droit à l`oubli
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THENetworker #17 - Octobre 2014 Enjeux et cultures numériques Notre dossier thématique droit à l’oubli des contre-vérités qui verrouillent le débat Daniel Bertrand Saisie de justice des biens de M. Daniel Bertrand www.sitedunjournal.com Suite à la saisie des biens de M. Daniel Bertrand en raison d’un recouvrement de dettes, la maison est mise en vente aux enchères ce mardi 12 juin 2008. Mise aux enchères - propriété immobilière de M. Bertrand www.sitedunautrejournal.com La maison de M. Daniel Bertrand située au 6 rue de Madrid à San Sebastian sera mise en vente aux enchères ce mardi 12 juin 2008. Daniel Bertrand - Linkedin DEMANDE DE PRÊT 11 17 Interview de Richard Malka, Nous avons testé l’Oculus Rift avocat spécialiste en droit de la presse et des médias é Le légitime et di nécessaire débat sur le droit à l’oubli to Par Albéric Guigou Co-fondateur de Reputation Squad The Networker est un magazine bimestriel édité par la société Reputation Squad. Pour vous abonner gratuitement, rendez-vous sur http://www.the-networker.fr « Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit des pages ou images publiées dans la présente publication, faite sans l’autorisation écrite de l’éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. » (Loi du 11 mars 1957, articles 40 et 41 du Code pénal art. 425.) Dépôt légal à parution, issn 2263-486X Directeur de la publication : Albéric Guigou. Rédacteurs : Max Chouzier, Jérémie Noël, Jean Chérin, Laura Dorstter, Edouard Rouzé, Mathieu Préau, Julien Tissandier, Junquiang Yu, Fabrice Ivara, Albéric Guigou. Enfin ! La décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne, avec toutes ses imperfections, a permis d’ouvrir un débat que nous appelions de nos voeux depuis la création de Reputation Squad. Internet a atteint une maturité suffisante pour que l’ensemble des acteurs se posent la question des risques que peur représenter la mémoire sans fin de ses serveurs. Nous allons jouer notre rôle dans ce débat et ce numéro de The Networker est une première étape, avec notre dossier et une interview de l’avocat Richard Malka. Au-delà de ce sujet majeur, nous nous penchons également sur trois tendances qui ne cessent de nous fasciner et que nous explorons avec passion : - le web chinois et ses usages si particuliers, - les objets connectés avec un focus sur l’Oculus Rift, - et l’émergence de médias qui bouleversent radicalement le paysage comme Vice News. Excellente lecture à vous ! A.G. Direction artistique : Céline Rouquié. Crédits photographiques : Couverture : Mathieu Préau Céline Rouquié © 2013 oculus VR, Inc. Intérieur : © Jérôme Dubois, Mathieu Stern et Jean Vergé pour la Maïf © Google © Mstylav Chernov © Netflix © Dasemarcalvarez © Hans © D.S.X © Facebook © TheAngryTeddy © Jim Benton © 2013 oculus VR, Inc. © Editions Nouveaux Débats © Café des abattoirs Mathieu Préau Céline Rouquié The Networker | Numéro 17 | 0 3 The Networker - nouvelle édition 17 14 Daniel Bertrand Saisie de justice des biens de M. Daniel Bertrand www.sitedunjournal.com Suite à la saisie des biens de M. Daniel Bertrand en raison d’un recouvrement de dettes, la maison est mise en vente aux enchères ce mardi 12 juin 2008. Mise aux enchères - propriété immobilière de M. Bertrand www.sitedunautrejournal.com La maison de M. Daniel Bertrand située au 6 rue de Madrid à San Sebastian sera mise en vente aux enchères ce mardi 12 juin 2008. Daniel Bertrand - Linkedin 07 13 Numéro 17 - Octobre 2014 03/ ÉDITO 05/ BILLET D’HUMEUR 07/ DOSSIER 11/ Interview 12/ CAS PRATIQUE 13/ LE COIN DU JURISTE 14/ Société 16/ CULTURE CLASH 17/ L’APPLI DU MOMENT 07/ DEMANDE DE PRÊT Droit à l’oubli : des contre-vérités qui vérouillent le débat Ces quelques mots ont suscité bien des réactions depuis quelques mois. Qu’on adhère ou non à la solution du juge européen, une chose est sure : le sujet ne laisse pas indifférent. 14/ Vice, l’avenir de l’info ? Les médias traditionnels vont de plans économiques en plans sociaux et pendant ce temps, le groupe Vice Media atteint la valorisation de 2,5 milliards de dollars et compte 4 000 salariés dans le monde. 12/ 16/ Depuis mai 2014, le droit à l’oubli accordé par Google à l’Union européenne est un moyen de protéger ses données personnelles. Ce qui est loin d’être encore le cas en Chine. So earlier this summer, Facebook announced that they were trying out a system that would flag satire articles in our news feed to let us know that said articles are not, in fact, real news. Google vous oubliera peut-être, mais pas Baidu 13/ Facebook contre ses utilisateurs La guerre est déclarée entre Facebook et ses utilisateurs européens. Une action collective internationale est en cours pour que le géant américain cesse ses atteintes à la vie privée et respecte la réglementation européenne. Facebook News Satire Attire 17/ L’Oculus Rift Le projet Kickstarter qui a lancé l’Oculus a été racheté 2 milliards de dollars par Facebook et les termes « révolution » ou encore « immersion » sont monnaie courante pour décrire le dispositif. Le billet d’humeur Internet, ou la dénonciation décomplexée E n France, on a toujours été plutôt réfractaire à la dénonciation. Marqué aussi bien par son penchant latin pour une gentille anarchie que par le traumatisme collectif de la collaboration, le Français moyen n’était plus trop porté sur la délation ces dernières décennies. Or, récemment, un certain nombre d’initiatives souvent menées au titre de grands concepts plus ou moins inattaquables comme la transparence ou le droit d’information du public ont laissé un petit arrière-goût discutable. Ici, lemonde.fr met en ligne un formulaire invitant les internautes à dénoncer les clients de l’agence Bygmalion (compilés ensuite sur une carte de France), là Rue89 relaie la création d’un compte Twitter qui recense les modifications faites sur Wikipedia à partir d’ordinateurs de l’Assemblée Nationale, plus loin, ce sont les médias ou des sites spécialisés qui exposent publiquement les particuliers ayant bénéficié du droit à l’oubli de Google. Selon André Comte-Sponville, il faut savoir distinguer la dénonciation, un acte potentiellement civique et dont l’objectif est de défendre des victimes ou l’intérêt public, de la délation, qui est motivée par la haine, l’intérêt ou l’amour-propre et donc ontologiquement immoral. Dans les cas de Bygmalion et Wikipedia, la question se pose effectivement. Les procédés ne sont pas très élégants et