Télécharger l`article au format PDF
Transcription
Télécharger l`article au format PDF
L’Encéphale (2011) 37, 33—40 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP MÉTHODOLOGIE Validation d’une échelle de sexualité (intérêts, émotions, relations : IERS) à la prime adolescence (12 à 15 ans) Validation of a scale of sexuality (interests, emotions, relationships: IERS) in prime adolescence (12 to 15 years) R. Courtois a,∗,b, C. Potard a, C. Réveillère a, B. Moltrecht c a EA 2114, département de psychologie, université François-Rabelais, 3, rue des Tanneurs, BP 4103, 37041 Tours cedex 1, France Clinique psychiatrique universitaire, CHRU de Tours, 37044 Tours cedex 9, France c Service de promotion de la santé en faveur des élèves, inspection académique d’Indre-et-Loire, 37000 Tours, France b Reçu le 15 mai 2009 ; accepté le 28 décembre 2009 MOTS CLÉS Sexualité ; Comportements psychosexuels ; Questionnaire ; Adolescence ; Préadolescence ; Prise de risque ∗ Résumé Introduction. — La prime adolescence (12 à 15 ans) est marquée par la transformation pubertaire et la sexualisation du corps, des changements au niveau des cognitions et l’engagement progressif dans la découverte de son propre corps, du corps de l’autre et de leur contact. Cette étude est la poursuite d’un précédent travail de construction et de validation d’un questionnaire sur la sexualité à l’adolescence (Courtois et al., 1998) [8]. Méthodes. — Participants. L’échantillon se composait de 312 collégiens de quatre collèges de Tours et ses environs (Indre-et-Loire) : 164 filles (52,6 %) et 148 garçons ; avec une moyenne d’âge de 13,8 ans (ET de 1,02 ; étendue de 10,7 à 16,9). Matériel. Le matériel comprenait 22 items et intégrant les 13 items du questionnaire initial de Courtois et al. (1998) [7,8] structurés en trois dimensions (« Engagement comportemental dans la sexualité », « Amour et la fidélité » et « Goût de draguer »). Procédure. L’étude s’est déroulée en 2008 en situation de classe. Résultats. — Les résultats de l’analyse factorielle exploratoire ont permis de retrouver trois facteurs qui expliquent 41 % de la variance totale : « Sortir avec quelqu’un » ; « Privilégier l’amour » et « Draguer en espérant avoir des relations intimes ». Les alphas de Cronbach sont respectivement de 0,79 ; 0,70 et 0,66. Une analyse factorielle confirmatoire permet de témoigner d’une bonne adéquation du modèle retenu (15 items saturés à > 0,50) (Chi2 de 162, ddl = 87, p < 0,001 ; GFI de Joreskog de 0,91 et RMSEA = 0,05). Nous sommes donc en mesure de proposer un questionnaire de 15 items, structurés dans trois dimensions de la sexualité à la prime adolescence en accord avec les intérêts, émotions et relations à l’adolescence. Il n’existe aucune Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. Courtois). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010. doi:10.1016/j.encep.2010.02.008 34 R. Courtois et al. différence significative pour « Sortir avec quelqu’un » entre les garçons et les filles. Il existe en revanche une différence pour « Privilégier l’amour » (0,87 pour les filles versus 0,80 pour les garçons, p < 0,05) et surtout pour « Draguer en espérant avoir des relations intimes » (0,60 versus 0,76 pour les garçons, p < 0,001). Avec l’accroissement de l’âge, on constate l’augmentation des scores pour « Sortir avec quelqu’un » quel que soit le genre (p < 0,05) ; une baisse des scores pour « Privilégier l’amour » (pour les filles (p < 0,05) et une augmentation des scores pour « Draguer en espérant avoir des relations intimes » (pour les garçons (p < 0,05). Discussion. — Cette étude nous a permis de valider une échelle de sexualité à la prime adolescence qui présente de bonnes qualités psychométriques. Elle a été réalisée sur un échantillon plus large et plus représentatif de cette période que l’étude initiale, tout en retrouvant l’essentiel des résultats antérieurs. Ainsi, l’usage de cette échelle, pourrait permettre d’appréhender la sexualité à la prime adolescence dans trois dimensions significatives du développement psychosexuel, mais également en termes de sexualité à risque : intérêt trop marqué pour la sexualité génitale, engagement comportemental