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PhilCor2004L,ES,S 26/08/03 18:04 Page 164 CORRIGÉ C ■ O R R I G É Éléments d’analyse NOTIONS EN JEU Le devoir ; l’État ; la société ; l’histoire ; le bonheur. THÈSE ADVERSE L’histoire est et restera une succession de guerres. PROCÉDÉ D’ARGUMENTATION L’argumentation repose sur la distinction entre le fait et le droit. Que l’histoire soit une succession de guerres n’entre pas en contradiction avec l’idéal de paix qui constitue un devoir de la raison pratique. DÉCOUPAGE DU TEXTE ET IDÉES PRINCIPALES m La première partie du texte (du début à « doit chercher son droit ») annonce la thèse de l’auteur : « Il ne doit y avoir aucune guerre » est un impératif de la raison qui commande les relations aussi bien entre individus qu’entre États, et cela indépendamment des lois. m La deuxième partie (de « Aussi la question » à « ne sera pas devait être ») affirme que, même si les faits sont en contradiction avec cet impératif, il n’en demeure pas moins que la poursuite de la paix peut et doit être menée. m La dernière partie (de « et en vue de sa fondation » à la fin) montre que c’est un devoir moral de réaliser cet idéal par une constitution pour la paix perpétuelle et universelle. REMARQUES ET DIFFICULTÉS m Les distinctions entre le droit et le fait, entre la théorie et la pratique, entre ce qui est et ce qui doit être sont fondamentales pour comprendre ce texte. Kant met en avant un impératif moral qu’aucun réalisme ne peut contredire. m En revanche, il faut être attentif au fait qu’une exigence morale peut modifier le cours de l’histoire lorsqu’elle favorise la mise en place d’une « constitution », c’est-à-dire d’une forme légale, pour garantir la paix. 164 LA MORALE PhilCor2004L,ES,S 26/08/03 18:04 Page 165 QUESTION, THÈSE m Thème : La paix. m Question : Peut-on envisager une paix universelle ? m Thèse : Même si l’histoire n’est qu’une succession de guerres, c’est un devoir moral de travailler à la paix. CORRIGÉ THÈME, PLAN Introduction 1 En l’absence de loi, la raison pratique légifère A - Le veto de la raison : aucune guerre B - L’absence de loi entre États 2 La distinction entre théorie et pratique A - La paix ne relève pas de la raison théorique B - La paix est un impératif moral 3 Morale et politique A - La « constitution » B - La morale devrait commander la politique 4 L’idée universelle d’une paix perpétuelle est-elle possible ? A - Une difficile définition de la paix B - Le problème des moyens Conclusion ■ Corrigé (corrigé complet) Introduction1 L’histoire n’est-elle que le spectacle désolant d’une succession de massacres prouvant la nature profondément mauvaise de l’homme ? Pour Kant, il ne s’agit pas de nier les événements mais d’affirmer l’autonomie d’une raison pratique pure qui témoigne de la moralité humaine. 1. Les titres en gras servent à guider la lecture et ne doivent pas figurer sur la copie. LE DEVOIR • SUJET 22 165 CORRIGÉ PhilCor2004L,ES,S 26/08/03 18:04 Page 166 Avec ce texte extrait de la Métaphysique des mœurs, Kant montre que la paix est un idéal auquel il ne faut pas renoncer. Travailler à la réalisation d’une paix perpétuelle est un devoir moral qui, sans entrer en contradiction avec les faits, doit et donc peut agir sur eux. 1. En l’absence de loi, la raison pratique légifère A. Le veto de la raison : aucune guerre Le texte commence par un constat : « La raison (…) énonce en nous son veto irrésistible : il ne doit y avoir aucune guerre. » L’impossibilité de la guerre est formulée sous forme de devoir (« il ne doit pas ») qui est commandé par la raison, faculté de juger mais qui opère ici dans le domaine de l’action. Il s’agit de la raison pratique. D’emblée, Kant met l’accent sur ce qu’« énonce » la raison : il ne s’agit pas de dire qu’il faut la paix, mais de poser une limite, le veto « aucune guerre » qui est « irrésistible », c’est-à-dire qui fait autorité en nous. Cet impératif sanctionne aussi bien les rapports entre individus, « entre toi et moi », que les relations entre différents États, « entre nous en tant qu’États ». Comment expliquer alors l’existence de conflits tout au long de l’histoire ? B. L’absence de loi entre États L’hypothèse méthodologique qui consiste à opposer l’état de nature à l’état civil permet de comprendre le rôle de l’État. En effet, l’état de nature désigne l’état dans lequel se trouvent des hommes en l’absence de lois et d’État. Cet état est par exemple caractérisé par Hobbes comme un état de guerre de tous contre tous parce qu’aucune loi n’est là pour mettre fin à leurs passions, notamment celle de la peur de la mort violente qui incite à attaquer l’autre. Selon Kant, la relation entre les individus à l’état de nature est la même que la relation entre les États : elle se caractérise par l’absence d’une législation qui donnerait une