Mondialisation Politique

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Mondialisation Politique
 Mondialisation politique
Mondialisation politique et utopie
Il n’est plus ridicule de parler de « mondialisation ». Le mot fait maintenant
partie du vocabulaire courant. Les effets de la crise financière et de la dépression nous
rappellent tous les jours que la « mondialisation financière » et la « mondialisation
économique » sont des phénomènes avec lesquels il faut compter. On parle en
revanche moins volontiers de « mondialisation sociale » alors qu’il s’agit là de
problèmes aussi concrets que les « délocalisations » et la déflation salariale. Et on ne
parle pas du tout de « mondialisation politique », bien qu’il s’agisse là du problème le
plus important et le plus urgent.
Les raisons de la méfiance à cet égard sont multiples. Les problèmes politiques
à l’échelle de la planète sont d’une très grande complexité, et le « dépassement des
Etats-nations » paraît d’une ambition démesurée. On qualifie volontiers d’utopique
toute expression qui risque d’évoquer l’idée que cette question devrait être explorée.
Les Anglo-Saxons utilisent l’expression « gouvernance mondiale » qui ne signifie
exactement rien. En fait l’hypocrisie la plus totale règne en ce domaine et il est urgent
de la dénoncer.
Le dépassement des États nations est en réalité l’entreprise la plus nécessaire si
l’on souhaite être en mesure d’établir une société plus juste et plus humaine que celle
que nous connaissons, C’est une entreprise réaliste qui est aujourd’hui commencée.
Son succès est indispensable pour permettre le progrès de la paix, de la liberté, de la
prospérité et de la justice sociale. Aucune doctrine ne saurait être qualifiée
« d’humaniste » si elle n’inclut pas cet objectif dans son programme d’action. Il est
donc urgent de détruire les fausses idées qui continuent d’encombrer les esprits et de
décrire les mécanismes qui peuvent permettre d’élaborer à cet égard une stratégie
réaliste et efficace.
Les idées fausses
Les idées fausses sont très nombreuses, Elles s’imbriquent de façon cohérente
les unes dans les autres. Elles concernent plusieurs idéologies qui se côtoient en
matière de droit international, de « sécurité collective », de nationalisme, de
néolibéralisme et de libre-échangisme.
Le droit international, tel qu’il est actuellement formulé dans des conventions
internationales représenterait un acquis important et irremplaçable pour l’humanité,
même s’il n’est pas respecté dans de très nombreux cas. Or en dépit de la sagesse et du
savoir des juristes internationaux, il n’est que le reflet d’une conception très
conservatrice des relations entre les peuples et d’un ensemble de « vœux pieux ». Son
principe le plus fondamental est que les Etats-nations, indépendants et souverains, sont
la forme la plus élaborée de l’organisation de la société mondiale, la plus naturelle en
quelque sorte. La Charte de l’ONU ajoute même à cette conception celle de « l’égalité
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souveraine des États ». Il en résulte que les efforts de « dépassement » de cette
structure ne pourraient être que modestes et très lents. L’idée d’un État mondial serait
absurde ou au moins totalement utopique. Les formes de coopération internationale
actuellement existantes, c’est-à-dire l’ONU et les organisations mondiales, seraient
rationnelles et représenteraient l’effort maximum possible en la matière.
Sans doute y aurait-il place pour quelques réformes afin d’adapter ces
organisations à une situation politique qui a beaucoup évolué depuis leur création.
