Dossier De fils à fils-ok

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Dossier De fils à fils-ok
Dossier
De fils à fils
roman de Bernardo Toro
Editions Stock
à paraître le 3 février 2010
ISBN 978-2-234-06266-5
Prix TTC : 18, 50
Dossier : roman « De fils à fils » de Bernardo Toro, éditions Stock
Présentation
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Entretien
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Extrait
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Attachée de presse
Karine Vincent
Editions Stock
31, rue de Fleurus
Tél. : 01 49 54 36 59
Fax : 01 49 54 36 62
[email protected]
Site de l’auteur : www.bernardotoro.com
Site de l’éditeur : www.stock.com
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Dossier : roman « De fils à fils » de Bernardo Toro, éditions Stock
Présentation
La texture du temps
Un homme parle à son fils. Mais celui-ci ne l'entend pas. L'enfant vient de monter dans le
bus qui doit le ramener chez sa mère. De samedi en samedi, l'histoire se répète. L'enfant
s'ennuie avec cet homme qui se sent coupable de la lassitude qu'il provoque. Pourquoi ?
Un homme parle à son fils et s'interroge.
A la succession de samedis à venir, s'ajoute le souvenir des après-midi d'autrefois, les rares
fois où son père venait les voir. C'est lui, se disait-il en le voyant approcher, incapable de
dire : C'est mon père.
Un père parle à son fils et la narration se dédouble. Deux pères, deux fils, deux histoires,
mais un seul temps : deux heures de l'après-midi. Le moment où le narrateur va chercher
son fils à l'école et celui où son père surgit au milieu de l'Alameda.
L'originalité du livre réside dans sa manière de conjuguer passé et présent. Le narrateur
raconte des faits qui se passent à trente ans d'intervalle, en les fondant dans un récit unique
qui va toujours de l'avant. Les rôles s'inversent mais les mécanismes se reproduisent. C'est
toujours le fils qu'on voit dans le père et le père qu'on voit dans le fils, comme si nous
pouvions embrasser d'un seul regard l'adulte et l'enfant.
Peu de livres parviennent à faire résonner en même temps passé et présent, sans nous
pousser au vertige, mais en nous faisant sentir, entre deux phrases, la texture du temps.
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Dossier : roman « De fils à fils » de Bernardo Toro, éditions Stock
Entretien
Anatomie d'un roman
Anne-Marie Montagnier : Essayons d'aborder ce roman par son titre un peu
énigmatique. Pourquoi De fils à fils ?
Bernardo Toro : L'expression est forgée à partir de deux expressions assez courantes :
d'homme à homme, axe horizontal; et de père en fils, axe vertical. De fils à fils se situe dans
la bissectrice de ces deux expressions. Elle traduit la nature de cette parole adressée au fils.
Il s'agit, par ailleurs, d'une citation du livre. Le père dit à son fils : « Entre nous il n'a jamais
été question de père, même aujourd'hui je te parle de fils à fils. »
Le narrateur adresse son récit à son fils.
Il s'agit d'un monologue intérieur adressé au fils. La pensée est par nature dialogique. Quand
nous pensons nous nous adressons souvent à quelqu'un. C'est d'ailleurs ce qui rend notre
pensée si répétitive. Il ne suffit pas de penser. Il faut encore que notre pensée soit entendue,
comprise, admise. Par qui ? La nature de cet autre en nous n'est jamais très claire ni stable.
Quel est ce fils auquel s'adresse le narrateur ? Son vrai fils ? Le fils qu'il a lui-même été ?
Est-ce toujours le même fils ? La situation de communication induite par la pensée est plus
complexe que celle relayée par la parole.
Que peut-on dire de son but ? En racontant sa vie à son fils, le narrateur cherche-t-il à
s'expliquer, à se justifier ou à obtenir une réponse ?
