La Chine - La Fabrique de l`industrie
Transcription
La Chine - La Fabrique de l`industrie
Les politiques nationales en faveur de l’industrie du futur La Chine La politique chinoise en faveur de l’industrie du futur a suivi l’évolution des forces politiques en exercice. On peut distinguer deux vagues, délimitées par le changement de Premier ministre en 2013.1 Sur la période 2003-2013, l’administration Hu-Wen2 a placé de nombreux espoirs dans le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour accompagner la transformation de l’économie chinoise vers une économie de la connaissance. Au cours de cette décennie, « l’informatisation » est formulée comme une stratégie nationale qui motive des plans de moyen et long termes, et des plans spécifiquement dédiés aux industriels.3 Ces derniers visent d’abord à soutenir les offreurs de solutions en hautes technologies (logiciels, télécoms ou robotique) plutôt qu’à moderniser le tissu industriel. La stratégie d’État pour le développement de l’informatisation (« State Informatization Development Strategy, 2006-2020 ») vise par exemple, outre le développement d’une infrastructure de télécommunication de qualité, à développer la compétitivité de l’offre chinoise en la matière. Ainsi, jusqu’en 2013, la politique en faveur de l’industrie du futur se comprend comme une partie de cette stratégie d’informatisation, qui dépasse largement le cadre industriel pour inclure d’autres pans de l’économie (les services mais aussi l’agriculture) et de la société (infrastructures numériques, accès public, administration). Elle s’intègre également dans les efforts du plan quinquennal lancé en 2011 pour maîtriser l’impact environnemental des activités. Le douzième plan quinquennal (2011-2015) se situe pleinement dans la continuité de cette politique industrielle, articulée autour du soutien à des activités-clés, même s’il met spécifiquement l’accent sur les bénéfices attendus de l’informatisation concernant l’impact environnemental de l’industrie. Il vise à aider la recherche et développement de sept « secteurs stratégiques émergents » que sont les équipements industriels de haute technologie, les TIC (y compris le cloud et l’internet des objets), les nouveaux matériaux, mais aussi la production écologique, les nouvelles énergies et de nouvelles générations de véhicules moins polluants. Lancé en mai 2015, le plan « Made in China 2025 » marque un tournant dans les modalités d’action des pouvoirs publics chinois. Porté personnellement par le nouveau Premier Ministre Li Keqiang, il suggère en effet une approche de l’innovation industrielle non plus déclinée par secteurs mais plus « horizontale ». L’idée est toujours de soutenir les efforts de recherche, mais de manière moins directive. Un effort particulier est également entrepris pour améliorer les conditions d’émergence des 1 Le 15 mars 2013, Li Keqiang succède à Wen Jiabao à ce poste. Incarnée, de 2003 à 2013, par le président de la République Hu Jintao et le Premier ministre Wen Jiabao. 3 Atkinson R., 2014, « ICT innovation policy in China : a review », document de l’Information Technology and Innovation Foundation, juillet, lien 2 innovations en construisant un environnement plus favorable : coordination et communication entre les différents acteurs, meilleure protection de la propriété intellectuelle, etc. Le douzième plan quinquennal (2011–2015) Informations clés Budget annoncé : NC Constat : Nécessité d’une montée en gamme de l’industrie chinoise pour faire face aux défis environnementaux et à la hausse du coût de la main d’œuvre ; Dépendance vis-à-vis des technologies de production étrangères. Objectif : la valeur ajoutée de sept secteurs (équipements industriels de haute technologie, TIC, nouveaux matériaux, production écologique, nouvelles énergies et nouvelles générations de véhicules moins polluants) doit atteindre 8 % du PIB en 2015, 15 % en 2020, contre 1 % en 2010.oit atteindre 8 % du PIB en 2015, 15 % en 2020, contre 1 % en 2010. Présentation Le douzième plan quinquennal, doté au total de 1 200 milliards d’euros, vise à réduire la dépendance technologique de la Chine dans sept « industries stratégiques ». Ce plan se concentre avant tout sur le soutien aux investissements en R&D des grands groupes4 et des centres de recherche, afin de développer des technologies industrielles de pointe et des standards chinois. Ce soutien passe également par la volonté d’ouvrir plus largement le marché chinois à des multinationales étrangères en échange de transferts technologiques.5 Le plan parle ainsi de « saute-mouton » pour caractériser cette nécessité de capitaliser sur des innovations développées à l’étranger dans ces domaines-clés puis de les améliorer. Parallèlement, l’importance accordée à l’internet des objets est croissante. Cette technologie est définie comme primordiale dans de nombreux discours du Premier ministre6. Cet intérêt est confirmé par Li Yizhong, ministre