Lieux de mémoire : souvent des erreurs

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Lieux de mémoire : souvent des erreurs
En Espagne, le monument dédié aux
victimes en surplomb de la gare
d’Atocha tombe en décrépitude
Tribune libre
Les éclaireurs
Génération Bataclan : ils avaient
fait le choix de la France
Lieux de mémoire : souvent
des erreurs monumentales
EN TITRANT SA UNE du lundi 16 novembre
Génération Bataclan pour rendre hommage
aux victimes des attentats de Paris, le
journal Libération a relevé avec justesse la
jeunesse, l’ouverture, la mixité, la liberté et
la solidarité qui caractérisaient la plupart
des victimes. Le 13 novembre, c’est une
génération qui a été attaquée, dans des
lieux qu’elle fréquente pour se mélanger,
partager, se divertir, dans les lieux qui font
le « vivre en France ».
Hommages
Alors que la mairie de Paris réfléchit
à la création d’un lieu de mémoire en
souvenir des victimes des attentats du
13 novembre, les expériences des villes de
Madrid et de New York, touchées en leurs
temps par des attentats meurtriers, sont
riches d’enseignements…
Elisabeth Guédel (à New York)
et Gilles Sengès
(avec Tristan de Bourbon, à Londres)
DEVANT LE BATACLAN, la salle de spectacles où
périrent 89 personnes, comme lundi matin avec
David Cameron ? Place de la République, située
près de plusieurs sites d’attentats, devenue aussi depuis janvier le lieu de rassemblement des
Parisiens depuis les attaques contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes,
comme avec Angela Merkel mercredi soir ? François Hollande et les services de l’Elysée ne se
sont visiblement pas encore fait une religion sur
le lieu où rendre hommage aux victimes des attentats du 13 novembre en compagnie des chefs
d’Etat étrangers de passage.
La question va se poser immanquablement
à la Mairie de Paris, alors que circule sur Internet une pétition demandant la création d’un
mémorial pour les victimes des tragédies des
7, 8 et 9 janvier ainsi que celles du 13 novembre.
Déjà signée par plus de 91 000 personnes, elle
a reçu un écho positif dans l’entourage d’Anne
Hidalgo. « Nous recevons énormément de propositions et envisageons effectivement la création d’un lieu de mémoire pour l’ensemble des
attentats de 2015. Mais cela passera par des
échanges avec les familles et les associations de
victimes pour définir le format le plus adapté »,
dit-on à l’Hôtel de ville.
Au-delà de la pose de plaques commémoratives sur les lieux des attaques de janvier – votée
par le conseil de Paris, mais pas encore effectuée –, la Mairie avait commencé à travailler sur
la question. Plusieurs pistes avaient été envisagées, dont l’idée de planter des arbres à l’occasion du premier anniversaire des attentats de
janvier. « Les travaux ont été suspendus le temps
du deuil, car on ne peut plus appréhender la
situation de la même manière aujourd’hui »,
ajoute-t-on à la Mairie de Paris, bien inspirée
de se montrer prudente au vu des malheureux
exemples étrangers.
A New York, l’idée d’un mémorial en hommage aux 2 977 victimes du 11 septembre 2001
(9/11 pour les Américains) a surgi peu de temps
après les attentats, mais sa réalisation a duré
dix ans. Le projet retenu, Reflecting Absence de
l’architecte israélo-américain Michael Arad,
a reçu une avalanche de critiques, depuis sa
construction en « fosses » – deux bassins creusés
à l’endroit même où se dressaient les tours jumelles avant leur destruction – jusqu’à son étendue : le mémorial occupe, avec sa place arborée,
la moitié des 60 000 m2 de Ground Zero, alors
que l’association September’s Mission souhaitait voir l’ensemble du lieu dédié au souvenir de
la tragédie.
Les querelles politico-financières entre la
fondation gestionnaire du site et l’Autorité portuaire de New York et du New Jersey, propriétaire du terrain, ont retardé les travaux du musée situé entre les deux bassins. Ce « lieu sacré
de guérison et d’espoir », comme l’a qualifié le
président américain Barack Obama, n’a été inauguré qu’en mai 2014, avec trois ans de retard sur
la date prévue et une facture alourdie dépassant
les 700 millions de dollars contre 494 millions
L’opinion de…
REUTERS
A New York comme à Madrid,
les lieux de mémoire ont fait
l’objet de polémiques.
initialement. La polémique perdurera lors du
transfert des milliers de restes humains nonidentifiés dans une partie du musée, un mausolée fermé au public perçu comme une « insulte »
par certaines familles de victimes. Un film documentaire sur al-Qaïda, projeté dans le musée
pour expliquer l’origine des attentats, est vivement critiqué par les responsables de la communauté musulmane new-yorkaise qui craignent
un amalgame entre djihadisme et islam.
Enfin, l’installation d’une boutique de souvenirs est jugée « inappropriée » par certains.
Même si la vente des livres, tasses et tee-shirts
estampillés « 9/11 », ainsi que celle des billets
d’entrée du musée – le mémorial est gratuit – financent les deux tiers du budget de fonctionnement du site, estimé à 60 millions de dollars par
an, le tiers restant étant couvert par des donations privées.
