Le conseil est devenu leur spécialité

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Le conseil est devenu leur spécialité
PERSPECTIVES & CARRIÈRES
Les entreprises de consulting courtisent les universitaires
Le conseil est
devenu leur spécialité
Les entreprises de consulting sont extrêmement appréciées par les universitaires
qui espèrent ainsi trouver un poste intéressant ou tout au moins de bonnes
perspectives de carrière. Il y a peu, une
ancienne de ces conseillères est même
parvenue à accéder au Conseil fédéral.
Mais d’où vient donc l’attrait de cette
branche? Et comment les conseillers fontils pour se profiler auprès de leur
clientèle? Agenda MT a effectué un petit
sondage à ce sujet.
plômés des sciences humaines et enfin les
médecins, étant entendu qu’on choisit en
l’occurrence les candidats les plus brillants.
Dans les années 1984 à 1994, le volume du
marché dans le conseil d’entreprises a
augmenté de cent pour cent, alors que le
nombre des conseillers s’accroissait de 47
pour cent, la tendance indiquant toujours
une forte hausse. Cette année, McKinsey devra pourvoir 60 à 70 nouveaux postes en
Suisse. Alors que 240 conseillers travaillent
déjà dans les bureaux de Zurich et Genève.
Entrevues et stress psychologique
Markus Hoffmann
Durant ses études déjà, notre interlocuteur
A la centrale de McKinsey Switzerland, située au numéro 3 de l’Alpenstrasse aux
abords de Zurich, des petites plantes d’appartement encombrent le passage. L’architecture est à la fois sobre et fonctionnelle,
des tableaux ornent les murs blancs, tandis
que d’épais tapis étouffent les pas. C’est ici
que Michael Schumacher (qui n’a rien à voir
avec l’autre!) passe environ 60 pour cent de
son temps de travail – qui atteint en
moyenne 60 heures par semaine – le reste
étant consacré aux déplacements auprès
des clients. Depuis peu, il peut se dire Engagement Manager, un titre qui correspond au
troisième degré dans la hiérarchie
McKinsey, même si les initiés du sérail
préfèrent parler d’équipe de Leadership . En
tant que Engagement Manager, il se voit
confier la responsabilité de tout un projet.
Son équipe est composée de «Junior Associates» et d’autres éléments affichant un peu
plus d’expérience.
Né en 1969, Michael Schumacher est ingénieur produits diplômé de l’Ecole polytechnique fédérale. En tant que scientifique, il fait partie avec les économistes des
universitaires les plus représentés chez
McKinsey. Suivent des juristes, puis les di-
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savait qu’il voulait travailler dans l’économie
et non pas dans la recherche. Des collaborateurs McKinsey l’ont interviewé durant une
journée lors du Recruitment Day. Ses aptitudes à structurer les problèmes et à les résoudre ont été vérifiées à l’aide de cas
d’école tirés de la pratique et qu’on lui a soumis aux fins d’y trouver une solution. Les
choses se sont passées de façon différente
pour Roger Riger (cf. encadré). Ses capacité
à faire office de conseiller auprès
d’Andersen ont été évaluées dans le cadre
d’analyses d’une journée, avec à la clef des
exercices de groupes durant lesquels il
s’agissait de mettre en évidence les forces
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communicatives et les faiblesses, sans oublier un test de stress auquel doivent également se soumettre les futurs pilotes. Une
avocate qui travaille également auprès
d’Andersen Consulting n’a dû en revanche
passer que par deux entrevues, complétées
cependant par une expertise graphologique.
Sa condition psychique a été évaluée à l’aide
d’un test de dessin. La brièveté de son parcours de candidature est lié au fait qu’elle a
été engagée en tant que spécialiste et non
pas en tant que polyvalente. En règle générale, les entreprises de consulting ne procèdent à une spécialisation qu’après un certain
nombre d’années. Et il s’agit dans un premier temps d’obtenir une expérience la plus
large possible par le biais de différents
projets.
