LA JEUNE FILLE DANS LA MAISON DE LA MORT […] Rendu au

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LA JEUNE FILLE DANS LA MAISON DE LA MORT […] Rendu au
LA JEUNE FILLE DANS LA MAISON DE LA MORT
[…]
Rendu au magasin général, il pria son ami de lui faire l’hospitalité de sa maisonnette encore
une nuit. Sa demande agréée, il arpenta la rue Saint-Alphonse jusqu’à la demeure de Marie Hélène.
Il fut accueilli avec soulagement par le père et les enfants. Quant à la mère, elle était dans un
état désastreux, au bord de l’épuisement. Elle faisait des efforts surhumains pour ne pas quitter
des yeux le bout de ficelle qui entrait dans le mur. Elle soutenait sa veille de force tisanes plus
amères les unes que les autres, puisant dans leur goût âpre assez de répulsion pour attiser sa
vigilance. Mais le sommeil, qui trouvait un puissant allié dans sa fatigue, guettait le moment
propice pour la terrasser.
Ti-Jean lui retira la ficelle des mains et lui conseilla d’aller au lit.
— Jamais, se récria-t-elle, tant que ma fille ne me sera pas rendue!
Ce cri du cœur se suffisait à lui-même, aussi Ti-Jean garda-t-il un silence admiratif.
Il commença à enrouler la ficelle sur elle-même, progressant au fur et à mesure que la bobine
se formait. Il disparut aux yeux de tous dans le mur et se retrouva bientôt dans la maison de la
Mort. Il lui remit la bobine après avoir coupé le fil tout près de la taille de Marie Hélène.
— As-tu ramené l’eau rajeunissante? s’empressa de demander cette dernière.
Ti-Jean tira la baudruche de sa besace.
— Donne! ordonna sèchement la Mort.
— Ti-Jean obtempéra.
— Maintenant, tourne-toi et ne t’avise surtout pas de regarder. Ce qui va se passer doit
demeurer un secret entre Marie Hélène et moi.
Ti-Jean tourna le dos. Par les bruits à peine audibles qu’il percevait, il essaya, tant bien que
mal, de conjecturer ce qui se déroulait, mais la Mort œuvrait en silence, à son habitude.
Soudain il entendit un cri perçant poussé par la jeune fille tout de suite suivi par le
vagissement d’un nouveau-né.
— Tu peux te retourner, lui dit la Mort.
Il chercha vainement des yeux Marie Hélène.
— Celle que tu cherches n’est plus. Voici celle qui la remplace : elle est à la fois la même et
une autre qu’elle-même.
La Mort tendit un nouveau-né à Ti-Jean.
— Prends-en grand soin. Quand tu remettras cette enfant à sa mère, suggère-lui d’ajouter
Renée à ses prénoms, car elle est née une seconde fois. En fait, c’est la première née de la Mort.
Regarde sa chandelle.
Au lieu du lumignon en bout de mèche sur le point de rendre l’âme brillait d’une flamme
vive et vigoureuse une longue chandelle, promesse de jours nombreux. La Mort y noua la ficelle
qui avait guidé Ti-Jean.
— Cette seconde chance connaîtra elle aussi son terme. Retourne au monde des vivants où
la vérité ne brille guère plus que l’éclat du ver luisant. Lorsque tu auras traversé le mur, tu
couperas le fil et l’enrouleras autour de sa menotte gauche. Ramène ce qui reste de l’eau
rajeunissante et donne-la à boire à sa mère. J’en ai retiré la pierre vive que je te remets. Une telle
pierre n’a pas sa place ici.
— Mais avant de partir, j’aimerais que vous éclairiez ma lanterne.
— Tel que je te connais, tu dois te demander pourquoi tu ramènes un poupon alors que tu
avais amené une jeune fille. L’effet de l’eau rajeunissante bue en trop grande quantité explique en
partie cette métamorphose. Pour le reste, sache seulement que tout souvenir du séjour de Marie
Hélène Renée dans ma maison a dû être effacé. Maintenant retourne dans ton monde, tu n’es pas
au bout de ton étonnement.
Ti-Jean quitta la Mort à reculons, déroulant la ficelle attachée à la chandelle du nourrisson.
À chaque pas qu’il faisait, l’entre-monde s’évanouissait progressivement à ses yeux. Il traversa le
mur et remit l’enfant à une mère hébétée qu’on lui ait substitué un bébé à la place de sa jeune fille
aimée.
— La faute en revient à l’eau rajeunissante, se disculpa Ti-Jean Elle ne conserve pas à la
manière de l’eau de jouvence mais fait remonter dans les âges de la vie. Vous devriez ondoyer cette
enfant et la nommer Renée, car elle est née deux fois, de votre chair et de la Mort. Afin que tout
soit consommé, buvez le reste de cette eau rajeunissante.
Ti-Jean tendit la baudruche dépossédée de la pierre vive qu’il réservait au Cabinet des
Curiosités du roi.
Bien qu’elle ait renoncé à comprendre ce qui lui arrivait depuis longtemps, la mère but avec
réticence. Elle qui était sèche depuis des année, elle ressenti une vive montée de lait. Elle s’excusa,
se leva et se dirigea vers sa chambre pour se mettre au lit avec son enfant auquel elle donna la
tétée. Le bébé repu s’endormit dans les bras de sa mère qui l’accompagna dans le sommeil.
La jeune fille dans la maison de la mort
De la collection :
Contes du Pays de la Ouananiche
IQ RÉDACTION
Rédacteur officiel : Bertrand BERGERON
INTERACTION QUI LTÉE