Condamner ce lieu à l`oubli serait criminel…
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Condamner ce lieu à l`oubli serait criminel…
70e anniversaire LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 897 - mai 2015 9 Condamner ce lieu à l’oubli serait criminel… Le mémorial du camp de Sachsenhausen près de Berlin a accueilli des centaines de personnes à l’occasion des commémorations du 70e anniversaire, du 16 au 21 avril. Parmi les participants, l’Amicale française de Sachensenhausen que le PR a suivie dans une partie de son voyage du souvenir. S achsenhausen, 19 avril 2015. Des groupes se rassemblent devant des stèles disséminées sur l’herbe d’un terrain boisé qui longe l’extérieur du mur d’enceinte de Sachsenhausen. Il y a là des Luxembourgeois, des Norvégiens, des Britanniques, des Polonais, des Tchèques, des Ukrainiens, des Allemands, des Français… venus se recueillir en mémoire des leurs, assassinés à Sachsenhausen. On entend s’élever là un chant, là une prière ou quelques explications, et puis le son pénétrant de la cornemuse d’un fier Ecossais en tenue traditionnelle… Partout des gerbes de fleurs. C’est peut-être l’un des moments les plus poignants de ces journées commémoratives qui n’en ont pourtant pas manqué. Le groupe des Français – ils sont au total 90, dont six déportés, à avoir fait le voyage avec l’Amicale française de Sachsenhausen – se recueille devant la plaque dédiée aux plus de 200 mineurs du Nord et du Pas-de-Calais arrivés au camp le 25 juillet 1941, en représailles à la grande grève patriotique de mai-juin 1941. Puis il s’attarde devant la stèle des « 27 fusillés » du 11 octobre 1944, dont 24 Allemands et trois Français… En longs cortèges, des personnes de tous âges, beaucoup de jeunes, se dirigent ensuite vers l’intérieur du camp, longent le mur d’enceinte de l’intérieur, déposent d’autres fleurs encore devant d’autres plaques scellées sur le mur, en mémoire des dizaines de milliers de victimes de la cruauté et de l’arbitraire des SS. Combien de visiteurs en cette grande journée internationale de commémoration du 70e anniversaire de la libération du camp ? Ils sont plusieurs centaines à traverser maintenant l’immense territoire. Ils vont participer à la cérémonie officielle qui va se tenir à l’ancienne « Station Z », lieu d’exécution et de meurtre de masse, qui doit son nom au cynisme des SS qui marquaient par cette lettre la fin du parcours du détenu. A l’entrée de cette zone, un monument indique qu’ici furent « assassinés en 1941 en l’espace de 10 semaines 10 000 pri sonniers de guerre soviétiques d’une balle dans la nuque ». Ces crimes, et bien d’autres, vont être évoqués par les différents orateurs de cette cérémonie à laquelle assistent les anciens déportés et leurs familles, originaires de nombreux pays, et beaucoup de personna- Le 19 avril, les participants à la commémoration devant l’entrée principale du camp de Sachsenhausen, surmontée de la Tour A, symbole du pouvoir SS. lités allemandes et étrangères, parmi lesquelles des ministres norvégien et hongrois et, pour la France, le secrétaire d’Etat au Budget, Christian Eckert. Après une introduction de Günter Morsch, président de la Fondation des mémoriaux du Brandenburg, et directeur du mémorial de Sachsenhausen, c’est le président du Comité international de Sachsenhausen, Roger Bordage, qui prend la parole (voir encadré). Il évoque ces moments extraordinaires des 22-23 avril 1945, lorsque les avant-postes des troupes soviétiques et polonaises pénétrèrent dans le camp et que « le soldat polonais Victor Sporadez cria aux 3 000 détenus, restés dans le camp après l'évacuation, sur ordre de Himmler, des 30 000 détenus de Sachsenhausen sur les routes de la mort vers la baie de Lübeck : Mes frères, vous êtes libres ! ». Le ministre-président du Brandenburg Dietmar Woidke assura du soutien indéfectible du Land aux mémoriaux, ces lieux « authentiques » qui sont aussi des lieux pédagogiques et de recherche scientifique. Comme lui, le ministre fédéral des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier