GENE VINCENT

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GENE VINCENT
Jukebox_Juke227
6/01/06
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GENE VINCENT
Rocky Road Blues
D
ans JBM nous avons déjà, à plusieurs
reprises, décortiqué l’histoire de Gene Vincent, à la fois magnifique et tragique. Sans
replonger dans les détails, rappelons les faits qui
l’ont amené à chanter. Gene n’a que 17 ans quand
il s’engage dans la marine américaine, souhaitant
servir en Corée. Le cessez-le-feu intervenant la
même année, il n’ira jamais sur le terrain des opérations, contrairement à ce qu’il racontera plus
tard. Il est versé sur l’USSS Chuckawan, bateau
ravitailleur qui croise en Méditerranée. C’est à
Naples qu’il achète sa première guitare et apprend
quelques accords lui permettant de s’accompagner en chantant. A l’été 1955 il signe un nouvel
engagement de six ans avec l’US Navy et profite
de la prime pour se payer une Triumph Trophy.
Cette moto est à la fois sa chance et sa perte. En
juillet 1955 alors qu’il roule dans la ville de Franklin (banlieue de Norfolk), une Chrysler lui grille la
priorité. Gene a la cheville écrasée par la moto et
se retrouve à l’hôpital militaire de Norfolk où les
médecins préconisent une amputation du pied
gauche. Il refuse, sa carrière de marin prend fin dès
ce moment et celle de chanteur peut débuter.
Après des mois de convalescence, il se met à fréquenter assidûment la station WCMS de Norfolk
qui organise chaque semaine un radio-crochet.
Gene s’y présente et recueille tous les suffrages.
Sheriff Tex Davis, disc-jockey à WCMS, sent qu’il
a en face de lui un réel artiste aux capacités encore mal dégrossies. Fort de ses relations dans le
milieu, il fait enregistrer à Gene Vincent une maquette comprenant le fameux « Be-Bop-A-Lula »
qu’il a co-écrit avec un copain de chambrée durant
son séjour à l’hôpital. La bande est envoyée à Ken
Nelson, producteur chez Capitol, qui est, comme
tous les recruteurs de talent en 1956, à la recherche d’un nouvel Elvis Presley. Nelson est
impressionné et convoque Gene et son groupe à
Nashville pour une première séance. Le 4 mai 1956
est un jour qui entre dans l’histoire de la musique.
Le transfert numérique effectué par Bear Family
est réellement fantastique. Les progrès de la technologie et le soin méticuleux de Derek Henderson
font que ce coffret n’a rien de comparable avec
celui publié il y a quinze ans par EMI.
Dès les premières notes de «Race With The Devil»
on se rend compte que l’art de Gene Vincent est
déjà bien présent et, malgré l’inexpérience, totale-
Race With The Devil/ BeBop-A-Lula/ Woman Love/ I
Sure Miss You/ Jezebel/
Crazy Legs/ Peg O’ My Heart/ Wedding Bells/ Waltz
Of The Wind/ Up A Lazy River/ Ain’t She Sweet/
Gonna Back Up Baby/ Who Slapped John/ Jumps,
Giggles And Shouts/ Bluejean Bop/ I Flipped/ Bop
Street/ Well, I Knocked Bim Bam/ You Told A Fib/
Jump Back, Honey, Jump Back/ Teenage Partner
(1)/ Blues Stay Away From Me/ Five Feet Of Lovin’
(1)/ Cat Man/ Double Talkin’ Baby/ Hold Me, Hug
Me, Rock Me/ Unchained Melody.