ressemblent plutôt à des chasses aux sorcières bêtes et méchantes, mais on peut tout de même arguer que ces outils de dénonciation procèdent d’un souci de défense de l’intérêt général. En brocardant publiquement des comportements négligents ou maladroits (plus que foncièrement malhonnêtes), on inciterait les personnalités publiques à être plus vertueuses. Soit. Illustration : Céline Rouquié Liens : Le formu- laire «hidden from Google» http://hiddenfromgoogle.com Le for- mulaire de dénonciation du Monde sur les clients de Bygmalion. http://bit. ly/1v48LJ6 Le robot qui «grille» les modifications Wikipedia des députés http://bit. ly/1u2cpmB Dans le cas du droit à l’oubli toutefois, il s’agit sans contestation possible de délation. Un exemple concret, c’est ce site, hiddenfromgoogle.com, qui demande aux internautes de dénoncer les gens qui ont bénéficié du droit à l’oubli de Google. Certains titres de presse ont décidé d’en faire autant. Ceux qui avaient obtenu d’être oubliés sont donc à nouveau exposés, par un autre moyen, sur décision unilatérale d’un organe sans la moindre légitimité morale ou juridique. Ces quelques exemples sont symptomatiques d’un état d’esprit contemporain, encouragé par des outils (l’appel à témoin n’a jamais été aussi facile) et une certaine idéologie du web : la liberté d’expression avant tout, la vindicte perpétuelle contre les politiques, les entreprises, les restaurants ou son voisin, la relative impunité offerte par l’anonymat ou encore l’illusion que toutes les opinions se valent. Mais plus qu’un symptôme, ce recours à la dénonciation populaire par des acteurs faisant autorité devient un moteur (ou à tout le moins un garant) du retour à cet instinct moyennement plaisant de la nature humaine. Par Jérémie Noël The Networker | Numéro 17 | 0 5 Brèves http://ereputation.paris.fr/webserie/ Websérie (Z)héros Sociaux Les vidéos (Z)héros Sociaux empruntent un ton drôle et décalé avec pour objectif d’évoquer les principaux risques rencontrés sur le Web grâce aux mésaventures de super héros, eux aussi bien vulnérables quand il s’agit de protéger leur image en ligne ! Cette Websérie à l’initiative de la Maif vient compléter le dispositif de prévention e-réputation « Net sur le Net » mis en place par l’assureur en partenariat avec la Mairie de Paris et avec le concours de Reputation Squad. Copie d’écran de la vidéo « Botman et le voleur d’identité » - © Jérôme Dubois, Mathieu Stern et Jean Vergé pour la Maif http://on.wsj.com/Y0d1fz La France championne du droit à l’oubli Sur les 91 000 demandes reçues par Google depuis la mise en ligne des formulaires du droit à l’oubli, pour toute l’Union européenne, 17 500 viennent d’internautes français (chiffres du 18 juillet 2014). L’Allemagne et le Royaume-Uni, avec respectivement 16 500 et 12 000 demandes, complètent le podium. Copie d’écran du formulaire Google. http://bit.ly/1yqrP8t Des utilisateurs de Twitter jugés en Turquie Au moment même où le 9ème forum de l’ONU sur la gouvernance d’Internet se tient à Istanbul, en Turquie, 29 utilisateurs de Twitter sont poursuivis en justice pour avoir posté des messages critiques à l’encontre des autorités turques sur le réseau social, lors du mouvement de protestation de la place Taksim, en 2013. Marche vers la place Taksim en 2013 © Mstyslav Chernov - Wikimédia Commons http://bit.ly/1v9xWZT logo Netflix Protestation sur le projet d’un Internet à deux vitesses Une centaine d’acteurs du Web, parmi lesquels Netflix, Microsoft, Google, Amazon, Twitter ou Facebook, ont lancé une vaste campagne de protestation pour défendre la neutralité d’Internet. La cause de ce mécontentement : la proposition du régulateur américain des télécoms d’autoriser les opérateurs à faire payer l’accès à une vitesse de connexion optimale aux sites Web. 0 6 The Networker | Numéro 17 | Les chiffres C’est le nombre de requêtes reçues par Google (au 18/07/14) pour des demandes de désindexation depuis la décision de CJUE du 13/05/14, dans le cadre de la procédure du droit à l’oubli. Au total, 53% de ces demandes ont été accueillis favorablement. http://on.wsj.com/Y0d1fz MILLIONS C’est le nombre d’abonnés qui ont opté pour la 4G, un an après son lancement à grande échelle en France. http://bit.ly/1qtd4rf MILLIONS Dans la nuit du 8 au 9 septembre, le site français Blablacar, leader européen du covoiturage, a franchi la barre des 10 millions de membres. http://bit.ly/1xBMRk4 D’après certaines rumeurs, relayées dans les grands médias, Apple aurait demandé aux opérateurs américains d’augmenter le prix de l’iPhone 6 de 100 dollars par rapport à l’iPhone 5s. http://read.bi/1jEf000 C’est le nombre de « gouvernements étrangers, factions étrangères et organisations politiques » que la NSA a espionné avec l’autorisation des autorités américaines, notamment via internet, selon Amnesty International. http://bit.ly/1lw2XGs C’est l’augmentation du taux d’infection (présence de logiciels malveillants) des téléphones mobiles au cours du premier semestre 2014 selon Alcatel-Lucent. Un chiffre qui a doublé par rapport à 2013. http://bit.ly/1ohtTWt Dossier : droit à l’oubli En qu ête Daniel Bertrand Saisie de justice des biens de M. Daniel Bertrand www.sitedunjournal.com Suite à la saisie des biens de M. Daniel Bertrand en raison d’un recouvrement de dettes, la maison est mise en vente aux enchères ce mardi 12 juin 2008. Mise aux enchères - propriété immobilière de M. Bertrand Droit à l’oubli : www.sitedunautrejournal.com La maison de M. Daniel Bertrand située au 6 rue de Madrid à San Sebastian sera mise en vente aux enchères ce mardi 12 juin 2008. Daniel Bertrand - Linkedin DEMANDE DE PRÊT Illustration par Céline Rouquié des contre-vérités qui verrouillent le débat Droit à l’oubli. Ces quelques mots ont suscité bien des réactions depuis quelques mois. Qu’on adhère ou non à la solution du juge européen une chose est sûre : le sujet ne laisse pas indifférent. L e 13 mai dernier, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) rendait une décision importante sur la responsabilité des moteurs de recherche. Improprement qualifiée de « décision droit à l’oubli », puisqu’il ne s’agit légalement pas tant de « droit à l’oubli » que de protection des données à caractère personnel, l’arrêt de la CJUE ouvrait de fait une nouvelle procédure pour qui souhaite voir disparaître certaines informations basées sur des données inadéquates, obsolètes ou nonpertinentes. On a déjà beaucoup parlé de l’affaire elle-même, aussi nous ne l’aborderons