LE POINT SUR L`INTERNET AU QUÉBEC : Les fournisseurs d

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LE POINT SUR L`INTERNET AU QUÉBEC : Les fournisseurs d
© Éric GEORGE 1999
LE POINT SUR L’INTERNET AU QUÉBEC :
Les fournisseurs d’accès et les portails
Éric GEORGE
Éric GEORGE : Assistant de recherche, GRICIS, Université du Québec à Montréal (UQAM),
Doctorant, École Normale Supérieure de Fontenay/Saint-Cloud, UQAM
[[email protected]]
Pour citation :
GEORGE Éric, 1999, « Internet au Québec : les fournisseurs d’accès et les portails », dans
Réseaux, no 97, novembre-décembre, pp. 265-278.
Nous voudrions présenter ici une synthèse de l’offre de médiation et de valorisation du contenu
que constituent sur l’Internet les fournisseurs d’accès et de services ainsi que les portails, dans un
cadre géographique, celui du Québec1, pionnier de la francophonie en matière de développement
de l’Internet. Ainsi, en 1998, tout en accusant toujours un retard par rapport au reste de
l’Amérique du Nord, le Québec demeurait la société francophone au sein de laquelle le processus
d’informatisation sociale était le plus avancé : 11,2 % des ménages disposaient d’un lien avec
l’Internet à domicile contre seulement 3,4 % des ménages français, mais contre 22,6 % des
ménages dans l’ensemble du Canada (cf. les enquêtes de Statistique Canada et de Médiamétrie).
Pour aborder le développement de l’Internet au Québec, nous avons choisi d’étudier les stratégies
des fournisseurs d’accès et de services qui concentrent les types d’activités suivants :
(1) la fourniture d’accès aux dorsales (ou backbones) du réseau. Au Québec, c’est en 1992 que le
Réseau interordinateurs scientifique québécois (RISQ) a branché pour la première fois un
organisme, Communications accessibles Montréal (CAM), qui avait pour but de fournir un accès
à l’Internet hors de la sphère académique,
(2) la création de services de différents ordres : attribution d’adresses de courrier électronique,
hébergement de sites sur la Toile (Web), mise au point d’outils de recherche, d’intranets, etc. Le
développement de ces services a contribué à la convergence entre les activités des fournisseurs
traditionnels d’accès et celles des services télématiques commerciaux qui, à partir de 1995, ont
tout d’abord ouvert des passerelles vers les services de l’Internet, puis ont intégré leur contenu au
sein de celui du « Net »,
(3) la production et l’assemblage de contenus sur la Toile dans le cadre de ce que l’on appelle le
plus souvent des « sites-portails ». C’est notamment le fait des entreprises les plus importantes du
secteur des communications qui ne se contentent pas des deux premiers types d’activité,
contrairement à ce que font la plupart des fournisseurs de plus petite taille.
1 Ce travail prend place dans le cadre d’un programme de recherche mené par le Groupe de recherche sur les industries culturelles
et l’informatisation sociale (GRICIS) sous la direction de Gaëtan Tremblay et consacré au développement des autoroutes de
l’information. Nous travaillons, entre autres, sur le développement de l’Internet au Québec et au-delà au Canada.
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Fourniture d’accès, création de services, assemblage, voire création de contenus, le rôle de
certains fournisseurs s’avère donc considérable dans la production et la distribution de contenus
culturels et informationnels sur l’Internet. Quelles sont donc les stratégies mises en œuvre par
ceux-ci ?
La fourniture d’accès : vers un oligopole ?
Faisons tout d’abord brièvement le point sur la fourniture d’accès. En 1999, on comptait environ
une centaine d’entreprises sur le marché2. Après la croissance très forte de la moitié des années
90 où le nombre de fournisseurs était monté jusqu’à 150, il y a maintenant une certaine
rationalisation, la diminution du nombre de fournisseurs s’expliquant, soit par la cessation des
activités, soit par le rachat de celles-ci. La concurrence a lieu essentiellement sur les prix,
notamment dans les zones urbanisées. Il pourrait en résulter un « écrémage » non négligeable car,
partis en retard par rapport à des entreprises de taille plus modeste, des acteurs importants de
l’industrie des communications participent désormais à la « guerre des tarifs ». Or, les opérateurs
de télécommunication, comme Bell Canada et QuébecTel, et les câblodistributeurs, comme
Cogeco et Vidéotron, ont à la fois l’avantage de posséder des lignes importantes du « réseau des
réseaux », y compris des dorsales, et de souvent louer ces lignes aux fournisseurs plus modestes.
