trouble qui ne manifeste aucun symptôme et par conséquent qui n’est perceptible que par le médecin. En interrogeant le patient sur la maladie (réception du diagnostic, compréhensions du risque de complications, causes attribuées à la survenue de l’affection etc.), cette étude qualitative a mis en évidence l’écart entre le discours savant et le discours profane. 35 sur les explications données par les individus pour expliquer l’origine de la maladie. Dans les années 50, Heider proposait l’opposition entre causalité interne (expliquer la survenue d’un événement à des facteurs qui dépendent de soi) et causalité externe (attribuer la survenue d’un événement à des facteurs que l’on ne contrôle pas : hasard, chance, destin, etc.). Aussi, l’anthropologie a étudié les modèles étiologiques qui oscillent entre ces deux pôles : les explications exogènes privilégient les facteurs extérieurs (environnement physique et social) et par opposition le modèle endogène met l’accent sur l’individu (stress, style de vie). Les représentations du corps ont aussi un impact dans la manière de gérer sa santé. Douglas et Calvez (1990) ont mis en évidence quatre conceptions différentes du corps et de sa vulnérabilité dans le cadre d’une étude sur les attitudes et les comportements à l’égard du sida. L’élaboration de cette typologie permet d’expliquer l’échec relatif des campagnes de prévention. Le schéma n°2 ci-dessous permet d’identifier les quatre types : CORPS TRES PERMEABLE, TRES VULNERABLE Toutes les maladies sont très contagieuses Pourquoi se protéger si le corps peut être facilement contaminé ? CORPS PERMEABLE A CERTAINS POINTS D’ENTREE Ces individus doivent prendre soin de leur corps en surveillant ces points d’accès pour éviter l’infection Responsabilisation de l’individu et meilleure sensibilité aux campagnes de prévention CORPS TRES RESISTANT Auto régulation du fonctionnement interne Excellent système immunitaire Pas nécessaire de se protéger contre les maladies infectieuses CORPS PROTEGE PAR UNE DOUBLE ENVELOPPE, PHYSIQUE ET SOCIALE L’individu doit faire preuve d’une double vigilance, de lui et de son groupe. Les individus focalisent davantage sur les porteurs de virus que sur le virus lui-même. Schéma n°2 : Typologie des conceptions du corps 36 Enfin, des chercheurs ont souligné le rôle de la confiance20 accordée aux autorités, aux experts, aux institutions médicales (Peretti-Watel, 1999, 2000, 2001 ; Burton-Jeangros, 2004 ; etc.). L’attitude du profane à l’égard des experts est marquée par un « mélange de déférence et de scepticisme, de confort et de crainte » (Giddens, 1994, p.96). Dans le domaine médical, cette forme de défiance vis-à-vis des systèmes experts s’est développée en réaction à la médicalisation croissante de la société. Dans une étude sur les cultures familiales du risque, Claudine Burton-Jeangros (2004) s’est attachée à mesurer la proximité des répondants avec les institutions médicales. Si 58% des sujets ont une proximité importante avec la science, 42% expriment une position plus nuancée. Chaque année le baromètre IRSN21 questionne le public sur le danger, la confiance et la vérité. Il s’agit de points intimement liés qui contribuent à la formation des opinions sur les risques. Les résultats 2009 montrent que les Français sont toujours aussi exigeants vis-à-vis de l’expertise scientifique : « Ils attendent d’un expert qu’il produise des résultats robustes, qu’il soit ouvert et transparent ». Néanmoins, l’enquête contredit l’idée d’une crise de confiance dans la science et les experts : neuf français sur dix font plus ou autant "confiance en la science qu’il y a dix ans" ; trois sur cinq sont d’accord avec l’idée que "les décideurs politiques ne s’appuient pas assez sur les experts scientifiques" et 58% des personnes interrogées déclarent avoir une bonne opinion des experts. Pour Peretti-Watel, la confiance est un déterminant important de l’acceptabilité d’un risque : « le public accepte davantage un risque s’il juge que les autorités qui le gèrent sont compétentes, et ne dissimulent pas des informations alarmantes » (1999, p. 27-28). En outre, cette confiance serait inégalement répartie dans la société ce qui génèrerait des inégalités sociales quant à l’acceptabilité d’un risque. Au final, malgré une médicalisation croissante de la société, subsiste une diversité des rapports à la santé et aux institutions qui traduit une certaine autonomie du profane face aux discours experts. 1.1.2. Relativité de l’objectif de santé chez le profane Des chercheurs anglais ont apporté des explications aux décalages entre les conduites sanitaires profanes et les discours d’éducation à la santé et ont mis en évidence la relativité de l’objectif de santé chez le profane (Backett ,1992). Le fait d’être conscient de la menace 20 Pour Giddens (1994, p.41), « la confiance est un sentiment de sécurité justifié par la fiabilité d’une personne ou d’un système, dans un cadre circonstanciel donné, et cette sécurité exprime une foi dans la probité ou l’amour d’autrui ou dans la validité de principes abstraits (le savoir technologique) » 21 Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire. 37 ne conduit pas nécessairement les individus à ajuster leurs pratiques. Les individus ne présentent pas d’orientation préventive générale (Aïach et Cèbe, 1992 ; Blaxter, 1990 ; Harris et Guten, 1979) et évoluent entre des réalités multiples et des contraintes pouvant entraver la concrétisation de certains objectifs de santé. En effet, les priorités de la vie quotidienne limitent le choix ou la liberté par rapport à certaines pratiques. Ainsi, un ensemble de paramètres entrent en ligne de compte, tels que les interactions, les contextes sociaux et les normes en vigueur au sein de ces derniers. Au final, la recherche de la santé varie en fonction des domaines concernés et de multiples considérations. Comme l’a souligné Claudine Burton-Jeangros (2004, p. 32), « la recherche de la santé peut se révéler incompatible avec d’autres aspirations quotidiennement négociées. L’idée selon laquelle la santé constitue une valeur suprême doit être relativisée, au profit d’un examen des conditions dans lesquelles d’inévitables compromis se mettent en place ». Par exemple, la recherche du bénéfice immédiat est une stratégie profane assez courante. Le maintien d’une pratique sanitaire néfaste ne traduit en aucun cas une carence cognitive de l’individu. L’individu peut être tout à fait conscient qu’il pratique un comportement à risque mais choisir de l’entretenir en raison du bien être, du plaisir ou de la reconnaissance sociale qu’il procure. Par conséquent, la dimension temporelle et le rapport à l’avenir, variables selon les individus et les groupes sociaux, sont des déterminants importants des évaluations profanes. L’individu a tendance à privilégier le court terme, en particulier pour justifier des bénéfices immédiats que certaines pratiques procurent (Backett, 1992). Ainsi, les stratégies sociales de gestion de la santé procèdent d’une rationalité spécifique, différente du modèle professionnel de santé publique. En outre, comme l’ont montré les études psychométriques, le fossé se creuse entre la perception profane du risque et celle de l’expert. Ce décalage s’explique par la peur que suscitent les situations potentiellement à risque. Afin de vivre avec le risque, d’y faire face, et donc de le gérer, l’individu développe des stratégies de mise à distance. 38 1.2. L’aversion au risque et les stratégies de mise à distance L’aversion au risque est un trait essentiel de la psychologie de l’agent économique. (cf. supra, la Théorie de l’Utilité Espérée). Dans le sens commun, cette notion traduit un évitement du risque lié à l’incertitude et donc à la peur qu’il suscite. La notion de peur, relevant du domaine l’émotionnel, voire de l’irrationnel, traduit une « exacerbation du risque perçu » (Burton-Jeangros, 2004). Ainsi, chez le profane les notions de peur et de risque se recouvrent largement. C’est pourquoi les estimations du risque par les individus, guidées par ce sentiment de peur, sont souvent erronées. Néanmoins, un certain nombre d’études ont montré que lorsqu’on demande à un individu d’évaluer le risque pour lui-même, son estimation se distancie de celle effectuée pour la collectivité à laquelle il appartient. Autrement dit, l’individu tend à sous-estimer l’ampleur du risque personnel. Ce phénomène est le résultat de stratégies de mise à distance du risque par le profane. Bien que l’individu ait conscience des risques et des conséquences potentiellement importantes, celui-ci se considère systématiquement comme moins en danger que ses pairs. Ce sentiment d’invulnérabilité traduit un biais d’optimisme irréaliste (Weinstein, 1982). Il a été observé dans différents contextes tels que le risque routier (Peretti-Watel, 2000), l’industrie (Duclos, 1987) ou le risque en santé (Burton-Jeangros, 2004). Cet aspect traduit un besoin de sécurité, un sentiment d’ « immunité subjective » (Douglas, 1985) qui constituerait un moyen de rendre le monde immédiat plus sûr qu’il ne l’est en réalité. Cette tendance est accentuée par les frontières entre groupes sociaux : en identifiant un profil de victime potentielle, en rejetant le risque sur des « boucs émissaires » l’individu s’en démarque. Cette sélection victimaire (Girard, 1982 ; Peretti-Watel, 1999), cette attribution sociale du risque (Calvez, 2004) reposent sur la désignation de « groupes à risques ». Le sida constitue un exemple révélateur de ce type de mécanisme de dénégation du risque : la tendance à associer le virus à des groupes sociaux clairement définis et distants (homosexuels, drogués) entretient cette protection symbolique vis-à-vis du risque. A cet égard et afin d’éviter ce phénomène, les discours de santé publique relatifs à la prévention du sida ont finalement substitué à cette notion de « groupes à risques » celle de « comportements à risque ». D’autre part, le sentiment de maîtrise individuelle conduirait également les individus à relativiser le danger pour eux-mêmes, à le mettre à distance. A titre d’exemple, les enquêtes sur les perceptions du risque révèlent que de façon générale, les individus craignent davantage les accidents d’avion que les accidents de la route. Alors que le 39 passager d’avion est impuissant, l’individu a le sentiment de contrôler son véhicule. BurtonJeangros (2004) qualifie de « risques maîtrisables » une catégorie de risque (obésité, dépression, crise cardiaque) faisant référence à des situations pouvant dépendre d’une certaine hygiène de vie. Ainsi, les menaces pouvant être réduites à ses propres conduites ou à son style de vie, sont généralement évaluées comme moindres au niveau personnel car considérées par le sujet comme étant sous son propre contrôle. Enfin, la mise en perspective des risques les uns par rapport aux autres est une façon d’établir des priorités et de relativiser certains risques (notamment ses propres pratiques à risque) en comparaison avec d’autres. Cette minimisation du risque par hiérarchisation a été mise en évidence dans une étude sur le VIH auprès d’homosexuels : Lowy et Ross (1994) ont noté l’établissement d’une hiérarchie entre des « risques acceptables » et des « risques significatifs ». Les premiers font référence à des relations sexuelles relativement sûres tandis que les seconds renvoient à des situations à risque élevées. Ces phénomènes de mise à distance du risque, de minimisation ou de relativisation du danger, représentent autant de stratégies d’ajustement (ou « coping », voir infra) – plus ou moins conscientes – de gestion des risques. Autrement dit, elles permettent au profane d’intégrer l’incertitude dans son quotidien. Le risque est perçu comme moins menaçant. Selon Peretti-Watel (1999), le sentiment de pouvoir faire face au risque (maîtrise individuelle) ou au contraire de s’y soustraire (sélection victimaire) permet d’envisager le risque comme évitable et de le rendre plus acceptable. 1.3. Exemple d’une typologie des logiques profanes de gestion de la santé et du risque (Burton-Jeangros, 2004) Cette sociologue suisse a réalisé une étude auprès de mères ayant de jeunes enfants, âgés de 7 à 8 ans. Elle se fonde sur 1300 questionnaires et une cinquantaine d’entretiens. Les situations à risque proposées sont la maladie de Creutzfeldt-Jakob, les accidents de la route, le cancer du poumon, le cancer du sein et les abus sexuels. L’objectif de ce travail était de mieux comprendre les logiques profanes de gestion de la santé et des risques. Les stratégies individuelles de gestion des risques ne correspondent pas toujours aux normes de santé publique. Ces dernières sont communiquées à travers un « discours professionnel » qui constitue une forme de régulation sociale de l’ensemble de la 40 population. Néanmoins, la diffusion sociale de ce message n’est que partielle puisque les individus élaborent leur propre modèle de gestion des risques. Les résultats de l’étude l’ont conduite à élaborer une typologie empirique qui distingue quatre formes de culture du risque qui renvoient à des modèles différents de gestion de la santé et du risque. Le tableau 2 ci-contre indique les différents paramètres pris en compte pour établir cette typologie. Ils se regroupent autour de trois axes conceptuels : le rapport à la santé (perception de l’état de santé; niveau de santé psychosociale ; définition de la santé ; sources de la santé) ; les représentations du risque (sentiments de peur vis-à-vis des risques, niveau d’information sur les risques, jugement de ses propres pratiques à risque), et les pratiques de santé (examens préventifs réguliers , etc.). Jugement de l’état de santé *excellent Modèle « expert » Modèle de l’extériorité Modèle de l’égocentrisme + - - 62% 23% 28% Modèle de réflexivité + le meilleur score 76% + - + + 67% 14% 63% 78% Définition de la santé *expressive 54% 45% 72% 62% Sources de la santé *endogène 18% 15% 20% 64% Sentiments de peur *modérés 56% 35% 62% 11% Niveau d’informations *suffisant 78% 70% 77% 82% Risques faibles 80% 56% Risques élevés 20% Risques élevés 18% Saines Peu saines dans presque tous les domaines Conduites à risques Conduites à risques Impuissance, peu d’emprise sur leur santé Mise en perspective de la santé avec d’autres valeurs (épanouissement de soi, émulation) Peur de mal faire Sentiment d’isolement face à des décisions qui apparaissent lourdes de conséquences Santé psycho-sociale *bonne Jugement de ses propres risques *nuls ou faibles Pratiques sanitaires Gestion des risques Conforme à celle de promotion de la santé Tableau 2 : Typologie des modèles de gestion des risques profanes en fonction des paramètres retenus 41 Le Modèle « expert » correspond à la rationalité instrumentale (principes de maximisation utilitariste). Ce modèle de gestion des risques correspond aux attentes des professionnels. L’individu met en œuvre une rationalité de type positiviste (bonne santé, proximité avec les institutions médicales, perceptions faibles du risque). Aussi, il engage des moyens concrets (comportements de santé) et présente des attitudes (sentiment d’être bien informé, craintes modérées) qui lui permettent d’atteindre le but visé, à savoir une bonne santé. Autrement dit, le sujet a une stratégie pragmatique : la confiance en les normes officielles des experts de santé publique permet à l’individu de limiter l’incertitude. Ce modèle pourrait s’apparenter au profil du bureaucrate de Mary Douglas (1982)22. Le Modèle de l’extériorité traduit une logique d’impuissance face à des éléments externes menaçant la santé. Il se définit par l’absence de contrôle individuel, une conception fataliste du monde. Autrement dit, pourquoi chercher à éviter les risques puisqu’ils sont inévitables ? Ce modèle est marqué par un principe de causalité circulaire : l’individu engage peu d’efforts de prévention dans la vie quotidienne parce que la santé lui apparaît impossible à maximiser. La dégradation de la santé est aussi le résultat de l’attention moins grande portée aux comportements de prévention. Ce modèle s’apparente au profil de l’exclusion de la typologie « grid-group » de Douglas (1982). Le Modèle de l’égocentrisme caractérise des individus qui favorisent des principes ou des valeurs égocentriques qui seraient à leurs yeux plus importants que les éventuelles conséquences de leurs actes. La recherche du bénéfice immédiat génère souvent des comportements à risque. Le Modèle de réflexivité est la version réflexive du modèle expert. L’individu accorde une grande importance aux sources endogènes de la santé associée à des sentiments de peur élevés. Il se caractérise par le refus de quantifier les risques en raison du scepticisme envers les experts. De plus, l’individu est dépassé par sa volonté de faire reposer sa santé sur des choix personnels. Ce modèle renvoie à une véritable stratégie de l’inadéquation. Par la place accordée à l’incertitude, cette rationalité serait typique de la modernité réflexive évoquée par Beck (1992) et Giddens (1991). Au final, ces différentes cultures du risque se superposent partiellement au discours scientifique, ce qui confirme que les normes épidémiologiques occupent une place non 22 La typologie de Mary Douglas (1982) est développée dans la partie suivante sur les conceptions socioculturelles du risque. 