et rapport sexuel précoce ou encore l’absence des sentiments. © L’Encéphale, Paris, 2010. KEYWORDS Sexuality; Psychosexual behaviour; Questionnaire; Adolescence; Preadolescence; Risk-taking Summary Background. — Early adolescence, which we also call prime adolescence, is marked by the transformations of puberty and the sexualisation of the body, changes in cognition and the progressive involvement in sexuality. This study is the continuation of an earlier work dealing with the construction and validation of a questionnaire on sexuality during adolescence (Courtois et al., 1998) [8]. Methods. — Population. The sample was composed of 312 middle-school students (7 to 9th grade) from four middle-schools in Tours and its suburbs (Indre-et-Loire, France): 164 girls (52.6%) and 148 boys (47.4%); with a mean age of 13.8 (S.D. = 1.02; from 10.7 to 16.9) (without significant differences between boys and girls). Material. The material was composed of 22 items calling for true or false answers and including 13 items from the initial questionnaire by Courtois et al. (1998) [7,8] structured in three dimensions (‘‘Behavioral engagement in sexuality’’, ‘‘Love and fidelity’’ and ‘‘Taste for flirting’’). Procedure. The study was carried out in 2008 in the classroom (anonymity guaranteed). Results. — The results of the factorial analysis (as the main component and by the method which maximizes variance, Varimax) made it possible to find three factors which explain 41% of total variance: ‘‘Going out with someone’’ (value of 4.6, explaining 21% of the total variance); ‘‘Giving priority to love’’ (value of 2.8 explaining 13% of the variance); ‘‘Flirting with the aim of having sexual relations’’ (value of 1.6 explaining 7% of variance). The Cronbach alphas are 0.79, 0.70 and 0.66 respectively. The first and third factors are correlated. In order to obtain a shorter final instrument and to favor the orthogonality between factors, we only retained the items which are strongly saturated by the factors (> 0.50). A confirmatory analysis revealed the good adequation of the model retained (Chi2 : 162, 87 dof, P < 0.001; Goodness of fitness index [GFI] of Joreskog: 0.91; Root mean square error of aaproximation [RMSEA] = 0.05). Following these analyses, we are able to propose a shorter questionnaire (15 items), structured in three dimensions of sexuality significant in prime adolescence (in accordance with interests, emotions and relationships). The analyses were conducted according to gender and age. There is no significant difference for ‘‘Going out with someone’’ between boys and girls. On the other hand, there is a difference between ‘‘Giving priority to love’’, which is more important for girls (P < 0.05) and for ‘‘Flirting with the aim of having sexual relations’’, more important for boys (P < 0.001). However, as ages increase, we notice a rise in scores for ‘‘Going out with someone’’ for girls as well as for boys (P < 0.05); a drop in scores for ‘‘Giving priority to love’’ (for girls, (P < 0.05) and an increase in the scores for ‘‘Flirting with the aim of having sexual relations’’ (only for boys (p < 0.05). Discussion. — This study allowed us to validate a scale of sexuality in prime adolescence that presents good psychometric qualities. It was carried out on a larger and more representative sample of this period than the initial study, although essentially finding the same results as previously. Thus, the use of this scale, coupled or not with the individual analysis of the items which make it up, could allow us to understand sexuality in prime adolescence in three significant dimensions of psychosexual development, as well as regarding risky sexuality, i.e., an excessive interest in genital sexuality, behavioral involvement and precocious sexual relations or an absence of feelings. © L’Encéphale, Paris, 2010. Validation d’une échelle de sexualité à la prime adolescence Introduction Au-delà des transformations pubertaires, les adolescents vont être confrontés, à travers la sexualisation du corps, à de nombreux changements qui vont les amener progressivement à de profonds remaniements identitaires. L’apparition du corps