Un certain nombre d’entreprises indépendantes se sont d’ailleurs plaintes à ce sujet au fil des
années en soulignant notamment le rôle dominant de l’opérateur historique, Bell3.
Jusqu’en 1999, la lutte principale pour la suprématie en matière de « tuyaux » avait lieu entre les
opérateurs de télécommunication et les câblodistributeurs. Ainsi, en décembre 1998, grâce à la
technique LNPA, Bell avait inauguré le service Sympatico Édition Haute Vitesse en offrant des
débits de connexion pouvant aller jusqu’à 1 Mbps. Dans un premier temps, ce nouveau service
avait été rendu disponible à Montréal, Québec et Hull/Ottawa au coût mensuel de 39,95 dollars
par mois avec accès illimité, c’est-à-dire au même tarif que l’abonnement à l’Internet par le câble
via Vidéotron. Afin de riposter, la direction de Vidéotron avait annoncé au début de 1999 que le
coût de l'accès illimité à l'Internet par modem-câble serait réduit à 29,95 dollars par mois au 1er
février suivant pour les personnes déjà abonnées aux services de câblodistribution (soit environ
70 % de la population québécoise). Puis, la société de télédiffusion directe par satellite Bell
ExpressVu a annoncé que DirecPC, le premier service Internet canadien par satellite serait
disponible à partir du 1er novembre 1999 alors que Look, société de télédistribution numérique
sans fil (micro-ondes) a mentionné le déploiement de services de données à haute vitesse, dont
l’Internet, au moment de la fusion avec le fournisseur d’accès pan-canadien Internet Direct en
mai 1999.
Les stratégies visant à séduire les abonnés passent donc maintenant, non seulement par une
« guerre des prix », mais aussi par la promesse de débits de transmission de données toujours plus
2 Ce chiffre de 100 fournisseurs, obtenu notamment à partir du recensement effectué régulièrement par la revue électronique
« Benefice.net », est comparable, toutes proportions gardées, avec ceux qui sont estimés pour le Canada (400) et pour les ÉtatsUnis (4000).
3 Les membres de l’organisme de régulation, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada (CRTC) ont
estimé en 1999 que les compagnies de télécommunication et de câblodistribution devaient proposer les mêmes tarifs pour les
accès par ligne numérique à paire asymétrique (LNPA ou ADSL) et par câble à leurs filiales et aux concurrents de celles-ci. Cela
n’empêche pas les « grossistes » de louer les lignes à perte.
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rapides. Les grandes entreprises peuvent non seulement compter sur le fait qu’elles possèdent des
portions du « réseau des réseaux » et sur leur considérable surface financière pour lutter
durablement sur le terrain des prix. Elles bénéficient aussi de leur importante notoriété qui
apparaît rassurante pour bon nombre de personnes qui découvrent l’Internet et qui font déjà
affaire avec elles par ailleurs (d’où la multiplication des offres jointes par Bell, Vidéotron, Sprint
Canada, etc.). On peut même se demander s’il n'y a pas une tendance à une oligopolisation déjà
partielle du marché de l’accès à partir du moment où un petit nombre d’entreprises concentrent
l'essentiel des abonnés. Dès 1997, d’après Industrie Canada (1998), la moitié des internautes
recevaient leurs services de l’un des gros fournisseurs nationaux. Au Québec, on estimait en 1998
que les quatre premiers fournisseurs concentraient également plus de la moitié des abonnés avec
leurs services Internet. Le premier d’entre eux, le service Sympatico, lancé par Bell en décembre
1995, attirait plus de 100.000 abonnés au Québec et plus de 500.000 au Canada trois ans plus
tard. Le deuxième, le câblodistributeur Vidéotron, annonçait avoir dépassé les 90.000 abonnés
québécois à la fin mai 1999 avec son service InfiniT. L’existence d’une offre de la part
d’entreprises présentes sur des créneaux très précis suffit-elle à garantir une situation de
concurrence ouverte ? La quête des « sites-portails »
Par ailleurs, alors que les fournisseurs dits indépendants se contentent le plus souvent de fournir
un accès et quelques services (conseils de navigation, hébergement de sites, téléchargement de
logiciels gratuits, etc.), les entreprises plus importantes contribuent aussi à la création de services
souvent dits « à valeur ajoutée » (aide à la production de sites, création d’intranets, etc.) et à
l’agencement de contenus au sein de « sites-portails ». Ceux-ci ont pour objectif de constituer des
« lieux de passage » fréquemment utilisés par les internautes désireux de trouver rapidement les
informations qui les intéressent. Autrement dit, ils visent à orienter, à structurer les navigations
sur la Toile. Pour cerner l’architecture et le contenu des portails, nous avons effectué une analyse
de ceux-ci lors de l’été 1998 et de l’hiver 1999, notamment à partir des pages d’accueil d’InfiniT
et de Sympatico. Pour ce faire, nous avons tenu compte de l’ensemble des liens présents sur les
pages d’accueil. Nous avons étudié de façon systématique vers quel contenu ils menaient et nous
avons alors établi deux classements.
