DOSSIER DOCUMENTAIRE : INVICTUS Le rugby sud

Transcription

DOSSIER DOCUMENTAIRE : INVICTUS Le rugby sud
DOSSIER DOCUMENTAIRE : INVICTUS
Le rugby sud-africain peine à tourner la page de l'apartheid
Par Pierre Grundmann,le 14/10/2007 www.rue89.com
En 1995, c'est le président Nelson Mandela, vêtu du maillot vert des Springboks, qui avait remis la
Coupe du monde au capitaine de l'équipe sud-africaine, François Pienaar. C'était un an après la fin
de l'apartheid, et l'équipe ne comptait qu'un seul joueur noir, un ailier génial, Chester Williams.
Ce dimanche, les Springboks jouent au Stade de France leur demi-finale contre les Pumas argentins.
Sur les 30 joueurs sélectionnés, il n'y a que six Noirs. Une sous-représentation qui a créé la
polémique dans le pays. Ainsi va le rugby sud-africain : impossible de dissocier ce sport de son
environnement politique. C'est-à-dire racial.
Le pays a subit trois siècles de colonisation brutale et cinquante ans d'un régime de séparation
raciale d'une rare brutalité, l'apartheid. Aujourd'hui, sur les 48 millions d'habitants, on compte 38
millions de Noirs, 4 millions de Blancs, 1 million d'Asiatiques et selon le terme officiel, 4 millions
de « coloured » (métis).
Le sport identitaire des descendants des colons blancs
La formation nationale est au coeur de l'histoire du pays et de son identité. Arrivé en Afrique du Sud
avec les Anglais, le rugby est le sport identitaire des descendants des premiers colons blancs, les
Afrikaners, d'origine hollandaise et française. Ceux-là même qui ont institué l'apartheid. L'équipe
est alors constituée en majorité d'Afrikaners, avec quelques joueurs anglophones. Aucun joueur de
couleur, ni dans l'équipe nationale, ni dans les équipes régionales. Un interdit de plus, pour la
population non blanche.
Alors que le dirigeant du principal parti anti-apartheid, Nelson Mandela, est en prison, que les
manifestations sont réprimées dans le sang, la communauté internationale finit par s'émouvoir. A
partir des années 70, les nations du rugby interdisent à leur formation de rencontrer les Springboks.
Ce boycott, également adopté par les équipes de cricket, va contribuer à convaincre le régime blanc
de céder.
En 1991, Mandela, détenu depuis vingt-sept ans, est libéré par le président De Klerk. L'apartheid est
démantelé. Les Boks retrouvent leur place dans le rugby international un an plus tard. En 1994 se
tiennent les premières élections multiraciales démocratiques, gagnées par l'ANC, le parti de
Mandela. L'Internation Rugby Board (IRB) décide d'offrir à l'Afrique du Sud l'organisation de la
troisième Coupe du monde, en 1995. La « rainbow nation » (nation arc-en-ciel) montre au monde
un visage apaisé.
En attendant une équipe « black-blanc-beur »
Douze ans après, les équipes sportives nationales sont-elles devenues un symbole d'unité ? C'est un
peu plus compliqué. Le foot est le sport des Noirs ; le cricket, sport anglo, a plutôt bien réussi sa
mue, en intégrant pas mal de joueurs de couleur.
Mais le rugby reste perçu comme le dernier « bastion » des Afrikaners. Ce qui le place au centre de
toutes les batailles politiques. La « rainbow nation » n'a pas encore accouché d'une équipe de rugby
« black-blanc-beur ». Un joueur de couleur en 1995, quatre en 1999, cinq en 2003. Cette année, ils
sont au total six dans la sélection, mais sur le terrain, on en voit que deux : les ailiers Bryan Habana
et JP Pietersen. Impossible de ne pas les sélectionner : à ce poste, ils sont parmi les tous meilleurs
de la planète. Habana, qui a percé le premier, est d'ailleurs le sportif le plus apprécié du pays, toutes
communautés confondues, le Zidane sud africain.
L'équipe est pourtant loin de refléter la « démographie » nationale, comme l'exigent pourtant les
dirigeants du pays. Pourquoi ? On évoque, sans rire, la petite taille des Noirs d'Afrique du Sud.
Autres explications, plus crédibles : le rugby étant un sport lié au régime blanc, les Noirs se sont
naturellement tournés vers d'autres sports. C'est aussi le sport de la classe moyenne, majoritairement
blanche. Enfin, contrairement au foot, le talent ne suffit pas : il faut plus de dix années pour former
de bons joueurs de rugby, surtout des avants. Mais de tels programmes coûtent cher, et, en Afrique
du sud comme ailleurs, le rugby manque d'argent.
La fédération a adopté une « Charte de la transformation »
Les politiques s'impatientent. Ils ont tout essayé : imposer des quotas de joueurs noirs dans les
équipes régionales et nationales, menacer de débaptiser les Springboks, un nom lié à l'apartheid, et
renommer l'équipe « Proteas » (le nom d'une fleur, déjà utilisé pour l'équipe de cricket).
La fédération sud-africaine fait des efforts. Elle a inclus dans ses statuts une « Charte de la
transformation » qui prévoit de mettre en place « un environnement viable pour l'égalité raciale à
tous les niveaux du sport ». Insuffisant, manifestement. Après la Coupe du monde, quelque soit le