42 négligeable dans la société. En effet, une partie de la population adopte une conception probabiliste de la santé et de la maladie (modèle expert). Cela se traduit par une relativisation des dangers, en particulier parce qu’ils adoptent des pratiques globalement favorables à la santé. Leur conception du risque est donc associée au sentiment de maîtrise de l’environnement. Dans ce cas précis, on assiste à un succès des stratégies de prévention moderne. En revanche, dans d’autres segments de la population, l’ampleur des sentiments d’impuissance et de vulnérabilité empêche l’adoption d’un mode de gestion probabiliste de la santé (modèle de l’extériorité). L’explication apportée repose sur deux pistes de réflexion. D’une part, l’inégalité des individus face à la santé traduit une exposition différentielle des individus à divers dangers (Peretti-Watel, 1999). D’autre part, la résistance de certains groupes sociaux à la prévention est imputable aux décalages culturels entre des systèmes de valeurs distincts (Douglas, 1982) : ceux sous-jacent au discours de prévention et ceux tenus par les profanes. Claudine Burton-Jeangros (2004) est allée au-delà de cette vision dichotomique des cultures du risque en proposant ces deux autres modèles, soit de l’égocentrisme et de la réflexivité. Si les stratégies sociales de gestion de la santé et du risque témoignent de la singularité de la rationalité profane, celle-ci repose également sur des « discours », des « savoirs » élaborés, construits par le profane, par la mise en perspective de différentes sources. Il existe une multiplicité de savoirs profanes qui dépendrait largement du groupe social d’appartenance. Ces discours, ces conceptions du risque servent ensuite de référence à l’individu pour agir, pour se comporter face à une situation aversive. Des chercheurs issus de disciplines variées, telles que la sociologie, la psychologie ou encore l’anthropologie, ont appréhendé la construction de cette rationalité profane, notamment en établissant des liens entre la réponse au danger et les influences psychologiques et sociales. Mary Douglas (1982) et Roger Kasperson (1988) ont construit un modèle relationnel entre la perception et l’acceptation du risque, et les facteurs psychologiques et socioculturels. L’examen approfondi de ces recherches présente un intérêt considérable dans la mesure où elles permettent de dégager un certain nombre de déterminants de la perception et de l’acceptation d’un risque. 2 Les conceptions socioculturelles du risque Les conceptions socioculturelles du risque s’élaborent et se construisent à travers un processus cognitif qui intègre et organise les informations (données formelles ou informelles) provenant de différentes sources (discours professionnel, médiatique, social) en vue 43 d’aboutir à un ensemble cohérent d’informations pour faire face à la complexité des situations à risque. Ces mécanismes de sélection et d’interprétation des informations relatives au risque sont inévitables et s’opèrent dans la vie quotidienne (Douglas, 1985), que ce soit par le biais des valeurs véhiculées par le groupe social d’appartenance, de l’entourage social, de l’expérience personnelle du risque ou encore des médias (Douglas, 1985). L’anthropologie culturelle permet de comprendre comment s’organisent les « pensées complexes et disparates du risque » des institutions, qui les induisent, les gèrent ou les préviennent, et surtout des individus « épris d’aventure ou de sécurité » (Duclos, 1994, p.345). Les travaux de Douglas (1982) et de Wildavsky (1982), Thompson (1983, 1990), ou encore ceux de Rayner (1985) prennent le contre-pied des modèles rationalistes et individualistes proposés par l’approche technique des risques et le paradigme psychométrique. Cette approche tente également d’apporter des réponses à la question de l’incohérence des perceptions et des attitudes individuelles face aux risques. La perception du risque en sociologie et en anthropologie met l’accent sur l’influence des contextes sociaux et culturels. La culture fournit un cadre de perception spécifique, qui détermine la façon d’appréhender le monde, d’interpréter les informations, et aussi la façon d’évaluer le risque (Perreti-Watel, 2001). 2.1. Contextes de vie, interactions d’acteurs, visions du monde Les normes et valeurs issues d’un contexte social particulier participent à la construction d’une hiérarchie particulière des dangers. De ce fait, la théorie culturelle de Mary Douglas postule que la perception du risque est elle-même étroitement dépendante de la position des individus dans la société. « En choisissant un mode de vie, nous choisissons également de courir certains risques. Chaque forme de vie sociale a son propre portefeuille de risques. Partager les mêmes valeurs, c’est aussi partager les mêmes craintes, et inversement les mêmes certitudes » (Douglas et Wildavsky, 1982, p. 8). L’analyse culturelle du risque soutient l’émergence d’une culture commune du risque qui repose sur un certain nombre de normes et de croyances partagées par les membres du groupe qui tendent à faire banaliser ou au contraire sur-évaluer le risque. Il s’agit de principes et de visions du monde, produits par les interactions et le partage des expériences 44 notamment, qui sont mobilisés par les individus en vue de revendiquer des conduites à tenir et afin de justifier les actions entreprises. Ces principes culturels contribuent à la formation des institutions sociales qui définissent des manières de faire et d’être plus ou moins stabilisées par l’usage. Les individus associent les situations dans lesquelles ils se trouvent à l’expérience qu’ils ont de la structure sociale, appréhendée comme un cadre d’orientation et de contrainte de l’action sociale dans un contexte d’incertitude et de danger. En partant d’une approche anthropologique des croyances relatives aux dangers et aux interdits, Douglas et Wildavsky (1982) ont mobilisé cette perspective de recherche pour étudier la sensibilité contemporaine aux risques de l’environnement. Ces derniers s’intéressent aux risques qui font l’objet d’un débat public impliquant des protagonistes organisés et aussi différents que les communautés d’écologistes, les entrepreneurs, les ingénieurs, ou les bureaucrates des grandes institutions américaines de contrôle, de prévention ou de protection. Selon eux, la logique profonde de notre rapport à la menace, au danger, au calcul, à la chance, est influencée par notre position sociale, notre insertion subjective et pratique dans les institutions, et par notre système de valeurs (Duclos, 1994, p. 347). Or, pour Douglas, la position d’un groupe au sein de la société et les valeurs, les façons de penser de ce groupe sont étroitement liées. Pour rendre compte de son approche, elle a construit une typologie qui vise à résumer la diversité des structures sociales par un classement sur deux dimensions : il s’agit du modèle grid / group. Douglas s’appuie surtout sur des types organisationnels ou professionnels. 2.1.1. Typologie des structures sociales : le modèle « grid-group » Dans le modèle « grid-group », la dimension « grid » renvoie aux limites externes du groupe par rapport à l’ensemble de la société et permet ainsi de définir la collectivité d’appartenance. La dimension « group » fait référence à la structuration interne du groupe, au degré de hiérarchisation entre les membres du groupe (opportunité de négociation libre ouverte aux membres individuels). Autrement dit, Douglas définit la prescription ou non des rôles sociaux. Ces deux dimensions séparent l’espace social en quatre segments (cf. schéma 3 ci-après) et permettent d’identifier quatre types de contextes sociaux qui orientent et contraignent les possibilités d’action des individus et les justifications qu’ils mobilisent. Par conséquent, les perceptions du risque sont censées varier d’un segment de la société à l’autre. Les quatre types de perception du risque sont les suivants : 45 DEGRE DE CONTROLE Exercé par le groupe sur la vie de ses membres « Grip » ou Structuration interne + DEGRE DE DISTINCTION D’un groupe d’individus par rapport à son environnement « Group » ou limites externes Bureaucrates Exclus Dépendants _ + Individualistes Entrepreneur Egalitaires Enclave, secte _ Schéma 3 : Les quatre pôles de l’analyse culturelle - Le type bureaucrate (administrateurs, politiciens, technocrates), appelé aussi structure hiérarchique, fait référence à un univers très compartimenté et contraignant au sein duquel les individus ont une aversion au risque élevée dans la mesure où ils accordent une grande importance aux règles et aux recommandations scientifiques afin de fuir la réprobation sociale. Autrement dit, la mobilité est faible et les opinions individuelles étroites ; - Le type égalitaire, proche des mouvements écologiques, traduit un monde où l’on prône un idéal d’égalité. Il se démarque des autres segments (fort degré de distinction de ce groupe par rapport aux autres) par son importante motivation, notamment dans la perspective d’atteindre le risque zéro ; - Le groupe des exclus (ou structure de subordination sociale) s’identifie par une importante hiérarchie interne mais une faible différenciation par rapport aux autres segments de l’espace social. Les membres de ce groupe présentent une vision des risques plus fataliste et passive. En effet, ils se contentent d’exécuter, sans se mobiliser et sont peu solidaires ; - Enfin, les individualistes nommés aussi entrepreneurs se caractérisent par un certain goût du risque qui s’explique aussi par la concurrence en vigueur au sein du groupe. Seul responsable, l’individu qui prend des risques est aussi celui qui en perçoit les bénéfices. 46 2.1.2. Apports et limites du modèle « grid-group » Cette typologie des contextes sociaux est un instrument de recherche pour la théorie culturelle. De la même manière que les idéaux-types, elle procure des modèles rationnels pour donner une intelligibilité aux variations des perceptions et des conduites sociales. En conséquence, ce modèle permet de construire une explication sociologique des perceptions du risque en les rapportant à des modes différenciés de relations sociales. L’attachement à un mode de vie et de relations induit des biais dans les façons de percevoir l’environnement et de réagir aux problèmes. Ce courant relativise l’idée d’une spécificité des dangers dans le monde moderne soutenue par l’approche technico-rationnelle et prône l’idée selon laquelle les risques sont socialement construits. Les individus mobilisent diverses logiques argumentaires qui sont en étroite dépendance avec les préférences qu’ils manifestent pour un type donné d’institution sociale. Cette grille d’analyse a su rendre compte de la diversité et de la complexité des positions des acteurs sociaux face aux situations à risque. Néanmoins, elle a été peu testée empiriquement. En effet, Douglas n’a jamais élaboré de questionnaire pour valider sa typologie « grid-group ». En revanche, Wildavsky (1990) a construit un questionnaire en vue de la validation empirique de la théorie culturelle, qui, au final, ne s’est pas révélé très convaincant (Perretti-Watel, 2000). Dans l’analyse des risques de santé, Gabe (1995) met également en évidence la faiblesse des tentatives d’application empirique de la théorie culturelle effectuées à ce jour. Enfin, après l’utilisation de ce modèle pour rendre compte des attitudes à l’égard des risques de santé liés à une activité professionnelle et à la conduite routière, Bellaby (1990) considère qu’il est trop statique. En effet, il est incapable de rendre compte des changements de perceptions à l’égard du risque au cours d’une vie. 2.2. Les vulnérabilités sociales et culturelles face aux risques : l’exemple du SIDA De la psychanalyse aux contextes socioculturels, divers cadres de référence sont mobilisés pour rendre compte des réponses apportées aux risques de transmission du VIH. De manière générale, l’analyse des conduites à l’égard des risques utilise des indicateurs sur les connaissances relatives au sida et à la prévention ainsi que des indicateurs comportementaux23. En partant de la définition épidémiologique des risques, ces analyses expliquent les désajustements entre les connaissances et les conduites par les « fausses croyances » ou « l’irrationalité des conduites ». Pour Marcel Calvez (1992), l’approche de la théorie culturelle permet d’aller au-delà de cette vision comportementale en étudiant les 47 univers de significations dans lesquelles se meuvent les représentations et dans lesquelles se forment les attitudes à l’égard des risques considérés, en tant qu’ils engagent des logiques d’affiliation sociale. L’analyse culturelle des risques permet de rendre compte des bonnes raisons24 qui conduisent les individus à ajuster ou non leurs conduites aux représentations du risque et aux normes que véhicule la prévention. Dans le cadre d’une recherche de l’ANRS (Agence Nationale de Recherche sur le SIDA), Marcel Calvez (1992) a adopté une perspective de recherche qui fait appel à l’analyse culturelle des risques. En identifiant la diversité des modalités d’accès et des contextes socioculturels des personnes séropositives, cette recherche vise à mieux comprendre le recours tardif aux soins. La notion d’accès tardif est définie à partir d’un cadre médical, celui d’une bonne pratique qui permet un optimum de soins au bénéfice du patient. Cet idéal de traitement médical (un dépistage précoce et un accès aux soins proche du dépistage) se confronte à une diversité des trajectoires d’accès aux soins qui procède d’un autre cadre de référence que le monde médical. Quelles sont alors les bonnes raisons qui conduisent les personnes à consulter à un moment de l’évolution de leur maladie que le médecin juge tardif ? L’accès tardif aux soins ne s’explique pas par une mauvaise perception des risques du sida puisque l’enquête a montré que 40% des individus interrogés sont en retard dans leur itinéraire de soins malgré une perception des risques pertinente. Le recours aux soins, dans le cadre du sida, dépend de la possibilité pour l’individu de se reconnaître comme preneur de risques et de sa capacité à recourir au système de santé. Ces deux facteurs explicatifs de la faiblesse du dépistage en lien avec les recommandations de la prévention, procèdent de déterminations sociales. En référence à la théorie culturelle de Mary Douglas (1982), Marcel Calvez (1992) les appréhende sur deux plans complémentaires : La place dans la structure sociale : elle se mesure par les Professions et Catégories Sociales et divers indicateurs de conditions de vie tels que le revenu et le logement ; L’expérience sociale qui se mesure d’une part par les modes de participation sociale (descripteurs extérieurs des modes de vie et types de réseaux auxquels l’individu prend part : étendu, centré au niveau de la famille, etc.) et d’autre part par les caractéristiques relationnelles du réseau telles qu’elles sont perçues par l’individu. 23 Il s’agit des enquêtes KABP (Knowledge, Attitudes, Beliefs, Practices). Les individus sont capables de justifier leurs actes en les appuyant sur des arguments convaincants, même s’ils ne sont pas forcément justes. Les individus ont toujours de bonnes raisons de faire ce qu’ils font (Boudon, 2003). 