Science et progrès moral - Devoir-de

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Science et progrès moral - Devoir-de
Science et progrès moral
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Une chose évidente, d'abord, [mt:ssieurs], c'est que chaque découverte de l'esprit
humain correspond à un progrès moral, à un progrès de dignité pour l'universalité des
hommes. Sur les monuments bâtis, il y a près de trois mille ans . les monuments de
Ninive découverts il y a près de trente ans. vis-à-vis de Mossoul. on voit représentée
la manière dont on dressait ces colosses qui décoraient ces monuments et dont vous
pouvez voir quelques spécimens au musée du Louvre . Le mode de traction est d'un~
simplicité effrayante : des centaines d'hommes attelés et tenus au cou par une corde
tiraient par la tension de tous leurs muscles le taureau colossal : à chaque dix hommes.
il y en avait un. préposé aux travaux, qui distribuait à tort et à travers des coups d<?.
bâton. comme on ne le fait pas maintenant pour les chevaux . Cela est horrible ; cei<•
vient de ce qu'il n'y avait pas alors de machines ; l'animal même était très peu employé.
Les bras de l'homme étaient presque le seul moyen de traction que l'on eût.
Prenez une galère antique, un de ces grands navires des Grecs, si admirables
de construction : quel est le moteur ? C'est la force des bras . Dans les flancs de cc
beau navire, il y a un enfer; il y a là des centaines de créatures· humaines. entassées
les unes sur les autres, d'une façon à peine concevable. et qui , menant une vie d'éternels gémissements, livrées aux plus cruels traitements, faisaient aller les rames et
marcher le navire .
Pourquoi ces horreurs ? Il n'y avait pas de vapeur alors. l'art de la naviga~ion
était peu avancé . Les bras de l'homme. appliqués directement à la rame, étaient le seul
propulseur.
Dans l'Antiquité . vous avez un autre travail presque aussi pénible que celui de
la rame, c'était celui de la meule. Il n'y avait pas de moulin à eau ni à vent ; on broyait
le blé à force de bras, au moyen de deux meules dont l'une était conique et l'autre
s'emboîtait dans la première . Tourner la meule était synonyme du plus cruel châtiment .
La force de la vapeur a-t-elle été trouvée d'une manière fortuite et empirique ?
Nullement. Papin, Watt étaient des savants très profonds ... les progrès de la navigatior
sont également dus à la science.
Ai-je réussi à vous montrer. [messieurs], que ces études. en apparence réservées
à un petit nombre, sont des mères fécondes de découvertes dont tous profitent, que le
peuple a le plus grand Intérêt à ce qu'il y &it des savants qui travaillent à agrandir le
cercle des connaissances humaines. que les plus belles inventions sortent des travaux
d'abord obscurs et solitaires ? Et ces inventions ne sont rien comparées à ce qu'on
pourrait faire. Et le bien qui en résulte pour le peuple n'est rien, comparé à celui qui
en sortira.
Un monde sans science, c'est l'esclavage, c'est l'homme tournant la meule.
assujetti à la matière, assimilé à la bête de somme . Le monde amélioré par la science
E. RENAN (ConférenceS! .
sera le royaume de l'esprit, le règne des hommes libres .
-JILe triomphe de la science finira par engendrer la paix en dotant l 'humanité
entière de meilleurs moyens d'existence, de plus de loisirs. de culture et de raison .
Le progrès a éliminé l'âge des cavernes : pourquoi n'éliminerait-il pas - et le plus
tôt sera le mieux - l'âge des casernes ?
Le temps n'est pas encore si loin où la science était suspecte et faisait peur
On stigmatisait sa brutalité, le • cœur sec des scienttstes ... leur matérialisme, qu 'on
identifiait avec mauvaise foi à une négation de tout idéal (au lieu de l'opposer, comme
il se doit aux allégations de l'idéalisme) . • Le cœur sec des scientistes .. est une def.
légendes les plus répandues par les ennemis de la science, en particulier par les zélateurs
des fausses sciences et de l'occultisme. Pour tromper les foules. il vaut évidemment
mieux avoir affaire à des gens qui • respectent le mystère des choses ... se satisfont
d'un pur verbalisme et tiennent l'irrationnel powr connaissance acceptable .
Ce fléau de l'analphabétisme scientifique a peut-être disparu et nos contemporains
semblent conscients du handicap que constitue l'abse!lce de savoir scientifique, à notre
époque. La science est désormais un phénomène de première importance sociale . Ell~
est, pour l'humanité. la seule chance de créer un avenir meilleur et de briser nos
entraves ; elle seule peut apporter aux hommes une vie plus longue, moins dure et
plus heureuse.
Dans ce plaidoyer pour la science, nous ne confondons pas le confort matériel
et le bonheur. Le bonheur des individus est rarement dû directement à l'exercice d'une
activité de recherche.
D'ailleurs, le bonheur est du domaine affectif plutôt qu'intellectuel : joies de
la famille, satisfactions morales, émotions profondes de la musique, de la poésie, de la
lecture. des spectacles. Les savants n'échappent nullement, ni ne veulent échapper, au
domaine du sentiment.
Mais il est évident que l'art et les activités gratuites impliquent liberté et
loisirs. Quand l'homme préhistorique consacrait tout son temps de veille à se défendre
et à se nourrir, il ne pouvait guère méditer ni se distraire : cela explique l'extrême
lenteur des premiers progrès et. en revanche, l'accélération remarquable des progrès
contemporains. Ceux qui médisent de la science oublient sans doute les progrès de la
médecine et de la chirurgie, la lutte contre la douleur, contre l'insomnie. L'espérance de
vie a doublé en cinquante ans, et il s'agit de vie moins pénible.
La science libératrice. P. COUDERC. Courrier Unesco, février 1968.

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