sexué, associée à la perte de la bisexualité infantile, à des représentations et des contraintes nouvelles d’ordre somatique, psychoaffectif et social, est en effet capitale. Au centre du processus de séparation/individuation, le travail de différentiation vis-à-vis des parents s’accompagnera de la découverte d’intérêts nouveaux et de l’accroissement du rôle des pairs. Ainsi, grandira l’importance du regard de l’autre sur soi, la question de la séduction ou tout simplement, la recherche d’une confirmation narcissique, c’est-à-dire ici la vérification de sa valeur. À l’adolescence, la sexualité est au centre des relations interpersonnelles : de la simple sortie avec les pairs jusqu’à l’intimité physique partagée. Elle inscrit l’adolescent dans l’ordre des générations (séparation en fonction du genre, filiation, capacité à procréer et transmission, etc.) et devient un fondement essentiel du sens de la vie [7]. La première partie de l’adolescence (c’est-à-dire les « années collège » — de 12 à 15 ans, qu’on qualifie également de prime adolescence) est marquée par des changements au niveau des cognitions et par l’engagement progressif dans la découverte de son propre corps, du corps de l’autre et de leur contact [18]. Le premier baiser est échangé en général vers 14 ans et la première relation sexuelle se situe en moyenne vers 17 ans, pour les garçons comme pour les filles [2,15], avec des faibles différences en fonction du genre. Ils sont moins de 20 % à rapporter une relation sexuelle avant 15 ans : environ 17 % d’après le Baromètre Santé 2005 (avec 16 % de filles versus 18 % de garçons) [16]. L’enquête HBSC [11] auprès des jeunes filles donne des résultats similaires : 3 % des jeunes filles disent avoir eu des relations sexuelles avant 13 ans et près de 18 % avant 15 ans. Ainsi, les différences interindividuelles peuvent être marquées. Enfin, les adolescents et adolescentes présentent des divergences en termes d’attitudes vis-à-vis de la sexualité et des relations amoureuses [13]. Dans une étude antérieure, nous avions construit et validé un outil d’évaluation de la sexualité auprès d’une population de collégiens (d’un seul niveau — classe de troisième) à l’issue d’une analyse factorielle exploratoire et confirmatoire. Cette étude avait permis de mettre en évidence trois dimensions significatives de la sexualité à cet âge : l’« Engagement comportemental dans la sexualité » ; l’« Amour et fidélité », le « Goût de draguer » [8]. La première dimension se situait au plan comportemental et de l’expérience sexuelle ; elle concernait en premier lieu le fait de sortir avec quelqu’un, mais aussi toutes les conduites d’investissement progressif de la relation à l’autre jusqu’aux situations d’intimité physique partagée. Ces situations incluaient la relation sexuelle, mais celle-ci n’en était qu’un élément. La deuxième dimension, l’« Amour et fidélité », concernait la relation amoureuse, c’est-à-dire les idées ou les opinions accordant plus ou moins de place à l’amour et à la fidélité dans la relation sentimentale ; elle constituait le volet « sentimental » de la sexualité. La troisième dimension, le « Goût de draguer », concernait 35 l’implication déclarée dans les conduites de séduction, de conquêtes et de recherches d’aventures. L’objectif de cette présente étude est : • d’adapter l’outil à une population plus étendue en âge (ensemble de la prime adolescence) ; • de tester ses qualités psychométriques ; • de mettre en évidence d’éventuelles spécificités en fonction de l’âge et du genre ; • il s’agit aussi de disposer d’un outil d’évaluation de la sexualité au début de l’adolescence et pouvoir détecter des formes de sexualité à risque. Méthodes Participants L’échantillon se composait de 312 collégiens (classes de cinquième à la troisième) de quatre collèges de Tours et ses environs (département 37, Indre-et-Loire) représentant une mixité géographique et culturelle : 164 filles (52,6 %) et 148 (47,4 %) garçons ; avec une moyenne d’âge de 13,8 ans (écart-type de 1,02 ; étendue de 10,7 à 16,9)1 sans différence significative entre les garçons et les filles. En comparaison, la précédente étude avait concerné 107 élèves de classes