Du désert géographique au désert spirituel

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Du désert géographique au désert spirituel
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Une expérience pédagogique en seconde : étude du roman Désert de J.M.G. Le Clézio,
Joël Arlin, juin 2006
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DU DESERT GEOGRAPHIQUE AU DESERT SPIRITUEL
Le professeur fait observer aux élèves que les grandes religions monothéistes sont nées au désert :
désert du Sinaï pour le Judaïsme lors de l'exode et du don de la Thora à Moïse et au peuple hébreu,
désert de Judée pour le christianisme où Jésus a été tenté par Satan, désert arabique pour l'Islam où
Mahomet a reçu les révélations d'Allah par l'ange Gabriel.
1 - POURQUOI ?
La vacuité du désert, son espace ouvert, sa beauté mais aussi sa dureté climatique rapprochent les
hommes de l'Essentiel. Au désert, il n'y a pas de faux-fuyants, de divertissements multiples et variés.
Ceci favorise la rencontre entre le créateur et la créature. Le prophète Osée dans la Bible dit, à propos
de son épouse infidèle, image du peuple hébreu : « Je vais la conduire au désert et parler à son cœur.
(...) Là, elle répondra comme aux jours de sa jeunesse, comme au temps où elle monta du pays
d'Egypte. (...) Je te fiancerai à moi pour toujours, je te fiancerai à moi dans la justice et dans le droit,
dans la tendresse et dans l'amour et tu connaîtras le Seigneur. » (Bible de Jérusalem, Osée ch 2, v 16
à 22).
Plus près de nous, de grands spirituels comme Charles de Foucauld ou Théodore Monod ont été des
hommes du désert. Ils ont été séduits par le désert. Théodore Monod, né en 1902 et mort il y a
quelques années, fut un naturaliste et un explorateur. Il s'est spécialisé dans l'étude du Sahara, le
parcourant à pied et à dos de chameau, alliant découverte scientifique et recherche spirituelle : « J'ai eu
la chance de rencontrer le désert, ce filtre, ce révélateur. Il m'a façonné, appris l'existence. Il est beau,
ne ment pas, il est propre. » (Pèlerin du Désert, La Table ronde). Charles de Foucauld, officier,
explorateur puis ermite, né en 1858, retrouva les chemins de la foi au contact du monde musulman et
voulut s'enfoncer dans le désert du Hoggar où il fut assassiné en 1916 à Tamanrasset. Il écrivait à un
ami trappiste, le Père Jérôme : « II faut passer par le désert et y séjourner pour recevoir la grâce de Dieu
: c'est là qu'on se vide, qu'on chasse de soi tout ce qui n'est pas Dieu et qu'on vide complètement cette
maison de notre Sme pour laisser toute la place à Dieu seul. (...) Il faut à l'âme ce silence, ce
recueillement, cet oubli de tout le créé au milieu desquels Dieu établit son règne et forme en elle l'esprit
intérieur. » (Carrouges Michel, Charles de Foucauld, explorateur mystique, 10/18).
Ces deux hommes auxquels il faut joindre Lawrence d'Arabie, anglais qui fut fasciné par le désert et par
ses habitants (1888-1935) au point de s'habiller en bédouin et d'épouser la cause des bédouins,
renouent avec une tradition très ancienne qui a fait fuir au désert, aux premiers siècles de l'ère
chrétienne, de nombreux hommes épris d'Absolu : Antoine, Pacôme et bien d'autres. Certains vivaient
en haut d'une colonne (les stylites), d'autres dans des grottes mais tous cherchaient ce dépouillement,
cette simplification qui rapproche de Dieu. Jacques Lacarrière dans Les hommes ivres de Dieu (Arthaud,
1961) retrace la vie de ces mystiques du Désert.
« L'homme ne vit pas seulement de pain » mais la Parole de Dieu peut aussi le nourrir intérieurement.
L'espace désertique, chemin de dénuement et de vérité, permet ce passage de l'extrémité à l'intériorité.
Elie, Jean le Baptiste sont, dans la Bible, les figures tutélaires des mystiques du désert. Aujourd'hui
aussi de nombreux moines et moniales (Chartreux, Carmes, Cisterciens, Bénédictins) continuent à
chercher Dieu au désert. Le désert géographique ayant souvent laissé place à la spiritualité du désert :
dépouillement, désencombrement du superflu pour chercher l'unique nécessaire : Dieu.
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2 - COMMENT PEUT-ON CARACTERISER CETTE SPIRITUALITE DU DESERT ?
Trois éléments peuvent nous permettre de répondre à cette question : la non-possession, la solitude et
le silence.
a) La non possession
Les hommes du désert tout comme Abraham, le père du monothéisme, sont des nomades. Ils avancent
au gré des conditions climatiques et de la végétation clairsemée d'un milieu souvent hostile. Le monde
dans lequel ils vivent ne leur appartient pas.