En Espagne, le sort réservé aux 193 victimes
des attentats islamistes perpétrés le 11 mars
2004 (11-M pour les Espagnols) dans plusieurs
trains de banlieue convergeant vers la gare
d’Atocha de Madrid est encore plus triste. Pris
aussitôt en otage par les partis politiques, à la
veille d’élections générales, il n’a cessé depuis
de diviser l’Espagne. Aujourd’hui encore, trois
associations de droite et de gauche (Asociacion
11-M Afectados del Terrorismo ; Asociacion de
Ayuda a las victimas del 11-M et la Asociacion
Victimas del Terrorismo, qui regroupe aussi les
victimes des terroristes de l’ETA et des Grapo)
se disputent leurs dépouilles et commémorent
leur souvenir chaque année de leur côté.
Leur nombre n’a pas empêché que le monument qui leur est dédié en surplomb de la gare
d’Atocha ne tombe en décrépitude. Inauguré le
11 mars 2007 après avoir fait l’objet, lui aussi, de
polémiques pour avoir dépassé de 2,6 millions
le budget de 4 millions d’euros alloué, il n’est
plus entretenu depuis plusieurs mois. L’intérieur plastifié du cylindre de verre de 11 mètres
de haut, sur lequel sont écrites des phrases en
mémoire aux victimes, s’est récemment effondré, du fait d’une panne d’air comprimé. Devant
l’émotion suscitée par l’affaire, la Mairie de Madrid a initié des travaux et promis sa remise en
état dans les premiers jours de décembre…
A Londres, si elles ont été vandalisées par
deux fois au marqueur depuis leur inauguration
quatre ans après les attentats du 7 juillet 2005,
les cinquante-deux stèles d’acier (une par victime) de 3,5 mètres de haut, installées dans Hyde
Park, résistent encore au temps et à l’oubli. Financées par le gouvernement (1,5 million d’euros), elles ont été réalisées en consultation avec
les représentants des familles des victimes. @EGuedel
@Gillesenges
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Jean-Christophe Fromantin (UDI)
« Les gens ont besoin d’un capitaine
qui tienne le cap malgré les tempêtes »
Sur le plateau de lopinion.fr, Jean-Christophe
Fromantin, député UDI des Hauts-de-Seine, était
l’invité de Nicolas Beytout. Il s’est exprimé sur
les décisions prises par François Hollande après
les attentats du 13 novembre 2015 et regrette que
le gouvernement ne soit pas constant dans ses
décisions : « Les gens ont besoin d’un capitaine
qui tienne le cap malgré les tempêtes. » Il est
également revenu sur le guide de la laïcité publié
par l’AMF (Association des maires de France) :
« c’est une grave erreur (...) ça n’a pas de sens ».
Retrouvez l’intégralité de l’interview
sur www.lopinion.fr
Ce vendredi matin, Nicolas Beytout reçoit
Pascal Cherki (PS).
4 l’Opinion vendredi 27 et samedi 28 novembre 2015
Nous appartenons à cette génération
qui a été prise pour cible, visée pour
sa volonté de vivre l’instant présent
librement et dignement
Confrontés à la lecture insoutenable de
la liste des victimes, de leur histoire, des
témoignages de leurs proches, nous réalisons avec tristesse qu’en France, en 2015,
la violence peut encore prélever arbitrairement, injustement, tant de vies parmi nous.
Il y a un siècle, c’est une génération entière
qui a enterré l’espoir d’une vie insouciante
dans les tranchées de la guerre de 14. Si
l’ampleur du choc et le bilan humain sont
sans commune mesure, la portée symbolique de cette attaque n’est pas moindre : un
siècle après, ce sont désormais des jeunes,
Français ou ayant grandi en France pour
la plupart, qui tuent d’autres Français et
d’autres jeunes étrangers qui avaient choisi
de célébrer la France. Les assassins et leurs
victimes ont grandi dans le même pays,
suivi les mêmes programmes scolaires,
regardé les mêmes programmes télévisés.
Un siècle après, la menace n’est plus seulement extérieure et facilement identifiable :
elle est intrinsèquement liée aux failles de
notre modèle républicain.
Les raisons de ces atrocités sont
évidemment complexes ; la politique
étrangère de la France et la situation géopolitique aux Proche et Moyen-Orient entrent
bien sûr dans cette douloureuse équation.
Pour autant, il convient d’examiner en
conscience ce que ces événements révèlent
quant au modèle français et au respect de
ses valeurs fondatrices. Pour aller au-delà
de la riposte sécuritaire et recréer les conditions d’une « fierté du vivre en France », il
nous faut repenser notre système d’intégration, notre éducation et créer les conditions
d’une expression religieuse digne.
Se redonner les moyens
de l’intégration
L’intégration doit être conduite à travers
des rendez-vous réguliers avec la République. L’un d’eux, décisif, doit être le
service national. Nous pensons que chaque
citoyen devrait consacrer six mois à la
collectivité. Cette expérience permettra
de voir des générations se mélanger,
recréer ce lien social qui nous est si cher et
reconstruire un sentiment de citoyenneté
souvent oublié. Elle créera également un
formidable élan de solidarité et de transmission transversal à travers notre nation.