ici qu’en quelques mots. Un Espagnol souhaitait faire disparaître des résultats Google deux articles de presse portant sur une saisie-vente dont il avait fait l’objet 10 ans auparavant. The Networker | Numéro 17 | 0 7 Dossier : droit à l’oubli Cerise Lambert Cerise Escort Paris www.siteescortegirl.com A l'aise en toutes circonstances, je suis une personne sensuelle, douce et passionnée, qui se nourrit de son appétit pour la tendresse et la chaleur humaine. Cerise Lambert on Twitter - escort girl www.twitter.com/CeriseLambert The latest from @CeriseLambert manager dans un groupe spécialisé dans l’industrie agro-alimentaire français. Images correspondant à Cerise Lambert Signaler des images inappropriées DROIT À L’OUBLI constatation que la question est extrêmement complexe, mais permettra peut-être d’esquisser une solution qui soit meilleure pour concilier des libertés et des droits qui s’opposent. Une solution qui, pour paraphraser Churchill, serait la pire des solutions, à l’exception de toutes les autres qui auraient pu être testées jusque-là. Saisie par la justice espagnole, la CJUE analyse le cadre européen de la protection des données personnelles et conclut qu’un moteur de recherche est tenu d’étudier la demande d’un particulier qui estime que ses droits sont lésés. En pratique, le–dit moteur de recherche doit faire la balance entre le droit au respect de la vie privée de l’individu d’une part et le droit du public à accéder à l’information d’autre part. Si le premier semble devoir l’emporter, le moteur de recherche intervient et empêche en partie l’affichage du contenu litigieux. LA SOLUTION EST CRITIQUABLE, MAIS LE DÉBAT EST SAIN La décision et ses conséquences ont fait couler beaucoup d’encre. Dans notre infographie sur le sujet, nous constations que le mot clé « droit à l’oubli » était passé de 80 à 2 000 mentions sur internet du jour au lendemain, entre le 13 et le 14 mai. Si la plupart des premiers articles de presse se bornaient à une explication de texte plus ou moins rigoureuse, les discussions se sont rapidement muées en un débat clivant entre ceux qui se félicitent d’une meilleure protection accordée aux individus et ceux qui s’alarment des potentielles dérives d’un tel système. Il est certain que cette nouvelle façon d’appréhender le droit européen introduit un bouleversement considérable des usages, et impacte certains des droits les plus fondamentaux de nos démocraties modernes. Un débat construit est dès lors à la fois bienvenu et nécessaire. Il débouchera sur la 0 8 The Networker | Numéro 17 | Illustration : © Reputation Squad Liens utiles Décision du 13 mai 2014 de la Cour de Justice de l’Union Européenne : http://bit. ly/1roZJVV Infographie pour tout savoir sur le droit à l’oubli : http:// bit.ly/1zZAKuW Reputation Squad a lancé une plateforme pour répondre à vos questions sur le sujet : http://droit-oubli.eu Débattre est une bonne chose. Mais pour bien débattre, il faut pouvoir s’affranchir de certaines idées reçues ou trompeuses qui grèvent la discussion et empêchent parfois totalement une réflexion saine et salutaire. 4 IDÉES FAUSSES SUR LE « DROIT À L’OUBLI » Google supprime ou déréférence des contenus. Il est faux de dire que saisi d’une requête « droit à l’oubli », Google ou tout autre moteur de recherche supprime les contenus sur internet. Il est aussi inapproprié de dire qu’il les déréférence ou les désindexe. Il est évident que Google n’a pas la main sur les contenus qu’il indexe. Un contenu retiré de son index est donc toujours accessible sur internet, sans que l’entreprise n’y puisse rien. Mais en matière de « droit à l’oubli », les contenus sur lesquels Google intervient ne sont pas non plus à proprement parler désindexés. Ils continuent de s’afficher dans les résultats de recherche, sauf lorsque l’on tape le nom de la personne qui a adressé la requête sur le fondement du « droit à l’oubli ». Dossier : droit à l’oubli La différence est fondamentale. Aucun site internet ni aucun média n’est censuré dans cette affaire. Il n’existe pas d’article qui deviennent soudainement introuvable sur Google à cause du « droit à l’oubli », et ceux qui disent l’inverse se trompent ou cultivent volontairement l’ambiguïté. Il suffit, pour s’en convaincre, de faire quelques tests sur des articles prétendument déréférencés sur ce fondement. On les retrouve tous, sans exception, sur Google, en tapant quelques-uns des mots-clés principaux de ces contenus. Google est laxiste sur le traitement des demandes. Il est des voix pour s’inquiéter du traitement que Google ou ses concurrents réservent aux demandes reçues sur le fondement du « droit à l’oubli ». Qu’on se rassure, ces sociétés ne sont pas favorables à cette nouvelle conception dégagée par la CJUE, elles ne sont pas non plus facilement impressionnables et elles sont viscéralement opposées à toute intrusion de quiconque dans leurs affaires. Supposer que Google accède un peu trop facilement aux requêtes relève de l’absurde. Aujourd’hui, les équipes de Google rejettent peu ou prou, à de rares exceptions près, tous les cas qui font débat d’une manière ou d’une autre. Si le contenu visé concerne une affaire judiciaire ou une procédure administrative (même ancienne), un comportement dans le cadre d’une activité professionnelle ou institutionnelle ou encore des accusations publiques même peu étayées, il est probable que la requête soit refusée. Il en va généralement de même pour toute personne dotée d’une dimension publique. Il reste un important volume de requêtes qui sont acceptées. Les erreurs manifestes ou les données personnelles reproduites à tort d’une part, mais également nombre de situations auxquelles on ne pense pas avant qu’elle ne nous tombent dessus ; on n’imagine généralement pas combien de traces gênantes et totalement inintéressantes de notre vie peuvent tôt ou tard surgir des limbes d’Internet pour nous pourrir la vie. Le « droit à l’oubli » est une menace pour les libertés d’expression et d’information. Le tir de barrage est venu de la presse. D’abord relativement factuel, le traitement de l’information a vite dérivé vers une hostilité franche de certains acteurs particulièrement sensibles lorsqu’est évoqué le spectre de la censure. Plusieurs médias sérieux se sont laissés abuser par les mots et ont sérieusement cru que des articles avaient disparus des moteurs de recherche. Il n’en était rien. Chacun peut et doit pouvoir s’exprimer librement dans une société démocratique. Personne ne dit