et qu`est-ce qu`un devoir moral ? A

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et qu`est-ce qu`un devoir moral ? A
Cours autrui et devoir
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Annexe : qu’est-ce que la morale ? et qu’est-ce qu’un devoir moral ?
A- Le terme de « morale » comprend plusieurs acceptions :
1) il vient du latin « mors », qui signifie « mœurs » : il s’agit alors des règles de
conduite en vigueur dans une société donnée, qui ont à voir avec le « bien » et le
« mal » ; il s’agit souvent d’habitudes sociales qui évoluent en même temps que les
changements sociaux : par exemple l’homosexualité a longtemps été considérée comme
un délit
2) La morale a à voir avec le souci d’autrui : il s’agit de se désintéresser de soi-même
afin de se soucier de l’autre ; elle sous-entend alors une certaine forme de recul par
rapport à nos instincts, pulsions, naturels ; la morale s’oppose alors à la nature, et nous
permet de devenir des sujets moraux, libres, et responsables de leurs actes
B- On parle généralement de devoir moral ; qu’est-ce exactement qu’un devoir
moral ? Est-ce une contrainte ?
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Devoir, latin « debere » = être obligé d’obéir
L’obligation est-elle une contrainte, une limite de notre liberté ?
o On peut dire que c’est ressenti comme une contrainte car cela s’oppose souvent
à nos désirs immédiats : ainsi, je ne dois pas boire trop d’alcool afin de rester en
bonne santé : est-ce vraiment une limite à ma liberté ? N’est-ce pas au contraire
ce qui me libère de mes pulsions pas toujours en accord avec ce que je veux
vraiment ?
o On dira alors qu’un devoir est véritablement moral quand il est en accord avec
la véritable liberté, et quand il est respectable : on parle alors d’obligation et pas
de contrainte :
 « la bourse ou la vie » est une contrainte
 « il ne faut pas tuer », une obligation
 Cf. ici la distinction autonomie et hétéronomie
On agit moralement quand on obéit en y adhérant, pas quand nous avons peur des
conséquences de nos actions
Rensignez-vous sur les expériences de Milgram !
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C- Autrui, l’autre personne : Kant
Problème : autrui est posé comme négatif, même s’il l’est moins que chez Sartre. Il est
l’apparition d’un déchirement, d’un traumatisme. Chez Kant, autrui apparaît comme l’autre
personne, et cela signifie que j’ai des devoirs envers autrui certes, mais aussi et surtout que
autrui est celui avec qui je peux fonder un monde véritablement humain. Nous sommes tous
deux sujets l’un envers l’autre ; pas de différence entre le rapport à autrui et le rapport à soimême d’ailleurs !
1) L’impératif catégorique
Si autrui est une autre personne, c’est qu’il est une fin en soi. Je dois donc le respecter.
Expliquer à l’aide de l’impératif catégorique, dans sa seconde formulation : .
Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, Seconde section :
les 3 formulations de l’impératif catégorique
L’impératif catégorique est donc unique, et c’est celui-ci : « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que
tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle ».
Or, si de cet unique impératif tous les impératifs du devoir peuvent être dérivés comme de leur principe, quoique
nous laissions non résolue la question de savoir si ce qu’on appelle le devoir n’est pas en somme un concept vide,
nous pourrons cependant tout au moins montrer ce que nous entendons par là et ce que ce concept veut dire.
(1) Puisque l’universalité de la loi d’après laquelle des effets se produisent constitue ce qu’on appelle proprement
« nature » dans le sens le plus général (quant à la forme), i.e., l’existence des objets en tant qu’elle est déterminée
selon des lois universelles, l’impératif universel du devoir pourrait encore être énoncé en ces termes : « Agis
comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en LOI UNIVERSELLE DE LA
NATURE ».
(2) Si donc il doit y avoir un principe pratique suprême, et au regard de la volonté humaine un impératif
catégorique, il faut qu’il soit tel que, par la représentation de ce qui, étant une « fin en soi », est nécessairement
une fin pour tout homme, il constitue un principe objectif de la volonté, que par conséquent il puisse servir de loi
pratique universelle. Voici le fondement de ce principe : la nature raisonnable existe comme fin en soi.
L’homme se représente nécessairement ainsi sa propre existence ; c’est en ce sens un principe subjectif d’actions
humaines. Mais tout autre être raisonnable se représente également ainsi son existence, en conséquence du même
principe rationnel qui vaut aussi pour moi ; c’est donc en même temps un principe objectif dont doivent pouvoir
être déduites, comme d’un principe pratique suprême, toutes les lois de la volonté. L’impératif pratique sera donc
celui-ci : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de
tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ».
(3) (…) de là résulte maintenant le troisième principe pratique de la volonté, comme condition suprême de son
accord avec la raison pratique universelle, à savoir, l’idée de la volonté de tout être raisonnable conçue comme
volonté instituant une législation universelle.
Je le respecte comme porteur de la loi morale, etc.