Son but premier n'est pas de raconter sa vie. Le narrateur a quelque chose à dire sur son
père, (chapitre I) et sur sa mère, (chapitre II). Aucun de ces deux chapitres n'amorce
véritablement le récit. Bien au contraire, ils débouchent tous les deux sur une sorte d'arrêt du
temps. Dans le premier chapitre, cet arrêt se produit à deux heures, au moment où son père
surgit au milieu de l'Alameda. Dans le deuxième chapitre, il se produit à neuf heures, au
moment où il va chercher son frère en face de l'hôpital. La naissance de son fils, à la fin de
ce chapitre, constitue une issue possible. Les aiguilles se remettent à tourner, la vie est
relancée, un récit est possible. Très logiquement le récit s'ouvrira par son départ du village,
et se fermera, près de vingt-ans plus tard, par un autre départ. Au début et à la fin de
l'histoire, on trouve une rupture avec le cercle familial. Pour le narrateur devenu père, il
s'agit moins de raconter sa vie à son fils que de répondre à une question : pourquoi, après la
naissance de celui-ci, les aiguilles se sont à nouveau arrêtées.
Mais il n'arrive pas tout à fait à répondre.
Je dirais plutôt qu'il trouve plusieurs réponses, alors qu'il n'en voudrait qu'une seule.
Je veux dire qu'à chaque fois son récit est interrompu par un autre récit. Initialement
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cette double ligne narrative semble renvoyer à la réversibilité des rôles. Le narrateur
est père dans le premier récit et fils dans le deuxième.
Pour bien saisir cette dialectique du père et du fils, il me semblait indispensable d'introduire
une troisième dimension qui permette au récit de s'affranchir de la chronologie et de la
psychologie.
Pour vous, chronologie et psychologie vont de pair ?
Pourquoi le narrateur ne parvient pas à assumer sa paternité ? Pourquoi sa vie s'effondre dès
que son fils vient au monde ? Pour trouver une réponse à ces questions, le récit
psychologique ( et chronologique ), va fouiller dans le passé du personnage, dans son
enfance, dans le rapport à son propre père. Cette plongée dans l'enfance supposera un retour
en arrière. C'est le rôle classique du retour en arrière depuis l'Odyssée : expliquer la suite,
éclairer le présent. Dans De fils à fils, cela commence par un retour en arrière. Le narrateur
va chercher son fils à l'école, se promène avec lui et tout à coup il regarde sa montre, il est
deux heures, il se souvient de son père qui venait les voir toujours à cette heure. Mais peu à
peu un décrochage narratif et temporel se produit, le retour en arrière n'est plus subordonné
au récit principal, il devient indépendant. Bientôt on se demande lequel des deux est le récit
principal. Qu'est-ce à dire ? Que le passé n'est plus derrière lui, qu'il n'est plus la cause de
son présent, ni son explication, ni sa répétition, l'enfance n'explique pas l'âge adulte. Les
faits arrivent, c'est tout ce qui compte. En faisant sauter les liens chronologiques entre les
faits, c'est tout l'édifice psychologique qui s'effondre. Nous sommes projetés dans un espace
à trois dimensions où fils, père et grand-père sont contemporains. Il peut sembler curieux
qu'un roman qui porte, entre autre, sur la filiation tienne si peu compte de la chronologie.
C'est pourtant la clef du roman. La filiation est une affaire de structure et non de
chronologie.
L'inconscient ignore le temps, disait Freud.
Exactement. Vous pouvez faire beaucoup de choses dans un roman : mettre des poèmes, de
la critique sociale, enlever les points, cela ne fera jamais que des ajouts et des suppressions.
Si vous voulez vraiment toucher au mécanisme, il vous faudra modifier les paramètres qui
règlent la temporalité du récit. Notre vision du monde est là, tapie derrière des mots aussi
inoffensifs que «chronologie».
Entre les deux fils du récit il y a parfois des écarts temporels importants. D'un
paragraphe à l'autre on peut reculer ou avancer de trente ans sans la moindre
transition.
Mais on comprend quand même.
Oui, on suit parfaitement.
Grâce à quoi ?
Je vous pose la question.
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Cette disparition des indices temporels fait penser au style indirect libre. Comme chacun
sait, cette forme de discours ne comporte aucune trace de la personne qui parle ou pense,
mais là aussi on comprend. Pourquoi alors encombrer le récit de : «dit-il», «pensa-t-il» ?
Bien entendu, il ne suffit pas d'enlever les indices temporels et de dire au lecteur :
Débrouillez-vous ! Si vous ne comprenez pas, tant pis ! Il faut, au contraire, entrelacer les
fils narratifs avec une grande minutie, répartir subtilement les indices capables de mettre le
lecteur sur la voie et donner à chaque récit sa couleur propre. Les confusions, quand elles se
produisent, sont voulues par l'auteur.
