À Atlanta, Bassam Monzer réveille la mémoire des papilles
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À Atlanta, Bassam Monzer réveille la mémoire des papilles
Les Libanais dans le monde lundi 20 juillet 2015 À Atlanta, Bassam Monzer réveille la mémoire des papilles 5 Chaque semaine, des centaines d’émigrés libanais se retrouvent pour déguster les fameux plats « faits maison » de Mediterranean Bakery & Sandwich. ATLANTA, de Pauline M. KARROUM Des sourires, une ambiance bon enfant, une équipe bien soudée. Ici, on vient au travail pour le plaisir de rencontrer l’autre, d’échanger en arabe. Mediterranean Bakery & Sandwich est un melting-pot : on y rencontre des Libanais, des Syriens, des Jordaniens, des Mexicains... qui travaillent tous ensemble, le même sourire aux lèvres. Celui de la satisfaction d’avoir bien accompli sa mission. Bassam Monzer est donc un patron heureux. Depuis treize ans maintenant, rares sont les émigrés, majoritairement libanais, qui ne le remercient pas pour sa cuisine. Des centaines de personnes fréquentent son établissement chaque semaine : des habitants d’Atlanta et ses alentours, mais aussi des passants qui ont entendu parler de la fameuse épicerie méditerranéenne. La raison de ce succès, c’est que ce chef cuisiner et aussi boulanger a su redonner le goût authentique de la cuisine de son pays d’origine, le Liban, à des milliers de kilomètres de ce dernier. « Lorsque je me suis lancé dans ce métier, je me suis juré que le client devrait se sentir chez lui, dit-il. Je tenais absolument à proposer une cuisine authentique. » C’était en 2002, et Atlanta ne comptait qu’un seul restaurant libanais. « J’étais dans la construction, il était temps pour moi de changer de métier, poursuit-il. J’ai commencé à préparer des plats et à inviter mes amis, l’un après l’autre, pour goûter à ma cuisine. » Le goût du Liban Un délicieux chawarma à Atlanta, qui rappelle celui du Liban. Des produits qu’on ne retrouve pas dans les supermarchés américains. Photos Pauline M. Karroum Portrait Sami Aoun, une success-story « intellectuelle » au Canada Professeur titulaire à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, ce Libanais est aussi directeur de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord et cofondateur de l’Observatoire sur la radicalisation et l’extrémisme violent. Frédéric ZAKHIA En 1989, fuyant les obus de l’armée syrienne, Sami Aoun se rend au port de Jounieh, en compagnie de son épouse Maguy Abou Fadel et de ses trois enfants en bas âge, Rana, Élias et Michel. La décision est prise : quitter le Liban, arriver à Chypre, et de là partir vers là où « Dieu nous emmènera ». Pour cet homme originaire de Jezzine, né à Ras el-Metn, village de ses grands-parents maternels, la responsabilité est grande envers sa famille et envers l’avenir de ses enfants. « Un pays, une nation, ce n’est pas une auberge ou un hôtel qu’on peut quitter à tout moment », disait-il souvent. Sami Aoun aime son métier d’enseignement de la philosophie politique et de la pensée libanaise et arabe dans plusieurs universités libanaises. Mais quand un obus touche la chambre à coucher des enfants, qui se trouvaient heureusement dans un abri, c’en est trop. Le trajet Liban-Chypre est en lui-même une aventure périlleuse. Les Syriens imposaient alors un embargo sur les ports et bombardaient les bateaux. « Des personnes qui ont pris le bateau après nous ont été tuées », se souvient-il. À Chypre, il fait rapidement la connaissance de responsables québécois, dépêchés par les autorités canadiennes pour offrir l’asile aux rescapés libanais de la guerre libanosyrienne. On lui offre un visa, mais on le prévient : « Rien ne vous garantit qu’au Québec vous aurez un poste similaire à celui que vous occupiez au Liban ! » Sami Aoun arrive le 5 septembre 1989 à Montréal avec sa famille. Sa priorité est d’assurer la subsistance de la famille et sa sécurité. Grâce à un réseau de