Tableau 1 - Caractéristiques des pages d’accueil – Ouverture et fermeture (février 1999)
Service/Type de Liens internes
lien
Sympatico
80
InfiniT
51
Liens externes
1
0
Liens int. puis Liens (total)
ext.
3
84
0
51
À noter : Ce classement tient compte de trois variables :
(1) lien interne (cas où le lien indiqué sur la page d’accueil mène à un contenu présent sur le
même site),
(2) lien externe (cas où le lien indiqué sur la page d’accueil mène un contenu présent sur un autre
site),
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(3) lien interne puis externe (cas où le lien indiqué sur la page d’accueil mène à un contenu
présent sur le même site, mais où les liens présents sur cette page pointent, eux, vers un autre
site).
Tableau 2 - Caractéristiques des pages d’accueil – Types de contenus (février 1999)
Type de lien/Service
information
communication
transaction
recherche
promotion/aide
information/communication
Information(+)/communication
(-)
information(+)/transaction(-)
Total
Sympatico
14
10
4
3
24
5
24
InfiniT
33
2
2
1
9
3
0
0
84
1
51
À noter : Ce classement tient compte de huit variables :
(1) information (où il y a mise à disposition de contenus informationnels),
(2) communication (où l’on propose de communiquer par le biais du courrier électronique, des
forums de diffusion, des groupes de nouvelles ou des chats),
(3) transaction (où l’on invite à effectuer des achats payés en ligne),
(4) recherche (où l’on propose d’effectuer des recherches sur la Toile, dans les groupes de
nouvelles, etc.),
(5) promotion/aide (qui comprend, d’une part, la promotion du service en question ou de
l’entreprise responsable de celui-ci et, d’autre part, l’assistance de l’internaute dans ses
démarches. Le regroupement de ces deux catégories a priori distinctes a été effectué car l’aide
technique est généralement traitée comme s’il s’agissait de faire la promotion de l’entreprise. Elle
devient un moyen majeur de vanter les mérites du service par rapport à un autre. Il s’agit toujours
de montrer avant tout à l’abonné potentiel que « L’Internet, c’est simple »).
Nous avons également choisi de créer des catégories mixtes puisque quelques pages nous ont
paru moins nettement marquées que d’autres : (6) une catégorie mixte informationcommunication, (7) une catégorie à dominante information avec communication et (8) une
catégorie à dominante information avec transaction.
Première constatation d’ensemble concernant Sympatico, la page d’accueil est généralement très
fournie. L’écrasante majorité des liens correspond à des liens internes (cf. le tableau 1). Par
ailleurs, lors de chaque période d’observations, nous avons constaté une domination des liens
consacrés, d’une part, à la promotion de Bell et de ses différents services dont notamment
Sympatico et, d’autre part, à l’aide à apporter aux internautes. On a également compté le même
nombre de liens (dont les 21 situés au centre de l'écran) dans la catégorie à dominante
information avec communication. L’existence de cette catégorie mixte est due au fait que la
plupart des thèmes (Affaires, Automobiles, Carrières et professions, Éducation, Informatique et
Internet, etc.) qui sont recensés sur Sympatico sont sujets à débats dans le cadre des forums de
discussion hébergés par Sympatico, des forums qui constituent la « Place publique ». Si on tient
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compte des autres liens (cf. le tableau 2), on constate que le portail de Sympatico propose une
offre composite, notamment entre la mise à disposition de contenus informationnels et la mise en
place de possibilités communicationnelles.