C’est assurément l’une des raisons qui
font que ces entreprises sont si appréciées
des jeunes universitaires. «Il est ainsi possible de faire beaucoup de choses en peu de
temps. On est confronté constamment à de
nouveaux clients et problèmes, et tout cela
avec des remises en question exigeantes du
côté du top-management», souligne Michael
Schumacher en évoquant sa motivation à
travailler pour McKinsey. Roger Riger souligne lui aussi la diversité de son travail,
d’autant qu’on met également l’accent sur la
formation interne au sein de l’entreprise. Les
collaborateurs McKinsey sans formation en
économie d’entreprise ont la possibilité
d’acquérir le titre de MBAA ou de docteur en
économie d’entreprise, et ils se trouvent soutenus financièrement dans cet objectif. En
outre, deux à trois semaines d’entraînement
sont prévues chaque année, et ceci pas
seulement en début de carrière…
Densité du réseau
Les entraînements permettent de nouer des
contacts avec les collègues disséminés dans
le monde entier. Les conseillers Andersen se
rencontrent ainsi régulièrement au siège de
Chicago, un lieu qui permet de nouer des
contacts informels et d’échanger le savoirfaire. Des orateurs externes sont également
conviés pour l’occasion, et c’est ainsi que
Roger Riger a notamment déjà pu écouter
les propos de l’ancien ministre allemand
Hans-Dietrich Genscher.
La mise en réseau à l’échelle mondiale
crée de nombreuses possibilités de carrière
internationale et fait ainsi partie des raisons
justifiant la place privilégiée des trois grands
de la branche, à savoir McKinsey&Company,
Andersen Consulting et Boston Consulting
Group, parmi les étudiants européens. Ces
derniers sont présents partout – en tout cas
dans les pays les plus industrialisés – et entretiennent des contacts intensifs avec les
universités. Les étudiants en droit ou en économie de l’Université de Zurich reçoivent
par exemple chaque année au moins une invitation pour une rencontre destinée à présenter les entreprises.
Sans travail point de salut…
Certes, on n’est pas propulsé sans autre dans
l’élite du consulting. Les exigences suivantes
figurent parmi les plus mentionnées: esprit
d’initiative, capacité d’assimilation de la matière, approche analytique, motivation, aptitude de travailler en équipe, le tout assorti
d’une saine ambition. S’ajoutent, selon le
professeur d’économie André Wogemuth de
l’Université de Zurich, des connaissances
spécifiques, un certain bagage linguistique,
l’endurance, l’intégrité, la maturité émotionnelle, et enfin une réelle santé psychique
et physique. Le tout avec en toile de fond des
critères de performance: «Je travaille ici
avec des gens qui sont sur la même longueur
d’onde. Ils sont aussi motivés, ouverts à la
nouveauté, axés sur l’équipe et la performance», déclare Michael Schumacher.
On vérifie en général tous les trois à six
mois si vous répondez effectivement aux
exigences. C’est en effet à ce rythme qu’ont
lieu les entretiens de qualification. L’avocate,
qui vient de passer le cap de sa première
qualification, relève que le moment a été
«dur, mais juste». On ressent selon elle clairement où on n’est pas bon et ce qu’il faut
améliorer. Les résultats moyens ne sont pas
acceptés, et seul celui qui est très bon est assez bon. Si vous n’êtes pas en mesure de
fournir ce qu’on attend de nous, vous passerez non seulement un mauvais quart d’heure
lors des entretiens de qualification, mais une
ambiance beaucoup moins agréable régnera
également dans le travail. «Les choses prennent parfois certains traits du mobbing»,
déclare la jeune avocate employée auprès
d’Andersen Consulting.
Roger Riger considère qu’il n’est pas
seulement jugé par son supérieur direct,
mais également par des collaborateurs qui
connaissent son travail mais ne le connaissent pas personnellement. En outre, il est en
rapport avec une conseillère interne basée à
Francfort sur le Main et qui joue le rôle
d’une ombudswoman. Il peut s’adresser à
elle à tout moment s’il a des questions ou des
problèmes d’ordre personnel ou professionnel. Michael Schumacher insiste également sur l’atmosphère détendue auprès de
McKinsey où le tutoiement est de rigueur. Si
on a des questions, on n’a a pas à suivre la
voie hiérarchique car celle-ci n’existe pas.
Les structures de McKinsey ne sont pas rigides mais fluides.
Flexibilité et bonne prestance
Les consultants se montrent extrêmement
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flexibles dans les affaires, ce que les clients
leur attestent bien volontiers. Ils sont ponctuels, dignes de confiance, souverains dans
leur prestance, persévérants et précis lors
des réunions, comme le reconnaît un membre de la direction d’une grande banque aujourd’hui à la retraite. «Le déficit que les jeunes affichent dans la pratique est compensé
par leur intelligence.» Ils analysent les processus de travail et proposent des alternatives mais ils ont souvent déjà quitté l’entreprise lorsqu’il s’agit de passer aux choses
concrètes. Savoir si l’analyse est également
viable dans la pratique est une responsabilité souvent assumée par les collaborateurs
de l’entreprise mandataire. L’ancien directeur de banque revendique par conséquent
que les collaborateurs soient également présents lors de la mise en œuvre, car sinon,
«les choses s’enlisent». Michael Shumacher
rétorque que McKinsey a pris ce reproche au
sérieux il y a quelques années déjà, et que
maintenant de nombreux projets soutiennent cette phase concrète: «McKinsey ne
peut se payer le luxe d’essuyer des échecs
dans le cadre de ses rapports pour le moins
intensifs avec ses clients.»