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2) La morale kantienne
Pour bien comprendre le fond de son impératif catégorique, il nous faut « dérouler » les grands
concepts de sa philosophie morale. Cf. tableau
Question que se pose Kant : question de philosophie morale (éthique = réflexion sur la valeur
de la morale commune) = comment savoir si mon action est conforme à la morale, au
« bien » ? Il s’agit donc de donner le ou les critères de la moralité d’une action.
a) l’action bonne = celle qui est faite en conformité avec le bien ?
Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, Première section, pp. 96-97 Ed. Delagrave : agir
conformément au devoir versus agir par devoir
Etre bienfaisant, quand on le peut, est un devoir, et de plus il y a de certaines âmes si portées à la sympathie, que même
sans aucun autre motif de vanité ou d’intérêt, elles éprouvent une satisfaction intime à répandre la joie autour d’elles et
qu’elles peuvent jouir du contentement d’autrui, en tant qu’il est leur œuvre. Mais je prétends que dans ce cas une telle
action, si conforme au devoir, si aimable qu’elle soit, n’a pas cependant de valeur morale véritable, qu’elle va de pair
avec d’autres inclinations, avec l’ambition par exemple, lorsqu’elle tombe heureusement sur ce qui est en accord avec
l’intérêt public et le devoir, sur ce qui par conséquent est honorable, mérite louange et encouragement, mais non
respect ; car il manque à sa maxime la valeur morale, c’est-à-dire que ces actions soient faites, non par inclination, mais
par devoir. Supposez donc que l’âme de ce philanthrope soit assombrie par un de ces chagrins personnels qui étouffent
toute sympathie pour le sort d’autrui, qu’il ait toujours encore le pouvoir de faire le bien à d’autres malheureux, mais
qu’il ne soit pas touché par l’infortune des autres, étant trop absorbé par la sienne propre, et que, dans ces conditions,
tandis qu’aucune inclination ne l’y pousse plus, il s’arrache néanmoins à cette insensibilité mortelle, et qu’il agisse,
sans que ce soit sous l’influence d’une inclination, uniquement par devoir, alors seulement son action aura une véritable
valeur morale.
Au premier abord, c’est tout simple : l’action moralement bonne est celle qui est accomplie en
conformité avec les règles/ lois morales (le bien). C’est faire le bien, point. Par exemple, si la
loi morale dit « il ne faut pas tuer », on agirait moralement en respectant cette loi, et donc, en
ne tuant pas.
Problème : pour Kant ce critère ne suffit pas, il ne rend pas compte des cas dans lesquels on
pourrait avoir une action extérieurement conforme à la morale, mais pas intérieurement. On
retrouve d’ailleurs ici notre distinction droit et morale : Kant dit bien qu’ici cela ne rend pas
compte de la distinction entre droit et morale, entre légalité des actions et moralité des actions.
Exemples :
- on peut très bien ne pas tuer, comme nous l’avons vu, par peur d’aller en prison, donc
par intérêt ;
- un commerçant peut à première vue paraître honnête quand il ne fixe pas ses prix à la
tête du client, mais il ne le fait peut-être pas parce que c’est bien, en vue de faire le
bien : c’est peut-être tout simplement parce qu’il a intérêt à le faire s’il veut qu’on
continue à venir faire ses courses chez lui ;
- on peut encore porter secours à son prochain non pour faire le bien mais par intérêt :
plaire à son amant (e), être reconnu comme un héros, avoir peur d’être accusé pour non
assistance à personne en danger, etc.
On voit bien, à travers ces exemples, en quoi le critère de la conformité avec ce qui est bien ne
suffit pas à rendre votre action morale : une action peut en effet être extérieurement conforme à
la loi morale, mais pas intérieurement. Il faut avoir l’intention d’agir par devoir.
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Une action est donc moralement bonne quand le seul souci/ but de notre action est de faire le
bien pour le bien
En morale, aucune contrainte ne peut être légitime sans contradiction : ce qui importe ici est la
pureté de l’intention, la conformité intérieure à la règle morale, et non seulement extérieure.
On peut donc dire qu’on peut forcer quelqu’un à obéir à la loi juridique, non à la loi
morale (revenir sur ce point en II).