Libanais et à la Sami Aoun entouré de sa famille. Le professeur Sami Aoun est devenu une référence incontournable au Canada pour les analyses du monde arabe. « divine providence » – comme il se plaît à le répéter –, le jeune professeur libanais décroche des heures d’enseignement à l’université. Des cours qui nécessitent beaucoup de préparation, et qui ne relèvent pas directement de sa spécialité, comme l’histoire des civilisations non occidentales ou encore l’histoire du Japon. Flexibilité et vaste culture générale, tels sont les clés de sa réussite, affirme-t-il aujourd’hui. Une carrière jalonnée de succès Rapidement, le jeune immigrant se démarque par ses qualités d’enseignant. Les étudiants l’apprécient et le magazine canado-anglais Maclean’s le choisit comme l’un des professeurs les plus populaires au Québec. Sa capacité d’analyse politique lui vaut d’être invité régulièrement à Radio-Canada pour commenter les événements du Moyen-Orient. Il participe à la création de la branche arabophone de la radio. Nommé professeur titulaire à l’École de politique appliquée et élu directeur de l’Observatoire sur le MoyenOrient et l’Afrique du Nord, auteur de plusieurs ouvrages, Sami Aoun est aujourd’hui une référence incontournable au Québec pour analyser les événements du monde arabe. C’est aussi une pierre angulaire de la communauté libanaise et arabe dans la diaspora. Le 30 avril dernier, le ministre de la Défense et chancelier du Collège militaire royal du Canada, Jason Kenny, le nomme au prestigieux poste de gouverneur, membre du conseil des gouverneurs du Collège, unique université militaire à décerner des diplômes au Canada. Intégration sans déni des racines De père maronite et de mère orthodoxe, riche de l’héritage multiconfessionnel du pays du Cèdre, Sami Aoun préconise le dialogue interreligieux, devenu l’angle privilégié de la plupart de ses analyses politiques. Il tient à souligner le rôle des chrétiens dans la nahda arabe. Ce thème est celui de sa première recherche académique dans le cadre du doctorat. Fils de l’Église maronite, il participe aux activités culturelles œcuméniques des chrétiens d’Orient et à des rencontres avec les communautés musulmanes à Montréal. Il est considéré comme une personnalité transcommunautaire, un « passeur culturel » entre l’islam et le monde occidental. « Je veille à entretenir d’excellentes relations avec les différentes communautés, au-delà des simples paroles prononcées à la tribune », précise-t-il. Le professeur émérite a su préserver l’identité libanaise de ses enfants. Il est fier du fait qu’ils parlent libanais et apprécient la nourriture libanaise soigneusement préparée par sa femme. La foi maronite est elle aussi un ciment de la famille. « Ils sont sensibilisés aux enjeux politico-religieux du Liban et du MoyenOrient », dit-il de ses enfants. L’attachement à l’identité libanaise n’empêche cependant pas l’intégration dans la société d’accueil. Sa fille Rana est mariée à un Québécois, Alexandre Deslauriers, pharmacien comme elle. « Mon gendre, qui est québécois de souche, se met à apprendre l’arabe », s’amuse Sami Aoun. « Il aime la kebbé nayyé, les fawaregh et l’arak, encore plus que ma fille ! » s’exclame-t-il. Cours de langue par « Les amis du Portugal » L’association « Les amis du Portugal au Liban », présidée par Mia Vieira Azar, assure un cours de langue portugaise régulièrement à la librairie RectoVerso, rue Monnot, Achrafieh. L’association a pour but de répandre la culture portugaise au Liban et de réunir les membres libano-portugais, les amis du Portugal et les lusophones, afin de renforcer les liens culturels entre les deux pays. Cette année, la remise des diplômes aux étudiants s’est déroulée en présence de l’ambassadeur du Portugal à Chypre et au Liban, João Perestello, de la directrice du Centre culturel Brésil-Liban, Najua Bazzi, et du directeur du Centre des études et culture d’Amérique latine de