Ce n'est pas un procédé très habituel en littérature, il relève plutôt de la composition
musicale.
De fils à fils est, en effet, composé comme une sonate à deux instruments. Le violon :
l'enfance, le piano : l'âge adulte. Mon rêve était de faire sonner les deux instruments en
même temps. Mais la linéarité de l'écriture ne le permet pas. Il faut donc trouver d'autres
moyens pour rendre cette simultanéité. La disparition des indices temporels en est un. Je
crois toutefois que, comme l'usage du style indirect libre, c'est l'époque qui le rend possible
et non l'écrivain. Le lecteur du dix-neuvième siècle avait besoin d'indices temporels clairs
pour suivre le fil du récit, pas le lecteur du XXIe siècle. C'est dommage que beaucoup
d'écrivains continuent à écrire comme s'il s'adressaient aux lecteurs de Balzac.
Mais il semblerait que dans De fils à fils l'absence de marquage temporel poursuit
d'autres objectifs.
Absolument. Cette disparition des indicateurs temporels a surtout une visée stylistique. Elle
me fait penser à Hemingway et sa théorie de l'iceberg. Nous ne voyons qu'un dixième de
l'iceberg, tout le reste est sous l'eau. Pour un livre, disait-il, c'est pareil. L'auteur ne doit
mettre en mots qu'un dixième de ce qu'il sait de l'histoire. Mais où passe le reste ? Et surtout
à quoi sert-il ce savoir qui ne se traduit pas en mots ? A mon avis, les neuf autres dixièmes
passent dans la composition du livre, c'est-à-dire dans la manière dont les différentes parties
de l'histoire sont agencées. Il y a un savoir à l'oeuvre dans cet agencement que le lecteur
ressent, mais ne voit pas forcément. Un écrivain doit pouvoir s'exprimer sans mots, c'est-àdire avec des ellipses, des silences, des non-dits, et surtout avec des effets de composition.
Un roman n'est pas fait qu'avec des phrases, le romancier n'est pas un phraseur, mais un
architecte.
C'est d'ailleurs la raison qui me pousse à aborder ce roman par de considérations
apparemment techniques, sans grand rapport avec le contenu même du livre. Ce que je sais
sur l'histoire de Manuel se trouve à quatre-vingt-dix pour cent dans la composition du livre.
Puisque les considérations formelles ne vous effraient pas, permettez-moi une dernière.
Dans De fils à fils, le paragraphe semble investit d'une fonction particulière. C'est
toujours lui qui introduit les ruptures temporelles. On remarque d'ailleurs que les
paragraphes ne se terminent jamais par un point.
Dans ce roman, le statut du paragraphe est problématique. Constitue-t-il une unité logique
( c'est-à-dire sémantique, thématique ) ou bien une unité temporelle ? On ne le sait jamais
par avance. D'un paragraphe à l'autre, c'est le saut dans le vide. Où le lecteur va-t-il atterrir ?
Trente ans plus tôt ou dans la suite du même récit ? En lisant le début du paragraphe suivant,
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il ne le sait pas encore. Il se produit alors un phénomène proche de ce qu'on appelle la
persistance rétinienne.
La phrase qu'il vient de lire résonne encore dans son cerveau quand il entame le nouveau
paragraphe. Il est deux heures de l'après-midi, il fait très chaud, le narrateur âgé de dix ans
voit son père apparaître au milieu de l'Alameda. Au paragraphe suivant, on voit le père qu'il
est devenu trente ans plus tard éponger son front. Pendant quelques dixièmes de secondes,
l'enfant et l'adulte sont la même personne, brûlés par le même soleil, le lecteur ne voit pas
l'abîme de trente ans qui les sépare. Ces quelques dixièmes de seconde sont l'essence même
du livre, ce que je sais de l'histoire se trouve là, au détour d'un paragraphe.