Cette nature composite du site peut être considérée comme une stratégie de la part des membres
de l’équipe de Sympatico. Au contraire, elle a pu être analysée, par les concurrents, comme une
preuve de « l’égarement » des responsables. Enfin, elle semble également liée au type de
relations qui se sont établies entre les responsables du portail et les producteurs de contenus. Pour
des raisons essentiellement financières, les premiers n’interviennent qu’aux niveaux de la
commercialisation et du contrôle de la qualité. La rationalisation des activités a d’ailleurs été
renforcée à partir du 24 novembre 1998, date du troisième anniversaire du service. Trois ans de
déficits ont amené la direction de Bell à réviser sa stratégie afin d’atteindre l’équilibre financier à
la fin de 1999. D’une part, il y a eu une compression des effectifs de 30 % avec suppression de 33
postes sur 118, dont 4 sur les 14 situés à Montréal. D’autre part, les frais consacrés à
l’hébergement et à la production ont été diminués au maximum. La quête de la rationalisation a
aussi favorisé la coopération internationale, en l’occurrence avec France Télécom. Dorénavant,
dès sa page d’accueil, le site Sympatico propose non seulement un accès vers l’outil de recherche
interne « carrefour.net » qui permet d'avoir accès à 35.000 sites répertoriés par une équipe de
trois personnes, mais aussi vers « Voilà », l’outil de recherche de l’opérateur historique français
qui recense six millions d’adresses francophones ainsi que plusieurs autres millions d’adresses
dans d’autres langues. Alors que la direction de France Télécom a pensé qu’il était important
d’investir dans un engin de recherche puissant, celle de Bell a estimé que le marché francophone
canadien n’était pas assez important pour se lancer dans une telle opération, d’où l’alliance. Selon
le principe de l’entente, Bell Sympatico doit reverser une partie des revenus publicitaires générés
par les pages de recherche communes Voilà/Sympatico, dans lesquels il est possible de cibler les
bandeaux en fonction des mots clés recherchés. À l’inverse, France Télécom doit reverser une
partie des revenus publicitaires générés par les visiteurs canadiens qui « passent » de
Voilà/Sympatico à son moteur mondial. Une entente parallèle entre les régies publicitaires devrait
même permettre aux deux entreprises de se représenter mutuellement sur les deux continents,
augmentant d’autant la portée de leur offre auprès des annonceurs. En espérant que la croissance
de la publicité ne soit pas un leurre...
De son côté, la page d’accueil d’InfiniT est composée d’un nombre d’hyperliens important qui
reste toutefois largement inférieur à celui de Sympatico (51 contre 84 en février 1999) (cf. le
tableau 1). Même s’il y a eu des changements non négligeables entre l’été 1998 et l’hiver 1999
(suppression de la pré-page d'accueil, référencement des outils de recherche (Infoseek et
Francite), suppression de la colonne de gauche), nous avons pu constater que l’ensemble des liens
sont toujours internes. Cette caractéristique demeure même après plusieurs clics de souris.
L’objectif consiste visiblement à « retenir » au maximum les abonnés tout en pariant sur le
développement d’usages à dominantes consultative et transactionnelle. Grâce à l’architecture du
site, il est possible de naviguer très longtemps sur celui-ci sans aller au-delà. Cette stratégie
remonte à 1996, l’accent ayant été mis dès cette année-là par Vidéotron sur l'importance d’avoir
créé un site offrant « une combinaison de nouvelles quotidiennes, d’information générale, de
conversations et de commerce électronique sous une forme conviviale »4. Au fil des années, la
4 Rapport annuel, 1997, p. 20.
6
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direction d’InfiniT a passé plusieurs accords avec d’importants fournisseurs de contenus (Le
quotidien « La Presse », la chaîne spécialisée « Musique Plus », Le magazine « TV Hebdo »,
etc.), faisant de son portail un point de départ pour l’accès à bon nombre de produits multimédia
québécois. Et même si les internautes ne sont pas captifs de par la nature traditionnellement
ouverte de l’Internet et de la Toile, le raffinement a quand même été poussé très loin pour les
« garder » sur le site. Prenons deux exemples parmi d’autres. Un contenu météorologique est
proposé grâce à la chaîne spécialisée « Météomédia ». Toutefois, on se rend compte en cliquant
sur le lien en question que ce contenu a été exclusivement conçu pour InfiniT et qu'il n’y a aucun
lien vers le site complet de « Météomédia ». Par ailleurs, si on souhaite faire une recherche à
partir de la page d’accueil avec l’aide d’un mot-clé, cette recherche a lieu automatiquement à
l’intérieur du site. Il est nécessaire de modifier l’option si on veut obtenir des réponses sur le
« Web francophone » ou dans « Tout le Web ». L’ouverture vers l’extérieur est donc
volontairement réduite. Le nom même du service apparaît à ce titre ambigu. D’un côté, le terme
« InfiniT » constitue une référence claire au mot « infini », mais d’un autre côté, le T semble
clôturer cet infini. Ce discours ne rappelle-t-il pas celui de plusieurs fournisseurs qui ont mis, ou
qui mettent l’accent sur la nécessité d’accompagner les internautes dans leur découverte de
l’Internet ?5 Au-delà du Québec, le site InfiniT est sans doute le site francophone qui pousse le
plus loin cette logique d’intégration.
