CRITIQUES DE LIVRES Stopping the Panzers

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CRITIQUES DE LIVRES Stopping the Panzers
CRITIQUES DE LIVRES
pagne, à l’est de la ville, dans un secteur idéal pour
la conduite de contre-attaques mobiles susceptibles
de leur permettre de repousser les Alliés jusqu’à la
mer. La veille de l’invasion, en juin 1944, le service
de renseignement allié confirmait la réalisation du
scénario que les planificateurs craignaient le plus :
540 panzers étaient en train de se rassembler près
de Caen. Cette nouvelle venait trop tard pour que
le plan puisse être changé, alors, comme l’indique
Milner, il ne restait plus qu’à lancer l’assaut et à
espérer que tout finisse bien (p. 91).
Le plan était des plus périlleux, et la
3e Division du Canada devait partir des plages et
avancer vers l’intérieur des terres, là où les panzers
semblaient représenter le plus grand risque.
Comme Milner le fait remarquer, les
historiens ont cristallisé leur attention sur le
General Dwight Eisenhower, commandant
suprême des Forces alliées en proie à une vive inquiétude qui, au début
de juin 1944, était aux prises avec une myriade de facteurs susceptibles
d’empêcher les Alliés de remporter la victoire, dont les mauvaises
conditions météorologiques et le danger qui guettait les soldats aéroportés à l’atterrissage. Toutefois, aucun de ces historiens ne semble avoir
établi une relation entre les craintes d’Eisenhower et la présence des
540 panzers qui se rassemblaient près de Caen (p. 93). Heureusement
pour Eisenhower, les craintes qu’il nourrissait à l’égard du débarquement
amphibie de troupes navales et aéroportées ne se sont pas matérialisées
au moment où les Américains, les Britanniques et les Canadiens saisissaient des terrains sur les plages et agrandissaient peu à peu le territoire
qu’ils occupaient, durant le mois de juin.
Milner tourne ensuite son attention vers la 3e Division d’infanterie canadienne et la 2e Brigade blindée canadienne attachée, toutes
les deux débarquées en Normandie le 6 juin 1944. Jusqu’à ce que le
2e Corps canadien devienne opérationnel, en juillet, elles étaient les seules
formations canadiennes en Normandie. Milner remet en question l’idée
sérieusement faussée (p. 300) que se font certains historiens anglocanadiens des premières étapes de la progression vers les terres
intérieures en avançant qu’il est faux de penser que les troupes
canadiennes, plus précisément la tête d’avant-garde de la 9e Brigade d’infanterie, ont été incapables de mener à bien les attaques ratées du 11 juin
Stopping the Panzers:
The Untold Story of D-Day
par Marc Milner
Lawrence, Kans., University of Kansas Press, 2014
xvii+375 pages, 34,95 $US
ISBN 978-0-7006-2003-6
Critique de Peter J. Williams
L
’auteur de la présente critique a tendance à se méfier
de ce qui se trouve derrière la couverture lorsque
le titre d’un ouvrage comprend les mots « The
Untold Story » (l’histoire inédite). Dans le cas qui
nous intéresse, un certain nombre de choses m’ont
amené à comprendre que mes craintes n’étaient pas fondées.
Premièrement, l’auteur : l’un des historiens les plus accomplis du
dans le Mesnil-Patry en raison de leur manque
d’initiative ou de leur incompétence (p. 300),
et qu’en réalité, elles ont affronté et vaincu une
force puissante nettement mieux équipée qu’elles
en canons et en artillerie antichars. La défensive
de plus grande envergure menée antérieurement
à Putot, Bretteville et Norrey, du 8 au 10 juin,
au cours de laquelle deux brigades canadiennes
ont affronté le 26e Régiment de grenadiers, des
éléments de la Division blindée d’instruction et
le 12e Bataillon blindé de la SS, dont le but était
de détruire la tête de pont des Anglo-Canadiens,
n’était pas un fait du hasard. Réalisée selon le
plan Overlord, elle a permis de prévenir la
contre-attaque qui aurait pu faire échouer toute
l’opération Overlord (p. 301). Milner établit donc
un lien entre le travail de planification fait par les
Alliés avant l’invasion et le cours qu’ont pris les
événements durant la campagne, et il considère
que la résistance emblématique de la 3e Division du Canada a sauvé
l’invasion des Alliés et a en fait été la contribution la plus importante
du Canada à la victoire des Alliés en Normandie (p. 315).