24 48 Le premier facteur explicatif, à savoir la capacité des individus à recourir au système de santé, dépend essentiellement de la place du sujet dans la structure sociale. En effet, il s’agit d’un élément non négligeable pour expliquer la faiblesse du dépistage en lien avec les recommandations de la prévention. L’étude souligne des usages différenciés du système de soins. Autrement dit, les individus n’exploitent pas de la même manière les systèmes de santé. Le second facteur - la possibilité pour l’individu de se reconnaître comme preneur de risques - est en grande partie déterminé par le contexte relationnel dans lequel se trouve l’individu et l’information sur la séropositivité qui y est diffusée. A ce titre, l’analyse du réseau relationnel et de son inscription dans la structure sociale a montré que la confiance dans l’entourage et la stabilité de celui-ci sont des indicateurs pertinents pour mesurer la diffusion de sa séropositivité. L’enquête a permis d’identifier deux types de réseaux relationnels au sein desquels l’individu agit et mobilise les ressources qui l’environnent pour construire une action, en particulier l’adoption d’un comportement de prévention. Par ressources, Calvez (2006) fait référence aux réseaux sociaux par lesquels les conduites relatives à la santé se forment ou l’information sur les risques et les soins circulent, mais aussi à la proximité avec le monde médical et les capacités à faire appel aux services de santé. Les deux types de réseaux relationnels identifiés se rapportent à deux des quatre contextes sociaux de la typologie grid / group de Mary Douglas (1982) : le contexte de subordination sociale et le contexte individualiste. La différence entre ces deux contextes relationnels réside en la capacité de l’individu à orienter ses conduites selon son intérêt. Dans le type individualiste ou « réseau faible », l’individu peut agir selon son intérêt propre alors que le contexte de subordination (ou « réseau fort ») correspond à des situations de domination sociale (liée à la migration, au genre, au sous-emploi, etc.) et est associé à l’adhésion à des normes imposées. Dans ce type de réseaux, la personne n’inscrit pas sa séropositivité car elle n’est pas en confiance. A ce titre, il est fort probable que le sida soit perçu en tant que stigmate, ce qui justifierait le silence sur son état et son incapacité à envisager une exposition au risque. A l’inverse, dans le réseau faible ou contexte individualiste, la confiance est fondée sur un engagement personnel. C’est pourquoi les individus ont plus de probabilités de parler de leur séropositivité et d’envisager la possibilité d’une exposition aux risques. L’objectif de cette étude a donc été d’analyser les filtres que chaque type de contexte social peut engendrer dans la perception des risques et dans l’interprétation des recommandations de la prévention. D’autres recherches ont mis en évidence l’importance de la position sociale des individus. A titre d’exemple, Blaxter et Paterson (1982) ont montré dans une étude écossaise que les femmes issues de milieux défavorisés minimisaient leurs 49 problèmes de santé en les définissant comme normaux dans leur milieu social, leur région ou encore leur catégorie d’âge. Calnan et Williams (1991) considèrent cette sous-estimation de la maladie chez les groupes socialement défavorisés comme le reflet de leurs attentes, plus faibles que dans les milieux se situant en haut de l’échelle sociale. C’est pourquoi l’impact de l’éducation à la santé varie en fonction de l’appartenance sociale de l’individu. Si les messages de prévention sont intégrés dans tous les milieux, Calnan (1986) a montré qu’en raison des contraintes et barrières structurelles limitant certains choix, la mise en pratique est plus difficile en milieu défavorisé. Par ailleurs, Morgan et Spanish (1985) ont également souligné l’importance de l’expérience sociale (l’expérience vécue par le biais de l’entourage social) : les individus observent et interprètent constamment le cas d’autres individus dans leur réseau personnel, professionnel ou public. Ce mode relationnel de construction d’images des risques aboutit à l’élaboration d’une « épidémiologie profane » (Davinson et al., 1991). Cette information de seconde main, construite sur la base d’éléments concrets, s’oppose à l’incertitude du discours expert. L’expérience antérieure du risque, qu’elle soit personnelle ou sociale, est par conséquent un facteur déterminant dans l’appréciation de la vulnérabilité individuelle. Celui-ci peut être plus opérant que la peur ou le niveau d’information (Calnan et Johnson, 1985). Ainsi, en proposant un autre cadre d’analyse d’appréhension des risques, ces travaux mettent l’accent sur la multiplicité des critères d’acceptabilité du danger. La théorie culturelle apporte une contribution à l’analyse des risques de santé en s’interrogeant sur les déterminants sociaux et culturels de la prise en compte de risques et d’incertitudes. L’attitude vis-à-vis d’un risque n’est pas homogène et varie en fonction de l’appartenance à divers groupes sociaux. Nous avons mis en évidence deux composantes principales du savoir profane : une dimension expérientielle (expérience et interactions quotidiennes) et une dimension plus « cognitive ». Cette dernière examine plus précisément le rôle joué par les sources utilisées pour s’informer sur les risques. A travers la théorie de Kasperson (1988), nous allons voir que l’influence des facteurs socioculturels et psychologiques est médiatisée par divers canaux de communications, parmi lesquels les médias. 50 3 Les sources d’informations du risque Nous avons vu précédemment que le profane appréhendait le risque, lui donnait du sens selon les principes, valeurs et représentations du contexte social au sein duquel il évolue. Or, ces différentes conceptions du risque circulent et sont véhiculées par une multiplicité de canaux de communication. La communication joue donc un rôle prépondérant dans la lecture du risque qu’opèrent les individus (Joffe, 2005). D’après les résultats de l’Eurobaromètre 2010, pour 68% de la population française interrogée, la télévision est la principale source d’information. Les répondants citent ensuite la presse écrite (43%). Les amis et la famille (29%), ainsi que la radio (29%) arrivent en troisième position ; et 24% se documentent via internet. Seul 9% des participants affirment utiliser les statistiques officielles afin de s’informer sur les effets indésirables consécutifs à des soins de santé. 3.1. Les stations émettrices d’information 3.1.1. Présentation du modèle SARF (Kasperson, 1988) Roger Kasperson (1988) a présenté un modèle théorique, le SARF (Social Amplification of Risk Framework) qui combine les aspects de la perception du risque et de la théorie culturelle à ceux du champ communicationnel. Les signaux du risque (images, symboles) interagissent avec des processus psychologiques, sociaux, institutionnels et/ou culturels qui amplifient ou atténuent la conscience du risque (Joffe, 2005, p. 123). Le modèle de Kasperson (cf. schéma 5, p 51) constitue un véritable processus de communication où trois sources principales d’information sont mises en évidence: les expériences, personnelles, la communication directe et la communication indirecte. Les canaux d’informations correspondants, autrement dit les entités qui vont faire circuler l’information, sont respectivement : l’individu, le réseau social et le réseau professionnel (cf. schéma 5, p 51). Kasperson souligne également le rôle des stations sociales (leaders d’opinions, groupe socio-culturel, agence gouvernementale, organisations volontaires, nouveaux médias) et des stations individuelles (filtre d’attention, évaluation et interprétation, connaissance du monde social, etc.). Ces canaux reçoivent et envoient des signaux du risque qui influencent et structurent les perceptions du risque. « Stations d’amplification positive ou négative du risque », les individus filtrent les signaux émis vers la société en les atténuant ou en les amplifiant (cf. 51 schéma 4 ci-dessous). L’implication dans un processus de communication du risque transforme chaque message conformément à ses représentations, son expérience, ses valeurs. Ainsi, ces interactions positives ou négatives sont prévisibles puisqu’elles sont fonction des représentations culturelles véhiculées par le réseau social de l’individu. Schéma 4 : Les mécanismes d’amplification et d’atténuation du risque 3.1.2. Apports et limites du modèle SARF Cette théorie a pour avantage d’unifier les approches socioculturelle et psychologique. En intégrant les dimensions psychologiques et sociales de la perception du risque dans son approche, Kasperson a cherché à comprendre pourquoi un risque est amplifié ou au contraire atténué par l’opinion publique. Les perceptions du risque et les comportements seraient influencés par des facteurs sociaux, institutionnels et psychologiques à travers un réseau de canaux de communication formels (médias, campagnes publiques d’information, etc.) ou informels (rumeurs, bouche à oreille, etc.). Toutefois, malgré un apport théorique solide, ce modèle a fait très peu l’objet d’applications empiriques, notamment dans le champ de la santé. Aussi, bien que cette approche soit très intéressante, elle laisse entrevoir une limite : ceux qui reçoivent les signaux du risque ne sont pas des récepteurs passifs. N’oublions pas que l’individu est capable de s’engager dans un questionnement actif de l’information liée au risque au lieu de saisir des bribes de savoir. 52 Schéma n°5 : Amplification sociale du risque, Kasperson and al., 1988. 53 RISQUE ET EVENEMENTS RISQUES Réseau social Réseau professionnel Communication indirecte Individu CANAUX D’INFORMATION Communication directe Expériences personnelles SOURCES D’INFORMATION Connaissance du contexte social Evaluation et interprétation Organisations volontaires Nouveaux médias Biais d’intuition Décodage Groupe socioculturel Agence Gouvernementale Filtre d’attention STATIONS INDIVIDUELLES Leaders d’opinion STATIONS SOCIALES Protestation sociale Réponses des organisations Actions politiques et sociales Attitudes/ Changements d’attitudes COMPORTEMENTS INSTITUTIONNELS ET SOCIAUX AMPLIFICATION ET ATTENUATION Société Autres technologies Industrie Entreprise Personnes directement affectées Communautés locales Groupes professionnels Parties prenantes Société REPERCUSSIONS Perte de confiance dans les institutions Problèmes de la communauté Hausse ou baisse des risques physiques Litiges Changements organisationnels Actions réglementaires Pertes financières Baisse des ventes IMPACTS 3.2. Le rôle des médias Le rôle des médias est important en tant qu’élément sociologique de la perception des risques. L’amplification ou l’atténuation d’un risque dépend beaucoup de cette station émettrice et réceptive d’informations. Pour Patrick Champagne (1993), les médias masquent ou déforment parfois la réalité25. Jusqu’au début des années 70, le milieu médical a fait preuve de méfiance à l’égard de la recherche d’informations sensationnelles. A l’époque, le journalisme médical est pratiquement inexistant, dans la presse professionnelle comme dans la grande presse. On constate une très grande prudence quant à la diffusion des informations à destination du grand public, notamment en raison du poids des incertitudes sur les découvertes médicales, sur la mise au point des traitements et des médicaments. Cette forme de monopolisation du traitement de l’information scientifique par les institutions savantes, s’accompagne d’une responsabilisation de la presse en vue « de ne pas susciter de faux espoirs ou de déclencher, à l’inverse, des paniques » (Champagne, 1993). Néanmoins, l’affaire du sang contaminé a suscité une emprise médiatique sans précédent. Le champ journalistique s’est emparé du sujet relatif au sang contaminé parce qu’il comporte les ingrédients nécessaires pour attirer un large public : « le sexe, le sang, le mystère, la mort » (Champagne, 1994). L’encadré26 ci-après retrace l’évolution de ce phénomène. 1982 (repérage de la maladie) – 1985 : traitement médiatique « ordinaire » « Les médias exploitent, sans retenue particulière, les fantasmes présents dans le corps social qu’une telle épidémie peut réactiver. La nouveauté de cette maladie, ses modes de transmission laissent le champ libre aux représentations communes avec lesquelles les médias peuvent jouer, pour les renforcer ou les combattre » Exemple : scoops sur la peur de la contamination, sur le public à risque, homosexuels ou drogués 1985 - 1989 : multiplication des journalistes médicaux La circulation des rumeurs s’atténue, notamment par la mise au point des tests de dépistage et la connaissance des mécanismes de diffusion du virus s’améliore. « La maladie devient l’affaire des spécialistes. […]. Jusqu’en 1989, la presse de grande information manifeste une grande retenue, faisant bloc notamment contre les diverses tentatives de moralisation et de politisation et contre tout ce qui pourrait conduire à la stigmatisation ou à l’exclusion de tel individu ou groupe social ». 1989 : montée des controverses au sein de la communauté scientifique et de l’occupation de la scène médiatique par des médecins non spécialisés « Les informations « sensationnelles » et la recherche systématique d’ « affaires » ou de « scandales » autour de l’épidémie se multiplient. » 1991 : « Scandale du sang contaminé » 25 Il a qualifié ce phénomène d’ « effet d’écran » dans l’étude de la couverture médiatique des évènements des banlieues dites « à problèmes ». 54 «La qualification des faits comme « scandaleux » loin d’avoir été évidente et immédiate, a été le résultat d’une lutte singulière qui a notamment opposé, durant de longs mois, certaines victimes de la contamination par le sang à l’Etat, à la justice et aux journalistes, puis les journalistes aux milieux médicaux et politiques, et enfin les journalistes entre eux . » L’étude de l’évolution de la « couverture médiatique » du sida a permis de saisir les luttes entre le champ journalistique et les champs scientifiques, politique ou judiciaire. Dans un autre domaine, Koren et Klein (1991) ont étudié et comparé la couverture médiatique de deux études médicales. L’une d’elle publiait une bonne nouvelle, « il n’y a pas d’augmentation du risque de cancer dans la population habitant à proximité d’une centrale nucléaire», l’autre une mauvaise nouvelle, « il y a une augmentation du risque de leucémie chez les hommes de race blanche travaillant dans tel laboratoire ». Au final, ils ont constaté que les médias amplifiaient la mauvaise nouvelle, notamment en la portant davantage à l’attention du public, et qu’ils atténuaient la bonne. Comme l’a souligné Allègre (1999) lors de l’introduction du colloque « Risque et société » : « l’information ne peut être que tragique ». 3.3. Les « effets secondaires » de l’amplification sociale du risque Les effets secondaires traduisent les répercussions multiples d’un risque au-delà même des personnes directement affectées. Comme le souligne le modèle du SARF27, les répercussions ou « effets secondaires » de l’amplification ou l’atténuation du risque par les médias peuvent se révéler très importantes. Ce canal de communication est très souvent mis en cause par les scientifiques qui lui reprochent de mettre en scène et d’« amplifier » les incertitudes et controverses entre experts (Breyer, 1993). Cela génère une montée d’inquiétude de la part de la population, laquelle fait pression afin que les politiques travaillent à la sécurisation des dispositifs en question. Par conséquent, des mesures législatives et réglementaires parfois excessives sont prises, ce qui pénaliserait à terme les entreprises, forcées de se plier à des mesures non adaptées, produit initial d’une pression médiatique. Dans le domaine médical, au regard de la sensibilité de notre société sur les questions de santé, tout évènement indésirable lié aux soins peut être amplifié, ce qui génèrera des effets négatifs. En premier lieu, l’amplification médiatique dont a fait l’objet la contamination transfusionnelle des patients par le VIH a un impact sans précédent sur les perceptions et l’acceptabilité de ce risque (Hergon et al., 2004). Le risque viral lié à la thérapeutique 26 27 Les citations sont toutes extraites de l’article de Patrick Champagne (1994). Social Amplification of Risk Framework. 