Sur une période d’environ un an6, si les liens ont changé plus ou moins souvent (certains, les
informations factuelles notamment, ont une durée de vie de quelques heures, alors que d’autres,
les sites de festivals par exemple, sont présents sur la page pour plusieurs jours, voire pour
plusieurs semaines), les types de liens sont demeurés à peu près les mêmes. Les caractéristiques
majeures des portails n’ont pas changé. Vidéotron, câblodistributeur dont le rôle traditionnel
consiste à assembler des services audiovisuels, notamment des chaînes de télévision généraliste et
spécialisée, continue d’une certaine manière de tenir ce rôle dans le cas de l’Internet en mettant
en forme des contenus éditoriaux multimédia. On a ainsi constaté une très forte domination des
liens vers des contenus informationnels. Bell, l’entreprise dont le métier de base consiste à
assurer des communications interpersonnelles, met plus l’accent de son côté sur les autres
services de l’Internet à dominante communicationnelle, et non pas seulement sur le contenu de la
Toile.
InfiniT se distingue également de Sympatico de par la nature des ententes passées avec les
fournisseurs de contenus. Ces derniers sont bien entendus amenés à fournir le contenu mais c’est
l’équipe d’InfiniT qui réalise l’interface graphique et l’hébergement, des tâches qui sont jugées
complémentaires par rapport à la mise en marché. L’adoption de cette répartition des rôles entre
les responsables du portail et les auteurs de contenus explique comment il est possible d’atteindre
le haut degré d’intégration constaté lors de l’analyse du portail. En revanche, alors que l’équipe
d’InfiniT était jusqu’à la fin de 1998 chargée de produire du contenu, Vidéotron a fait le même
5 De son côté, le site du service Rapidus du deuxième câblodistributeur québécois Cogeco est présenté comme une entrée dans
l’écosystème de Rapidus et constitue le « guide dans la jungle Internet ». Les clients de Rapidus sont invités à croire que le risque
est moins grand pour eux de se perdre dans l’ensemble des données disponibles. Cette jungle est « habitée » par un guépard,
symbole de puissance et de rapidité. Le terme « Rapidus » constitue d’ailleurs lui-même une allusion claire à la rapidité de
transmission des données que permet le câble.
6 Nous avons également fait une nouvelle « visite » en ce mois de juin 1999 alors que nous rédigions cet article. Les observations
effectuées cet hiver restent valables.
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choix que Bell en séparant quasiment entièrement les fonctions de création de portails d’un côté
et de production de contenus de l’autre. Autre point commun avec Bell, les recettes se font
attendre du côté de Vidéotron. En conséquence, l’équipe d’InfiniT a également été réduite avec
une dizaine de licenciements au début de 1999. C'est l’alliance avec le quotidien « La Presse »
qui a servi à justifier cette décision : ce sont désormais des spécialistes de l’information qui
doivent produire du contenu et non plus l’équipe d’InfiniT dont ce n’était pas le rôle.