résultat, les politiques ont laissé entendre qu'ils pourraient exiger de nouveau des quotas de joueurs
noirs et un entraîneur noir.
Un amendement a d'ailleurs été voté par le parlement sud-africain, contrôlé par l'ANC. Il stipule que
les institutions sportives du pays doivent « redresser les inégalités dans le sport en optimisant la
participation des communautés autrefois désavantagées ». La nouvelle loi, critiquée par l'opposition
blanche, donne pouvoir au ministre des Sports pour faire appliquer ses directives. Elle attend la
signature du président Mbeki, qui lui-même attend sans doute la fin de la Coupe du monde pour la
parapher.
L'entraîneur a pu bâtir son équipe sereinement
Les politiques ont cependant laissé l'entraîneur actuel, Jake White (un Blanc), à peu près tranquille
pour construire son équipe. Sans états d'âme, il a bâti un groupe pour gagner la Coupe du monde,
avec des Afrikaners, des anglophones et des Noirs. Les meilleurs à leurs postes. Certains ont
pourtant remarqué, que, selon la terminologie raciale officielle, un seul des six joueurs de couleur
est un « noir ethnique », les cinq autres, tels Habana et Pietersen, sont des « coloured ».
Jack White sait qu'il ne peut que mécontenter tout le monde. Les Noirs si il ne choisit pas assez de
Noirs. Les Blancs, s'il sélectionne des Noirs pour des raisons politiques. Les joueurs, aussi, qui
veulent être sélectionnés pour leur talent et non leur couleur.
Mais White a réussi à maintenir les pressions politiques hors des vestiaires. A voir les joueurs
s'entraîner, détendus et souriants, répondant au quart de tour aux instructions des coaches en anglais
et en afrikaans, on peut croire qu'ils vivent bien ensemble, et ont la capacité de s'unir pour remporter
le trophée.
« Je n'ai jamais considéré la couleur de la peau comme un sujet d'intérêt », dit d'ailleurs Habana.
« Que l'on soit blanc, rose, noir ou bleu, ça n'a aucune importance. » Si les Boks ne gagnent pas, la
nation sud-africaine saura sûrement s'unifier… pour réclamer les têtes du coach et des joueurs.
«Invictus», de la fiction à la réalité
Tanguy Berthemet 13/01/2010
Le Figaro
Mandela a voulu souder une nation grâce au sport. Cette entreprise a moins bien
réussi que celle décrite dans le film de Clint Eastwood.
(...)
La Coupe de monde de rugby lui offre une chance en or que ce politicien madré ne laissera pas
passer. Le rugby - le film le souligne largement - est le sport des élites par excellence, le jeu des
high schools réservées aux Blancs quand les Noirs se concentrent sur le football. Pour unir son nom
à celui des Springboks et faire vivre son ambition de réconcilier derrière l'équipe, Mandela met au
point une tactique simple. Il s'oppose à ce que le nom et le maillot du XV soient changés au nom de
l'antiapartheid.
C'est une façon encore une fois de rassurer et se rapprocher de François Pienaar, le capitaine des
Boks. Là non plus, ce n'est pas un hasard. Le jeune Pienaar est un pur produit de l'apartheid. Il est
issu de cette classe ouvrière afrikaner, celle qui a le plus bénéficié des emplois réservés, des
programmes sociaux et des aides fournis aux Blancs par le régime.
La réelle amitié qui va naître entre Pienaar et Mandela - le président est le parrain de l'un des
enfants du rugbyman - contribuera à construire un symbole de la Rainbow Nation, une nation arcen-ciel en paix avec elle-même. Le happy-end proposé par Clint Eastwood n'est hélas que du
cinéma. Tout comme le rêve de la France « black-blanc-beur » de 1998, l'engouement de la victoire
des Springboks à la Coupe du monde va vite laisser place aux réalités d'un pays déchiré par les
inégalités et une méfiance profonde. Le successeur de Nelson Mandela, Thabo Mbeki, s'y attaquera
en mettant en place des programmes de discrimination positive, une façon inavouée de critiquer la
méthode Mandela.
Une méfiance encore présente
Quinze ans plus tard, les relations intercommunautaires sont en effet toujours tendues. Selon une
étude de l'Institute for Justice and Reconciliation publiée en décembre, 24 % des Sud-Africains « ne
parlent jamais à quelqu'un d'une autre race dans une journée type » et 39 % trouvent les personnes
d'une autre race « peu fiables ». Au printemps, Jacob Zuma, le nouveau président, élu lui aussi
depuis à peine un an, recevra à son tour un événement sportif mondial : la Coupe du monde de
football. Le parallèle s'arrête là. En Afrique du Sud, personne n'entend rejouer 1995. Il est vrai
qu'une victoire finale des Bafana Bafana, l'équipe nationale, est cette fois plus hypothétique.

Documents pareils

ETUDE PREPARATOIRE INVICTUS Consigne

ETUDE PREPARATOIRE INVICTUS Consigne 26. Quelles sont les explications que l'on peut donner pour expliquer la faible présence des sud-africains noirs dans cette équipe ? -physique: petite taille des noirs d'afrique du sud, peu propic...

Plus en détail