55 transfusionnelle, auparavant connu et accepté en raison de la perception des bénéfices, est devenu aujourd’hui inacceptable et les individus ainsi que les institutions exigent un niveau de sécurité maximal. Or, en focalisant l’attention sur le risque viral, les médias occultent l’ensemble des autres risques associés à la thérapeutique transfusionnelle, qu’ils soient bactériens, parasitaires, immunohématologiques ou volémiques. A ce titre, l’individu a une information limitée face à cette pratique médicale, ce qui pourrait biaiser la prise de décision. De plus, les mesures de sécurité drastiques associées à cette pratique aboutissent à des situations où l’on préfère ne pas transfuser et les conséquences peuvent être dramatiques. Cet effet pervers a largement été évoqué dans les réflexions sur le risque : la gestion d’un risque peut entraîner d’autres risques. Un autre exemple révélateur des possibles répercussions négatives est celui des vaccinations contre l’hépatite B. En 2000, à la demande du Directeur Général de la Santé et dans le cadre du Comité national de sécurité sanitaire, Michel Setbon (2004) et son équipe de recherche entreprennent une recherche rétrospective afin de rendre intelligibles les décisions de sécurité sanitaire prises en réponse à des dangers ou à des risques. Dans cette perspective, ils étudient la décision de suspension de la vaccination scolaire contre l’hépatite B. En 1998, les autorités sanitaires sont confrontées à l’existence possible d’un risque d’atteintes démyélinisantes du système nerveux apparues dans le cadre d’une vaste campagne de vaccination lancée en 1994 dans les collèges par le secrétariat d’Etat à la Santé. Les médias s’emparent du sujet, et « amplifient » le risque, notamment en médiatisant les cas d’atteintes de sclérose en plaques. Les études épidémiologiques peinent à parvenir à un résultat statistiquement significatif en terme de causalité. C’est pourquoi, elles entreprennent un calcul bénéfice/risque qui aboutit à une quantité plus importante de bénéfices collectifs, bien que le risque soit réel. Néanmoins, en octobre 1998, les gestionnaires décident dans l’urgence de suspendre la campagne de vaccination en milieu scolaire dans un contexte général d’inquiétude marqué par une pression médiatique et associative visant à promouvoir le lien causal entre vaccination et atteintes démyélinisantes. Lors du colloque Risque et société, Maurice Tubiana (1998) aborde cette affaire. Selon lui, l’usage excessif du principe de précaution, soit une sur-régulation en réponse à une focalisation de l’opinion sur ce risque hypothétique, peut générer une augmentation de la fréquence de la maladie : « En vaccinant tous les jeunes d’une classe d’âge (800.000), on peut espérer éviter environ 10.000 cas d’hépatites B. Parmi celles-ci, 1000 évolueraient vers une infection chronique (causant quelques centaines de cirrhoses) et une centaine de décès seraient causés par hépatite fulminante, cirrhose du foie ou cancer du foie, alors que si la vaccination était effectivement nocive (ce qui n’est pas certain), on éviterait au maximum un ou deux cas de sclérose en plaques en la supprimant ». 56 Par conséquent, les études sur les médias ont mis en évidence l’importance des « effets secondaires » d’un risque lorsque celui-ci est amplifié par ces canaux de communication. Roger Kasperson (1988) a également souligné le rôle et l’impact d’un ensemble de stations émettrices d’informations, qu’elles soient informelles (réseau social, expérience personnelle, etc.) ou au contraire officielles (médias, agences gouvernementales etc.). A ce titre, son approche sur l’amplification sociale du risque est très intéressante puisque globale. La littérature relative à la sociologie de la santé et du risque s’attache à mieux comprendre l’ancrage social de la rationalité profane. Elle repose sur des stratégies sociales de gestion de la santé et du risque telles que les mécanismes de dénégation du risque ou les attitudes vis-à-vis de la santé et des institutions médicales, par exemple. De plus, l’appréhension des situations risquées n’est pas unidimensionnelle mais au contraire varie en fonction des conceptions du risque mobilisées. Par conséquent, dans une approche constructiviste des significations des risques, le savoir profane est le résultat d’un processus cognitif qui intègre et organise les informations provenant de différentes sources. Nous avons principalement mis en évidence deux composantes essentielles de ces savoirs profanes : la dimension « expérientielle » qui traduit la prise en considération de l’expérience du risque et de la maladie, qu’elle soit biographique, ou vécue par l’entourage social ; et la dimension « cognitive », qui renvoie au niveau de connaissance lié au risque, ainsi qu’à la nature des sources d’informations utilisées. Au final, la rationalité profane du risque se construit à travers divers processus relationnels, sociaux et culturels. En outre, deux courants issus de la psychologie mettent plus particulièrement l’accent sur le rôle des croyances dans les processus d’évaluation de l’individu. L’approche sociocognitive centre son analyse sur les processus de traitement de l’information mis en place par l’individu, afin d’adapter ses comportements et d’ajuster ses actions. De plus, nous avons jugé nécessaire d’explorer un certain nombre de déterminants psychologiques qui interviennent dans la manière d’appréhender le monde. De ce fait, leur impact sur l’évaluation que l’individu fait d’une situation risquée est à considérer. 57 PARTIE IV LE RÔLE DES CROYANCES ET DES PARAMETRES PSYCHOSOCIAUX DANS L’EVALUATION DU RISQUE Le profane utilise ses impressions et cherche à donner aux situations de la vie quotidienne des types d’explications pour établir sa connaissance du monde social. Il est donc plongé dans un monde qui le submerge d’informations alors même que sa capacité à les traiter est limitée. C’est pourquoi, il a recours à certaines « croyances », « représentations » et « illusions » qui lui donnent accès à un monde plus simple, plus prévisible, plus contrôlable et donc plus à même d’être expliqué. Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, ce corpus de connaissances est fondé sur des traditions partagées et enrichies par des expériences personnelles, des observations, des pratiques. Il procure aux individus un « sens commun » auquel ils ont recours spontanément quand ils veulent comprendre le monde dans lequel ils vivent. Cette logique profane n’est pas « irrationnelle » car « la pensée sociale n’est assurément pas le lieu de l’incohérence et du désordre. Tout semble indiquer au contraire qu’elle se construit selon un ordre rigoureux et conformément à des règles précises […]. Loin de se résoudre en une série arbitraire d’erreurs et de manquements à la logique classique, la pensée naturelle offre donc sa propre cohérence et constitue un type de rationalité » (Rouquette, 1973, p. 327). Nous allons aborder cette rationalité profane spécifique au travers d’un examen général de différents concepts. Dans un premier temps, nous présenterons l’approche sociocognitive en matière de santé et de maladie. Dans un second temps, nous explorerons un certain nombre de croyances et paramètres généraux issus de théories psychosociales, permettant de mieux appréhender les logiques individuelles, et de mieux comprendre les différences inter-individuelles observées dans l’acceptabilité du risque. 1 Le paradigme socio-cognitif en matière de santé et de maladie Différents modèles socio-cognitifs ont été élaborés et utilisés pour analyser l’adoption de comportements de santé et identifier leurs principaux déterminants. En ce sens, ils peuvent apporter un éclairage intéressant pour mieux comprendre les stratégies que 58 l’individu peut déployer face au risque ou encore dans quelle mesure il accepte de prendre un risque pour lui-même. Les termes « habitudes comportementales saines », « comportements de santé », et « stratégies de gestion du risque » seront utilisés de façon interchangeable, en partant du principe que leur fonction est de maintenir ou d’améliorer la santé physique de l’individu (Stone, 1979). Ces modèles explicatifs ont fréquemment été étudiés dans le cadre de recherches sur l’adhésion des individus à différents programmes de prévention. L’adhésion se définit par le degré de concordance entre le comportement de la personne (suivre son traitement, etc.) et les recommandations médicales qui lui sont faites. Dans l’ensemble, ces modèles s’intègrent dans la conception de la santé développée par Engel (1977), soit l’approche globale ou bio-psychosociale (où la maladie n’est pas considérée uniquement comme organique, mais résultant également de facteurs humains et sociaux). En somme, la personne est considérée comme un être autonome et indépendant pouvant agir pour contrôler sa santé ainsi que le risque qui en découle. En d’autres termes, l’individu prendrait des décisions rationnelles face à sa propre santé. Nous proposons ici deux objectifs : identifier d’une part les principales caractéristiques conceptuelles des modèles sélectionnés ; les comparer d’autre part, afin d’approfondir la compréhension des mécanismes pouvant favoriser l’acceptabilité du risque et la gestion qu’en a l’individu. Parmi l’ensemble des modèles recensés dans la littérature, nous avons sélectionné ceux dont les recherches ont mis en évidence leur qualité heuristique tant d’un point de vue fondamental qu’appliqué. Sur 15 modèles étudiés, nous en avons finalement retenu quatre qui nous ont semblé les plus pertinents pour traiter de l’acceptabilité des risques. 1.1. • Le modèle des croyances relatives à la santé : HBM (Becker, 1975) Présentation du modèle Le modèle des croyances relatives à la santé, ou Health Belief Model (HBM), est le modèle le plus ancien, mais aussi le plus utilisé en psychologie sociale de la santé. Ce modèle prend racine dans deux grandes théories : 59 la théorie stimulus-réponse développée par Watson (1930), où les comportements constitueraient des réponses à des stimuli de l’environnement, et où les attitudes correspondraient à des positionnements de l’individu. la théorie cognitive de type valeur/attente de Lewin (1936) qui soutient l’idée selon laquelle les gens ne sont pas simplement des spectateurs passifs de forces environnementales, mais que les conduites sont déterminées d’une part par les attentes que l’individu a, relatives à l’efficacité du comportement, et d’autre part, par ses valeurs et croyances. Ce modèle fut par la suite retravaillé par Rosenstock en 1960 puis par Becker en 1975. Le HBM (cf. schéma 6 ci-après) vise à évaluer seulement les influences cognitives sur le comportement à partir de quatre types de croyances qui augmenteraient la probabilité d’entreprendre l’action recommandée en rapport avec un risque de santé ou à une maladie : (1) La perception de sa vulnérabilité : la probabilité subjective d’être exposé au risque ; (2) L’estimation de la gravité des conséquences de la maladie : qui influence plus le comportement que l’importance du risque en terme de mortalité ; (3) La perception subjective de la menace : engendrée par l’apparition de la maladie ou de l’évènement indésirable (si la personne se sent plus sensible à un risque sérieux, elle sera plus motivée à agir puisque la menace est élevée) ; (4) La croyance en l’efficacité de l’action : en fonction de la résultante de la perception des bénéfices et des barrières liées à la prise de risque. Le bénéfice correspond à l’efficacité du comportement à produire l’effet désiré, tandis que les barrières représentent la faisabilité en considérant les coûts et les aspects négatifs de l’action. Si les coûts surpassent les avantages, alors les chances d’émettre le comportement sont diminuées. Note : les numéros 1, 2, 3, 4 font référence au positionnement des facteurs dans le modèle (schéma ci-après) D’autres variables interviennent sur la probabilité d’émettre l’action, telles que les déclencheurs de l’action (Becker, 1975), qui se manifestent sous la forme de « rappels du problème de santé ». Ils peuvent être internes (symptômes de la maladie) ou externes (médias, relations interpersonnelles). Par exemple, ressentir des palpitations cardiaques, ou lire un article dans une revue sur les facteurs de risque d’un infarctus, pourrait influencer directement la perception subjective du risque de maladie cardiaque. 60 Schéma 6 : Modèle des croyances relatives à la santé ou Health Belief Model (Becker, 1975) Conséquemment, plus la perception de sa vulnérabilité est élevée, plus les bénéfices perçus de l’action excèdent les barrières perçues, et plus grande est la probabilité d’entreprendre l’action recommandée. Ainsi, ce modèle présuppose qu’une personne disposant d’informations pour éviter le risque de santé, agirait de façon rationnelle et objective et adhérerait aux recommandations prescrites. Par exemple, les personnes âgées de 15 à 29 ans constituent le groupe le plus à risque concernant la vulnérabilité au cancer de la peau. Eviter les expositions au soleil ou se protéger la peau avec un indice U.V adapté permettrait de réduire les risques de cancer. Bien que la perception subjective d’avoir la maladie soit élevée, elle n’arrivera toutefois pas à surpasser les inconvénients associés aux comportements préventifs recommandés. De ce fait, les individus seront moins enclins à émettre les comportements préventifs (Carmel et al., 1994). Nous voyons bien dans cet exemple, que la perception des barrières liées à ce type de risque est plus importante que la perception de la menace de cancer, et qu’elle influence la décision d’émettre le comportement préventif. Les études de validation révèlent que les freins perçus semblent être le meilleur prédicteur de l’adoption d’un comportement de prévention, suivi dans une certaine mesure, par la vulnérabilité et les bénéfices perçus. La gravité perçue est la moins prédictive (Janz et Becker, 1984 ; Van der Pligt, 1994). Dans une étude sur les patients ayant des symptômes avancés de la maladie inflammatoire de l’intestin, les coûts et les bénéfices perçus prédisent à la fois l’intention comportementale alors que chez les patients pour qui les symptômes sont moins aigus, il n’y a que les coûts qui jouent un rôle. En somme, la gravité de l’état du patient affecte sa 61 réceptivité aux informations concernant les coûts et les bénéfices du traitement (Goldring et al., 2002). • Avantages et limites : Le fonctionnement du HBM est relativement facile à comprendre. Ce modèle est d’autant plus attrayant qu’il traite directement du comportement de santé, ou lié à un risque de santé, en privilégiant le rôle des variables cognitives dans son opérationnalisation. De surcroît, il s’agit d’un modèle de prédiction relativement efficace pour des comportements simples tels que la vaccination ou l’hygiène bucco-dentaire (O’Leary, 1992). Cependant, bien qu’il ait été utilisé durant plus de 30 ans, plusieurs éléments atténuent maintenant sa contribution à la compréhension des mécanismes des comportements de santé. Ainsi, le HBM néglige l’impact des facteurs qui ne sont pas reliés directement avec la santé et qui pourraient influencer positivement l’adoption de comportements, tels que le besoin d’approbation sociale, par exemple. Par ailleurs, ce modèle se centre presque exclusivement sur les influences cognitives et omet celles liées à la dimension émotive comme la peur qui peut affecter le jugement de la personne lors de l’analyse des coûts et des bénéfices. Cette peur peut limiter la rationalité de l’évaluation du risque. 1.2. • La théorie du comportement planifié (Ajzen et Schifter, 1985) Présentation du modèle La théorie de l’action planifiée ou du comportement planifié (TCP) est le prolongement de la théorie de l’action raisonnée de Fishbein et Ajzen (1975). Elle pallie les limites de cette dernière qui ne s’applique qu’aux comportements qui sont sous l’effet de la volonté, en intégrant le concept de contrôle comportemental. La TCP postule un individu rationnel, qui utilise de façon logique l’information disponible afin de considérer les implications de ses actions avant de décider d’effectuer ou non le comportement. Elle vise à prédire et comprendre l’adoption et le maintien des comportements dans diverses situations, et ce, principalement à travers l’intention d’agir. La notion de volonté est donc encore présente par le biais de cette variable. 