Il s’agit là d’une conclusion percutante – ce qui explique peut-être
que ce soit une maison d’édition des États-Unis et non pas du Canada
qui a publié le livre. En effet, les historiens cités sur la jaquette du livre
sont des États-Uniens et non des Canadiens. Toutefois, Milner choisit
de ne pas épargner les Canadiens de toute critique : il fait remarquer
que des divisions canadiennes fraîchement formées et les quartiers
généraux du corps et de l’armée du Canada qui sont arrivés par la suite
ont commis une multitude d’actes ayant toute l’apparence de bavures et
d’occasions ratées qui expliquent que les Alliés ne sont pas parvenus à
fermer rapidement la brèche de Falaise. Néanmoins, comme Milner le
fait remarquer, le pardon pourrait bien un jour leur être accordé, mais
il vaudrait mieux revenir sur ce sujet une autre fois (p. 315). L’étude
de Milner aura peut-être une suite qui traitera du sujet. D’ici là, nous
n’aurons d’autre choix que de continuer à nous étendre sur le cours des
événements qui ont conduit à la stupéfiante victoire qu’ont remportée
les Alliés en Normandie durant l’été de 1944.
Ancien officier de l’arme blindée, le major John Grodzinski, C.D.,
Ph. D., est professeur agrégé d’histoire au Collège militaire royal
du Canada.
Canada, le professeur Marc Milner s’est fait remarquer par ses
travaux sur notre histoire navale. Anciennement au service de la
Direction – Histoire et patrimoine, il occupe actuellement le poste
de directeur du Centre Brigadier F. Gregg, V.C., pour l’étude de
la guerre et de la société (Brigadier F. Gregg, V.C. Centre for the
Study of War and Society) de l’Université du Nouveau-Brunswick.
Deuxièmement, j’ai eu la chance d’assister au lancement du
livre au Musée canadien de la guerre, où l’auteur a présenté son
œuvre. Au cours de sa présentation, il a résumé (dans ses mots)
ce que nous pensons « savoir » (Marc Miller fait ici un emploi
très habile des guillemets) à propos du rôle qu’a joué le Canada
au regard du jour J. J’ai découvert, sans doute à l’instar d’un bon
nombre des personnes présentes, que ma connaissance du sujet
n’était pas aussi grande que je le pensais. Troisièmement, le livre
a été publié par les presses de l’Université du Kansas, qui jouent
un rôle de premier ordre dans le domaine de l’histoire militaire.
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Enfin, comme je le fais habituellement avant d’acheter un livre,
j’ai vérifié si les notes et les sources primaires étaient nombreuses.
Il n’y avait pas de quoi s’inquiéter à ce sujet, comme le diraient
mes collègues australiens.
Ce que l’auteur cherche à accomplir dans son livre, et il y est
parvenu à mon avis, est de déconstruire bon nombre des prétendus
mythes entretenus à propos du rendement de la 3e Division du Canada,
plus particulièrement durant le débarquement en
Normandie et immédiatement après. Bien que
nous sachions tous (ou devrions tous savoir)
que la 3e Division est entrée plus loin dans les
terres que toutes les autres formations alliées le
6 juin, certains s’accrochent à l’opinion toute
faite selon laquelle les Canadiens n’ont pu poursuivre leur avance dans les jours qui ont suivi
le débarquement et ont été surpassés par leur
adversaire allemand. Ce n’est pas le cas, soutient
Milner, qui est d’avis que ce sont les troupes de
la 3e Division du Canada, affaiblie sans aucun
doute, qui tenaient le haut du pavé au jour 4 (le
10 juin) : elles avaient arrêté l’avance des unités
de panzers (dont le nombre équivalait à trois divisions et dont Milner critique le leadership), qui
auraient autrement vaincu sur les plages toutes
les troupes alliées participant à l’invasion.
L’auteur expose d’abord le contexte entourant la planification du débarquement, pour lequel
la 3e Division du Canada jouait en effet le rôle de la formation de
l’effort principal des Alliés et s’était vu confier la tâche de mettre fin
à la contre-attaque menée au sol par les Allemands. Les deux camps
savaient qu’elle devait jouer un rôle crucial dans cette tâche. Une
bonne partie du livre porte sur les actions menées par les 7e et 9e brigades canadiennes, qui ont dirigé l’avance de la 3e Division jusqu’au
10 juin. Même si ce sont sans doute surtout ses récits sur la conduite
de la guerre navale qui ont fait sa renommée, Milner prouve qu’il sait
décrire de manière tout aussi aisée et, assurément, avec brio, les petits
combats menés au niveau de la brigade et aux niveaux inférieurs. En
fait, Milner s’est rendu sur le terrain où se sont déroulées les actions
décrites dans son livre.