de troisième pour un âge moyen de 15,5 ans. Matériel Le matériel comprenait le questionnaire initial de Courtois et al. [8], composé de 13 items, structurés en trois dimensions issues de l’analyse factorielle (« Engagement comportemental dans la sexualité », « Amour et fidélité » et « Goût de draguer »), auquel nous avons rajouté neuf items dont les contenus ont été définis à partir des caractéristiques générales identifiées au début de la prime adolescence : modifications au niveau des cognitions, découverte progressive de son corps et de celui d’autrui [18]. L’échelle comportait donc 22 questions appelant des réponses en Vrai ou Faux. Procédure Conformément au droit individuel, au respect et à la discrétion, l’ensemble de la procédure s’est réalisée selon les principes éthiques applicables à la recherche sur les comportements sexuels [12,20]. Après l’accord des chefs d’établissements, nous avons adressé un courrier aux parents d’élèves pour les informer de l’étude et obtenir leur accord. Les classes ont été sélectionnées aléatoirement par les chefs d’établissement, avec un principe d’une classe par niveau et par établissement (cinquième, quatrième, troisième). La passation s’est déroulée en mars 2008, au sein des classes de cours et chaque élève a pu répondre de manière 1 Ces âges ne sont que les extrêmes ; plus de 96 % des sujets de l’échantillon ont entre 12 et 16 ans et plus de 66 %, entre 13 et 15 ans. 36 R. Courtois et al. Tableau 1 Résultats de l’analyse factorielle exploratoire sur les items relatifs à la sexualité. Facteurs I II III Items > 0,40 Je suis souvent sorti/e avec des filles/garçonsa Ma relation avec ma copine/mon copain est une relation sérieuse On s’est déjà retrouvé seuls dans l’intimité une ou plusieurs foisa J’ai déjà eu une relation sexuelle avec une fille/garçon (dans le sens de « coucher » avec lui/elle)a Avec ma copine/mon copain, on s’est déjà échangé des affairesa J’ai déjà connu quelqu’un qui m’attire et avec qui je suis « sorti/e » Je ne peux pas m’empêcher de séduire ou de « tomber » le plus de filles/garçons possiblea Je sors le soir (en soirées) avec des copines/des copainsa Je suis déjà parti en week-end ou en vacances avec ma copine/mon copain sans surveillance de nos parentsa Je pense qu’on doit être amoureux/se avant d’envisager d’avoir des rapports Je pense que pour sortir avec une fille/garçon, il faut être amoureux/sea Je pense que pour faire l’amour ; il faut s’aimera Je prévois d’attendre de trouver quelqu’un que j’aime pour avoir un rapport sexuel Lorsque je sors avec quelqu’un, je suis fidèlea C’est bien d’avoir des aventures sans lendemain Je prévois d’avoir un rapport sexuel quand l’occasion se présentera Je pense que c’est bien que les garçons et les filles s’embrassent, se prennent dans les bras et se touchent J’aime draguer les filles/garçonsa J’aime la compagnie des filles /garçonsa Ma relation avec ma copine/mon copain est une relation passagère Je suis bien trop jeune pour imaginer quoi que ce soit avec quelqu’un II m’est parfois arrivé d’être amoureux/se de plusieurs filles/garçons en même tempsa Alpha de Cronbach a 0,75 0,68 0,67 0,61 0,57 0,55 0,47 0,43 0,40 0,72 0,68 0,66 0,57 0,55 −0,46 0,41 0,65 0,64 0,48 0,54 0,54 0,41 −0,40 0,79 0,70 0,66 Marque les items du questionnaire antérieure (chacun des items étant dans la dimension initiale équivalente). individuelle en étant assuré du strict anonymat des réponses au questionnaire. (Anova) pour la comparaison de groupes. Le logiciel utilisé est Statistica® . Méthodes statistiques Résultats Nous avons eu recours aux techniques d’analyses factorielles exploratoires et confirmatoires, au calcul de coefficient alpha de Cronbach (qui permet de mesurer la consistance interne d’une échelle) et aux mesures d’analyse de variance Analyse factorielle Nous avons effectué une analyse factorielle en composantes principales par la méthode qui maximise la variance (Vari- Validation d’une échelle de sexualité à la prime adolescence Tableau 2 37 Questionnaire sur la sexualité à la prime adolescence. Réponses en Faux Vrai 01. Je suis souvent sorti/e avec des filles/garçons (Ia ) 02. On s’est déjà retrouvé seuls dans