Mais si ces améliorations sont inévitablement difficiles et très lentes, elles devraient
finir par être réalisées. L’exemple du Conseil de Sécurité de l’ONU, que l’on n’a pas
encore réussi à élargir, comme il serait souhaitable, vient sans doute à l’esprit, mais il
n’en existerait pas moins une « communauté internationale » qui se manifesterait
utilement en cas de crise ou de menaces pour la sécurité internationale. Si bien qu’en
l’absence même de structures parfaites, la « sécurité collective » serait tout de même
assurée, grâce à l’accord des principaux pays développés qui ne se font plus la guerre
entre eux et dont les forces armées, unies par des alliances, garantiraient le respect
d’une certaine « sagesse des nations ». Le développement du droit international, très
considérable dans les deux dernières décennies, notamment en matière
d’environnement et de régulation du commerce international, témoignerait du
développement du consensus entre les peuples du monde. Sans doute l’esprit du
multilatéralisme rencontrerait-il quelques objections, notamment des États-Unis
d’Amérique, qui refusent de respecter le protocole de Kyoto, et nombre de conventions
internationales, mais là encore la lenteur des progrès ne contredirait pas
fondamentalement une orientation irrésistible. De même la lenteur de
l’approfondissement de l’intégration de l’Union Européenne témoignerait-elle
seulement du fait que les États nations doivent demeurer la structure de base de l’ordre
international existant.
Cette vision de la situation internationale est sans aucun doute la partie la plus
dangereuse de l’idéologie réactionnaire qui soutient le système d’exploitation actuel.
La véritable situation Il n’existe tout d’abord pas de « communauté internationale » .Cette entité, qui
éprouve des sentiments d’horreur, de réprobation, de compassion, qui recommande à
l’occasion le respect des droits de l’homme, de la morale ordinaire ou de la
démocratie, qui condamne les infractions à ses propres conceptions, qui s’érige en
docteur de la loi commune, qui prend même des engagements qui ne pourront pas être
tenus, est évidemment purement mythique. Bien que quotidiennement utilisée par les
médias, ce concept cache la réalité qui est celle d’une « double hégémonie » des pays
riches sur les pays pauvres et des États-Unis sur l’ensemble de la planète, système qui
ne maîtrise pas l’anarchie mondiale et qui contribue au contraire à l’aggraver.
L’expression a pour objet de faire oublier que cette « communauté », ne représente en
fait que les pays riches, quand ils réussissent à se mettre d’accord sur tel ou tel
problème, pour commettre ensemble des erreurs comme d’avoir laissé se produire le
génocide du Rwanda ou soutenu des interventions aussi catastrophiques que celle en
Afghanistan.
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Ce qui existe, en fait, c’est une sorte de philosophie commune de la majorité
des gouvernements des pays riches à l’égard des pays pauvres, basée essentiellement
sur l’indifférence et sur un sentiment de supériorité qui autoriserait les politiques
néocolonialistes menées à leur égard, Il y a aussi entre les mêmes pays la conviction de
la nécessité de la force militaire pour maintenir l’ordre actuel, et, malgré quelques
réserves, un accord assez général sur l’idéologie néolibérale. Les Européens, les pays
du Commonwealth et le Japon suivent sur ces deux derniers points le « leadership »
américain. En revanche ce leadership est contesté en ce qui concerne l’attitude
agressive des États-Unis dans l’usage de la force pour soumettre les récalcitrants, et
leur unilatéralisme qui leur fait ignorer les règles les plus élémentaires du droit
international.
Les organisations mondiales existantes ne sont pas non plus des instruments de
coopération et de sécurité ayant quelque utilité. Le prestigieux Conseil de Sécurité de
l’ONU n’a jamais prévenu ou empêché aucune guerre. L’aide publique au
développement des pays pauvres est toujours restée insuffisante pour les aider à sortir
de leur misère. Les politiques « d’ajustement structurel » du Fonds Monétaire
International n’ont fait qu’aggraver les situations de pauvreté. Les promesses de la
Déclaration du Millénaire,- qui consistaient notamment en l’éradication de la pauvreté
et l’accès à l’enseignement primaire pour tous les enfants du monde, en 2 015 -, n’ont
pas été, et ne pourront pas être tenues. Les travaux de l’Organisation Mondiale du
Commerce, bien que bloqués pour l’instant, continuent de tenter d’instaurer un
système de libre-échange absolu, contraire aux intérêts de tous les pays, les plus
démunis, comme les plus riches. Alors que tous les problèmes deviennent mondiaux,
les institutions existantes font la démonstration de leur incapacité à aider à les
résoudre.
