On n`est pas sérieux quand on a 17 ans ? Troisième édition (2017)

Transcription

On n`est pas sérieux quand on a 17 ans ? Troisième édition (2017)
On n’est pas sérieux quand on a 17 ans ?
Troisième édition (2017)
En partenariat avec le magazine
Vote individuel sur le site www.printempsdespoetes.com
En 2017, le Printemps des Poètes aura pour thème
Afrique(s) ! Le corpus de cette édition rassemble donc, entre
autres, des poèmes de la création poétique africaine
francophone.
Contact:
Julie Nice
[email protected]
01 53 80 42 50
Sommaire
1 – Kouam Tawa (Cameroun)
2 – Norge (France)
3 – Véronique Tadjo (Côte d’Ivoire)
4 – Julien Delmaire (France)
5 – Bernard Chambaz (France)
6 – Ismaël Savadogo (Côte d’Ivoire)
7 – Jacques Prévert (France)
8 – Francis Bebey (Cameroun)
9 – Gabriel Mwènè Okoundji (France, Congo)
10 – Valerie Rouzeau (France)
11 - Léopold Sédar Senghor (Sénégal)
1-
J’aurais aimé être une reine. Avoir une grande cour. Des hommes et des femmes autour de moi. Les
uns pour me servir, les autres à ma charge.
J’aurais aimé être une reine. Avoir une voix qui compte. Dire « je veux » et avoir. Dire « je peux » et
pouvoir. Dire « c’est ça » et c’est ça.
J’aurais aimé être une reine. Être de mon temps. Adhérer au monde. Tenir tête à la nuit. Faire corps
avec l’espoir.
J’aurais aimé être une reine. Triompher de moi-même. Être la chance des autres.
J’aurais aimé être une reine. Avoir un nom qui dure, une danse qui me porte.
Je me serais au moins permis le rêve si la mort qui n’a pitié de personne n’avait fait de moi la petite
dernière qui se cherche sans savoir s’il lui faut monter ou descendre.
Kouam Tawa, Cameroun (1974 - )
Extrait de Elles(s), Editions Lanskine, coll. Ailleurs est aujourd’hui, 2016
2–
POLTRON
C’est pas tant la peur du tonnerre
Avec son grand zigzag,
C’est pas tant la peur des années
Avec leur grand zodiaque,
C’est pas tant la peur de l’enfer
Avec son grand tic-tac,
C’est pas tant la peur de l’hiver
Avec son grand colback,
C’est pas tant la peur tracassière
Avec son grand bivouac
C’est pas tant la peur de la guerre
Avec son grand micmac,
C’est pas tant la peur de l’amour
Avec ses grands cornacs,
C’est pas tant la peur du suaire
avec son grand cloaque :
C’est surtout la peur ordinaire,
C’est surtout la peur de la peur
Avec son bric-à-brac.
Norge (1898 – 1990)
Poésies 1923-1988, Poésie/Gallimard
3–
Déclinaison du temps premier III (extrait)
(Et je suis maintenant dans un lieu où m’abandonne tout lendemain. La beauté et la vie douce se sont
évaporées. Je dois me rendre à l’évidence : Le temps trébuche, nous a délaissés.)
j’aurais pu te perdre
dans la guerre
Ville saccagée
j’aurais pu te perdre
cadavre anonyme
parmi tant d’autres
(Roquette sur le toit de ta maison, vitres éclatées, murs éventrés, débris, poussière de mort. À quelques
secondes près, tu l’as échappé belle !)
mort-fratricide
mort-mercenaire
mort-enfant-soldats
de l’amour
il ne reste que le sang
le vent souffle une pluie
acide de mauvaises intentions
je cherche la solitude
qui me conduit aux autres
la surdité
qui m’ouvre les yeux
nous avançons à reculons
et le miroir
nous cache la vérité
Véronique Tadjo, Côte d’Ivoire et France (1955 - )
in Déclinaison du temps premier
4–
ROUGE
Souvenirs d'avant l'aurore
Quand je n'étais encore
Qu'une pluie de mystère un frisson sur la terre
Un fragment d'éléments - un amas de sentiments
Pas vraiment définis
Une parcelle d'infini
Le tambour d'avant ma vie
Celui qui battait au rythme d'un cœur inconnu
J'étais nu dans la tiédeur de la nuit
Je nageais sur un nuage de suie
J’essayais de me frayer un passage vers le jour
Vers le front du tambour, mais le compte à rebours
M’a poussé jusqu'au bord d'un soleil
Qui brûlait mes oreilles et qui m'éblouissait comme un joyau vermeil
A PRÉSENT J’ENTENDS LE TAMBOUR QUI RUGIT SUR LA TERRE
Le balafon de feu qui bat sous mes paupières
La lueur de l’aurore - la sueur de l’effort, le fouet qui dévore la chaleur carnivore
Le coton emballé, le rhum étranglé
Les hommes empilés, au fond d’une cale
Pour une escale au jardin des supplices
UN GRAND DE CHAMP DE CICATRICE
Les traces de mon passé, se finissent dans une flaque…
Flash-back - Le vent claque sur ma nuque
Le souvenir de l’Afrique qui revient en syncope sous mon crâne
[…]
ROUGE ! Ma mémoire au bout du petit matin
ROUGE ! Mon espoir dans les brasiers du destin
ROUGE ! Les tambours me ramènent à la vie
Et l'envie à nouveau irrigue mes veines
Je vois le vent se lever et avaler le voile qui m'aveuglait
ROUGE ! Djembé de sable !
