une illustration par la guerre des taxis contre les VTC
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une illustration par la guerre des taxis contre les VTC
ENS LYON – SESSION 2016 - ECONOMIE EPREUVE COMMUNE SUR DOSSIER : ORAL Jury : Marie Eyquem-Renault et Claire Silvant A L’ATTENTION DU (DE LA) CANDIDAT(E) Vous devez impérativement : 1- écrire lisiblement vos noms et prénoms, 2- signer, ci-dessous, 3- remettre votre sujet au jury et lui présenter votre pièce d’identité munie d’une photographie. Nom : Prénom : Signature : Sujet : Du bon usage des licences : une illustration par la guerre des taxis contre les VTC Document 1 : Guillaume ALLEGRE, « VII/ Taxis, VTC : à qui profite la rente ? », L'économie française 2015, Paris, La Découverte, «Repères», 2014, 128 pages. Extrait. Document 2 : Marc CHEVALLIER « Taxis : l’innovation rebat les cartes », Alternatives Economiques, n° 333, mars 2014. Extrait. Document 3 : Romain RENIER, « Uber : innovation ou concurrence déloyale ? », Alternatives Economiques, n° 345, avril 2015. Extrait. Document 1 : La réglementation des taxis est justifiée par le caractère intrinsèquement non concurrentiel du secteur, notamment sur l’activité de maraude. Il est en effet difficile de faire jouer la concurrence au moment où l’on hèle un taxi dans la rue. De plus, le pouvoir de négociation des clients est trop important en heures creuses, et celui des chauffeurs trop important en heures de pointe : théoriquement, en l’absence de régulation, le marché pourrait s’effondrer. En pratique, la libéralisation du secteur conduit généralement à un excès d’offre : des chômeurs peuvent vouloir exercer pour des revenus bien inférieurs au SMIC, ce qui pose en outre des problèmes de sécurité. (…) En contrepartie du monopole sur la maraude, le taximètre est obligatoire et la tarification. La limitation du nombre de licences de taxi a pour objectif de soutenir le revenu des taxis indépendants et d’éviter qu’ils travaillent trop d’heures par jour pour atteindre un revenu décent. Dans ces conditions, il est aberrant d’avoir permis que ces licences soient cessibles et d’avoir laissé leur prix augmenter en ne délivrant pas de licences supplémentaires entre 1990 et 2002 (alors que, par exemple, dans le même temps, le nombre de passagers dans les aéroports de Paris a augmenté de 49 %). (…) Les VTC (voitures de tourisme avec chauffeur), eux, déboursent au maximum 150 euros pour obtenir leur licence. Historiquement, la différence se justifie par le fait que VTC et taxis n’ont pas la même activité : les VTC fonctionnent uniquement par réservation, ce qui justifie une régulation différente. Mais la distinction entre maraude et réservation a tendance à disparaitre : l’activité des taxis se fait de plus en plus par réservation tandis que la réservation immédiate sur smartphone s’apparente à de la maraude. Si taxis et VTC ont la même activité, il est difficile de justifier la différence de prix entre les licences de taxi et de VTC. Celle-ci ne serait équitable pour ceux qui ont acheté une licence que s’ils sont certains de pouvoir la revendre à une valeur qui correspond au prix d’acquisition plus les intérêts. En ce sens, le combat des acquéreurs récents de licences pour préserver leur valeur patrimoniale est compréhensible : la préservation de cette valeur rétablit l’équité entre taxis et VTC. Mais, pour stabiliser la valeur des licences, il faudrait préserver le monopole des taxis sur la maraude (y compris électronique), par exemple en imposant un délai aux VTC entre la réservation et la prise en charge. Or les arguments des défenseurs de l’ouverture du marché sont également recevables : l’offre de taxis est certainement trop faible par rapport à la demande (ce qui se reflète justement dans la valeur des licences) ; le manque de concurrence ne favorise pas l’apparition d’offres différenciées en termes de qualité de service (paiement en carte bancaire, nonrefus de prise en charge…) ; il se fait au profit d’un acteur dominant (G7). L’erreur initiale est bien d’avoir donné, en 1973, le droit aux taxis de revendre des licences qui leur avaient été attribués gratuitement. La deuxième erreur est d’avoir laissé le prix de ces licences exploser en les attribuant en nombre nettement insuffisant. (…) Document 2 : Il aura fallu l’annonce par le gouvernement, le 13 février, du gel temporaire des nouvelles immatriculations de voitures de tourisme avec chauffeur (VTC) pour apaiser la colère des taxis et les décider à mettre fin à une grève qui perturbait depuis plusieurs jours la circulation en Ile-deFrance. Ce gel devrait durer deux mois, le temps que la « mission de concertation » mise en place par le gouvernement fasse des propositions afin de « définir les conditions durables d’une concurrence équilibrée entre les taxis et les VTC». Nouvelles concurrences L’origine du conflit remonte à 2008, avec la préconisation par le rapport Attali d’une déréglementation des taxis, afin d’étoffer l’offre de transport individuel. Sans doute pour éviter d’avoir à dédommager les chauffeurs de taxis qui avaient acheté leur licence à un prix élevé (230 000 euros en moyenne à Paris), le