Les défauts du système existant d’organisations mondiales tiennent
essentiellement à l’archaïsme des conceptions qui ont présidé à leur création. L’idée de
« sécurité collective », née en 1919 à Versailles, et renouvelée en 1945, sous-entendait
que le monde était composé de bons et de méchants, que les pays les plus puissants
étaient aussi les plus sages, et qu’il revenait aux plus puissants d’entre eux de faire
régner la paix dans le monde (cf. document n° 5 sur une société sans guerre) On sait ce
qu’il en est advenu. Quant aux idées régnantes en matière de « développement », elles
n’ont inspiré jusqu’ici, quelle que soit leur pertinence théorique, que des politiques
d’aide hypocrites et dérisoires, conjuguées avec des conseils néolibéraux dévastateurs.
Cette hypocrisie doit être vigoureusement dénoncée. Le besoin d’une « gouvernance
mondiale » adaptée aux besoins du monde moderne exige un autre système
d’organisation de la planète.
La stratégie de dépassement des États nations
La crise financière et la dépression économique actuelle démontrent clairement
aujourd’hui le besoin de mesures qui ne peuvent être prises qu’au niveau planétaire. Il
n’est question que de la réforme du FMI et des ressources financières qui pourraient
ainsi être mobilisées. Il s’agit aujourd’hui de « sauver les meubles ». Il est cependant
clair que la prise de mesures d’urgence ne se situe pas dans une vision d’ensemble de
l’organisation de la planète. C’est la raison pour laquelle rien ne doit être négligé pour
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que les débats que ces mesures provoqueront éclairent l’opinion publique sur les
relations qui existent entre les problèmes quotidiens et la réponse mondiale qu’ils
exigent : en l’occurrence l’établissement de structures politiques planétaires et
l’insertion dans ces structures d’une dose croissante de démocratie.
L’attitude intellectuelle à l’égard des problèmes mondiaux est aujourd’hui la
suivante :
 L’existence du caractère mondial de très nombreux problèmes
(environnement, finances, économie, commerce, immigration, développement,
éducation, etc.) est reconnue de façon générale, mais cette constatation
n’entraîne pas la définition de politiques communes. La résistance des ÉtatsUnis d’Amérique à cet égard a été jusqu’ici la plus forte. Mais l’hypocrisie
demeure très générale.
 Les Européens ont entrepris depuis 50 ans, à l’échelle de leur continent le
dépassement des Etats-nations. Mais sous l’influence des idéologies
militariste, néolibérale et libre-échangiste cette entreprise est actuellement
ralentie, sinon compromise.
 En matière de sécurité internationale, l’abandon de l’entreprise de
rapprochement des conceptions du problème et de réduction des armements
qui avait été celle de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe
(CSCE) de 1972 à 1990 a représenté, en raison de l’insistance américaine et de
la faiblesse politique des pays européens un retour en arrière de très grande
ampleur. Cette tentative originale de remplacement de l’esprit militariste par
l’esprit de coopération, qui avait commencé à obtenir des résultats importants
a été détruite sous l’influence des complexes militaro-industriels. Le
« terrorisme international » est venu remplacer le « communisme
international » comme ennemi désigné (cf. . texte sur « Guerre et paix au
XXIe siècle). Il en résulte un blocage extrêmement grave des progrès possibles
en matière de dépassement des États – nations.
 La crise financière a contraint les gouvernements des pays riches à créer un
cadre de discussion et de coopération éventuelle incluant les grands pays
pauvres (Réunions d’un G 20). Mais le recours à un tel cadre n’a été accepté
qu’avec beaucoup de réticences. On continue à faire semblant de croire que les
deux systèmes actuels d’organisations mondiales, – système onusien et
système de Bretton Woods –, remplissent bien leurs missions. On commence à
admettre que le Fonds Monétaire International devrait être réformé et remplir
un rôle pus important, mais il n’existe aucun accord sur les méthodes à suivre.