l’intimité une ou plusieurs fois (Ia ) 03. J’ai déjà eu une relation sexuelle avec une fille/garçon (dans le sens de « coucher » avec lui/elle) (Ia ) 04. Avec ma copine/mon copain, on s’est déjà échangé des affaires (Ia ) 05. Je pense que pour faire l’amour, il faut s’aimer (IIb ) 06. Je pense que pour sortir avec une fille/garçon, il faut être amoureux/se (IIb ) 07. J’aime la compagnie des filles/garçons (IIIc ) 08. J’aime draguer les filles/garçons (IIIc ) 09. J’ai déjà connu quelqu’un qui m’attire et avec qui je suis « sorti/e » (Ia ) 10. Je pense que c’est bien que les garçons et les filles s’embrassent, se prennent dans les bras et se touchent (IIIc ) 11. Ma relation avec ma copine/mon copain est une relation sérieuse (Ia ) 12. Je prévois d’attendre de trouver quelqu’un que j’aime pour avoir un rapport sexuel (IIb ) 13. Je prévois d’avoir un rapport sexuel quand l’occasion se présentera (IIIc ) 14. Je pense qu’on doit être amoureux/se avant d’envisager d’avoir des rapports (IIb ) 15. Lorsque je sors avec quelqu’un, je suis fidèle (IIb ) a b c (I) correspond au facteur I : « Sortir avec quelqu’un ». (II) correspond au facteur II : « Privilégier l’amour » . (III) correspond au facteur III : « Draguer en espérant avoir des relations intimes ». max) [10] à partir des données obtenues aux réponses des 22 items concernant la sexualité. Les résultats de l’analyse factorielle nous ont permis de retrouver trois facteurs qui expliquent 41 % de la variance totale. Le premier facteur, dont la valeur propre est de 4,6, explique 21 % de la variance totale. Ce facteur sature (saturations > à 0,40) les items qui concernent le fait de sortir avec quelqu’un, d’avoir une relation sérieuse, d’avoir des contacts physiques, de rechercher de l’intimité et d’avoir déjà eu un rapport sexuel. Nous proposons de le nommer « Sortir avec quelqu’un » (plutôt que « Engagement comportemental dans la sexualité » : intitulé donné au facteur équivalent dans la précédente étude). Le deuxième facteur dont la valeur propre est de 2,8 explique 13 % de la variance. Il concerne des items qui posent la nécessité de s’aimer avant de sortir ensemble ou d’avoir une relation sexuelle et concerne également la fidélité. Nous proposerons de l’appeler : « Privilégier l’amour » (plutôt que « Amour et fidélité »). Le troisième facteur dont la valeur propre est égale à 1,6 explique 7 % de la variance totale. Il est en relation avec la recherche de compagnie d’un partenaire et de son contact physique afin d’avoir une relation sexuelle lorsqu’elle sera possible. Nous le nommons « Draguer en espérant avoir des relations intimes » (plutôt que « Goût de draguer »). Les alphas de Cronbach sont respectivement de 0,79 ; 0,70 et 0,66. Ces trois facteurs comportent 12 des 13 items de la version initiale, chacun dans leur dimension respective antérieure (saturation > 0,40). L’item « J’aime draguer les filles/garçons » est commun au premier et au troisième facteur ; ceux-ci étant corrélés entre eux : 0,43, p < 0,001. Afin d’avoir un instrument final plus court et de favoriser l’orthogonalité entre facteurs, nous proposons de ne retenir que les items saturés fortement par les facteurs (> 0,50) (Tableau 1). On notera que dans ce cas, les facteurs I et III ne sont plus que très faiblement corrélés (0,04 ; p < 0,05). Nous avons testé cette solution par une analyse confirmatoire [14] qui recherche l’adéquation du modèle retenu (trois dimensions qui saturent 15 items > 0,50) aux données. Le résultat est le suivant : Chi2 de 162 avec 87 degrés de liberté (ddl), p < 0,001 ; Goodness of fit index (GFI) de Joreskog de 0,91 et indice d’ajustement de parcimonie estimé par le Root mean square error of approximation (RMSEA) de 0,05. Les valeurs de ces indices témoignent d’une bonne adéquation du modèle retenu. À l’issue de ces analyses, nous sommes en mesure de proposer un questionnaire de taille réduite (15 items), structuré en trois dimensions : • « Sortir avec quelqu’un » (six items). • « Privilégier l’amour » (cinq items). • « Draguer en espérant avoir des relations intimes » (quatre items) (Tableau 2). Les coefficients de Cronbach sont 0,77 ; 0,68 et 0,66. Ce nouveau questionnaire