gouvernement de l’époque avait préférée contourner le problème en créant la catégorie des VTC : ceux-ci sont autorisés à fournir des prestations de transport, à condition qu’elles aient fait l’objet au préalable d’une réservation. Afin d’éviter la concurrence frontale avec les taxis, les VTC n’ont en effet pas le droit au « maraudage », c’est-à-dire de prendre des clients dans la rue. Dans la pratique cependant, les applications pour smartphones développées par les sociétés de VTC, en permettant la localisation rapide du conducteur le plus proche, ont miné ce privilège des taxis. Lesquels n’ont cessé de se plaindre d’une concurrence déloyale, au point d’obtenir du gouvernement en décembre dernier qu’il impose un délai de quinze minutes entre la réservation d’un VTC par un client et sa prise en charge. C’est la décision du Conseil d’Etat d’invalider le décret du gouvernement mettant en place cette obligation, parce qu’il portait « atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie et à la liberté d’entreprendre », qui a mis le feu aux poudres. (…) Indemniser les taxis Si le respect des règles de la concurrence apparaît évidemment nécessaire entre tous les acteurs intervenant sur un même marché, l’innovation technologique a forcément pour effet de rebattre les cartes : l’essor des VTC et du covoiturage, grâce à l’Internet mobile, détruit le modèle économique des taxis, mais permet un enrichissement de l’offre de transport et, dans le cas du covoiturage, une utilisation plus rationnelle de la voiture individuelle. C’est pourquoi, plutôt que de chercher à freiner cette évolution, il vaudrait mieux cette fois se poser la question d’indemniser les taxis pour la perte de leur monopole. Document 3 : Le marché des taxis était certes bloqué, mais Uber ne doit pas tant son succès aux innovations technologiques qu'il apporte qu'au dumping fiscal et social qu'il exerce. La bataille des modernes contre les anciens ? Ces derniers mois, nombre de pays, au rang desquels la France, la Corée du Sud, l'Allemagne, l'Espagne et l'Inde, ont engagé un bras de fer avec Uber, qui propose un service de transport de personnes par des chauffeurs amateurs. Dernier avatar de ce conflit dans l'Hexagone, la plainte déposée par la start-up californienne auprès de la Commission européenne. Selon Uber, la France enfreindrait les règles européennes sur la liberté d'entreprise en interdisant depuis le 1er janvier dernier UberPop, son service de transport. Depuis son arrivée en France, Uber se pose en effet en défenseur de l'innovation. L'entrée de la société sur le marché bouscule une corporation des taxis qu'elle considère comme inadaptée et injustement protégée par la réglementation. Des arguments qui portent, au vu de la progression des tarifs des taxis, plus rapide que l'inflation, et de la faible évolution du nombre de licences ces dernières années, au détriment de la disponibilité du service pour les usagers. Mais la start-up, comme nombre de ses consoeurs de la Silicon Valley, use aussi de méthodes souvent à la limite - voire en dehors - de la légalité. Elle s'octroie ainsi un avantage compétitif qui lui permet d'écraser la concurrence. Le face-à-face Taxis-VTC En France, le début du feuilleton remonte à 2008. A l'époque, le rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, présidé par Jacques Attali, préconisait de libéraliser le secteur Indice des prix à la consommation en France métropolitaine, base 100 = 1998 des taxis afin d'augmenter l'offre de transport dans les grandes agglomérations. Sous la pression desdits taxis, le gouvernement d'alors n'avait pas donné suite. Selon la loi de l'offre et de la demande, augmenter le nombre de licences aboutirait en effet à en faire baisser le prix alors qu'un grand nombre de chauffeurs de taxi a dû l'acheter fort cher et chacun compte s'assurer une retraite en la revendant en fin de carrière. A Paris, une licence de taxi vaut en effet en moyenne 230 000 euros. L'indemnisation de l'ensemble des seuls taxis parisiens reviendrait entre 3 et 4 milliards d'euros, trop cher pour un Etat en difficulté budgétaire. "Nous étions face à un phénomène de capture du régulateur. Ce dernier est en charge de délivrer les licences, et le seul lobby qu'il avait face à lui était celui des taxis", explique Guillaume Allègre, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Le gouvernement avait finalement trouvé une parade avec la loi Novelli de juillet 2009 créant une nouvelle catégorie de transporteurs, les véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC). Ceux-ci sont autorisés à fournir leurs prestations à condition d'avoir fait l'objet d'une réservation préalable. L'objectif : préserver le privilège du "maraudage" des taxis, c'est-à-dire la possibilité de prendre les clients à la volée. Mais la généralisation des smartphones et de la géolocalisation permet, grâce aux applications fournies par les sociétés du secteur, de faire en quelque sorte de la "maraude électronique" via leur système de réservation. En pratique, les VTC sont dès lors entrés en concurrence frontale avec les taxis. Nombre moyen de courses par taxi à San Francisco