Par ailleurs, beaucoup de ce qui a été
proposé par McKinsey repose déjà sur des
idées émises par les employés de la banque,
poursuit notre interlocuteur. Mais si les propositions sont formulées par un consultant
auréolé du label McKinsey, elles ont un impact autrement plus important auprès des
responsables. «Etant donné que les conseillers ruent dans les brancards, ils mettent certaines choses en branle, ils secouent le cocotier pour faire une place aux nouvelles
idées», souligne l’ancien banquier.
delà de ce que l’on peut cueillir à l’arbre de
la connaissance en gravissant un à un chacun des échelons de carrière d’une seule
branche».
Un vernis quelque peu mis à mal
Les journalistes américains James O’Shea et
Charles Madigan ont mis les consultants
dans leur collimateur, et leurs recherches de
deux ans ont donné matière à l’ouvrage
«Dangerous Company» dans lequel ils mettent sur la sellette la façon de travailler des
entreprises de consulting auxquelles les
membres des organes directoriaux prêteraient l’oreille apeurée des membres d’une
secte. Au moyen d’exemples concrets, les
deux auteurs montrent comment des entreprises de renom dépensent des millions
pour des services de conseil, et ce sans
succès visible. Le cas le plus célèbre est l’entreprise américaine AT&T, qui en quelques
années a englouti un demi milliard de dollars
dans le conseil sans pour autant améliorer
ses bilans.
«Chaque entreprise a les conseillers
qu’elle mérite», peut-on entendre auprès de
ceux qui ont déjà eu affaire à des consultants. Si on a besoin d’un conseiller externe,
on n’agit pas en position de force. Dans les
époques de bouleversements, de nombreuses entreprises perdent de leur assurance.
Quels seront les effets de la mondialisation
Un tremplin idéal
pour la poursuite d’une carrière
Un argument important pour le recours à
des conseillers externes est en outre d’ordre comptable: les dépenses – importantes en
l’occurrence – ne sont pas comptabilisés
sous les coûts de personnel, une rubrique à
laquelle les étages directoriaux accordent
une importance particulière en des temps
de restructurations. Il faut dire qu’on retrouve bien souvent d’anciens consultants
au niveau des directions. L’actuel PDG du
Credit Suisse, Lukas Mühlemann, a suivi la
filière de la troupe d’élite McKinsey jusqu’à
obtenir le grade de chef de McKinsey Suisse.
Thomas Wellauer, le chef de la Winterthur,
est l’un de ses anciens collègues. En tant que
consultant, on apprend à connaître très bien
des entreprises des plus différentes, et on
devient peu à peu un manager très demandé
du fait que le réseau mondial interne à l’entreprise fournit un savoir «allant bien au-
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sur mon entreprise, se demandent de nombreux entrepreneurs en proie à l’inquiétude.
Les laboratoires d’idées des entreprises de
consulting fournissent des stratégies courantes de management pour la solution des
difficultés futures, avec notamment ce qu’il
est convenu d’appeler le Re-Engineering, autrement dit les restructurations. Les têtes
pensantes et les «Think Tanks» aident en
fait à répandre ces théories. McKinsey a notamment investi beaucoup d’argent dans
l’évolution du savoir-faire au niveau du management, et ce par le biais d’ouvrages spécialisés, adressés aux instituts de sciences
économiques des universités et ainsi mis à la
disposition d’étudiants qui, forts de ce savoir, travailleront alors à la solde des entreprises de consulting. Et la boucle sera ainsi
bouclée.
Tout se paie
Pour que le savoir puisse être vécu, les
consultants accordent aussi beaucoup d’importance à une forte image de marque.
McKinsey s’appelle purement et simplement
«La compagnie». La pensée en fonction
d’une identité commune joue un rôle décisif,
en particulier auprès d’Andersen Consulting: «On se voit comme un maillon de la
chaîne», déclare l’avocate que nous avons
interviewée. On organise aussi des manifestations sociales. «Il y a peu de temps, nous
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avons vécu un week-end magnifique», déclare Roger Riger. Nous avons passé deux
demi-journées à suivre un perfectionnement, alors que les deux autres demijournées ont été consacrées à un entraînement de survie et à la pratique de sports inhabituels. «Chez McKinsey, un week-end de
ski ne comporte pas seulement des descentes vertigineuses et une veillée agréable autour d’une fondue dans une cabane de montagne, mais aussi des exercices de situation
le matin et en soirée. Ceux qui doivent fournir des performances au-delà de la moyenne
dans leur travail doivent faire de même durant leurs loisirs. Chez Andersen Consulting
enfin, on a formé des «Communities» aménageant les loisirs pour des groupes ayant
des intérêts communs – et surtout le même
employeur.