l’Université Saint-Esprit de Kaslik (Cecal-Usek), Roberto Khatlab. Aujourd’hui, une centaine de restaurants orientaux ont ouvert à Atlanta et ses environs, dont un peu moins de la moitié appartiennent à des Libanais. Ces derniers jouissent, pour la plupart, d’une bonne réputation et se trouvent souvent en tête de liste lorsqu’on effectue une recherche en ligne sur la meilleure cuisine orientale. Bassam Monzer, lui, voulait sortir du lot : il a réussi son pari en proposant une cuisine pas du tout américanisée. En ces temps de mondialisation, beaucoup n’hésitent pas à proposer « du taboulé fastfood » ou du hommos qui ne ressemble en rien à celui du Liban. « Je n’ai pas cherché la facilité, raconte-t-il. Toute Bassam Monzer (deuxième à partir de la gauche) avec quelques-uns de ses employés : son restaurant-épicerie est un véritable melting-pot. notre cuisine est faite maison. Cela nécessite plus d’efforts, certes, mais c’est tellement meilleur ! » Au fil des ans, le petit resto dans lequel travaillaient seulement trois personnes s’est développé. Actuellement, le nombre d’employés a quadruplé. Il y a beaucoup à faire dans la boulangerie, où du pain frais est proposé tous les matins, ainsi que dans l’épicerie et dans le restaurant qui ne désemplit pas. Dans chacune de ces branches, le patron a tenu à répondre à la demande des clients. Alors, ici, on trouve de tout : le chocolat qu’on aime au Liban et qui est introuvable dans les supermarchés américains, du yaourt, le jus qui rappelle celui de l’enfance... Et c’est justement ce que viennent chercher les émigrés libanais qui ont quitté leur pays il y a des années. « Chaque produit évoque une tonne de souvenirs, certains me renvoient directement vers mon village d’origine », raconte un habitué du restaurant. D’autres sont fiers que leurs enfants apprécient ce lieu. « Mon fils appelle certains aliments “Jeddo” (grand-père en arabe), raconte un client. Le zaatar (thym) lui rappelle le Liban. Alors je viens souvent ici pour qu’il n’oublie pas la famille. » Ce ne sont pas seulement des migrants du Liban ou d’autres pays arabes qui fréquentent Mediterranean Bakery & Sandwich. Des Américains de toutes origines s’arrachent aussi les plats chauds proposés à des prix abordables par le restaurateur. S’ils ne connaissaient pas forcément ce type de cuisine, ils ont appris à l’aimer. « Elle est saine et les plats sont généreux », les entend-on dire. Ces réflexions positives, Bassam Monzer a l’habitude de les entendre. Ce ne sont cependant pas les compliments qui lui font le plus chaud au cœur. Il est particulièrement touché quand on lui dit que sa cuisine est une réelle découverte. Que son « taboulé » et ses « lahmé baajine » auraient pu être servis dans les meilleurs restaurants du Liban. Alors, l’exconstructeur sourit. Son pari, il l’a bel et bien réussi. Diaspora De jeunes émigrés vont à la rencontre du Liban et de leur famille Quatre-vingts émigrés de tous âges et de tous pays sillonnent actuellement le Liban sur invitation de RJLiban, pour un voyage de « retour aux sources » qui se terminera fin juillet. Naji FARAH Le silence se fait lourd dans le salon de l’une des familles Keyrouz à Bécharré. Une trentaine de jeunes Libano-Argentins, de la première à la quatrième génération de descendants de Libanais, venus découvrir le pays de leurs ancêtres, attendent les nouvelles, assis en cercle. Le notaire Fadi, plongé dans les registres officiels remontant à plus d’un siècle, va-t-il enfin révéler le secret de la famille d’Ivana, 24 ans ? Celle-ci attend impatiemment, émue aux larmes. Elle a effectué ce voyage dans cet objectif, de sa lointaine ville natale de Concordia, d’où toute sa proche famille suit les progrès de sa quête pas à pas, heure par heure, au pays du Cèdre. La journée avait commencé très tôt, avec un réveil matinal à Byblos, suivi d’une randonnée dans la vallée de Qannoubine, à partir du couvent de Mar Licha. Le