ni ne pense le contraire et il serait fou de croire que les juges européens considèrent ces principes comme accessoires. Les articles publiés restent consultables dans leur intégralité. Ils demeurent indexés par les moteurs de recherche, principaux pourvoyeurs de contenus, sauf sur une recherche précise. Douce censure que celle qui vous laisse vous exprimer et ne vous empêche en rien d’accéder à une très large audience… Le « droit à l’oubli » est une réécriture de l’histoire. C’est un sujet récurrent quand on parle d’introduire un « droit à l’oubli », sujet qui n’a pas manqué de ressurgir à l’occasion de la décision de la CJUE. Le journaliste d’aujourd’hui se veut à la fois l’informateur du moment et le garant de l’Histoire. A lire certains, en acceptant qu’une demande puisse conduire à une désindexation partielle d’un contenu de presse, on dépossèderait le journaliste de son rôle de décideur de ce qui doit être porté à l’intention du public. C’est un non-sens. Le rôle du journaliste est de relater des faits, au moment où ils se produisent et le plus objectivement possible. Plusieurs mois ou plusieurs années après le déroulement des faits relatés, le journaliste n’a aucune légitimité particulière pour juger de ce que l’Histoire doit retenir de telle ou telle personne. Mais au-delà de cela, cet argument révèle surtout une confusion dramatique entre l’Histoire et le moteur de recherche de Google. Par un glissement intellectuel malheureux, les premiers résultats qui apparaissent sur Google se retrouvent propulsés au rang d’archives historiques et faire en sorte qu’ils n’apparaissent plus sur Google, sur une requête donnée, reviendrait donc à « réécrire l’Histoire » alors même que le contenu lui-même n’est pas altéré. Photo : © Dasemarcalvarez - Wikimedia commons LEXIQUE : CJUE : La Cour de Justice de l’Union Européenne veille à l’application uniforme du droit de l’Union dans tous les EtatsMembres. Son siège est situé à Luxembourg. Désindexation : suppression d’un lien dans les résultats fournis par un moteur de recherche. The Networker | Numéro 17 | 0 9 Dossier : droit à l’oubli son identité numérique. D’abord, parce que le dispositif ne concerne pas les entreprises et que comme on l’a dit les demandes adressées par des particuliers sont nombreuses à être rejetées par les moteurs de recherche. Ensuite parce que divers moyens permettent de contourner la désindexation partielle que vous auriez pu obtenir. Le contenu reste par exemple accessible à partir d’une recherche associée, où encore en utilisant une version non-européenne des moteurs de recherche. Un résultat qui n’apparaît plus sur Google.fr pourra ainsi très facilement être affiché en effectuant la même recherche sur Google.com. Une dynamique internationale Tout le monde ou presque en est convaincu : ces dernières années, l’Europe a connu plusieurs rendez-vous manqués tant il est difficile pour ses membres, encore aujourd’hui, de s’exprimer à l’unisson. Le 13 mai 2014, jour de la décision, elle fait pour une fois très clairement entendre sa voix sur un sujet qui lui est cher : la protection de la vie privée. La surprise vient de l’organe qui a provoqué cette soudaine apparition de la voix européenne : un juge. Il n’empêche, cela faisait un certain temps qu’une prise de position européenne n’avait pas connu un tel retentissement. Car si le sujet est évoqué dans tous les médias européens dès le jour même de la décision, il ne lui faudra également que quelques heures pour sortir des frontières de l’Union et de celles du continent. Aux Etats-Unis, par exemple, on ne s’amuse plus de la propension des Européens à vouloir protéger leur vie privée. On sent au contraire une véritable attente face aux enjeux considérables qu’implique une hyper connectivité toujours plus étendue. Il suffit pour s’en convaincre de lire les articles des grands médias américains ou d’étudier le droit californien, qui prévoit déjà la mise en place d’une législation spécifique sur le « droit à l’oubli » des mineurs dès 2015. En Chine les médias les plus influents (tels que Sina ou iFeng) ont tous évoqué le sujet. Depuis mai, près de 700 articles d’actualité ou des tribunes sont référencés sur Baidu, l’équivalent chinois de Google. L’Europe semble ouvrir une voie qui ne se refermera pas. UNE RUSTINE, PAS UN REMÈDE Le « droit à l’oubli » tel qu’il est institué par la CJUE et réalisé par les moteurs de recherche permet sans aucun doute de réparer certaines situations difficiles pour des particuliers. Il serait en revanche illusoire de croire qu’il constitue la voie royale de l’e-réputation : la protection que l’on peut espérer obtenir en passant par l’un de ces formulaires n’est que très relative. Non, nous ne pourrons pas obtenir la suppression de tout et n’importe quoi (nous n’avons d’ailleurs jamais accédé aux demandes les plus farfelues ou que nous ne trouvons pas légitimes). Et non, ce formulaire, bien qu’utile, ne constitue pas une protection suffisante pour gérer de manière efficace 1 0 The Networker | Numéro 17 | Ensuite parce qu’une utilisation mal réfléchie du formulaire « droit à l’oubli » peut causer plus de tort qu’elle n’était destinée à en réparer. En effet, alors même que la décision de la CJUE ne l’exigeait pas, Google a décidé de prévenir les sites internet de la désindexation de leurs pages. Les auteurs des contenus visés ont dès lors tout loisir pour s’offusquer de la demande et remettre à l’ordre du jour des contenus qui commençaient à se faire oublier pour de bon. Des articles qui n’avaient attirés que quelques centaines de lecteurs ont servis d’exemple pour illustrer le débat et ont été lus des dizaines de milliers de fois. Certains auteurs tels que Kevin Drum, journaliste de Mother Jones, se demandent même si Google et certains journalistes n’ont pas été presque complices pour créer davantage de trafic et dissuader les internautes et si la « réaction étonnamment rapide de Google à la décision de l’Union Européenne n’avait pas précisément pour objectif de causer exactement ce genre de retour de bâton ». Enfin parce que maîtriser sa réputation, ce n’est pas simplement cacher la poussière sous le tapis. Celui qui est encore bloqué sur cette conception est, hélas pour lui, très en retard sur son temps. Photo : © Hans - Pixabay Par Max Chouzier et Laura Dorstter Interview question ! Évidemment qu’un assassin à un droit à l’oubli. Quel droit vous avez à « savoir ce que quelqu’un a fait » alors qu’il a accompli sa peine et que maintenant