Étant artilleur, je me suis présenté à l’auteur à ce titre durant la
séance de dédicace et lui ai dit que j’espérais qu’il avait consacré une
partie importante de son livre aux actions menées par l’Artillerie royale
canadienne (ARC). Il m’a répondu que c’était le cas.
En effet, c’était bel et bien le cas. Toutefois, le traitement du
sujet ne correspondait pas tout à fait à ce à quoi je m’attendais. Le
professeur Milner explique très soigneusement que la 3e Division du
Canada était fort bien soutenue par les ressources de l’appui-feu, plus
que toutes les autres divisions alliées ayant débarqué en Normandie
le jour J, comme il le fallait compte tenu de son rôle, et que nous
pouvons en être fiers dans une certaine mesure. Toutefois, l’un des
faits mentionnés dans l’« histoire inédite » est que le 14e Régiment
de campagne de l’ARC n’aurait, selon Milner, commencé à fournir
le soutien de l’appui-feu à la 8e Brigade qu’à la fin de l’après-midi du
jour J. Bien que les tirs d’appui (selon les mots de l’auteur) aient empêché la destruction pratiquement complète des unités du North Nova1,
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je me suis demandé pourquoi le Régiment n’avait pas tiré plus tôt.
J’ai donc vérifié l’histoire officielle de l’ARC et j’ai constaté que
les entrées sur le 14e Régiment de campagne étaient plutôt minces
et qu’elles ne faisaient aucune véritable référence aux tirs d’artillerie
du Régiment; elles décrivent plutôt les « problèmes sérieux2 » que
posaient pour le Régiment les tirs ennemis et la présence de crêtes
entre ses pièces d’artillerie et les cibles possibles. Cette révélation
donnait en quelque sorte à réfléchir.
En ce qui concerne l’approche scientifique
du livre, elle est d’une rigueur irréprochable
et répond à la norme à laquelle chacun s’attend de la part d’un auteur éminent. Les notes
remplissent 24 pages, et la liste des sources
primaires comprend des documents provenant
non seulement de toutes les régions du Canada,
mais aussi des États-Unis et du Royaume-Uni,
dont, fait intéressant, les archives de la British
Broadcasting Corporation (BBC). L’ouvrage est
enrichi par les récits personnels de combattants
et par l’accès à des sources allemandes, qui fournissent des détails sur le nombre de pertes que les
Canadiens ont infligées aux Allemands. De très
bonnes cartes complètent le récit lorsqu’il le faut,
ainsi qu’un bon nombre de photos assez rares, y
compris des photos de personnalités ayant joué
un rôle essentiel au sein de la 3e Division du
Canada et de troupes canadiennes et allemandes
en pleine action. L’une de ces personnalités est le
lieutenant James Doohan, un officier qui a participé au débarquement
du 6 juin 1944 à titre de membre du 13e Régiment de campagne de
l’ARC (au sein duquel le père de Milner a servi) et qui, devenu acteur
par la suite, s’est surtout fait connaître par le rôle du personnage de
« Scotty » qu’il a joué dans la série télévisée Star Trek.
Nous devrions envisager de faire de Stopping the Panzers un
manuel pour les cours d’histoire offerts à notre Collège militaire
royal et dans d’autres unités d’instruction des Forces armées canadiennes qui enseignent l’histoire aux membres de nos forces de
combat. Certainement, chaque régiment canadien (ou « Régiment »)
ou service canadien qui a débarqué en Normandie le jour J devrait
en posséder un exemplaire dans sa bibliothèque. À la lecture de cet
ouvrage, les générations futures approfondiront leur compréhension
de notre passé et les « mordus de l’histoire » en devenir apprendront
qu’il n’est jamais trop tard pour raconter une « histoire inédite ». Je
recommande vivement cet ouvrage.
Le colonel Williams vient de prendre sa retraite de l’armée,
mais il occupait jusqu’à tout récemment le poste de directeur –
Vérification du contrôle des armements au sein de l’état-major
interarmées stratégique. Il publie régulièrement des articles dans la
Revue militaire canadienne.
NOTES
1
2
Marc Milner, Stopping the Panzers : The Untold Story of D‑Day, Lawrence, Kans.,
University Press of Kansas, 2014, p. 186.
Colonel G.W.L. Nicholson, C.D., The Gunners of Canada, volume II : The History
of the Royal Regiment of Canadian Artillery, 1919‑1967, Beauceville, Québec,
Imprimerie L’Éclaireur, 1972, p. 279.
Revue militaire canadienne • Vol. 16, N o 3, été 2016