Nous n’avons pas peur d’affirmer que l’intégration, aujourd’hui, est un enjeu aussi bien
pour les étrangers qui nous rejoignent, que
pour les jeunes Français, présents depuis
leur naissance sur notre territoire. La mise
en place d’un nouveau type de service
national favorisera l’apprentissage et le
partage de valeurs communes. Il permettra
pendant plusieurs mois d’établir une mixité
sociale de fait qui bénéficiera à tous.
Nous pensons également que la montée
des extrémismes est étroitement liée à la
situation d’une partie de nos banlieues.
Parler uniquement de « question musulmane », c’est se tromper quant aux racines
du malaise qui touche aujourd’hui les
quartiers les plus défavorisés, c’est refuser
d’assumer les responsabilités de la crise
sociale aiguë dont souffrent les marges
urbaines depuis maintenant des décennies.
Une grande partie de nos quartiers
connaît aujourd’hui une profonde crise
sociale et identitaire. Parmi cette population ghettoïsée, confrontée à un chômage
de masse, figurent de nombreux jeunes et
moins jeunes issus de l’immigration, pour
lesquels les espoirs d’intégration et d’ascension sociale ont été déçus. Ce sentiment de
rejet en a encouragé certains à se tourner
vers la religion ; il a engendré un climat de
défiance où règne un véritable désamour
de la France comme de ses valeurs, et où
prospèrent théories du complot en tout
genre, racisme sous toutes ses formes,
antisémitisme.
Un changement radical de cette situation ne sera possible que si de nouvelles
perspectives peuvent être offertes à des
jeunes en quête de sens, qui sont les premières victimes d’un ascenseur républicain
en panne. L’amélioration des conditions de
vie et l’apparition d’opportunités nouvelles
étant intimement liées à la réussite scolaire
et à l’accès au marché du travail.
Notre système éducatif doit à nouveau
garantir l’égalité des chances. La lutte
contre le décrochage scolaire est une
condition essentielle de l’intégration de ces
jeunes qui, à l’inverse finissent par trouver
refuge dans le fondamentalisme et l’extrémisme quand l’école et leur environnement
ne leur offrent plus aucune perspective,
ni aucune fierté. Aussi, l’enseignement de
l’éducation civique doit être consolidé et,
bien que déjà enseignée, la connaissance
du fait religieux doit être mieux transmise.
Renforcer la laïcité en permettant
à chacun de vivre sa religion
dans la dignité
La prise en compte, par la République
française, de la diversité des croyances religieuses doit être rééquilibrée. Notre République ne doit être ni communautariste, ni
aveugle aux multiples identités culturelles
et religieuses qui nourrissent sa diversité.
Le principe de laïcité, qui demeure le
fondement de notre République, n’a de
« Un changement radical ne sera possible que
si de nouvelles perspectives peuvent être
offertes à des jeunes en
quête de sens, qui sont
les premières victimes
d’un ascenseur républicain en panne »
sens que si l’Etat garantit effectivement son
corollaire : la liberté de culte. Cette liberté
ne peut pleinement s’exprimer que si
chacun dispose de lieux de regroupement
confessionnel dignes et en nombre, que si
l’islam est reconnu comme un phénomène
français et géré par la France, plutôt que
par des pays étrangers.
Nous mesurons le défi de l’émergence
d’un islam de France lorsque nous constatons, avec regret, que les associations
musulmanes n’ont pu se mettre d’accord
sur un texte commun de prière à lire dans
les mosquées françaises le 20 novembre. Il
faut multiplier l’ouverture de lieux de culte,
renforcer la représentativité des porteparole de la communauté musulmane,
faciliter la formation d’imams français.
Nous croyons en la farouche volonté de
nos compatriotes musulmans de participer
au rebond de la Génération Bataclan pour
pousser leurs représentants, parfois si
éloignés de leurs réalités, à accepter des
réformes aujourd’hui impérieuses.
Malgré l’émotion, notre réponse
doit être préventive et éducative
En mars 2015, nous avions intitulé notre
première tribune publiée dans l’Opinion
« Nous faisons le choix de la France ». Ce
choix, les victimes du 13 novembre l’avaient
fait. Si nous souhaitons que leur mémoire
nous accompagne dans nos vies en devenir,
et si nous souhaitons que les prochaines
générations, de France comme d’autres
pays, fassent, à nouveau, le choix de la
France, notre réaction doit être préventive
et éducative. Ce n’est pas la réponse la plus
simple à formuler ni à mettre en œuvre au
lendemain de ces atrocités. Mais pour que
demain nos enfants fassent, eux aussi, ce
choix-là, nous devons agir. Redonner vie
aux idéaux de mixité, d’équité et de liberté
qui font la fierté du « vivre en France » et
qui forment l’ADN de notre génération
Bataclan.
Les Eclaireurs est un collectif de jeunes
hauts fonctionnaires et cadres du privé
de centre droit.