62 L’intention d’agir est déterminée à partir de trois variables (cf. schéma 7 ci-dessous) : (1) L’attitude envers le comportement désigne une disposition favorable ou non à émettre le comportement à travers une évaluation à la fois émotive et cognitive des avantages et inconvénients ; (2) La variable « normes subjectives » correspond à la perception que l’individu a de l’opinion de personnes significatives, sur la nécessité d’émettre ou non le comportement. Toutefois, s’agissant d’une perception, la croyance normative peut ne pas refléter ce que les autres cautionnent vraiment. Ainsi, l’individu exécuterait une action lorsqu’il la juge comme positive et qu’elle est approuvée par son environnement social ; (3) La perception de contrôle relève de l’estimation subjective de l’individu concernant la facilité ou la difficulté d’émettre le comportement. Celle-ci varie en fonction de la situation d’exécution, et de la nature du comportement à émettre. Par exemple, le fait de décider d’effectuer un dépistage du cancer prend en compte plusieurs facteurs. En effet, plus l’examen de dépistage est perçu comme un moyen efficace de prévention et facile à subir, plus l’individu aura une attitude favorable envers ce dépistage. Si, de surcroit, sa famille l’encourage, son intention devrait être encore plus positive (Devillis et al., 1990). Par ordre d’importance, plus l’intention et la perception sont élevées, plus la probabilité de faire l’examen de dépistage du cancer augmentera. D’autres applications ont montré la pertinence de ce modèle qui permettrait de prédire, entre autre, l’usage effectif du préservatif (Albarracin et al., 2001). Schéma 7 : Théorie du comportement planifié (Ajzen et Schifter, 1986) 63 • Avantages et limites: La TCP s’est avérée pertinente pour prédire les comportements simples, faciles à mesurer et qui fluctuent peu durant la période d’évaluation (prévention de l’hygiène buccodentaire, de la conduite automobile, de l’infection par le HIV). Toutefois, elle présente des résultats moins solides lorsqu’il s’agit de comportements de dépistage précoce des problèmes médicaux (Godin et Kok, 1996). Le modèle, dans sa globalité est facile à comprendre. De plus, l’ajout de la perception de contrôle a augmenté les possibilités d’applications cliniques, et l’inclusion des normes subjectives permet de prendre en compte l’impact des facteurs sociaux sur l’adoption d’un comportement. Cependant, l’adaptation de la TCP à la menace ou au risque implique d’autres processus qui n’apparaissent pas dans le modèle. La TCP occulte le sentiment de peur lié à la dimension émotive générée par la menace, ainsi que les variables qui déterminent cette peur. Or, ces facteurs peuvent affecter le jugement rationnel qui est postulé par la théorie. Probablement à cause de ces limites, le modèle reste à ce jour peu utilisé pour guider le développement d’interventions préventives et thérapeutiques dans le domaine de la santé. 1.3. • Le modèle transthéorique (Prochaska et DiClemente, 1994) Présentation du modèle Le modèle transthéorique aussi appelé « étapes de changements », provient des observations cliniques de Prochaska et DiClemente (1994) lors de séances de psychothérapie. Ils remarquent que les individus semblent passer à travers des étapes similaires pour modifier un comportement de santé, et ceci indépendamment de la thérapie employée. Ainsi, le modèle transthéorique a été développé pour expliquer les étapes menant à l’initiation, à l’adoption et au maintien d’un comportement de santé donné. Deux dimensions caractérisent le modèle. La première est celle du changement en luimême explicité dans le modèle par une succession d’étape (cf. schéma 8 ci-après). La seconde, quant à elle, fait référence aux processus à l’œuvre dans cette dynamique de changement. En effet, pour Prochaska et DiClemente (1994), le processus plutôt que la 64 conséquence est la composante principale de chaque étape : c’est grâce au processus de changement que l’individu progresse par étape vers le comportement recommandé. Les cinq étapes du changement sont : (1) La pré-contemplation : aucune intention de modifier un comportement ; les individus ne sont pas prêts à changer ; (2) La contemplation : intention de modifier un comportement ; l’individu perçoit autant les avantages que les inconvénients ; (3) La préparation : l’individu prend des initiatives et met au point un plan d’action ; (4) L’action : l’individu s’implique activement dans le changement en émettant des comportements qui diminuent significativement le risque ; (5) Le maintien : la personne est engagée et continue à effectuer les changements comportementaux nécessaires. Schéma 8 : le modèle transthéorique (Prochaska et DiClemente, 1994) On notera que les individus traversent ces étapes successivement, à des rythmes plus ou moins rapides. Cette progression n’est pas linéaire, et il peut y avoir des périodes de stagnation, une régression à une étape précédente, ou même un abandon et plus tard une reprise du processus de changement. On a vu précédemment que ce sont les processus de changement (cf. tableau n°3 ciaprès) qui amènent l’individu au plus près du comportement de santé désiré. Il existe dix processus de changement regroupés en deux catégories : les processus expérienciels 65 (intériorisés tant au niveau affectif que cognitif) et comportementaux (observés par les autres). Les processus expérienciels Les processus comportementaux La prise de conscience : efforts pour mieux comprendre Le soutien social : faire confiance et utiliser le soutien des le comportement problématique ; autres pour modifier le comportement ; L’auto réévaluation : la personne clarifie ses valeurs et se Le conditionnement inverse : utiliser des activités sent mieux sur le plan émotionnel et cognitif en modifiant alternatives afin d’éviter l’émission du comportement ; le comportement ; L’expérience dramatique : l’individu remet en question Le contrôle : essayer de contrôler les facteurs facilitant ses agissements et reconnaît que son comportement l’apparition du comportement problématique ; peut avoir des conséquences négatives sur son bien être ; La réévaluation de l’environnement : prendre en L’engagement personnel : s’impliquer dans le considération que son comportement peut avoir une changement ; influence négative sur son environnement physique et social ; La libération sociale : augmenter les occasions sociales La gestion du renforcement. pour émettre le nouveau comportement. Tableau 3 : Processus expérienciels et processus comportementaux Ce modèle, initialement conçu pour les besoins thérapeutiques, a été appliqué avec plus ou moins de succès à divers problèmes de santé : arrêt du tabac (Di Clemente et al., 1991), choix d’une alimentation saine (Armitage, et al., 2004), accepter de passer une mammographie (Lauver et al., 2003). En examinant les changements obtenus pour 12 comportements différents, notamment liés à l’exercice et l’activité physique, Prochaska et al., (1998) observent une relation récurrente entre les stratégies du changement et les sujets qui sont initialement « pour » ou « contre » le changement. En effet, pour que les gens passent du stade de précomtemplation à l’action, il importe que les bénéfices associés au changement soient supérieurs aux inconvénients (Kidd et al., 2003). Ceci amène à penser que les interventions de santé doivent valoriser les aspects positifs du changement plutôt que de se focaliser sur les effets négatifs du comportement indésirable. 66 • Avantages et limites: Le modèle fait la promotion d’une intervention adaptée au niveau de la préparation au changement d’une personne. En fonction de celui-ci, il est possible de cibler et d’appliquer les techniques de modification de comportement. Malgré tout, le modèle paraît plutôt statique et descriptif, ce qui ne favorise pas la compréhension de la dynamique menant à l’émission d’un comportement adapté (Coutu et al., 2000). D’autre part, l’identification des stratégies de résolution de problème, incluant la façon de percevoir et de vivre avec la problématique, n’est pas disponible. De nombreux comportements et cognitions spécifiques sont ciblés, mais des facteurs importants semblent avoir été oubliés. L’attente de résultats, les expériences antérieures, et les croyances en sont quelques exemples. 1.4. • Le modèle de l’autorégulation (Leventhal, 1980) Présentation du modèle Malgré son apparition au début des années 80, ce modèle reste peu utilisé en comparaison des modèles précédents. Il s’inscrit dans le rapprochement effectué entre les behavioristes et les cognitivistes, desquels sont issues les théories cognitivo- comportementales. Le modèle de l’autorégulation tente de comprendre les différents facteurs, ainsi que leurs interactions, impliqués dans la construction de la représentation cognitive et émotive de la menace en matière de santé. L’individu est considéré comme un agent actif dans la résolution de son problème. Il chercherait à diminuer l’écart entre son état actuel de santé et l’état auquel il aspire. Ainsi, le comportement dépendrait des représentations cognitive et émotionnelle de la maladie qui guideraient les stratégies utilisées pour modifier le comportement, ainsi que l’évaluation du processus. Conséquemment, la représentation est propre à chacun et ne peut correspondre à une réalité médicale. Une fois que l’individu a pris connaissance des informations relatives à la menace pour sa santé, le modèle identifie quatre étapes : 67 (1) La représentation cognitive de la menace, qui se définit à partir de cinq caractéristiques dont l’identité de la menace (les symptômes), la durée de la maladie (aiguë, cyclique, ou chronique), les conséquences (immédiates et à long terme et ce autant sur le plan physique, que économique, et social), la causalité (les croyances à propos des facteurs contribuant au développement de la maladie, mais aussi ses causes antécédentes comme les blessures, infections, prédispositions génétiques), et la perception de contrôle (comment la menace de santé se manifestera dans le temps) ; (2) La représentation émotionnelle de la menace de santé (tirée des épisodes antérieurs de la maladie et du vécu émotionnel) ; Ces 2 niveaux engendrent des boucles interactives et de rétroactions, l’une régulant les cognitions rattachées au danger, l’autre les émotions ; (3) Le plan d’action consiste à sélectionner différentes options et choisir les comportements à effectuer. Ce cheminement se fait dans le but de gérer la maladie ; (4) Le stade d’évaluation où l’individu évalue l’efficacité des comportements émis, afin de déterminer s’ils réduisent ou augmentent l’écart entre la situation actuelle et le but. Des facteurs individuels, culturels et sociaux influencent l’ensemble des quatre étapes. Note : les numéros 1, 2, 3, 4 font référence au positionnement des facteurs dans le modèle (schéma ci-dessous) Schéma 9 : Le modèle de l’autorégulation (Leventhal, 1980) 68 A titre d’exemple, considérons le cas d’une personne venant de recevoir un diagnostic d’hypertension artérielle. Afin de mieux comprendre sa maladie, elle peut puiser de l’information auprès de son entourage. Elle peut également devenir sensible à certaines accélérations cardiaques normales et les interpréter comme un symptôme de son hypertension. Cette sensibilité accrue aux fluctuations physiologiques accompagnant des moments de stress, d’anxiété ou de nervosité, peut faire resurgir des souvenirs concrets d’épisodes similaires, renforçant l’hypothèse que la tension psychologique fait augmenter la tension artérielle. Les inférences qui découlent d’une telle représentation influencent les actions adaptatives vers des stratégies visant à diminuer les sources de tensions et de stress. Ainsi, si cette personne croit que la relaxation aide à diminuer la pression et qu’elle est capable de se relaxer, elle risque de s’orienter vers ce type d’action. Afin d’évaluer l’efficacité de son intervention, la personne observera par la suite s’il y a une réduction de ses symptômes. Dans la négative, elle cessera la relaxation et réévaluera la situation. • Avantages et limites Le modèle de l’autorégulation comporte plusieurs avantages dont celui d’intégrer plusieurs facteurs prédictifs importants. Le principe fondateur de ce modèle est de comprendre la perception de la maladie ainsi que les comportements régulateurs, en partant du point de vue de l’individu. D’autre part, ce modèle inclut l’impact de la représentation émotive de la maladie dans le processus décisionnel. Ceci donne la possibilité d’expliquer certains comportements irrationnels. Bien qu’il ait été conçu il y a 30 ans, il est étonnant que peu d’études aient à ce jour, tenté d’en vérifier la validité prédictive ou explicative. Ceci est en partie dû à la complexité de ce modèle qui rend son opérationnalisation particulièrement difficile. En dépit des nombreuses critiques, l’ensemble des modèles présentés valorise le rôle des croyances, préconceptions et représentations communes. Ces dernières seraient des déterminants fondamentaux des comportements sains ou à risque, et donc de l’état de santé des individus. Ces modèles permettraient également de mieux saisir la variabilité interindividuelle de l’acceptabilité des risques. Ces modèles explicatifs ont fréquemment été étudiés dans le cadre de recherches sur l’adhésion des individus à différents programmes de prévention, et ont permis de vérifier l’impact des croyances des individus sur certains comportements comme le recours au dépistage, l’usage d’un préservatif, le fait de se faire vacciner, ou encore le sevrage tabagique et alcoolique. 69 Cependant, ces modèles consistent en une séquence de traitement, qui suppose qu’un recueil important d’informations permette d’identifier une situation, ce qui conduirait l’individu à agir de façon pragmatique. Or, dans les situations les plus courantes, on peut douter de la capacité de l’individu, submergé par une quantité d’informations, à agir de façon entièrement rationnelle. Ainsi, l’évaluation du risque n’est pas entièrement réductible à ce processus de recueil d’informations. L’activité d’évaluation est plus complexe que ne le laissent supposer ces modèles : elle consiste non seulement en des processus perceptivo-cognitifs immédiats mais aussi en des processus de réévaluation successives, de « raisonnements » et d’inférences destinés à valider ou infirmer les hypothèses et explications initialement formulées par l’individu. Par conséquent, la complexité du processus d’évaluation s’explique par la capacité limitée de l’individu à traiter une information abondante, et le caractère à la fois dynamique et complexe des situations aversives et de leur évaluation. L’individu en tant qu’évaluateur est soumis à des influences sociales diverses ainsi qu’à des biais dans le traitement de l’information. D’autre part, un autre reproche qui peut être formulé à l’encontre de ces modèles est qu’ils cherchent à prédire l’adoption supposée de comportements sains ou de prévention. Or, il est admis qu’il peut exister un écart important entre la manière dont les individus pensent agir, et la façon dont ils réagiront effectivement, une fois la situation survenue. Par ailleurs, la plupart de ces modèles socio-cognitifs se centrent essentiellement sur le rôle des facteurs et processus cognitifs, sans réellement prendre en compte celui des processus émotionnels, de certaines caractéristiques environnementales, contextuelles et sociales « réelles »28. Or, celles-ci sont également à considérer pour comprendre la façon dont les individus élaborent leur connaissance du monde social. Enfin, l’approche socio-cognitive systématise le rôle des croyances en matière de santé et de maladie en se centrant sur les opérations cognitives que l’individu met en place afin de traiter l’information recueillie. Cependant, de nombreuses recherches en sciences humaines et sociales montrent que les individus peuvent être sujets à des biais pendant la phase d’évaluation du risque. 28 Le réseau social du sujet, par exemple. 70 Ainsi, aux croyances d’un sujet sont étroitement associées diverses caractéristiques psychosociales qui sont à prendre en compte pour comprendre la façon dont les individus élaborent leur connaissance du monde social. Le rôle de certains l’évaluation du risque. 2 paramètres psychosociaux dans De nombreux facteurs psychosociaux affectent également de façon notable la santé. En effet, ces caractéristiques psychosociales jouent un rôle dans l’apparition des maladies et peuvent accélérer ou ralentir leur évolution. Ainsi, la santé, la qualité de vie ou même le bienêtre peuvent être influencés par trois types de caractéristiques psychosociales : o Les antécédents environnementaux et socio-démographiques dont l’importance a été soulignée par diverses approches biomédicales et épidémiologiques ; o Les antécédents individuels, correspondant aux caractéristiques comportementales, cognitives ou conatives mesurées au niveau des individus (styles de vie, traits de personnalité, etc.). Leur rôle a été suggéré par les études épidémiologiques et par certaines approches psychologiques ; o Des variables médiatrices, plus « processuelles », qui exercent des effets indirects. Elles peuvent atténuer ou renforcer l’impact des antécédents sur la santé, ou simplement exprimer leur influence. Ces diverses variables ont des effets tantôt pathogènes (facteurs de risque29, facteurs de pronostics30) tantôt salutogènes31. Cet ensemble de caractéristiques, en interaction étroite les unes avec les autres, est activé pour permettre à l’individu confronté à une situation d’incertitude d’y faire face de façon plus ou moins efficace (Bruchon-Schweitzer, 2002). 29 Elles contribuent à l’initiation de certaines pathologies. Elles contribuent à l’aggravation d’une maladie pré-existante. 31 Elles jouent un rôle protecteur, en réduisant le risque de développer une maladie ou en freinant son évolution. 