Maintenant, ces « sites-portails » atteignent-ils leur but : « fidéliser » les internautes ? Les trois
principaux « sites-portails » québécois (InfiniT, Sympatico et La Toile du Québec) étant situés
parmi les vingt premiers (cf. le tableau 3), on est tenté de répondre plutôt positivement à la
question. Toutefois, de bons résultats en termes de navigation n’impliquent pas forcément des
rentrées publicitaires élevées, et ce malgré un début de structuration du marché avec les créations
successives de deux organismes qui se sont donnés pour mission de faciliter l’utilisation de
l’Internet à des fins publicitaires : le « Groupe de travail sur les applications publicitaires
d'Internet » (GTAPI) créé autour de huit entreprises en novembre 1996, puis le « Bureau de la
publicité sur Internet au Québec » créé autour de seize entreprises en octobre 1998. Cette annéelà, le « coût par mille impressions », autrement dit le coût au chargement d'un bandeau
publicitaire effectué mille fois, demeurait le seul mode de tarification dans la province, et ce,
malgré son imperfection. Variant entre 20 et 40 dollars canadiens les mille impressions, les tarifs
étaient considérés comme relativement élevés. Ceci ne suffisait néanmoins pas à apporter des
revenus substantiels aux créateurs de sites. La première enquête probabiliste du RISQ (1998) n’a
t-elle pas mis en évidence le fait qu’au même moment, plus de 60 % des internautes québécois
réguliers ne consultaient jamais de publicité lors de leurs visites sur la Toile ?
Tableau 3 – Les sites les plus fréquentés en octobre 1998
Position, nom du site
et chgt. par rapport à
avr. 98
1 Yahoo! (-)
2 AltaVista (-)
3 Microsoft/MSN (-)
4 Hotmail (+4)
5 La toile du Québec
(+2)
6 Gouv. du Canada
(-2)
7 Radio-Canada (+3)
8 Sympatico (-3)
9 RDS (-4)
10 Le Journal de
Montréal (+1)
11 Desjardins (+1)
12 Le Soleil de
Québec (+2)
13 Gouv. du Québec
(-4)
Nb. d'usagers assidus Nb. moy. de visites
(en milliers)
par usager et par
semaine
138.4
7.00
80.5
9.64
63.8
5.63
61.0
6.61
55.1
4.29
Nb total de visites
par semaine (en
milliers)
968
776
359
403
236
55.0
6.13
337
33.3
33.1
30.8
26.8
3.68
5.20
4.86
5.04
122
172
150
135
26.1
22.7
3.98
3.70
104
84
20.8
5.01
104
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8
(-4)
14 Netscape (+3)
15 CNN Interactive
(+1)
16 TVA (nouveau)
17 Loto-Québec (+2)
18 UQAM (+4)
19 Univ. de
Montréal (+6)
20 InfiniT (+8)
20.1
19.6
6.07
5.10
122
100
18.5
17.9
14.5
14.5
3.88
1.67
7.75
2.55
72
30
112
37
14.4
4.70
68
À noter :
Ce classement « SOM – Benefice.net » a été établi à partir des réponses à la question « Quels
sont les cinq sites que vous avez consulté le plus souvent au cours de la dernière semaine ? », qui
a été posée par téléphone entre le 16 et le 25 octobre 1998 à 1005 Québécoises et Québécois âgés
de 15 ans et plus qui utilisent l’Internet au moins au domicile. On estime le taux de réponse
obtenu à 63 %. Les résultats ont été pondérés en fonction de la distribution de la population
d’internautes selon l’âge et le nombre d’heures hebdomadaires naviguées sur l’Internet. Compte
tenu de la pondération, on estime à 3,8 % la marge d’erreur maximale à un niveau de confiance
de 95 %. Source : http://www.benefice.net/palmares/nov98/top30.html
Les revenus issus du commerce électronique se font encore plus attendre que la publicité. D’après
une étude menée entre novembre 1998 et janvier 1999 par « Science Tech » (1999), si
2024 entreprises québécoises de plus de cent employés étaient dotées à ce moment-là d’un site
sur la Toile (soit 60 % du total des entreprises de cette taille), elles n’étaient que 80 qui faisaient
du commerce électronique avec un paiement en ligne sécurisé via leur site7. Le directeur du
marketing à InfiniT, Paul Lacoursière rappelle8 volontiers le rôle pionnier d’InfiniT en matière
de création de galerie marchande sous la forme d’un Extranet avec paiement sécurisé proposé en
collaboration avec la Banque Nationale du Canada, mais il ajoute que s’il s’agissait jusqu’alors
d’occuper le terrain ; on attend maintenant que cette opération s’avère rentable. Dans l’attente, les
essais en grandeur nature continuent. Alors que depuis l’alliance avec « La Presse », une base de
données consacrée aux films sortis dans 69 salles québécoises a été mise en ligne, les directions
du « site-portail » et du quotidien ont prévu d’ajouter à moyen terme des services comme une
billetterie concernant les cinémas recensés, ce qui pourrait contribuer, selon elles, à faire atteindre
la rentabilité au site.