exprima son profond attachement au travail d’histoire et de mémoire sur les crimes commis ici et ailleurs par les nazis et déplora que le racisme et l’antisémitisme n’avaient pas disparu en Allemagne, comme le démontrent notamment les agressions récentes contre des migrants et l’incendie de foyers de demandeurs d’asile. Enfin l’Israélien Saul Oren raconta son arrivée à Sachsenhausen en provenance d’Auschwitz en 1943 avec dix autres enfants juifs qui furent tous victimes d’expériences pseudo-médicales dans le Revier du camp : « Nous étions devenus des lapins de labo ratoire…, dit-il. On nous a photographiés, on nous a inoculé des substances secrètes et on nous a soumis à des examens pour éta blir de quelle façon nos corps allaient réa gir à tout cela ». Grâce à l’aide de déportés norvégiens, les onze enfants ont survécu. Paroles de déportés Environ 70 anciens déportés participent à ces journées commémoratives et, pour certains d’entre eux, aux différentes rencontres, séances de témoignage, débats et manifestations culturelles diverses organisées pendant plusieurs jours dans l’enceinte du mémorial à l’attention des habitants de la région, du jeune public en particulier, et des visiteurs étrangers. De leur côté, les six anciens déportés français : Roger Bordage, Guy Chataigné, Serge Dmitrieff, Georges Durou, Oscar Marchant et Marcel Suillerot (président de l’ADIRP de Côte-d’Or) ne ménagent pas leurs efforts pour témoigner auprès des participants du groupe français, emmené par la présidente de l’Amicale Lucienne Gouffault, veuve du déporté Pierre Gouffault, et son secrétaire général André Lassague, dont le père est mort au kommando de Heinkel. Tous retracent sur les lieux mêmes les différentes étapes de l’horreur vécue. Ainsi, à l’ancienne gare de marchandises d’Oranienburg où arrivaient les convois de déportés, Marcel Suillerot se souvient des gens qui, sur la route menant au camp, « nous jetaient des pierres, nous étions des “terroristes”, n’est-ce pas ! nous avions tué des soldats allemands ! ». Roger Bordage : « Il pleuvait, j’avais tellement soif après ces jours et jours de voyage que je me suis agenouil lé pour laper l’eau d’une flaque… si un SS m’avait vu, c’était la fin, car c’était formelle ment interdit… » Pour Guy Chataigné, « c’est sur ces pavés que nous avons été confron tés à un nouveau monde que nous ne soup çonnions pas dans les prisons. Nous nous sommes trouvés pour la première fois face aux SS, des SS rageurs, violents, ne pouvant pas supporter que ces hommes épuisés par leur terrible voyage, mettent du temps à des cendre des wagons. Ce fut le prélude d’une vie que nous allions mener pendant 27 mois en ce qui me concerne. » Face aux déportés, l’attention du groupe est extrême. Il y a des fils et filles de déportés, certains coutumiers de ces voyages de l’Amicale qui leur permettent de se retrouver dans une atmosphère quasi familiale depuis des décennies, fidèles à une mémoire si douloureuse qu’elle semble ne jamais devoir s’apaiser. D’autres viennent ici pour la première fois, à la recherche des traces d’un père aujourd’hui disparu « qui n’a pas beau coup parlé, je ne voulais pas le faire souffrir, je ne l’ai pas suffisamment questionné, », regrette l’un d’eux qui interroge, vainement, les déportés présents. Et il y a un nombre important de plus jeunes, petits-enfants voire arrière-petits-enfants de déportés qui découvrent ce monde inconnu, ainsi que quelques amis, n’ayant aucun lien familial avec la déportation, mais qui ont compris l’intérêt universel de cette histoire. A l’entrée principale de l’ancien camp, la « Tour A », la tour de garde d’où les SS surveillaient, mitrailleuse à l’appui, les détenus, est depuis un mois seulement accessible lll Extraits de l’allocution du président du Comité international de Sachsenhausen, Roger Bordage. […] Je souhaiterais tout d'abord, dans cette nécropole internationale du souvenir, mais aussi du crime, avoir au nom des survivants présents et absents, une profonde pensée pour nos chers camarades disparus de toutes les nations