30 71 2.1. Les ressources et croyances personnelles Nous allons explorer à présent un certain nombre de ressources et croyances personnelles de l’individu, intéressantes à prendre en compte dans l’étude de l’acceptabilité sociale du risque. Nous verrons successivement le locus of control, le soutien social reçu et la croyance en un monde juste. 2.1.1. Le Locus Of Control (LOC) Les gens pensent généralement qu’ils maîtrisent dans une certaine mesure ce qui leur arrive et qu’ils contrôlent en partie le cours de leur existence. Ce contrôle perçu correspond à la croyance généralisée dans le fait que les évènements ultérieurs (appelés aussi « renforcements ») dépendent soit de facteurs internes, soit de facteurs externes. D’emblée, Rotter (1966), considéra le LOC comme une variable générale de personnalité. Ainsi, l’individu se caractériserait par une tendance générale à penser que les renforcements sont ou ne sont pas sous son contrôle. Quand un sujet perçoit un renforcement comme n’étant pas totalement déterminé par une action de sa part, ce dernier est perçu comme le résultat de la chance, du hasard, du destin. Quand l’individu perçoit le renforcement de cette façon, il s’agit d’une croyance en un contrôle externe. Si au contraire, la personne établit un lien causal entre ses actions et les renforcements qu’elle perçoit, cela traduit un contrôle interne. Le contrôle serait acquis par apprentissage social au cours des expériences de la vie, à partir des succès et échecs relatifs à nos actions, mais aussi par simple observation du comportement d’autrui. De nombreuses études ont exploré cette variable vis-à-vis de la santé en général, mais aussi vis-à-vis de la santé mentale, des troubles cardio-vasculaires, du diabète, du poids, de l’arthrite, du cancer, de l’hypertension, du tabagisme de l’alcoolisme, etc. (Furnham et al., 1993). L’internalité semble favoriser l’adoption de comportements sains32 (Sarafino, 1994 ; Horner, 1998). D’autre part, elle aurait un effet direct et positif sur le bien être émotionnel, alors que l’externalité constituerait un facteur de vulnérabilité (notamment dans les situations aversives) : troubles anxio-dépressifs, faible estime de soi, détresse émotionnelle (Cohen et 32 Exercice, alimentation, soins médicaux, adhésion thérapeutique, prévention, sevrage tabagique, etc. 72 Edwards, 1989 ; Horner, 1998 ; Hurrell et al., 1991 ; Thompson et Collins, 1995). L’internalité apparaît comme une variable « tampon » atténuant les effets délétères des évènements stressants sur la santé émotionnelle. Au final, l’internalité joue un rôle fonctionnel non négligeable sur l’état de santé des individus. Citons comme exemple une étude prospective qui a concerné plus de 2.000 militaires anglais volontaires pour partir en Antarctique : cinq à six ans après le départ, les sujets internes présentaient moins de problèmes de santé que les externes (Hurrell et al., 1991). 2.1.2. Le soutien social reçu Parmi les ressources dont dispose un individu pour faire face à une situation à risque, on distingue ses « ressources personnelles » (ou capacités personnelles) de ses « ressources sociales » ou soutien social perçu (perception que le sujet peut avoir de l’aide dont il peut bénéficier en cas de besoin). Quant au soutien social reçu, il se définit comme « l’aide effective apportée à un individu par son entourage » (Winnubst et al., 1988). On peut distinguer quatre fonctions du soutien : - le soutien émotionnel consiste à exprimer à une personne les affects positifs que l’on éprouve à son égard (confiance, amour, amitié, etc.), et apporte à celle-ci des sentiments de protection, de réconfort qui vont permettre de l’aider à traverser des moments difficiles ; - le soutien d’estime consiste quant à lui à rassurer une personne sur ses compétences et sa valeur. Ces encouragements lui permettront de mieux faire face à des situations à risque notamment, en augmentant sa confiance en elle-même ; - le soutien informatif consiste à conseiller, renseigner la personne sur un problème. Il peut être fourni par l’entourage familial ou amical du sujet, aussi bien que par des spécialistes dans des situations à risques par exemple ; - le soutien matériel implique une assistance effective comme le prêt, le don d’argent ou de biens matériels, dans des moments difficiles. La majorité des travaux menés sur l’efficacité de ces différentes fonctions de soutien indique que le soutien émotionnel joue le rôle le plus important. 73 De nombreuses études montrent à quel point le soutien social a des effets généralement bénéfiques sur la santé physique (population générale, cancéreux, cardiopathes, diabétiques, sujets infectés par le VIH, etc.) comme sur le bien être. L’aspect perceptif du soutien atténuerait l’impact nocif des stresseurs (médicaux, professionnels, etc.). Le soutien émotionnel apparaît comme bénéfique s’il est dispensé par des proches (partenaire, famille, amis), le soutien informatif, lorsqu’il provient des professionnels (médecins, soignants, supérieurs hiérarchiques). C’est l’adéquation du soutien social avec les besoins du sujet (en fonction d’une situation spécifique) et ses attentes (en fonctions des caractéristiques personnelles) qui apparaît comme l’aspect le plus pertinent du soutien (Thoits, 1995).33 2.1.3. La recherche de sensations Une autre variable de personnalité nous a semblé pertinente à considérer dès lors qu’on s’intéresse à la notion de risque : la recherche de sensation. Zuckerman (1974) a développé un modèle psychobiologique de la recherche de sensations à partir du concept de « niveau optimum de stimulation ». Ce dernier serait variable selon les individus et définirait un trait unidimensionnel de la personnalité. « La recherche de sensations en tant que trait de la personnalité, se définit par la recherche d’impressions et d’expériences variées, nouvelles et intensives, en association avec une disposition à prendre des risques physiques, sociaux, légaux et financiers pour y parvenir » (Zuckerman, 1994, p. 27). Le niveau de recherche de sensations d’un individu serait déterminé par son bagage génétique, correspondant a un niveau optimal d’activation physiologique (Hebb, 1955 ; Leuba, 1955 ; Zuckerman, 1979, 1990 ; Zuckerman, Buschbaum, et Murphy, 1980). Ainsi, lorsque l’environnement est trop stimulant, le degré d’activation dépasse le niveau optimal, ce qui induit la diminution du niveau de stimulation recherché par l’individu. Et, inversement, l’individu sous stimulé s’ennuie et à tendance à rechercher de nouvelles sensations afin d’augmenter son niveau d’activation. Dans le modèle de Zuckerman, la recherche de sensations se subdiviserait en quatre dimensions : 33 Même si le soutien social ne désigne pas totalement une caractéristique objective des relations sociales de l’individu, mais une transaction entre individu et environnement telle que perçue par l’intéressé, les besoins de l’étude nous ont amenés à l’envisager comme une caractéristique contextuelle c'est-à-dire comme une ressource personnelle et sociale dont dispose le sujet pour faire face à une situation à risque. 74 - la recherche de danger et de prise de risques ; - la recherche d’expériences nouvelles et excitantes ; - la désinhibition et utilisation de substance ; - la susceptibilité à l’ennui. Ce concept de recherche de sensations a fait l’objet de nombreuses études depuis son développement initial. On sait que « les individus qui ont un score élevé sur l’échelle de recherche de sensations participent à divers types d’activités à risques aussi bien négatives que positives » (Ficher et Smith, 2004, p. 535). Par exemple, la consommation de tabac (Pederson, 1991 ; Zuckerman, Ball, & Black, 1990), d’alcool et de médicaments (Bates et Labouvie, 1997 ; Stacy, Newcomb et Bentler, 1993). Des études ont également montré l’importance du facteur « âge » dans la variabilité de la recherche de sensations (Zuckerman, 1994). En effet, la recherche de sensations connaît un pic à la fin de l’adolescence et décroît avec l’âge (Zuckerman et Neeb, 1980). Un parallèle peut être fait avec le concept de l’homéostasie du risque (Wilde, 1982, 1994). Selon cette théorie, les individus acceptent un certain niveau de risque subjectif pour leur santé et leur sécurité en échange du bénéfice qu’ils comptent retirer d’une activité donnée. La finalité de l’homéostasie est l’atteinte d’un équilibre nouveau ajusté à la situation nouvelle qui a déclenché le processus. Ainsi, les individus auraient tendance à rechercher des sensations en se confrontant à une situation à risque. Ceci permettant d’équilibrer de façon optimale leur besoin de stimulation. Etant donné les normes de sécurité et de protection qui sont de plus en plus présentes dans notre société, les situations potentiellement sources de stimulations s’en trouvent aseptisées. C’est pourquoi Zuckerman et Kuhlman (2000) suggèrent que l’engagement dans des conduites à risques (sports extrêmes, par exemple) est fonction des sensations fortes recherchées afin de rétablir l’équilibre homéostatique à son niveau optimal d’activation. 2.1.4. Croyance en un monde juste Dans le sens commun, certaines croyances poussent les individus à considérer qu’une victime est responsable de ce qui lui arrive. En effet, si cet évènement était gouverné par la fatalité, nous risquerions d’être frappés à notre tour par le malheur. Si par contre la victime est responsable, alors ces attributions permettent de penser que nous pouvons éviter ces évènements négatifs. Ce type de croyance a une fonction défensive, qui traduit une motivation des individus à contrôler l’environnement. Si les gens ont besoin de croire 75 qu’ils ont le contrôle sur leur environnement, il faut qu’ils puissent éliminer le hasard comme facteur causal de ce qui leur arrive. Pour Lerner (1980), une façon de nier l’intervention du hasard consiste pour les individus à croire, ou à faire l’hypothèse que nous vivons dans un monde juste (du moins tendanciellement juste) dans lequel les gens obtiennent ce qu’ils méritent. Autrement dit, les gens n’accepteraient pas de penser que le monde dans lequel ils vivent est incohérent et que les bonnes et les mauvaises choses, les récompenses et les punitions sont attribuées de façon aléatoire. Ils cherchent à rendre légitime le coup du sort, à lui donner du sens notamment en rendant la victime responsable de l’évènement malheureux. Nous filtrons donc ce que nous voyons par un « non-dit » cognitif : « tout ce qui arrive à quelqu’un, il l’a mérité ». Lerner (1980), a défini ce filtrage de l’information, à travers le concept de « belief in a just world » ou « croyance en la justice du monde ». Dans le domaine de la santé, cette variable a été étudiée par Maes (1999). L’étude qui portait sur les attitudes envers les malades du cancer met bien en évidence cette tendance générale selon laquelle les gens obtiennent ce qu’ils méritent, et méritent ce qu’ils ont. Cette variable peut être appliquée à un contexte spécifique ; pour Malis, elle sera mesurée au niveau personnel de l’individu, c'est-à-dire comme référent à une ressource personnelle. 2.1.5. Le degré d’allégeance Dans les explications que tout un chacun construit des événements et des conduites, on a généralement tendance a surestimer le poids des causes internes (liées aux caractéristiques, notamment psychologiques, des acteurs), tandis que l’on occulte plus facilement le rôle des déterminismes externes (et tout particulièrement sociaux). Cette surestimation est socialement valorisée, comme l’ont initialement exposé Jellison et Green (1981), en introduisant le concept de norme d’internalité. Depuis, de très nombreux travaux expérimentaux ont confirmé l’importance de cette norme (Dubois, 1987, 1994), dans différents domaines de la pratique sociale (éducation, travail social, recrutement, et globalement dans les pratiques évaluatives). La psychologie politique s’est intéressée à ces travaux en ce qu’ils éclairent les mécanismes par lesquels, dans les sociétés libérales, l’exercice du pouvoir génère les conditions idéologiques de sa pérennisation. En effet, la norme d’internalité « trouve son champ de pertinence sociale dans la production d’un système de pouvoir libéral » (Dubois 76 1994, p.193). Ainsi, l’internalité procèderait de la naturalisation des valeurs dominantes. Elle permettrait de légitimer, en invoquant des qualités personnelles comme le « mérite », la position de chacun dans la hiérarchie, tout en masquant l’arbitraire social. Or, cette norme d’internalité fait depuis peu l’objet d’un examen critique. Gangloff (1999) a ainsi mis en évidence, expérimentalement, que la norme ne portait pas tant sur l’internalité mais plutôt sur l’allégeance : les explications données tairaient l’influence de l’environnement social, et préserveraient l’ordre établi. La norme d’allégeance se définit comme la valorisation sociale des explications des évènements qui respectent et/ou soutiennent une figure de pouvoir en jeu dans la situation. Les individus, que ce soit de manière interne ou externe, excluraient, dans leurs attitudes, comportements et conduites, toute mise en cause de l'environnement social, préservant ainsi la hiérarchie des pouvoirs inhérents à cet environnement (Gangloff, 2002). Selon Pansu, « l’évaluation des conduites ne vise pas à sélectionner les meilleurs, les plus capables, mais ceux qui adhèrent, se conforment aux valeurs idéologiques en tant que personne pouvant assurer la cohésion sociale » (1994, p.19). La norme d’allégeance a été largement étudiée dans la sphère professionnelle, en particulier dans celle de l’insertion professionnelle (Dagot et Castra, 2002), mais elle n’a, à notre connaissance, pas fait l’objet d’investigations dans le domaine de la santé. Pourtant, cette variable serait intéressante à prendre en compte : les individus valorisent-ils socialement la figure de pouvoir et d’autorité que peut incarner le médecin ? Les croyances sont des bribes de représentations sociales qui permettent à l’individu de comprendre l’environnement dans lequel il évolue. Cependant, d’autres processus intermédiaires, ou transaction entre l’individu et l’environnement sont à considérer pour bien comprendre le fonctionnement de la logique profane. 2.2. Des croyances générales à l’évaluation des situations à risque : le rôle des médiateurs psychologiques Ces médiateurs psychologiques ou transactions (ce que l’individu pense et fait actuellement modulent l’impact des variables antécédentes contextuelles (caractéristiques environnementales) et personnelles (ce que l’individu est) que nous venons de présenter. Ainsi, l’individu confronté à une situation aversive commence par évaluer cette situation, puis 77 évalue ses ressources personnelles et sociales avant d’élaborer des réponses pour faire face au problème. Au sein de nos recherches, nous avons sélectionné un ensemble de variables nous semblant importantes à considérer : l’attribution causale, la notion de responsabilité, le contrôle perçu, le stress perçu et les stratégies d’ajustement ou de « coping ». 2.2.1. L’attribution causale Une tradition de recherche déjà ancienne en psychologie sociale aborde cette psychologie du sens commun qui nous permet d’interpréter notre comportement et celui d’autrui. L’attribution causale est un processus cognitif qui consiste à rechercher des causes pouvant expliquer la survenue des évènements. Ce processus inférentiel est parfois confondu avec le lieu de contrôle (LOC). Alors que ce dernier est une croyance élaborée a priori, l’attribution causale est une explication donnée a posteriori. Elle consiste à expliquer ce qui nous est arrivé antérieurement par des facteurs internes (compétences, actions, etc.) ou externes (autrui, hasard, etc.) Selon la théorie de l’attribution (Abramson et al., 1978), les individus interprètent leurs résultats de quatre façons : - Internalité/externalité : l’état de santé d’une personne peut être interprété par celleci comme dépendant de sa manière de vivre (attribution interne) ou comme lié à un évènement extérieur (attribution externe) ; - Stabilité/instabilité : ce même état de santé peut être expliqué par la personne comme dépendant de facteurs stables, qui vont durer avec le temps ou par des facteurs instables (de courte durée) ; - Globalité/spécificité : les causes invoquées peuvent être globales (aptitudes physiques générales, etc.) ou spécifiques (dysfonctionnement chronique, etc.). Dans une étude prospective effectuée sur 68 sujets cancéreux, Watson et al., (1990) montrent qu’une attribution interne de la maladie (« c’est de ma responsabilité si je suis malade ») est associée à l’anxiété et à la détresse ultérieure. Une autre étude prospective menée sur une cohorte d’une centaine d’étudiants a également montré qu’un style explicatif pessimiste initial prédit un mauvais état de santé ultérieur (Peterson et al., 1988). 