Cass. 2 civ., 14 avril 2016, n° 15-20275 Obs
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Cass. 2 civ., 14 avril 2016, n° 15-20275 Obs
Cass. 2e civ., 14 avril 2016, n° 15-20275 Contrat d’assurance – Droit commun- Prescription biennale – C. ass., art. L. 114-2 – Interruption (non) – Envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception concernant le règlement de l’indemnité – Contenu non explicite de la lettre – Absence de demande claire quant à l’indemnisation du sinistre – Cause non interruptive de prescription Obs. : Interruption de la prescription biennale : une lettre recommandée qui ne respecte pas la lettre de l’article L. 114-2 C. ass. (ou comment bien rédiger sa lettre recommandée de règlement de sinistre). La Cour de cassation confirme dans cet arrêt la logique très formaliste qui entoure l’article L. 114-2 du Code des assurances relatif aux causes d’interruption de la prescription biennale. Suivant ces dispositions, on le sait, le délai est interrompu soit par une cause ordinaire telle que prévue par le droit commun, soit par l’intermédiaire d’une cause spécifique au droit des assurances. Le texte prévoit expressément deux causes interruptives particulières : la désignation d’un expert et l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception dans le cadre d’une action en paiement ou en règlement de l’indemnité, adressée respectivement par l’assureur ou par l’assuré. L’arrêt ici commenté a trait à cette seconde cause spécifique d’interruption de la prescription biennale. Constatant en juillet 2001 l’apparition d’importantes fissures sur son pavillon, M. X effectue dès le mois suivant une déclaration de sinistre auprès de son assureur, lequel dénie sa garantie. Devant ce refus, M. X obtient du juge des référés la désignation d’un expert par ordonnance en date du 5 juillet 2005. Le 4 juillet 2006, M. X adresse à son assureur une lettre recommandée avec demande d’avis de réception dans laquelle il explique la progression des fissures. La lettre est ainsi rédigée : « je vous signale l’apparition de nouvelles fissures d’une part sur le pignon sud de la maison au printemps et d’autre part sur le plafond du séjour aujourd’hui ; il n’y a aucune stabilisation des fondations ». La lettre ainsi – légèrement – rédigée sera au cœur du contentieux puisque M. X n’a assigné son assureur en exécution de ses obligations que le 17 juin 2009. La question qui s’est donc posée aux juges était de savoir si l’ordonnance de désignation d’expert du 5 juillet 2005 constituait le dernier acte de procédure ou si la prescription avait pu être interrompue par la lettre recommandée adressée le 4 juillet 2006. En d’autres termes, la prescription devait-elle être acquise dès le 5 juillet 2007 (soit deux ans après l’ordonnance de désignation de l’expert) ou bien dès le 4 juillet 2008 (soit deux ans après l’envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception) ? Par un arrêt infirmatif du 23 septembre 2014, la Cour d’appel de Paris décide de déclarer irrecevable comme prescrite l’action en paiement des indemnités de M. X. Les juges estiment que la rédaction de la lettre ne contient aucune demande quant au sinistre et à son indemnisation ; il ne s’agissait là que d’une simple information de l’évolution du sinistre adressée à l’assureur, sans requête particulière en terme de règlement de ce sinistre. La Deuxième Chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’assuré confirmant l’absence de tout effet interruptif de la lettre recommandée envoyée le 4 juillet 2006. Cette décision donne l’occasion de s’interroger une nouvelle fois non seulement sur le rôle qu’est amenée à jouer la lettre recommandée en matière d’interruption de la prescription biennale mais également et surtout sur les qualités requises – tant au niveau du contenant (I) que du contenu de cette lettre (II) – pour que celle-ci puisse produire un tel effet interruptif. I. – Le contenant Nécessité d’une lettre recommandée avec accusé de réception… – Du point de vue de la forme que doit revêtir la lettre de sollicitation de l’assureur vers l’assuré (dans le cadre d’une action en paiement de la prime) ou de l’assuré vers l’assureur (dans le