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CULTURE
Mardi 6 Juillet 2010
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NOUVEAU ROMAN DE LEILA SEBBAR
« Fatima ou les Algériennes
au square »
La romancière algérienne d’expression française vient de faire paraître aux éditions
‘‘Elyzad’’ son tout dernier nouveau-né, intitulé « Fatima ou les Algériennes au
square ».L’histoire du roman relate les péripéties des ces Algériennes vivant dans la
banlieue parisienne de La Courneuve. Le roman suit les mésaventures de Fatima
qui, un soir, ‘‘battue par son père pour être rentrée trop tard à la maison, Dalila,
beurette de 15 ans, s’enferme volontairement dans la chambre de ses frères.
lle y reste huit
jours, le temps
de prendre la
décision
de
fuguer. Elle est
en rupture de
ban avec ses parents, sa mère
Fatima surtout. Mais durant sa
claustration, lui reviennent les
souvenirs des après-midi au
square quand elle accompagnait
Fatima retrouver les voisines
algériennes. Les femmes bavardent, et la parole libre passe de
la joie à la détresse, du rire à la
complicité. Ensemble, elles
affrontent les violences de la
cité, l’éducation des filles, les
conflits entre leurs croyances et
les usages en France.’’. Le
roman est en fait une peinture
réaliste et émouvante des femmes immigrées des années 80,
contant le quotidien amer de
l’héroïne Fatima et de ses amies
dans les cités dans l’Hexagone.
Dans un entretien au quotidien
tunisien La Presse , la romancière Leila Sebbar a déclaré : «
L'affectif, ‘‘l'?dipe linguistique’’,
la figure symbolique de la mère
et surtout celle du père, que ce
dernier soit absent, ambivalent
ou libérateur, ont, évidemment,
un rôle majeur dans la formation
de l'enfant. Ils caractérisent l'écriture de plusieurs voix maghré-
E
bines confrontées au problème
de l'exil. Chez Leïla Sebbar, par
exemple, écrivaine de père algérien et de mère française, émigrée en France depuis sa prime
enfance, cela se traduit par la
recherche, à travers ses personnages, de la langue paternelle
comme l'illustre sa série de textes intitulée L'arabe comme un
chant secret (Editions Bleu
autour). Pour étayer cette affirmation, la sociologue Dalila
Arezki interprète la recherche de
cet ‘?dipe linguistique' comme
un état de manque : « Dans
cette exhortation à maintenir
vivante la langue des racines,
l'arabe, à la transmettre de
génération en génération, Leïla
Sebbar exprime ce manque
qu'elle ressent. Il lui permet de
comprendre, certes, mais peutêtre pas de rejoindre l'autre,
aimé, à commencer par le père.
Ainsi, elle souligne son besoin
d'être “dedans”. C'est là que l'identité cesse d'être flottante».
(Dalila Arezki, Romancières
algériennes francophones : langue, culture, identité, Séguier,
Paris, 2005, p.123) Il faut rappeler que « Leïla Sebbar a été la
directrice d'un certain nombre
d'ouvrages collectifs dont Mon
père ( La Presse du 2 avril
2007), édité par la maison d'édi-
tion Chèvrefeuille étoilée de
Montpellier, ouvrage qui a réuni
trente et une contributions de
femmes, exclusivement, portant
sur le thème du père. Elle y a
même signé une nouvelle, ‘‘Il
chante en arabe’’ : un chant nostalgique entendu un jour dans la
rue et qui déclenche un retour
vers l'univers ludique de l'enfance, rappelant à l'auteur une
mélodie orientale que son père
chantonnait en se rasant : «Vers
la lumière, la brise de l'enfance…». Dans ce cadre, et à propos de son roman « Mon cher
fils » la romancière a déclaré : «
Vous nous avez un jour écrit : «
Je ne me sens pas un écrivain
‘engagé' au sens sartrien. Je me
sens dans mon siècle plus simplement.» Que pouvez-vous dire
aujourd'hui à la lumière de votre
nouveau roman, Mon cher fils ?