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Extrait
Chapitre I
Cette manie de vouloir que les choses se passent autrement. Tu viens de monter dans le bus
et je me demande déjà ce que j'aurais dû faire, pas faire, dire, pas dire, pour effacer cette
impression pénible qu'en te rendant à ta mère, je te délivre d'un poids. Mais tu es encore là,
la joue collée contre la vitre. En me dépêchant, je pourrais encore monter dans le bus et
m'asseoir derrière toi. Mais les portes claquent et je me dis que cela ne changera jamais :
l'élan, le doute, l'embarras. L'instant où le désir devient regret et le regret remords. Un
saisissement. Ainsi meurent les animaux sur la route
Le bus se met en branle. Je te fais un signe de la main, plus ample à mesure que le bus
s'éloigne. Est-ce que samedi prochain aussi tu éviteras mon regard ? Durant ces cinq années,
j'aurais au moins appris cela : être encombrant, c'est déjà le début de quelque chose, le pire,
c'est quand on n'est plus rien du tout. Quelle importance alors que samedi prochain tu évites
mon regard pourvu que je te retrouve à la sortie de ton école
Comme d'habitude, tu te détacheras du groupe de parents qui s'agglutine sous le porche et je
ferai semblant de lire les journaux. Comme d'habitude, tu passeras devant le kiosque sans
t'arrêter, sans te retourner, mais en ralentissant tes pas, afin que je me joigne à toi et
qu'ensemble nous continuions à marcher, sans un mot, sans un signe, sans que personne
puisse soupçonner que je suis là pour toi, comme chaque samedi, où un timide Salut ! lancé
de profil nous tiendra lieu de retrouvailles
Tu ne m'embrasseras pas, tu ne me souriras pas, tu ne détourneras pas la tête, tu continueras
à tracer ton chemin et je me retrouverai à régler mes pas d'adulte sur tes foulées rapides
d'enfant contrarié qu'une corvée hebdomadaire vient détourner de ses jeux, de ses albums,
de ses émissions préférées
Au moment de traverser l'avenue, ta course prendra l'allure d'une fuite, si bien que tu
m'obligeras à t'attraper par le bras : « Fais attention quand tu traverses ! » Mais je n'en dirai
pas plus, car l'avenue est encore trop près de ton école. Nous longerons les grilles de la
Quinta et, en attendant le moment de t'adresser la parole, je sortirai un mouchoir de ma
poche. Samedi prochain aussi il fera chaud. D'après les journaux, la canicule doit durer
encore quelques semaines. Une chaleur lourde, pâteuse montera de partout. Les pavés
flamberont, les voitures flamberont, les immeubles flamberont. Derrière les grilles, les
pigeons en feu embrasseront les bras des généraux qui dresseront vers le ciel leurs épées
calcinées
A partir de quand serons-nous assez loin de ton école ?
J'épongerai mon front et consulterai ma montre
Deux heures. C'est le moment que ton grand-père choisissait pour « apparaître ». Tu ne l'as
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pas connu, il était déjà mort quand tu es né. Rien ne pouvait durer trop, rien ne pouvait être
aussi lent. Ce qui vivait se terrait derrière les volets clos. Deux heures à Calamane. Un
écrasement de vie sous l'haleine sèche du soleil. C'était pourtant cette heure que ton grandpère choisissait. C'est lui, je me disais, et quelque chose en moi se mettait à trembler. C'est
lui, je me répétais, incapable de dire : c'est mon père
Je ne me levais pas, je ne courais pas vers lui, je ne partais pas me cacher. Je restais cloué à
l'ombre du poirier alors qu'il s'approchait, imprécis, tremblotant dans la distance, traversant
flamme après flamme l'embrasement de deux heures
Mais je ne serai pas le seul à avoir chaud, sur ton visage aussi quelques gouttes perleront, si
bien que je te tendrai mon mouchoir. En vain
C'est marqué dans notre contrat : Tant que de vrais parents raccompagnaient leurs fils à leurs
maisons de chaque jour, tout contact entre nous pourrait trahir ta condition d'enfant
Je me demande si tu as un mot pour nommer cette infirmité que tu caches
Mais la chaleur n'était pas tout, même si le soleil se coagulait en grandes pellicules cireuses
sur les feuilles, il y avait surtout la lenteur et l'ennui, comme si les heures étaient trop
nombreuses pour le peu de vie qu'on pouvait extraire du village. Je tâtais le sol à la
recherche d'un caillou, le lançais dans l'acequia.