limite à la guerre. Or les États se trouvent « intérieurement » dans un état légal, civil, c’est-à-dire un état où des lois empêchent les individus de s’agresser mutuellement. Mais « extérieurement », dans leur politique extérieure, ils se trouvent dépourvus d’une telle législation interdisant la guerre, ou du moins régulant les conflits : il n’existe pas (au siècle des Lumières) d’instance internationale qui légifère pour la paix. 166 LA MORALE PhilCor2004L,ES,S 26/08/03 18:04 Page 167 2. La distinction entre théorie et pratique Si Kant commence son texte par mettre l’exigence de la paix sous le signe de la raison, il ne s’agit pas de la raison théorique, celle qui légifère dans le domaine de la connaissance. En effet, Kant ne se préoccupe pas de savoir si le projet de paix perpétuelle est réaliste ou s’il est une simple utopie. La réalité empirique de l’histoire n’est pas l’objet de son propos. CORRIGÉ A. La paix ne relève pas de la raison théorique B. La paix est un impératif moral Ce qui « est » n’a pas d’influence sur ce qui « doit être ». En ce sens, le veto irrésistible de la raison pratique ne peut succomber à aucun « jugement théorique », même s’il énonce une vérité. « Nous devons agir comme si la chose qui peut-être ne sera pas devait être » : notre devoir exige que nous nous donnions pour finalité la paix, et cela en dépit de la possibilité de ne pas l’atteindre. La raison en s’imposant à n’être que pratique, morale, ruse en quelque sorte avec elle-même (elle fait « comme si ») pour continuer à formuler son veto. 3. Morale et politique A. La « constitution » Ce devoir moral ne se préoccupe pas du réalisme d’un tel projet, mais en revanche il s’intéresse à la réalité politique et historique dans la mesure où il oriente la conduite à mener vers une entreprise de pacification. La finalité est d’établir une « constitution » à cet effet, c’est-à-dire un ensemble de textes de lois déterminant la forme d’un gouvernement. S’agit-il d’une constitution de droit international ? La paix se définit comme ce qui doit mettre fin à la guerre qui – et Kant s’autorise un constat empirique – constitue jusqu’à « maintenant » la « fin suprême » de tous les États. Or la guerre est dépourvue de « salut » : l’introduction de ce terme religieux peut sembler étonnante : s’agit-il d’une morale subordonnée à la loi divine, ou plutôt d’un devoir de la raison pratique qui inspire un respect si fort qu’il semble sacré ? B. La morale devrait commander la politique Si la fin énoncée par la raison demeure un « vœu pieux » quant à sa réalisation, si elle ne reste qu’une croyance, elle n’en demeure pas moins légitime dans la mesure où c’est un devoir. Mais admettre qu’il faut y « travailler sans relâche » est pour Kant une « maxime », c’est-à-dire une règle de conduite individuelle qui ne pourra être une loi morale que lorsqu’elle sera universellement partagée. LE DEVOIR • SUJET 22 167 PhilCor2004L,ES,S 26/08/03 18:04 Page 168 CORRIGÉ 4. L’idée universelle d’une paix perpétuelle est-elle possible ? A. Une difficile définition de la paix La première difficulté d’une telle espérance morale consiste dans la définition même de la paix. Si l’exigence de la paix n’est pas universellement partagée, comment cette finalité, indépendamment des moyens mis en œuvre, pourrait-elle être poursuivie par tous ? Comment s’assurer finalement que la « constitution » et même sa définition ne sont pas établies par et pour les pays les plus forts, par ceux qui ont gagné la guerre ? B. Le problème des moyens La paix ne peut-elle pas se définir autrement que par rapport à la guerre ? Équilibre des forces, désarmements, traité de paix… sont autant de moyens qu’il y a de conceptions de la paix. La paix peut elle-même avoir recours aux conflits (intimidation, neutralisation…) pour arriver à ses fins. En ce sens, une fin moralement bonne peut recourir à des moyens immoraux : la politique n’est pas nécessairement subordonnée à la morale, explique Machiavel. Conclusion Ce texte est donc un plaidoyer en faveur de la paix. Par la volonté dont il témoigne de se dégager des considérations empiriques, il reste d’une grande actualité. C’est bien parce qu’il s’agit d’une « métaphysique » des mœurs que Kant ne s’intéresse ici qu’au caractère inconditionnel du devoir. Mais s’il est un devoir de travailler « sans relâche » à la paix et donc de lui trouver des moyens pour sa réalisation, la question empirique de savoir quelle est la meilleure « constitution » possible est soumise à des conditions comme la nécessité de s’entendre sur la définition de la paix ou encore de trouver des moyens non belliqueux pour faire cesser la guerre. ■ Ouvertures LECTURES – Emmanuel Kant, Métaphysique des mœurs, Vrin ; Vers la paix perpétuelle, Flammarion, coll. « GF ». – Nicolas Machiavel, Le Prince, Bordas. 168 LA MORALE