patriarche Béchara Raï a salué tout le groupe après la messe, célébrée en ce 17 juillet à l’occasion de la fête de sainte Marina au cœur de l’ancien siège de l’Église maronite. Quatrevingts personnes, de neuf nationalités différentes, venaient de terminer leur promenade dans la forêt sacrée des Cèdres de Dieu, à la beauté immuable aussi bien sous la neige qu’au plus fort du soleil de l’été. Cette première semaine passée au Liban, dans le cadre d’un voyage de « retour aux sources » organisé par l’association RJLiban, s’est déroulée entre Beyrouth et Hammana, où une messe a été célébrée en espagnol par l’évêque de Mexico Georges Saad AbiYounès. Ces premiers jours ont permis de renforcer la cohésion parmi des voyageurs de tous âges. Ils ont aussi connu les premières classes de langue arabe. Il y a eu une première soirée dansante à Tyr, la visite de la capitale libanaise avec son Musée national et sa vie nocturne, des tournées à Anjar, Baalbeck et Zahlé, où le groupe a été accueilli par le chercheur Ramez Labaki, qui était accompagné de deux notables chargés de répondre aux questions de quatre parmi les jeunes émigrés, sur leurs origines familiales. Puis il y a eu la visite de la grotte de Jeïta et de la montagne du Metn en particulier, ainsi que la traditionnelle soirée du 14 juillet à la résidence de Une pause après une longue marche, le 17 juillet, dans la vallée de Qannoubine, guidée par l’ancien ambassadeur Farès Eid. l’ambassadeur de France à Beyrouth, à laquelle se sont présentés deux Franco-Libanais et deux Libano-Argentins d’ascendance française. Un cousin éloigné et une ressemblance frappante... Retour à Bécharré où Ivana Martinez Keyrouz recherche les origines de sa famille. Elle épelle les noms de ses aïeux : il y a Élias Mikhaïl Keyrouz, son « tatarabuelo » (arrière-arrière-grand-père), qui a quitté la montagne libanaise pour fuir l’oppression, se rendant en Argentine où il a donné naissance à Vicente Keyrouz. Celui-ci est le « bisabuelo », père de Élias Pedro Keyrouz, père de Karina, la maman d’Ivana. Celle-ci est la première de toute cette descendance à revenir au Liban pour « réaliser le rêve » de sa famille en Argentine ! Béchir, un cousin éloigné, professeur d’architecture à l’Université libanaise, et contacté en premier, constate une ressemblance frappante d’Ivana avec l’une de ses connaissances à Bécharré. C’est ainsi qu’un premier lien est établi, au bout d’une demiheure d’échanges de noms mêlant l’espagnol à l’arabe : il faut rechercher du côté de la famille Keyrouz Dergham. Un rendez-vous a été pris la semaine d’après pour une nouvelle séance de recherche destinée à informer Ivana sur sa famille d’origine. Des histoires similaires se dérouleront sans aucun doute tout au long de ce voyage qui se terminera le 30 juillet. L’objectif que se sont fixé les jeunes est clair : découvrir le pays de leurs ancêtres, et, si possible, Le Libano-Argentin José Luis Elmelaj, 63 ans, endossant le drapeau libanais, rencontre le 16 juillet, à Mazraat Yashouh, son cousin Georges el-Mellah, qui lui ressemble de manière surprenante. Ivana Martinez Keyrouz (à gauche) en compagnie de son amie Vanesa Olivera Resuc devant un beau panorama de Bécharré, son village d’origine. rencontrer des membres de leur famille d’origine. Le chemin est long, mais la passion intacte. Cette passion des Libano-Argentins pour leurs origines n’est perceptible qu’après quelques jours passés auprès d’eux. Elle se traduit en Argentine par la fondation de grandes institutions et d’écoles de danse comme celle de « Firqat al-Arz » où la dabké se transforme en prière. Deux Brésiliennes parmi cinq autres amies du Liban, Celia et Mariana, passionnées de culture libanaise, expriment la joie de se retrouver au Liban par de magnifiques danses orientales, au parfum de Rio et de Bahia. Cette page est réalisée en collaboration avec l’Association RJLiban. E-mail : [email protected] – www.rjliban.com