Cf. hétéronomie et autonomie : quand il y a sentiment de contrainte, il y a hétéronomie : la loi
vient de l’extérieur, d’ailleurs, sans que vous sentiez son bien-fondé ; il y autonomie quand
vous sentez le bien-fondé de la loi, et tout se passe alors comme si c’était vous qui l’aviez
édictée ; cf. formule qu’on retrouvera chez Rousseau : « l’obéissance à la loi qu’on s’est
prescrite est liberté »
Cf. impératif hypothétique : « si tu veux… alors tu dois… » (habileté, technique : concerne la
façon d’obtenir une fin, sans se demander si cette fin est bonne ou pas). Pas contraire à la
morale mais amoral et peut avoir pour conséquence l’immoralité. Exemples : comment guérir
un malade = amoral et pas immoral ; comment empoisonner quelqu’un = immoral.
b) morale et devoir = « morale déontologique »
Une action morale est une action complètement désintéressée, dans laquelle on ne met rien de
nos intérêts, désirs, sentiments, etc. Il s’agit d’agir de manière impartiale. On comprend ici
pourquoi depuis le début on parle de lois en termes de devoirs, d’impératifs : la morale
s’impose à des tendances spontanées de l’homme qui viennent du fait qu’il a une affectivité. La
morale ressort chez Kant de la raison, pas du sentiment : on n’est pas spontanément moraux et
c’est la raison en lutte contre nos tendances affectives qui nous rend moraux (cf. raison
pratique). = « morale déontologique » = du devoir, de l’obligation, car contraint notre
sensibilité.
On notera qu’ici aussi le rapport à autrui n’est pas immédiat mais gouverné par la raison.
c) détermination d’un critère formel1 : « l’impératif catégorique » (= bon en soi et
seulement en soi, pas pour autre chose)
cf. « Agis comme si la maxime de ton action pouvait être érigée par ta volonté en loi
universelle de la nature ».
Problème : c’est bien abstrait ! n’oublions pas qu’on recherche un critère : on veut savoir
comment faire pour agir moralement ; mais comment sait-on qu’on agit réellement par
intention de faire le bien ?
La première détermination que donne Kant vient de cette impartialité idéale de l’action
morale : il nous propose une sorte de test d’universalisation de nos actions (cf. analogie avec
les lois de la nature…). Une règle d’action qu’on se donne peut-elle devenir la règle de tout
homme placé dans une même situation ? Puis-je vouloir que tous fassent comme moi sans
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l’action morale n’est pas repérable par un contenu = acquis avec distinction extériorité et intériorité ; donc : reste un critère de forme
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exception ? Si non alors c’est qu’on veut faire une exception pour soi, c’est subjectif et non
objectif et donc pas moral.2
Exemple : le mensonge : peut-il être universalisable sans contradiction ? Je ne dois jamais me
demander s’il peut parfois être avantageux de mentir mais si je puis vouloir un monde dans
lequel chacun pourrait mentir à son gré. Si oui alors plus personne ne croirait l’autre et donc
aussi moi-même (embêtant à mon propre niveau mais aussi dramatique pour la société qui
repose sur des contrats et des promesses).
impératif n° 1 : principe d’universalisation ; ; n° 2 : autrui comme fin en soi ; n° 3 établir un
règne des fins
3) Critiques
a) la morale de l’intention
On peut reprocher à sa philosophie morale d’être une morale de l’intention, qui ne se soucie
pas des conséquences, ni des circonstances : jamais d’exceptions à la règle ! (et alors, qu’il
serait facile d’agir moralement…) ;
b) conception trop abstraite de l’humanité
il y a en fait une pluralité de personnes, d’où, il faut inventer des comportements appropriés à
la singularité des cas…. (cf. seconde formulation de l’impératif catégorique versus
première formulation)
cf. D’un prétendu droit de mentir par humanité : cas de terroristes qui cherchent votre ami
réfugié dans votre grenier pour le tuer : vous devez selon Kant dire la vérité ! Pourtant, ceux
qui ne respectent pas l’humanité ont-ils droit au respect ? Doit-on préférer un principe moral
abstrait au respect d’un individu humain ? Dans la philosophie de Kant, le respect de la loi va
contre une des formulations de la loi, cf. celle selon laquelle il ne faut jamais traiter autrui
seulement comme un moyen mais toujours en même temps comme une fin ; or, ici, votre ami
ne vaut pas grand-chose pour vous ! Vous le sacrifiez à une loi !
cf. qqn atteint d’un cancer : faut-il toujours dire la vérité ? est-ce toujours moral de … ? par
respect/ souci de l’autre, il faut parfois savoir mentir ! ici, exception à loi morale par respect de
l'homme, non en tant qu'homme, que représentant de l'humanité, mais qu'individu concret
(mensonge = au service d'une intention morale = respecter l’autre comme individu)
Conclusion générale du cours sur autrui
Autrui est l’être par lequel je peux construire mon identité, et advenir à l’humanité. Il est en
effet celui grâce à qui je m’extrais de la nature, et accède à une existence morale. Il est par là à
la fois une dépendance et une forme de liberté, signe que la liberté, chez l’homme, est
exigence…
C’est la raison pour laquelle Kant met au rang des impératifs hypothétiques les moyens pour se procurer le bonheur, et donc, la visée du
bonheur elle-même. 1) le bonheur ne peut être la raison d’agir moralement car c’est un mobile subjectif, qui ne vaut que pour vous (domaine
des désirs, etc.) (= amoralité) ; mais surtout, 2) étant lié à nos désirs personnels subjectifs, il peut même nous mener à faire exception pour soi !
(= immoralité)
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