Deux heures. L'eau ne coulait plus, le vent ne soufflait plus, le temps ne passait plus. C'était
curieusement cette heure-là que ton grand-père choisissait pour « apparaître ». C'est lui, je
me disais et, pendant quelques secondes, je ne savais plus qui j'étais moi-même
« Un enfant de parents divorcés ? » Je doute qu'à ton âge on emploie le mot « divorce ».
Une moitié d'enfant plutôt, voué par la négligence de ta mère à passer le samedi après-midi
en compagnie d'un homme qui ne va pas tarder à te poser la première dune longue série de
questions sans réponse
« Tu savais qu'Ivan Pinto sera absent pour le match contre River Plate ? Une rupture du
ligament, d'après les journaux Franchement à quoi ça sert d'acheter un joueur si cher si c'est
pour qu'il fasse six matchs par saison ! »
C'est bien lui, je me répétais et pendant quelques secondes je ne savais plus qui j'étais, c'està-dire pourquoi il revenait, pourquoi il ne nous foutait pas la paix, car nous avions appris à
vivre sans lui, à nous passer de lui, à l'oublier tout court. Et maintenant il allait falloir lui
redonner une place. Pour combien de temps ? Trois, quatre jours ? Seul lui savait. C'était lui
le maître du temps
Aucune chaise sur le pas des portes, pas le moindre volet ouvert, juste la silhouette de ton
grand-père traversant flamme après flamme l'enfer de deux heures. Et moi, sans défense,
cloué à l'ombre du poirier, songeant à toutes ces fois où je relevais la tête dans la même
attente humiliée, sûr de retrouver l'Alameda déserte. Un sanglot explosait dans ma poitrine.
Je le ravalais en me tournant vers le poirier, si bien que les fissures de l'écorce se trouvaient
inextricablement liées à mon dépit
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Je finirai par défaire ma cravate sans savoir si c'est le soleil d'autrefois ou la chaleur
d'aujourd'hui qui me suffoque
« Je me demande qui ils vont mettre à sa place. Déjà qu'avec lui la défense était une vraie
passoire ! »
Je regardais vers le sommet du poirier. Les dernières feuilles m'apparaissaient comme des
filets jetés dans les profondeurs du ciel, tandis quà l'autre bout de moi-même les racines
s'enfonçaient dans les profondeurs de mes veines
« Alors dis-moi, qu'est-ce que tu as envie de faire ? »
En garçon bien élevé, tu hausseras les épaules
« Aucune envie, tu en es sûr ? »
A vrai dire, tu n'auras qu'une seule envie : rentrer chez toi, retrouver tes jeux, tes albums, la
fraîcheur de tes draps, et d'un coup de pouce magique faire apparaître le coyote derrière un
nuage de poussière
Mais en l'occurrence ce sera toi Bip Bip et moi Coyote. Et même si dans cinq heures tu
finiras par m'échapper, pour l'heure tu ne pourras qu'hausser les épaules et offrir ton dos
soumis au fardeau de mes projets
« Et si on allait manger un morceau à la Quinta ? »
Bien sûr, tu n'attendais que ça : traîner dans la terrasse de la Quinta, faire le tour de la
lagune, lancer des miettes aux canards, puis, vers six heures, regarder avec insistance la
montre
Et soudain son absence me faisait mal, si affreusement mal que j'aurais voulu me lever et lui
crier : Va-t-en ! Nous n'avons plus besoin de toi ! Nous nous débrouillons très bien tout seuls
! Mais ce n'était pas possible, je le savais, comme je savais que cet homme avait le droit de
circuler dans nos vies, d'aller et de venir et de disparaître pendant des mois à sa guise,
jusqu'au jour où il estimait que le moment était venu de nous rendre une petite visite
Nous nous retrouverons sur la petite terrasse ombragée qui jouxte le musée, assis l'un en
face de l'autre comme un couple sans conversation ni projets, je commanderai un Coca et
une bière et regarderai les bulles monter le long de la paroi de verre
Le frémissement de milliers de feuilles, palpitant, absorbant le silence, multipliant la
lumière en une mosaïque de pellicules cireuses
A quel temps appartiennent ces arbres ?
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