ROUGE ! Gros Ka qui gronde dans le ventre de l'ogre !
ROUGE ! Rhum de sang qui m'enivre
Mes sens qui se délivrent !
Julien Delmaire (1979 - )
Extrait. Inédit à paraître au Temps des Cerises
5–
(séquence 847)
je repense à
tes yeux d’inuit
à l’extrémité du monde
où la nuit tombe en une seconde
et dure
six mois
tandis qu’à melrose
le soleil descend très lentement
sur un champ de coquelicots
qui explosent
comme
des balles de pop corn
Bernard Chambaz, Eté II, Flammarion
6Pour trouver là où
nul ne se souvient
commencer par chercher
vers un autre angle
ne serait-ce qu’une heure
chaque jour.
On voudrait être
dans l’endroit où l’on vole,
le ciel alors serait peut-être
moins souvent parti ;
faire entrer des enfants
s’ils peuvent tirer des étoiles,
si la tâche d’attendre la nuit
ne les sépare pas encore de nouveau
de ce qu’ils rêvent.
Ismaël Savadogo, Côte d’Ivoire (1982 - )
Extrait de Le sable de la terre, Editions du Lavoir Saint-Martin, 2015
7–
Le Discours sur la paix
Vers la fin d’un discours extrêmement important
le grand homme d’État trébuchant
sur une belle phrase creuse
tombe dedans
et désemparé la bouche grande ouverte
haletant
montre les dents
et la carie dentaire de ses pacifiques raisonnements
met à vif le nerf de la guerre
la délicate question d’argent.
Jacques Prévert, France (1900 - 1977)
« Le Discours sur la paix », extrait de Paroles, 1945, Éditions Gallimard
8–
Ma vie est une chanson
On me demande parfois d’où je viens
Et je réponds ‘Je n’en sais rien
Depuis longtemps je suis sur le chemin
Qui me conduit jusqu’ici
Mais je sais que je suis né de l’amour
De la terre avec le soleil’
Toute ma vie est une chanson
Que je chante pour dire combien je t’aime
Toute ma vie est une chanson
Que je fredonne auprès de toi
Ce soir il a plu, la route est mouillée
Mais je veux rester près de toi
Et t’emmener au pays d’où je viens
Où j’ai caché mon secret
Et toi aussi tu naîtras de l’amour
De la terre avec le soleil
Toute ma vie est une chanson
Que je chante pour dire combien je t’aime
Toute ma vie est une chanson
Que je fredonne auprès de toi.
Francis Bebey (1929 - 2001)
L’Harmattan éditeur
9–
Le coeur qui bat
Le coeur qui bat ne se réjouit pas de la blessure du ver de terre
le coeur qui bat soutient le combat de l’homme face aux chimères
le coeur qui bat révèle le murmure du sentier quand vient le doute
Tout homme a deux mains : la main qui nourrit et la main qui reçoit
la main qui nourrit est offrande : ne mords pas la main qui nourrit !
Dans la main qui reçoit advient le monde : promesse que tient la vie !
ne mords pas la main qui nourrit, n’offense pas la main qui reçoit
Frère, le sang du coeur qui bat connaît les faveurs de la terre et du ciel
entre la terre et le ciel vivent Dieu, les dieux, les Ancêtres, le secret
Frère, l’ignores-tu ? Le Dieu de l’homme, c’est d’abord sa pensée !
Aux dimensions du monde, l’Ancêtre de l’homme, c’est son âme !
entre âme et pensée, la parole est énigme, le silence est épreuve
Frère, que ton coeur qui bat te maintienne homme parmi les hommes.
Gabriel Mwènè Okoundji
10 Propriétaire de rien
Employée de personne
Ma vie me l’improvise
Au fur et à mesure
Apples and pears
I go upstairs
Argot rimé ficelle
Je grimpe à mon échelle
Quand m’éprouvette grenouille
Devinette météo
Avec vieux scoubidou
M’entête et perds mes vers
C’est pépins pour ma pomme
Je coupe en deux cette poire.
Valérie Rouzeau, Vrouz, La table ronde
11 -
CHAKA
Tam-Tam au loin, rythme sans voix qui fait la nuit et tous les villages au loin
Par-delà forêts et collines, par-delà le sommeil des marigots…
Et moi je suis celui-qui-accompagne, je suis le genou au flanc du tam-tam, je suis la baguette sculptée
La pirogue qui fend le fleuve, la main qui sème dans le ciel, le pied dans le ventre de la terre
Le pilon qui épouse la courbe mélodieuse. Je suis la baguette qui bat laboure le tam-tam.
Qui parle de monotonie ? La joie est monotone la beauté monotone
L’éternel un ciel sans nuage, une forêt bleue sans un cri, la voix toute seule mais juste.
Dure ce grand combat sonore, cette lutte harmonieuse, la sueur perles de rosée !
Mais non, je vais mourir d’attente…
Que de cette nuit blonde – ô ma Nuit ô ma Noire ma Nolivé –
Que du tam-tam surgisse le soleil du monde nouveau.
Œuvre poétique, Léopold Sédar Senghor, Seuil.