le temps de la réinsertion est venu ? C’est rétablir une forme de peine de mort, mais sociale. On ne vous coupe pas la tête, mais on vous coupe tout moyen de retrouver une vie normale. La société de la transparence c’est un totalitarisme ; la liberté d’expression comme un absolu, c’est le contraire de la démocratie. Que penser de la réaction de Google qui alerte les sites internet concernés par une désindexation ? Interview Richard Malka Avocat spécialiste en droit de la presse et des médias En quoi un avocat spécialisé en droit de la presse peut-il s’intéresser au droit à l’oubli ? C’est une problématique lourde qui pose problème à tous nos clients. Elle est évidemment importante dans la mesure où ce qui peut et doit être dit un jour n’a pas forcément vocation à pouvoir et devoir être dit toujours. " Est-ce qu’un criminel ou un assassin a droit à l’oubli ? On ne devrait même pas avoir à poser cette Aujourd’hui, c’est Google qui choisit ce qui est désindexé ou pas, globalement sans aucune transparence... Le premier contrôle est réalisé par l’opérateur lui‑même, qui apprécie la légitimité de la demande Ce qui peut et doit être dit un jour n’a pas forcément vocation à pouvoir et devoir être dit toujours. Richard Malka Est-ce que la récente décision de la cour de justice de l’Union européenne va dans le bon sens ? La problématique du droit à l’oubli c’est qu’il n’y a aucun texte qui en parle ou qui définit ce qu’est ce droit. Jusqu’à récemment le droit à l’oubli n’existait pas, ce n’était pas une notion juridique. Mais lorsque vous commettez une infraction à 18 ans, si 30 ans plus tard on en parle encore, c’est une injustice qui est colossale… Et ce sans aucune légitimité ou justification. Pour la première fois la Cour de Justice de l’Union européenne s’est saisie de cette problématique et a défini des limites de ce que pouvait faire « Internet » et de ce qu’il ne pouvait pas faire. En cela c’est une décision véritablement historique. On peut le comprendre. Mais malheureusement l’attitude de Google depuis l’origine n’est pas une attitude digne. A chaque fois que l’on s’adresse à Google dans des cas de dérapage manifestes et graves, ils nous envoient balader avec une arrogance totale. S’ils avaient été un peu plus raisonnables depuis l’origine, on n’en serait probablement pas là. C’est un acteur qui a une responsabilité sociale lourde. Il n’y a aucune raison qu’il y ait une immunité à l’égard de Google. Photo : Mathieu Préau A LIRE : Notice Wikipédia de Richard Malka : http:// bit.ly/1ok2naL Richard Malka est aussi scénariste BD. Retrouvez ses ouvrages ici : http://bit. ly/1DBHUYU au regard des critères de la CJUE. La première appréciation, c’est normal que ce soit eux qui la fassent. C’est plus simple, plus rapide et s’ils reconnaissent eux-mêmes qu’on est dans le cadre de la jurisprudence et qu’ils l’enlèvent, tant mieux. Le dernier mot doit toujours revenir à la justice, mais avant d’en arriver là (ce qui concerne des milliers et des milliers de cas) on pourrait se demander s’il ne faudrait pas penser à une instance internationale qui serait un peu un arbitre des décisions de Google. Et il serait bien légitime que l’opérateur finance la régulation, en tout cas en partie. Retrouvez l’interview de Richard Malka en version longue sur notre blog : http://blog.reputationsquad.com/ Par Albéric Guigou et Max Chouzier The Networker | Numéro 17 | 1 1 Cas pratique Droit à l’oubli : Google vous oubliera peut-être, mais pas Baidu Depuis mai 2014, au sein de l’Union européenne, le droit à l’oubli accordé par Google est sans aucun doute un moyen supplémentaire de protéger ses informations personnelles sur internet. Malgré les débats, la procédure a le mérite d’exister. Ce qui est encore loin d’être le cas en Chine. a savoir : En Chine, en cas de crise digitale ou de bad buzz, un mot-clé comme le nom d’une personne peut être mentionné plusieurs centaines de milliers fois en 24 heures. La législation chinoise interdit de payer pour faire supprimer des données ou des informations en ligne. Yang Dacai représenté tout sourire devant un accident mortel. Ce sourire a déclenché l’ire des internautes chinois qui ont alors scanné le Web et trouvé son point faible : les montres de luxe impliquant la corruption de ce haut-fonctionnaire. Bad buzz. Prison. Illustration : © D.S.X (http://www.weibo. com/u/1002282395) A vec 800 millions d’internautes annoncés pour 2015, le Web chinois possède pourtant une puissance de frappe inégalée en termes de trafic. En Chine, en cas de crise digitale ou de bad buzz, on estime qu’un mot-clé – le nom d’un individu ou d’une personnalité par exemple – pourrait être mentionné plusieurs centaines de milliers fois en 24 heures. De quoi donner un poids très important aux informations relayées et les installer durablement dans les premiers résultats des moteurs de recherche. Essayer ensuite de supprimer les liens ou informations en question paraît très compliqué : en Chine, c’est en principe impossible. L’e-réputation, le droit à l’oubli et la protection des données personnelles n’ont donc pas la même résonnance sur le Web chinois. Tout doit y être envisagé autrement. le Web chinois (ce qui peut aller de la corruption des fonctionnaires à la maltraitance animale). Le meilleur exemple reste le cas de Yang Dacai, un ancien hautfonctionnaire chinois : les internautes ont repéré qu’il possédait plusieurs montres de luxe dans des photos partagées sur le Web. Alors que le nouveau gouvernement chinois affiche sa volonté de combattre la corruption, cela a aussitôt été signalé. Yang Dacai a fini en prison. Pour le grand public chinois, c’est un moyen légitime de surveiller les grandes personnalités. Et malgré les tentatives de législation, ces pratiques ne sont que rarement punies. Droit et protection des données personnelles : quelle réalité en Chine ? La législation chinoise a déjà mis en place certaines règles en relation avec ce sujet, il est par exemple interdit de payer pour faire supprimer des données ou des informations en ligne. La crainte de la désinformation a également généré des règlements stricts pour les réseaux sociaux : en Chine par exemple, une fausse information qui serait cliquée plus de 5000 fois ou retweetée plus de 500 fois constitue un crime pour l’auteur. La meilleure solution reste encore de créer des contenus, assez puissants pour faire contrepoids aux éventuelles attaques dont on peut faire l’objet sur Internet. Cela peut passer par la création de