78 Weiner (1985) ajoute une quatrième caractéristique : contrôlabilité/incontrôlabilité des évènements. L’intérêt à inclure cette 4 ème la relative facette dans la théorie de l’attribution est clairement démontré par les recherches relatives à l’adoption de comportements sains ou à risque. La croyance par les individus en des facteurs de risques contrôlables se traduit par l’adoption de comportements de prévention. L’attribution de diverses pathologies liées à des facteurs incontrôlables (facteurs génétiques, incompétences des médecins, inefficacité des traitements etc.) facilite le développement d’attitudes fatalistes et de comportements à risque, ce qui est évidemment préjudiciable pour la santé (Nuissier, 1994). 2.2.2. La notion de responsabilité Le risque, évènement fâcheux, relève par essence de l’incertain. Autrement dit, l’incident, le dysfonctionnement ou l’erreur rappellent les limites de nos certitudes, les limites de la fiabilité des systèmes. Dans ce contexte incertain, le maître mot dont on use à profusion, est celui de la responsabilité. Cette notion qui renvoie à un fait linguistique, tout autant que social, nous interpelle en raison de la richesse de ses significations. Dans la sphère politique, être responsable – ou plutôt être un responsable – c’est avoir du pouvoir sur autrui. Dans la sphère morale, être responsable c’est s’engager librement, sans attente de récompense ni crainte de châtiment. Dans la sphère juridique, la responsabilité s’exprime en termes de causalité : « je suis responsable de ce qui arrive par ma faute ». Ces trois acceptions de la notion de responsabilité ont cohabité sans trop de heurts jusqu’à la fin du XIXe siècle. Cependant, au principe politique de responsabilité basé sur le pouvoir succède progressivement une conception de la régulation sociale en termes de solidarité. Le fondement du droit de la responsabilité se fait donc social plutôt que philosophique et moral : il s’agit d’assurer une répartition équitable de la charge des dommages liés à des activités reconnues comme socialement utiles. Dans le domaine juridique, les législations sur les accidents du travail instituent des systèmes de réparation centrés autour de la notion de risque et non plus sur celle de faute : c’est le souci de la victime et de son dédommagement qui prime. Solidarité, répartition équitable, réparation : c’est bien de la question du « juste » à l’intérieur du groupe dont il est question ici. Dans le domaine qui nous occupe, l’idée de représentation populaire de la responsabilité est notamment basée sur la question de l’imputation causale : désigner les 79 responsables réels (ou potentiels) de l’acte dommageable. Or, quand on rend les gens responsables d’une situation, la question centrale sous jacente est celle de l’intention (Jones et Davis, 1965). En effet, si la notion d’attribution causale correspond à la recherche des causes possibles, l’imputation de responsabilité fait quant à elle référence à la recherche de l’origine. C’est Heider (1944) qui établit le premier une distinction entre l’origine et la cause. Il se réfère à Fauconnet (1928) : l’homme est une cause première, au moins pour la qualité morale de ses actes. Pour Fauconnet, la recherche de la cause première s’enracine dans un besoin social : le besoin de trouver une responsabilité aux délits, crimes, à tout ce qui paraît déviant, pour pouvoir ensuite appliquer la sanction. L’individu agirait en « juriste naïf ». L’idée est que l’homme de la rue, face aux évènements ou aux conduites à expliquer, se comporte un peu comme un juré dans un tribunal, ce qui expliquerait la focalisation sur l’intention. En effet, concernant la question de l’imputation de la responsabilité (« qui est jugé cause de l’acte fautif commis »), certains travaux (Sardi et al., 1995 ; Kellerhals et al., 1997) permettent de lui reconnaître les dimensions suivantes : - La responsabilisation individuelle définit le fait qu’une personne est jugée responsable de ses actes malgré l’importance des pressions que le contexte (la publicité, par exemple, ou un climat social de compétition ou d’insécurité, etc.) peut exercer sur son comportement ; - L’agentisme se caractérise par le report, en cas d’acte fautif, de la responsabilité de cet acte sur l’institution dans laquelle cet auteur est inséré ; - L’intentionnalité définit le couplage ou le découplage que l’on établit entre la connaissance que l’acteur a des conséquences possibles de son acte et la responsabilité qui lui est imputée. Il y a couplage lorsque la méconnaissance entraîne la non-responsabilité, découplage lorsque l’on est réputé responsable de conséquences que l’on n’était cependant pas à même de prévoir au moment de la commission de l’acte (Kellerhals, 2001) ; - La révocabilité consiste en la possibilité, accordée à une personne, de se dégager des engagements qu’elle a contractés (par exemple, lors d’un achat ou de la signature d’un bail) avec un ou plusieurs autres acteurs. On peut également la nommer « droit au regret ». Dans nos sociétés actuelles, la tendance semble être de rejeter la responsabilité d’un acte et le poids de sa réparation sur des instances collectives (Kellerhals, 2001). A ce titre, les conceptions de James Reason (1995, 2000), comme celle de Jens Rasmussen (2000, 80 2002) considèrent le système socio-technique dans sa globalité, plutôt que de centrer la responsabilité sur les seuls opérateurs. Reason introduit les erreurs humaines dans un contexte (le système technique et organisationnel), et identifie dans le système, des facteurs pathogènes qui se combinent et amènent à l’accident. Son analyse de l’erreur humaine se focalise sur la défaillance à chaque organisationnelle identifiable au travers des barrières du système. Les travaux de Jens Rasmussen portent sur le caractère global de l’accident. Son approche est basée sur une représentation globale du système socio-technique. Cette dernière intègre un maximum de paramètres qui contribuent à l’accident. Ils sont regroupés en six tranches : le travail (action des opérateurs), le personnel (psychologie, facteurs humains, etc.), le management (revue des opérations), la société (indicateurs de la sécurité), l’autorité (application des lois, inspection, analyse d’accident), et le gouvernement (les lois et politiques). Les actions des opérateurs sont déterminées par les évaluations et décisions des tranches organisationnelles supérieures. Ces différents niveaux sont associés à des disciplines différentes (psychologie, sociologie, économie, politique, etc.), et l’ensemble des connaissances correspondantes seraient essentielles pour accéder à une meilleure compréhension du fonctionnement du système. Contrairement à Reason, l’analyse de Rasmussen ne permet pas d’identifier des défaillances organisationnelles, mais permet une contextualisation afin de mieux saisir les déterminants des actions et la dérive du système. 2.2.3. Le contrôle perçu Précédemment, nous avons considéré le lieu de contrôle (LOC) comme une croyance généralisée34. Nous allons à présent nous pencher sur des aspects beaucoup plus transitoires et spécifiques du contrôle : le contrôle perçu. Le contrôle perçu est une croyance en la maîtrise d’un problème ou d’un stresseur particulier. Il est conceptuellement distinct du lieu de contrôle et n’est pas forcément prédit par lui. En effet, le contrôle perçu consiste à croire que l’on dispose des ressources personnelles permettant d’affronter et de maîtriser les évènements. C’est un processus évaluatif en interaction avec le précédent (le LOC) ; il est relativement spécifique (il est 34 Les évènements ultérieurs dépendent soit de facteurs internes, soit de facteurs externes. 81 fonction d’une situation particulière) et transitoire (c’est un état momentané), ce qui le distingue du lieu de contrôle, croyance durable et généralisée, considéré comme un antécédent dispositionnel (trait de personnalité) plutôt que comme un processus transactionnel. Le contrôle perçu est considéré comme un processus transitoire résultant de la transaction entre une personne (se caractérisant par des croyances générales en ses possibilités de contrôler les évènements) et une situation (un évènement particulier plus ou moins contrôlable objectivement). Au final, le contrôle perçu joue un rôle très protecteur vis-à-vis de la santé somatique et psychique. En revanche, le sentiment de perte de contrôle a des effets nettement dysfonctionnels. Par exemple, chez les sujets lombalgiques, le contrôle perçu vis-à-vis du mal de dos modère l’intensité de la douleur et prédit un meilleur ajustement à cette pathologie. Un faible contrôle perçu vis-à-vis de la douleur est associé à diverses issues dysfonctionnelles (Koleck, 2001). En outre, il a été observé que le contrôle perçu améliore la qualité de vie émotionnelle et fonctionnelle, ceci dans des groupes de patients très divers (asthmatiques, cancéreux, arthritiques, cardiopathes, etc. Voir Bruchon-Schweitzer et Quintard, 2001). D’autre part, les effets du contrôle perçu seraient assez complexes et notamment en interaction avec d’autres variables comme le soutien social perçu ou le stress perçu. 2.2.4. Le stress perçu « Le stress est une transaction particulière entre la personne et l’environnement, dans lequel la situation est évaluée par l’individu comme taxant ou excédant ses ressources et pouvant menacer son bien être » (Lazarus et Folkman, 1984, p. 19). Selon cette conception, ce ne sont pas les caractéristiques objectives de la situation à risque, mais son évaluation et son ressentiment, qui moduleraient la relation entre le contexte aversif et l’état de l’individu (émotionnel, somatique). Il est donc tout à fait nécessaire de distinguer les stresseurs environnementaux objectifs liés à la situation à risque de l’impact subjectif de cette situation, ou stress perçu. Ainsi, le stress perçu serait la résultante de diverses transactions entre l’individu et son contexte, conduisant celui-ci à percevoir une discordance entre les contraintes de la situation et les ressources dont il dispose pour y faire face. C’est donc un processus dynamique et élaboré activement par la personne de façon singulière. Le stress perçu est 82 l’un des médiateurs essentiels par lesquels transitent à la fois les caractéristiques de la situation aversive et la personnalité du sujet. Son impact est en général dysfonctionnel. Les études qui ont été menées pour évaluer l’effet de divers types de stresseurs (familiaux, scolaires, professionnels ou médicaux) sur divers critères (santé somatique, santé mentale) montrent que les petits tracas quotidiens ont un impact plus important sur la santé que les évènements de vie majeurs (De Longis et al., 1982). Ces auteurs spécifient également que le stress perçu a des effets nocifs plus marqués que des mesures objectives des évènements (Amiel-Lebigre, 1993 ; Adler et Matthews, 1994 ; Cohen et Edwards, 1989). Plusieurs études épidémiologiques de grande ampleur ont montré que le stress, surtout lorsqu’il est combiné à l’isolement social et à un faible contrôle perçu, est un facteur de risque cardio-vasculaire (Johnson et Hall, 1989). Une autre étude menée sur des sujets atteints d’un traumatisme médullaire (évènement grave puisqu’il induit le plus souvent la perte de la locomotion, de l’autonomie, de la sensibilité, etc.) met en évidence que les sujets qui évaluent cette pathologie en termes de menace ou de perte, présenteront plus de détresse émotionnelle que ceux qui la perçoivent comme un défi (Nuissier, 2001). Divers travaux menés dans le champ de la psychosomatique ont montré la relation entre certains évènements de vie stressants et l’initiation ou la récidive des symptômes. C’est la cas de l’eczéma, du psoriasis et de l’asthme, où des périodes d’activité de la maladie semblent succéder à des séparations et à d’autres évènements familiaux éprouvants (Amiel-Lebigre, 1993, p. 128-129). Mais ces travaux, essentiellement rétrospectifs, ont par la suite été largement invalidés du fait de leur faiblesse méthodologique (faible échantillon de sujets, outils peu valides, biais de rappel rétrospectif, etc.). A ce jour il convient de rester extrêmement prudent quant au rôle prédictif des événements de vie sur la survenue d’une pathologie (ils n’expliqueraient que 9% environ de la variance de l’état de santé à un an). A l’inverse, les événements de vie constitueraient de bons prédicteurs de l’évolution du processus morbide chez les sujets déjà malades (Bruchon-Schweitzer, 2002 ; Bruchon-Schweitzer et Quintard, 2001). 2.2.5. Les stratégies d’ajustement ou « coping » L’individu ne subit pas passivement les évènements de vie aigus et chroniques. Il essaye de « faire face ». On parle de « coping » ou stratégie d’ajustement pour désigner les réponses et réactions que l’individu va élaborer pour maîtriser, réduire ou tolérer la situation 83 aversive. Le coping peut prendre des formes très diverses. Il peut s’agir de cognitions35, d’affects36 et de comportements37. Lazarus et Folkman (1984, p. 141) définissent le coping comme « l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux, constamment changeants, déployés pour gérer des exigences spécifiques internes et/ou externes qui sont évaluées par la personne comme consommant ou excédant ses ressources ». Il s’agit bien ici d’une conception transactionnelle du stress et du coping qui ne sont ni des caractéristiques de la situation, ni des caractéristiques des individus, mais des processus impliquant des actions réciproques entre sujet et environnement38. Ce sont des stratégies élaborées pour tenter de maîtriser les situations aversives et/ou pour réduire la détresse induite par ces situations. Cette définition montre bien que le coping est un processus spécifique et constamment changeant, et non une caractéristique générale et stable. Nous ne pouvons donc pas confondre les stratégies de coping (tout ce que l’individu pense et met en place face à la situation) avec les effets (fonctionnels ou non de ces stratégies). Il est impossible de considérer a priori une stratégie de coping comme adaptée ou inadaptée, une stratégie pouvant être efficace dans certaines situations (par exemple la fuite en cas de menace) et inefficace dans d’autres Par exemple, si la menace est objectivement incontrôlable, la fuite constituera une stratégie fonctionnelle et adaptative, alors que la combativité sera dysfonctionnelle et associée à une issue défavorable (troubles de l’ajustement). Selon Lazarus et ses collègues (1984), les stratégies de coping peuvent être regroupées en deux catégories, auxquelles certains auteurs ont rajouté une troisième : - Le coping centré sur le problème regroupe toutes les stratégies visant à réduire les exigences de la situation et/ou à augmenter ses propres ressources pour mieux y faire face, comme par exemple, consulter un médecin, augmenter ses connaissances sur le problème, rechercher des informations, etc. ; - Le coping centré sur les émotions regroupe les diverses tentatives de l’individu pour réguler les tensions émotionnelles induites par la situation ; 35 Réévaluation de la situation problématique ou des ressources disponibles, restructuration cognitive, plans d’actions, etc. 36 Expression ou répression de la peur, colère, etc. 37 Résolution du problème, recherche d’information ou d’aide, etc. 38 L’individu pouvant modifier la situation et être modifié par elle. 84 - La recherche de soutien social apparaît parfois comme troisième stratégie générale. Elle correspond aux efforts du sujet pour obtenir la sympathie et l’aide d’autrui et ne doit pas être confondue avec le réseau social ni le soutien social qui sont des caractéristiques réelles ou perçues de l’entourage social. Il s’agit ici de tentatives effectives d’une personne pour obtenir une écoute, un réconfort, des informations, ou encore une aide matérielle. Le coping est donc un processus dynamique qui ne peut pas être réduit à un phénomène linéaire de type « stimulus-réponse ». Il est constitué d’efforts cognitifs et comportementaux qui varient en fonction des ajustements du sujet à son environnement. De nombreuses études ont été réalisées sur des sujets malades, afin d’évaluer l’efficacité relative des diverses stratégies d’ajustement élaborées face à la douleur ou face à diverses maladies (cancers, infection par le VIH, diabètes, etc.) sur leur bien-être émotionnel et sur leur état fonctionnel. A titre d’exemple, d’après la synthèse de la littérature réalisée par Bidan-Fortier (2001), les sujets séropositifs