Des accès aux contenus
Des abonnements pour des accès à l’Internet sous le seuil du prix de revient, des bandeaux qui se
laissent désirer, un commerce électronique balbutiant, le processus de transformation de la valeur
d’usage en valeur d’échange semble encore dans les limbes en ce qui concerne l’Internet. Cette
transformation est notamment rendue ardue à cause de la nature traditionnellement ouverte du
7 L’enquête a été réalisée sur un échantillon de 881 entreprises au Québec de plus de 100 employés et de 80 entreprises de toutes
tailles faisant du commerce électronique avec paiement en-ligne sécurisé par le truchement de leur site. Plus de 50 % de ces
entreprises ont répondu au questionnaire détaillé.
8 Dans un entretien accordé le 16 mars 1999.
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« réseau des réseaux ». À cause de cette ouverture, à cause de l’absence de système propriétaire,
il n’existe par exemple aucune possibilité de lier fortement fournitures d’accès d’une part, mise à
disposition de contenus d’autre part. Le changement de stratégie effectué par Vidéotron à
l’automne 1998 est intéressant à cet égard. Auparavant, InfiniT constituait une « communauté
virtuelle » dont les membres étaient des « citoyens ». Le terme « citoyens » était largement repris
sur le site dans l’ensemble des rubriques liées à des pratiques de communication médiatisée par
ordinateur (courrier électronique, forums de discussions, chats) et une partie du site était réservée
aux abonnés de Vidéotron. En mettant l’accent sur le développement d’un « site-portail », la
direction d’InfiniT a abandonné le concept de « communauté virtuelle » et a supprimé la partie du
site uniquement consacrée aux abonnés de la maison-mère. Selon la direction, ce choix a été fait
parce qu’à l’occasion de réunions de groupes d’usagers animées par la firme montréalaise
« Décarie & complices », les internautes avaient affirmé qu’ils n’avaient guère envie de profiter
de services spécialisés uniquement conçus pour eux. Ils ont déclaré préférer bénéficier de
l’ensemble des contenus disponibles sur le « Net ». Résultat : À l’hiver 1999, ce qui concernait la
fourniture d’accès était présent sur le site de Vidéotron. Ce qui avait trait au contenu de la Toile
était sur InfiniT.
En revanche, lors de l’étude des sites des autres entreprises majeures (Bell, Cogeco et
QuébecTel) et de leurs services (respectivement Sympatico, Rapidus et GlobeTrotter), nous
avons constaté que les liens entre eux étaient importants. Les liens sont, par exemple,
particulièrement clairs entre Bell et Sympatico. Non seulement, il y a plusieurs renvois entre les
deux sites, mais on trouve également sur le site de Sympatico bon nombre d’informations sur les
questions, notamment techniques, relatives à l’accès à l’Internet. On retrouve aussi plusieurs liens
entre QuébecTel et GlobeTrotter, ainsi qu’entre Cogeco et Rapidus (les sites des deux derniers
ont la même interface graphique). Il y a également une tentative de lier fourniture d’accès et mise
à disposition de contenus lorsque les fournisseurs proposent à leurs abonnés d’utiliser des
logiciels de navigation modifiés par rapport aux versions initiales produites par Netscape et
Microsoft, les deux entreprises qui se partagent l’essentiel de ce marché. Quelques changements
introduits dans les logiciels Navigator et Explorer visent à structurer la navigation des abonnés
vers certains contenus, à commencer par ceux des sites des fournisseurs (cf. par exemple le
tableau 4).
Tableau 4 - Pages d’accueil les plus souvent mentionnées en février 1999
Sites mentionnés
Nb. d'usagers
1 Sympatico
2 Yahoo
3 Netscape
4 Microsoft
5 InfiniT
6 GlobeTrotter
7 Total.Net
8 La Toile du Québec
9 Sprint Canada
10 Microsoft Network
142.908
124.579
106.719
66.941
54.871
49.675
44.222
29.351
29.277
24.833
Pourcentage
50,58 %)
10,7
9,3
8
5
4,1
3,7
3,3
2,29
2,29
1,9
(total
=
10
© Éric GEORGE 1999
À noter : Ce classement « SOM – Benefice.net » a été établi à partir des réponses à la question
« Quelle est votre page d’accueil, c’est-à-dire la première page que vous voyez à votre écran
lorsque vous accédez à l’Internet ? ». Celle-ci a été posée par téléphone entre le 19 et le 24 février
1999 à 627 Québécoises et Québécois de 15 ans et plus qui utilisent l’Internet à la maison. On
estime le taux de réponse obtenu à 68 %. Les résultats ont été pondérés en fonction de la
distribution de la population d’internautes selon l'âge et le nombre d’heures hebdomadaires
naviguées sur l’Internet. Compte tenu de la pondération, on estime à 4,9 % la marge d’erreur
maximale à un niveau de confiance de 95 %.