présences officielles sur les réseaux sociaux chinois avec un contenu adapté à ces publics. Un impératif de base pour maîtriser son image et sa réputation sur le Web chinois. Dans les faits, il existe bien une loi visant à protéger les données à caractère personnel en Chine. Mais en réalité, il est souvent très difficile de définir la responsabilité d’une personne physique et d’obtenir une décision de justice sur le Web. En Chine, c’est surtout un public – par nature très large – qui s’attaque à votre e-réputation, plutôt que quelques personnes clairement identifiables. Sur le Web chinois par exemple, de nombreux internautes participent à des recherches collectives au sujet de personnes ou de personnalités dans le but de publier leurs informations personnelles. Une pratique courante lorsqu’un « scandale » éclate sur 1 2 The Networker | Numéro 17 | Le droit à l’oubli sur le Web chinois, quelles solutions ? Par Edouard Rouzé et Junqiang Yu La chronique du juriste Montage photo : Réalisé par Reputation Squad avec la copie d’écran de la page « Conditions et règlements de Facebook ». Le Parisien assigne The Parisienne Facebook contre ses utilisateurs L es armées sont en place, et le champ de bataille est immense. Rapide état des lieux : d’un côté, Facebook Irlande, entité gérant tous les inscrits en dehors des américains et canadiens. De l’autre, 25 000 utilisateurs du réseau social, dispersés dans le monde entier, mais réunis dans une action en justice collective, initiée par un citoyen autrichien, Max Schrems. Leur revendication : que Facebook cesse ses atteintes à la vie privée et respecte la réglementation européenne relative aux données personnelles. Ils n’acceptent pas que Facebook s’approprie et cède leurs données à des tiers sans leur consentement, n’apprécient pas qu’il les espionne au travers de leur activité sur le réseau. Véritable témoin de ces inquiétudes, cette action collective a suscité une adhésion massive dans une centaine de pays. Une grande armée, certes, mais efficace ? On peut se poser la question. Car oui, la guerre juridique autour de l’utilisation de nos données personnelles par les réseaux sociaux avait déjà été déclarée par les associations de consommateurs, représentant naturels des utilisateurs. Finalement, ne s’agirait-il pas d’un simple doublon des actions déjà engagées au niveau national ? Citons par exemple l’UFC Que Choisir qui, en mars dernier, assignait Facebook, Twitter et Google devant les tribunaux français pour des griefs similaires. En réalité, ce n’est pas le nombre de plaignants qui est intéressant, mais bien le caractère international de ce nouveau mouvement. Les données personnelles sont maintenant devenues un enjeu mondial, ancrées dans l’économie numérique. La revendication autour de cellesci doit s’effectuer à une échelle au moins aussi conséquente, et c’est précisément pour cela que cette action collective est si remarquable. Notons qu’un tribunal de Vienne a enjoint Facebook le 21 août à exposer ses contre-arguments dans un délai de 4 semaines. Affaire à suivre. The Parisienne, un blog culturel dédié à la ville de Paris, a révélé le 26 août dernier s’être fait assigner en justice par le journal Le Parisien. Ce dernier estime que l’utilisation du nom « The Parisienne » constitue une contrefaçon d’une marque qu’il détient : La Parisienne. Cette affaire a entraîné de vives réactions dans la blogosphère, à tel point que Le Parisien a dû se fendre d’un communiqué pour expliquer que la blogueuse n’avait pas réagi à sa démarche amiable préalable. Cette dernière a néanmoins indiqué le 3 septembre que les deux parties ont convenu de se rencontrer afin de trouver un terrain d’entente. Le projet de loi numérique repoussée à 2015 Nous vous en parlions en mai dernier, le projet de loi numérique désormais porté par Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat chargée du numérique, a encore une fois vu sa présentation au Parlement repoussée à l’année prochaine. Le 4 septembre, Manuel Valls a annoncé à l’issue du Conseil des Ministres que des concertations seraient lancées par le Conseil National du Numérique autour de ce projet. Celles-ci devraient durer environ 3 mois. Ce projet de loi est censé aborder de multiples aspects juridiques sur le thème des nouvelles technologies, tels que le rôle des intermédiaires techniques, les données à caractère personnel, la neutralité du net, etc. La justice européenne se penche sur la notion de parodie L’application du droit d’auteur connaît quelques exceptions, dont celle de parodie. Dans un arrêt très attendu du 3 septembre dernier, la Cour de Justice de l’Union européenne estime que peut être attentatoire aux intérêts et droits des auteurs une parodie véhiculant un message potentiellement discriminatoire. Il s’agissait d’un parti politique nationaliste qui parodiait la couverture d’une BD en lui faisant porter un message discriminant. Par Jean Chérin The Networker | Numéro 17 | 1 3 Culture clash Vice News, l’avenir de l’info ? Les médias traditionnels vont de plan d’économie en plan social, il est prévu que la presse quotidienne disparaisse aux USA en 2017, et pendant ce temps le groupe Vice Media atteint la valorisation de 2,5 milliards de dollars et compte 4 000 salariés dans le monde. S i Vice était un magazine au départ, c’est le numérique qui lui vaut aujourd’hui d’incarner une révolution dans le paysage médiatique mondial avec 220 millions de visiteurs uniques et 500 millions de vues par mois sur leurs vidéos. Photo © TheAngryTeddy Pixabay CHIFFRES 220 millions de visiteurs uniques sur le site Web Vice : http://www. vice.com/ 500 millions de vidéos vues par mois sur Vice.com 10 x La valorisation de Vice Média est 10 fois supérieure au montant payé par Jeff Bezos pour le rachat du Washington Post. Si nous nous penchons aujourd’hui sur Vice c’est en grande partie dû au lancement de Vice News, une chaîne en ligne qui est en train de bouleverser la grammaire journalistique et d’obtenir des scoops retentissants que le Monde ou le New York Times doivent se contenter de relayer dans leurs colonnes. L’exemple le plus impressionnant étant la plongée terrifiante et hypnotique au sein de l’Etat Islamique que Vice a mis en ligne cet été. Alors que d’ignobles décapitations de journalistes y ont eu lieu, les équipes de Vice ont réussi à s’y rendre et à en ramener un documentaire couvrant de nombreuses dimensions de cette organisation sanguinaire. Le choc est violent également pour les pure players qui