 D’une manière plus générale le conservatisme est quelque peu ébranlé par la
crise financière et économique, mais l’on n‘envisage encore que des mesures
palliatives, et non l’abandon de l’idéologie officielle. Il reste cependant une
interrogation sur le renouvellement des idées reçues que pourrait apporter la
nouvelle administration américaine à partir de janvier 2009.
 Cette situation ne contient pas beaucoup de sources d’espoir. Dans la mesure
toutefois où la crise remet en question beaucoup de certitudes, l’affirmation
d’une doctrine claire et réaliste peut contribuer à remplacer les idées fausses
par une vision plus exacte du problème.
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Un schéma crédible
Il faut commencer par démontrer la possibilité de progrès en ce domaine : il
existe depuis un siècle des organisations mondiales qui fonctionnent mal ; il n’y a
aucune raison pour qu’il soit impossible de créer des organisations mondiales qui
fonctionnent mieux. Il faut ensuite définir le besoin principal en ce domaine : celui
d’une institution de concertation et de coopération planétaire plus crédible, plus
efficace et plus réaliste que l’ONU. Pour que cette institution puisse être pris au
sérieux par les grandes puissances il est indispensable qu’elle soit composée seulement
des États les plus importants par leur puissance économique ou par leur population,une quinzaine environ - quitte à offrir aux petits et moyens États une représentation
régionale -. Il faut qu’elle puisse traiter de tous les problèmes mondiaux, qu’il s’agisse
d’économie, de protection de l’environnement, ou de sécurité. Il faut en finir avec « le
dogme de l`égalité souveraine des États », en fait jamais respecté, mais totalement
irréaliste, (l’égalité de la Chine et du Liechtenstein !) et permettant l’existence
d’entreprises criminelles tels que les paradis fiscaux. Il faut en finir aussi avec le
dogme de la sécurité collective de type onusien et le remplacer par la recherche
patiente d’un rapprochement des points de vue sur la réduction des armements, les
mesures de confiance réciproques, bref par l’esprit qui avait animé l’expérience de la
CSCE, étendu à l’échelle planétaire.
L’élargissement de l’actuel Groupe des Huit à la Chine, à l’Inde, au Brésil, à
un pays représentant l’Afrique noire, et à un représentant des pays arabes serait un
premier pas dans la bonne direction. Il faudrait bien entendu se souvenir des erreurs
commises dans la conception des organisations mondiales actuelles et notamment
veiller à la qualité des personnels recrutés pour le secrétariat. Des consultations
devraient aussi être prévues avec les pays moyens et petits. Une telle institution peut
très bien être créée, sans qu’il soit nécessaire de toucher pour l’instant aux
organisations existantes.
Les questions qui devraient être mises à l’agenda du Groupe devraient inclure
pour les années à venir
1. Le retour à formule CSCE pour les questions de sécurité
2. La création d’un espace social mondial : méthodes d’information et de
rapprochement progressif de politiques sociales et système de protection visant la
concurrence déloyale. Transformation complète des principes qui président
aujourd’hui au fonctionnement de l’Organisation Mondiale du Commerce et de
l’Organisation Internationale du travail.
3. La réforme du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale
4. La destruction des paradis fiscaux.
5. L’insertion progressive d’une dose de démocratie dans le Groupe. Il s’agit là
d’un problème très difficile mais qu’il est indispensable de commencer à
résoudre. Ce sont les relations entre les peuples qu’il faut organiser. Le réseau
actuel de postes diplomatiques crée des relations entre diplomates chargés de
défendre « l’intérêt national » de chaque pays. Il est urgent d‘affecter quelques
ressources financières pour que les peuples se connaissent mieux : rencontres
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culturelles, échanges d’étudiants, contacts entre Parlementaires et entre
représentants de syndicats, enfin, pourquoi pas - embryon d’un Parlement
mondial.
6. La définition de « très grands projets communs » dans le domaine de la
recherche, de l’éducation, du développement des zones pauvres.
Conclusion.
Bien d’autres idées sont sans aucun doute possibles pour commencer la marche
en avant vers une démocratie planétaire. L’essentiel est d’offrir avec obstination une
vision crédible de l’avenir souhaitable.
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