et leur rendre un profond hommage. Qu'ils ne soient jamais oubliés, les résistants et politiques de toute nationalité, les juifs, les Roms, les 13 000 soldats soviétiques, assassinés un par un en 1941, les religieux, les homosexuels, les objecteurs de conscience ainsi que les asociaux, tous éliminés arbitrairement par les SS entre 1936 et 1945 sur ordre de Himmler. » […] « On peut toujours avancer que la mémoire des camps peut servir de base à réflexion et contribue à envisager des perspectives et des repères dans le but de lutter contre la régression du droit et du respect des autres, ainsi que de s'efforcer à éviter la montée de la violence. Pour cela, nous les survivants, ne cesserons jamais, et uniquement dans le but de témoigner des horreurs subies , de raconter l'histoire de ces lieux concentrationnaires aux générations montantes de toute l'Europe. […] « L'Histoire, qui doit faire prévaloir les idéaux de démocratie, de paix, de tolérance, d'autodétermination et des droits de l'Homme, est trop souvent dévoyée pour semer la discorde entre les Hommes, les communautés et les peuples. Nous refusons la mise en équivalence des culpabilités, la hiérarchisation de la souffrance, la concurrence entre les victimes et l'amalgame des phases historiques… » 10 70e anniversaire au public. Symbole du pouvoir absolu exercé par les SS, elle est désormais un musée qui documente les innombrables actes d’une brutalité et cruauté difficilement imaginables commis ici. Georges Durou reste silencieux devant la vision inédite du camp vu du haut de la tour, la place d’appel en demi-cercle, le vaste triangle formé par l’alignement des baraques. C’est la première fois qu’il monte jusqu’ici, confrontant ses souvenirs avec la réalité d’aujourd’hui. Les explications se poursuivent dans l’enceinte de l’ancien camp, ouvert en 1936 à la lisière du bourg d’Oranienburg. « Campmodèle » et camp-école pour SS, à proximité immédiate de Berlin, capitale du IIIe Reich, Sachsenhausen prit une importance particulière dans le système concentrationnaire nazi. A partir de 1938 siégea à Oranienburg le centre administratif de la SS gérant tous les camps de concentration. Jusqu’en 1945 200 000 personnes de toute l’Europe, dont 9 000 Français, furent détenues ici, des dizaines de milliers y sont mortes de faim, de maladie, du travail forcé et de mauvais traitements. Le mémorial de Sachsenhausen a conservé quelques baraques d’origine ou reconstituées à partir d’éléments originaux, qui ont été transformées en musées, chacun traitant d’un thème spécifique : « La vie quotidienne », « Les déportés juifs à Sachsenhausen », « Médecins et criminels » dans l’ancien Revier ou « La prison du camp », etc. Nous accompagnons Oscar Marchant et Marcel Suillerot qui guident un petit groupe de Français d’un bâtiment à l’autre. Marcel Suillerot, arrivé en janvier 1943 dans un convoi massif de Français, a retrouvé au musée… en 2008 un bracelet qu’il avait fabriqué et où il avait gravé son nom. Devant la vitrine où il est exposé avec d’autres objets, il parle de la solidarité qui permettait de tenir, de la foi ou de l’idéal qui aidaient lll aussi à survivre au quotidien. Oscar Marchant explique comment, affecté à la pluche, il essayait de subtiliser un morceau de pomme de terre, mais « gare à celui qui se faisait prendre »… « Pensiez-vous à ceux qui vous atten daient en France ? » demande une jeune fille. – Un peu, alors on pleu rait, répond le déporté, il valait mieux penser à autre chose, c’était trop dur… Alors on imaginait de beaux repas de fête, ça nous réconfortait… » LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 897 - mai 2015 Inauguration des nouveaux aménagements du kommando de Klinker le 20 avril, présentés par Günter Morsch. Sur le monument, une citation de Pierre Gouffault, en cinq langues. Hommage à Pierre Gouffault Lors de chaque pèlerinage à Sachsenhausen, l’Amicale se rend dans les différents kommandos de travail où furent envoyés des Français. En cette année du 70e anniversaire, ils vont à Falkensee, accueillis par le maire et des