cadre d’une action en règlement de l’indemnité), l’article L. 114-2 du Code des assurances est très clair ; il doit s’agir impérativement d’une lettre recommandée avec accusé de réception. Légaliste, la Cour de cassation a réaffirmé l’importance de cette lettre recommandée estimant qu’une lettre simple ne pouvait donc raisonnablement constituer une cause d’interruption de la prescription biennale même si, par ailleurs, il en est expressément accusé réception par l’assureur (Cass. 1re civ., 28 avr. 1993, n° 90-18.642 ; Bull. civ. I, n° 146 – Cass. 1re civ., 17 juin 2001, n° 9820.880). Tout en conservant l’impérative nécessité de procéder à un envoi par LRAR, la Première Chambre civile a quelque peu relativisé sa position en admettant que l’avis puisse ne pas être produit dès lors qu’il est possible malgré tout de démontrer que la lettre avait bien été initialement transmise par voie recommandée et avec demande d’avis de réception (en ce sens, V. spéc. Cass. 1re civ., 10 juill. 2008, n° 07-16.597 ; Resp. civ. et ass. 2008. comm. 306). Il importe donc peu que l’accusé ne soit pas produit, si la preuve que l’envoi s’est fait par LRAR est parfaitement rapportée. On ne pourra qu’approuver cette exigence de recourir à la LRAR ; on s’étonnera cependant qu’elle ne soit pas généralisée. En cas de non paiement de la prime, on a pu regretter que dans l’intérêt des parties la mise en demeure de l’article L. 113-3 du Code des assurances ne prenne pas la forme d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception (en ce sens, V. spéc. L. de Graëve, « Discussion sur les moyens de preuve de la mise en demeure délivrée par l’assureur en cas de défaut de paiement de la prime (à propos de Cass. 2e civ., 10 sept. 2015, n° 14-20693) », www.actuassurance.com, nov.-déc. 2015, n° 43, analyse). On (les praticiens) nous rétorquera vainement qu’il s’agit là d’un alourdissement inutile du formalisme en la matière puisque la LRAR se retrouve subrepticement à l’article L. 114-2 du Code des assurances. Comment un même contentieux – le défaut de paiement de la prime – peut-il être guidé par des règles formelles distinctes ? La spécificité de la procédure prévue à l’article L. 113-3 le commanderait-elle ? Peut-être. En tout état de cause, la protection des assurés commande surtout un alignement de ces dispositions vers l’exigence posée à l’article L. 114-2. Mais si la LRAR est nécessaire à la lecture de l’article L. 114-2 du Code des assurances, toutes les “LRAR“ ne se valent pourtant pas. … mais pas n’importe quelle lettre recommandée avec accusé de réception. – Les juges du fond ont parfaitement respecté l’exigence textuelle de la LRAR. Cette sacralisation de la lettre recommandée ne les a cependant pas empêchés de préciser que celle-ci pouvait ne pas être interruptive dès lors que l’expéditeur n’avait aucun pouvoir (notamment de représentation) pour procéder à un tel envoi (en ce sens, V. spéc. CA Bastia, 23 mars 2016 : LRAR adressée par le fils de l’assuré ne démontrant pas avoir reçu mandat de son père pour le représenter dans les acte de la vie courante). Certes, la lettre recommandée avec accusé de réception est nécessaire… encore faut-il, pour produire un effet interruptif, qu’elle soit adressée par l’assuré lui-même ou son mandataire (Cass. 2e civ., 22 sept. 2005, n° 04-18.173, Bull. civ. II, n° 231 ; Resp. civ. et ass., comm. 341 – Cass. 3e civ., 17 juin 2009, n° 08-14.104, Bull. civ. III, n° 142 ; Resp. civ. et assur. 2009, comm. 310, obs. H. Groutel – Cass. 2e civ., 17 juin 2010, n° 09-69.663 : ; Resp. civ. et ass. 2010, comm. 264 obs. H. Groutel) et non par un tiers. L’envoi d’une LRAR est donc nécessaire ; il n’est cependant pas suffisant. Seul le contenu permet en effet de vérifier la volonté de l’assuré d’obtenir le paiement de l’indemnité et, en conséquence, de confirmer l’effet interruptif de la lettre sur la prescription biennale. II. – Le contenu D’un assouplissement… – Du point de vue du contenu de la lettre, et à l’inverse de la position adoptée au regard du contenant, la Cour de cassation se montrait jusqu'à présent assez souple, reconnaissant que la lettre puisse être interruptive dès l’instant que son contenu témoigne de la volonté chez l’assuré-expéditeur d’obtenir l’indemnisation du sinistre, même si cette demande ne peut être clairement chiffrée (Cass. 3e civ., 17 juin 2009, op. cit.). La souplesse de la Deuxième Chambre civile l’a même conduite à admettre l’effet interruptif d’une lettre adressée par un assuré au mandataire de son assureur alors que cette lettre concernait seulement pour partie le règlement de l’indemnité due (Cass. 2e civ., 5 mars 2015, n° 14-12.471 ; Resp. civ. et ass., comm. 194 ; JCP éd. E 2015.1311, note P.