Les nombreuses soirées consacrées au
travail sont compensés par de bons salaires.
Certes, ces derniers sont plutôt modestes au
départ: l’avocate gagne 5700 francs par mois
plus 300 francs de frais. Les heures supplémentaires sont payées chez Andersen
Consulting, ce qui constitue une exception
dans la branche. Chez McKinsey, on débute
après l’université avec un traitement annuel
d’environ 100 000 francs, mais les salaires
augmentent rapidement si les performances
sont à la hauteur. Et si le mutisme est de rigueur quant à la progression annuelle, personne ne laisse entendre que l’employeur ne
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ferait pas assez d’efforts.
Roger Riger, économiste d’entreprise et consultant
auprès d’Andersen Consulting
Lors de ma première tentative de fixer un rendezvous avec lui, Roger Riger se trouve à Paris. A
mon deuxième coup de fil une semaine plus tard,
il est à Prague. Roger Riger, consultant auprès
d’Andersen Consulting semble constamment par
monts et par vaux. En fait, c’est plutôt une exception, m’explique-t-il, car Andersen Consulting
trouve qu’il est important d’avoir suffisamment
de temps pour sa vie privée. On s’efforce donc de
limiter le temps de travail à quarante heures hebdomadaires. Roger Riger s’est toutefois vu proposer une collaboration à un projet qui va lui demander beaucoup de son temps, avec à la clef
une vie dans les hôtels et quelques brefs séjours
à Zurich. «Je suis célibataire, alors j’ai sauté sur
l’occasion.»
Né en 1968, Roger Riger travaille depuis 1997
auprès d’Andersen Consulting. Après sa maturité, il a tout d’abord commencé des études
d’économie à Saint-Gall. Il s’est cependant rapidement rendu compte qu’il voulait travailler dans
la pratique et a alors été employé auprès de différentes entreprises, toujours dans le domaine
de l’informatique et des finances. Ne parvenant
pas à faire des études en emploi, il a alors décidé de se consacrer à nouveau à temps plein à la
théorie, et c’est un poste d’assistant de direction
auprès de Kaba qui lui a finalement permis de financer ses études dans une Haute école d’économie et d’administration.
Il y a une semaine, Roger Riger était à Paris afin
de préparer son voyage d’affaires en Australie, et
un collègue français a rejoint son groupe. «Ceux
qui ne sont pas capables de travailler dans une
équipe constituée d’éléments internationaux ne
sont pas à la meilleure adresse chez Andersen
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Consulting.»
Après la fin de ses études, il s’est inscrit pour une
évaluation tout en sachant per tinemment
qu’Andersen n’engage habituellement pas les diplômés des ESCEA. Il pensait avoir peu de chances, mais c’est justement ce qui lui a permis de
ne pas être nerveux durant les épreuves qui l’attendaient. Il voulait simplement faire évaluer ses
talents gratuitement. Après le parcours test du
matin, il a donc été très étonné qu’on ne l’ait pas
encore renvoyé dans ses foyers. Il se trouvait
avoir passé le cap d’une sélection plus étroite.
Quelques jours avant notre entretien, Roger Riger
revenait de Prague où il avait effectué un entraînement de quatre jours. Aujourd’hui, il s’envole
pour Dublin où il doit rencontrer un client. Ensuite, il prendra part à deux réunions à Zurich.
«Lorsque je reviens au bercail, je n’ai pas le
temps de me reposer non plus, car je suis contacté directement et personnellement par beaucoup
de personnes.»
L’après-midi de la journée d’évaluation a vu la
tenue de tests de groupes avec les personnes qui
avaient passé le cap du matin, puis les assesseurs se sont retirés pour délibérer. Roger Riger
a ensuite été appelé pour une évaluation: «Tout
a eu lieu de huit à vingt heures, et le soir j’avais
en poche une offre de contrat.»
Après un court séjour à Dublin, Roger Riger mettra le cap sur Sydney pour dix jours. Malheureusement, le temps ne suffira pas pour découvrir
l’Australie, étant donné que les Etats-Unis l’attendent les bras ouverts, professionnellement
parlant bien entendu. «J’espère néanmoins que
je pourrai ensuite caser une semaine de
vacances…»
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