élus de la commune. Ouvert début 1943 dans le but de fournir de la main d’œuvre aux usines Demag, fabriquant du matériel ferroviaire et d’armement, le camp fut un lieu de souffrances pour quelque 2 000 déportés de toute l’Europe, dont environ 700 Français. Cérémonie très émouvante dans le parc paysager du mémorial, où l’on évoque notamment les derniers jours du kommando, quand les déportés ayant appris la libération du camp principal de Sachsenhausen, un comité clandestin des détenus organisa la résistance avant l’arrivée des troupes soviétiques. Autres moments de recueillement à Germensdorf, près d‘Oranienburg, à l’emplacement du kommando Heinkel de construction aéronautique dont il ne sub- siste plus qu’une stèle élevée sur le bord de la route. Heinkel, le plus grand kommando de Sachsenhausen, qui reçut le plus fort contingent de Français, fut terriblement meurtrier. Guy Chataigné évoque le terrible bombardement du 18 avril 1944 qui fit des centaines de victimes parmi les détenus, mais aussi des moments de dignité inoubliables, comme ce 14 juillet où les Français entonnèrent la Marseillaise dans le hall 7 de l’usine, face à des Allemands trop abasourdis pour réagir. Au kommando de Klinker, l’Amicale française a rejoint des déportés d’autres nationalités et leurs familles ainsi que les représentants du Land et du mémorial, pour l’inauguration des nouveaux aménagements de ce lieu de mémoire installé dans la zone portuaire d’un canal de la rivière Havel qui alimente la région. Avec surprise, et une grande joie, ils découvrent que sur le nouveau monument est gravée la phrase d’un discours prononcé par l’ancien président du Comité international de Sachsenhausen, Pierre Gouffault, décédé en 2009 (qui fut membre du bureau exécutif de la FNDIRP). Traduite en allemand, polonais, anglais et russe, la phrase dit : « Condamner ce lieu à l’oubli serait criminel ». Criminel en effet, en particulier à Klinker dont la gigantesque briqueterie devait fournir en matériaux de construction les chantiers de la monumentale Germania, la capitale rêvée par Hitler et ses architectes. Les malheureux détenus étaient affectés au creusement des darses, au terrassement des installations du port, à l’extraction du sable ou de l’argile, au déchargement des péniches… « Klinker illustre particulièrement la cruauté du régime nazi et la volonté d’extermination par le travail », déclare dans son discours Martin Gorholt, secrétaire d’Etat au ministère de la Science, de la Recherche et de la Culture du Land de Brandenburg, qui rend aussi un chaleureux hommage à Pierre Gouffault, à son engagement dans le projet Klinker et de nombreux autres à Sachsenhausen. Au cours du voyage, les Français se rendent encore au mémorial du bois de Below, qui marqua une étape meurtrière sur les routes interminables des « marches de la mort », ils visiteront à Berlin le musée « Topographie de la Terreur » ou l’ancienne prison de Plötzensee, ils iront jusqu’à Ravensbrück, distant d’une cinquantaine de kilomètres, toujours accompagnés par le vaillant petit groupe des déportés… « Je pense qu’il y a urgence à écouter les dé portés, on sent qu’ils ont envie de parler au plus vite », observe une jeune fille, arrière-petitefille d’un déporté mort à Falkensee, participant au voyage de l’Amicale avec sa mère et sa grand-mère. « Beaucoup de jeunes sont venus cette année, cela prouve que cette histoire les in téresse. C’est une chance pour nous que d’avoir pu être là, d’avoir encore pu les entendre. » Irène Michine Quelques questions à Günter Morsch, directeur du mémorial de Sachsenhausen et président de la Fondation des mémoriaux du Brandenburg, sur la politique de mémoire en Europe Le PR a déjà eu l’occasion d’évoquer avec vous la tendance à l’amalgame entre les régimes nazi et communiste qui se développe depuis plusieurs années en Europe, tendance préoccupante qui a été notamment confortée par la résolution du Parlement européen du 2 avril 2009 sur « la conscience européenne et le totalitarisme ». Où en est-on aujourd’hui ? J’ai malheureusement l’impression