comprend neuf des 13 items de la version initiale (chacun dans sa dimension d’origine, avec des saturations > 0,50). Analyse en fonction du genre et de l’âge À partir de l’échelle de sexualité ainsi définie (15 items), nous avons comparé les résultats des filles et des garçons pour les trois sous-échelles qui la composent. Il n’existe aucune différence significative pour « Sortir avec quelqu’un » (0,47 pour les filles versus 0,46 pour les garçons, NS). Il existe en revanche une différence pour « Privilégier l’amour » (0,87 pour les filles versus 0,80 pour les garçons, p < 0,05) et surtout pour « Draguer en espérant avoir des 38 Figure 1 R. Courtois et al. Comparaison des trois dimensions de la sexualité à la prime adolescence en fonction du genre et de l’âge (quartiles). relations intimes » (0,60 pour les filles versus 0,76 pour les garçons, p < 0,001). Nous avons recherché également des modifications en fonction de l’âge (quartiles). Les résultats sont résumés dans la Fig. 1. Avec l’accroissement de l’âge, on constate l’augmentation des scores de « Sortir avec quelqu’un » pour les filles comme pour les garçons (p < 0,05) ; la baisse des scores « Privilégier l’amour » (uniquement significative pour les filles, p < 0,05 pour lesquelles la baisse est plus importante) et l’augmentation des scores « Draguer en espérant avoir des relations intimes » (uniquement pour les garçons, p < 0,05). Discussion Nous avons obtenu à l’issue d’une analyse factorielle exploratoire et confirmatoire, une échelle de sexualité à la prime adolescence qui présente de bonnes qualités psychométriques. Le questionnaire final de 15 items est structuré en trois dimensions particulièrement significatives de la sexualité à cette période (12 à 15 ans) : • « Sortir avec quelqu’un » . • « Privilégier l’amour » . • « Draguer en espérant avoir des relations intimes ». Ce travail est la poursuite d’une précédente étude sur l’ébauche de construction et de validation d’un questionnaire sur la sexualité à l’adolescence qui avait été menée sur un échantillon de collégiens de classe de troisième uniquement [8]. Il est réalisé sur un échantillon plus large et plus représentatif de la période de la prime adolescence et permet de retrouver l’essentiel de l’étude antérieure. Neuf des 13 items initiaux sont repris dans ce questionnaire final de 15 items. Les dimensions sont sensiblement les mêmes, mais on observe une modification des libellés qui n’est pas seulement due à l’ajout de quelques items nouveaux, mais surtout à l’âge différent des répondants qui sont plus jeunes : 13,8 en moyenne au lieu de 15,5 années dans l’étude antérieure. On sait qu’il se produit des changements importants entre les attitudes et comportements des élèves de quatrième et de troisième. Pour illustrer ce « saut », on peut rapporter le résultat d’une étude menée auprès de l’ensemble des élèves d’Indre-et-Loire [17] qui mettait en évidence que 1/5 des garçons à 15 ans contre un tiers à 16 ans, déclaraient avoir eu une relation sexuelle pour respectivement 1/10 et 1/5 des filles aux mêmes âges. Dans la première dimension (« Sortir avec quelqu’un ») où on retrouve en final quatre items initiaux sur six retenus, c’est surtout la saturation de ces items (par le facteur) qui est sensiblement modifiée : la relation sexuelle est moins saturée que précédemment, alors que les items en rapport avec le fait de sortir avec quelqu’un et la nature de cette relation sont davantage mis en avant. On rappellera que la notion de « sortir » employée par les adolescents est susceptible de changer avec l’âge. Ce peut être la simple évocation d’un flirt chez les plus jeunes, alors qu’il s’agira de signifier une relation avec un partenaire sexuel chez les plus âgés2 . L’approche différentielle en fonction du genre n’a pas mis en évidence de différence significative pour la première dimension. Ce qui se comprend mieux avec le fait qu’elle est davantage centrée sur le fait de sortir avec quelqu’un (seulement un item sur « la relation sexuelle »). Alors que si elle avait été un peu plus orientée sur l’engagement comportemental sexuel, on aurait sans doute eu des résultats sensiblement différents dans