Source : http://www.benefice.net/palmares/printemps99/pageaccueil.html
D’après les déclarations, seule une dizaine de pages d’accueil, dont celles de Sympatico et
d’InfiniT, auraient la faveur de plus de la moitié des internautes. Or, ces pages sont généralement
pré-chargées, soit par les fournisseurs d’accès et de services (cf. Sympatico et InfiniT, mais aussi
GlobeTrotter, Total.Net, Sprint Canada et Microsoft Network (MSN)), soit par les entreprises
auteurs des logiciels de navigation (Netscape et Microsoft). Les deux autres pages d’accueil les
plus présentes sont celles de deux outils de recherche (Yahoo ! et La Toile du Québec). Il est
évidemment possible de modifier les configurations initiales, mais cela semble ne pas être la
règle générale.
Les entreprises tentent donc de réduire la coupure entre accès et contenu. Même la stratégie de
Vidéotron ne distingue pas toujours accès et contenu contrairement aux discours des
représentants de l’entreprise. Ainsi, InfiniT propose désormais un contenu annoncé comme étant
conçu spécifiquement pour les abonnés au câble. Or, la maison-mère n’est-elle pas justement le
premier câblodistributeur au Québec ? Les questions de la rapidité de l’accès et du type de
contenus disponibles sont en fait étroitement liées9. Certes, au sujet de la stratégie de Vidéotron,
alors que les alliances avec des producteurs de contenus ont continué depuis plusieurs années, on
a constaté a contrario, qu’aucune alliance d’envergure n’avait été passée entre InfiniT et deux
des filiales importantes de la maison-mère : le réseau de télévision privé TVA, la première chaîne
en audience au Québec, et Le Canal Nouvelles (LCN), autre chaîne de télévision. Sans doute
faut-il voir ici une illustration que la convergence entre l’Internet et la télévision reste fort
partielle et est liée à plusieurs paramètres dépendants les uns des autres, et ce même si la
numérisation progressive de tous les signaux la rend possible. Mais ce n’est sans doute qu’une
question de temps. Dès 1997, un document interne à la direction de Vidéotron n’annonçait-il pas
que l’arme secrète du développement multimédia de l'entreprise serait ... « le réseau TVA ».
RÉFÉRENCES
CRTC, (1999). « Le CRTC ne réglementera pas l’Internet »,
http://www.crtc.gc.ca/FRN/NEWS/RELEASES/1999/R990517f.htm
[en
ligne] :
9 Certains Webmestres annoncent même une version traditionnelle de leurs sites (c’est-à-dire une version essentiellement
constituée de textes) et une version multimédia (comportant également du son et des images). Or, si la première est relative rapide
à télécharger, il en est tout autrement pour la seconde.
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© Éric GEORGE 1999
Industrie Canada, (1998). Les prestataires de services Internet au Canada : Analyse économique,
[en ligne] : http://strategis.ic.gc.ca/SSGF/it04525f.html
Rapports annuels des entreprises : Bell Canada, Cogeco câble, QuébecTel, Vidéotron
RISQ/BSQ/CEFRIO, (1998). Internet : accès et utilisation au Québec, [en ligne] :
http://www.risq.qc.ca/enquete/enquete98/
« Science Tech », (1999). « Cybermarketing Québec 1999 », Points saillants, [en ligne] :
http://www.sciencetech.com/points.html
Principaux sites mentionnés dans l’article :
Bell Canada : http://www.bell.ca
« Benefice.net » : http://www.benefice.net
Cogeco câble: http://ww2.cgocable.ca/
CRTC : http://www.crtc.gc.ca/
GlobeTrotter (QuébecTel) : http://www.globetrotter.net/gt/index.asp
InfiniT (Vidéotron) : http://www.infinit.net/
QuébecTel : http://www.quebectel.qc.ca/qtel/index.htm
Rapidus (Cogeco) : http://www.rapidus.net/
Sympatico (Bell) : http://www2.sympatico.ca/
Vidéotron : http://gvl.videotron.com/