que la concurrence entre les mémoires s’accroît et que celle du système de terreur national-socialiste passe de plus en plus au second plan. Je ne dirais pas que l’Allemagne joue un rôle moteur dans cette évolution – même si nous avons ici des forces importantes qui la soutiennent. Le phénomène se manifeste plutôt dans les pays d’Europe centrale et orientale où l’on tend à faire des raccourcis rapides et des généralisations, ce qui n’aide pas à différencier les deux phases historiques. Le conflit actuel entre l’Ukraine et la Russie donne naturellement un nouvel élan à cette tendance. La résolution européenne de 2009 a prévu l’instauration d’une « journée européenne du souvenir des victimes de tous les régimes totalitaires et autoritaires », fixée au 23 août, date de la signature du pacte germano-soviétique en 1939. Quelle est la position de l’Allemagne à cet égard ? Jusqu’à présent, le gouvernement fédéral ne soutient pas l’instauration de cette journée. La question a cependant déjà fait l’objet d’un débat au Bundestag lors de la précédente législature, suite à une recommandation exprimée par les députés de la coalition CDU-FDP [Union chrétienne-démocrate et parti libéral-démocrate, ndr] ; les sociauxdémocrates et les verts se sont abstenus, ce qui est également préoccupant. Donc pour l’instant, pas de position officielle en faveur de l’instauration d’une telle journée, la question est, disons, laissée en jachère. Mais en parallèle nous constatons un soutien massif à cette éventualité de la part d’associations de victimes du stalinisme, de certains mémoriaux de Saxe consacrés à l’histoire de la RDA ainsi que de divers pays est-européens. La pression s’accentue donc. Dans ce contexte, quel doit être le rôle des mémoriaux ? Je crois qu’il est important que les mémoriaux conservent leur autonomie et ne soient pas soumis aux influences de la politique journalière, ce qui ne va pas de soi. Si la Fondation des mémoriaux du Brandenburg a été créée en 1993 comme un modèle d’institution politiquement indépendante, et qui l’est restée jusqu’à nos jours – c’est aussi le cas en Thuringe –, il n’en va pas de même pour d’autres fondations créées ultérieurement et qui ont dû accepter des compromis renforçant l’influence du politique. Je dois dire que nous-mêmes en avons souffert. Par exemple nous avons eu des conflits très durs lors de la conception du mémorial de « la rue Leistikow » [siège du contre-espionnage de l'Armée rouge, ndr] à Potsdam, qui se sont étendus jusqu’à la formulation des textes scientifiques. Tout cela est préoccupant pour l’avenir et je ne veux pas le dissimuler aux lecteurs français. Mais ce que peuvent faire les mémoriaux, c’est de s’unir et de s’organiser au sein du Comité international pour les musées à la mémoire des victimes de crimes publics, qui est un comité de l’Organisation internationale des musées (ICOM), basée à l’UNESCO. Sa charte, que j’ai personnellement formulée, énonce des règles et notamment un principe d’autonomie des établissements. Elle permet aux collègues de mémoriaux subissant des pressions politiques de s’y référer en tant que norme internationale à respecter, de faire appel à la solidarité internationale et de rappeler que le discours scientifique doit conserver son autonomie face aux tentatives d’instrumentalisation politique. On ne peut pas accepter qu’une nouvelle écriture de l’Histoire soit imposée d’en haut. Une chose doit être claire pour tous : L’Histoire est quelque chose de hautement dangereux. Quand vous avez quelqu’un en Serbie (l’ancien président Milosevic) qui, se référant à une bataille vieille de 600 ans, est capable de mobiliser une masse de gens, alors vous savez que la boîte de Pandore est ouverte. Aujourd’hui n’importe quel conflit peut être considérablement radicalisé, accéléré et susciter une émotion extrême si l’on y mêle l’Histoire. Tout mémorial doit être conscient que sa vocation est justement d’empêcher que la référence à l’Histoire n’entraîne de nouvelles violations du Droit et de nouveaux crimes. entretien réalisé par I.M.