la mesure où celui-ci est plus valorisé socialement chez les garçons [9]. En revanche, on retrouve une différence entre les garçons et les filles concernant la deuxième dimension relative aux sentiments (« Privilégier l’amour »). Cela est conforme aux données de la littérature et témoigne indirectement du bon comportement de l’échelle (validité conceptuelle). Divers travaux ont mis en évidence depuis longtemps une dichotomie des comportements et des sentiments à l’adolescence en fonction du genre : tendance chez les garçons à un aspect plus « génitalisé » (ou érotique) de la sexualité par rapport aux filles, où elle est « sentimentalisée » ; autrement dit, il existe une prégnance des émotions, des relations sentimentales et une justification de la rencontre sexuelle par leurs sentiments amoureux pour les filles, alors que les garçons mentionnent d’abord le désir sexuel comme première motivation des relations sexuelles. Ce désir sexuel est pris en 2 Le premier auteur avait mené un travail en 1996 qui n’a pas donné lieu à publication sur une analyse de contenu des questions ouvertes portant sur les relations sentimentales à l’adolescence. Validation d’une échelle de sexualité à la prime adolescence compte dans la troisième dimension (« Draguer en espérant avoir des relations intimes »), ce qui explique la différence entre garçons et filles. Les garçons s’inscrivent dans une dimension plus expérimentale et exploratoire de la sexualité que les filles (en mettant en avant leur curiosité, le besoin de se rassurer quant à leur virilité, la découverte de leur corps et de celui de leur partenaire) [2,5,6,13]. Il est couramment connu que les conduites d’engagement sexuel augmentent avec l’âge [2,11], ce que vérifie la dimension « Sortir avec quelqu’un » dont les scores augmentent avec l’âge. On pourrait rapprocher cette approche développementale de l’idée d’un gradient global du développement psychosexuel, selon lequel les conduites sexuelles s’ordonneraient d’un point de vue développemental, en une succession d’étapes depuis les premières sorties (dating) jusqu’aux rapports d’intimité physique partagée (qu’il y ait ou non-relation sexuelle). Au total, outre son intérêt psychométrique, le fait que l’échelle obtenue par cette étude permette d’opérationnaliser la sexualité à la prime adolescence sur trois dimensions différenciées et complémentaires (concernant l’intérêt pour la sexualité, les émotions et la relation) est important d’un point de vue développemental et en termes d’évaluation des comportements de santé, voire des prises de risque. En effet, la première dimension (« Sortir avec quelqu’un ») traduit l’entrée dans la sexualité et met en évidence que l’intensité de la sexualisation des relations augmente globalement avec l’âge ; la troisième dimension (« Draguer en espérant avoir des relations intimes ») traitant de la question de la séduction avec intentionnalité de relation sexuelle, concerne plus particulièrement les garçons et augmente avec l’âge ; tandis que la deuxième dimension (« Privilégier l’amour »), clairement en rapport avec les sentiments à l’adolescence, concerne plus particulièrement les filles et baisse plutôt avec l’âge (dans notre échantillon). Les approches actuelles de la sexualité distinguent les relations amoureuses (courant « tendre ») des relations sexuelles (courant « sexuel » ou « génital » dans lequel domine le désir sexuel plus ou moins dénué de sentiments amoureux) ; cela afin de mieux étudier leurs interactions [13], mais aussi la recherche d’un équilibre entre eux [1]. L’amour romantique favorise les relations stables et les comportements responsables en termes de sexualité [3]. À l’inverse, les relations « génitales » vont s’accompagner davantage de prises de risque sexuel. Ainsi, le fait d’avoir une sexualité précoce va favoriser une dissociation de la vie affective et de la sexualité avec une tendance « à génitaliser » les relations sexuelles et à avoir à l’âge adulte un changement plus fréquent des partenaires, sans y associer une préoccupation plus grande de protection vis-à-vis des infections sexuellement transmises (IST) [4,15]. La sexualité précoce est également associée à des prises de risque telles que l’usage d’alcool et de cannabis, des ivresses plus nombreuses et des difficultés scolaires plus fréquentes [11,19]. Ainsi, l’usage de cette échelle, couplée ou non à l’analyse individuelle des items la composant pourrait permettre d’appréhender la sexualité à la prime adolescence dans trois dimensions significatives du développement psychosexuel, mais également en termes de sexualité à risque : intérêt trop marqué pour la sexualité génitale, engagement comportemental et rapport sexuel précoce ou encore l’absence des sentiments. 