de l’Industrie et des TIC : « Nous devons utiliser les technologies de l’information pour restructurer et améliorer l’industrie traditionnelle ; nous devons formuler une politique d’encouragement au développement de l’internet des objets. »7 Dès 2009, un centre de R&D dédié avait été créé, mobilisant un investissement de 73 millions d’euros et regroupant plus de 600 chercheurs.8 Par ailleurs, la Chine accueille depuis 2010 une conférence 4 The Telegraph, 2011, « Key goals of China's five-year-plan », août, lien Kennedy S., 2015, « Made in China 2025 », interview pour le Center for strategic and international studies, juin, lien 6 Dr. Kagermann H. et al., « Recommendations for implementing the strategic initiative Industrie 4.0 », rapport final du groupe de travail sur l’Industrie 4.0 (Forschungsunion et Acatech), avril, lien 7 « We must make use of information technology to restructure and improve traditional industry; we should formulate policies to encourage the development of Internet of Things ». (Dr. Kagermann H. et al., « Recommendations for implementing the strategic initiative Industrie 4.0 », rapport final du groupe de travail sur l’Industrie 4.0, note de bas de page n.19, avril, lien) 8 Lan C, 2014, « Introduction of CAS R&D work in IoT », présentation pour le groupe de travail thématique sur l’Internet des objets UE-Chine de Londres, 19 juin, lien 5 annuelle sur ce sujet. Enfin, dans le cadre de ce plan quinquennal, la ville de Wuxi a développé une « zone d’innovation » dédiée à l’internet des objets. Celle-ci intégrait en 2012 environ 600 entreprises chinoises et étrangères (IBM, Intel, Nokia…) représentant plus de 100 000 employés.9 Remarques et critiques La politique en faveur de l’industrie du futur menée jusqu’en 2013 se ramène donc peu ou prou à un effort de développement et de diffusion de technologies liées à l’internet des objets, volet d’une stratégie « d’informatisation » plus globale. Très centrée sur l’encouragement des efforts de R&D dans les grands groupes, elle n’envisage pas de soutien financier à l’innovation et à la modernisation des entreprises de taille réduite. Par ailleurs, ce soutien à la R&D et à la diffusion de technologies se heurte au flou législatif concernant la protection des données et de la propriété intellectuelle, le droit de la concurrence, ainsi qu’aux choix préférentiels pour des standards spécifique chinois (WAPI, TD-SCDMA). Enfin, il faut noter que les secteurs offreurs de solutions en internet des objets sont dominés par de grandes entreprises d’Etat et des multinationales qui bénéficient généralement de relations établies avec les gouvernements centraux et locaux. Le fait que les autorités publiques soient à la fois le principal commanditaire et liées aux offreurs d’innovations dans ce domaine incite au développement de pratiques collusives, et bloque l’accès de nouvelles entreprises à ce marché.10 Le plan « Made in China 2025 » Informations clés Budget annoncé : NC Constat : nécessité d’une montée en gamme de l’industrie chinoise pour faire face aux défis environnementaux et à la hausse du coût de la main d’œuvre Objectif : augmenter le contenu chinois de composants et matériaux majeurs à 40 % en 2020 et 70 % en 2025 ; avoir 15 centres d’innovations industrielles en 2020 et 40 en 2025. Présentation Lancé en mai 2015, « Made in China 2025 » est le premier d’une série de plans décennaux ayant pour objectif de transformer l’industrie chinoise à l’horizon 2049, date à laquelle la République populaire de Chine célèbrera son centenaire. Contrairement aux multiples initiatives du plan quinquennal 20112015, ce programme est plus directement l’industrie du futur. 9 Cabinet Hoganlovells, 2013, « Internet of Things: Innovation with Chinese Characteristics », publication, 12 septembre, lien 10 Ibid. Initié par le ministère de l’Industrie et des Technologies de l’Information, il conclut une réflexion menée en coordination avec 150 experts de l’Académie d’Ingénierie de Chine.11 Ce plan s’articule autour d’objectifs de plus long terme et vise à relever d’autres défis que ceux identifiés par le plan quinquennal. Aux considérations écologiques s’ajoute ainsi la nécessaire montée en gamme de l’industrie chinoise confrontée à la concurrence grandissante des autres puissances asiatiques, dans un contexte de hausse rapide des salaires dans l’industrie.12 Plus concrètement, le plan donne la priorité à dix secteurs : les nouvelles technologies de l’information, la robotique et les automates, l’aérospatial, l’ingénierie navale et ferroviaire, les véhicules basse consommation, les équipements électriques, l’équipement agricole, les nouveaux matériaux et les biotechnologies. Il subventionne la recherche des entreprises chinoises dans ces secteurs, avec des objectifs pour 2020. Au-delà de mesures en direction de ces dix secteurs, plusieurs actions plus larges visant à soutenir l’innovation, la montée en gamme