-G. Marly, M. Asselain et M. Leroy) ; si, dans cette espèce, l’assuré se limitait certes dans son courrier à attirer l’attention de l’agent général sur la lenteur des expertises et sur le risque d’aggravation des pertes d’exploitation, cela avait semble-t-il suffit pour la Cour de cassation à emporter sa conviction : à travers cette lettre, l’assuré avait souhaité demander l’exécution de son contrat. Cette souplesse s’est également traduite par l’acceptation de l’effet interruptif de certaines lettres dans lesquelles les assurés précisaient explicitement les conséquences de l’envoi en termes de d’interruption de la prescription (Cass. 2e civ., 7. févr 2013, n° 11-24.154) ; si le rédacteur de la LRAR s’efforce d’indiquer que celle-ci possède nécessairement un effet interruptif sans même faire mention du sinistre et d’une quelconque demande d’indemnité, l’interruption peut effectivement avoir lieu. Il est difficile cependant de généraliser la solution soutenue par ce dernier arrêt ; le contentieux posé – maladies professionnelles contractées par des salariés exposés à l’amiante – suggérait en effet une impérative prise en charge par les assureurs… et donc une impossible prescription de l’action en réparation des dommages subis. … à une rigidité. – Par son arrêt rendu le 14 avril 2016, la Deuxième Chambre civile raidit indéniablement sa position en précisant d’une part que l’assuré avait simplement « informé l’assureur de l’évolution du sinistre (…) sans formuler une demande relative à ce dernier et à son indemnisation » et, d’autre part et conséquemment, que cette lettre « n’avait pas concerné le règlement, pour ce sinistre, de l’indemnité, au sens de l’article L. 114-2 du Code des assurances, et n’avait dès lors pu interrompre la prescription biennale ». La Cour de cassation ne détecte donc dans cette lettre aucune marque de sollicitation de l’assuré vers son assureur en vue d’obtenir le versement de son indemnité. La Deuxième Chambre civile exige ici une demande explicite d’indemnisation de la part de l’assuré, une sollicitation franche et directe de sa part à l’encontre de son assureur quant à l’exécution de ses obligations contractuelles, seules à même d’établir qu’une lettre “concerne“ le règlement de l’indemnité conformément à la lettre de l’article L. 114-2 du Code des assurances. Cette lecture extrêmement légaliste peut surprendre lorsque l’on sait que la Cour de cassation a déjà admis que des lettres pouvaient “concerner le règlement de l’indemnité“ et produire un effet interruptif, alors que ces lettres avaient été adressées par le mandataire de l’assuré et faisaient état de pourparlers entre experts lors de la préparation contradictoire de l'évaluation de l'indemnité du sinistre (Cass. 2e civ., 4 oct. 2012, n° 11-19.631 ; Resp. civ. et ass. 2013, comm. 37, obs. H. Groutel) ou dans lesquelles ce mandataire affirmait notamment « que le refus de prise en charge du sinistre [était] dénué de fondement, et qu'à défaut de démonstration contraire ou d'accord, il [avait] reçu instruction de plaider » (Cass. 2e civ., 22 sept. 2005, op. cit). Alors que la doctrine semblait se féliciter de l’interprétation large et souple par la Cour de cassation du verbe “concerner“ de l’article L. 114-2 du Code des assurances admettant ainsi une volonté seulement implicite de l’assuré d’être indemnisé (V. spéc. H. Groutel, « Prescription biennale : interruption par l'envoi d'une lettre recommandée », Resp. civ. et ass. 2013, comm. 37), voilà que la Haute juridiction estime ici que la référence à l’indemnisation est, non pas simplement trop implicite, mais plus largement absente du contenu de la lettre. S’il est vrai que signaler une aggravation du sinistre ne signifie pas expressément demander une indemnisation de son dommage, force est néanmoins de reconnaître que la démarche de l’assuré traduit bien une volonté de replacer l’assureur devant ses obligations contractuelles. Puisque la prescription extinctive constitue la sanction de l’inertie de celui qui détient un droit et est donc destinée à « punir le créancier négligent » (Ph. Delebecque et F.