39 Conflits d’intérêts Aucun. Remerciements Nous remercions vivement les chefs d’établissements et les élèves des quatre collèges Léonard de Vinci à Tours Nord, Lamartine et Rabelais à Tours et Pablo Neruda à Saint-Pierre des corps, pour avoir permis la réalisation de ce travail. Références [1] Arnett JJ. Emerging adulthood: a theory of development from the late teens through the twenties. Am Psychol 2000;55(5):469—80. [2] Bajos N, Bozon M, Beltzer N, et al. Enquête sur la sexualité en France : pratiques, genre et santé. Paris: La Découverte; 2008. [3] Boyce W, Maryanne D, Fortin C, et al. Canadian Youth, sexual health and HIV/AIDS Study, factors influencing knowledge, attitudes and behaviours. Canada: Council of Ministers of Education; 2003. [4] Bozon M. L’entrée dans la sexualité adulte : le premier rapport et ses suites. Du calendrier aux attitudes. Population 1993;5:1317—52. [5] Breakwell GM, Millward LJ. Sexual self-concept and sexual risktaking. J Adolesc 1997;20:29—41. [6] Carroll JL, Volk KD, Hyde JS. Differences between males and females in motives for engaging in sexual intercourse. Arch Sex Behav 1985;14(2):131—9. [7] Courtois R. Conception et définition de la sexualité. Ann Med Psychol (Paris) 1998;156:613—20. [8] Courtois R, Mullet E, Bariaud F, et al. Un questionnaire sur la sexualité à l’adolescence. Psychol Psychom 1998;19(4):43—63. [9] Crawford M, Popp D. Sexual double standards: A review and methodological critique of two decades of research. J Sex Res 2003;40(1):13—26. [10] Escofier B, Pagès J. Analyses factorielles simples et multiples : objectifs, méthodes et interprétation. Paris: Dunod; 1990. [11] Godeau E, Vignes C, Duclos M, et al. Facteurs associés à une initiation sexuelle précoce chez les filles : données françaises de l’enquête internationale Health Behaviour in School-aged Children (HBSC)/OMS. Gynecol Obstet Fertil 2008;36:176—82. [12] Goergen R. Cost effective and easy to handle methods for program design and evaluation in sexual and reproductive health programs for youths. Available on CD-ROM: Documents of the Reproductive Health Project — Tanzania Eschborn Deutsche: Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit; 2000. Report No.: GTZ-PN96.2526.0—001.00 Contract No.: Document Number. [13] Gonzaga GC, Turner RA, Keltner D, et al. Romantic love and sexual desire in close relationships. Emotion 2006;6(2):163—79. [14] Jöreskog KG. Sörbom D. LISREL 8 User’s Reference Guide. 2 ed. Chicago, IL: Scientific Software International, SPSS; 1996. [15] Lagrange H, Lhomond B. L’entrée dans la sexualité. Le comportement des jeunes dans le contexte du Sida. Paris: La Découverte; 1997. [16] Lydié N, Léon C. Sexualité, IST et dépistage du VIH. In: Guilbert P, Gautier A, editors. Baromètre santé 2005 : pemiers résultats. Inpes: Saint-Denis; 2006. p. 109—17. [17] Moltrecht B, Pancaldi C, Charton D, et al. 7 heures pour la vie : prévention des MST et du SIDA en milieu scolaire, 1987—1991. CFDSP: I0804 MOL P ed. Tours: Service de Santé Scolaire d’Indre et Loire; 1996. 40 [18] O’Sullivan LF, Brooks-Gunn J. The timing of changes in girls’ sexual cognitions and behaviors in early adolescence: a prospective, cohort study. J Adolesc Health 2005;37(3):211—9. [19] Pitts M, ARCSHS, Rosenthal D, et al. Young people, sexual practice and meanings. In: Aggleton P, Ball A, Mane PN, editors. Sex, R. Courtois et al. drugs and young people: international perspectives. New York: Routledge; 2006. p. 65—83. [20] Seal DW, Bloom FR, Somlai AM. Dilemmas in conducting qualitative sex research in applied field settings. Health Educ Behav 2000;27(1):10—23.