et la transition écologique sont menées13. La principale est la création de 15 centres d’innovations industrielles en 2020 et 40 en 2025, dont les travaux se centrent sur les TIC, l’industrie du futur (systèmes cyber-physiques), la fabrication additive et les biopharmaceutiques. Parallèlement, il a pour objectif de soutenir la recherche14 afin d’augmenter fortement le nombre de brevets en équipements industriels de pointe. Il avance également la création de 1000 usines-pilotes vertes et 100 zones industrielles écologiques. Remarques Le plan « Made in China 2025 » est décrit comme s’inspirant grandement du plan allemand d’Industrie 4.015. Si ces deux initiatives insistent sur la nécessité de soutenir la recherche et de faire émerger des outils de production standardisés (l’Allemagne parle même d’une « architecture de référence »), leurs modalités d’action autant que leurs points de départ et objectifs s’opposent fortement. La dimension très large du plan « Made in China 2025 », à la fois par le nombre de secteurs et de considérations qu’il englobe, il apparait assez éloignée de la focalisation du plan allemand sur la recherche dans des domaines pointus. De même leurs objectifs diffèrent sensiblement dans la mesure où la Chine vise d’abord à un rattrapage technologique là où le programme allemand a pour ambition de maintenir la place dominante occupée par les offreurs de solutions aux industries. A ce titre, le programme chinois tient compte des reproches émis régulièrement à l’encontre du climat des affaires local et annonce notamment un renforcement du droit de la propriété intellectuelle des petites et moyennes entreprises, tout en les incitant à participer aux systèmes de standardisation internationaux. Ces différences profondes n’empêchent pas les deux pays d’institutionnaliser des échanges sur le sujet, à travers des initiatives collectives, notamment l’Alliance germano-chinoise pour l’Industrie 4.0 (« Deutsch-Chinesische Allianz für Industrie 4.0 e.V »), qui mobilise principalement des personnalités 11 Kennedy S., 2015, « Made in China 2025 », interview pour le Center for strategic and international studies, juin, lien 12 D’après le Bureau National des Statistiques Chinois, le salaire moyen annuel dans l’industrie passe de 36 665 en janvier 2012 à 51 369 yuans en janvier 2015, soit une augmentation de plus de 40 %. 13 Markus D. et Marro N., 2015, « ‘Made in China’ Now ‘Made by China’: Update », The US-China Business Concil, article pour le US-China Business Council, 27 mai, lien 14 Peu d’informations disponibles pour savoir si cette recherche est publique ou privée 15 Wübbeke J., 2015, « Die Kampfansage an Deutschland », article pour le journal en ligne Die Zeit online (page 2), 27 mai, lien politiques des deux pays, mais qui s’ouvre également à d’autres spécialistes, aux fédérations d’entreprises et aux universités des deux pays. Au niveau national, le gouvernement allemand déclare en octobre 2014 encourager la collaboration entre les entreprises et centres de recherche des deux pays, notamment sur des sujets de standardisation.16 « Made in China 2025 » : un tournant politique en Chine ? Les annonces et commentaires autour du plan « Made in China 2025 » se cristallisent aujourd’hui autour de son opposition avec le plan quinquennal des « Sept industries stratégiques » et de la transition entre un plan relativement dirigiste et une stratégie aujourd’hui plus facilitatrice. 16 Le plan « Made in China 2025 » englobe l’ensemble du processus de production et plus seulement des technologies de pointe. Parallèlement, il ne soutient plus spécifiquement les industries de pointe (robotique, biotechnologies), mais inclut parmi les secteurs prioritaires des industries plus traditionnelles (marine, train, agriculture). L’accent mis sur le renforcement du droit de la propriété intellectuelle autant que les incitations à la publication et au dépôt de brevet illustrent l’intérêt nouveau du gouvernement chinois à l’égard des PME et ETI. Cette considération pour l’écosystème industriel innovant se couple à une profonde réorientation de la politique industrielle. Par exemple, au lieu d’encourager l’amélioration de standards nationaux, le plan encourage les entreprises à déclarer les standards qu’elles développent, et annonce reconsidérer la place de standards internationaux. La place des entreprises étrangères au sein de ce plan reste imprécise. Celui-ci annonce évasivement durcir les enquêtes de sécurité préalables à subventions et commandes publiques. Parallèlement, le champ des activités industrielles relevant de la sécurité nationale n’est pas explicité. Le développement de standards industriels nationaux, confié aux entreprises chinoises, est enfin un autre point d’achoppement. Service de presse du gouvernement fédéral allemand, 2014, « Aktionsrahmen für die deutsch - chinesische Zusammenarbeit: ‘’Innovation gemeinsam gestalten!“ », 10 octobre, lien