se contentent de reprendre l’air du temps des réseaux sociaux sans consacrer à leurs « enquêtes » le temps et les efforts nécessaires pour produire de la véritable information. Ainsi, il n’est pas étonnant que Rue89 par exemple publie un papier visant à nier la qualité journalistique ce qui a été réalisé par Vice en Syrie et en Irak. Sûrement de l’auto-dérision, quand on sait que Rue89 est plus célèbre pour ses articles trouvant leurs sources sur le Web que sur le terrain... En effet, Vice est en train d’apporter trois 1 4 The Networker | Numéro 17 | bouleversements majeurs aux médias : Un ton et des formats innovants Un reportage Vice ne peut pas être confondu avec un autre, la liberté de ton et l’impression de prise de risque physique sont uniques. Le journaliste se met également en scène le plus souvent, en n’hésitant pas à devenir acteur du docu en tirant à la kalashnikov ou en consommant de l’alcool à haute dose avec un oligarque russe. La liberté de ton de l’Internet est passé par là, le ton compassé et les précautions langagières des anchormen ne passent plus et Vice en a tiré toutes les conclusions. La capacité à intéresser les jeunes à l’actualité Les digital natives ont massivement cessé de suivre les médias d’actualités en comparaison de leurs aînés qui obéissaient à des rituels (le quotidien local, la messe du 20H, etc.). Le New York Times reconnaissait récemment ses difficultés à toucher ce public (celui de l’avenir !) Culture clash Les médias issus de la vieille économie ne manqueront pas de pousser des cris d’orfraie devant de telles pratiques et en attaquant la légitimité journalistique... On peut douter de la légitimité de telles réactions à l’heure où l’ensemble des acteurs de la presse se jette avec empressement sur ce qui leur semble être la nouvelle poule aux oeufs d’or : le Native Advertising (cf. The Networker #16). Le modèle semble en tout cas fonctionner puisque les estimations évoquent un chiffre d’affaires d’un demi-milliard de dollars et de dizaines de millions de profits annuels. Il ne s’agit pas de dire que Vice Media est exempt de tous reproches et dispose d’une ligne éditoriale inattaquable, une grande partie de leurs articles sont à la fois racoleurs et anecdotiques, mais ceux du Figaro ou du Nouvel Obs le sont tout autant. Si les médias veulent survivre, ils doivent aujourd’hui assumer ces deux dimensions, une partie infotainment et de l’info pure et dure sans compromis. Ceux qui y parviendront seront comme l’a dit ambitieusement le CEO de Vice : CNN, MTV et ESPN à la fois. Est-ce à dire que l’ensemble des médias doivent et vont donc converger vers le modèle unique de l’infotainment ? et à exister sur les réseaux sociaux. L’ADN de Vice est en revanche totalement en adéquation avec les goûts de la jeunesse. Les formats de Vice ont la capacité de séduire et d’être partagés massivement sur les réseaux sociaux, ces derniers sont en effet la source prioritaire de trafic que doivent viser les médias en ligne dès aujourd’hui. Un business model novateur et sans complexe Vice est également en train de donner un coup de boutoir considérable dans l’univers poussiéreux des médias en inventant de nouvelles sources de revenus. Un reportage sur les sociétés militaires privées a part exemple été financé par le jeu Call of Duty. Vice refuse le terme de sponsoring qu’il trouve limité et revendique une vraie réflexion conjointe avec son partenaire annonceur. Heureusement non, des médias spécialisés, pointus, en un mot sérieux vont perdurer et probablement se développer, mais ils devront le faire en bouleversant leurs vieilles attitudes. Il ne s’agit pas seulement d’opérer une transition du papier vers le digital (qui est déjà ardu comme le montre l’exemple de Libération) mais de repenser le rôle même du journaliste. Le journalisme sans forte valeur-ajoutée n’a plus de raison d’être car il est moins pertinent que la plupart des blogs et même du brand content fourni par les marques. Le journalisme des années à venir demandera plus de moyens et d’innovation que celui que nous avons connu jusqu’à aujourd’hui. Ce nouveau journalisme devra trouver un équilibre, qui n’existe pas encore, entre éthique, proximité avec le public et valeur-ajoutée dans l’analyse. Par Albéric Guigou The Networker | Numéro 17 | 1 5 Culture Clash Facebook News Satire Attire So earlier this summer Facebook announced that they were trying out a system that would flag satire articles in our news feed to let us know that said articles are not, in fact, real news. T his of course includes content from the Onion, Dailymash and every other medium in that vein that delight us with headlines such as “Forced viewings of Frozen begin” or “Horrified Subway Execs Assumed People Were Buying Footlongs To Share With A Friend”. As of yet, Facebook is still in the process of testing it out and we can assume that the “satire” tag will be applied in relation to the source as opposed to the actual content, but that remains to be seen. This is causing some ruckus and although I personally do not care all that much whether they go through with it or not, I would instead like to imagine a scenario where they would take the idea one step further. What if Facebook et al. decided to put a sticker or a rating on every piece of news that is being shared to determine how likely the information is to be valid or correct based on its sources? Think about this for a second: what if there was a body that could verify every bit of information that is being spread around and determine whether they are correct or not, it would ultimately make the media world a better place because if speed is the currency of the modern information era, misinformation is the increasingly high cost. Hell, it might even make some media a reliable news 1 6 The Networker | Numéro 17 | source (I’m looking at you Fox News). L’équipe pluriculturelle de Reputation Squad vous offre un article en anglais dans chaque numéro. Illustration : © Jim Benton To read Facebook announces satire tags to help distinguish parody news in the user’s feed : http://cnet. co/1DBNfj3 This is of course a “what-if” situation, but it seems that over the past few years the investigation component of journalism has indeed taken a bit of a backseat, all in the name of being the first to publish the headline. In a perfect world we should challenge everything we read, and everything we read should be backed up by facts and reliable sources. I’ll be the first to admit that we