recourent à trois stratégies essentielles : coping centré sur le problème (combativité, adhésion thérapeutique, recherche d’informations, etc.), coping évitant (évitement cognitif et émotionnel) et coping centré sur l’émotion (impuissance-désespoir, fatalisme, etc.). Les stratégies centrées sur le problème sont associées à une moindre détresse et à une meilleure qualité de vie. En revanche, la stratégie évitante et la stratégie émotionnelle induisent une aggravation des problèmes psychologiques chez les patients. Il a été observé, chez des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR) que les diverses facettes du coping émotionnel (auto-accusation, impuissance-désespoir, etc.) sont toutes dysfonctionnelles. La dramatisation, par exemple, induit une intensification de l’état dépressif et une augmentation de la douleur et du handicap fonctionnel. Un coping passif (rester couché, restreindre ses activités, etc.) induit une augmentation de la douleur, de la fréquence des poussées inflammatoires et de la détresse. En revanche, un coping centré sur le problème impliquant une attitude réaliste vis-à-vis de la maladie, une minimisation de la menace et une réévaluation positive de la situation, s’est avéré efficace par rapport à l’ajustement fonctionnel et émotionnel de ces patients (Aguerre, 2001, p. 123-124). Des stratégies spécifiques sont élaborées par les patients cancéreux : esprit combatif, impuissance-désespoir, fatalisme-résignation, auto-accusation, préoccupations anxieuses, répression des émotions. Si l’impuissance-désespoir et la répression des émotions sont associées à une issue péjorative, la combativité n’a pas d’effet fonctionnel sur la survie, sauf 85 dans les études de très longue durée impliquant un suivi de plus de dix ans. En ce qui concerne les issues émotionnelles, c’est la combativité qui apparaît comme la stratégie la plus fonctionnelle : elle prédit une meilleure qualité de vie ultérieure chez les patients. En revanche, l’impuissance-désespoir, comme les autres stratégies émotionnelles, est associée à une augmentation de la détresse des patients (Cousson-Gélie, 2001, p.63-66). Dans l’ensemble, nous avons constaté que les stratégies de coping centrées sur le problème avaient des effets fonctionnels, alors que les stratégies émotionnelles avaient quant à elles des effets plutôt dysfonctionnels. Cependant, nous ne pouvons pas généraliser ce phénomène, car, comme nous l’avons déjà souligné, il n’y a pas de stratégie de coping efficace indépendamment des caractéristiques des individus (conatives, cognitives) et de celles des situations rencontrées (gravité, durée, contrôlabilité). Les croyances et autres variables psychosociales, qu’elles correspondent à des caractéristiques personnelles de l’individu, ou qu’il s’agisse de transactions avec son environnement, sont activées pour permettre à l’individu confronté à une situation d’incertitude de combler les lacunes dans la connaissance objective et de faire des hypothèses explicatives. Elles visent à le rassurer quant au contrôle qu’il peut avoir sur son environnement. L’examen de la littérature nous a permis de mieux saisir les décalages existant entre les représentations du public et le « modèle expert », et de mieux connaître les principaux facteurs associés à cette divergence. L’analyse des influences sociales et des paramètres psychosociaux conduit à une meilleure compréhension des mécanismes d’appréhension du risque par les profanes. Les différentes études et théories présentées concourent vers la même idée : les individus intègrent diverses considérations, différents paramètres dans leur conception du risque, ce qui traduit une appréhension constructiviste de la réalité. Face au risque, l’individu profane active de nombreuses sources telles que les représentations sociales, les systèmes de valeurs et de croyances, la tonalité positive ou négative de certaines expériences passées, la fonction dans le groupe, l’information sur les risques sous l’influence des médias. A présent, il s’agit de s’interroger sur la construction d’un modèle en vue d’opérationnaliser l’ensemble des éléments sélectionnés à partir de cette revue de la littérature. 86 Partie V MODELE CONCEPTUEL Au regard de la définition de l’acceptabilité sociale du risque, l’analyse de la revue de la littérature nous a conduits à sélectionner un certain nombre de paramètres. En effet, nous faisons l’hypothèse que l’acceptabilité sociale du risque se mesure à l’aide de plusieurs types de variables : celles liées aux caractéristiques du contexte (dans lequel évolue le risque), celles associées aux dispositions personnelles de l’individu (caractéristiques sociodémographiques, styles de vie, croyances, valeurs, représentations sociales, traits de personnalité, etc.) et celles relatives aux diverses transactions (stress perçu, contrôle perçu, soutien perçu, etc.) que celui-ci établit pour tenter de gérer la situation (ici le risque). Le premier point sera consacré à présenter le modèle d’analyse sur lequel nous nous sommes basés pour conceptualiser l’acceptabilité sociale du risque. Puis, nous détaillerons la structuration du modèle d’analyse conceptuel construit en fonction des variables sélectionnées. Choix du modèle d’analyse : Modèle intégratif et multifactoriel 1 L’objectif de Malis est de mesurer le niveau d’acceptabilité – et ses déterminants psychosociaux - des principaux risques liés aux soins dans deux populations, le public et les médecins. A ce titre, divers modèles prédictifs et explicatifs considérant l’état de santé comme un critère à prédire ont été élaborés en psychologie de la santé. Bruchon-Schweitzer (2002) a structuré un modèle intégratif et multifactoriel de la santé et de la maladie. Celui-ci intègre les trois types de facteurs ayant un impact sur la santé, à savoir : - Les facteurs antécédents environnementaux et socio-démographiques (le contexte dans lequel le sujet évolue et son « l’histoire » personnelle) ; - Les facteurs antécédents individuels qu’ils soient psychosociaux ou biologiques (ce que l’individu « est ») ; - Les facteurs dits de transactions et d’ajustement (ce que l’individu « pense » et ce qu’il « fait » face à l’adversité). 87 Chacun de ces groupes de facteurs participe à expliquer une part des critères, ou issues de la situation. En effet, dans ce modèle, les issues (ou critères) sont le plus souvent soit biologiques et somatiques (initiation d’une maladie, état fonctionnel, guérison, etc.), soit émotionnelles et psychologiques (bien-être, qualité de vie subjective, etc.). Cependant, ce modèle peut être utilisé pour prédire des critères extrêmement variés, et doit être spécifié et adapté pour chaque situation. Comme le souligne Bruchon-Schweitzer (2002), il convient à l’étude du risque. En effet, ce modèle comprend une succession de séquences temporelles (antécédents, médiateurs, issues), car toute situation de risque est une histoire, autrement dit un processus temporel et non statique. Enfin, ce modèle est suffisamment flexible pour convenir à la prédiction d’issues très différentes : état de santé, dépression, etc. L’originalité de cette approche repose sur la phase d’évaluation primordiale qui déterminerait les efforts d’ajustement qui suivront. L’évaluation est la façon dont la personne perçoit la situation en fonction de ses valeurs, de ses attentes et de son histoire. C’est donc un contexte subjectif qui est au centre de ce modèle et non le contexte tel qu’il est. Ainsi, selon cette approche, un individu donné, compte tenu de ce qu’il affronte (contraintes de son histoire : biographie, évènements antérieurs, contexte passé), et de ce qu’il est (traits, types de personnalité, style de vie, etc.), va évaluer ses ressources personnelles et sociales qui à leur tour détermineront diverses stratégies de faire face (ou coping) visant soit à réguler directement la tension émotionnelle induite par le stresseur (se résigner, penser à autre chose, minimiser le problème, etc.), soit à tenter de résoudre le problème, ce qui permet, indirectement, de réguler des affects (établir un plan d’action, se battre, chercher une solution, etc.). Force est de constater que les processus de transactions et d’ajustement à la situation jouent un rôle fondamental en modulant l’impact des diverses caractéristiques contextuelles et individuelles sur la santé. Comme le spécifie Bruchon-Schweitzer, (2002, p. 388) « c’est un modèle intégratif et multifactoriel, prenant en compte à la fois les déterminants environnementaux, dispositionnels, et les transactions individu-environnement qui est le plus heuristique ». En effet, ce modèle intègre l’ensemble des facteurs contribuant à la prédiction de l’état de santé. D’autre part, il permet de revisiter les hypothèses concernant les relations possibles entre différents facteurs (effets principaux, directs, indirects, etc.). C’est en fonction de ces arguments que nous avons choisi de nous appuyer sur ce modèle dit « intégratif et multifactoriel », afin de mesurer l’acceptabilité sociale des risques liés aux soins. Nous allons à présent détailler les différents facteurs sélectionnés, en fonction de leur place dans le modèle conceptuel. 88 Le modèle d’analyse conceptuel de l’acceptabilité sociale des risques 2 D’après le modèle intégratif ou multifactoriel, nous avons classé les variables extraites de la revue de la littérature selon qu’elles correspondent à des variables antécédentes ou médiatrices. Nous avons ajouté à ce modèle un autre groupement de variables liées au profil du risque (cf. schéma n°10 p 88). Afin de mesurer l’acceptabilité et la tolérance aux risques liés aux soins (variables dépendantes/issues), l’outil de mesure (le questionnaire soumis à la population) repose sur l’architecture de ce modèle. Il se décline en trois temps : - Dans un premier temps, nous soumettrons les items issus des variables antécédentes ; - Dans un second temps, nous présenterons des scénarios qui introduisent une situation à risque liée aux soins. Dans la construction de ces scénarios, nous avons pris en compte certaines variables liées au profil du risque. Le choix de neutraliser ces variables permet d’une part de caractériser les situations à risque présentées ; et d’autre part de mesurer la variabilité des réponses en fonction de ces dimensions ; - Dans un troisième temps, la population de l’étude sera questionnée sur les items des variables médiatrices qui font directement référence à la situation à risque présentée dans le scénario. Nous avons également choisi de soumettre deux items issus des variables antécédentes. A présent, nous allons décliner l’ensemble des variables sélectionnées dans la revue de la littérature pour chacune des trois phases. 89 Variables Antécédentes Variables issues / Dépendantes Acceptabilité ♦ Variables sociodémographiques (Niveau social) Variables ♦ Variables contextuelles Médiatrices ♦ Variables liés à l’expérience du risque ♦ Variables mesurées au niveau personnel Tolérance (Niveau + psychologique) Variables contrôlées dans les scénarios ♦ Variables liées au profil du risque Schéma n°10 : Modèle conceptuel de mesure de l’acceptabilité sociale des risques liés aux soins 90 2.1. Premier temps : les variables antécédentes Comme nous l’avons vu précédemment, il s’agit des variables qui nous permettent de mesurer les variables dépendantes/issues, ici l’acceptabilité sociale du risque, et la tolérance. Nous avons choisi de les subdiviser en plusieurs parties : les variables sociodémographiques, les variables liées à l’expérience du risque, les variables contextuelles, et les variables mesurées au niveau personnel. 2.1.1. Variables socio-démographiques Ce sont les variables permettant d’identifier l’individu. Elles s’opérationnalisent à l’aide d’indicateurs positionnels. ♦ Age ♦ Sexe ♦ Situation familiale ♦ Dernier diplôme obtenu ♦ Professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) ♦ Revenu mensuel familial net et tous revenus confondus ♦ Nombre d’enfants dont enfants à charge ♦ Zone d’habitation 2.1.2. Variables contextuelles Les variables contextuelles renvoient à l’environnement dans lequel l’individu évolue. Pour cette étude, un facteur nous semblait essentiel : ♦ Soutien social habituellement reçu 2.1.3. Variables liées à l’expérience du risque Deux variables sont à prendre en compte afin de connaître le rapport de l’individu avec le risque : ♦ Expérience biographique du risque (vécu au sein de l’entourage social avec chaque famille de risque ♦ Expérience relationnelle du risque (vécu personnel en lien direct avec chaque famille de risque: fréquence au cours de ces cinq dernières années) 91 2.1.4. Variables mesurées au niveau personnel Elles renvoient aux caractéristiques individuelles relativement stables de l’individu. Les variables retenues sont les suivantes : ♦ Ressources cognitives (information sur les risques, etc.) ♦ Rapport à la santé (bien-être en général, pratiques de santé, conduites à risque, rapport envers les institutions médicales) ♦ Equité perçue (perception de l’égalité face à la santé) ♦ Lieu de contrôle face à la santé (LOC) ♦ Croyance en un monde juste ♦ Degré d’allégeance (niveau de soumission vis-à-vis de l’autorité médicale) ♦ Coping-trait (tendance habituelle du sujet à réagir aux menaces environnementales par des stratégies plutôt centrées sur le problème, sur l’émotion ou sur la recherche de soutien social) ♦ Recherche de sensations 2.2. Second temps : variables contrôlées dans les scénarios Ces variables sont issues des travaux de Slovic et ses collaborateurs. Elles sont liées au profil du risque. ♦ Connus/inconnus ♦ Gravité ♦ Effrayant/non effrayant ♦ Caractère évitable ♦ Volontaire/involontaire ♦ Omission/commission ♦ Fréquence ♦ Existence de politique ♦ Nature 2.3. Troisième temps : les variables médiatrices Les variables dites « médiatrices » font référence aux réactions et perceptions d’un sujet par rapport à la situation à risque. Ce sont les transactions individu-contexte. Ces variables vont moduler (amplifier et/ou atténuer) l’impact des variables antécédentes précédemment citées sur le degré d’acceptabilité du risque et sa tolérance. ♦ Attribution causale ♦ La responsabilité ♦ Utilité perçue de l’acte qui a conduit à l’évènement indésirable ♦ Caractère évitable perçu 92 ♦ Conséquences perçues ♦ Perception du nombre de personnes affectées ♦ Niveau d’exposition perçu ♦ Stress perçu De plus, nous avons jugé pertinent d’ajouter deux autres variables déjà mesurées en antécédente : ♦ Expérience biographique du risque présenté dans le scénario ♦ Expérience relationnelle du risque présenté dans le scénario Ce modèle d’analyse a pour finalité l’opérationnalisation de l’ensemble des variables jugées pertinentes lors de l’examen de la littérature. En intégrant les dispositions personnelles, les caractéristiques contextuelles et les transactions sujet-environnement, il rend compte des trois grands courants (dispositionnel, situationniste et interactionniste) explicatifs des conduites. 93 CONCLUSION Cette revue de la littérature a permis : - de définir les notions clés d’acceptabilité sociale et de tolérance du risque ; - de dégager les principaux concepts et modèles potentiellement explicatifs et prédictifs, transposables à la problématique de l’étude ; - de construire, à partir de diverses dimensions associées à l’acceptabilité sociale du risque, dans leurs valences prédictives et corrélationnelles, un modèle d’analyse permettant de la mesurer. A présent, il s’agit de mettre à l’épreuve ce modèle dans une recherche standardisée qui ciblera deux types de sujets : la population générale et les professionnels de santé. En identifiant différents degrés d’acceptabilité des risques liés aux soins, cette recherche pourra rendre compte de la variabilité inter-individuelle et inter-groupes des représentations, perceptions, attitudes et réactions face à ce type de risque. 94 BIBLIOGRAPHIE GENERALE ABRAMSON L.Y., SELIGMAN M.E.P., TEASDALE J.D. [1978], “Learned Helplessness in Humans. Critique and reformulation”, Journal of Abnormal Psychology, 87, 49-74. ADAM P., HERZLICH C. [1994], Sociologie de la maladie et de la médicine, Paris, Nathan. ADLER N., MATTHEWS K. [1994], “Health Psychology. Why Do some People get Sick and some Stay Well?”, Annual Review of Psychology, 45, 229-259. AGUERRE C. [2001], “Rôle des facteurs psychosociaux dans l’apparition et l’évolution de la polyarthrite rhumatoïde », in M. Bruchon-Schweitzer et B. Quintard (éds), Personnalité et Maladie. Stress, coping et ajustement, Paris, Dunod, chap 6, 115-130. AIACH P., CEBE D. [1991], Expressions des symptômes et conduites de maladie. 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