Quelles sont donc vos motivations ? Est-ce la fin d'un cycle ou
un simple prolongement ? Elle
ajoute : « J'ai commencé à
publier des articles dans des
revues et ensuite des essais. Le
premier roman que j'ai publié
s'appelle Fatima ou les Algériennes au square. C'était autour
d'un personnage de la première
génération de femmes maghrébines. Ces femmes se réunissaient pour bavarder. Fatima ou
Les Algériennes au Square c'est
un petit peu comme les femmes
dans le patio, dans la cour de la
maison. J'ai, depuis, écrit des
nouvelles, des romans, des
essais, des récits de voyage ;
j'ai publié en tout une trentaine
de livres. Non, « Mon cher fils »,
d'une certaine manière,
ne ferme pas un cycle,
mais cela m'amuse d'arriver aujourd'hui en
2009, alors que j'ai commencé à publier en
1978/1979. Fatima est la
première, la première
femme dans la littérature
française, maghrébine,
algérienne et dans Mon
cher fils, il s'agit d'un
homme, un ‘‘chibani’’de la première génération qui a travaillé
pendant trente ans en usine, à
l'usine Renault-Billancourt, dans
l'île Seguin, à Boulogne. Donc je
mets en scène, encore une fois,
à l'intérieur de la littérature française, -parce que ce roman
s'inscrit à l'intérieur de la littérature française-, ce ‘‘chibani’’ qui
a vécu trente ans de sa vie en
France, dans l'émigration, dans
l'usine, dans une usine qui était
immense ; c'était une usine d'automobiles -phare de l'industrie
française. S’exprimant sur l’apparente banalité, selon La Presse , du quotidien où se profile
une réalité spécifique, celle de la
culture et des traditions maghrébines et se conséquences, elle
avoue : « Oui, ce personnage,
cet homme a longtemps vécu en
France ; il a eu une famille ; il a
épousé une Algérienne, bien
sûr, je ne sais pas si c'est sa
cousine exactement mais ça
pourrait être. Il a eu sept filles et
un fils ; sept filles, c'est beaucoup mais le garçon est arrivé.
Dans l'enfance du fils, le père a
été, d'une certaine manière, un
père absent ; absent parce qu'il
ne fait que travailler, il travaille
pour sa famille, il travaille dur, le
travail à l'usine n'est pas un travail facile ; il n'a fait que cela. De
temps en temps il rencontre des
amis au café, à l'usine, des
ouvriers comme lui. Sa famille,
c'est plutôt l'usine que sa propre
famille si vous voulez ; parce
qu'il passe plus de temps à l'usine que dans sa maison. La mai-
son, c'est la maison de la femme
; la maison de la femme, c'est la
maison des enfants. De temps
en temps, avec son fils, le
dimanche, cet homme va voir un
ami qui a un jardin –ouvrier ; les
jardins-ouvriers sont de petits
jardins à la périphérie des villes
qu'on loue aux ouvriers ; on y
cultive des légumes, des légumes du pays, qui poussent
bien… Et le dimanche aussi il va
jouer au loto… ou au tiercé à
l'époque ; il emmène son fils ; il
faut dire que cet homme est
analphabète ; son fils qui fréquente l'école française l'aide.
C'étaient des moments heureux
dans la vie de cet homme. A un
moment donné, il essaye de
faire apprendre à son fils la langue arabe puis le Coran mais en
vain ; le fils n'est guère enthousiaste et le maître d'arabe un
piètre pédagogue ; l'enfant a
finalement abandonné. Les
années passent. Le père revient
en Algérie, seul. Ni son fils, ni sa
femme, ni ses filles n'ont accepté de le suivre. » Et qu’en pensent les femmes du retour, la
romancière répond : « Souvent
les femmes qui ont des enfants
veulent rester en France. Si la
femme de temps en temps
pense à retourner au pays c'est
pendant les vacances.
On y va pour revoir la famille
et puis c'est pour la mort… la
mort, plutôt pour cette première
génération ; pour être avec les
siens dans le cimetière. Il y a
des agences spécialisées pour
cela.... Dans Mon cher fils notre
homme veut revenir au pays
avant sa mort. Là, en Algérie, il
vit seul dans une petite maison
face à la mer. Moi, je crois qu'il
est content d'une certaine façon,
d'être dans cette maison, d'être
en face de la mer ; il est content,
il est bien. »
Elle relance de but en blanc
sur le rôle de la relation d’amitié
et la communication qui relie
tous ses écrits sur les différentes situations que vivent les femmes immigrées en disant : « Il
s'établit une relation d'amitié
mais aussi de complicité et on
comprend alors qu'il est très
malheureux, en plein désarroi : il
n'a plus de nouvelles de son fils
depuis longtemps. Ses filles ne
donnent plus des nouvelles de
leur frère; la mère, non plus, ne
lui donne plus des nouvelles de
son fils. » A propos de ses préoccupations sur son pays, l’Algérie, ses drames, sa situation
douloureuse, elle affirme : «
Non, pas toujours l'Algérie mais
l'Algérie est là ; c'est vrai ; car j'y
ai vécu mon enfance et mon
adolescence ; et puis j'ai un père
algérien ; donc l'Algérie est
importante pour moi ; c'est la
moitié… de moi ; donc elle est
là… »
De Paris, Hakim HADIDI