C'est cette non-possession qui fonde leur liberté et Le Clézio le souligne à plusieurs reprises dans son
roman. En parlant des hommes bleus qui luttent contre les colonisateurs français, il affirme : « Les
hommes avaient la liberté de l'espace dans leur regard... » (Désert, p 13, Collection Folio). « Mais c'était
le seul, le dernier pays libre peut-être, le pays où les lois des hommes n'avaient plus d'importance. »
(Ibid, p 148). « Les hommes bleus avançaient sur la piste invisible, vers Smara, libres comme nul être au
monde ne pouvait l'être. » (Désert, p 23) « La terre qu'ils défendaient ne leur appartenait pas ni à
personne, parce qu'elle était seulement l'espace libre de leur regard, un Don de Dieu. » (Ibid, p 38) « II
n'y avait pas de fin à la liberté, elle était vaste comme l'étendue de la terre, belle et cruelle comme la
lumière, douce comme les yeux de l'eau. » (Ibid, p 439)
Pour le nomade comme pour le pèlerin, le désert est un Don de Dieu dont il n'est pas propriétaire, dont
aucun autre homme n'est propriétaire. Cette non-possession fonde sa liberté, liberté d'aller et de venir,
liberté de l'itinérance. « Si l'eau d'un étang reste immobile, elle devient stagnante, boueuse et
fétide ; elle ne reste claire que si elle remue et s'écoule. »
Ce proverbe arabe nous donne toute la dimension du nomadisme : le ciel, le sable, l'eau, le vent ne
nous appartiennent pas. Lorsque le troupeau de chèvres n'a plus rien à brouter, on va plus loin, selon
les nuages. Le nomade reçoit la création comme un don de Dieu au lieu de clôturer définitivement son
territoire en se proclamant propriétaire.
Et l'appel d'Abraham au livre 12 de la Genèse résonne dans la Bible comme une invitation à l'itinérance,
à la désappropriation. « Abraham vivait alors en Chaldée. Le Seigneur lui dit : Pars de ton pays, laisse ta
famille, la maison de ton père, va dans le pays que je te montrerai. » (12 Genèse 12 - v 1 et 2)
C'est sans doute la liberté du nomade, la liberté des gens des nuages comme les appelle Le Clézio qui
les rapproche de Dieu, qui leur permet de fonder leur vie sur l'essentiel et non sur l'accessoire.
De même, les moines ou les moniales dans leurs monastères choisissent librement de ne rien posséder
en propre pour mieux s'attacher à l'Unique nécessaire.
b) La solitude
Si les hommes ivres de Dieu selon l'expression de Lacarrière choisissaient de partir au désert, c'était
pour pouvoir trouver Dieu au plus intime de leur être dans la solitude essentielle et radicale. Pour le
mystique, la solitude n'est pas à redouter, elle conduit celui ou celle qui l'apprivoise à son propre cœur.
Ecoute en toi la source qui te parle d'Aimer, apprivoise-toi, découvre tes terres intérieures pour
connaître celui qui est le plus intime à toi-même que toi-même.
Comme le dit Rainer Maria Rilke dans ses Lettres à un jeune poète, nous sommes solitude. Ce qui
fonde mon unicité, c'est mon irréductible différence avec autrui que je ne puis éprouver et comprendre
que dans la solitude. O beata solitudo, sola beatitudo (O bienheureuse solitude, seule béatitude). La
solitude dans la spiritualité du désert, même si elle se conjugue avec des moments de rencontre,
d'entretiens spirituels ou de prière communautaire est un espace vital qui permet de conserver, de
cultiver un état de prière perpétuel.
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c) Le silence
La solitude ne serait rien sans le silence qui permet le recueillement, l'accès à l'intériorité dans le
sanctuaire de l'âme. La spiritualité du désert dénonce cette pollution de l'âme que constitue l'invasion de
la télévision, de la radio, du bruit dans nos vies publiques et privées. Dans le silence se construit
l'homme intérieur créé pour passer de l'image à la ressemblance de Dieu. Moïse, Jésus ou Mahomet
cultivaient le goût du silence qui leur permettait d'être à l'écoute de leur Seigneur. De même Bouddha au
5ème siècle avant JC ou les grands sages de l'Inde d'hier et d'aujourd'hui sont des êtres emplis de
méditation et de silence.
Pour St Isaac le syrien, le silence permet de vivre en ce monde comme si nous étions déjà dans
l'Éternité : « Plus que toutes choses, aime le silence, il t'apporte un fruit que la langue est impuissante à
décrire. D'abord, c'est nous qui nous contraignons à nous taire. Ensuite de notre silence même naît en
nous quelque chose qui nous attire au silence. Que dieu te donne le sentiment de ce quelque chose qui
naît du silence. Après un temps, une certaine douceur naît dans le cœur par l'exercice de cette règle de
conduite, et comme par force, le cœur se trouve entraîné à demeurer en silence. Le silence est le
mystère des mondes à venir, la parole est l'instrument du monde présent. » (Wensinck, Homélies 35-36,
pp 302).
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