- PDF - Musée de la Résistance et de la Déportation du Cher

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Témoignage de Guy Lesimple
Organisation de résistance : Front national. Arrêté le 8
mars 1944, déporté le 4 juin 1944 à Neuengamme puis
à Sachsenhausen, au Kommando de Falkensee.
Les risques du sabotage : une aventure qui aurait pu finir plus mal…
« Transféré le 3 juillet 1944 du camp de Neuengamme, sinistre camp de concentration sur les bords de la
Baltique, à celui de Sachsenhausen avec environ 1 000 camarades de mon convoi, me voici arrivé le 4
juillet au Kommando de Falkensee.
Dès le lendemain, je suis affecté à la Kolonne II, colonne de travail opérant dans les ateliers de l’usine
Demag situés à l’intérieur du Kommando.
On nous a interrogés sur notre profession, je me suis déclaré ajusteur et j’ai été envoyé à l’atelier
d’ajustage comme apprenti.
C’est pour moi une bonne aubaine et pendant quelques jours j’ai la vie moins dure.
Avec quelques camarades de métiers similaires, apprentis comme moi, nous aidons notre ami l’Abbé
Lavallart, lui aussi apprenti. Il en a bien besoin. L’Abbé Lavallart arrêté comme résistant aurait pu rester
au camp dans le block spécial réservé aux prêtres mais il a refusé pour rester avec tous ses amis. Son
comportement en notre faveur lui a valu d’être par la suite transféré à Mauthausen où il mourra en 1945.
Après quatre à cinq semaines, chaque apprenti est affecté à la production dans les ateliers où nous
travaillons pour la machine de guerre allemande.
Nous produisons des pièces de mitrailleuses et de chars notamment.
Me voici devant ma machine, une perceuse française G.S.P. : malgré ma situation précaire de déporté,
j’ai une petite pointe de fierté car c’est une bonne machine « de chez nous » que je connais bien.
Je me rappelle la première journée au sein de cette colonne de travail. Le soir nous sortons en rangs par
cinq et j’entends derrière moi une voix qui demande s’il y a des Berrichons parmi les nouveaux arrivés
au camp.
Je me retourne.
Stupéfaction : c’est mon ami André Guignard de Bourges, du chemin des Maluettes, un camarade de
travail.
Le souvenir de cette rencontre est gravé à jamais.
Se retrouver à plus de 1 000 kilomètres de Bourges en ce sinistre lieu, un camp de concentration !
Par lui, je ferai la connaissance de deux autres Berrichons, Marcel Luquet, lui aussi du chemin des
Maluettes, et Roger Souchal, de Mehun-sur-Yèvre.
Dans le Kommando se retrouveront aussi d’autres Berrichons : le Colonel de Belenet, les commandants
René Antoine et Albert Parade et Robert Aupetit.
Mais revenons à cette Kolonnne II où nous devons travailler durement sous la surveillance de kapos
polonais d’une grande méchanceté.
Mes camarades se rappellent notamment Kraska, véritable brute humaine, déporté lui aussi et frappant
les autres déportés, surtout les Français, avec férocité.
Au début de l’hiver 1944, un Norvégien – précisons que les Norvégiens avaient un traitement moins dur
que les autres déportés – arrive à m’évincer de « ma » perceuse française.
Sur cette machine, j’ai pu, de temps en temps, « louper » quelques séries de pièces qui s’entassaient avec
celles usinées d’avance, car il y avait une équipe de jour et une équipe de nuit.
Il fallait beaucoup de prudence car les « loupés » pouvaient être assimilés à un sabotage et dans ce cas,
pas de pardon : ou bien c’était le transfert dans un autre camp ou la compagnie de discipline – un bagne
dans le bagne (dans cette compagnie de discipline, on était astreint à marcher de 6 heures à 17 heures
pour essayer les chaussures destinées à l’armée allemande sur un parcours représentatif des terrains où
ont lieu les combats, avec une pause d’une heure à midi et une soupe, voilà le programme) ou bien
c’était la pendaison.
Donc à la suite de la manœuvre de ce Norvégien me voici sur une perceuse à 3 colonnes d’usinage.
Théoriquement je devais effectuer 3 opérations successives, d’où un gain de temps pour l’usinage des
pièces pour la machine de guerre allemande.
Un matin, en arrivant à mon poste de travail, je constate qu’une colonne est en panne, alors me vient
l’idée de mettre la 2ème colonne en panne aussi j’enclenche très peu le commutateur, et au bout d’un
moment tout grille.
Le meister, contremaître allemand civil, arrive et commence à parler fort (disons pour la petite histoire
que ce contremaître, depuis sa visite à sa famille à Duisbourg où il avait pu constater les gros dégâts
causés à la ville par les bombardements, paraissait atterré et ne marquait pas d’animosité envers les
déportés).
Il s’absente pendant un certain temps et revient me chercher avec insistance et me conduit auprès du
chef des contremaîtres, un vrai nazi arborant son insigne du parti et nanti, lui, d’une bonne dose de
méchanceté envers nous.
Alors là, j’ai eu peur, très peur, j’ai pensé tout de suite qu’il allait me conduire devant le Rapport-Fürher
avec comme conséquence le transfert au grand camp et la pendaison pour sabotage. J’ai entrevu la corde
se balancer… Oui, j’ai eu bien peur.
Eh bien non ! Ce contremaître nazi m’a donné un autre poste de travail, j’ai poussé intérieurement un
grand soupir de soulagement.
Ouf ! Je l’avais échappé belle ! Je le devais peut-être à ce contremaître de Duisbourg qui n’avait pas
cherché à me nuire.
Source : Plaquette éditée pour le 45ème anniversaire de la Libération des camps de concentration –
1945-1990. Témoignages vécus de déportés du Cher. (AMRDC)

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