-J. Pansier, Droit des obligations, Régime général, Paris, LexisNexis, 2015, n° 532), on ne peut concevoir le rejet de tout effet interruptif à l’égard d’un comportement traduisant précisément une diligence particulière de sa part. Ainsi, même si la lettre de l’assuré demeure équivoque en ce qu’elle ne contient expressément aucune demande d’indemnité, elle traduit – tout de même – une attention de l’assuré quant à la garantie de son sinistre et “concerne“ – malgré tout – le règlement de l’indemnité. Nonobstant ces éléments, la lettre recommandée avec accusé de réception adressée par l’assuré en l’espèce n’est pas interruptive et la prescription se trouvait donc acquise. Pour tenter en dernier lieu de comprendre cette décision, on notera que compte tenu des éléments factuels, la prescription semblait bel et bien acquise. À supposer que la lettre litigieuse ait été considérée comme interruptive, l’action ne pouvait quoi qu’il en soit prospérer du fait de sa tardiveté. Devant la force des faits, la Cour de cassation n’a donc vraisemblablement pas osé admettre la prescription à l’égard d’une lettre si peu explicite et qui n’aurait eu en tout état de cause aucune efficacité sur l’issue finale de cette affaire. L. de GRAËVE L’arrêt : Sur le moyen unique, pris en sa première branche : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 septembre 2014), qu'après avoir constaté en juillet 2001 l'apparition d'importantes fissures sur la façade principale et le vide sanitaire du pavillon dont il est propriétaire, M. X... a effectué en août 2001 une déclaration de sinistre auprès de son assureur, la société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (l'assureur) ; que contestant le refus de garantie opposé par ce dernier, il a saisi un juge des référés d'une demande d'expertise ; qu'un expert judiciaire a été désigné par une ordonnance du 5 juillet 2005 ; qu'après avoir, le 4 juillet 2006, adressé à l'assureur une lettre recommandée avec demande d'avis de réception relative à ce sinistre, M. X... l'a assigné en exécution du contrat d'assurance ; Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action en paiement des indemnités sur le fondement du contrat d'assurance, alors, selon le moyen, que l'interruption de la prescription biennale peut résulter de l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception adressée par l'assuré à l'assureur en ce qui concerne le règlement de l'indemnité ; qu'il suffit que la lettre traduise la volonté de l'assuré d'être indemnisé ; qu'en énonçant que la lettre du 4 juillet 2006 par laquelle M. X... énonçait « je vous signale l'apparition de nouvelles fissures d'une part sur le pignon sud de la maison au printemps et d'autre part sur le plafond du séjour aujourd'hui ; il n'y a aucune stabilisation des fondations » n'avait pas interrompu le délai de prescription biennale parce qu'il n'avait formulé aucune demande quant au sinistre et à son indemnisation, la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 114-1 et L. 114-2 du code des assurances ; Mais attendu qu'ayant constaté que M. X... avait dans sa lettre du 4 juillet 2006 informé l'assureur de l'évolution du sinistre déclaré en août 2001 sans formuler de demande relative à ce dernier et à son indemnisation, c'est à bon droit que la cour d'appel en a déduit que cette lettre n'avait pas concerné le règlement, pour ce sinistre, de l'indemnité, au sens de l'article L. 114-2 du code des assurances, et n'avait dès lors pu interrompre la prescription biennale ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur la seconde branche du moyen unique annexé qui est irrecevable ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne M. X... aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;