haven’t got enough time to approach the matter in that fashion every single day, but we shouldn’t assume that everything that’s out there is accurate. In the meantime, the satire tag is somewhat useful in the sense that we don’t spend a lot of time looking at headlines and knowing straight away that we are reading genuine news is in some instances beneficial: believe it or not some actual headlines seem so incongruous it’s hard to tell them apart from a satirical piece (clickbait era at its finest, really) though it is the exception rather than the rule. Bottom line, don’t believe everything you read on twitter. And Facebook probably shouldn’t be your primary news source either. But hey, they are making it better. Par Julien Tissandier A ne pas manquer L’appli du moment Culture & Web Le site du mois : www.4chan.org Le site 4chan a favorisé la divulgation des photos de célébrités dénudées qui ont provoqué le récent scandale du Celebgate, suite à quoi il s’est désormais engagé à respecter la loi américaine DMCA qui protège le droit d’auteur et la propriété intellectuelle. Le terme du mois : Celebgate L’expression désigne la récente diffusion de clichés intimes de stars sur le Web, suite au piratage des comptes iCloud de personnalités. Le terme Celebgate a notamment été popularisé par quelques grands médias et un hashtag sur Twitter. L’été numérique : Les huit révolutions digitales qui vont transformer l’entreprise Editions nouveaux débats publics - Thierry Jadot L’été numérique est pour demain, nous annonce Thierry Jadot : la recherche de la personnalisation la plus poussée conduit vers une nouvelle intelligence marketing et l’émergence du consommateur-expert. Cette rupture représente à la fois la naissance d’un nouveau monde et une incitation à l’innovation. Les entreprises leaders de demain seront celles qui auront su renouveler et adapter leur stratégie de communication à l’enjeu du digital. © 2013. Oculus VR, Inc. Oculus Rift Nous l’avons testé L e nom résonne dans la communauté geek depuis 2012 mais c’est depuis quelques mois que le grand public en entend parler. En effet, le projet Kickstarter a été racheté 2 milliards de dollars par Facebook et les termes « révolution » ou encore « immersion » sont monnaie courante pour décrire le dispositif. L’Oculus Rift est donc un casque de réalité virtuelle. Grâce à un écran LCD, deux lentilles grossissantes et des capteurs, le casque simule les mouvements de tête de l’utilisateur dans un environnement en trois dimensions. C’est l’addition de ces technologies qui permet de donner la sensation à l’utilisateur d’être « ailleurs ». Quelles applications ? Si les joueurs l’attendent de pied ferme pour repousser les sensations de jeu, c’est là ou on ne l’attend pas que le Rift montre son potentiel, un chirurgien a ainsi réalisé la première opération en réalité virtuelle. Les possibilités sont de l’ordre de l’infini : visite de sites en construction, rencontres virtuelles, visualisation de données complexes… Une révolution ? Reputation Squad, a pu se faire la main sur la version 2 du kit de développement. Le produit n’est pas sans défaut (sensation de nausée, pixels visibles et rémanence) mais les sensations sont bien présentes pour un prototype. Qu’est-ce-que Kickstarter ? Kickstarter est une plateforme de financement participatif qui permet aux internautes de financer des projets encore au stade d’idées Le sentiment d’immersion est tel qu’on peut facilement imaginer la réalité virtuelle comme « the next big thing ». Samsung et Sony l’ont bien compris et ont chacun leur casque en projet. Plamer Luckey, l’inventeur de l’Oculus Rift de tout juste 22 ans, nous assure une sortie finale d’ici 3 ans pour un prix proche de 300 euros. Par Mathieu Préau The Networker | Numéro 17 | 1 7 A ne pas manquer Les expos à ne pas manquer Niki de Saint Phalle (Re)connue pour sa série de sculptures intitulée « nanas », Niki de Saint Phalle était une artiste et féministe engagée dont les oeuvres monumentales, puissantes et dominatrices constituent une explosion de couleurs et d’energie. Une rétrospective à ne pas manquer ! Jusqu’au 2 février 2015. Grand Palais, 3, avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris. Dessins du studio Ghibli Ghibli, studio japonnais de cinéma d’animation, a produit une quirielle de films, poétiques et oniriques. Venez découvrir plus de 1 300 dessins originaux issus du génie de Takahata et Miyazaki. Jusqu’au 1er mars 2015. Musée Arludik, Les Docks Cité de la Mode et du Design, 34 Quai d’Austerlitz, Paris. Nuit Blanche Paris Ne manquez pas la 13e édition de la Nuit Blanche, programmation artistique contemporaine qui vous fera découvrir gratuitement oeuvres et artistes dans des installations exceptionnelles qui vous feront voir Paris sous un autre angle. Du samedi 4 au dimanche 5 octobre 2014. Dans tout Paris. © Café des Abattoirs Le Café des Abattoirs, une belle viande en plein coeur de Paris I l n’est pas évident de trouver une adresse sympa vers le Marché Saint-Honoré. Je suis allé en chercher une pour vous, mais vous avez intérêt à aimer la viande. La Café des Abattoirs, comme son nom le laisse présager, est une adresse carnivore ouverte depuis moins d’un an qui réussit à se démarquer : on partage les entrées du jour, les viandes -en plus d’être bonnes- sont plutôt originales, ils proposent des accompagnements light et les desserts sont travaillés ce qui est rare pour ce genre d’endroits. Que déguste-t-on là-bas ? Des entrées digestes (tempura de crevettes, gazpaccio maison) qui viennent alléger la valeur calorique globale d’un “resto à viandes”. Ensuite, une épaule d’agneau , Allaiton de l’Aveyron ou une bavette Black Angus accompagnées d’un mix très réussi roquette/pommes pailles. Les gros mangeurs pourront se diriger vers la côte de boeuf irlandaise maturée 4 semaines. En dessert, un oeuf à la neige aux pralines roses. Tout est bon, les produits de grande qualité et l’exécution parfaitement réussie. Combien ça coûte ? Formules entre 32 et 45 euros (entrée, plat, dessert). Quels blogs en ont parlé ? Les Bonnes Tables de Jack & Walter, Pudlowski, Les Resto … Une anecdote ? Le chef utilise un four très rare (le Josper) qui est à la fois un barbecue et un four. Cela permet d’obtenir une cuisson barbecue sans brûler la viande. Un conseil ? La terrasse les jours de beau temps. C’est ouvert tous les jours. Adresse : 10 rue Gomboust, 75001 Paris Téléphone : 01 76 21 77 60 Par Fabrice Ivara The Networker | Numéro 17 | 1 8