CD 1
ment abouti. Sa voix d’une justesse sans pareil et
son phrasé particulier font tout son charme. Et il y a
ce groupe improbable avec ce gamin de 15 ans,
Dickie Harrell, à la batterie, qui hurle sa joie durant
« Be-Bop-A-Lula ». Jack Neal à la contrebasse,
contrairement à la majorité de ses confrères rockabilly, ne slappe pas mais joue en finesse. Willie
Williams assure une partie rythmique acoustique qui
fait la différence. Et surtout Cliff Gallup, avec sa
Gretsch Duo Jet, distille ses solos comme personne. Influencé par Chet Atkins et le jazz, il crée son
propre style d’une incroyable dextérité et, sans vouloir minimiser le talent des autres guitaristes de
rock’n’roll alors en fonction, à savoir Scotty Moore
ou Paul Burlinson, Cliff est bien le plus doué, le plus
inventif. Il est la pierre angulaire de ce groupe naissant rebaptisé Blue Caps par Dickie Harrell. Le premier simple de Gene Vincent, «Be-Bop-A-Lula»/
«Woman Love», sort le 2 juin 1956 et, après deux
semaines très calmes, se classe le 16 juin. Il se vend
à 200 000 exemplaires en huit jours. Dès ce coup
d’essai, c’est un carton plein pour Capitol. Sa carrière est lancée et il faut, pour satisfaire un auditoire grandissant, de nouveaux titres. Ken Nelson renvoie donc ses poulains en studio afin de rassembler
le matériel nécessaire à la parution d’un 33 tours,
consécration suprême. Le 24, 25 et 26 juin ils sont
de retour à Nashville pour de nouvelles séances.
Face au manque de compositions originales, Gene
puise dans des standards alors en vogue. L’exercice est loin d’être stérile. Il s’approprie ainsi «Jezebel», «Ain’t She Sweet» ou «Waltz Of The Wind»
en les transcendant de sa voix magique et toujours
splendidement soutenu par ses Blue Caps avec
encore une fois une mention particulière pour Cliff
Gallup. Le LP recèle quelques brûlots comme
« Who Slapped John », « Jumps, Giggles And
Shout» ou encore le formidable «Bop Street» avec
son intro bluesy parlée. L’album «Buejean Bop» se
vend très bien et rien ne semble pouvoir arrêter l’ascension de Gene Vincent.
De fait, 1956 a vu percer deux artistes majeurs du
rock’n’roll américain, Elvis avec « Heartbreak
Hotel » et Gene avec « Be-Bop-A-Lula » (vendu
à plus de trois millions d’unités). Ce sont les deux
grands vainqueurs de l’année en matière de vente
de disques. Les séances du 26 et 27 juin complètent le 33 tours « Bluejean Bop ». Mais Cliff
Gallup, malheureusement, quitte les Blue Caps
suivi de Willie Williams. Cliff, plus âgé que les
autres membres du groupe (il est né le 17 juin
1930), ne goûte pas vraiment la folle vie de tournée d’autant plus qu’il est marié et a une fille. Il
repart à Norfolk et retrouve son travail d’homme
d’entretien dans les écoles de Cheasapeke, ne
retournant en studio qu’au milieu des années 60
pour un 30 cm moyen qui ne rend en rien compte de son talent. Gene parvient quand même à le
convaincre de participer aux séances d’octobre,
son successeur Russell Willaford n’ayant pour lui
que sa belle gueule, raison pour laquelle il apparaît dans le film « The Girl Can’t Help It » et sur la
pochette du deuxième album. Willie Williams
repart lui travailler à la station WCMS et il est remplacé par un chien fou, Paul Peek (rebaptisé Peer
dans le livret), ex-Country Earl & The Circle E
Ranch Boys. Il devient vite un membre incontournable des nouveaux Blue Caps. Les séances
d’octobre 1956, les dernières à Nashville, sont
sans aucun doute les plus abouties et loin de
toute concession commerciale. Le rockabilly de
Gene Vincent est à son sommet, que ce soit sur
les tempos lents comme « Blue Stay Away From
Me », « Unchained Melody » ou encore « Five
Days, Five Days » soutenu par les Jordanaires.
Mais le meilleur est dans les rocks échevelés et
juvéniles que sont « Cat Man » et sa guitare
envoûtante, « Double Talkin’ Baby » (qui fera le
bonheur des Stray Cats) ou « B-I-Bickey-Bi Bo
Bo Go », titre impossible pour une chanson
inclassable. L’insouciance est encore bien présente dans tous ces morceaux. Les premiers Blue
Caps et Cliff Gallup ont réussi à passer à la postérité avec seulement 35 chansons, mais quelles
chansons ! Elles influenceront des centaines d’artistes de par le monde qui doivent tous quelque
chose de leur carrière à Gene Vincent.
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